1
Jacques Gavoille
LE PEUPLE, LA DEMOCRATIE, LE POPULISME
Introduction ..................................................................................................................................................2
I. LE PEUPLE AVANT LE SUFFRAGE UNIVERSEL .................................................................... 3
1°) Naissance du peuple : l’expérience de la démocratie athénienne ...................................3
2°) D’Athènes à la Révolution française ............................................................................................4
3°) L’étape majeure de la Révolution française : la souveraineté nationale ......................5
4°) Au XIXe siècle, un long « dessaisissement du peuple » .......................................................7
II. LE PEUPLE DANS LA RÉPUBLIQUE FRANçAISE ................................................................. 8
1°) Le tournant de la fin du XIXe siècle : la représentation différenciée du peuple ........8
2°) Le peuple d’un après-guerre à l’autre ...................................................................................... 10
3°) Les Trente Glorieuses produisent-elles un peuple nouveau ? ....................................... 11
4°) La société du malaise ...................................................................................................................... 12
III. LES POPULISMES DANS L’HISTOIRE ................................................................................. 17
1°) Les populismes revendiqués (hors de France) .................................................................... 17
2°) Les mouvements qualifiés de populistes en France ........................................................... 18
3°) Le Front national dans le paysage électoral français ......................................................... 21
IV. LES DÉBATS AUTOUR DU FN ET DU POPULISME ......................................................... 22
1°) La thèse du national-populisme autoritaire de J.-M. Le Pen ........................................... 22
2°) La généalogie du FN selon les historiens français ............................................................... 24
3°) Le FN « bleu marine» : infléchissement réel ou de façade ? ............................................ 25
V. LE POPULISME, RÉVÉLATEUR ET SIGNAL D’ALARME .................................................. 27
1°) Le populisme comme « politique du peuple » ...................................................................... 27
2°) Le(s) populisme(s) des leaders populistes ............................................................................ 28
3°) Propositions ........................................................................................................................................ 29
BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................. 32
Pour cet exposé, fait le 12 mars 2014 dans le cadre d’EPI, il n’a évidemment
pas été tenu compte des élections municipales, et pas plus dans sa rédaction
définitive. Pour une lecture rapide, les notes ne sont pas indispensables.
2
Introduction
La démocratie, placée au centre du titre, est aussi au cœur de nos préoccupations.
Le pouvoir du peuple, la démocratie (de démos, le peuple et de kratos, le pouvoir) est
aujourd’hui l’objet d’espoirs de plus en plus répandus dans le monde, mais, dans les pays
il est en principe bien installé, il demeure un idéal à atteindre. Expérience faite, la
célèbre définition de Lincoln, « Le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le
peuple » apparaît comme une utopie.
Le mot peuple est un vieux mot qui remonte à l’Antiquité. Il est particulièrement cher à
la gauche, qui se considère historiquement comme sa représentante naturelle. Mais c’est un
mot-piège, qui comporte plusieurs facettes politique, sociale et nationale et pose des
questions embarrassantes. Le peuple inclut-il toute la société ? Comment le représenter
sans le trahir ? Est-il le garant de la mocratie ou son éventuel fossoyeur ? Le peuple
n’est-il pas toujours à construire ?
Le mot populisme (qui vient de peuple) ne remonte qu’à un siècle et demi, et il est de
plus en plus employé, depuis les années 1980
1
, mais à temps et contre-temps, car il désigne
une réalité mouvante selon les pays et les périodes de l’histoire, et en général il a une
connotation péjorative, en raison de son voisinage fréquent avec démagogie et extrême
droite
2
, dont le sens n’est guère plus précis
3
. C’est cette diversité qui nous oblige, dans le
cadre de cette réflexion, à nous centrer sur le cas français, sans nous interdire évidemment
quelques ex-cursus. Vaudrait-il mieux abandonner ce mot à tout faire de populisme ? Doit-
il être nécessairement péjoratif, alors que le mot de peuple est honoré ? Comment
expliquer la montée en puissance des phénomènes qu’il désigne ? Ceux-ci doivent-ils être
ressentis par les démocrates comme un danger ou un signal d’alarme ?
L’opacité de ces notions tient sans doute à « leur double statut d’instruments
d’analyse et d’arme pour la lutte politique » (Max Weber). Parler du peuple et du
populisme conduit donc à l’angoissante question du devenir de notre démocratie dans un
monde qui a déjà beaucoup changé.
