corps etranger intra-oculaire au cours des accidents du travail. a

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CORPS ETRANGER INTRA-OCULAIRE
AU COURS DES ACCIDENTS DU TRAVAIL
A PROPOS DE 19 OBSERVATIONS
Z. BEN ZINA, I. DHOUIB, A. ABID, H. BEN AYED, M. LAZHARI, W. KHARRAT, M. CHAABOUNI
RESUME
Les accidents de travail occupent une place importante
dans les urgences ophtalmologiques. La présence de
c o rps étra n ger intra o c u l a i re est un facteur qui va
potentialiser les complications et assombrir le pronostic
fonctionnel.
Les auteurs rapportent dans ce travail 19 observations
de traumatisme oculaire, avec corps étranger intraoculaire, survenus au cours des accidents de travail et
ayant nécessité l’hospitalisation. Ces accidents sont
l’apanage du sujet jeune, essentiellement de sexe masculin, très souvent exerçant dans le secteur industriel.
Dans la plupart des cas, les corps étrangers sont métalliques (79 %). L’apport de l’exploration radiologique est
capital pour le diagnostic positif et la conduite thérapeutique. Le traitement est chirurgical consistant à l’extraction du corps étranger et le parage des lésions associées. Le pronostic des accidents dépend d’une part de
la qualité et de la précocité du traitement et d’autre
part de la gravité des complications. D’où l’intérêt de la
prévention sur les lieux du travail.
and the surgical procedures. The surgery was based in
removal of intraocular foreign bodies and treatment of
perforating ocular injuries.
Fo l l owing this study, precocious surge ry seems to
contribute more to have best prognosis. Ocular protection may reduce the incidence of these accidents frequency.
Key words : work occident, ocular traumatism, intraocular foreign body.
I - INTRODUCTION
SUMMARY
Les traumatismes oculaires constituent la première cause
de perte de vision chez le sujet de moins de 40 ans. Les
accidents oculaires du travail sont préoccupants du fait de
leur fréquence et de leur gravité potentielle surtout en présence d’un corps étranger intraoculaire chez des sujets jeunes en plaine activité professionnelle. Les particularités
diagnostiques et thérapeutiques des traumatismes oculaires
du travail avec présence de corps étranger intraoculaire
(CEIO) dépendent de plusieurs facteurs dominés, de loin,
par la diversité de la nature et du siège du corps étranger.
Nous voulons à travers ce travail démontrer la fréquence et
la gravité des traumatismes oculaires avec des CEIO en
milieu professionnel et attirer l’attention sur la nécessité de
moyens de prévention.
Intraocular foreign body at work. About 19 observations
II - PATIENTS ET METHODES
Accidents at wo rk have on important place among
ocular emergency. Intra-ocular foreign bodies, occurring during ocular traumatism, seem to contribute to
complications and poor visual prognosis.
We studied 19 observations of ocular traumatism with
intraocular foreign bodies’ occurring at work accidents.
Most of them were industrial accidents. Most patients
a re young and male. In the majority of cases, the
foreign bodies were metallic (79 %). Radiological exploration gives important data regarding positive diagnosis
Il s’agit d’une étude rétrospective portant sur 19 cas de
traumatisme oculaire avec pénétration de corps étranger
intraoculaire, ayant survenus en milieu de travail entre le
1er janvier 1995 et le 31 décembre 1997 et ayant nécessité
l’hospitalisation. Ces observations étaient recensées parmi
170 dossiers de traumatisme oculaire.
Nous avons procédé à l’étude des dossiers d’hospitalisation
et des comptes rendus opératoires pour le recueil des données. Nous avons noté : le type de l’accident, les lésions
Mot clés : traumatisme oculaire, accidents de travail,
plaies perforantes, corps étranger intraoculaire.
Service d’Ophtalmologie, CHU Habib Bourguiba, Sfax, 3029 -TUNISIE.
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Z. BEN ZINA, I. DHOUIB, A. ABID, H. BEN AYED,
M. LAZHARI, W. KHARRAT, M. CHAABOUNI
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o c u l a i res, les cara c t é ristiques du corps étra n ger (port e
d’entrée, nature, siège). Nous avons précisé notre conduite
thérapeutique et avons évalué le pronostic fonctionnel et
anatomique.
III - RESULTATS
A - Caractéristiques de l’accidenté
1 - Age et sexe
- 19 patients : 18 hommes (94 %) et une femme (6 %),
- l ’ â ge va riait de 10 à 52 ans avec une moyenne de
27,94 ans.
2 - Profession
- au sein d’une entreprise
- mécanicien
7 cas
- soudeur
4 cas
- couturière
1 cas
3 - Localisation du corps étranger
Le corps étranger était localisé dans le segment antérieur
dans 11 cas et au pôle postérieur dans 8 cas. Ainsi, nous
avons observé une :
* localisation rétinienne
8 cas
* localisation intra-camérulaire
5 cas
* localisation iridienne
3 cas
* localisation intra-cristallinienne 3 cas
C - Lésions associées
Les lésions associées étaient dominées de loin par les cataractes post-traumatiques suivies de près par les décollements de la rétine et les lésions iridiennes (tableau n°1).
