VIE PROFESSIONNELLE Le réseau UEROS : pour l’évaluation et l’accompagnement à l’insertion socioprofessionnelle des blessés traumatisés crâniens E. Eusop-Roussel* P our le patient accidenté, au-delà de l’accident lui-même et d’un parcours médicalisé parfois très long, le retour à domicile est une phase délicate. La personne qui a présenté un traumatisme crânien (TC) est en effet confrontée aux nécessités d’adaptation à son environnement familial, social et professionnel, mais avec des troubles spécifiques (troubles cognitivocomportementaux, perturbation de la sphère psycho-affective), souvent mal identifiables et compréhensibles pour elle-même et pour ses proches (handicap nommé “invisible”) [1]. L’impact de ces troubles favorise beaucoup la désadaptation sociale (rupture familiale, perte des amis, de l’emploi), d’où la nécessité d’un accompagnement approprié. Si à peine 5 % des blessés vivent en institution après la phase de rééducation, la plupart récupèrent une autonomie satisfaisante pour les actes élémentaires de la vie quotidienne. En revanche, de nombreux patients restent dépendants pour les activités plus élaborées (faire les courses, se déplacer, gérer son budget, anticiper ses besoins, etc.). Ils ne pourront pas reprendre d’activité professionnelle, et se retrouvent déstabilisés devant la formulation d’un nouveau projet de vie. * Centre de Coubert, antenne UEROS, URSP, Coubert, et antenne UEROS, pavillon Marguerite-Bottard, service du Pr Baulac, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris. Lorsqu’elle est envisageable, la réinsertion au travail est un enjeu essentiel dans la prise en charge de ces blessés, souvent jeunes et actifs avant leur accident. Deux types de facteurs sont assez bien prédictifs de cette réinsertion : ceux liés à la sévérité du TC (score de Glasgow, niveau d’autonomie acquis après le TC) et ceux liés aux données sociodémographiques (âge, situation socioprofessionnelle et familiale antérieure, stabilité du travail antérieur, niveau d’études, etc. [2]. 390 | La Lettre du Neurologue • Vol. XIII - n° 11 - décembre 2009 L’enquête Lebeau, publiée en 1995, souligne bien la complexité et la spécificité des situations des personnes à distance de leur TC, ainsi que la nécessité d’un accompagnement adapté. Un an après la parution de cette enquête, les Unités d’Évaluation, de Réentraînement et d’Orientation Sociale et/ou professionnelle (UEROS) ont été créées par une circulaire ministérielle (circulaire n° 96-428 du 4 juillet 1996, mise à jour par le décret n° 2009299 du 17 mars 2009). En 1997, 10 UEROS sont ainsi ouvertes, et 29 couvrent actuellement le territoire français, dont une pour enfants à Saint-Maurice (94). La circulaire prévoit que l’UEROS se situe dans un centre de réadaptation professionnelle (CRP). Il existe très souvent une collaboration par convention avec un CHU ou un centre de médecine physique et de réadaptation (MPR) qui accueille une antenne UEROS. L’Île-de-France dispose, par exemple, de 2 UEROS : l’une à Évry (91) et la seconde à Coubert (77). Celle de Coubert siège au pôle de réadaptation professionnelle du centre de Coubert. Elle dispose de 2 antennes en CHU (l’hôpital Raymond-Poincaré à Garches et l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris), d’une antenne en établissement MPR (CMPJA de Bouffémont) et d’une antenne sur le pôle SSR du centre de Coubert. À quel moment et pourquoi s’adresser à une UEROS ? L’UEROS est un dispositif médico-social accueillant des adultes cérébro-lésés (pathologies acquises : TC, accident vasculaire cérébral [AVC], tumeur, etc.), – à distance de la lésion cérébrale – en demande d’orientation sociale et/ou professionnelle. L’accompagnement UEROS se situe après la phase de soins de rééducation, après un retour à domicile VIE PROFESSIONNELLE effectif ou au cours d’une prise en charge en foyer d’accueil médicalisé (FAM) ou en centre d’accueil de jour (CAJ) et doit s’inscrire dans la continuité du parcours de réadaptation (figure 1). Le plus souvent, l’UEROS est sollicitée pour des questions professionnelles. ▶ Un avis concernant la reprise d’une activité professionnelle : est-elle possible ? Est-elle prématurée ? Nécessite-t-elle des aménagements (temps partiel, tutorat, etc.), un reclassement sur un autre poste de l’entreprise, une réorientation sur un autre secteur professionnel ? Est-elle possible en milieu ordinaire, en ESAT ? etc. ▶ Un avis, des conseils et un suivi pour un maintien dans l’emploi avec la collaboration du médecin du travail. ▶ Aider à l’élaboration d’un nouveau projet professionnel réaliste en adéquation avec le profil cognitivo-comportemental et les capacités physiques. Continuité de l’accompagnement Accident Rupture du parcours de vie pour la personne et ses proches Rééducation Expressions de troubles – Moteurs – Cognitifs – Comportementaux – Psycho-affectifs Phase aiguë – Réanimation – Chirurgie, etc. MDHP – Partenaires sociaux – Médecins – MPR, etc. UEROS CAJ FAM MAS SAMSAH SAVS, etc. Retour au domicile – Rééducation – Réadaptation – Réinsertion sociale ? – Réinsertion professionnelle ? – Ampleur des séquelles ? Figure 1. Continuité de prise en charge d’un blessé traumatisé crânien. ▶ Argumenter sur la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), en lien avec la MDPH. ▶ Aider à renoncer à une insertion professionnelle et formaliser l’impossibilité du retour à l’emploi. L’UEROS est également sollicitée pour des problématiques d’insertion sociale. ▶ Aider à l’élaboration d’un projet de vie (activités occupationnelles de loisirs, vie associative, bénévolat). 1 - Accueil de consultation Analyse de la demande Propositions d’orientation Maintien dans l’emploi Prises en charges médico-sociales 2 - Réorientation vers le réseau de partenaires avec une démarche de solutions alternatives 2 - Évaluation des lésions, déficiences et aptitudes Soins ▶ Développer l’autonomie pour les actes élaborés de la vie quotidienne par le biais de mises en situation répétée. Décision MDPH ▶ Évaluer et reconnaître le handicap pour la personne elle-même, vis-à-vis de ses proches et de la société (en motivant, par exemple, des prestations de type AAH, invalidité, etc.). 3- Stage UEROS (15 à 18 semaines) Réentraînement socio-professionnel Émergence et élaboration d’un projet social ou professionnel Validation du projet Proposition d’orientation ▶ Évaluer les besoins d’accompagnement et les moyens de compensation : aides humaines et services d’accompagnement (tierce personne, service d’accompagnement à la vie sociale [SAVS], service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés [SAMSAH]), les services (services aux transports, etc.), la protection juridique, etc. 4 - Suivi de la personnne dans sa nouvelle orientation Figure 2. Le parcours dans un dispositif UEROS. La Lettre du Neurologue • Vol. XIII -n° 11 - décembre 2009 | 391 VIE PROFESSIONNELLE Les missions des UEROS : le déroulement d’un parcours (figure 2) Accueillir, informer, conseiller L’UEROS est un lieu de conseils et d’informations, pour les personnes, leurs familles mais aussi les professionnels, concernant les dispositifs d’accompagnement, les prérequis à l’insertion professionnelle, les démarches administratives, etc. Évaluer les capacités et les séquelles physiques et neuropsychologiques Les évaluations médicale, psycho-comportementale et cognitive de la personne accueillie à l’UEROS sont souvent réalisées en antenne UEROS, au CHU ou au centre MPR. Elles sont proposées de manière quasi systématique pour faire un état des lieux quant aux séquelles cognitives, comportementales et psychologiques (car les troubles peuvent évoluer durant de longues années ; ils sont souvent méconnus et/ou mal compris de l’entourage, mais aussi de la