REVUE DE PRESSE coordonné par le Pr B. Combe Modification du répertoire des anticorps antiprotéines citrullinées AVANT l’apparition de la polyarthrite rhumatoïde L’épitope est le déterminant antigénique ou un site à la surface de la molécule antigénique sur lequel se fixe l’anticorps spécifique. Il s’agit généralement d’une séquence peptidique de petite taille. Chaque antigène a plusieurs épitopes, qui réagissent avec des anticorps de différentes spécificités et affinités. Certains de ces épitopes sont cachés ou cryptiques, ou localisés dans des zones non accessibles au système immunitaire (sperme, cristallin, etc.). Ils nécessitent parfois des modifications conformationnelles ou stéréochimiques pour entraîner une réaction du système immunitaire. Le terme d’“epitope spreading” (ES) désigne le développement d’une réponse immunitaire dirigée contre des épitopes distincts de l’épitope dominant, et ceci sans phénomène de réactivité croisée (1). En auto-immunité, il s’agit du développement d’une réponse envers des épitopes endogènes. La réponse peut s’étendre (traduction littérale d’epitope spreading) dans un second temps à différents épitopes, soit sur une molécule, soit sur des protéines différentes, et permet ainsi à l’organisme d’étendre sa réponse immune à d’autres cibles grâce à cette diversification. Ce phénomène est connu dans la réponse contre les cancers mais également dans les infections (VIH, Borrelia burgdorferi, vaccination, etc.). Dans la polyarthrite rhumatoïde (PR), les anticorps antiprotéines citrullinées (ACPA) sont présents chez 70 % des patients. Ils contribuent également au développement de la maladie dans des modèles murins. Chez l’adulte, les ACPA peuvent être présents avant le début de la maladie (2). Par ailleurs, la présence d’ACPA chez des patients ayant des arthralgies est un facteur prédictif d’évolution vers une PR. Chez ces patients, il existe une réactivité dirigée contre différents peptides citrullinés. Dans cette étude, les auteurs ont voulu démontrer qu’il existait également dans la PR un phénomène auto-immun évolutif impliquant une modification des spécificités antigéniques au cours du temps, avant même le déclenchement de la maladie. L’étude a été menée sur des patients atteints d’une PR qui avaient été donneurs de sang au préalable. La qualité de conservation des sérums a été analysée, et 70 donneurs sains ont été appariés pour l’âge et le sexe. Pour chaque patient, le dernier sérum disponible avant la date de diagnostic de la PR a été analysé. Les ACPA ont été mesurés par un test Elisa classique de type anti-CCP2 (Axis-Shield). Les facteurs rhumatoïdes de type IgM ont 100 2 3 4 60 40 5 20 n = 53 15 10 5 Années avant le diagnostic de PR 0 Nombre moyen de peptides Patients ACPA+ (%) 80 0 4 1 3 2 1 0 14 13 12 11 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1 0 n= 2 5 5 6 10 13 14 27 34 36 32 34 38 42 37 Années avant le diagnostic de PR Figure 1. Pourcentage cumulé de patients atteints de PR et ayant une réactivité aux différents peptides citrullinés testés (1, 2, 3, 4 ou 5) pour chaque patient ACPA+ (n = 53). Figure 2. Nombre médian de peptides reconnus par les patients atteints de PR au cours du temps avant le diagnostic de PR. Le temps 0 correspond à 1 an avant le diagnostic. 12 | La Lettre du Rhumatologue • No 379-380 - février-mars 2012 LR379-NN-1901_V2.indd 12 09/03/12 12:43 REVUE DE PRESSE été dosés par un test propre au laboratoire qui réalisait l’Elisa. La réactivité à 5 peptides citrullinés a été évaluée : 1 peptide cyclique dérivé de la filaggrine (CCP1), 2 peptides dérivés du fibrinogène : cFib1 (chaîne β, acides aminés 36-52) et cFib3 (chaîne α, acides aminés 36-50), un peptide citrulliné non cyclique dérivé de l’α-énolase (cEno) et un peptide dérivé de la vimentine (cVim). Les sérums ont aussi été testés pour leur réactivité en Elisa à ces 5 peptides non citrullinés (peptides de type arginine). Tous ces tests ont été validés par les auteurs, qui ont déterminé les seuils de significativité et de positivité. Dans une cohorte de 80 PR témoins, ils ont retrouvé des anticorps anti-CCP2 chez 70 % des patients, des anti-CCP1 chez 58 %, des anti-cEno chez 61 %, des anti-cFib1 