Quelques remarques de méthode. On ne peut attendre des réponses toutes faites des
spécialistes de la question, mais, je l’espère, des questions mieux posées, et parfois
embarrassantes pour nous, gens de gauche. Toute définition préalable risque de figer une
notion, aussi beaucoup d’auteurs se contentent-ils de « définitions descriptives ». Il sera
bien entendu question du Front national, mais sans en faire le centre de notre réflexion.
L’appel à l’histoire est indispensable pour comprendre le sens de certains mots, la charge
émotive qu’ils contiennent, leur rôle dans notre imaginaire politique.
1
Pour ne parler que de l’Europe et ne remonter qu’à 2007, des listes électorales dites populistes,
homogènes ou disparates, ont remporté de 10 à 29 % des suffrages dans 15 pays européens (voir Dominique
REYNIÉ, Le sens du peuple, p. 141).
2
J.-F. SIRINELLI, « L’extrême droite vient de loin », revue Pouvoirs, n°87, 1998, p.5-19.
3
Le vocabulaire que nous a légué l’Antiquité est lui-même source de confusion… De « démos » grec, on
a tiré « démocratique » (mot positif pour la gauche) mais aussi « démagogique » (négatif) ; de « populus »
latin vient « peuple » (mot positif par excellence pour les mocrates), « popularité », « populaire » (positif,
sauf pour les « aristocrates » de tous genres) et « populisme » (négatif), « plèbe », « populace » et « populo »
(méprisants).
3
I. LE PEUPLE AVANT LE SUFFRAGE UNIVERSEL
Entendons par le suffrage universel honnêtement pratiqué (ou presque…), qui, en
France, n’existe pas avant les années 1870-1880.
1°) Naissance du peuple : l’expérience de la démocratie athénienne
Dans l’Antiquité, la cité (polis en grec, civitas en latin) est un mode d’organisation
politique très répandu, hors des grands empires comme l’Égypte ou la Mésopotamie. Elle
est, sur un territoire délimité, une communauté souveraine, qui élabore ses grands choix et
ses lois, par délibération et décision collectives.. Athènes aux Ve-IVe siècle av. J.-C. a
retenu l’attention, non seulement à cause de son héritage dans les arts et les lettres, mais
parce qu’elle a « inventé » la démocratie.
• Des nouveautés fondamentales apparaissent alors : 1°) La liberté dans le respect de la
loi (liberté de parole particulièrement). 2°) L’égali de tous les citoyens devant la loi, et
progressivement en matière de droits politiques : les décisions ne dépendent plus d’un seul
(monarchie) ou de quelques-uns (oligarchie ou aristocratie), mais de la majorité, principe
fondamental, qui implique le poids déterminant des pauvres (évidemment majoritaires dans
la population)
4
. 3°) L’organisation d’un scrutin public. 4°) L’acceptation des décisions
par la minorité (les notables souvent). En regard de ces droits, le citoyen a évidemment des
devoirs, la défense de la cité (le citoyen est un guerrier), l’impôt, la discrétion.
Certes, les conditions étaient bien différentes de celles de notre temps : 1)
L’Attique était un petit territoire. 2) On comptait entre 20 000 et 30 000 citoyens
seulement. 3) La démocratie était directe (tout citoyen pouvait voter à l’Assemblée). 4) La
cité existait avant le citoyen, elle n’était pas la réunion volontaire, contractuelle,
d’individus libres.
Cependant des problèmes encore actuels ont déjà été posés : 1 - Comment définir
la citoyenneté, le peuple des citoyens, le démos ? Par des exclusions : femmes, jeunes
gens, étrangers libres, esclaves, c’est-à-dire les deux tiers ou les trois-quarts de la
population. Cependant, nouveauté stupéfiante, même ceux qui travaillent de leurs mains,
sont citoyens ! 2 - Comment réaliser l’égalité politique dans une société les
compétences sont très inégales
5
et assurer une paix civile presque continue pendant deux
siècles
6
? La division du peuple en classes censitaires permet d’exclure les citoyens les
plus pauvres de certaines hautes fonctions. 3 - Comment faire participer les plus
éloignés et les plus pauvres des travailleurs ? Par la création d’indemnités pour le service
militaire (rameurs sur les navires), pour certaines charges, puis pour la participation à
l’Assemblée où s’acquiert le savoir politique pratique. 4 - Comment éviter les pressions ?
Par le tirage au sort pour certaines fonctions pas trop techniques. 5 - Comment voter ? Le
plus souvent à main levée. 6 - Comment maîtriser la classe de professionnels de la
politique qui se constitue ? En effet, la maîtrise de la parole est indispensable, et, de fait,
réservée aux orateurs ou « rhéteurs », parfois appelés « démagogues » de manière non
péjorative (de démos et d’agein, conduire) ? Par le contrôle des magistrats (la reddition de
comptes), l’ostracisme (exil de dix ans), l’accès du peuple à la fonction de juge.
