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Année
1978. — N° 19
S.
Jeudi
20
Avril
1978 **
JOURNAL OFFICIEL
DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
DÉBATS PARLEMENTAIRES
SÉNAT
SECONDE SESSION ORDINAIRE DE
1977-1978
COMPTE RENDU INTEGRAL
SEANCE
Séance du Mercredi
19
Avril
1978.
SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. ALAIN POHER
1.
Procès-verbal
(p.
529).
2.
Dépôt de questions orales avec débat (p.
529).
3.
Lecture d'une déclaration de politique générale du Gouver-
nement
(p.
530).
M. Alain Peyrefitte, garde des sceaux, ministre de la justice.
4.
Dépôt de rapports
(p.
535).
5.
Ordre du jour
(p.
535).
PRESIDENCE
DE M. ALAIN POHER
La séance est ouverte à -quinze heures dix minutes.
M. le
président.
La séance est ouverte.
-- 1 —
PROCES-VERBAL
M. le président.
Le compte rendu analytique de la séance
d'hier a été distribué.
n'y a pas d'observation
?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
*
(1 f.)
— 2 --
DEPOT
DE QUESTIONS ORALES AVEC
DEBAT
M.
le président.
J'informe le Sénat que j'ai été saisi des
questions orales avec débat suivantes
:
M. Jacques Eberhard, se faisant l'écho des difficultés de
plus en plus grandes rencontrées par les petits et moyens
exploitants agricoles du fait de la baisse constante de leur
pouvoir d'achat,
inquiet des intentions des organismes de la Communauté
européenne visant à fixer
à
seulement
2
p.
100
l'augmentation
moyenne des prix agricoles pour l'année
1978;
considérant, d'autre part, les effets néfastes, sur le revenu
de nos agriculteurs, de pratiques telles que les montants co
m
-
pensatoires
monétaires et la taxe dite
dè coresponsabilité
sur
le lait,
demande à M. le ministre de l'agriculture quelle est la position
du Gouvernement par rapport
à
ces propositions et
à
ces pra-
tiques
(n° 42).
M. Camille Vallin attire l'attention de M. le Premier ministre
sur le caractère d'urgence des mesures qu'il convient de prendre
en faveur des collectivités locales.
Depuis de longues années, en effet, le constat établi par
d'innombrables commissions, initiatives gouvernementale ou parle-
mentaire, a révélé l'urgence de profondes réformes, A la fois
pour élargir les compétences des collectivités locales, pour
19
530
SENAT
L
SEANCE
DU
19
AVRIL
1978
reura
donner les moyens financiers dont elles ont un besoin
impérieux et pour réformer une fiscalité locale inadaptée,
anachronique et injuste.
Les promesses multiples prodiguées par les plus hautes auto-
rités de
l'Etat
sont malheureusement restées pour l'essentiel
lettre morte.
Dans la dernière période, à la veille des élections législatives,
les promesses, à nouveau, n'ont pas manqué.
Il lui demande quelles sont, suivant ces promesses, les mesures
qu'il compte, prendre pour permettre aux collectivités locales
de sortir enfin de la grande crise où la politique des gouver-
nements successifs les a plongées, quel élargissement de leurs
responsabilités il conçoit et quelles mesures financières immé-
diates il envisage de prendre pour leur donner les ressources
qui leur sont absolument indispensables.
Il lui demande également ce qu'il compte faire en attendant
une réforme plus fondamentale pour corriger, dès
1978,
ainsi
qu'il l'a
promis,, l'injustice des
imppts
locaux et notamment
de la taxe d'habitation devenue insupportable pour les foyers
aux ressources modestes
(n" 43).
Conformément aux articles
79
et
80
du règlement, ces ques-
tions orales avec débat ont été communiquées au Gouvernement
et la fixation de la date de discussion aura lieu ultérieurement.
— 3 —
LECTURE D'UNE
DECLARATION
DE POLITIQUE
GENERALE
DU GOUVERNEMENT
M. le président.
L'ordre du
jour appelle la lecture, dans les
conditions définies à l'article
39,
alinéas
1
et
2,
du règlement
du Sénat, d'Aine déclaration de politique générale du Gouver-
nement.
