DOSSIER THÉMATIQUE Réunion de concertation pluridisciplinaire à travers des cas cliniques Le suivi après cancer du sein Follow-up care for breast cancer patients L. Zelek* U ne patiente de 48 ans est reçue en première consultation de surveillance, elle a fini il y a 6 mois sa chimiothérapie adjuvante (3 FEC suivis de 3 docétaxel) pour une tumeur du sein de 28 mm grade 3, Ki67 40 %, RE– et RP–, HER2–, 2N+/8 au curage. Elle se plaint d’une aménorrhée chimio-induite, mal tolérée, avec notamment des bouffées vasomotrices sévères, qui semblent cependant s’améliorer depuis peu, et une prise de poids de 8 kg (elle pesait initialement 65 kg et pèse désormais 73 kg pour 1 m 68). Elle n’a par ailleurs pas de pathologie sévère en dehors d’une hypertension artérielle (HTA) bien contrôlée par le traitement, et le bilan récemment pratiqué par son médecin traitant retrouve seulement une hypertriglycéridémie à 1,8 mmol/l et un taux de vitamine D à 8 pg/l. D’un point de vue carcinologique, doit-on envisager une surveillance particulière pour cette patiente ? * Service d'oncologie médicale, hôpital Avicenne, Bobigny. Il s’agit d’une forme de cancer du sein qui présente de multiples facteurs de gravité : prolifération élevée (Ki67 > 20 %) type triple-négatif, avec atteinte ganglionnaire. Nous n’avons cependant pas de démonstration formelle du bénéfice d’une surveillance rapprochée dans ce cas précis et il faudrait en toute rigueur s’en tenir au consensus de la Haute Autorité de santé (1) qui date de quelques années. Bien entendu, cela n’est pas sans soulever quelques interrogations : l’expérience clinique montre que les rechutes dans ce type de cancer du sein sont souvent agressives. Dans ce cas précis, un retard diagnostique pourrait conduire à une perte de chances (ce qui n’a toutefois jamais été démontré dans la population générale des cancers du sein). Par ailleurs, le risque de récidive devient très faible au-delà de la 3e année (2). Certains cliniciens préconisent donc, sur des bases empiriques, une surveillance intensifiée (dont les modalités précises restent à définir…) au cours des 3 premières années. Quel traitement proposer pour les bouffées vasomotrices ? L’évolution est habituellement spontanément favorable, mais cette amélioration peut prendre plus de 1 an. Il existe plusieurs possibilités thérapeutiques : venfalaxaine, gabapentine… (3). Dans le cas de cette patiente, qui ne reçoit pas de tamoxifène, l’induction du CYP2D6 ne doit pas poser de problème. Certaines patientes sont réticentes vis-à-vis d’un traitement médicamenteux et s’orientent vers les médecines complémentaires, notamment l’acupuncture. En ce qui concerne les compléments alimentaires, il faut demeurer prudent vis-à-vis des phytoestrogènes, qui sont des perturbateurs endocriniens dont l’effet après cancer du sein est mal connu. Cette prise de poids préoccupe la patiente, peut-on la rassurer ? Il faut au contraire demeurer vigilant. Il n’est pour l’instant pas certain que la prise de poids après cancer du sein soit un facteur de récidive, bien que l’obésité semble être un facteur de mauvais pronostic (4). Cependant, il vient d’être récemment montré que les femmes qui ont, comme cette patiente, une 18 | La Lettre du Sénologue • n° 52 - avril-mai-juin 2011 Séno 52 juin2011 -ok.indd 18 21/06/11 10:07 Points forts Mots-clés »» La prise de poids après cancer du sein concerne près de 1 femme sur 2. »» La surmortalité s’observe surtout en cas de prise de poids supérieure à 10 % du poids initial. »» Les compléments alimentaires sont déconseillés, notamment les antioxydants. »» Les carences en vitamine D doivent être dépistées et corrigées. »» La pratique d’une activité physique adaptée doit être encouragée. Prise de poids Compléments alimentaires Vitamine D Activité physique prise de poids supérieure à 10 % du poids initial ont, toutes causes confondues, une surmortalité nettement importante (5), ce qui justifie une prise en charge adaptée. On notera que l’origine