chez 68 %, des anti-cFib3 chez 46 % et des anti-cVim chez 59 %. Au total, 79 patients (62 % de femmes) atteints de PR selon les critères de l’ACR 1987 ont été inclus ; 53 étaient ACPA+ et 26 ACPA−. Le temps médian entre le début des symptômes et le diagnostic de PR était de 12 mois ; 67 % des patients avaient des anti-CCP2 ou au moins une réactivité à l’un des peptides testés avant le diagnostic de PR. Dans le groupe des 53 patients ACPA+, 374 échantillons de sérum prélevés avant le diagnostic de PR ont pu être retrouvés ; seuls ceux de 4 patients ne présentaient aucune réactivité aux 5 peptides testés, tandis que ceux de 16 patients (30 %) présentaient une réactivité aux 5. Vingt-cinq patients séronégatifs sont devenus séropositifs. Pour chacun des patients qui étaient ACPA+ avant le diagnostic de PR, le premier sérum ayant une réactivité à un peptide citrulliné a été identifié. Dix-huit de ces 25 patients (72 %) présentaient une réactivité à 1 peptide, 2 (8 %) à 2 peptides, et aucun n’en présentait aux 5 sur ce premier sérum. En revanche, le nombre de peptides reconnus augmentait progressivement à l’approche du diagnostic de PR (figure 1). Initialement, cette réactivité était principalement dirigée contre cFib1 et la majorité des patients n’avait pas de facteurs rhumatoïdes de type IgM. La réactivité aux anticorps, qui était initialement dirigée essentiellement contre un seul épitope, s’est étendue progressivement à plusieurs épitopes (figure 2) : 74 % des patients avaient une réactivité dirigée contre cFib1, 66 % contre cVim, 58 % contre CCP1, 57 % contre cEno et 45 % contre cFib3. Au cours du temps, 27 patients (51 %) sont devenus positifs pour les facteurs rhumatoïdes de type IgM. V. Devauchelle-Pensec (Brest) Les patients ne répondant pas à l’étanercept ont des concentrations sériques médicamenteuses plus basses que les patients répondeurs L’objectif de cette étude était de regarder s’il existe une corrélation entre les concentrations sériques d’étanercept et la réponse clinique au traitement chez les patients atteints de polyarthrite rhumatoïde (PR). Pour cela, les auteurs ont analysé le sérum de 292 patients avant le traitement puis à 1, 4 et 6 mois. Tous les patients recevaient, en 1 ou 2 injections, 50 mg/sem. d’étanercept en sous-cutané. À tous les temps étudiés, les forts répondeurs selon les critères EULAR avaient des concentrations sériques d’étanercept plus élevées que les patients ayant une réponse moyenne ou nulle (concentrations médianes respectives à 6 mois : 3,78 mg/l [interquartile : 2,53-5,17] ; 3,10 [2,12-4,47] et 2,80 [1,27-3,93] ; p < 0,05). Parmi les patients appartenant au quartile ayant l’étanerceptémie la plus basse (< 2,1 mg/l), il y avait 40 % de l’ensemble des non-répondeurs. Les patients ayant les concentrations d’étanercept les plus basses étaient le plus souvent des femmes (89 % dans le quartile le plus bas, contre 68 % dans le quartile le plus élevé ; p = 0,002), ils utilisaient des doses de méthotrexate plus faibles (12,6 ± 9,9 mg/sem. contre 16,9 ± 10,0 ; p = 0,01), avaient un indice de masse corporelle plus élevé (27,5 ± 6,3 kg/m2, contre 24,9 ± 4,3 ; p = 0,007) et un taux de filtration glomérulaire plus haut (130,0 ± 46,6 ml/mn, contre 107,8 ± 29,4 ; p = 0,001). Aucun anticorps anti-étanercept n’a été retrouvé dans cette étude. C. Immediato-Daien (Montpellier) Commentaire En conclusion, la réactivité aux peptides citrullinés préexiste au développement de la PR. Par ailleurs, un phénomène d’“epitope spreading”, avec une réactivité antigénique initialement plutôt restreinte mais qui s’étend progressivement à l’approche du développement de la PR, semble se produire. Le rôle délétère de cette diversification antigénique n’a toutefois pas été clairement démontré. La question de la recherche non pas d’un seul épitope mais d’un épitope dominant entraînant une réactivité à plusieurs autres antigènes se pose donc à nouveau. Référence bibliographique Van de Stadt LA, de Koning MHMT, Van de Stadt RJ et al. Development of the anti-citrullinated protein antibody repertoire prior to the onset of rheumatoid arthritis. Arthritis Rheum 2011;63:3226-33. Références complémentaires 1. Lehmann PV, Forthruber T, Miller A, Sercarz EE. Spreading of T cell autoimmunity to cryptic determinants of an autoantigen. Nature 1992;358:155-7. 