La
parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Alain Peyrefitte,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le
peuple français a, le
12 et 19
Mars dernier, exprimé son choix.
h
Pa
fait sans équivoque, en participant massivement aux élec-
tions législatives. Il l'a fait avec raison et bon
sens.
n
a montré son attachement à nos institutions. Il s'est ras-
semblé autour du Président de la République et du Gouverne-
ment, comme il l'a toujours fait, dans les moments décisifs,
sous la V' République, tant il est vrai qu'un pays n'a d'autre
recours que
ses
institutions légitimes.
Le peuple français a choisi ses députés de telle sorte qu'a
l'Assemblée nationale une majorité solide puisse soutenir l'action
du Président de la
,République
et de son Gouvernement.
-
Conscient des difficultés auxquelles notre pays doit faire face,
II
s'est prononcé pour l'effort au service du redressement de
notre économie
;
mais il a aussi marqué son aspiration au
renouveau social et politique, en même temps que son attache-
ment aux libertés et à la justice.
Le
Président de la République a demandé au Gouvernement,
qu'il vient de nommer, de
s'attaquer en profondeur aux vrais
problèmes de notre pays et de faire des années à venir une
période d'intense progrès pour la France
».
Dans l'action qu'il va conduire, le Gouvernement entend éta-
blir une étroite collaboration avec l'Assemblée nationale et le
Sénat.
ri
compte sur les formations de la majorité pour soutenir
résolument et contrôler positivement cette action.
Peut-il leur demander plus particulièrement de maintenir
entre elles, pendant cette législature, l'esprit de loyauté réci-
proque et d'unité dont elles ont fait preuve pendant la période
électorale et qui a été le principal facteur de leur succès
?
Leurs électeurs ne comprendraient pas
wie
des tensions et
des querelles compromettent les chances que donne au pays
l'existence d'une majorité large et cohérente.
Le Gouvernement, pour sa part, entend agir avec sa majorité,
non pas contre elle, non pas sans elle. Il n'aura pas d'autre
souci, je vous en donne l'assurance, que de préserver et de
fortifier l'entente majoritaire.
Que les parlementaires de l'opposition sachent que le Gou-
vernement, qui respecte leurs convictions, ne sera
.pas
Indif-
férent à leurs critiques et à leurs avis, car ils sont
;
eux aussi,
des élus de la Nation.
M. Charles Alliés.
Quand même
!
M. Alain Peyrefitte,
garde des sceaux.
n
s'efforcera, pour ce
qui le concerne, de contribuer à cette
s
cohabitation raison-
nable
»
que le chef de
l'Eta,
.
a souhaité voir s'établir entre la
majorité et l'opposition.
Il souhaite faire régner dans notre pays le climat de tolérance
et l'esprit de dialogue nécessaires à la vie démocratique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, dans le monde redoutable
et implacable où nous vivons, le devoir du Gouvernement, comme
celui de tous les Français, est d'assurer l'indépendance de la
France et de maintenir son
rPle
et son rang. Tel doit être notre
grand dessein national, tel est celui du Gouvernement.
A ce grand dessein doivent s'ordonner, d'une part, la politique
étrangère et la politique de défense qui l'expriment, d'autre
part, la politique économique, la politique sociale et l'organisa-
tion des rapports entre
l'Etat
et les citoyens qui en condi-
tionnent la réalisation parce qu'elles assurent la vigueur
et
l'unité de la Nation.
L'action du Gouvernement sera fidèle au programme
de
Blois, élaboré avant la consultation électorale à la demande
du Président de la République, pour qu'il puisse constituer
l'engagement de ce qu'un gouvernement peut faire de précis
pour améliorer le sort des Français
».
Ainsi chercherons-nous
apporter aux problèmes qui se posent à notre pays une réponse
réaliste et conforme aux aspirations des Français tout en
pro-
posant
une ambition à la France.
Le pays connaît et approuve dans sa très large majorité les
objectifs de notre politique étrangère.
