Le Monténégro et son intégration dans le royaume S.H.S.

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Le Monténégro et son intégration dans le
royaume des Serbes, Croates et Slovènes
(1914-1921)
Guillaume Balavoine
[www.guillaume-balavoine.net]
Mémoire de maîtrise d'histoire d'histoire contemporaine
UFR 09 de l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
mention: histoire de l'Europe Centrale et de l'Allemagne contemporaine
sous la direction de M. Bernard Michel
soutenu en septembre 1993
Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921)
Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I
(Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro
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Table des Matières
Avant-propos ......................................................................................3
Introduction .......................................................................................4
1. Le Monténégro dans le conflit (1914-1916) ................................................9
I. La situation des Balkans en 1914 ........................................................ 10
A. La Ligue Balkanique ................................................................... 10
B. Les Guerres Balkaniques .............................................................. 12
C. Une paix précaire ...................................................................... 14
II. L'entré en guerre ......................................................................... 17
A. La situation du Monténégro en 1914 ................................................ 17
B. Le Monténégro dans le conflit........................................................ 18
C. Le Monténégro et les Alliés ........................................................... 21
III. Vers le désastre .......................................................................... 27
A. Le front d'Orient et les Alliés......................................................... 27
B. La retraite serbe ....................................................................... 28
C. Janvier 1916 ............................................................................ 30
2. L'exil (1916-1918)............................................................................ 34
IV. Un royaume en exil ...................................................................... 35
A. Les "intrigues monténégrines" ........................................................ 35
B. Les rapports avec les Alliés ........................................................... 37
V. Les rapports serbo-monténégrins....................................................... 42
A. La Serbie, le Monténégro et l'union ................................................. 42
B. Radovitch et le Comité Monténégrin pour l'Union Nationale ..................... 44
C. La légion monténégrine ............................................................... 46
VI. 1918 et la victoire alliée ................................................................ 50
A. La victoire Alliée dans les Balkans... ................................................ 50
B. ... Et ses conséquences sur le Monténégro ......................................... 51
C. La fin des Petrovitch-Niegoch ........................................................ 53
3. Le rattachement au royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1918-1921) ........ 58
VII. Les Alliés et l'occupation du Monténégro ............................................ 59
A. L'occupation Alliée du Monténégro .................................................. 59
B. Le Monténégro passe sous administration serbe ................................... 60
VIII. La résistance à "l'annexion" ........................................................... 64
A. La politique de Nicolas ................................................................ 64
B. Insurrection et conflit Verts/Blancs ................................................. 65
IX. Le sort du Monténégro .................................................................. 69
A. Le Monténégro devant la Conférence de la Paix................................... 69
B. Les élections à la Constituante et la reconnaissance de l'union ................. 71
Conclusion ....................................................................................... 76
Annexes .......................................................................................... 81
Bibliographie ................................................................................... 109
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Avant-propos
Pour des raisons de commodité, vis-à-vis de mes sources (et aussi pour des problèmes
de police), j'ai repris la transcription de la langue serbo-croate en vigueur à l'époque
des faits, que ce soit pour les noms communs ou les noms propres, et non la
transcription en latinica en vigueur aujourd'hui:
Tz ou ts = c par exemple Podgoritza pour Podgorica
Tch = c (avec un accent aigu) par exemple Radovitch pour Radovic
Ch = s (avec un accent circonflexe inversé) par exemple Pachitch pour Pasic
Ou = u par exemple skoupchtina pour skupstina
J = z (avec un accent circonflexe inversé) par exemple joupan pour zupan
De plus, il peut s'avérer que des noms de localité aient changé au cours de l'histoire,
en changeant notamment de pays. Là aussi, je reprends l'orthographe la plus
couramment employée à l'époque des événements:
Scutari = Skadar en serbe, aujourd'hui Shkodër en Albanie
Cettigné = Cetinje
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Introduction
La crise yougoslave qui s'étale depuis maintenant deux ans à la une des presses du
monde entier a provoqué chez les Européens, peut-être à cause de leur impuissance,
un regain d'intérêt, teinté d'inquiétude pour les Balkans que l'on avait pour habitude
de qualifier de poudrière avant 1914. Cette guerre qui par bien des aspects
s'apparente à une véritable guerre civile entre les différents peuples qui composaient
la nation yougoslave, marque la fin d'une idée qui avait donné naissance à un État à la
fin du premier conflit mondial; la Yougoslavie.
Celle-ci avait déjà connu de nombreux soubresauts qui ont notamment conduit à une
première disparition lors du partage de 1941, puis à sa résurrection sous l'égide de
Tito en 1945 sous la forme d'une fédération yougoslave. C'est pourquoi on est
aujourd'hui conduit à parler d'une troisième Yougoslavie lorsque l'on évoque la
fédération, issue de la dislocation de la Yougoslavie titiste et qui unit la Serbie et le
Monténégro.