2. Nielen MM, Van Schaardenburg D, Reesink HW et al. Specific autoantibodies precede the symptoms of rheumatoid arthritis: a study of serial measurements in blood donors. Arthritis Rheum 2004;50(2):380-6. Commentaire Si l’association entre des concentrations médicamenteuses basses et l’absence de réponse clinique est bien connue pour l’infliximab et l’adalimumab, il s’agit du premier travail montrant cette relation pour l’étanercept, ce qui soulève la question de l’intérêt d’une augmentation des doses chez des patients non répondeurs avec une étanerceptémie basse. Par ailleurs, les concentrations d’étanercept n’étant pas liées au développement d’anticorps antimédicaments et semblant relativement stables, elles pourraient peut-être aider à prédire la réponse au traitement. Référence bibliographique Jamnitski A, Krieckaert CL, Nurmohamed MT et al. Patients non-responding to etanercept obtain lower etanercept concentrations compared with responding patients. Ann Rheum Dis 2012;71:88-91. La Lettre du Rhumatologue • No 379-380 - février-mars 2012 | 13 LR379-NN-1901_V2.indd 13 09/03/12 12:43 REVUE DE PRESSE coordonné par le Pr B. Combe Diminution de la réponse B spécifique dirigée contre le virus influenza chez les patients atteints de polyarthrite rhumatoïde traités par anti-TNF Le risque infectieux est plus grand chez les patients atteints de polyarthrite rhumatoïde (PR) que dans la population générale, particulièrement si ces patients sont traités par anti-TNF. Une des hypothèses pouvant expliquer cette plus grande susceptibilité infectieuse pourrait être une plus faible réponse humorale entraînée en partie par l’activité du rhumatisme mais aussi par les conséquences du blocage de la voie du TNF. En effet, le TNF est connu pour jouer un rôle important dans le développement et l’homéostasie du répertoire B ainsi que dans ses capacités de réponse aux antigènes, notamment par l’activation de la voie NF-κB après liaison du TNF à ses récepteurs. De plus, le TNF participe à l’organisation des centres germinatifs via l’activation des cellules dendritiques folliculaires, son blocage y provoquant alors des perturbations fonctionnelles majeures (1). Les centres germinatifs étant indispensables au déclenchement de la production d’anticorps, le blocage du TNF pourrait de fait altérer la fonction effectrice et la fonction mémoire des cellules B, contribuant ainsi à l’augmentation du risque d’infections et à une faible réponse aux vaccinations. Pour le démontrer, J.J. Kobie et al. (université de Rochester, États-Unis) ont étudié puis comparé Taux d’anticorps anti-influenza (dilutions moyennes observées) les réponses B antigrippales postvaccinales précoce (< 10 jours) et mémoire (> 1 mois) de 164 patients atteints de PR, dont certains étaient traités par méthotrexate (MTX) et/ou antiTNF, et de 97 volontaires sains servant de témoins. Après toute vaccination s’observe une réponse B effectrice transitoire où des cellules B préplasmocytaires CD19+ IgD− CD27hi CD38hi gagnent le sang périphérique. Leur taux est fortement corrélé à celui des anticorps spécifiques antigrippaux qui seront ensuite synthétisés. Dans cette étude, les taux sériques postvaccinaux (vaccin saisonnier inactivé dirigé contre 3 souches grippales) d’anticorps anti-influenza ont été mesurés tous les ans pendant au moins 2 ans, de 2006 à 2010, dans les 10 jours puis 1 et 6 mois après la vaccination, de même que les taux de cellules préplasmocytaires exprimant en surface des anticorps spécifiquement dirigés contre le virus influenza ainsi que les taux des cellules B mémoires correspondantes. J.J. Kobie et al. ont ainsi montré que les patients atteints de PR et traités par anti-TNF produisaient des anticorps anti-influenza en réponse à leur vaccination. Cependant, ces patients en produisaient significativement moins que les sujets sains et que les patients ne recevant pas d’anti-TNF (figure), tant à 1 mois (50 %, 65 % et 30 % moins d’anticorps anti-influenza H1N1, H3N2 et B respectivement) qu’à 6 mois après la vaccination. 