La France entend maintenir et développer des relations
confiantes avec tous les pays du mande, dans le souci de
la
dignité et de la personnalité des Etats.
La France est attachée à la détente internationale. Elle
a
développé avec l'Union soviétique et les pays de l'Est une
politique fructueuse d'entente et de
cootsération
et n'a cessé,
depuis 1964,
d'intensifier des relations de tous ordres avec
la
République populaire de Chine.
Nous avons de la détente une conception globale et indivi-
sible. Nous pensons qu'elle doit se fonder sur un dialogue entre
Etats
indépendants et souverains. En dépit de déceptions récentes,
qui ont été légitimement ressenties, nous entendons la pour-
suivre, car il n'y a pas d'alternative acceptable pour l'humanité.
Mais nous
-
le ferons avec rigueur et exigence, notamment pour
ce qui concerne les libertés fondamentales et les droits de
l'homme auxquels notre pays est séculaire/lient attaché.
La France s'efforcera de proposer des solutions raisonnables
et efficaces aux problèmes
,
qui affectent, à un titre ou
à
un
autre, la communauté internationale, qu'il s'agisse du déséqui-
libre entre pays industrialisés et pays en développement, qui
SENAT —
SEANCE
DU
19
AVRIL
1978
531
le
dialogue,Nord-Sucl.
doit, dans les enceintes appropriées, s'effor-
cer de réduire, qu'il s'agisse de l'approvisionnement en énergie
qui impose le recours accru à l'énergie nucléaire, sans que
soit pour autant favorisée la prolifération de l'arme atomique,
qu'il s'agisse de la course aux armements, dont l'arrêt, puis
le' renversement, feront l'objet de propositions que M. le Prési-
dent de la République présentera lui-même devant l'assemblée
extraordinaire des Nations unies, qu'il s'agisse du Moyen-Orient,
où la France souhaite que là paix se rétablisse grâce à un
règlement global dont elle a, à maintes reprises, indiqué les
principes
fôndamentaux.
,
Fidèle
1
ses amitiés, notre pays développera avec chaleur
les rapports de coopération privilégiée qu'il entretient, à leur
demande, avec les nations qu'il a conduites à l'indépendance.
Celles-ci peuvent compter sur son entier concours.
Fidèle
à
ses solidarités naturelles, la France contribuera
activement au progrès de la Communauté européenne pour
qu'elle soit
une_zone
d'échanges libres, de croissance équilibrée
et de stabilité
monétaire. Nous souhaitons une Europe confé-
dérale, où le Conseil européen fixe les orientations de la Commu-
nauté, dans le respect de la souveraineté des Etats, et où
l'assemblée, dont les compétences ont été définies par le traité
de Rome, et qui sera élu, en
1979,
au suffrage universel, donne
aux peuples de la Communauté la possibilité de participer plus
activement à la grande œuvre que constitue l'édification de
l'union européenne.
Les relations de coopération et d'amitié entre l'Allemagne
fédérale et la France restent, aux yeux du Gouvernement, la
pierre angulaire de cette union et nous nous réjouissons de
,leur
sincérité, et
.de
leur qualité.
;
La politique étrangère que la France mène au service de
la coopération, de l'équilibre et de la paix dans le monde ne
se dissocie pas de sa politique de défense. Celle-ci est fondée
sur le respect de nos alliances, sur l'indépendance de nos mayens
militaires et sur le caractère irréversible de notre retrait des
organisations militaires internationales intégrées.
En ce qui concerne nos propres forces, il doit être clair,
une fois pour toutes, et en dépit d'étranges procès d'intention,
que les efforts tendant à la réalisation de nos priorités de
défense seront conduits avec persévérance, sans jamais baisser
notre garde. Nos forces nucléaires seront maintenues au niveau
d'efficacité et de crédibilité nécessaire. Nos autres forces, et
notamment notre marine de surface, seront renforcées et moder-
nisées. Elles constituent, en effet, le complément indispensable
de notre force de dissuasion et doivent nous permettre de
faire face aux responsabilités étendues de la France dans le
monde.