4
Pour les décisions majeures, il fallait au moins 6 000 votants. L’Assemblée (en plein air) ne pouvait
contenir que 9 000 personnes.
5
Formule de Myriam Revault d’Allonnes : « Il est juste que tous soient égaux, mais comment faire quand
les compétences, elles, ne le sont pas ? (Le Monde 15.07.2011).
6
Il y eut deux crises à la fin du Ve siècle en 411 et 404/3 avec le retour de l’oligarchie au pouvoir.
4
Ce système politique a été critiqué dès l’origine, à la fois pour des raisons d’ordre
pratique (Athènes n’a pu conserver son empire et a été vaincue en 322 par la Macédoine)
et d’ordre théorique (par de nombreux penseurs et parmi eux les plus grands philosophes).
Ont été dénoncés les excès de la liberté : 1 - Les violences populaires. 2 - Ègalité
excessive : ouverture des fonctions publiques et système des indemnités qui donne le
pouvoir à des pauvres, des ignorants, des incompétents dominés par leurs passions, qui
dilapident l’argent publique. La chute d’Athènes s’expliquerait ainsi par le choix populaire
de dépenser pour les fêtes et non pour l’armée. 3 - Plaie des démagogues.
On comprend quAthènes reste un sujet de réflexion pour les démocraties modernes, et
qu’en un sens son histoire soit rassurante pour nous : les difficultés de la démocratie ne
tiennent pas à une déliquescence contemporaine mais à ses principes mêmes.
2°) D’Athènes à la Révolution française
Le long oubli de la démocratie
Le peuple reste source de gitimité, mais de manière toute théorique. Pendant presque
deux millénaires, institutions et pensée politique ne sont pas démocratiques
7
.
Quelques observations : Le sens nouveau, fortement péjoratif, pris à Rome, la
République était de type oligarchique, du terme de plebs, plèbe, qui désigne le bas peuple,
la populace. L’élection n’a pas disparu, mais elle a lieu au sein de communautés diverses
(monastères, communes, métiers), dans une société hiérarchisée et hétéronome
8
Au
XVIe siècle, la connaissance d’Athènes s’améliore avec celle de la langue grecque,
l’individu apparaît avec la Réforme. Mais c’est la monarchie qui est préférée, avant tout
comme garantie contre les violences populaires Des historiens comme Roger Dupuy ont
soutenu qu’il y eut une politique du peuple » dès l’Ancien Régime, entendons par une
politique propre au peuple, venue du peuple et dont l’État a tenir compte : pour lui, le
rôle joué par le peuple pendant la Révolution n’a pu surgir du néant, il s’est manifesté au
XVIIe-XVIIIe siècle principalement sous le forme de révoltes antifiscales, que l’État a
réprimé mais dont il a dû tenir compte
9
.
7
La Rome républicaine (fin du IVe-fin du 1er siècle) possédait les institutions d’une cité (assemblée
populaire, conseil et magistrats), mais elle fonctionnait autrement. Athènes était alors admirée pour son
rayonnement culturel, mais son régime politique n’intéressait plus sinon pour être critiqué. Il l’était encore
plus au temps de l’Empire romain, des royaumes barbares, du Saint Empire romain germanique, même si
théoriquement le souverain tire sa légitimité de Dieu et du « peuple ». C’est Rome qui est le modèle.
Dans les cités-républiques du Nord de l’Italie aux XIIe-XIIIe siècles, indépendantes de l’Empereur et
du pape, qui s’administrent elles-mêmes, le thème de la liberté reprend de l’actualité, mais pas celui de
l’égalité. Elles nous ont légué, d’une part, la question du bon gouvernement (« organiser la mésentente qui
préside à toute société » selon P.Boucheron), et, d’autre part, le thème de l’opposition entre le popolo grasso
et le popolo minuto, « le peuple et les gros », si souvent repris par la suite.
8
Hétéronomie (de hétéros = autre et nomos = loi): la légitimité vient d’un autre que l’individu, elle vient
de Dieu (et de ses représentants…) le plus souvent.
