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SENAT
—
SEANCE
DU 22
JANVIER
1974
M. Jean Taittinger,
garde des sceaux. 1 II
y a deux raisons
de
ne pas le faire.
(Murmures et mouvements de surprise sur
les travées socialistes et communistes.)
D'abord, c'est A l'opposition A prendre ses responsabilités...
(Exclamations sur les mêmes travées ainsi que sur plusieurs
travées
à
gauche)
en démontrant, si elle le croit utile, qu'elle
est toujours contre tout, quel que soit le sujet. Ensuite, parce
qu'il ne serait conforme, ni A la Constitution que nous enten-
dons, nous, appliquer exactement, ni A la situation qui motive
cette session que nous engagions la responsabilité du Gouver-
nement.
•
C'est pourquoi, je voudrais pour conclure appeler l'attention
de chaque parlementaire sur la nécessité, au-delà des options
personnelles, d'affirmer sa volonté d'aider
à
la réussite d'une
politique qui n'est pas seulement celle d'un gouvernement et
de la majorité qui lui fait confiance, mais de la France tout
entière.
»
Nombreux sénateurs communistes et socialistes.
Non, non, non
!
M. Jean Taittinger,
garde des sceaux.
4
La critique est le
droit de
rIrcun
mais h
c-ifique
doit être responsable. Et la
responsabilité première
des élus de la Nation, c'est, aujourd'hui,
de faire en
box
.
Le
qu'en
rrance
comme A l'étranger,
ii
son
no
r
ii
mip
notre pays se mobilise sur une affaire essen-
tielle
pour l'intérêt national.
•
Je
but, convaincu que le Parlement saura, en ces circons-
tances, manifester qu'il veut œuvrer en ce sens et qu'il y consa-
crera toute sa détermination.
»
(Applaudissements sur les travées
de l'U.D.R. et sur de nombreuses travées
à
droite.)
M. le président.
La parole est A M. le ministre chargé des
réformes administratives. (M.
Peyrefitte monte
et
la tribune,
salué par les applaudissements des sénateurs du groupe de
l'U.
D.
R.)
M.
Alain Peyrefitte,
ministre chargé des réformes administra-
tives.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs,
je vais avoir l'honneur de vous donner lecture du discours que,
simultanément, M. le ministre de l'économie et des finances est
en train de lire devant l'Assemblée nationale.
M. Louis Talamoni.
Pourquoi ne vient-il pas ici
?
M. le président.
Vous n'avez pas la parole, monsieur
Talamoni.
M.
Alain Peyrefitte,
ministre chargé des réformes adminis-
tratives. «
il ne s'agit pas des jeux de la politique.
Il
s'agit
d'autre chose.
«
Une situation économique nouvelle s'est créée dans le monde.
Elle pose A chaque pays des problèmes difficiles. Elle en, pose
la France. Pour exercer vos responsabilités légitimes d'élus, mais
aussi pour apporter votre concours A une action, qui veut être
une
action commune au service de la France et des Français, il
est nécessaire que vous sachiez comment nous entendons faire
face A
ces
problèmes.
«
Le monde est différent, plus déséquilibré aujourd'hui
qu'hier,
plus dangereux, plus incertain.
«
Dans
ce
monde incertain, nos objectifs fondamentaux restent
les mêmes
:
la puissance pour la France et la justice pour les
Français
;
l'organisation de l'Europe vers son unité
;
la coopéra-
tion pacifique des peuples.
Pour atteindre nos objectifs, nous devons appliquer deux
règles
:
savoir agir et décider vite
;
donner la priorité A la
considération des faits sur celle des doctrines.
4
Dans l'ensemble des mesures que le Gouvernement a été
conduit A prendre, dans celles qu'il continuera de prendre, nous
visons A la fois la précaution et l'action. Je vous les décrirai
successivement.
«
D'abord, la précaution. Elle consiste dans la décision prise le
19
janvier de suspendre pendant six mois l'obligation, pour la
Banque de France, d'intervenir sur le marché des changes.
«
Quelle était la situation antérieure au
19
janvier
?
4
Depuis l'effondrement du système de Bretton-Woods, la
plupart des grandes monnaies sont entrées dans ce qu'on appelle
le flottement. C'est le cas, notamment, du dollar des Etats-Unis,
de
la livre, du franc suisse, du yen, du dollar canadien, de la
lire, pour ne citer que ces monnaies-là.
4
Cela veut dire que les banques centrales des Etats-Unis, de
Grande-Bretagne, de Suisse, du Japon se sont déliées, A des
dates diverses, de l'obligation d'intervenir sur les marchés des
changes pour maintenir une parité fixe entre leur monnaie et
les autres, dont le franc français. Par suite, la Banque de France
était elle-même déliée de toute obligation d'intervenir pour
maintenir la parité du franc A l'égard de ces monnaies.
