121
ArnaudReynaud-Revue d’Etudesen Agriculture etEnvironnement,90(2),121-154
ArnaudREYNAUD*
* LERNA-INRA, UniversitéToulouseIde Sciences sociales,21, allée de Brienne,
31042ToulouseCedex, France
e-mail : areynaud@toulouse.inra.fr
RésuDanscetarticle,nous étudionsl’impactd’épisodesde sécheresses sur lescisionsetlafonction
« objectif » d’unagriculteur.La modélisation utiliseuncouplage d’un modèle agronomique de croissance
de plante (STICS)avecun modèle d’optimisation ducomportementdesagriculteurs en univers incertain.
Sur desdonnéesde larégion Midi-Pyrénées,nous montronsquà court terme le coût induitparla
sécheresse peut être élevé. Along terme, c’est-à-dire dansle casoùles systèmesde culture peuventêtre
modifiésparl’agriculteur,le coût induitde lasécheresse est atténué de manièresensible parcescapacités
d’adaptation supplémentaires.Nous montronsensuite que lamise en place de mécanismesd’alerte
sécheresse précoce peut êtrebénéfique pour lesagriculteurs en Midi-Pyrénées.
Mots-cs: changementclimatique,risque de sécheresse, agriculture, adaptation
Short and long runadaptation of agricultureto drought risk: Assessment through coupling
of economic and biophysical models
Summary Inthisarticle,weanalysethe impactof drought risk on agriculture. Weusea biophysicalcrop growth
model (STICS) in order tosimulatecrop yield under various climaticscenarios.Amicro-economicmodel which
optimises,underclimateuncertainty,land allocation across cropsand irrigation isdeveloped toreflectfarmers
behaviour.Thisframework is used toassess the impactof drought risk on arepresentativeFrench farmerlocated in
the Midi-Pyrénées region (South-West of France). We first show that,on the short run,the privatecost of adrought
canbe high. Onthe long run,farmers can however significantly reducethiscost bymodifying theircropping systems.
We finallydemonstratethatFrench farmers maybenefitfrom the implementation of earlydroughtalert
mechanisms.
Keywords : climatechange,drought risk, agriculture, adaptation
Descripteurs JEL : Q1, D8
Adaptation à court etàlong terme de
l’agricultureau risque de sécheresse:
une approche parcouplage de modèles
biophysiquesetéconomiques
ArnaudReynaud-Revue d’Etudesen Agriculture etEnvironnement,90(2),121-154
122
1. Introduction
Dans son dernier rapport,le Groupe d’experts inter-gouvernementalsur l’évolution
duclimat(GIEC) indique quele réchauffementdu système climatique est sanséquivoquecar
misen évidence pardesobservations sur l’augmentation des températuresde l’airetdesocéans,la
fonte généralisée desglaciers et une augmentation globale duniveaumoyen desmers », IPCC
(2007). Cerapport précise que l’on doit sattendre dansle sud de l’Europe àdes
conditionsclimatiquesplus difficiles(sécheresses,températuresplus élevées) etàune
baisse de ladisponibilité de laressource en eau1 .Même danslespays d’Europe du
Nord,plus épargnéspour le moment,le processus de changementclimatiquese
traduirapar une augmentation de lafréquence desépisodesde sécheresse estivale
( EuropeanEnvironmentalAgency[ EEA] ,2007). LEEA indique de plus que 17% de la
population en Europe a connu un épisode de sécheresse entre2001-2006 contre6%
entre 1976 et1980.
La question n’est doncplus de savoir si l’agriculturevadevoir sadapteràdes
conditionsclimatiquesdifférentesde cellesque nous connaissonsactuellement,mais
bien commentelle vapouvoirle faire. Ilsagitd’une question importantecar
l’agriculture est le secteur économique pour lequel lesépisodesde sécheressese
traduisentparlesperteslesplus élevées.Lerapport EEA (2007) indique,parexemple,
que le coût des sécheressesauPortugal,en 2004 et 2005, a été pour les secteurs de
l’industrie,de l’énergie etde l’agriculturerespectivementde 32,261 et519 millions
d’euros.EnFrance,laperte pour le secteur de l’énergie liée àlasécheresse en 2003 est
estimée à300 millionsd’euroscontre 590millionspour l’agriculture (EEA, 2007).