de la prise de poids n’est pas univoque mais que la chimiothérapie semble jouer un rôle important (4). Néanmoins, il n’existe pas de facteurs de risque clairs pour les prises de poids importantes. Faut-il envisager dans ce cas spécifique la prescription de metformine ? La metformine fait l’objet d’un intérêt croissant dans le cancer du sein : il y a notamment des taux de réponse complète histologique, après une première chimiothérapie plus importants chez les patientes sous metformine (6). Cette dernière semble avoir un effet antitumoral dans les tumeurs triple-négatives. Toutefois, le niveau de preuve demeure faible et il faut attendre le résultat des essais randomisés adjuvants en cours. Cette patiente possède 2 des critères du syndrome métabolique (hypertriglycéridémie et HTA) mais la metformine n’est pas recommandée dans cette indication dont la prise en charge repose sur la réduction pondérale et la pratique de l’activité physique. On soulignera que le bénéfice de l’activité physique en termes de réduction de risque de rechutes repose sur un niveau de preuve plus élevé que celui de la metformine (4). Que penser du taux sérique de vitamine D ? Avec un taux compris entre 10 et 30 pg/l, cette patiente présente une insuffisance en vitamine D (la carence correspondant à un taux inférieur à 10). Il faut souligner que la majorité de la population européenne souffre de carence ou d’insuffisance en vitamine D à des degrés divers, car nos apports alimentaires sont très insuffisants. Le rapport bénéfice/risque de l’exposition solaire est par ailleurs défavorable, car celle-ci augmente le risque de cancers cutanés et est donc déconseillée. La question de l’effet des carences en vitamine D sur le risque de rechute des cancers du sein a été abordée par une seule étude, qui retrouve une mortalité spécifique significativement augmentée (7), ce qui, cependant, ne démontre pas de lien de causalité. Les études en prévention primaire sont, quant à elles, contradictoires (8). En tout état de cause, le bénéfice non cancérologique (c’est-à-dire la réduction du risque d’ostéoporose) justifie largement la supplémentation, que le bénéfice carcinologique soit réel ou non (8). Il faut prescrire des doses de vitamine D de l’ordre de 50 000 UI par semaine sur des périodes de 1 à 3 mois selon le taux initial, la supplémentation quotidienne aux doses habituelles de 400 à 800 UI ne permettant la correction des taux sériques que chez 15 % des patientes après 12 mois de traitement (6). ■ Abonnez-vous en ligne ! www.edimark.fr Bulletin d’abonnement disponible page 35 Keywords Weight gain Dietary supplements Vitamine D Physical activity Références bibliographiques 1. Guide ALD (affection longue durée). Cancer du sein. HAS, INCa, janvier 2010:30. Ce document est téléchargeable sur : www.has-sante.fr et sur www.e-cancer.fr 2. Esserman LJ, Moore DH, Tsing PJ et al. Biologic markers determine both the risk and timing of recurrence in breast cancer. Breast Cancer Res Treat 2011 20 mai. 3. Plantade A. Bouffées de chaleur. In: Aider à vivre après un cancer. L. Zelek, N. Zernik. Springer 2010: 51-69. 4. Zelek L, Bouillet T, Latino-Martel P et al. Mode de vie et cancer du sein : quels conseils pour la prise en charge de l’après-cancer ? Oncologie 2010;12:289-97. 5. AACR Press Release. Extreme weight gain raises risk for recurrence among breast cancer survivors. http://www.aacr.org/home/ public--media/aacr-press-releases. aspx?d=2325 6. Jiralerspong S, Palla SL, Giordano SH et al. Metformin and pathologic complete response to neoadjuvant chemotherapy in diabetic patients with breast cancer. J Clin Oncol 2009;10:3297-302. 7. Goodwin PJ, Ennis M, Pritchard KI et al. Prognostic effects of 25-hydroxyvitamin D levels in early breast cancer. J Clin Oncol 2009;10: 3757-63. 8. Rosen CJ. Clinical practice. Vitamin D insufficiency. N Engl J Med 2011;364:248-54. La Lettre du Sénologue • n° 52 - avril-mai-juin 2011 | Séno 52 juin2011 -ok.indd 19 19 21/06/11 10:07