Par son rôle de fidèle et unique partenaire de la Serbie au sein de cette fédération, le
Monténégro a retrouvé tout son intérêt notamment en tant qu'unique débouché sur la
mer de cette nouvelle Yougoslavie. Cette république de l'ex-Yougoslavie voulue par
Tito, ne doit son existence en tant que nation, et ce bien que les Monténégrins soient
de langue serbe et de religion orthodoxe, qu'à une longue tradition d'indépendance.
En effet, de tous les peuples yougoslaves, eux seuls n'ont jamais subi la domination
d'une puissance extérieure, notamment turque, ce qui vaut au Monténégro d'être
affublé du qualificatif de "village d'Astérix" dans l'ouvrage de Paul Garde [1], et ce
jusqu'en 1918 où il est rattaché au royaume des Serbes, Croates et Slovènes (S.H.S.).
La fin du premier conflit mondial se solde donc par la disparition de ce petit royaume
balkanique. On peut donc légitimement se poser le question de savoir, comment un
État qui a participé au conflit aux côtes des Alliés, a-t-il pu disparaître ainsi de la
carte politique européenne et ce après plus de cinq siècles d'indépendance? C'est
cette question qui m'a poussée à poursuivre une étude un peu plus approfondie, après
un travail personnel au cours de mon année de licence sur le Monténégro durant la
Grande Guerre, sur les raisons et les conditions de sa dilution au sein du royaume
S.H.S.
Adossé aux Alpes dinariques, dont les pieds baignent dans l'Adriatique face à l'Italie,
le Monténégro est entouré au Nord-Ouest par le puissant voisin autrichien avec
l'Herzégovine et la Dalmatie, à l'Est depuis 1913 par le royaume de Serbie grâce à la
conquête du Sandjak de Novi-Pazar [2] et au Sud par la toute nouvelle Albanie, voulue
par les grandes puissances et notamment l'Autriche-Hongrie et l'Italie. Petit pays par
la superficie; 14180 km2 dont 5100 annexés en 1913, pays de montagnes, difficile
d'accès, "Quand dieu créa le monde, il tenait à la main un sac plein de montagnes,
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mais le sac vint à crever au-dessus du Monténégro et il tomba cette masse effroyable
de rochers" [3]. Pauvre et peu peuplé malgré l'apport d'une nouvelle population avec
l'annexion de la riche plaine de la Metohija [4] (435 000 habitants en 1914 contre 285
000 avant 1913), il n'en est pas moins fier de sa longue histoire et de son combat
contre l'Empire Ottoman qui expliquent notamment le rôle disproportionné que jouait
ce pays dans les Balkans par rapport à sa taille.
Le Monténégro fait sa première apparition dans l'histoire au cours du XI siècle mais
sous un autre nom; le royaume de Zeta du knez [5] Voislav. Son fils Michel (Mikailo)
pour renforcer son pouvoir et se détacher de la tutelle de Byzance [6] obtient du
pape en 1077 le titre royal et fixe sa capitale à Scutari [7]. Par la suite, la Zeta se
trouve rattachée à la Rascie [8] par l'action du grand joupan [9] Étienne Nemanja. La
mort d'Étienne Douchan en 1355 puis la défaite de Lazare devant les Ottomans en
1389 à Kosovo-Polje marquent la fin de l'Empire serbe et sa décomposition. Une
dynastie locale, les Balchides, s'empare du pouvoir en 1360 pour le conserver jusqu'en
1421, date à laquelle elle est remplacée par les Brankovtch puis les Crnojevitch en
1439. Pour faire face à la menace turque, ces trois familles tissent des liens avec la
république de Venise qui en échange reçoit des positions sur le littoral. Cependant
cette alliance restera sans effet, puisque lorsque le sultan Mehmed II s'empare de
Scutari en 1479, Venise n'intervient pas. Ivan Crnojevitch (1465-1490) est donc obligé
de transférer sa capitale plus à l'intérieur des terres, au pied du mont Lovtchen à
Cettigné [10]. Il y installe le métropolite ainsi qu'une imprimerie (la première du
monde slave). Installée dans ces montagnes, la principauté prend le nom de
Monténégro (Crna-Gora en serbe) en lingua franca qui était la langue utilisée par les
marins vénitiens.
À la disparition des Crnojevitch en 1496, le Monténégro est placé sous la suzeraineté
théorique du sultan qui faisait prévaloir ses droits en envoyant périodiquement des
expéditions militaires pour prélever le kharadj [11]. Réfugiés dans les montagnes, les
Monténégrins se réunissent autour du monastère de Cettigné. Se met alors en place
une théocratie élective avec à sa tête un prince-évêque: le vladika [12]. À cette
charge est adjointe celle moins prestigieuse de gouverneur civil: le governador. Mais
en réalité l'autorité réelle dans ces montagnes appartenait aux chefs des quelques 30
tribus, assistés de leur conseil d'ancien, qui levaient les taxes et rendaient une justice
clanique basée sur la vendetta.
Cette anarchie tribale, semblable à celle que connue l'Albanie jusqu'au XX siècle,
continue jusqu'en 1696 date à laquelle la charge de vladika est attribuée à Danilo
Petrovitch-Niegoch (1696-1735). Elle ne quittera alors plus cette famille, sauf
épisodiquement, et se transmettra jusqu'en 1918 d'oncle à neveu. Il réussit à fédérer
autour de lui les différentes tribus ainsi qu'à éliminer la population musulmane des
hautes terres en 1702 lors des "Vêpres monténégrines". En 1711, il noue des relations
avec la Russie de Pierre le Grand qui versera un subside annuel au Monténégro
jusqu'en 1916. Son successeur Sava (1735-1782) continuera la même politique de
désenclavement en nouant une alliance avec la république vénitienne. Son règne est
marqué par l'épopée extraordinaire d'un jeune paysan, Etienne Mali qui réussit à se
faire passer pour Pierre III, le tzar assassiné par son épouse Catherine II. Il réunit
autour de lui de nombreux partisans et prend part à de nombreux combats contre les
Turcs en Bosnie. Il réussit même à s'imposer et à dominer le pays en 1773, mais il
meurt assassiné l'année suivante.
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En 1782, Pierre Ier accède à la charge de vladika et s'emploie durant son long règne
de 48 ans à moderniser son pays; création d'une assemblée des tribus, d'un tribunal
avec un code des lois. Mais en fait, durant tout son règne, il ne fit que lutter pour
imposer aux tribus le paiement des taxes ainsi que sa justice. Ce n'est qu'a la veille de
sa mort en 1830 qu'il réussit réellement à imposer son autorité de vladika, en
éliminant la famille des Radnojitch qui détenait la charge de governador, qu'il fit
supprimer. En matière de politique étrangère, Pierre qui fut plus tard canonisé et
enterré sur le mont Lovtchen poursuit la politique d'alliance avec la Russie en luttant
contre l'Empire ottoman ce qui lui permet d'arracher en 1799 cette déclaration: "les
Monténégrins n'ont jamais été sujets de la Sublime Porte [13]", véritable
reconnaissance d'indépendance. Il participe aussi aux guerres napoléoniennes aux
côtes des Russes en occupant les Bouches de Cattaro [14] qu'il devra évacuer en 1815
au profit de l'Autriche.
Pierre II, son neveu reprend donc la charge de prince-évêque (1830-1851). Élevé en
Russie, celui-ci s'intéresse plus à la poésie qu'à sa fonction religieuse (il est à ce titre
reconnu comme l'un des plus grands poètes de langue serbe avec notamment la
Guirlande des Montagnes en 1845 ou il évoque la lutte ancestrale entre son peuple et
les Ottomans en exaltant la nation serbe et la foi orthodoxe). Habile diplomate (il
réussit en 1841 à fixer ses frontières avec l'Autriche), son règne se caractérise surtout
par une politique de modernisation du pays et de renforcement du pouvoir central
(création d'une garde permanente). Son neveu Danilo II, lui aussi élevé en Russie,
refuse de revêtir la charge d'évêque et avec l'aide de l'Autriche et de la Russie laïcise
la charge de vladika en prenant le titre de gospadar [15]. Il s'oppose en cela à la Porte
qui voulait rétablir l'ordre ancien. Il fait alors appel à Vienne qui rappelle à la Sublime
Porte la déclaration de 1799. Sur l'injonction de cette même capitale, il doit renoncer
à aider la Russie en 1856 lors de la guerre de Crimée. Au traité de Paris qui suit ce
conflit, la Porte voulut faire valoir ses droits sur le Monténégro, mais Napoléon III s'y
opposa en envoyant sa flotte au large des côtes monténégrines. Il meurt assassiné par
un proscrit en 1860 à Cattaro.
Son épouse réussit à imposer aux tribus son neveu Nicolas Ier (Nikita), le fils de Mirko,
frère de Danilo, qui avait sévèrement battu les Turcs à Grahovo en 1858. Sur le plan
intérieur, Nicolas octroie une constitution en 1905 et favorise le développement
économique de son pays. Sur le plan extérieur, il réussit à légitimer
internationalement la principauté, qui deviendra un royaume en 1910, au Congrès de
Berlin en 1878 qui reconnaît l'indépendance du Monténégro. Ce même congrès lui
accorde des extensions territoriales au Nord et à l'Est avec des villes comme Nikchitz
et Podgoritza [16] plus un accès à la mer avec le port d'Antivari que complétera en
1881 l'acquisition de Dulcigno [17]. L'alliance avec la Russie se maintient [18] et
même se renforce grâce à une habile politique dynastique de mariage de ses filles à
deux grands-ducs russes. Il poursuit cette politique en mariant sa fille Hélène au roi
d'Italie Victor Emmanuel III. Ce mariage, au contraire, marque un changement
d'orientation dans ses alliances puisque depuis 1878, il se détourne de l'Autriche au
profit de l'Italie qui marque un intérêt particulier à être présente dans cette région en
participant notamment à son développement économique.