L’importance de cescoûts justifie pleinementque l’on s’interroge sur lescapacités
d’adaptation de l’agricultureauchangementclimatique et,notamment, au risque de
sécheresse.
Lanalyse descapacitésd’adaptation de l’agricultureau risque de sécheresse
couvreunchamp très vaste de recherchesen économie agricole, champ quivade
l’étude deschoixd’adoption de technologie d’irrigation 2 , à l’analyse de la couverture
des risquesde production pardes systèmesd’assurance3 ,en passantparle
veloppementde modèlesdynamiquesd’optimisation des stratégiesd’irrigation de
l’agriculteur aucours d’une campagne d’irrigation 4 .On propose danscetarticle une
analyse descapacitésd’adaptation de l’agricultureau risque de sécheressereposant sur
uncouplage d’un modèle économique etd’un modèle biophysique de croissance de
1Déjà, quatre pays en Europe (Chypre, Malte, Espagne etItalie) sonten situation de stress
hydrique, c’est-à-dire qu’ilsprélèventplus de 20 % des ressourcesen eaudisponible àlong terme
(EEA, 2007).
2Voir,parexemple, Caswell etZilberman (1985) ouKoundourietal. (2006).
3Voir,parexemple, Mahul etWright(2003).
4Lesthodesde programmation dynamiquestochastiquesontdanscecascouramment utilisées.
Le lecteur intéressé pourra consulterBurt etStauber(1971), Yaron etDinar(1982) etRaoetal.
(1990)comme référencesessentiellesde cette littérature. Une application plus récente de cetype
d’approche dansle casfrançaisest Couture (2000).
123
ArnaudReynaud-Revue d’Etudesen Agriculture etEnvironnement,90(2),121-154
plante5 .Onutilise le modèle biophysique de manièreàsimulerle processus de
croissance desculturespour différents itinéraires techniques,notammentdifférents
vecteurs d’apports en eau tout aulong de la campagne d’irrigation. Les sortiesdu
modèle agronomiqueserventalors d’entrée àun modèle économique qui décritle
comportementde maximisation de lafonction « objectif » de l’agriculteur.L’emploi
d’unsimulateur agronomique permetd’acquérirdesdonnéesfines sur les relations
entrecalendriers d’irrigation etniveauphysique de laproduction. Pour étudier
l’impactde lasécheressesur le comportementetlafonction « objectif » de
l’agriculteur,il paraîten effetpeuapproprié de se limiteraux donnéesgénéralement
utiliséesparleséconomistesagricolesqui portenten généralsur larelation entre
rendementet volume d’eautotal ,maispas sur les relationsentre l’output etla
répartition intra-annuelle de cevolume 6 .En outre,unsimulateur constitueun
moyen peucoûteux de générerdesdonnéespour différentesconditions
téorologiques,touteschoseségalesparailleurs.Il est alors possible d’isolerla
variabilité des rendements dueauclimatetde mettre en lumière le rôle joué par
l’irrigation (Flichman etJacquet,2003).
Lesapports de cetarticle sesituentàdeux niveaux.Dabord,en termes
thodologiques,nous montronscomment une approche parcouplage de modèles
économiquesetbiophysiquespermetd’analyserl’impactdu risqueclimatiquesur les
cisionsdesagriculteurs et, ainsi,de mesurerleurs capacitésd’adaptation faceà ce
risque. Par rapport àlalittérature existante,nous proposonsde distinguerlescapacités
d’adaptation de court terme (choixde stratégie d’irrigation) etcellesde long terme
(choixd’assolements). Ensuite,en termesempiriques, ce modèle est appliquéaucas
d’unagriculteur représentatif en grandescultures,situé danslarégion Midi-Pyrénées.
Nous fournissonsalors uncertain nombre d’éléments empiriques(mesure de primesde
risque,sensibilité descisionsàl’aversion au risque desagriculteurs)susceptibles
d’aideràlaprise de décisionspubliquesconcernantnotammentlamise en place de
canismesd’alertesécheresse précoce.