Notre volonté en matière de défense s'est inscrite dans la
_
loi de programmation militaire adoptée en
1976.
Les budgets
établis depuis lors ont mis en œuvre, en dépit des difficultés
économiques et
firiancières
du pays, les dispositions de cette
loi. Sa mise à jour donnera lieu, dans le courant de la présente
législature,
à
un débat au Parlement. Elle devra tenir compte
non seulement des données économiques et financières, mais
aussi de l'évolution des priorités politiques et des acquis scien-
tifiques, techniques et industriels. Ainsi, la loi de programma-
tion
constituera-t-elle,
sous le contrôle du Parlement, un indi-
cateur permanent et réaliste de l'accroissement de notre capacité
de défense, preuve de notre volonté d'indépendance.
La
.Krance .ne
pourra cependant préserver son indépendance
si son économie demeure fragile et vulnérable.
Pour faire face aux profonds changements qui se sont pro-
duits au cours des dernières années, dans le monde, il n'est
pas pour nous d'autre loi que celle de l'effort. Que personne
ne s'y trompe
!
Nous avons pu, dans des circonstances diffi-
ciles, arrêter les évolutions très préoccupantes qui se
mani
7
festaient dans notre économie à la fin de l'été
-1976 ;
nous
avons pu amorcer le redressement économique et financier
du pays en évitant la récession et
\
l'amputation du pouvoir
d'achat des Français. Mais la tâche qui reste à accomplir est
encore considérable.
Nous avons non seulement à éliminer le virus inflationniste
qui mine notre économie, mais nous avons à adapter la France
aux nouvelles conditions de l'économie internationale. Nous
avons à le faire dans une conjoncture internationale peu satis-
faisante. En Europe et dans le monde, la croissance reste faible
et les facteurs de hausse de prix sont loin d'être maîtrisés dans
de nombreux pays
;
l'instabilité monétaire internationale provo-
quée par l'affaiblissement du dollar compromet ici la reprise
de l'activité économique, là les progrès de la lutte contre
l'inflation.
La hausse du prix du pétrole est une épée de Damoclès
qui menace les pays qui, comme le nôtre, doivent importer
ce produit indispensable au fonctionnement de leurs économies.
Dans de telles conditions, la coopération internationale doit
s'intensifier sur les plans économique, commercial, monétaire et
financier. La France apportera son entier concours à tout ce
qui pourra être fait dans ce sens, tant au plan européen qu'au
plan international.
Mais nous ne devons pas nous en remettre à autrui du soin de
résoudre nos problèmes. Nous compterons d'autant plus dans
le monde que nous aurons d'abord compté
SUT
nous-mêmes,
c'est-à-dire remis nous-mêmes en ordre nos affaires.
Les objectifs du Gouvernement sont de parvenir, d'ici à
1980,
au rétablissement durable de nos grands équilibres, de ren-
forcer notre appareil de production, de mener une politique
vigoureuse d'aménagement du territoire. Telles sont, en effet,
les conditions remplir pour offrir aux Français, et notamment
aux jeunes, des emplois qui ne soient pas artificiels, mais sains,
qui ne soient pas précaires, mais durables.
Le Gouvernement poursuivra la politique de redressement
mise en œuvre à la fin de
1976.
Ses principes demeurent
valables
:
maintenir un franc fort et stable
;
maîtriser la progres-
sion de la masse monétaire, conformément à la norme fixée
pow
1978 ;
éviter la détérioration des finances publiques par
la maîtrise de la dépense publique et son redéploiement et
limiter le déficit budgétaire que nous acceptons pour soutenir
l'activité économique à un montant tel qu'il puisse être financé
par l'épargne, sans recours à la création de monnaie
;
enfin,
ralentir la progression des revenus tout en assurant le maintien
du pouvoir d'achat des Français.
C'est en appliquant avec continuité ces principes que nous
pourrons obtenir une réduction progressive de la hausse des prix.