personne ellemême). Il s’agit, dans la majorité, des cas d’un examen neuropsychologique comprenant des tests psychométriques et des entretiens. Cette évaluation peut être complétée, si besoin est, et en fonction des profils cliniques, d’une consultation médicale spécialisée (psychiatrie), d’une évaluation psychologique. Cet état des lieux permet de repérer les éléments qui devront être pris en compte dans le parcours d’insertion : psychopathologie, conduites addictives, expertise en cours, précarité sociale, difficultés familiales, interventions chirurgicales à venir, etc. L’évaluation permet également d’apprécier la faisabilité d’un programme de réentraînement et d’élaboration de projet. divise en 3 phases : l’évaluation ; le réentraînement ; l’élaboration de projet et la confirmation du projet. Les équipes d’accompagnement sont pluri­disciplinaires (formateurs, ergothérapeutes, psychologues, assistante sociale, médecin) et proposent des prises en charge individuelles et collectives avec des supports variés adaptés aux besoins de la personne : essai en appartement thérapeutique, entraînement pour l’utilisation des transports, gestion d’un budget et des aspects administratifs, stage en entreprise, enquête métiers, entraînement sur des activités de français/mathématiques, apprentissage de moyens de compensation des troubles cognitifs, groupes de parole, sport, etc. Les objectifs du stage sont définis avec la personne, en fonction de ses besoins en réentraînement (ils peuvent porter sur des aptitudes cognitives ou sur les aspects psychocomportementaux) et du projet de vie à travailler (projet d’insertion sociale, projet professionnel). À l’issue du stage, différentes orientations sont envisageables : accueil en structure médico-sociale type FAM, retour au domicile avec mise en place d’activités occupationnelles et socialisantes associées au non à l’intervention d’une équipe mobile de type SAMSAH-SAVS, orientation en formation qualifiante, maintien dans l’emploi, insertion en ESAT, etc. (figure 3). Occupationnel ESAT Formation Pôle emploi FAM Figure 3. Exemples d’orientation à l’issue du stage UEROS de Coubert en 2008. Élaborer un programme de réentraînement Mettre au point un programme de réentraînement permet de : – consolider et accroître l’autonomie et les acquis obtenus en rééducation fonctionnelle et au domicile ; – construire un projet d’insertion sociale et/ou professionnelle. Cette phase se déroule sous la forme d’un stage de 15 à 18 semaines, en CRP, via une notification de la MDPH. Les personnes accueillies ont un statut de stagiaire de la formation professionnelle. Le stage se 392 | La Lettre du Neurologue • Vol. XIII - n° 11 - décembre 2009 Transmission des éléments L’UEROS fournit aux intéressés, aux partenaires et aux MDPH tous les éléments pour : – déterminer ou réévaluer le niveau des capacités et des situations de handicap (voir la partie portant sur l’évaluation) dans la perspective d’apprécier l’évolution clinique et surtout les besoins en accompagnement ; – faciliter l’orientation sociale et professionnelle. VIE PROFESSIONNELLE •Liste des UEROS : http://www.crlc-cmudd.org •CRFTC : centre ressources francilien du traumatisme crânien http://www.crftc.org •FTC : France traumatisme crânien (association de professionnels du traumatisme crânien) http://www.francetraumatismecranien.fr •UNAFTC : union nationale des familles de traumatisés crâniens http://www.traumacranien.org •EBIS : European Brain Injury Society, association européenne d’étude des traumatisés crâniens et de leur réinsertion, société à vocation scientifique et sociale http : //www.ebissociety.org Assurer un suivi individualisé Le profil cognitivo-comportemental et la chronicité des difficultés du blessé nécessitent un étayage au long cours. Il est donc essentiel d’aider à la mise en place des préconisations et des orientations