Telle est donc la situation en 1912 à la veille de la première guerre balkanique.
Pourtant six ans plus tard, à la suite du conflit mondial, le royaume de Monténégro
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n'existe plus. Celui-ci se trouve intégré au sein du royaume de Serbie qui lui-même
s'associe aux autres Slaves du Sud pour former le royaume S.H.S., dont le nom ne fait
aucune mention à l'ancien royaume monténégrin. Comment expliquer cet état de fait
alors que le Monténégro en tant que pays Alliés fait partie des vainqueurs.
Cette question nous amène donc à nous poser le problème de savoir dans quelles
conditions s'est déroulée son intégration dans le royaume S.H.S. S'agit-il d'une
annexion ou d'une union librement consentie? Cette question oppose adversaires et
partisans du rattachement a la Serbie. Pour les premiers, il s'agit, bien entendu, d'une
annexion pure et simple par le royaume de Serbie, pays Allié, et ce, à l'encontre des
règles internationales. Les seconds voient au contraire dans cette union avec la
Serbie, le résultat d'une longue marche du peuple serbe vers l'unité depuis la
disparition de l'Empire de Douchan. Cette union, librement consentie à travers des
élections, ayant aussi pour but selon eux de sanctionner la politique personnelle d'un
roi qui allait à l'encontre des intérêts pan serbes en trahissant notamment la cause
Alliée.
Les unionistes s'emploient en effet à justifier la destitution de Nicolas Ier par le fait
que celui-ci aurait trahi la cause Alliée en livrant son pays a l'ennemi en janvier 1916
à la suite d'un traité secret. Le Monténégro n'aurait pas combattu loyalement aux
côtes des Alliés. La pénible et confuse retraite serbe à travers les montagnes
d'Albanie et du Monténégro ne facilite pas une vision claire des événements de janvier
1916.
Au-delà de cette justification, le parti unioniste monténégrin n'est pas seul à réclamer
l'union. Il bénéficie en cela du soutien financier et politique du premier pays concerné
par cette union; la Serbie. Celle-ci en effet ne ménage pas ses efforts auprès des
Alliés pour discréditer le petit royaume et donc ainsi faciliter son annexion. Elle s'y
emploie à la fois ouvertement en refusant par exemple d'admettre le Monténégro aux
pourparlers précédant la déclaration de Corfou, ou bien dans l'ombre en finançant le
Comité Monténégrin pour l'Union Nationale dans ses campagnes de presse contre le roi
et un Monténégro indépendant. Il importe donc de définir le rôle exact de la Serbie
dans le processus d'intégration.
Pourtant au-delà du rôle joué par la Serbie et du cas particulier du Monténégro, il
convient de replacer le sort de ce petit pays dans le cadre plus vaste du jeu
diplomatique des grandes puissances, notamment Alliées, dans les Balkans. Les choix
diplomatiques de ces puissances ne sont pas sans révéler une certaine hypocrisie ou
machiavélisme à l'égard du Monténégro. Si dans une première étape le roi Nicolas
paraît maître de ce jeu, en tirant profit des divergences entre les puissances pour
maintenir l'existence de son royaume jusqu'en 1914, il apparaît au contraire que
durant la période qui nous concerne (1914-1921), le Monténégro ne devient plus qu'un
simple pion de ce jeu, une simple monnaie d'échange pour les Grands.
Le choix de cette période se justifie donc par le fait qu'elle marque un profond
bouleversement de l'ordre établi pour les Monténégrins qui passent du statut
d'indépendants à celui de membres d'un pays regroupant les différentes nations
yougoslaves. 1914 marque le début de la Première Guerre Mondiale annonciatrice de
changements, même si pour les pays balkaniques elle ne fait qu'une avec les Guerres
Balkaniques, tandis que 1921 marque la fin du Monténégro sur le plan international
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après les élections de la Constituante de Belgrade le 28 novembre 1920 et la mort du
roi Nicolas le 1er mars 1921 à Antibes.
Pourtant cette étude des politiques des différentes puissances dans les Balkans au
cours de la guerre, à travers le cas particulier du Monténégro et de son intégration
dans le royaume S.H.S. ne peut s'avérer nullement exhaustive. Elle ne concerne pour
ainsi dire que les pays Alliés et principalement la France à cause des sources utilisées:
archives diplomatiques françaises, ouvrages polémiques publiés dans les pays Alliés
durant cette période. Des lacunes, des zones d'ombre persistent. Le fait de pas avoir
pu incorporer à cette étude d'autres sources officielles; serbes, italiennes et
principalement austro-hongroises et monténégrines ne me permettent pas de porter
un jugement définitif sur les faits notamment reprochés au Monténégro durant les
années 1915-1916, et donc sur sa trahison qui justifie pour une bonne part pour les
unionistes la destitution de Nicolas en novembre 1918.