Nous n'échapperons pas à des ajustements de prix provoqués
par l'augmentation nécessaire des tarifs publics, l'élimination
par étapes des montants compensatoires agricoles, la remise
en ordre de nos prix industriels, entreprise dès
1977
dans le
cadre des engagements de modération des prix. Ces ajustements
sont indispensables à l'assainissement de notre économie. Ils se
répercuteront, certes, sur l'indice des prix, mais l'apurement de
notre situation s'effectuera dans un contexte où les facteurs
profonds de l'inflation sont désormais contrôlés et il permettra,
à terme, une décélération sensible de nos prix.
Le rétablissement de ces grands équilibres permettra à l'éco-
nomie française de retrouver un rythme de développement satis-
faisant et régulier. Le Gouvernement recherchera la croissance
la plus élevée possible, compatible avec le retour à l'équilibre
de notre balance des paiements. Il le fera en soutenant la
consommation, en stimulant l'investissement, en favorisant l'essor
de nos exportations. Je confirme, dans cet esprit, le plafonne-
ment, à leurs taux actuels, en
1978 et
1979,
de l'impôt sur les
sociétés, de l'impôt sur le revenu, de la taxe
à
la valeur ajoutée
532
SENAT
SEANCE
DU
19
AVRIL
1978
et des cotisations sociales. La levée des incertitudes politiques
qui pesaient lourdement sur notre activité économique, nous
permet d'espérer, pour les mois à venir, un dégel des décisions
des agents économiques et une amélioration progressive de
notre situation.
Nous devons, en même temps, accorder une particulière impor-
tance au renforcement de notre appareil de production.
Notre potentiel de développement est important
;
nous devons
le mettre en valeur en refusant l'immobilisme et l'isolement.
Nous le ferons dans le cadre de notre planification, en procédant,
dès
1978,
à une révision du
VII" Plan.
Richesse traditionnelle de la France, l'agriculture est une
de nos chances pour l'avenir.
Une loi-cadre d'organisation et d'orientation de l'agriculture
sera immédiatement préparée, en concertation avec les organi-
sations professionnelles Elle aura pour objet d'améliorer la
compétitivité de notre agriculture, de développer nos industries
de transformation
et d'accroître nos exportations agro-alimen-
taires. Elle traitera notamment des problèmes fonciers, qui
constituent un handicap pour les jeunes agriculteurs.
Sur le plan européen, le Gouvernement est déterminé à mettre
fin aux distorsions de concurrence dont notre agriculture est
victime du fait des anomalies de prix, du mode de calcul et du
niveau des montants compensatoires monétaires. Il s'attachera,
avec la même détermination, à obtenir l'amélioration des règle-
ments concernant les productions méditerranéennes et à éviter
aux agriculteurs des régions concernées tout préjudice du fait
d'un nouvel élargissement du Marché
commun.
Pour ce qui concerne l'énergie, pénétrons-nous d'une idée
simple
:
la crise de l'énergie n'est pas derrière nous, elle est
devant nous. La France a déjà adopté une politique vigoureuse
de réduction de notre dépendance énergétique. Les économies
d'énergie seront accrues, l'exécution du programme
électro-
nucléaire sera poursuivie, les énergies nouvelles seront systé-
matiquement développées.
Il
s'agit d'un enjeu national vital.
La concurrence intérieure et internationale doit être désormais
la loi fondamentale de notre activité industrielle. Certes, il ne
s'agit pas de nous prêter à n'importe quelle forme de concur-
rence déréglée. La France a montré, l'an dernier, qu'elle pouvait
et savait s'opposer à de telles menaces. Notre attitude ne se
modifiera pas
:
oui à la concurrence
internationale,
non à ses
excès. Nous sommes prêts à accepter les règles qui définissent,
sur le
plah
international, une croissance ordonnée des échanges.
Pour en tirer profit, nous devons restructurer et développer notre
industrie.
Des branches industrielles importantes doivent retrouver des
structures concurrentielles pour assurer leur avenir.
Des entreprises en difficulté doivent saisir des chances nou-
velles en se réorganisant et en renouvelant, le cas échéant, leurs
dirigeants.
