Impact des troubles cognitivocomportementaux sur l’insertion sociale et professionnelle Claire Vallat-Azouvi Coordinatrice-Neuropsychologue, PhD Antenne UEROS-SAMSAH92 CRFTC, 11 juin 2015 Problématique spécifique des séquelles liée au TCC Notion de « handicap invisible » et de « chronicité » Déficits pouvant facilement passer inaperçus car : Anosognosie Déficits apparaissant dans des situations non routinières Déficits durables et d’évolution lente Ce qui justifie une prise en charge prolongée, au delà de l’hospitalisation Difficultés d’évaluation à distance Faux négatifs : ceux qui « passent au travers des mailles du filet » Corrélations entre outils cognitifs / évaluation écologique et vie quotidienne ou professionnelle Valeur prédictive des tests cognitifs ? Intrication des troubles neuropsychologiques et éléments psychopathologiques Nécessité d’une évaluation spécifique et du témoignage des proches Famille mais aussi environnement professionnel ? Fragilité de l’insertion Parcours de la personne cérébrolésées « long et complexe » 2 Troubles cognitivo-comportementaux Lenteur cognitive Troubles de l’attention Attention divisée Distractibilité, maintien de l’attention Fatigue mentale Troubles des fonctions exécutives Planification, contrôle, adaptation à la nouveauté Troubles de la mémoire de travail Troubles de mémoire épisodique Anosognosie Modifications du comportement 3 Plaintes les plus fréquentes (questionnaire ARH, Vallat et al., en préparation) 90% 80% 70% 60% 50% 40% 30% 20% 10% 0% Patient Famille Anosognosie: 31,7% des proches rapportent que le patient 4 nie ses troubles (moteurs et/ou cognitifs) Trouble du comportement Dû à la lésion cérébrale « n’était pas comme ça avant » Peut persister longtemps Désihibition, irritabilité, émoussement émotionnel (sans trouble dépressif), agitation, apragmatisme Peut se stabiliser / s’amender Réapparaître si changement de situation Répercussions pour les proches, l’environnement Et sur l’insertion +++ Très invalidant, handicap sévère Comportement délictueux 5 DEX: les 5 items les plus fréquents 4 ans après l’accident (auto-évaluation) (Azouvi et al., 2014) Fréquence de patients avec un score supérieur ou égal à 2 (“parfois”) Distractibilité (54.2%) Emoussement des réponses affectives (44.1%) Prise de décision (38.1%) Agitation, hyperkinésie (37.3%) Pensée abstraite (32.2%) 6 L’impulsivité, ou trouble du contrôle des pulsions Trouble fréquent (Kolitz, Vanderploeg, & Curtiss, 2003; Levin & Kraus, 1994; McAllister, 2008) Irritabilité, agressivité verbale ou physique, perte du sang-froid, impatience, mauvaises prises de décision, altération des capacités de jugement (McAllister, 2008; Wood, 2001). 7 Réduction des initiatives et de la motivation Fréquence variable (20 à 72 %, moyenne à 43,7%, Arnould et al., 2013) Peut être dissociée de la dépression (Kant et al., 1998) Apathie / Apragmatisme (absence d’action) 8 TC et cognition sociale La théorie de l’esprit : capacité à inférer des états mentaux à autrui Havet-Thomassin, Allain, Etcharry-Bouyx & Le Gall, 2006 ; Henry, Phillips, Crawford, Ietswaart & Summers, 2006 ; Martin-Rodriguez & Léon Carrion, 2010 Les jugements moraux Koenigs, Young, Adolphs, Tranel, Cushman, Hauser, & Damasio 2007 Les émotions Henry et al., 2006 ; Bornhofen & McDonald, 2008 L’empathie Muller, Simion, Reviriego, Galera, Mazaux, Barat & Joseph, 2010 Les capacités pragmatiques en communication Angeleri, Bosco, Zettin, Sacco, Colle & Bara, 2008. 9 TC et reprise du travail TC sév 10 Reprise du travail après TC ? • 14 fois plus de perte de productivité que les traumatismes médullaires (Langlois, J. Head Trauma Rehab., 2006) • Reprise du travail à un an selon la sévérité du TC (n=366, Dikmen et al., 1995): 37 % des TC sévères 64 % des TC modérés 83 % des TC légers 11 Reprise du travail après TC sévère ? Mailhan et al. (2005) : 75 TC sévères, 2 à 7 ans après travail à temps plein : 27,6% travail à temps partiel : 17,3% Etude Paris-TBI Retour au travail à un an (Jourdan et al. 2013) Parmi les patients travaillant avant l’accident : 42% avaient repris leur travail, 28% sans modification de poste Retour au travail à 4 ans (Ruet et al., en préparation) Age<55 ans au moment du TC (n=137/147) Statut/travail