4
Ainsi, avant le
19
janvier, la parité du franc avec ces grandes
monnaies n'était plus obligatoirement défendue ni par les insti-
tuts d'émission de ces monnaies, ni par le nôtre. Chacun a
constaté les mouvements de grande amplitude et de sens variable
qui se sont produits en
1973
entre, par exemple, le franc et le
dollar, puisque nous avons connu, en juillet
1973,
un dollar
3,88
francs et, en janvier
1974,
un dollar A
4,99
francs. A cet
égard, la décision du
19
janvier n'apporte aucun changement.
«
En revanche, le franc était lié jusqu'au
19
janvier A certaines
monnaies européennes, dont le deutschemark, A l'intérieur de
ce que les initiés appellent le
4
serpent
».
M. Jacques Duclos.
Le serpent de mer
!
(Sourires.)
M.
Alain Peyrefitte,
ministre chargé des réformes adminis-
tratives. «
Les banques centrales de ces pays, et principalement
l'institut d'émission allemand et la Banque de France, s'obli-
geaient A intervenir pour maintenir entre leurs monnaies un
écart maximum de
2,25
p. 100.
«
Ainsi, dés
1973,
les rapports de parité fixe
avaient
cessé
d'exister entre toutes les grandes monnaies du monde, sauf
entre le franc, le mark et quelques monnaies européennes qui
flottaient ensemble par rapport A toutes les autres.
«
il
en
résultait que si, pour une raison quelconque, le marché
jouait le mark contre le dollar, sans que le franc soit directe-
ment concerné, la Banque de France devait céder des devises
pour permettre au franc de suivre le mark dans sa remontée.
«
C'est A cette obligation, et A elle seulement, que la décision
du
19
janvier a mis fin, pour une durée de six mois.
K
Pour quels motifs
?
«En considérant deux raisons déterminantes et malgré un
inconvénient dont je ne dissimulerai pas la gravité.
«
La première raison est que la réforme du système moné-
taire international n'aura pas lieu en juillet
1974,
comme on pou-
vait l'imaginer A l'automne dernier, ni même dans un avenir
prévisible.
•
La réunion des ministres
des finances des Vingt, qui s'est
tenue
à
Rome les
17
et
18
janvier, en a apporté la certitude.
Que nous le voulions ou non, toutes les grandes monnaies
que
j'ai
énumérées, et notamment le dollar des Etats-Unis, continueront A
flotter.
«
Dans la mesure où nous espérions que l'effort entrepris
pour maintenir des parités fixes entre certaines monnaies euro-
péennes serait relayé par la réforme du système monétaire inter-
national, cet espoir doit être abandonné.
«
Le Gouvernement français le regrette. Il reste convaincu
qu'un ordre monétaire international satisfaisant ne peut être
fondé que sur la fixité des parités et la convertibilité des princi-
pales monnaies. Dans les enceintes appropriées, il continuera
A œuvrer en ce
sens.
Mais, aujourd'hui, il faut constater le fait.
«
La seconde raison est directement liée A la modification
récente des relations économiques dans le monde.
«
Le
quadruplement
en trois mois du prix de revient du
pétrole brut a bouleversé de fond en comble les termes de
l'échange entre pays producteurs et consommateurs et leurs
perspectives de balances des paiements. Le déficit prévisible des
balances des paiements des pays consommateurs est désormais
de l'ordre de
60
milliards de dollars en
1974.
«
Les masses monétaires susceptibles de se porter très rapide-
ment sur une monnaie vont atteindre des montants sans précé-
dent. La situation relative des monnaies est susceptible de varier
A nouveau au cours de la période
à
venir.
«Rester dans le
«
serpent
»
était donc prendre le risque
d'avoir, un jour ou l'autre, peut-être en vain, A nous séparer de
nos réserves simplement pour fournir des devises A une demande
alimentée par la spéculation
:
spéculation contre le franc ou spé-
culation en faveur de l'une des monnaies auxquelles le franc
était lié. Cette cruelle mésaventure est arrivée
à
d'autres.
«
Nous-mêmes avons perdu, il y a trois mois,
2
milliards de
dollars parce qu'une spéculation s'était portée sur le mark et
sur le florin, sans qu'elle concerne même le franc. Après quoi,
nous avons regagné
350
millions
à
la faveur d'un mouvement de
sens inverse. Dans la nouvelle situation créée par les déséquilibres
des balances des paiements, de tels risques pouvaient surgir A tout
instant.
«
On me dira sûrement tout
à
l'heure
: «
Vous avez changé de
politique
;
vous avez préconisé l'institution du
«
serpent
» ;
main-
tenant, vous rejoignez le camp des
« flexibilistes » ;
votre action
est inconséquente
».
«
Les événements ont changé.
(Sourires sur les travées socia-
listes et communistes.)
Le souci de l'intérêt national ne consiste
pas, devant les changements du monde, A se crisper sur des
mécanismes, mais A faire face A l'événement. Je ferai, A cet
égard, deux constatations.