P o l y a r t h r i t e r h u m a t o ï d e : PR - Physiopathologie physiopathologie, épidémiologie et imagerie Physiopathologie de la polyarthrite rhumatoïde Pathogenesis of rheumatoid arthritis IP J. Morel Points forts L’interleukine 17 (IL-17) est une cytokine impliquée dans l’inflammation et la destruction dans la polyarthrite rhumatoïde (PR). L’IL-17 produit par des lymphocytes particuliers (TH17) réprime la production d’interféron gamma (IFNγ) par les cellules mononucléées. Une explication à la faible expression d’IFNγ dans les articulations des patients atteints de PR ? Un polymorphisme des gènes codant pour le récepteur de l’IL-4 est associé à des PR avec érosions précoces. Ce polymorphisme empêche la différenciation des lymphocytes T naïfs en TH2. L’IL-32 est une nouvelle cytokine pro-inflammatoire impliquée dans l’arthrite dont la synthèse est favorisée par des ligands bactériens. Un lien entre immunité innée et immunité acquise ? L’œdème intraosseux précoce observé à l’IRM correspondrait à un infiltrat cellulaire intramédullaire. Des ostéoblastes immatures présents dans les érosions osseuses pourraient expliquer le défaut de minéralisation et de reconstruction. Wnt est une voie de signalisation impliquée dans la maturation des ostéoblastes. DKK1, un antagoniste de Wnt, est présent dans les érosions. Rôle dans la déminéralisation osseuse locale et générale ? que la voie STAT6/GATA3 caractérise les TH2. Une nouvelle population lymphocytaire produisant de l’IL-17 a récemment été décrite. Ces lymphocytes T, encore appelés TH17, se différencient à partir des TH0 après stimulation par l’IL-23 ou par une double stimulation cytokinique TGFβ et IL-6. Cette différenciation TH0 en TH17 est, en revanche, inhibée par l’IFNγ et l’IL-4 (figure 1). L’IL-17, qui est une cytokine produite par certains lymphocytes T CD4+, est davantage exprimée dans le liquide articulaire des patients atteints de PR que dans celui des patients souffrant d’arthrose. L’IL-17 a de nombreuses propriétés pro-inflammatoires. Elle induit la production d’IL-1 et de TNF par les cellules mononucléées, celles d’IL-6, d’IL-8 et d’IL-1 par les synoviocytes. L’IL-17 joue également un rôle dans la destruction ostéocartilagineuse en favorisant la production de métalloprotéinases par les chondrocytes et celle de la cytokine RANKL par les ostéoblastes. Lorsque des cellules mononucléées extraites de patients atteints de PR sont stimulées avec de l’IL-17, l’expression d’IFNγ en ARNm est diminuée. Inversement, la stimulation de ces cellules avec de l’IFNγ réprime la production d’IL-17 (Toh, 90). Cette observation pourrait expliquer le fait que les cytokines produites par les lymphocytes de type TH1 (IL-2 et IFNγ) ne sont trouvées qu’à de faibles concentrations dans les articulations de PR, alors qu’il existe dans la synoviale un infiltrat inflammatoire essentiellement composé de lymphocytes T activés et mémoires CD45RO. L’absence de marqueurs membranaires et intracellulaires spécifiques de TH17 empêche pour le moment de savoir si cette population lymphocytaire est présente dans la synoviale rhumatoïde. CYTOKINES ET PR Les lymphocytes T sortant du thymus sont dans un état dit “naïf”, car ils n’ont pas encore rencontré leur antigène spécifique. Les lymphocytes T auxiliaires, ou “helpers” en anglais (TH), se divisent à partir de ces lymphocytes naïfs, encore appelés TH0, en deux sous-populations caractérisées par des profils de sécrétions cytokiniques différents. La sous-population TH1, qui sécrète les cytokines IL-2 et l’IFNγ, intervient dans des fonctions à médiation cellulaire telles que l’hypersensibilité retardée ou l’activation des lymphocytes cytotoxiques. L’autre sous-population TH2, qui sécrète les IL-4, -5 et-10, intervient surtout dans la réponse humorale en activant les lympho­cytes B. Les lymphocytes TH1 et TH2 se distinguent également par les facteurs de transcription intracellulaire activés par la reconnaissance antigénique. La voie STAT 1-4/Tbet caractérise plutôt les lymphocytes TH1, tandis LR-NN328ACR-0107.indd 6 Macrophage CD4+ IL-12 R IL-12 TH1 STAT1-4 T-bet IFNγ IL-6, TGFβ IL-23 TH0 