5Lecouplage de modèlesde croissance de plantesavecdesmodèleséconomiques s’inscritdans une
tradition quiremonteaubut desannées1990.Cettetradition aété largementinitiée aux Etats-
Unisparle ministère de l’Agriculture (USDA) qui étaitalors fortementpréoccupé parlamise en
place d’une politique efficace de conservation des solsagricoles.Les travaux utilisantdesthodes
de couplage ontensuite portésur desproblèmesde gestion de lapollution diffuse d’origine
agricole,voirMapp etal. (1994) etBouzaheretal. (1995). Lesapprochesparcouplage de modèles
économiques(oude modèlescisionnels)avecdesmodèlesde croissance de plantes sont
maintenantde plus en plus fréquentesdansle contexteagricole. Voir,parexemple, Bergezetal.
(2001) pour une application scifiqueaupilotage de l’irrigation dumaïsouFlichman etJacquet
(2003) pour une présentation plus générale de l’intérêtde cesapprochespour l’évaluation des
politiqueséconomiques.
6Les stratégiesd’esquive en casde sécheresse nécessitent,parexemple,de connaître larelation
entre lesapports en eauaux différentesdatesd’une campagne d’irrigation etle rendementfinal. Or,
en économie de laproduction agricole,l’eauest en généralconsidérée comme un facteur agrégé, au
même titre que lesengraisoule travail. Just etPope (2002) ont rappelé que lanon-prise en compte
de l’hétérogénéité individuelle peut aboutiràdesbiaisimportants de scification des technologies.
ArnaudReynaud-Revue d’Etudesen Agriculture etEnvironnement,90(2),121-154
124
Lereste de l’article est organisé de lamanièresuivante. Danslasection suivante,
nous rappelonsbrvementlalittérature en économie agricole quitraite descapacités
d’adaptation de l’agricultureau risque de sécheresse. La section 3est ensuiteconsacrée
aumodèle économique. Danslasection 4,nous présentons une application de ce
modèle aucasdesgrandesculturesen Midi-Pyrénées.La section 5 est consacrée à
l’analyse des résultats des simulationséconomiques,notammentdansle casd’unrisque
de sécheresseaccru.
2.Adaptation de l’agricultureau risque de sécheresse:
une revue de lalittérature
Lespossibilitésd’adaptation de l’agricultureau risque de sécheresserelèvent soitde
cisionscollectives(réorganisation desfilières,transferts d’eauentrerégionsouentre
usages,nouvelles sourcesd’approvisionnementen eau,etc.),soitde décisions
individuelles(modificationsdesitinéraires techniques, changements de systèmesde
culture, couverture du risque pardes systèmesd’assurance,etc.) (voirAmiguesetal.,
2006)7 .Danscetarticle,nous nous limitonsàl’analysedescapacités techniques
d’adaptation de l’agricultureau risque de sécheresseviadescisionsindividuellesen
distinguantles stratégiesde court etde long termes8 .
2.1. Lescapacitésd’adaptation à court terme
A court terme (c’est-à-direàune échelle intra-annuelle),leschoixde culture etde
technologie d’irrigation ontété faits et seulslesfacteurs variables(eau,engrais,
pesticides,etc.) peuventêtreajustésen fonction des réalisationsdu risqueclimatique
oudesanticipationsde l’agriculteur.La question quise pose est alors de déterminer si
lesfacteurs de production variablespermettentde limiterl’impactdu risque de
sécheressesur lafonction « objectif » de l’agriculteur.
Cette question s’insère d’abord dans unchamp beaucoup plus vaste en économie
agricole quiviseàterminerlesliensentre niveaudesfacteurs de production,
rendementde laproduction et variabilité du rendement:voirJust etPope (1979,
1978) ouAntle (1987). Just etPope (1979,1978) ont,parexemple,proposéune
fonction de production qui permetde décrire leschoixd’intrants en fonction de leur
impactdifférencsur le rendementesré et sur lavariance de ce dernier.Pour la
production de maïsetd’avoine aux Etats-Unis, Just etPope (1979) concluentquesi
l’utilisation intensive d’engraisaccrtl’esrance de production,elle augmente
également significativementlavariabilité de ces rendements, ce qui peut setraduire
par une baisse dubien-être de l’agriculteur.
