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LE NATURALISTE CANADIEN, VOL. 125 No 3 AUTOMNE 2001
LES INSECTES
1) ce polypore pousse sur les épinettes mortes dont l’écorce
est encore présente et 2) dans certaines conditions d’humi-
dité, qui sont assurées par la présence d’un couvert végétal.
La combinaison de ces deux facteurs (substrat et couvert
végétal) est optimale dans les phases matures et anciennes de
la succession végétale, ce qui confère à F. pinicola et son hôte
spécialiste, C. dybasi, le statut d’organismes spécialistes des
forêts âgées (Paquin, soumis b).
L’échantillonnage de la faune associée au poly-
pore F. pinicola a permis de récolter le rarissime Thrimolus
minutus Casey (Mycetophagidae). Il s’agit de la deuxième
mention de cette énigmatique espèce au Canada, ce qui étend
sa répartition géographique connue de plus de 700 km vers
le nord. Il y a de bonnes raisons de croire que cette espèce,
qui appartient à une famille qui se nourrit exclusivement de
champignons, démontre des affinités écologiques sembla-
bles à celles observées chez C. dybasi. Toutefois, il est plus
prudent de l’inclure dans la liste en apposant une réserve qui
indique que des données supplémentaires sur cette espèce
rare sont souhaitables.
Il va sans dire que les étroites associations entre
les champignons et certaines espèces spécialistes méritent
d’être approfondies dans le contexte des espèces inféodées
aux forêts matures et anciennes. Plusieurs coléoptères sont
mycophages et il ne serait pas surprenant de découvrir
d’autres associations de ce type, voire même de nouvelles
espèces, dans les familles des Leiodidae, Mycetophagidae,
Ptiliidae et Endomychidae. De plus, les associations entre
insectes et champignons ne sont pas exclusives aux colé-
optères : certains diptères comme les Mycetophilidae sont
aussi mycophages. Dans une étude réalisée en Norvège,
cette famille a démontré une étonnante réponse spécifique
à la maturation forestière (Økland, 1994) mais, à ce jour,
personne n’a étudié les Mycetophilidae des forêts boréales
nord-américaines.
Habitats spécialisés dans les
forêts matures et anciennes
Dans les pessières noires de l’Abitibi, les arbres attei-
gnent la maturité après une période de croissance d’envi-
ron une centaine d’années et c’est surtout à partir de cette
période que débute la sénescence des plus vieux arbres. En
plus de constituer une source directe de nourriture ou un
substrat spécialisé pour des organismes comme les champi-
gnons, les arbres morts forment un habitat dans lequel des
prédateurs spécialistes trouvent leur nourriture. Le premier
cas d’une espèce associée aux microhabitats créés par les
arbres morts est celui d’Atrecus macrocephalus (Nordmann),
un staphylin que nous avons récolté dans les vieilles pessières.
Cette espèce se spécialise dans la prédation sous les écorces
des épinettes mortes. Cette spécialisation est par ailleurs bien
connue (Smetana, 1982), car A. macrocephalus arbore une
morphologie parfaitement adaptée à ce type de microhabi-
tat ; il est très fortement aplati dorso-ventralement, ce qui lui
permet de circuler dans l’interstice entre le bois et l’écorce
des épinettes récemment mortes. La plupart des staphylins
sont des prédateurs généralistes associés aux sols forestiers
où cohabitent une foule d’organismes. Pourquoi A. macroce-
phalus se trouve-t-il dans un habitat aussi particulier que les
dessous des écorces ? Sans doute que la pression compétitive
avec les autres espèces de prédateurs est beaucoup moins
grande dans un habitat où sa morphologie spécialisée lui
procure un avantage certain.
Une autre espèce de prédateur spécialiste des dessous
d’écorce a été récoltée dans les pessières d’Abitibi. Il s’agit du
carabe Tachyta angulata Casey qui présente aussi une mor-
phologie parfaitement adaptée à ce microhabitat. Contrai-
rement à A. macrocephalus qui ne se trouve que dans les forêts
matures et anciennes, T. angulata se rencontre également
dans les forêts récemment brûlées, le point de départ de la
succession, où se trouvent beaucoup d’épinettes mortes à
cause du feu. Ces deux espèces occupent des niches écologi-
ques semblables, mais qui se distinguent dans le gradient
d’âge de la pessière puisqu’A. macrocephalus est une espèce
qui ne se rencontre pas dans les forêts récemment brûlées.
Après la mort de l’épinette noire et la chute du tronc
au sol, il se produit une lente décomposition avec le concours
de divers micro-organismes comme les bactéries et les cham-
pignons. Lors des étapes de décomposition caractérisées par
l’aspect plus spongieux des troncs, on assiste à la proliféra-
tion de petits arthropodes qui vivent dans ces troncs pourris.
Les acariens oribates forment un important groupe d’orga-
nismes associé à cette phase de décomposition. Malgré leur
petite taille, ils remplissent un rôle écologique de premier
plan en propageant et en inoculant ces bactéries et ces cham-
pignons. Bien que de nombreuses espèces d’oribates soient
probablement inféodées aux forêts anciennes, nous nous
attarderons plutôt à une espèce de coléoptère qui appartient
aux Pselaphinae, une sous-famille prédatrice des acariens
oribates. Ainsi, une nouvelle espèce a été découverte dans les
stades les plus âgés (230 ans et plus). Cette espèce est connue
uniquement de l’Abitibi où elle est trouvée dans les billots
pourris de conifères. Cette espèce est très rare et probable-
ment endémique aux forêts boréales nordiques âgées. Elle
appartient au genre Actium et sera décrite sous peu (avec la
collaboration de Donald Chandler de l’Université du New
Hampshire).
Le dernier cas de microhabitat propre aux forêts
boréales anciennes et d’une espèce d’insecte qui y est associée
est celui du carabe Platynus mannerheimii (Dejean). Con-
trairement aux espèces citées précédemment, P. mannerhei-
mii ne dépend pas du bois mort mais plutôt des conditions
particulières liées aux sols forestiers des vieilles pessières
(Biström et Väisänen, 1988). Lindroth (1966) mentionne
que cette espèce est typique des habitats tourbeux. Niemelä
et al. (1987) ont, quant à eux, précisé que P. mannerheimii est