T.
Pairault
C'est
principalement la première étape de ce processus que je décris dans un chapitre
de l'ouvrage publié sous la direction de Michel Lelart et consacré aux pratiques tontinières
[18].
Je traiterai de la seconde étape, essentiellement la période 1976-1987, c'est-à-dire
celle allant de la création des banques des PME à la date envisagée originellement pour la
disparition des tontines financières organisées par ces banques.
Cent années de "formalisation" de l'"informel"
Cette récupération de techniques traditionnelles - ô combien formelles
!
-, puis leur pro-
motion au rang de techniques financières légales et "modernes", ne sont ni le fait
d'une
politique isolée, ni même le signe précurseur
d'une
approche alternative de l'économie
:
le
Japon,
l'île
chinoise de Taiwan et la Corée mènent depuis bientôt près d'un siècle une telle
politique au service de leur développement' '. Les Tableaux I et II résument l'historique de
ces expériences' \ Un des faits les mieux établis est que la réussite économique de ces trois
pays est intrinsèquement liée à leur haut niveau d'épargne, lequel a autorisé un effort d'in-
vestissement tout aussi intense [3]. La formation et l'évolution structurelle de leur épargne
présentent un certain nombre de points communs ; en particulier, la part des ménages, qui
comprend les revenus des entrepreneurs individuels, tend à être d'autant plus prépondé-
rante que les régimes de protection sociale de ces pays n'offrent encore que peu de garan-
ties,
mais plus importants pour mon propos sont les canaux pris par cette épargne pour
s'investir et, partant, le rôle des tontines "institutionnalisées".
De 1951 à aujourd'hui, le rôle d'intermédiaire joué par les institutions financières dans la
formation du capital brut n'a cessé de croître et est passé d'environ 30 % à près de 50 %
[15].
Malgré cette évolution, la part du secteur populaire'4' dans le financement des entrepri-
ses est restée importante
:
elle n'est jamais descendue en dessous du cinquième du total des
crédits alors que sa valeur à prix constants était multipliée par 2,7 durant la même période.
(2) Quelle revanche de la réalité sur des épithètes procustéennes ! Faut-il dès lors suivre Richard Sklar qui,
refusant l'opposition entre "informel" et "formel", définit le secteur "informel" comme "a democratic faci
—
an
expression of the people's will in economic organisation" [23, p.712] ? Formule jolie au demeurant, mais peu
heureuse quand on y songe : le Japon et ses deux anciennes colonies (Taiwan et la Corée du Sud) deviendraient
des parangons de démocratie dans la mesure où ils se seraient "soumis" à la volonté organisatrice de leur
population ! Bien que, ou parce qu'extrêmement hiérarchisée, la Chine participe à un éthos égalitariste qui ne
s'identifie nullement à la démocratie, laquelle suppose l'existence
d'une
res
publica indissociable de
l'État
insti-
tutionnel de facture weberienne. Cette confusion est l'origine des expériences de "républiques villageoises" con-
duites par Yan Yangchu, alias Y.C. James Yen, à partir de 1926 dans le district de Ding xian au Hebei ; Edgar
Snow, enthousiasmé par la tentative, invente en 1933 le néologisme "Ting-hsien-ism" qui devient rapidement en
chinois dingxian zhuyi. Charles Hayford [8] donne une présentation passionnante de cette aventure plus pathéti-
que que réaliste.
(3) Sources des Tableaux I et II : outre ma contribution déjà citée, on pourra consulter [1 ; 9 ; 10 ; Jinrong
yewu fagui jiyao (zengdingben) (Recueil de lois et règlements financiers - édition revue et corrigée), éditée par la
Zhongyang yinhang (Banque centrale de Taiwan), Taibei, 1978 ; 21 : cet article est la traduction partielle d'un
document en langue japonaise paru en 1971 sur l'histoire des sôgo ginkô ; Taiwan sheng tongzhi (Monographie
générale sur la province de Taiwan), tome 4 (Monographie de l'économie, Finances), Taibei,
Taiwan
sheng wen-
xian weiyuanhui, 1970, vol. 2, pp. 209-234 ; 20 ; 28].
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