Page 5 - Pastel - La revue - juin 2013
Dans les pays où l’armée tourne le dos à la nation,
la démocratie est remise en cause et c’est la dicta-
ture qui nit par s’installer. Il serait cependant erro-
né de limiter la nalité de défense à des objectifs
strictement militaires. Dès le début du XXe siècle, l’armée joue
un rôle majeur dans la défense et la consolidation de l’idéal et
de l’ordre républicains. La conscription, rendue universelle en
1905, donne même à l’armée un rôle essentiel d’intégrateur
social. La défense n’est pas simplement celle d’un territoire :
elle relève aussi de la protection des personnes et des biens
face à toutes les menaces qui peuvent peser sur leur sécurité.
La prévention et la gestion des risques qui affectent notre envi-
ronnement de même que la mise en œuvre des stratégies de
résilience post-catastrophe concernent également la défense.
C’est pourquoi l’acquisition de l’esprit de défense est au cœur
des apprentissages de la citoyenneté, tous les acteurs de la
vie démocratique sont concernés. Pour autant, l’émergence
d’un esprit de défense ne va pas de soi : il est d’ailleurs pos-
sible de s’interroger, en ce début de XXIe siècle, sur l’évolution
du lien entre la nation et son armée. La mondialisation et la
construction européenne tendent par exemple à remettre en
cause le caractère strictement national de la défense. Plus lar-
gement, la défense d’un haut niveau de sécurité des biens et
des personnes ne risque-t-elle pas de se faire au détriment de
certaines libertés ?
Quelle place pour l’armée dans la nation et la démocratie ?
La défense est pleinement intégrée dans le champ démocra-
tique. Le budget de la défense est débattu et voté par le par-
lement. A travers ses impôts, chaque citoyen contribue à nos
capacités militaires. Le Livre blanc sur la défense et la sécu-
rité nationale - le dernier date de 2008 - est soumis au débat
public. Par ailleurs, l’article 35 de la constitution de la Vème
République précise que «La déclaration de guerre est autori-
sée par le Parlement. Le gouvernement informe le Parlement
de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étran-
ger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention.
(…) Lorsque la durée de l’intervention excède quatre mois, le
gouvernement soumet sa prolongation à l’autorisation du Par-
lement». Le contrôle démocratique s’exerce donc incontesta-
blement sur l’institution militaire, d’autant plus aisément que le
chef des armées n’est autre que le président de la République.
Notons également que le droit, dans lequel s’inscrivent les ins-
titutions de la défense, n’est plus simplement national, il est
aussi européen et international.
La défense n’est cependant pas toujours aisément conciliable
avec la démocratie. Les opérations militaires, y compris dans
le cadre de la lutte contre le terrorisme, supposent une part im-
portante de secret. L’exigence démocratique de transparence
de l’information peut alors mettre en danger la réussite de
l’opération et la vie de nos soldats. L’équilibre entre nécessaire
secret militaire et devoir d’information1 est précaire : l’armée
américaine pratique par exemple l’embedding : des reporters
sont assermentés par l’armée qu’ils accompagnent sur les
théâtres d’opérations et ils s’engagent à ne pas transmettre
certaines informations telles que la planication des mouve-
ments ou la position et la taille des unités. L’enjeu majeur pour
les démocraties réside donc dans la frontière entre ce qui doit
être nécessairement secret et ce qui peut être rendu public.
Une autre limite à la participation des citoyens aux débats
concernant la défense est liée au très haut niveau technolo-
gique des équipements militaires. Seuls quelques experts sont
alors en mesure de donner des avis autorisés aux élus sur
des choix d’investissements qui engagent notre défense sur
le long terme, bien au-delà du temps démocratique du mandat
de l’élu. Il s’agit ici d’un enjeu démocratique essentiel : quel
équilibre doit s’établir entre régime de l’expertise scientique et
légitimité démocratique de l’élu ?
Les relations entre les citoyens et leur armée sont un objet de
débats. La thématique d’une crise entre l’armée et la nation
Défense, démocratie
et citoyenneté :
une synergie forte mais complexe
Alain Joyeux,
professeur en classes préparatoires
aux grandes écoles de commerce,
lycée Joffre de Montpellier. (34)
Chargé de cours
à l’université de Montpellier III
Poser la question du lien entre la défense et la démocratie
revient très souvent à s’interroger sur les relations entre
l’armée et la nation. Celles-ci sont essentielles au
fonctionnement de la démocratie.
D
1 Georges Roques et Alain Joyeux, «Le rôle des médias en cas de conits»,
Diplomatie, n°44, 2010.