
SÉNAT — SÉANCE DU 18 JANVIER 1994
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«
2° Informer ceux-ci des probabilités de réussite et
d'échec des techniques de procréation médicalement assis-
tée, ainsi que de leur éventuelle pénibilité ;
« 3° Leur remettre un dossier-guide, mis à jour au
moins une fois par an, comportant notamment :
« a)
Le rappel des dispositions législatives et régle-
mentaires relatives à la procréation médicalement assistée ;
«
b)
Un descriptif de ces techniques ;
«
c)
Le rappel des dispositions législatives et régle-
mentaires relatives à l'adoption, ainsi que l'adresse des
associations et organismes susceptibles de compléter leur
information à ce sujet.
«
Un arrêté précise dans quelles conditions les direc-
tions départementales des affaires sanitaires et sociales
assurent la réalisation et la diffusion des dossiers-guides
destinés aux médecins.
« A l'issue d'un délai de réflexion d'un mois, les deux
membres du couple sont autorisés à confirmer par écrit
leur demande auprès du médecin.
« Un entretien médical doit être systématiquement pro-
posé au couple dans le cas où celui-ci modifie son projet
parental ou y renonce dans les conditions prévues à
l'article L. 671-2
bis. »
Sur l'article, la parole est à M. Sérusdat.
M. Franck Sérusclat.
Monsieur le président, madame le
ministre d'Etat, mesdames, messieurs les sénateurs, il m'a
paru essentiel de prendre la parole sur cet article
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et,
afin de marquer l'importance que j'y attache, je me suis
permis de venir m'exprimer à la tribune.
Sans passion, je souhaiterais dégager ce qui est objectif
dans beaucoup de propositions, qui comportent une part
normale, mais peut-être trop grande, de subjectivité.
Aujourd'hui, il nous faut, me semble-t-il, voir clair. Les
enjeux sont décisifs ; ils portent sur deux domaines.
Nous devons d'abord avoir le souci de faire en sorte
que, quelles que soient les qualités de la recherche et les
réponses qu'elle apporte, l'on puisse en mesurer les consé-
quences de façon à éviter certains effets qui peuvent être
dangereux ; chacun pense au DPI, à l'extension de la pos-
sibilité de procréation médicalement assistée, au clonage,
au choix d'une couleur, bref à ce qui peut devenir conve-
nance, ce qui peut devenir eugénisme
et
danger.
Il faut ensuite savoir choisir clairement quel regard on
porte sur une société, sur son évolution et ses chances de
progresser.
C'est vrai, il y a le regard de la raison, de l'étude at,,..1-
tive des données.
Mais certains regards ont parfois tendance aussi à
s'enfermer dans des perspectives ou des références consi-
dérées comme intouchables ; ce fut le cas de certains
regards d'Etat, par exemple avec Lyssenko et sa concep-
tion totalitariste de l'appréciation de la reproduction dans
certains domaines.
Il y a aussi le regard chrétien porté sur le monde. Chez
nous, c'est plutôt celui-là qui prévaut. Et ce n'est pas une
simple hypothèse ; M. Cloupet, notamment, au-delà de
ses propos sur l'enseignement, suggère qu'un regard chré-
tien soit porté sur le monde, y compris en mathéma-
tiques et en sciences physiques. Cela a provoqué une
réaction très forte de chercheurs qui ont tout récemment
signé un texte pour indiquer que cette démarche était
dangereuse.
En effet, l'idée même de porter un regard chrétien sur
le monde, y compris en mathématiques et en sciences
physiques, disent MM. Jean-Marie Lehn, Charpak et
beaucoup d'autres, suppose de fournir un système d'inter-
prétation de phénomènes scientifiques reposant sur les
axiomes liés aux textes sacrés.
Il s'agit bien là d'un des soucis majeurs que nous
devons avoir aujourd'hui. Il faut strictement s'en tenir
aux constatations scientifiques, s'agissant notamment des
premiers jours qui suivent la fécondation, qu'elle soit
naturelle ou qu'elle soit médicalement assistée.
Je citerai sur ce point M. le ministre délégué à la santé
qui, dans une interview du 13 janvier dernier, affirmait
- et je partage son avis - que ni les scientifiques, ni les
médecins, ni les autorités religieuses ne peuvent dire
quand commence l'être humain. Par conséquent, élaborer
un statut de l'embryon est une erreur. Pourquoi ne pas
demander qu'il y ait un statut de l'oeuf fécondé ? Or,
c'est bien ce dont nous parlons.
Peut-être resterai-je marqué par le mot « zygote » et on
dira que je suis un « zigoto ».
(Sourires.)
Le mot zygote
signifie que l'on double le mot oeuf en ajoutant fécondé,
car tout oeuf, par définition, est déjà fécondé. Mais cet
oeuf fécondé a la particularité d'être porteur d'un attelage,
car le mot zygote vient du grec
zugôtos
qui signifie attelé.
Le spermatozoïde et l'ovocyte se sont « attelés » à une
tâche, avec la particularité qu'il n'y a pas de rupture
franche où, à un moment donné, on n'est plus dans
l'étape « zygote », mais on en serait à l'étape embryon-
naire.
Or, actuellement, les données sont assez claires et
nettes. Malgré cela, et malgré cette continuité, ce n'est
que vers la quatrième semaine que peut débuter l'organi-
sation de ce qui aboutira à un embryon viable, c'est-à-
dire susceptible de se passer de l'attache de la mère vers la
vingt et unième semaine. Il est donc dommageable d'ap-
peler tout de suite cela « embryon ».
On voit, là aussi, les incertitudes, dont il faut tenir
compte, du monde chrétien. Pendant très longtemps, la
théorie de l'animation tardive défendue par saint Augus-
tin et saint Thomas a prévalu. L'étonnant souci d'alors
était de savoir à quel moment on pouvait procéder au
baptême
in utero.
Il fallait voir au moins un bras, mais il
ne fallait pas que l'embryon soit trop loin, afin que l'eau
bénite puisse lui parvenir. Pendant longtemps, des dis-
cussions ont eu lieu pour acquérir la certitude que « l'âme
était descendue dans ce qui avait cheminé, pendant un
certain temps, dans l'obscurité de la procréation ».
La théorie de l'animation immédiate a eu cours à par-
tir de 1987, date de publication du communiqué éma-
nant du conseil permanent des évêques et intitulé
Donum
vitae.
L'embryon était alors considéré d'emblée comme
une personne humaine.
Tout cela montre bien les difficultés qu'a éprouvées le
monde chrétien, et surtout catholique, pour se détermi-
ner.
Plus récemment, Jean-Paul-I" s'était félicité de la nais-
sance de Louise Brown, l'avait saluée, et avait dit aux
parents qu'ils avaient un grand mérite devant Dieu, celui
d'avoir eu le courage de demander l'intervention du
médecin.
Aujourd'hui, on a le sentiment du contraire quand on
écoute l'archevêque de Paris affirmer avec force que c'est
la vision quasiment cléricale de la procréation qui doit
prévaloir. Malgré cela, un grand débat a lieu entre les
catholiques, puisque ceux qui viennent de rédiger le texte
intitulé « Désirer un enfant », et qui ont recueilli
700 signatures de théologiens et de médecins, insistent
pour dire « qu'il ne faut pas trancher au nom d'un prin-
cipe supérieur », je cite leur texte, « la loi néothomiste,
qui aujourd'hui justifie les interdits du Vatican ».