7Ladaptation parlavoie génétiqueconstitueune autre possibilité. Si lesmedias sesontfaitl’écho
de résultats intéressants concernantlasurvie àlasécheresse,le maintien paramélioration génétique
de rendements élevésen condition de stress hydrique n’est pasencoreàl’ordre dujour (Itier,2008).
8Unautre moyen pour unagriculteur de secouvrircontre le risque de sécheresse est d’avoir
recours àdes systèmesd’assurance publique ouprivée. Nous renvoyonsà Coble etal. (2000) pour
une présentation récente descanismesd’assurancerécolte.
125
ArnaudReynaud-Revue d’Etudesen Agriculture etEnvironnement,90(2),121-154
La question de l’adaptation de l’agriculteur au risqueclimatiqueviades
modificationsdescisionsd’irrigation asouventétéabordée parle biaisde modèles
de programmation mathématique (programmation dynamique ouprogrammation
dynamiquestochastique). Lutilisation de modèlesmathématiquesdynamiquespour
analyserle problème de l’allocation intra-saisonnière de l’eaupour l’irrigation afaiten
effetl’objetd’étudesparleséconomistesdepuisle début desannées1970.Parmi les
travaux importants,on peut citerDudleyetal. (1971) qui déterminent,en univers
risqué,la conduite d’irrigation optimale aucours d’une saison. Yaron etDinar(1982)
analysentl’allocation optimale de l’eaud’irrigation durantdesriodesde pointe pour
une exploitation qui produitplusieurs cultures.Plus récemment, Raoetal. (1990)
utilisent un modèle de programmation linéaire etdynamique pour étudier un
problème similaire.
Entermesde politiquespubliques,une question importante quiaémergé de cette
littératuresur la conduite optimale de l’irrigation en univers incertain est celle de la
mesure de lavaleur de l’information pour l’agriculteur, c’est-à-dire dumontant
monétaire queseraitprêtàpayerl’agriculteur pour disposerd’une information corrélée
avecle risqueauquel il faitface9 .Bosch etEidman (1987),parexemple,ontterminé
le montantqueseraitprêtàpayer unagriculteur pour obtenir une information plus
précisesur laréserveutile,la croissance de laplante etle climat.Ilsmontrentque la
valeur de l’information est d’autantplus élevée que l’eaupour l’irrigation est limitée et
que la capacité de rétention de l’eauparle sol est faible. Ilsmontrentaussi que le
montantque l’agriculteur est prêtàpayerpour obtenir une meilleure information
dépend de son attitude faceau risque etaugmentesubstantiellement si laressource en
eauest limitée.
2.2.Lescapacitésd’adaptation àlong terme
Along terme (c’est-à-direàune échelle pluriannuelle), à lafoisles technologies
d’irrigation etleschoixde systèmesde culture peuventêtre modifiésparl’agriculteur
de manièreà atténuerl’impactde laréalisation des sécheresses.
2.2.1. Changementde technologie d’irrigation
Leseffets de l’incertitude climatiquesur leschoixd’adoption de technologie
d’irrigation ontfaitl’objetde nombreusesétudesen économie agricole :voirCaswell et
Zilberman (1985), Schaible etal. (1991) ouencoreKoundourietal. (2006). Zilberman
etal . (2003) indiquentparexemple quàlasuite de cinq annéesde sécheresse entre
1987et1991,la Californie s’est engagée dans un processus d’intensification du recours
àdes technologiesd’irrigation performantes.Ainsi,l’irrigation pargoutteàgouttea
augmenté de 40% pour lesfruits etla culture deslégumes sur cette période. Sur des
donnéeshistoriquesplus longues, Zilbermanetal. (2003)retrouventencorece
phénomène. Ilsindiquenten effetque l’irrigation n’aen fait réellementprogressé en
9Une mesure de lavaleur de l’information constitue en effet un élémentimportantpour conduire
une analysecoût/bénéfice de lamise en place de systèmesd’alertesécheresse précoce.
1 / 34 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !