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SENAT — SEANCE DU 21 NOVEMBRE 1975
une reprise de l'activité, que nous connaîtrons, je l'espère, entraî-
nera fatalement des achats plus importants dans le domaine des
matières premières et de l'énergie.
La troisième possibilité de relance pourrait être l'accroisse-
ment de la demande d'investissements productifs. Là, je crois
réellement que les entreprises auront beaucoup de difficultés à
investir. Pourquoi ? Parce que, ayant déjà, en 1975, bénéficié de
l'aide fiscale à l'investissement, . elles auront parfois anticipé
sur leurs achats de 1976; parce que, souvent, ayant conservé
du personnel en excédent pour éviter une crise plus grande,
leurs trésoreries sont devenues exsangues.
Avant de réinvestir, elles veulent reconstituer leurs trésore-
ries. Pour l'instant, la capacité de production industrielle est,
me semble-t-il, supérieure à la demande et, dans ces conditions,
nous n'avons que peu d'espoir de voir augmenter les commandes
des biens d'investissement. Et j'ouvre une parenthèse, monsieur
le ministre, pour vous dire : il peut-être temps d'examiner
sérieusement la réévaluation des bilans des entreprises. Mais
d'autres orateurs, je le sais, vous en parleront.
Reste, monsieur le ministre, la dernière possibilité qui me
paraît la plus importante et la plus sérieuse, l'accroissement de
la demande publique. La loi de finances rectificative pour 1975
injecte dans le circuit un certain volume de crédits qui devait
— nous constatons déjà les prémices de cette relance — per-
mettre de renforcer la demande. Comme au collectif de septem-
bre succède une loi
de
finances — celle que nous examinons —
relativement bien pourvue en autorisations de programme ins-
crits et étant donné que nous partons d'un seuil relativement
faible — de moins 2,5 — les possibilités de réaliser l'an
prochain une croissance de 4.7 peuvent être estimées raisonna-
bles. Dans cette demande publique, nous pouvons regretter
même si pour certains, il s'agit d'une forme d'injection de pou-
voir d'achat que, dans le budget de 1976, les frais généraux, les
frais de fonctionnement augmentent trop rapidement. Certes,
nous comprenons bien la démarche politique du Gouvernement.
Cependant, les créations d'emploi ont été assez massives en
1975, et il est certain que si de nombreux services accusaient
des déficits en personnels, il faudra, pour l'avenir, équilibrer
ces ouvertures de postes avec les possibilités budgétaires.
Monsieur le ministre, un renfort pour la demande publique
aurait pu venir des collectivités locales qui, traditionnellement,
sont les maîtres d'oeuvre de la plupart des équipements collectifs.
Mais, s'agit-il d'une ironie du sort, monsieur le ministre, c'est
à un moment où vous avez fait le plus d'efforts en leur faveur
— et je tiens à vous en donner acte — avec la création du fonds
d'aide aux collectivités locales, le remboursement' de la T. V. A.
sur les équipements des régies, l'augmentation assez substan-
tielle du versement représentatif de la taxe sur les salaires,
que les collectivités locales n'ont jamais été en aussi mauvaise
position. En effet, leurs ressources n'étant pas évolutives,
ce
que vous leur avez donné est inférieur à ce que leur
a
coûté la dérive des prix parce que les frais généraux de nos
communes et de nos départements ne sont pas aussi faciles à
freiner qu'on pourrait le supposer.
Dans ces conditions, vous allez
sans
doute, au cours du débat,
entendre beaucoup parler des collectivités locales et je profite
de l'occasion pour rendre hommage à notre président du Sénat,
qui est également le président de l'association des maires de
France, et à notre excellent ami M. Descours Desacres qui en
est le vice-président, pour tout le zèle qu'ils ont déployé afin
de calmer l'impatience des élus locaux. Dans cette affaire, je
regrette que vous ne puissiez faire plus, mais je comprends
votre position, et c'est pourquoi j'ai voulu malgré tout rappeler
à nos collègues les mesures que vous avez prises au cours des
dix-huit mois qui viennent de s'écouler.
Après avoir examiné le volet « croissance » de vos objectifs,
je voudrais rapidement aborder le volet « prix ». Retenir un
taux de 7,5 p. 100 c'est ambitieux. Serez-vous en mesure d'y
parvenir ?
Je sais que vous avez prévu dans votre budget trois verrous.
Le premier est l'équilibre budgétaire qui est réputé infaillible
comme moyen de lutter contre l'inflation. Pourtant, je vous rap-
pelle qu'en 1974, bien que le budget ait éte réalisé avec un
excédent de six milliards de francs, nous avons connu cette
année-là la plus forte augmentation des prix de ces dernières
années, puisqu'elle était d'environ 14 p. 100.
Le deuxième verrou que vous aviez intoduit a été retiré pour
des raisons constitutionnelles ; c'était l'article 16 du projet qui
devait vous donner l'autorisation de moduler l'appel des cotisa-
tions fiscales des sociétés et des particuliers. Je crois que vous
nous représenterez cette mesure sous forme d'un projet de loi
et j'espère d'une façon plus acceptable pour le Parlement.