La croissance graduelle, ce qui pourrait faire penser à un plan minutieusement
préparé, des événements qui vont mener jusqu'à cette destitution et à la disparition
du Monténégro en tant qu'état indépendant m'ont amené à opter pour un plan
chronologique dans la réponse aux différentes problématiques évoquées ci-dessus.
Tout d'abord la première étape consiste à mettre en place le décor des événements
qui mèneront à cette disparition. Cette période voit le Monténégro prendre part au
conflit aussi bien aux Guerres Balkaniques d'avant 1914 qu'à la Grande Guerre où
après l'euphorie engendrée par une résistance inespérée succèdent le désastre,
l'invasion et l'exil. La deuxième partie du développement tourne autour de ce dernier
point qui nous mène de l'exil français à la victoire Alliée de 1918 en passant par les
"intrigues monténégrines" et les rapports de plus en plus distendus entre la Serbie et
le Monténégro. Enfin dans un troisième temps je m'attacherai à développer les
conditions du rattachement du Monténégro au royaume S.H.S. de 1918 à 1921 à
travers tout d'abord l'occupation du Monténégro, puis la résistance à l'annexion, pour
enfin poser le sort du Monténégro comme un problème international pour les Alliés.
Notes
1. Paul Garde, Vie et mort de la Yougoslavie, 1992, p 216
2. Région située au nord du vieux Monténégro.
3. Dicton monténégrin cité par Augustin Rey, La question des Balkans devant l'Europe, le Monténégro à travers
l'histoire, 1916, p 2
4. Région de Ipek (aujourd'hui Pec) située au Nord-est du Monténégro.
5. Chef de village serbe, puis par extension prince.
6. Aujourd'hui Istanbul en Turquie (Constantinople en 1914)
7. Skadar en Serbe, aujourd'hui Shkodër en Albanie.
8. Raska en Serbe, principauté qui préfigure l'actuelle Serbie.
9. Chef de tribus serbe. au Moyen Âge.
10. Aujourd'hui Cetinje.
11. Impôt de capitation payé par les non musulmans de l'Empire ottoman.
12. Titre de prince-évêque du monténégro de 1516 à 1851.
13. Autre nom donné à l'Empire ottoman
14. Kotor en Serbe.
15. Seigneur. Titre des princes de Moldavie et de Valachie (actuelle Roumanie), repris par le prince de Monténégro
lors de son couronnement royal en 1910.
16. Aujourd'hui Niksic et Podgorica (ancienne Titograd entre 1946 et 1992, capitale de la république populaire du
Monténégro).
17. Aujourd'hui Bar et Ulcinj.
18. Lors d'un toast d'Alexandre III à Peterhof en 1890, en l'honneur de Nicolas Ier, le tzar dira de lui qu'il est "son
seul et unique ami".
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Première partie
Le Monténégro dans le conflit
(1914-1916)
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Cette première partie qui s'étale d'août 1914 à janvier 1916 a pour but de mettre en
place les événements qui annoncent ceux qui sont à venir pour le Monténégro
jusqu'en 1921. On y voit le Monténégro prendre part au conflit mondial en tant que
pays Alliés aux côtes de la Serbie dans les Balkans. Clairement engagé dans ce conflit;
le Monténégro participe à l'effort de guerre serbe pour résister à la première
offensive austro-hongroise ou bien pour prendre part a la contre-offensive serbe de
septembre 1914 qui mène les troupes serbo-monténégrines jusqu'aux faubourgs de
Sarajevo. Cet effort n'en reste pas moins vint et voit les deux seuls pays Alliés
balkaniques succomber à l'offensive des Empires Centraux auxquels s'est joint la
Bulgarie. On peut trouver deux types de raisons à ce désastre qui a profondément
marqué les opinions publiques Alliées de l'époque. Tout d'abord un certain désintérêt
pour ne pas dire un désintérêt certain des grandes puissances Alliées pour ce front
d'Orient qui a été le détonateur du conflit, mais pour lequel aucun plan n'était prévu
par les états-majors, les gouvernements Alliés n'ayant même pas de politique
balkanique précise. La deuxième raison est plus en relation avec la situation des
Balkans avant 1914 et les conditions dans lesquelles les pays balkaniques entrent dans
ce conflit. Ils sont pour la plupart exsangues après deux années de conflit. C'est
pourquoi, malgré les limites chronologiques de cette première partie, on ne peut
passer sous silence ces deux années des Guerres Balkaniques qui pour tous ces pays ne
font qu'un avec le premier conflit mondial.
I. La situation des Balkans en 1914
A. La Ligue Balkanique
On voit souvent dans ce conflit localisé que constituent les Guerres Balkaniques
comme une sorte de dernière répétition où se heurtent par alliés interposés les
différents impérialismes européens avant la déflagration de 1914. N'y voir que cet
aspect serait inexact, pourtant les grandes puissances ne sont pas absentes dans ce
conflit. Si elles n'y participent pas directement, elles n'en ont pas moins un rôle actif
sur le plan diplomatique. Et à ce titre, le rôle de la Russie est assurément le plus
important.