IL-4 TH2 IL-4R STAT6 GATA-3 IL-23 IL-23 R TH17 IL-4 IL-5 IL-13 : inhibé IL-17 IL-6 TNFα Figure 1. Le lymphocyte TH17 est une population lymphocytaire de description récente qui produit de l’IL-17. Les lymphocytes TH0 se différencient en TH17 sous l’effet de l’IL-23 ou de l’association IL-6/TGFβ. Cette différenciation est inhibée par des cytokines produites par la voie TH1 (INFγ) et TH2 (IL-4, IL-5, IL-13). La Lettre du Rhumatologue - n° 328 - janvier 2007 29/01/07 10:26:22 MéCANISMES DE LA DESTRUCTION ARTICULAIRE Un œdème osseux est observé de manière précoce dans les articulations des patients atteints de PR. Il est fortement corrélé à l’apparition d’une érosion osseuse sur les radiographies stanLa Lettre du Rhumatologue - n° 328 - janvier 2007 LR-NN328ACR-0107.indd 7 PR - Physiopathologie Lors d’une réponse immunitaire à un antigène, des phénomènes de régulation se manifestent. Lorsque la voie TH1 est activée, il existe une régulation visant à rétablir la balance TH1/TH2. L’IL-4 est une cytokine capable d’inhiber la différenciation des TH0 en TH1. Des polymorphismes ont été décrits au niveau du gène codant pour le récepteur de l’IL-4. L’un de ces polymorphismes se traduit au niveau protéique par le remplacement d’une isoleucine par une valine (I 50 V). Cette mutation au niveau du récepteur de l’IL-4 se traduit par une atténuation des capacités de différenciation des lymphocytes TH0 en TH2. Le déficit en lymphocyte TH2 pourrait favoriser la persistance de lymphocytes TH1 dans les maladies auto-immunes comme la PR. Une prédominance de ce polymorphisme I 50 V a été recherchée dans la PR. Dans une étude cas/témoins incluant 471 patients atteints de PR et 371 témoins sains, cette association génétique a été recherchée. L’allèle I 50 V n’est pas plus fréquent dans la PR que chez les témoins. En revanche, à l’intérieur du groupe PR, il est plus fréquemment associé à la présence d’érosions précoces sur les radiographies standard (Skapenko, 651). Ce résultat doit être vérifié sur d’autres cohortes de patients atteints de PR suivis de façon prospective. L’IL-32 est l’une des dernières cytokines qui viennent d’être décrites par l’équipe de C. Dinarello avec six isoformes différentes. L’IL-32 est une cytokine produite sous l’effet de l’IFNγ par plusieurs types cellulaires comme les lymphocytes B, T, monocytes, macrophages et cellules épithéliales. Les ligands bactériens sont capables d’activer la synthèse de l’IL-32 avec un effet synergique en présence d’IFNγ. L’IL-32 exerce des fonctions pro-inflammatoires en favorisant l’expression des cytokines IL-1, TNF, des chémokines et de la prostaglandine E2 (PGE2), ainsi que des voies de signalisation contrôlant l’inflammation comme p38 MAP kinase et NFκB. Ces propriétés pro-inflammatoires ont naturellement incité à rechercher quelle pouvait être son implication dans la physiopathologie de la PR. L’IL-32 est exprimée dans la synoviale rhumatoïde en particulier au niveau de la couche bordante. Cette expression est corrélée aux concentrations d’IL-1, de TNF et de la VS. In vivo, l’injection d’IL-32 humaine dans l’articulation d’une souris induit une inflammation locale et une chondrolyse avec un effet majoré lorsque l’IL-32 est associée aux ligands bactériens des récepteurs toll-like (TLR). Les effets inflammatoires de l’IL-32 sont médiés en grande partie par le TNF, car l’inflammation et la destruction induites dans l’articulation par l’IL-32 est presque totalement inhibée chez les souris déficientes en TNF. L’IL-32 serait donc une cytokine qui interviendrait en amont du TNF. Elle pourrait représenter un lien entre l’immunité innée et l’immunité acquise, car sa production est favorisée par l’IFNγ et son action pro-inflammatoire est augmentée par les ligands du TLR (Joosten, 656) [figure 2]. Intensité du gonflement articulaire chez des souris sans TNF (TNF-/-) 1,4 1,2 1 J1 J2 Jours après injection d’IL-32 Contrôle TNF-/- Figure 2. L’IL-32 est une nouvelle cytokine pro-inflammatoire impliquée dans l’inflammation et la destruction de l’articulation rhumatoïde. En amont du TNF, elle constitue un lien possible entre l’immunité innée