
1910
SENAT
—
SEANCE
DU
22
NOVEMBRE
1974
— 2 —
LOI DE FINANCES POUR
1975
Discussion d'un projet de loi.
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet
de loi de finances pour
1975,
adopté par l'Assemblée nationale.
[N"' 981 99, 100, 101, 102, 103
et
104 (1974-1975).1
Avant d'ouvrir la discussion générale, je rappelle que la
conférence des présidents, en application de l'article
50
du
règlement, a fixé
à
aujourd'hui, à dix-huit heures, le délai-limite
pour le dépôt des amendements aux articles de la première
partie du projet de loi de finances.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre
de l'économie et des finances.
M. Jean-Pierre Fourcade,
ministre de l'économie et des finances.
Monsieur le président, mesdames, messieurs, la présentation
d'un budget est toujours un moment important pour un ministre
de l'économie et des finances et cette importance est aujour-
d'hui accrue par le fait que la présentation de ce budget a lieu
dans un contexte économique et social dont le moins qu'on
puisse dire est qu'il est difficile.
Les mesures que M. le Président de la République et le
Gouvernement, avec votre appui, ont mises en œuvre il y a
maintenant six mois commencent à faire sentir leurs effets. Si
des signes de redressement, notamment en ce qui concerne notre
balance des paiements, se dessinent, les contraintes correspon-
dantes deviennent plus apparentes, aggravées du fait des per-
turbations que notre pays vient de connaître avec l'interruption
du trafic postal.
Avant d'en venir
à
une présentation détaillée de l'ensemble
de ce budget, je voudrais indiquer que le Gouvernement, et
plus
particulièrement
le ministre de l'économie et des finances,
sont très sensibles aux difficultés de tous ordres que rencontrent
aujourd'hui les chefs d'entreprise. Ces derniers doivent faire
face
à
une somme considérable de difficultés. Comme le ministre
de l'économie et des finances sait bien que ces entreprises sont
le moteur de la croissance économique et que c'est leur acti-
vité, leur valeur ajoutée, qui déterminent la marche de
notre
économie, il souhaite que les difficultés temporaires qu'elles
connaissent soient rapidement réglées afin que le retour pro-
gressif à l'équilibre se fasse dans un climat général plus sain.
(Applaudissements au centre et
à
droite, ainsi que sur quelques
travées du groupe de l'union centriste des démocrates de
progrès.)
M. le rapporteur général présentera, après moi, de manière
très précise et, je le pressens, très complète et très constructive,
l'ensemble du budget qui vous est aujourd'hui soumis. J'ai pensé,
pour que les deux exposes se raccordent bien, qu'il m'appar-
tenait de situer exactement ce budget dans le contexte écono-
mique qui, d'une part, le conditionne, et que, d'autre part, il
aura pour mission d'animer.
•
La situation que notre économie a connue avant les vacances
et qui
g
imposé un certain nombre de mesures auxquelles le
Sénat a bien voulu
se
rallier, était une situation fortement désé-
quilibrée, avec une pression excessive de la demande et une
forte inflation. A la fin du mois de novembre, même en faisant
abstraction des perturbations causées spécifiquement par les
difficultés sociales, cette situation n'est plus la même. Par
conséquent, pour atteindre dans les délais souhaités les objectifs
que nous nous sommes fixés il nous est nécessaire d'adapter et
parfois de modifier l'action que nous avons engagée.
Mon propos, monsieur le président, s'articulera autour de
trois points. Tout d'abord, j'analyserai rapidement devant vous
l'évolution de l'économie française, le but de l'examen étant
de savoir dans quelle mesure les hypothèses économiques que
nous avons prévues pour
1975
sont en passe de
se
réaliser. Dans
un deuxième temps, je définirai les caractéristiques du projet
de budget que je vous soumets et montrerai comment il contri-
buera à la réalisation de nos objectifs. Enfin, je vous dirai quelles
sont les mesures que le Gouvernement a déjà prises ou celles
qu'il envisage de prendre pour compléter l'action du budget
en
1975.
Voyons quelle est la situation économique. Au mois de juin,
vous le savez, j'ai annoncé publiquement nos objectifs et le
calendrier de leur réalisation. J'ai indiqué que l'économie fran-
çaise devait,
en
priorité, rétablir l'équilibre de ses comptes
extérieurs. Il ne s'agit pas "d'une exigence théorique du retour à
l'équilibre de la balance des paiements, l'expérience interna-
tionale montre très concrètement qu'il n'est pas possible de
financer durablement un déficit, par des prêts et par le recours
au marché financier international sans compromettre
l'indépen-
dance nationale et l'activité d'un pays. Autant on peut
envisager
une phase d'adaptation transitoire pour ne pas interrompre la
croissance, autant il serait déraisonnable d'envisager de déve-
lopper une économie dans un état permanent de déficit et
d'endettement. J'ai également indiqué que dix-huit mois nous
étaient nécessaires pour atteindre cet objectif, qu'A la fin de
l'année 1974
le déficit mensuel de notre commerce devrait être
d'environ 1 700
millions de francs pour passer
à
un milliard de
francs au milieu de l'année
1975,
l'équilibre étant atteint à la
fin de l'année
1975.