Affaibli par sa défaite dans le conflit qui l'opposait au Japon, ainsi que par la
révolution de 1905, l'Empire russe n'avait pu répondre à l'annexion de la BosnieHerzégovine. La diplomatie russe était humiliée. La désagrégation lente de l'Empire
ottoman va permettre à la Russie de pouvoir reprendre part au jeu diplomatique et de
tenir ainsi sa revanche.
En effet, la révolution jeune-turque de 1908 [1] qui avait suscité de nombreux espoirs
chez les différents peuples qui composent l'Empire, à travers notamment l'octroi d'une
constitution, avait très vite déçu ceux-ci. Le résultat était tout autre. Une fois
installés au pouvoir les membres du Comité Union et Progrès dévoilèrent leur
programme. Leur but était de renforcer l'élément turc au sein de l'Empire, aux dépens
des autres nationalités, pour le consolider et éviter ainsi toute désagrégation. Cette
politique nationaliste de "turquisation" qui se traduisait par la fermeture des écoles
de langue nationale, l'installation de colons turcs dans les régions insoumises,
provoqua une recrudescence de l'agitation nationaliste chez les populations dominées
et notamment en Macédoine des 1910 [2]. Région à population très hétérogène, la
Macédoine suscite la convoitise des petits états balkaniques. Ces appétits divergents
Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921)
Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I
(Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro
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avaient déjà conduit les grandes puissances à calmer le jeu, en envoyant en 1904 une
gendarmerie internationale avec promesse de la Porte d'engager des réformes. Celleci était restée sans suite. Mais en 1911 la situation pour l'Empire ottoman est tout
autre.
En effet, l'Empire se trouve aux prises avec un autre problème. La Turquie doit faire
face à une guerre qui l'oppose à l'Italie depuis le 29 septembre au sujet de la Libye
[3]. Guerre qui au contraire des prévisions italiennes se prolonge. Ce qui oblige ce
pays en février 1912, à porter le conflit dans la Méditerranée orientale, aux portes de
la Turquie (occupation des Îles du Dodécanèse [4], attaque des détroits), pour forcer
l'Empire à céder. Au contraire les pays balkaniques se trouvent dans de bonnes
conditions pour imposer leurs vues. Tout d'abord la Serbie qui veut effacer
l'humiliation de 1909 lorsqu'elle avait dû reconnaître l'annexion de la BosnieHerzégovine, ensuite la Grèce qui s'est donné pour chef de gouvernement, le chef du
mouvement nationaliste grec de Crète; Venizélos [5], et enfin la Bulgarie qui
considérait les Macédoniens comme des Bulgares [6].
Face à cette opportunité que représente la guerre italo-turque pour les États
balkaniques et la Russie, oblige cette dernière à faire des choix. Ou bien suivre la
ligne préconisée par Tcharykov l'ambassadeur à Constantinople [7] qui propose de
profiter des difficultés turques pour reposer la question des détroits [8] en proposant
à la Porte une alliance protectrice qui garantirait le statu quo dans les Balkans contre
un libre passage de la flotte russe dans les détroits. Ou alors suivre l'avis d'Hartwig,
ministre russe à Belgrade qui soutient les aspirations des jeunes États balkaniques
dont la Russie pourrait se faire une clientèle contre les prétentions autrichiennes.
Face au désintérêt français uniquement préoccupé par la crise marocaine, ainsi qu'à
la politique de la sourde oreille de la Porte à toutes propositions russes, la Russie
décide d'opter pour la deuxième solution en facilitant les négociations entre les
différents prétendants à l'héritage européen de l'Empire ottoman.
Dès l'automne 1911, en pleine guerre italo-turque, les dirigeants Serbes et Bulgares
sous le patronage des représentants russes dans les deux capitales négocient les
conditions d'un futur partage. Ces négociations commencent le 11 octobre 1911 à
Belgrade par un entretien entre le président du conseil bulgare Guéchov et le chef de
gouvernement serbe Milovanovitch, puis se poursuivent à Sofia. Celles-ci sont
difficiles et buttent notamment sur les conditions du partage. Mais grâce à l'arbitrage
russe et à la pression nationaliste des Chrétiens de l'Empire en but à la "turquisation",
les deux gouvernements s'entendent et signent un traité le 12 mars 1912. C'est en
apparence une alliance défensive contre toute tentative d'annexion d'un territoire
balkanique soumis à la Turquie par un tiers (l'Autriche-Hongrie). Mais une annexe
secrète prévoit une guerre offensive "au cas où des difficultés intérieures ou
extérieures, avec lesquelles la Turquie se verrait aux prises, mettraient en cause le
maintient du statu quo dans la péninsule des Balkans." Ce même traité fixe les
conditions du partage de la Macédoine en laissant à l'arbitrage du tzar une zone
contestée de part et d'autre du Vardar [9]. En même temps la Bulgarie négociait avec
la Grèce. Les négociations aboutissent à la signature d'un traité le 29 mai 1912. Celuici prévoit une alliance défensive contre la Turquie, mais ne fait aucune mention sur
les clauses territoriales; les deux capitales convoitant Salonique [10]. Ainsi prend
naissance la deuxième Ligue Balkanique après la tentative avortée de 1865-1868 après
l'assassinat du prince Mihailo [11] à Belgrade. Enfin le Monténégro sans signer d'accord
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avec les trois autres pays leur fait savoir son intention de les assister dans
l'éventualité d'un conflit.