et l’immunité acquise. dard réalisées plus tardivement. Son origine n’est pas encore bien établie. Une analyse histologique de l’os d’une articulation rhumatoïde étant difficilement envisageable chez l’homme, cette étude a été réalisée dans le modèle murin transgénique pour le TNF. Ces souris expriment d’importantes quantités de TNF humain et développent spontanément une arthrite. Au neuvième mois de vie, les articulations de ces souris transgéniques arthritiques ont été analysées en IRM, puis en histologie. Comme chez l’homme, un œdème osseux est observé en IRM. L’analyse histologique objective un infiltrat inflammatoire intramédullaire qui se développe aux dépens de la graisse. L’intensité de l’œdème et de l’infiltrat cellulaire diminue avec le degré d’inflammation observé au niveau de l’articulation arthritique (Proulx, 2035) [figure 3]. On peut regretter, dans ce travail, l’absence de marquage cellulaire pour préciser le type de l’infiltrat : s’agit-il de monocytes, de lymphocytes ou de synoviocytes ? Au début de la PR, une déminéralisation osseuse en bande est classique. L’origine de cette déminéralisation n’est pas bien connue. Un découplage entre ostéoformation et ostéodestruction a jusqu’à présent été évoqué. Une hypothèse originale implique un défaut de maturation des ostéoblastes à l’interface entre synoviale et os. La différenciation des préostéoblastes en ostéoblastes matures est sous le contrôle de la voie de signalisation Wnt. La protéine Wnt se fixe sur le récepteur Frizzled présent à la surface des préostéoblastes et active un signal intracellulaire qui permet sa différenciation en ostéoblaste. La protéine DKK1 est un antagoniste de Wnt et s’oppose donc à la maturation en ostéoblaste (figure 4). Dans les articulations de patients atteints de PR et dans les modèles murins d’arthrite expérimentale, l’analyse histologique montre, à l’interface pannus/os, un déficit 29/01/07 10:26:24 P o l y a r t h r i t e r h u m a t o ï d e : PR - Physiopathologie physiopathologie, épidémiologie et imagerie Histologie A IRM Wnt C Frizzled LRP5/6 B D • Préostéoblaste • Différenciation • Croissance • Survie Figure 4. DKK1 et un inhibiteur de la voie de signalisation Wnt. Wnt appartient à une famille de protéine de signalisation et se fixe sur le récepteur Frizzled qui, en présence d’un corécepteur LRP induit une différenciation cellulaire de l’ostéoblaste. Figure 3. L’œdème osseux observé en IRM correspond à un infiltrat cellulaire intramédullaire dans l’arthrite expérimentale. A et B : infiltrat cellulaire au dépens de la graisse. C et D : hypersignal en IRM. en ostéoblastes matures. Un défaut de maturation des ostéoblastes est-il à l’origine de cette observation ? DKK1 étant un facteur inhibant la maturation des ostéoblastes, son expression a été recherchée dans un modèle murin d’arthrite (KBX/N). De l’ARNm de DKK1 est en effet présent dans les articulations arthritiques. DKK1 pourrait donc intervenir dans la déminéralisation osseuse observée dans la PR (Walsh, 1223). Ainsi, une surexpression de DKK1 expliquerait le défaut de maturation des ostéoblastes observé au niveau des sites des érosions. Le déficit LR-NN328ACR-0107.indd 8 en ostéoblaste mature favoriserait la déminéralisation osseuse locale au niveau de l’arthrite (“déminéralisation en bande”) et peut-être la déminéralisation osseuse générale (“perte osseuse”). On peut également imaginer un rôle dans la reconstruction (healing) observée sous anti-TNF. En effet, le TNFα induit la production de DKK1 (en ARNm) par les synoviocytes fibroblastiques. De plus, sur 50 patients atteints de PR définie selon les critères ACR, la concentration de DKK1 sérique a été comparée entre les patients traités par anti-TNF (n = 33) et les autres qui n’en avaient pas. La concentration de DKK1 dans le sérum des patients traités par anti-TNF était significativement plus basse (p < 0,05) [Tutuncu, 427]. Les anti-TNF pourraient donc aussi réduire l’hyperexpression de DKK1 au niveau de l’articulation, et favoriser ainsi la reconstruction par les ostéoblastes. ■ La Lettre du Rhumatologue - n° 328 - janvier 2007 29/01/07 10:26:27