Discussion III
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préparait mais par ce que son évocation structurait implicitement le
fonctionnement de notre vie politique, y compris pour ceux qui s’employaient
continuellement à la discréditer. C’est une particularité de notre pays qu’il n’est pas
possible de gommer en quelques décennies. Or, soudain à partir de 89, le mot
même disparaît. Ceux qui l’utilisent sont déclassés, ringardisés. On organise même
très officiellement son enterrement. Au matin de ces festivités que le monde entier
nous regarde organiser avec une incompréhension amusée, il n’y a même plus
besoin de se situer par rapport à un idéal révolutionnaire quelconque. Cette
disparition bouleverse l’organisation intérieure de la vie politique parlementaire.
Sans repère, elle n’a plus d’autre horizon qu’elle-même. La politique devient dès
lors autosuffisante et François Mitterrand excelle dans l’art et la mise en scène de
cet hermétisme politicien.
E.P.- N’a-t-on pas connu depuis deux siècles de ces aller-retours
au sujet de la Révolution française ? En la pensant définitivement
enterrée, ne travaille-t-on pas à sa soudaine et brusque
réapparition dans un prochain avenir ?
Qui sait ? Il est sûr que la grande lutte émancipatrice
issue de la Révolution s’estompe puis revient comme un serpent de mer tout au
long du XIXème et XXème siècle, ou plutôt elle se déplace sur des registres sans
cesse différents. D’une certaine façon, toute la vie intellectuelle française non
seulement s’inspire de ce passé mais en vit et n’a d’existence que par rapport à son
évocation. On ne peut parler véritablement de la littérature française qu’en se
représentant l’espace politico-romanesque nécessaire à son exceptionnel
épanouissement. Tout chez Chateaubriand et chez Stendhal ne se comprend qu’à
l’aune de l’idéal révolutionnaire. Et même chez les auteurs qui nourrissent un
intérêt moindre et plus subalterne à son égard, la question reste centrale. Certes,
pour Bouvard et Pécuchet, ou pour M. Bergeret d’Anatole France, c’est moins la
révolution qui importe que les questions républicaines. Mais en creux, c’est la
question du monde démocratique que l’on pressent depuis Tocqueville comme un
univers morne et sans qualité qui occupe les esprits. Au regard de l’époque
révolutionnaire, la politique au sens démocratique apparaît comme règne de l’ennui,
du nivellement et de l’opinion moyenne. Finalement, ces aller-retour structurent
tout notre passé républicain. Ils sont la vie même de notre nature politique et
républicaine. Déjà, dans une société qui a tué son roi et où se transforme lentement
la fonction du mari et du père, les questions de filiation, omniprésentes dans le
roman du XIXème prennent une évidente signification métaphorique. Si on
considère que pour Freud dans la Vienne fin de siècle, la politique est une question
de filiation, si on considère le principe selon lequel toute la politique peut se
ramener au conflit originel entre le père et le fils, voyez les conséquences qu’une