B. Les Guerres Balkaniques
L'éventualité d'un conflit quant à elle devient de plus en plus évidente. Or la Russie
qui a parrainé ces négociations est au courant de toutes les étapes de ces
négociations, elle sait donc que dans l'esprit des différents gouvernements, cette
Ligue n'a qu'un seul but: la guerre. Après les avoir encouragés, la diplomatie russe va
donc s'efforcer de calmer les états slaves et ce même si elle reçoit le soutien mesuré
de la France qui ne veut pas affaiblir la Triple Entente [12]. Ainsi Sazonov, le ministre
des affaires étrangères russes, recommande-t-il à la Bulgarie dès le lendemain de la
signature des accords de mener "une politique réfléchie" [13] il réitérera ces conseils
de prudence le 29 août. En fait la Russie ne peut plus reculer devant ce mouvement
qu'elle a elle même contribué à lancer. De plus, les conditions risques de ne plus être
aussi favorables pour les Balkaniques puisque depuis juillet, le gouvernement ottoman
est en pourparlers avec l'Italie. Il leur faut donc agir.
À l'automne 1912, les Balkaniques ont terminé leurs préparatifs. Depuis plus de six
semaines, les chancelleries des deux blocs, connaissant la détermination de la Ligue,
s'agitent pour chercher des solutions garantissant le statu quo. Peine perdue, les
Balkaniques décidèrent d'agir seuls. Le 30 septembre 1912 prenant prétexte de
mouvements de troupes en Turquie, ils décident la mobilisation générale et exigent
par ultimatum d'importantes réformes dans l'administration de la Macédoine.
Constantinople concentra ses troupes et fit la sourde oreille jusqu'au 8 octobre, date
à laquelle le Monténégro sous prétexte de rétablir l'ordre, envoie son armée en
Albanie du Nord [14]. Une semaine plus tard, après avoir signé la paix d'Ouchy avec
l'Italie pour ne pas avoir à combattre sur deux fronts, la Porte priait les représentants
serbe et bulgare de quitter la capitale. Le 18 la guerre était déclarée à ces deux pays
tandis que la Grèce, au nom de l'Enosis [15], rejoignait ses alliés.
Les événements déjouèrent toutes les prévisions des experts des grandes puissances.
Ceux-ci prévoyaient deux cas de figure. Ou une guerre longue et indécise qui se
terminerait par une médiation des grandes puissances car l'Autriche-Hongrie
n'accepterait jamais un agrandissement de la Serbie. Ou bien pour la plupart d'entre
eux, une rapide victoire des armées du sultan organisées et équipées par les
Allemands. Mais les armées balkaniques étaient plus nombreuses que celles des
Ottomans qui devaient aussi veiller à la sécurité de l'Empire dans le Caucase face a la
Russie et en Arabie face à l'agitation des Arabes.
En trois semaines, la guerre connaissait son dénouement, il s'agissait pour ces peuples
d'une véritable guerre de libération nationale. Les Bulgares eurent à supporter le
principal effort de guerre. Engageant 200 000 combattants, leur offensive suivit deux
axes. Le premier en Thrace orientale [16] en direction de Constantinople où après la
victoire de Luleburgaz [17] le 24 octobre, ils mettent le siège devant Andrinople [18]
avant d'arriver a 50 km de Constantinople. Le second se fait en direction de la mer
Égée et de la Struma [19]. Ils atteignent Salonique mais 24 heures après les Grecs, ce
qui les privait de l'administration de la ville. L'armée de Georges de Grèce occupait
l'Épire [20] vers Janina [21] et s'était emparée de Salonique le 8 novembre. Quant à sa
marine empêchant la venue de renforts turcs du Proche-orient, elle occupait les îles
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de la mer Égée. Pendant ce temps, les Serbes descendant vers la Macédoine
remportaient la victoire de Kumanovo [22], puis poussaient vers Monastir avant de
traverser le pays albanais en direction de Durazzo [23] et avec l'aide des Monténégrins
occupaient le Sandjak de Novi-Pazar, tandis que ceux-ci mettaient le siège devant
Scutari. L'Empire ottoman était pour ainsi dire presque entièrement rejeté d'Europe.
L'ampleur et la rapidité de la victoire des Balkaniques inquiétèrent les chancelleries.
