Le bleu de pastel : note technique / par Karine Garcia et Andrée Rigaux, BnF, Atelier du
département des Estampes et de la Photographie, restauratrices.
De nombreux dessins et estampes réalisés sur papier bleu sont conservés dans les collections
du département des Estampes de la BnF. Il nous est apparu intéressant de mieux connaître les
pigments et colorants utilisés pour la fabrication de ces papiers, et plus particulièrement le pastel,
plante qui fut très employée en France dans le domaine de la teinture textile et de la papeterie jusqu'au
XIXe siècle.
L’Isatis tinctoria est une plante bisannuelle à fleurs jaunes et à feuilles vertes, lisses et
oblongues, abondamment cultivée autrefois pour la production d’une teinture bleue : le pastel.
Cette plante est également connue à travers l’Europe sous le nom de « guède » ou de « pastel des
teinturiers ». Ses feuilles contiennent de l’indigotine (ou indigo), principe colorant bleu
particulièrement stable et utilisé depuis l’Antiquité aussi bien comme pigment que comme teinture. La
teinture bleue est extraite des feuilles arrivées à maturité. Elles sont écrasées et mélangées dans l’eau
afin d’en retirer une pâte que l’on presse et que l’on façonne sous forme de boules ou « cocagnes »
d’une dizaine de centimètres de diamètre. Ces cocagnes fermentent en séchant pendant un à deux mois
puis elles sont écrasées dans un moulin. La matière ainsi obtenue est additionnée d’urine afin de
provoquer une oxydation : on obtient ainsi une nouvelle pâte qui, séchée à son tour, donne une poudre
tinctoriale concentrée en indigotine.
L’indigo est une molécule chimique n’existant pas à l’état naturel dans la plante ; les feuilles du pastel
renferment un simple « précurseur » : l’Isatan B initiateur d’un ensemble complexe de réactions
conduisant à la formation de l’indigo. Le pigment obtenu à partir du pastel est quant à lui un sous-
produit de la teinture : c’est l’écume ou fleurée, recueillie à la surface des bains de teinture qui, une
fois séchée, fournit une poudre bleue employée par les artistes.
Le
XIIe siècle voit fleurir le pastel aux quatre coins de l’Europe. L’Allemagne, l’Italie,
l’Angleterre, l’Espagne et bien sûr la France le cultivent. On en trouve en Picardie et en Normandie,
puis progressivement en Albigeois et dans le Midi toulousain.
Le pastel fut la seule source de teinture bleue disponible en Europe jusqu’à la fin du XVIe siècle avant
que le développement des routes commerciales vers l’Extrême-Orient et le Nouveau Monde permette
l’arrivée de l’indigo extrait des indigotiers.
En France, le « triangle d’or » compris entre Toulouse, Albi et Carcassonne connaît une grande
prospérité grâce au commerce de cette plante. Les pastelliers figuraient en effet parmi les fortunes de
l’époque et ont laissé de nombreux témoignages de cette prospérité, tels les grands hôtels particuliers
de Toulouse.
Du commerce des « coques » de pastel est né l’appellation de « Pays de Cocagne ». Ces coques
transitaient dans les ports français de Bordeaux, Marseille et Bayonne. Le début du XVIe siècle marque
véritablement l’apogée de la culture du pastel en Occitanie, le bleu de pastel étant devenu un produit
de luxe. Cet âge d’or durera encore une soixantaine d’années.
La culture du pastel en Europe a décliné peu à peu avec l’arrivée de l’indigo des Indes au XVIIe
siècle et a quasiment disparu à la fin du XIXe siècle. Actuellement, plusieurs universités de Toulouse
s’intéressent au pastel et à ses éventuelles applications dans le domaine scientifique.
BANESSY, Sandrine. Le pastel en pays d'Oc. Edisud, 1999.
CARDON, Dominique. Guide des teintures naturelles : plantes-lichens, champignons, mollusques et insectes. Delachaux et
Niestlé, 1990.
BRUCKLE, Irene. « Historical manufacture of blue paper ». The paper conservator, 1993, n°17, p. 20-31.
COUPRY, C et PERKINSON, R. « Les papiers bleus: identification des colorants ». Technè, 1996, n° 4, p. 99-107.
LETESSIER, Corinne. « Restauration d'un carton sur papier bleu d'après Dominiquin ». Sauvegarde et conservation des
photographies, dessins, imprimés et manuscrits : actes des journées internationales d'études de l'ARSAG, Paris 30 sept - 4
oct.1991, p.172-176.
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Journée Inter ateliers : 2008 — Karine Garcia & Andrée Rigaux — Le bleu de pastel : note technique, 1 p.
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