Les moyens considérables consacrés à maintenir en vie des
institutions industrielles sans avenir seront mieux utilisés à
stimuler l'essor d'activités nouvelles, compétitives, capables
d'offrir des emplois plus sûrs et plus durables. L'intérêt de nos
travailleurs et de nos régions n'est pas de prolonger à n'importe
quel prix le passé, mais de construire l'avenir.
L'industrie française trouvera force et dynamisme grâce A
des actions spécifiques d'adaptation et de développement indus-
triel et technologique, conduites dans le cadre des contrats de
croissance.
Elle bénéficiera surtout d'actions générales assurant le retour
progressif à la vérité
it
à la liberté des prix, le renforcement
des fonds propres des entreprises, la création d'entreprises nou-
velles, le recours systématique à l'innovation.
Le Gouvernement est décidé à rétablir progressivement et de
façon irréversible la liberté des prix industriels.
Le retour à la liberté des prix ne peut cependant signifier
l'acceptation de tous les laxismes. Le Gouvernement pratiquera
donc une politique vigilante en matière de crédit, de finances
publiques et de change
;
il développera sans relâche la concur-
rence intérieure et internationale
;
il réduira
simultanéfnent
les
aides de
l'Etat.
C'est dans cet esprit que le Gouvernement mettra à l'étude
un 'projet de loi tendant à substituer à l'ordonnance de
1945
sur
les prix une législation mieux adaptée à une économie moderne
et ouverte.
De même les entreprises nationales doivent fixer des tarifs
qui assurent leur équilibre financier, sous réserve des obligations
que
l'Etat
leur impose ou des charges sociales héritées du passé.
Mais, ici encore, la vérité des tarifs ne doit pas dispenser d'une
gestion rigoureuse.
Les chefs d'entreprises privées ou publiques ont pour respon-
sabilité permanente de maîtriser l'évolution de leurs coûts de
production. Ils doivent arrêter leurs programmes d'investisse-
ment en fonction de considérations économiques, plutôt que
d'ambitions purement techniques. Ils ne doivent pas considérer
que l'augmentation des prix et des tarifs est le moyen normal
de surmonter leurs difficultés, aux dépens des consommateurs
et de la valeur de la monnaie.
La politique que le Gouvernement entend mener à l'égard des
prix industriels et des tarifs publics ne procède pas de ce qu'on
appelle ici ou là un
«
libéralisme
dépassé
».
Elle
pnise
son inspi-
ration dans les exigences d'une économie moderne
,cle conenr-
rence,
dont le respect a permis à d'autres pays d'obtenir à la
fois une industrie puissante, une forte compétitivité dans les
échanges internationaux et un taux d'inflation inférieur au
nôtre.
Le retour à la liberté des prix industriels aura pour effet de
mettre un terme à l'endettement excessif des entreprises et de
restaurer l'autofinancement.
Il
contribuera ainsi à la reprise de
l'investissement. Mais, pour assurer le
-
financement d'investisse-
ments nouveaux, il est également indispensable d'accroître les
fonds propres des entreprises.
A cet effet, le Gouvernement proposera la création de deux
instruments nouveaux
:
l'action
de,préférence,
sans droit de vote,
bénéficiant du droit à dividende prioritaire, et le prêt subor-
donné du
FDES,
qui est une créance de dernier rang et qui
peut être considéré comme des fonds propres pour l'entreprise.
Afin d'orienter davantage l'épargne vers le financement
des
activités productives, le Gouvernement organisera une détaxa-
tion
-
de l'épargne investie en actions et
revisera
la hiérarchie
des taux d'intérêt en faveur de l'épargne à
lonk
terme.
Par ailleurs, le Gouvernement adoptera avant l'été un ensem-
ble de mesures destinées à stimuler la création d'entreprises
dans le secteur
.
productif. Il aidera en particulier les jeunes à
rassembler les moyens financiers leur permettant de s'installer
à leur compte.
Nous devons enfin exploiter notre potentiel scientifique et
technique en fonction des données nouvelles du monde. Il ne
s'agit pas de sacrifier les valeurs de la recherche fondamentale,
mais il est désormais indispensable qu'en France, les moyens
très importants que la collectivité accorde aux chercheurs
servent encore davantage les desseins de notre développement
économique, comme c'est le cas chez nos concurrents les plus
avancés.