Mais, puisque vous voulez moduler les recettes, pourqugi n'avez-
vous pas voulu moduler
aussi
les dépenses au moyen d'un fonds
d'action conjoncturelle qui aurait été discuté par le Parlement
et qui aurait permis, en cas de besoin, de réaliser une relance
sans avoir à consulter de nouveau les assemblées ?
Le troisième verrou que vous tentez d'instaurer est le prélève-
ment conjoncturel. Vous savez, monsieur le ministre, que ce
prélèvement n'a jamais été accueilli avec une vive sympathie
dans cette maison. Je comprends votre souci et nous ne vou-
drions pas vous priver de moyens d'action. Mais êtes-vous sûr
que c'est le meilleur ? Il existait en 1975 et malgré cela, les
salaires -- puisque ce sont eux qui étaient visés en réalité —
ont augmenté, les prix ont dérapé. On est en droit de se
demander si l'application du prélèvement conjoncturel n'est
pas défavorable, à court terme ou à moyen terme, au déve-
loppement de nos entreprises.
Ces trois verrous Wempêcheront d'ailleurs pas l'inflation de
s'infiltrer, celle qui vient de l'extérieur au premier chef.
Les pays de l'O. P. E. P. ont décidé, il y a un mois, une légère
augmentation du prix de l'énergie. La courbe des prix des matières
premières qui s'était sensiblement infléchie jusqu'au mois de
juin dernier, marque à nouveau un redressement qui aura une
incidence défavorable sur la formation des prix. Par ailleurs, la
trop grande flexibilité des cours du dollar provoque, de manière
très nette, l'inflation.
A l'intérieur, parmi les facteurs de hausse du coût de la vie,
je voudrais citer le budget social qui s'accroît beaucoup et qui
est d'ailleurs assez mal contrôlé par le Parlement ; en effet, on
ne pense toujours qu'à trouver des recettes nouvelles, sans s'être
préalablement assuré de la rneill'eure affectation possible des
dépenses.
M. Edouard Bonnefous,
président de la commission.
Très bien !
M. René Monory,
rapporteur
général.
Au surplus, j'observe que
vous vous êtes éloigné de la vérité des prix des entreprises
publiques. Je ne peux vous suivre sur ce terrain. Je vais prendre
un exemple pour illustrer mon propos. Si nous ne changeons pas
le prix de la thermie, E. D. F.. aura, en 1976, 3 500 millions de
francs de déficit. Cette situation, si l'on veut continuer à défendre
notre indépendance énergétique, ne pourra pas toujours conti-
nuer. Donc, pour un certain nombre de produits de base, l'éner-
gie, les transports, vous serez à court ou à moyen terme, obligé
de reviser les prix. Ce sont encore des possibilités certaines d'in-
flation. Regrettons également le comportement --- on pourrait le
qualifier de traditionnel — lui aussi inflationniste, de certains
agents économiques qui anticipent la hausse. Je veux croire que
les mesures que vous pourrez appliquer en 1976 y remédieront.
Mais je reste convaincu, monsieur le ministre, que si vous voulez
vraiment lutter contre l'inflation, vous serez, à certains moments,
obligé de prendre des décisions beaucoup plus radicales, car, à
mes yeux, l'inflation demeure le fléau numéro 1 de notre
économie.
Après cette analyse quelque peu sévère concernant le court
terme, je vais tenter, monsieur le ministre, de faire une analyse
du budget à moyen terme, c'est-à-dire à « l'horizon 60 ».
Le premier regret que je formulerai, c'est que nous votions
cette loi de finances six mois avant d'avoir adopté le VII' Plan,
alors que le budget devrait procéder du Plan.- Or, celui-ci ne
semble pas du tout traduire les grandes orientations que nous
avons choisies lors des débats dans cette enceinte au printemps
dernier.
A
ce
sujet, je voudrais formuler quelque regret en constatant
que le Parlement n'ait pas été associé plus étroitement à la
préparation du Plan. Je sais bien que nous avons l'honneur de
voir l'un des nôtres siéger dans l'une des commissions du Plan.
Si nous n'y sommes pas représentés en quantité, nous le sommes
en qualité, puisqu'il s'agit de notre ami M. Pierre Brousse. Cepen-
dant, un seul sénateur, c'est vraiment très peu.
M. Edouard Bonnefous,
président de la commission.
Très bien !
M. René Monory,
rapporteur
général.
Un plus grand nombre
de parlementaires, et en particulier plus de sénateurs, avaient
participé à la préparation du Plan précédent. Le regret que
je vous exprime, monsieur le ministre, est, je crois, partagé
par l'ensemble de nos collègues de la commission des finances.
M. Edouard Bonnefous,
président de la commission.
Assuré-
ment !
M. René Monory,
rapporteur
général.
Les deux objectifs que
nous avions évoqués le plus largement au cours des discussions,
concernant le VII' Plan, dans cet hémicycle et au cours des