Quant aux prix, connaissant la sensibilité de tous les Français
au phénomène de l'inflation, j'ai précisé que, en partant d'un
rythme d'évolution des prix de l'ordre de
1,5
p.
100
par mois
au moment de la mise en œuvre du plan de redressement, notre
objectif était de descendre à environ
1
p.
100,
à la fin de l'année
1974,
pour revenir un rythme de l'ordre de
0,5
à
0,6
p.
100
par mois au milieu de l'année
1975,
rythme qui est, à l'heure
actuelle, celui des pays industriels qui ont le mieux
résisté
aux
perturbations provoquées dans le monde par la hausse brutale
des prix du pétrole et de certaines matières premières.
Cela étant dit, il me semble bon de commencer l'examen de
ce
budget en regardant très objectivement où nous en sommes.
Nous voyons, d'une part, que l'environnement international
reste menaçant mais que, d'autre part, les menaces qui pèsent
sur notre économie portent plutôt sur les prévisions de crois-
sance que sur les conditions du retour à l'équilibre.
D'abord, les matières premières que nous achetons, et notam-
ment les matières premières industrielles, ne sont plus pour
nous un facteur d'inflation, grâce à un double mouvement
:
une
baisse du cours de ces matières premières à partir du mois de
mai et une remontée du franc sur les marchés de change inter-
nationaux
—
remontée qui, je l'ai déjà dit au Sénat dans mes
discours précédents, fait que depuis quelques mois, nous avons
réévalué le franc de plus de
5
p.
100
par rapport au dollar qui
est une de nos principales monnaies de règlement.
Je citerai un chiffre
:
en septembre
1973,
l'ensemble des
matières premières industrielles importées
par
notre pays était
à l'indice
198
pour une base
100
au début de
1972.
Cet indice
était passé à
240
en mai
1974.
Il est, depuis lors, retombé et
nous étions, en septembre, à
193,
soit un indice légèrement infé-
rieur à celui de septembre
1973.
Deuxième élément, plus incertain
:
le problème du prix
du
pétrole.
Vous savez qu'en cours d'année
1974
un certain nombre de
hausses sont intervenues, dont ce qu'il est convenu d'appeler la
hausse de Vienne est le dernier élément. Leurs effets sur l'éco-
nomie française se feront sentir dans nos
approvisionnements
du mois de novembre durant lequel le prix moyen d'importation
C. A. F. de l'ensemble du pétrole importé par la France se
situera aux environs de
420
à
425
francs la tonne.
Nous pensons que pour l'année
1975,
grâc
é
à l'initiative de
convocation d'une conférence prise par le Président de la
République et aux discussions très précises et très nombreuses
que plusieurs membres du Gouvernement français ont, à l'heure
actuelle, avec l'ensemble des pays producteurs, on s'orientera
plutôt vers une stabilisation ou une très faible augmentation
des prix que vers une augmentation sensible.
Il ne serait pas raisonnable d'attendre une baisse des prix
du pétrole, mais l'idée d'une relative stabilisation, voire d'une
légère baisse de l'ordre de quelques pour cent est à l'heure
actuelle l'hypothèse la plus vraisemblable.
Malgré une coopération active avec nos partenaires et le fait
qu'aussi bien sur le plan du fonds monétaire international que
sur celui de la Communauté européenne la France a toujours
soutenu ou mis en œuvre ou accéléré la réalisation de facteurs
de
recyclage
et de facteurs d'assistance technique
—
ce que
nous avons fait lundi dernier, à Bruxelles, en faveur de l'Italie
en consentant une amputation de nos réserves de change pour
donner à ce pays un soutien monétaire à moyen terme en est
la preuve
— le commerce mondial périclite et le risque général
d'une récession mondiale ne peut pas être écarté. En effet,
les difficultés philosophiques et techniques- de la réforme
du
système monétaire international, les conflits d'intérêts, l'impos-
sibilité de mettre d'accord un certain nombre de partenaires
sur des problèmes aussi simples que la banalisation de l'or, la
valeur du nouvel étalon monétaire international ou les relations
entre les pays en voie de développement et les pays
indusiriels
font que le risque d'une crise générale des paiements n'est pas
écarté.
Le seul élément qui nous paraît plus favorable, c'est
qu'alors
qu'en
,1974
un certain nombre
de
grandes économies, comme
l'économie japonaise ou l'économie américaine, ont connu
un
taux de croissance nul ou
même négatif
— pour
1975,
on peut