512 De même, leur taux de 256 cellules B mémoires était 128 lui aussi significativement 64 réduit, ainsi que la réponse B spécifique anti-influenza à 32 court terme, avec significa16 tivement moins de cellules * ** ** 8 B préplasmocytaires CD19+ 0,0 0,2 0,4 0,6 0,8 1,0 IgD− CD27 hi CD38 hi chez Temps (0-1 mois) les patients atteints de PR et Témoins sains (n = 14-24) traités par anti-TNF que chez Patients atteints de PR (n = 5-7) les volontaires sains ou que Patients atteints de PR traités par MTX (n = 3-13) chez les patients atteints de Patients atteints de PR traités par anti-TNF (n = 7-13) PR ne recevant pas d’anti-TNF. * Différence significative avec les témoins sains. Cela était également corrélé ** Différence significative avec les patients atteints de PR. à une diminution significative des taux de cellules B Figure. Comparaison de l’évolution des taux postvaccinaux d’anticorps anti-influenza au cours du temps. mémoires spécifiques. V. Goëb (Rouen) Commentaire Ce travail montre que les patients atteints de PR et traités par anti-TNF produisent des anticorps antiinfluenza après vaccination à des taux présumés suffisants pour leur conférer une séroprotection antivirale efficace. Néanmoins, ces patients présenteraient une réponse immune humorale post­ vaccinale moins efficace du fait d’une moindre réponse B effectrice et mémoire, aboutissant à une production d’anticorps réduite. L’augmentation de l’incidence et de la sévérité des infections observée chez ces patients traités par anti-TNF pourrait être la conséquence d’une capacité de réponse initiale à l’antigène diminuée. Ce travail corrobore celui de L.B. Gelinck et al. (2) et de J.L. Kaine et al. (3), qui ont déjà observé une plus faible efficacité de la vaccination antigrippale chez les patients atteints de PR et traités par anti-TNF. Cependant, il va contre les résultats d’une étude de la réponse vaccinale anti-H1N1 chez des patients atteints de rhumatismes inflammatoires chroniques (4), où il n’a été relevé aucune influence négative des traitements anti-TNF, au contraire du MTX ou du rituximab reçu dans les 3 mois précédant la vaccination. En l’absence de contre-indication particulière, la vaccination saisonnière antigrippale des patients traités par anti-TNF est à encourager annuellement et selon les mêmes modalités que pour la population générale, conformément aux recommandations actuelles de la Société française de rhumatologie (5). Si d’autres études confirmaient les résultats de J.J. Kobie et al., des schémas de vaccination saisonnière – mais avec rappel systématique et/ou utilisation de vaccins antigrippaux plus immunogènes (couplés avec des adjuvants) – pourraient être des solutions pratiques à envisager pour optimiser l’efficacité vaccinale chez ces patients. Référence bibliographique Kobie JJ, Zheng B, Bryk P et al. Decreased influenza-specific B cell responses in rheumatoid arthritis patients treated with anti-TNF. Arthritis Res Ther 2011;13:R209 [Epub ahead of print]. Références complémentaires 1. Anolik JH, Ravikumar R, Barnard J et al. Cutting edge: antitumor necrosis factor therapy in rheumatoid arthritis inhibits memory B lymphocytes via effects on lymphoid germinal centers and follicular dendritic cell networks. J Immunol 2008;180:688-92. 2. Gelinck LB, Van der Bijl AE, Beyer WE et al. The effect of antitumour necrosis factor α treatment on the antibody response to influenza vaccination. Ann Rheum Dis 2008;67:713-6. 3. Kaine JL, Kivitz AJ, Birbara C, Luo AY. Immune responses following administration of influenza and pneumococcal vaccines to patients with rheumatoid arthritis receiving adalimumab. J Rheumatol 2007;34:272-9. 4. Gabay C, Bel M, Combescure C et al.; H1N1 Study Group. Impact of synthetic and biologic disease-modifying antirheumatic drugs on antibody responses to the AS03-adjuvanted pandemic influenza vaccine: a prospective, open-label, parallelcohort, single-center study. Arthritis Rheum 2011;63:1486-96. 5. Pham T, Bachelez H, Berthelot JM et al. TNF alpha antagonist therapy and safety monitoring. Joint Bone Spine 2011;78(Suppl. 1):15-185. 14 | La Lettre du Rhumatologue • No 379-380 - février-mars 2012 LR379-NN-1901_V2.indd 14 09/03/12 12:43