Le Gouvernement continuera à accorder une attention parti-
culière aux entreprises petites et moyennes de l'industrie,
du
commerce et de l'artisanat. De ces entreprises dépend large-
ment la capacité d'adaptation de notre économie. Elles sont
SENAT —
SEANCE
DU
19
AVRIL
1978
533
appelées dans les prochaines années A jouer un rôle croissant
pour l'emploi et l'exportation.
L'Etat
cherchera à compenser
certains handicaps
auxqueLs
leur taille les voue trop souvent.
Il veillera à leur éviter l'application de mesures qui complique-
raient leur gestion et alourdiraient leurs coûts de production.
Le renforcement de notre appareil productif, d'une part, le
souci d'une meilleure utilisation de nos ressources, d'une répar-
tition équilibrée de l'emploi et d'une plus grande harmonie de
la vie sociale, d'autre part, doivent constituer au cours des
années à venir une source d'impulsion nouvelle pour la poli-
tique d'aménagement du territoire.
Cette politique a un volet industriel
:
le tissu économique
de nos régions doit être renforcé par des conversions compor-
tant les implantations industrielles et les équipements publics
appropriés.
Mais elle doit s'enrichir d'une action de rénovation de la
France rurale, qui maintienne ou assure le peuplement de cer-
taines régions et qui réponde aux aspirations des Français pour
une meilleure qualité de vie. En outre, le rôle des régions doit
s'accroître dans l'ordre économique, scientifique et culturel.
La décentralisation des institutions financières et des admi-
nistrations constituera un facteur essentiel d'animation de la
vie régionale.
La mer ouvre enfin à notre pays un champ nouveau d'acti-
vité.
La mise en oeuvre sur les côtes et jusqu'à
200
milles d'une
politique de protection et d'exploitation de nos ressources
côtières et maritimes sera assurée par la création d'une mission
interministérielle chargée de la coordination des actions en
mer des diverses administrations. Je ne voudrais pas oublier
quel'aminage•nent
du territoire concerne aussi nos départements
et territoires d'outre-mer. Les efforts déjà entrepris seront
poursuivis dans les départements d'outre-mer pour créer des
emplois et rapprocher le niveau de vie de leurs habitants de
celui de la métropole. Dans les territoires d'outre-mer, les res-
sources naturelles seront systématiquement développées.
Toutes les actions que je viens d'évoquer impliquent, mesdames,
messieurs les sénateurs, une profonde transformation des struc-
tures et des comportements. Elles sont indispensables si nous
voulons doter notre économie de la vigueur qui lui est néces-
saire, non seulement pour affronter la concurrence internatio-
nale, mais aussi pour mettre en œuvre une politique de progrès
et de solidarité au service de la justice sociale.
(Applaudisse-
ments sur les travées de l'U. C.
D.
P., du
R.
P.
R.
et
à
droite.)
La politique sociale que le Gouvernement entend conduire
s'inspirera d'une double volonté
:
pratiquer une large concer-
tation avec les organisations professionnelles et syndicales,
favo
-riser
les négociations sur certaines questions qui intéressent
_plus, directement les
partenaireL
sociaux et qui engagent leur
responsabilité.
J'ai regretté dans le
passé
qu'une concertation et des négo-
ciations plus étendues n'aient pas été possibles. Mais je ne
saurais oublier que certaines organisations syndicales ont
concouru à maintenir la politique contractuelle. Je me réjouis
aujourd'hui que les circonstances nouvelles laissent augurer
un dialogue social plus large.
Ce dialogue doit tenir compte des rôles respectifs et des
responsabilités différentes des partenaires sociaux et de
l'Etat.
Est-il, en outre, besoin de rappeler qu'une politique sociale
efficace ne consiste pas
à
distribuer plus que ce que l'on produit
et 'à
compromettre
lia
r
des générosités court terme un progrès
social véritable et durable
?