Tableau 1 : Les lésions oculaires associées
Lésions oculaires
Nb
%
Cataracte
8
42
- ouvrier de bâtiment
4 cas
Lésions iriennes (pertuis,
désinsertion)
3
16
- secteur privé :
- chauffeur
- électricien
- menuisier
1 cas
1 cas
1 cas
Hyphéma
1
5
Hypopion
2
11
Hémorragie intra-vitréenne
1
5
Décollement de rétine
3
16
3 - Oeil atteint
L’atteinte était toujours unilatérale ; sans prédominance
d’un œil par rapport à un autre.
B - Caractéristiques de l’accident
1 - Nature du corps étranger
Les agents métalliques étaient les plus fréquemment rencontrés (79 %). Il s’agit de :
- petit corps métallique
11 cas
- bout d’aiguille
1 cas
D’autres corps étrangers de natures diverses étaient observés. Il s’agissait d’une :
- écharde de bois
1 cas
- corps étrangers telluriques
3 cas
2 - Porte d’entrée
- cornéenne
- sclérale
- cornéo-sclérale
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15 cas
2 cas
2 cas
D - Délai de consultation
Les patients avaient consulté soit en urgence dans les quelques heures qui suivaient l’accident, soit tardivement (accident passé inaperçu). En effet, une patiente avait consulté
après un an du tra u m atisme au stade de complicat i o n
(hypertonie secondaire). Le délai moyen de consultation
était de 3 jours (tableau 2).
Tableau 2 : Délai de consultation
Temps
Nb
%
< 24 heures
8
42
24 à 48 heures
6
32
3 à 10 jours
4
21
1 an
1
5
CORPS ETRANGER…
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E - Exploration radiologique
F- Traitement
Une radiographie standard des orbites face et profil était
demandée systématiquement devant tout traumatisme oculaire perforant avec ou sans notion de corps étranger intraoculaire. Cet examen, avait permis de détecter les corps
étrangers radio-opaques dans 15 cas (Photo 1).
Tous les patients avaient bénéficié dès leur admission d’une
chimioprophylaxie locale et générale (antibiotiques et corticoïdes). La prévention antitétanique était systématique.
Une intervention chirurgicale a été pratiquée en urgence
dans 17 cas (89 %). Elle consistait à un parage et suture de
la plaie associée à une tentat ive d’ex t raction du corp s
étranger. Celle-ci a été réalisée à l’électroaimant dans les
cas où le corps étranger était métallique. Ce dernier n’était
retiré que dans 10 cas (67 %). Certains gestes chirurgicaux
étaient réalisés de façon différée clans un délai moyen de
22 jours à savoir : une vitrectomie et tentative d’extraction
à la pince des corps étra n ge rs non aimantables : 5 cas.
Nous avons réussi à en extraire deux.
Une extraction extra-capsulaire de cataracte traumatique
était réalisée dans 8 cas. Celle-ci a permis l’ablation simultanée du corps étranger qui s’y trouvait incrusté (3 cas).
Photo 1 : Radiographie orbitaire de face.
Présence de corps étranger radio-opaque.
A droite : cliché de profil ; à gauche : cliché de face
G - Protection oculaire
Dix patients étaient équipés de moyens de pro t e c t i o n
oculaire appropriés. Cependant, personne ne les utilisait au
moment de l’accident.
Une échographie oculaire a été réalisée dans deux cas présentant des troubles des milieux (hyphema et HIV) et a
permis de montrer à côté du corps étranger, le décollement
de rétine. Un scanner orbitaire pratiqué uniquement dans 5
cas a permis de localiser les corps étrangers par rapport
aux parois du globe (Photo 2).
Photo 2 : Scanner orbitaire. Œil gauche :
présence de corps étranger au niveau du cristallin
H - Acuité visuelle
A l’arrivée, l’acuité visuelle était :
- supérieure ou égale à 5/10
- égale à 1/10
- variait de la perception lumineuse
au comptage des doigts
4 cas
1 cas
14 cas
Au dernier contrôle, après traitement, l’acuité visuelle était :
- supérieure ou égale à 5/10
5 cas
- égale à 2/10
1 cas
- variait de la perception lumineuse
au comptage des doigts
13 cas
IV - DISCUSSION
Les accidents oculaires du travail présentaient 70 % clés
traumatismes oculaires entre 1909 et 1919 (1) . Malgré la
diminution de leur fréquence au fil du temps, grâce à l’utilisation de plus en plus fréquente des moyens de protection
oculaire, ces accidents oculaires de travail occupent encore
une place importante dans les urgences ophtalmologiques.