9
Dupuy s’oppose ainsi aux historiens bourgeois du XIXe siècle (sauf Michelet) et aux historiens
marxistes du XXe siècle qui voyaient dans la Révolution française une révolution « bourgeoise » donc le
triomphe des Lumières, proposition étrange quand on sait que la France compte au moins 90 % de paysans à
la fin de l’Ancien Régime. Pour Dupuy, le populisme n’apparaît pas soudainement en 1887 avec le
boulangisme, mais lors des révoltes paysannes de l’Ancien gime, souvent antifiscales (cf. les « bonnets
rouges » de 1673-1674), puis dans le rôle politique spécifique des paysans et du petit peuple urbain au cours
de la volution avec les résistances paysannes et les journées révolutionnaires, puis en 1830, 1848 et 1871
(avec la Commune, dernière manifestation du populisme démocratique).
5
Le renouveau de la question du peuple au XVIIIe siècle
- Les Lumières
Sauf exception, les Philosophes admirent la liberté
10
mais restent hostiles au pouvoir
populaire potentiellement dangereux (cf. Montesquieu, Voltaire, et même Rouseau).
Rousseau pose la question majeure de la représentation politique. Dans le Contrat
social (1762), il refuse toute délégation de la souveraineté du peuple, aussi bien au roi
absolu qu’à un gouvernement représentatif. Mais il est sans illusion : « S’il y avait un
peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement. Un gouvernement si parfait ne
convient pas aux hommes »
11
, mais, optimiste, il voit dans l’éducation la possibilité de
la création d’un homme politique.
- Les Etats-Unis mettent en œuvre, à leur manière, les nouveaux principes
12
.
3°) L’étape majeure de la Révolution française : la souveraineté nationale
Le peuple (social) devient alors un acteur de l’histoire (politique). Il se
manifeste d’abord dans les cahiers de doléances
13
, lors des élections au États
généraux (au corps électoral très large) devenus Assemblée nationale constituante, et
surtout lors des journées révolutionnaires
14
, au cours desquelles ce ne sont pas
toujours les mêmes groupes populaires qui se manifestent.
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 est un texte
fondateur. Tout citoyen bénéficie d’une égalité en droit : disparaissent la société
d’ordres, clergé, noblesse privilégiés et tiers état. En 1791, le décret d’Allarde et la loi
Le Chapelier en 1791, au nom de la liberté d’entreprendre, interdisent les
associations professionnelles (jurandes, métiers, etc.), refusent le droit de grève, et le
droit syndical. L’encadrement social, les corps intermédiaires disparaissent au profit
des individus. Le principe de la liberté individuelle est acquis et figure ensuite dans
les constitutions (sinon dans les faits comme au temps de la Terreur), mais il s’agit
d’une liberté abstraite.
10
Le rôle croissant du Parlement en Angleterre suscite un intérêt nouveau pour Athènes, et aiguise la
curiosité des historiens et des philosophes, celle de Montesquieu notamment.
11
Rousseau se demande comment « une multitude aveugle, qui souvent ne sait ce qu’elle veut, parce
qu’elle sait rarement ce qui lui est bon, exécuterait-elle d’elle-même une entreprise aussi grande, aussi
difficile qu’un système de législation » (Contrat social, livre I, chapitre 6, cité par M. Revault d’Allonnes.)
Selon cet auteur, la conception de Machiavel est plus riche d’avenir : « Mes peuples, bien qu’ignorants, sont
capables de vérité » (Le Prince).
12
La constitution de 1787 crée la première république mocratique moderne, proclame la souveraineté
absolue du peuple (« We the People of the United States »). Mais une vive hostilité se manifeste à l’égard du
pouvoir populaire. Aux idées démocratiques se mélangent les principes oligarchiques (rôle de la propriété).
Le système représentatif est institué ; les trois pouvoirs exécutif, législatif (à deux chambres) et judiciaire
sont séparés ; une organisation fédérale est choisie. Mais il faut attendre l’issue de la guerre de Sécession
(1861-1865) pour que soient réglées, au moins théoriquement, les questions pendantes : abolition de
l’esclavage, égale protection de la loi pour tous les citoyens, primauté de l’État fédéral sur les États fédérés.
13
Même si les rédacteurs en étaient souvent des bourgeois.
14
Manifestations parfois paysannes (la Grande Peur du 20 juillet au 16 août 1789 qui explique la nuit du
4 août), mais le plus souvent urbaines, voire parisiennes, dominées par les « sans-culottes » : prise de la
Bastille (14 juillet 1789), journées d’Octobre 1789, insurrection du Dix août 1792, Terreur (septembre 1792,
septembre 1793-juillet 1794), surveillance permanente du travail des députés. Il faudrait ici analyser la
composition sociale de la sans-culotterie parisienne.
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