issues des évaluations et/ou du stage UEROS, et de développer un réseau de partenaires autour de la personne. Ce suivi ne supplée pas à une prise en charge rééducative. Il favorise le lien pour éviter l’errance du blessé dans son parcours d’insertion et pour prévenir les ruptures. Ce suivi permet également d’adapter les orientations en fonction des expériences et de l’évolution de la personne. Les équipes sont toutefois souvent confrontées au manque de moyens adéquats et à la carence de partenaires avertis et/ou de structures adaptées. Conclusion L’UEROS intervient donc à distance de l’accident pour évaluer le handicap et les besoins relatifs à l’insertion sociale et/ou professionnelle de la personne, lui en rendre compte et identifier les moyens pour y pallier. Ces besoins sont principalement liés à des limitations cognitivo-comportementales, parfois subtiles, mais réduisant l’autonomie et les capacités de travail, dont le patient ne se plaint pas toujours. L’UEROS offre un accompagnement spécifique et individuel, sous la forme d’une évaluation, puis d’une phase de réentraînement et d’élaboration de projet, et en privilégiant la création d’un réseau de partenaires autour de la personne pour faciliter l’insertion et éviter les ruptures. ◾ Références bibliographiques 1. Leclerc M. L’insertion, dans le traumatisme crânien, guide à l’usage des proches. Paris : Solal, 2007;153-77. 2. Vallat-Azouvi C, Galimard N, Schnitzler A et al. Facteurs prédictifs de la réinsertion socioprofessionnelle des traumatisés crâniens sévères. In: Azouvi P, Joseph PA, Pélissier J, Pellas F. Prise en charge des traumatisés cranio-encéphaliques, de l’éveil à la réinsertion. Paris : Masson, 2007; 193-8. Les acronymes se suivent et ne se ressemblent pas… Le DPC nouveau est arrivé Isabelle de Gaudemar (service ORL, hôpital Saint-Vincent-de-Paul, Paris) I l y avait l’EPP, la FMC... Voilà le DPC ou “développement professionnel continu”. La loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 “Hôpital, patients, santé et territoires” (HPST), dans son article 19, devrait aussi mettre fin à la longue traversée du désert de la FMC, obligatoire mais non reconnue depuis 1996, pour laisser place au DPC. Le DPC est déjà actif dans presque tous les pays européens et en Amérique du Nord. Le but est toujours le même : améliorer les pratiques médicales, en montrant que les connaissances sont à jour, par l’inter© La Lettre de l’ORL - n° 319 - octobre-novembredécembre 2009. médiaire d’une forme d’évaluation mise au point par des organismes agréés. Sur le fond, le DPC, rassemblant l’EPP et la FMC, permet de sortir du faux débat entre l’évaluation et la formation. Sur la forme, avant même la sortie des décrets d’application, plusieurs dispositions du DPC semblent déjà très lourdes et bien compliquées, avec un Conseil national de DPC, une commission scientifique indépendante et un organisme gestionnaire. À l’heure des hyperspécialisations, un seul thème annuel par spécialité sera prioritaire. Les autres principales nouveautés sont l’implication plus importante du Conseil de l’Ordre, et des évaluations identiques quel que soit le statut du médecin : libéral, hospitalier, universitaire. Enfin, la question cruciale du financement est aussi générale que floue. Au final, quel est l’intérêt de monter une telle usine à gaz ? L’objectif est toujours le même depuis 15 ans : tenter de réduire le déficit abyssal de la Sécurité sociale, avec le peu de succès que l’on sait. Et si l’on faisait confiance aux médecins ? Et si le meilleur DPC était celui organisé par les praticiens eux-mêmes, au contact de la maladie et des malades plutôt que par les bureaucrates des ministères ? Roselyne Bachelot devrait y penser. Ce serait une vraie rupture, celle qu’appelait de ses vœux le président Sarkozy en 2007. ◾ La Lettre du Neurologue • Vol. XIII -n° 11 - décembre 2009 | 393