Le Gouvernement, pour sa part:développera sa politique sociale
selon quatre axes
:
une politique active de, l'emploi, une politique
de solidarité en faveur
.
des
titulaires de revenus modestes et des
familles, une politique contractuelle élargie entre
l'Etat,
les
organisations professionnelles et _les syndicats, enfin, un
renou-
veau de la participation.
Aujourd'hui plus que jamais, le niveau et la stabilité de
l'emploi dépendent de la capacité d'investir, d'entreprendre,
d'innover, et d'exporter. La politique économique du Gouverne-
ment a pour objet de renforcer ces capacités. Mais elle ne suffira
pas à résoudre les difficiles problèmes de l'emploi auquel
notre pays aura à faire face au cours de ces prochaines années,
pendant lesquelles la croissance économique restera plus modérée
que par le passé. Une politique active de l'emploi est donc
nécessaire pour créer des emplois, faciliter l'accès des jeunes
k
un métier, développer de nouvelles formes de travail.
M. André Méric.
On l'a déjà entendu
!
M. Alain Peyrefitte,
garde des sceaux.
L'emploi des jeunes
reste la priorité. L'éducation, puis la formation professionnelle
achevant ou prolongeant la scolarité, doivent y contribuer. Le
Gouvernement présentera très prochainement au Parlement un
projet de loi portant exonération de la moitié des charges
sociales pour les petites et moyennes entreprises et pour les
entreprises. artisanales qui embauchent des personnes supplé-
mentaires âgées de dix-huit à vingt-six
ans. Certaines mesures,
instituées l'an dernier au titre du pacte national pour l'emploi des
jeunes, seront reconduites.
Par ailleurs, les organisations professionnelles et syndicales
seront invitées dans chaque branche d'activité à élaborer des
programmes facilitant et développant le travail à temps partiel,
notamment pour les femmes désireuses de mieux concilier leur
activité professionnelle et leur vie familiale.
Ces mesures à effet immédiat ou rapide constitueront les
premiers jalons de la politique active de l'emploi que le Gouver-
nement veut mettre en œuvre. Les autres modalités en seront
définies après concertation avec les organisations intéressées.
En ce qui concerne les rémunérations, rien ne doit compro-
mettre l'effort de modération indispensable qui a été entrepris en
1977.
D'une manière générale, les rémunérations ne devront pas,
dans leur ensemble, croître plus vite que les prix
:
la réduction
de l'inflation et la compétitivité de notre économie dépendent du
respect de ce principe qui permet cependant d'assurer le
maintien du pouvoir d'achat. Mais, dans le même temps, une
politique de justice sociale implique que des actions différenciées
soient menées au profit des salariés les plus modestes et des
ouvriers. C'est ainsi que de nouveaux progrès pourront être
accomplis sur la voie de la réduction des inégalités. Toute autre
méthode conduirait à figer ces inégalités et, l'inflation renais-
sant, à pénaliser les plus faibles.
Les modalités de cette politique ne seront arrêtées qu'au terme
des consultations auxquelles le Gouvernement procède à l'heure
actuelle. Je peux cependant déjà indiquer que le Gouvernement
entend recommander, chaque fois que cela sera possible, le
recours à des négociations entre organisations professionnelles
et syndicales. La fixation de minima réels de rémunération par
branche, la revalorisation des salaires des travailleurs manuels,
l'ouverture de la carrière des ouvriers, une meilleure connais-
sance des salaires réellement perçus paraissent être les thèmes
les plus importants pour des négociations portant sur les condi-
tions de rémunération des travailleurs. De ce point de vue,
l'avenir industriel de notre pays restera médiocre tant que les
jeunes Français continueront
à
se détourner du travail en usine
et que la majorité de la population ouvrière éprouvera sa condi-
tion comme un faisceau de discriminations.
En attendant que les négociations portant sur ces divers
thèmes aient abouti, le Gouvernement fera en sorte que la pro-
gression du, Smic
soit plus rapide que celle de la moyenne
des salaires
:
le relèvement du pouvoir d'achat du
Smic
inter-
viendra le
1"
mai, le
1
er
juillet et le
1"
décembre
1978.
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