inconnu dans 4 cas (n=133) Retour au travail n= 51 (38%) 12 Délais de reprise d’une activité professionnelle Varie d’une étude à l’autre mais on peut admettre un délai moyen de : 3 mois pour un TC léger à modéré 2 ans pour un TC sévère Au-delà, la réinsertion devient très aléatoire Population montre plus de difficultés à conserver un emploi qu’à trouver un emploi 13 Facteurs prédictifs du retour au travail Facteurs démographique de mauvais pronostic (Kreutzer et al. 2003) Minorité ethnique Niveau d’éducation faible Célibataire Retour à un travail productif (105 TC sévères, Wagner et al. 2002) à un an significativement corrélé avec : niveau d’éducation antérieur antécédents psychiatriques mécanisme violent du traumatisme état fonctionnel à la sortie de l’hospitalisation antécédents d’alcoolisme ou de toxicomanie sévérité du TC. Caractère multidéterminé du pronostic de retour au travail 14 Eléments pronostiques (retour au travail) Nombre d’études concernées Etudes positives* Etudes négatives Niveau de preuve Age élevé Pas d’activité professionnelle Nombre d’années d’étude plus faible Consommation de drogues Traumatisme lié à une violence GCS initial plus bas 7 5 4 2 3 6 4/7 (57.1%) 4/5 (80%) 2/4 (50%) 2/2 (100%) 3/3 (100%) 2/6 (33.3%) 3/7 (42.9%) 1/5 (20%) 2/4 (50%) 0/2 (0%) 0/3 (0%) 4/6 (66.7%) Inconsistant Fort Inconsistant Fort Fort Inconsistant Durée de coma plus longue Durée d’APT plus longue Séjour hospitalier plus long Score à la DRS plus péjoratif Score cognitif de la MIF plus péjoratif 3 3 2 2 2 2/3 (66.7%) 3/3 (100%) 1/2 (50%) 2/2 (100%) 1/2 (50%) 1/3 (33.3%) 0/3 (0%) 1/2 (50%) 0/2 (0%) 1/2 (50%) Inconsistant Fort Inconsistant Fort Inconsistant Caractéristiques Et surtout : les troubles cognitifs : troubles attentionnels, mnésiques, vitesse de traitement, fluence verbale. Anosognosie Willemse-van Son. Clin Rehabil, 2007 15 Age et retour au travail ? Étude PariS-TBI Effet de l’âge sur les FE et capacités d’adaptation? 16 Jourdan et al., 2013 Troubles dysexécutifs (DEX) et retour au travail (PariS-TBI) (Azouvi et al., 2014) 17 Quel travail ? Milieu ordinaire ou protégé ? Niveau de responsabilité ? Salaire ? Progression de carrière ? À quel coût (effort cognitif, fatigue, sentiment de dévalorisation…) ? 18 Structure facilitant l’insertion : Les 4 missions des UEROS Evaluer Elaborer un programme transitionnel de réentraînement à la vie active Fournir aux intéressés, à la famille, aux médecins traitants et aux CDES et MDPH tout élément utile pour déterminer le niveau de handicap et l’orientation éventuelle Assurer un suivi individualisé et apporter son concours au réseau Pôle Emploi / Cap Emploi 19 Couverture de l’Ile-de-France Bouffémont (95) Pitié Salpêtrière (75) Cinq idées force Territoire Proximité Mutualisation Garches (92) Coubert (77) Souplesse Cohérence Evry (91) L’UEROS Francilien 20 L’ADAPT Intérêt PEC Antenne UEROS et trouble du comportement (n=20) 8 7 6 5 4 3 FxS Avant FxS Après 2 1 0 21 Etude de cas : Monsieur A Adressé à l’antenne UEROS par la MDPH Demande RQTH 39 ans Vit dans un foyer / RSA (accompagné par une éducatrice au RDV) TCS par défenestration à l’âge de 22 ans environ Lésions du nerf optique + hémianopsie Rééducation pour problème orthopédique dans les suites ATCD : consommation alcool A quitté le domicile des parents à l’âge de 15 ans Parcours chaotique et marginalisé Bac B et DEUG de Philo et diplôme AMP Sans emploi au moment de l’accident 22 Dans les suites Crises d’épilepsie fréquentes traitées Mal équilibrées A travaillé : restauration, AMP et animateur (CDD) Obtention à J +10 ans d’une RQTH avec Orientation MO Non valorisée Désinsertion 23 Accueil antenne UEROS : J+ 18 ans Récit très flou Plaintes: Gêné pour la marche (jambe gauche) Difficultés de lecture Difficultés de concentration, fatigue Oublis majeurs (d’un jour à l’autre) Qui se seraient aggravés au fil du temps (avec les crises d’épilepsie) Tendance à l’irritabilité / agressivité (confirmé par éducatrice) « je suis devenue assez épidermique » Modification de personnalité après l’accident Eléments anxio-dépressifs : suivi psychologique au foyer 1/semaine Comportement adapté pendant l’entretien 24 Autonome pour les AVQS Difficultés pour les déplacements /orientation dans les endroits non familiers Aide AS pour la gestion administratives Isolement social / peu d’activités (aide un peu au foyer) Pas de rééducation Projet : créer une association d’aide à la personne ou formation éducateur spécialisé 25 Examen neuropsychologique : troubles cognitifs majeurs Au niveau visuel : Quadranopsie inf gauche Troubles de la poursuite visuelle Atteinte périphérique des nerfs optiques prédominant à droite Séquelles d’héminégligence gauche Agnosie visuelle aperceptive Marteau = balai ; nuage = voiture Prosopagnosie : ne reconnaît aucun visage célèbre Alexie agnosique (lecture lente et non fonctionnelle) Dyscalculie spatiale 26 Troubles cognitifs Ralentissement exécutif majeur Fatigabilité en lien avec la charge cognitive Fragilité de la MDT Éléments dyséxécutifs Difficultés d’organisation, trouble flexibilité mentale et des éléments persévératifs Troubles majeurs de la mémoire à long terme (encodage et stockage) Mémoire rétrograde : confusions chronologiques , lacune didactique Troubles du comportement (ISDC) Pas d’aphasie, très bon niveau verbal, bon niveau de conceptualisation 27 Ce qui est proposé Examen médicaux complémentaires IRM : importantes séquelles fronto-occipitale droite, occipitale gauche et orbito-frontale droite associée à une atrophie des bandelettes, chiasma et nerfs optiques Différer le projet professionnel Orientation en MP selon évolution ? Soin Rééducation (neurovisuelle et cognitive) Maintien suivi psychologique Suivi antenne UEROS (médical + neuropsy) Plusieurs RDV proposés ….. 28 5 ans plus tard… Demande d’admission SAMSAH par MDPH + SAMU social + AS secteur Dégradation ++ de son état général et de la situation sociale Incurie ++ Difficulté de mise en place de la rééducation : Rééducation neurovisuelle 1 an après le bilan neuropsychologique + quelques séances rééducation orthophonique (suspension après 5 RDV non honorés) Exclusion du foyer dans la même période 5 mois SDF puis foyer ADOMA Connu du SAMU social depuis 10 ans 29 Plaintes identiques Crises épilepsies fréquentes + Éléments dépressifs Majoration des troubles du comportement avec x hospitalisations en psychiatrie déambulation devant le domicile dénudé, agressivité Suivi proposé au CMP 30 Addiction multiples (hallucinogènes, alcool, cannabis…) Pas de tutelle Validation Admission SAMSAH Evaluer le maintien de vie au foyer en autonomie et coordination des soins M. A refuse une éventuelle orientation en FAM Début accompagnement SAMSAH 31 Intrication troubles cognitivocomportementaux / Psychiatriques/Précarité/ contexte psychosocial fragile Condamnation pour agression verbale et violence vis-à-vis des forces de l’ordre condamnation à 8 mois de prison Etude d’aménagement de peine en cours ? 32 Conclusion Valeur prédictive des déficits attentionnels et dysexécutifs (et comportementaux) pour l’insertion Intérêts d’accompagner l’insertion Programmes de réinsertion : peu évalués Favoriser les accompagnements pluridisciplinaires et dans l’environnement de la personne cérébrolésée par des structures spécifiques (UEROS/SAMSAH/FAM de Jour) Intérêt d’accompagnements individualisés / programme préformaté 33 MERCI POUR VOTRE ATTENTION 34 Reprise du travail et programme d’entraînement Programme non spécifique : 40 à 50% entre 2 à 5 ans pour des TC modérés à sévères (Flemmin et al, 1999 ; Mazaux et al, 1989; Olver et al, 1996) Programme spécifique « supported employment » Wehman et al. (1989) : 71% pour des TC sévères Vandiver et ak (2003) : 84% pour des TC modérés 35 Stabilité professionnelle Etude Paris-TBI (n = 94) • Activité à 1 an : 37 patients (39 %) • A 4 ans : 40 patients (43%) Travail à 1 an non oui Travail à 4 ans non 47 (50%) 7 (7%) oui 10 (11%) 30 (32%) • Instabilité professionnelle : 12 patients / 40 ont fréquemment changé d’activité • Difficultés cognitives au travail : 22 (55%) (fatigabilité +++) 36 Accident/maladie Prise en charge par les services de ramassages Urgences, réanimation, Neurochirurgie Service de rééducation fonctionnelle, CRF Hôpital de jour Rééducation en libéral Retour à domicile Réinsertion MDPH,UEROS Milieu Protégé (EA, ESAT) Structure de long séjour Foyers, MAS CAJ, CICL SAMSAH Formation Social occupationnel 37 Milieu Ordinaire