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Selon une revue de la littérature, leur fréquence varie de 53
à 56 % (2,3).Ces accidents sont graves surtout s’ils s’accompagnent de pénétration de corps étranger intraoculaire
(CEIO), entraînant des dégâts oculaires importants. Ce type
d’accidents oculaires touche essentiellement le sujet jeune,
de sexe masculin, en pleine activité. Ces accidents sont
graves car ils coïncident avec l’âge où l’activité professionnelle est la plus intense, entraînant par conséquent des
préjudices fonctionnels et esthétiques d’une part et des
répercussions économiques d’autre part. Certains métiers
sont plus exposants que d’autres. Le secteur industriel semble le plus grand pourvoyeur de ces accidents. En effet,
selon l’étude de LOPEZ (3), le secteur industriel est responsable de 29,3 % de ces accidents. La principale circonstance demeure l’accident de type marteau-burin pour
plus de 50 % des cas (2). En général, les corps étrangers de
nature métallique sont ceux les plus fréquemment rencontrés (4). Dans notre étude, nous avons noté la présence de
corps étrangers de nature métallique dans 79 % des cas.
Pour certains auteurs (3, 4), l’œil gauche est le plus touché.
Pour GAIN (2), l’atteinte de l’œil droit est prédominante.
La prédominance de l’atteinte de l’œil gauche est expliquée
par la protection instinctive de l’œil droit par la main droite
du travailleur le plus souvent droitier.
Selon KHALIL (4), la porte d’entrée est cornéenne dans
44 % des cas, limbique dans 19 % des cas et sclérale dans
37 % des cas. Selon RUNYAN (in 5), la porte d’entrée est
cornéenne dans 70 %, sclérale dans 20 % et limbique dans
10 %. Il semble que les lésions cornéennes soient plus fréquentes dans le secteur métallurgique.
Le CEIO siège le plus souvent au niveau du segment antéri e u r. En effet, KHALIL (4) a noté que le CEIO était
localisé dans le segment antérieur dans 81 % des cas contre
11 % des cas où le CEIO était fiché dans le pôle postérieur
(4) ce qui corrobore nos résultats. Le diagnostic certain et
la localisation fine du CE ne peuvent être faits que grâce à
l’exploration radiologique. En outre, celle-ci a un grand
intérêt thérapeutique (orienter l’indication chirurgicale) et
pronostique. La radiographie standard permet la détection
des corps étrangers radio-opaques. Elle est indiquée chaque
fois qu’un CEIO est suspecté. Cependant, le pri n c i p a l
écueil de cette méthode c’est que les dimensions minimales
reconnaissables du CE, sont fonction du poids spécifique
du matériau donc insuffisantes pour identifier ou exclure la
Médecine du Maghreb 2000 n°83
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présence de CEIO. L’exploration tomodensitométrique augmente cette dimension minimale (500 fois plus sensibles
que radiographie standard) ce qui permet de mieux identifier et situer le corps étranger par rapport aux différentes
tuniques de l’œil surtout les corps de faible densité.
Le CEIO radio-transparent (bois, verre) impose une IRM
après vérification d’absence d’hyperdensité en scanner et
d’opacité radiographique (5). L’échographie orbitaire est
pratiquée en cas de trouble des milieux. Elle permet de réaliser un bilan lésionnel préopératoire (hémorragie dans le
vitré, décollement de la rétine). Selon LOPEZ (3), seulement 31,5 % des ouvriers utilisaient de façon sporadique
des lunettes de protection oculaire et personne n’utilisait de
protection au moment de l’accident. Ceci est également
valable dans notre série où nous avons noté un port inconstant des moyens de protection. Les accidents de travail avec
présence de CEIO constituent une urgence chirurgicale.
Une antibio-pro p hylaxie associant deux antibiotiques
s y n e rgiques est nécessaire. Le traitement ch i ru rgi c a l
consiste à côté du parage de la plaie du globe à l’extraction
du CEIO. Multiples facteurs interviennent dans la conduite
thérapeutique tels que la localisation du CEIO, sa taille, sa
forme et sa composition . Ainsi :
- les corps étrangers intra-camérulaires sont le plus souvent extraits à la pince ou à l’électroaimant : la voie
d’abord sera soit par la plaie elle même soit par l’incision limbique.
- pour les corps étrangers intra-cristalliniens, l’extraction
du cristallin permet en même temps l’ablation du corps
étranger.
- les corps étrangers localisés au niveau du segment postérieur sont extraits à l’électroaimant par incision sclérale
au niveau de la pars plana. Cette technique est réservée
surtout pour les corps étrangers fichés en rétine antérieure particulièrement sur les méridiens de 6 heures,
- pour les corps étrangers les plus profonds (2), l’extraction par vitrectomie-pince est la technique la plus couramment utilisée (6, 7).
- l’extraction du corps étranger est indispensable pour les
corps étrangers oxydables tels que le fer et le cuivre.
Elle est discutée pour les corps en plomb.
CORPS ETRANGER…
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V - CONCLUSION
Les accidents oculaires de travail avec plaie du globe
oculaire représentent un fléau important pouvant entraîner
de graves conséquences socioprofessionnelles et médicolégales. La présence de CEIO est un élément qui en assombri encore plus le pronostic. Le patient, victime de tel acci-
dent pèse une lourde charge pour la société et nécessite une
hospitalisation longue et onéreuse en plus de l’absentéisme
répété.
Ce type d’accident entraîne une IPP de 30 % (6) ce qui
souligne l’intérêt de la prévention de tel accident sur les
lieux de travail et l’utilisation de moyens de protection
appropriés (masque, casque...).
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