b. Si Castoriadis affirme que sa théorie sociale est nouvelle, nous pouvons également nous
demander dans quelle mesure elle n’hérite pas non plus des grands thèmes des
sciences sociales pour les retravailler selon sa propre perspective (qui est celle de la
création et de l’imaginaire). Nous pourrons par exemple nous demander en quoi la
thèse castoriadienne d’une origine sociale des catégories de la connaissance n’est-elle
pas un héritage durkheimien ou bien marxien. Nous pourrons aussi nous interroger sur
le rapport de Castoriadis à la « tradition sociologique » (selon l’expression de Nisbet),
par exemple lorsqu’il affirme que la tâche de la sociologie est de penser l’unité de la
société. La place qu’occupe l’anthropologie culturelle dans la genèse de sa théorie
pourrait également être l’objet d’une discussion : Malinowski et Radcliffe-Browne sont
en effet des interlocuteurs privilégiés de Castoriadis à l’occasion de la première
formulation de sa théorie dans « Marxisme et théorie révolutionnaire ». Est-il en outre
bien vrai que les sciences sociales ont été incapables de penser l’innovation et la
création historique ? De même, Castoriadis est-il bien justifié à dire qu’il est le premier
à avoir pensé le social comme un domaine de l’être irréductible aux individus ?
c. Toujours dans le registre de la « filiation », nous pourrions nous interroger sur la place
de Castoriadis dans la querelle méthodologique entre les approches
« compréhensives » et « explicatives » en sciences sociales. Si Castoriadis opte
clairement pour une approche « compréhensive », une tâche de la sociologie étant
l’identification et la compréhension des « significations imaginaires sociales », il
demeure qu’il se situe aussi en rupture avec les grandes sociologies compréhensives.
Contre Weber, Castoriadis soutient que la « compréhension » ne devrait pas tant être
une méthode visant à établir des rapports de causalité par la reconstitution du sens
que les agents sociaux confèrent à leur action que l’« élucidation » des successions non
causales des « significations imaginaires » dans l’histoire.
d. La théorie de l’institution imaginaire de la société n’est pas conçue par Castoriadis
comme une énième théorie du social et de l’histoire, mais bien comme une
conceptualisation pertinente des conditions objectives de l’agir révolutionnaire qui
doit, pour cette raison, se substituer à la théorie marxienne du dépassement
dialectique des contradictions du capitalisme. On pourra se demander, comme a déjà
pu le faire Habermas, si Castoriadis parvient à fournir une théorie satisfaisante pour
une telle pratique.
2. Les sciences sociales et Castoriadis
L’étude des rapports que Castoriadis entretient avec les sciences sociales serait incomplète
si nous ne nous proposions pas d’étudier le rapport des sciences sociales à Castoriadis.
D’autres suggestions heuristiques :
a. Nous pourrions étudier l’influence, déclarée ou non, de Castoriadis sur la pensée
d’auteurs renommés de la sociologie contemporaine. Hans Joas a fait remarquer que la