Pour les Russes les victoires bulgares qui menaçaient Constantinople et les AustroHongrois qui voyaient les Serbes se rapprocher de l'Adriatique, le conflit avait assez
duré. D'autant plus que le nouveau grand vizir, anglophile, se tournait vers Londres
pour demander une médiation. Le 3 décembre, un armistice était signé et les
représentants des belligérants ainsi que ceux des grandes puissances se retrouvaient à
une Conférence des Ambassadeurs à Londres. Devant les exigences des États
chrétiens, les Turcs se cabrèrent et un coup d'état mené par Enver Pacha [24] le 23
janvier 1913 chassa le gouvernement et donna le pouvoir à un triumvirat militaire
germanophile. Le conflit reprenait donc le 3 février 1913.
Mieux préparés les Turcs résistèrent, mais ne purent faire face au nombre. Andrinople
tombait le 28 mars, Janina était prise le 6 mars par les Grecs, tandis que les
Monténégrins prenaient Scutari alors que les grandes puissances voulaient l'accorder
au nouvel état albanais qui s'était déclaré indépendant le 28 novembre 1912 pour
contrer les ambitions de ses voisins. Ils résisteront six semaines aux pressions des
grands pour qu'ils évacuent la ville. Le 16 avril, les hostilités cessèrent et tous se
retrouvèrent de nouveau à Londres. La Turquie devait céder aux Balkaniques tous ses
territoires européens à l'Ouest de la ligne Enos-Midia en Thrace ainsi que la Crète. Le
sort de l'Albanie et des îles de la mer Égée était renvoyé à la décision des grandes
puissances.
Le partage des dépouilles va s'avérer plus difficile. Les accords antérieurs
apparaissent insuffisants. Les Bulgares en tant que principal belligérant réclament la
partie contestée de la région du Vardar, tandis que les Serbes qui occupent le terrain,
la réclame comme compensation, après l'indépendance de l'Albanie. Les Bulgares
s'opposent aussi aux Grecs sur le sort de Salonique. Les Roumains quant à eux
réclament la Dobroudja [25] à la Bulgarie comme compensation à sa renonciation à
ses Valaques de Macédoine [26]. Confiante dans son armée, la Bulgarie ne veut pas
céder, c'est elle qui a fourni le principal effort de guerre contre les Turcs.
Au-delà de ces divergences entre les différents États balkaniques, ce sont Vienne et
Saint-Petersbourg qui s'opposent. La première voudrait mettre un terme à la Ligue
Balkanique qui s'apparente pour elle à un encerclement par le flanc sud, par la
Russie. Celle-ci au contraire voudrait la maintenir pour asseoir son influence
diplomatique dans les Balkans. Les deux capitales regardent donc avec préoccupation
la perspective d'une guerre entre les anciens alliés. Ainsi l'Autriche-Hongrie s'emploiet-elle à soutenir en sous-main les prétentions bulgares pour affaiblir la Serbie. En cas
de victoire serbe dans un conflit serbo-bulgare, le chef d'état-major Conrad von
Hötzendorf [27] a même envisagé une action contre la Serbie. La Russie au contraire
s'emploie elle, à refroidir les ardeurs et demande aux gouvernements grec et serbe de
revenir sur leur alliance défensive du 1er juin, dirigée contre la Bulgarie et de se
soumettre à l'arbitrage russe.
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Face à la pression de son opinion publique Ferdinand Ier de Bulgarie décide avec l'aide
de son chef d'état-major Savov et sans en avertir son chef de gouvernement alors à
Saint-Petersbourg, de prendre les devants et ordonne dans la nuit du 29 au 30 juin de
repousser les lignes serbo-grecques. La Turquie en profite pour reprendre les
hostilités et reprend Andrinople le 22 juillet. Les Serbes et les Grecs passent le Vardar
et marchent sur Sofia, tandis que les Roumains entrent en Bulgarie le 10 juillet.
Lâchée par l'Autriche-Hongrie qui n'a pu obtenir le soutien de ses alliés allemands et
italiens pour le plan de Conrad von Hötzendorf, la Bulgarie demande la médiation de
la Russie. En vain, les rancœurs sont là, les Grecs et les Serbes veulent en finir avec
les Bulgares. La Bulgarie est écrasée, Sofia est menacée, c'est ce moment que choisit
Bucarest pour arrêter les victoires serbes et grecques, et décide l'ouverture des
négociations. L'armistice est signé le 31 juillet et le 10 août 1913 le traité paix de
Bucarest concrétise la défaite bulgare.
C. Une paix précaire
Le traité de Bucarest entérine donc, pour le moment, les profonds changements que
vient de subir la péninsule Balkanique et qui voient la Turquie rejeter hors d'Europe,
sauf un petit morceau de la Thrace orientale avec Andrinople qu'elle a reprise aux
Bulgares lors de la deuxième guerre balkanique, et ce après plus de cinq siècles de
présence en Europe, allant même jusqu'aux portes de Vienne. Le partage des
dépouilles qui avait conduit à la dislocation de la Ligue se fait au détriment de la
Bulgarie.
De ses victoires, la Bulgarie ne gardait que la Thrace occidentale ce qui lui offrait un
débouché à Dédé-Agatch [28] sur la mer Égée ainsi qu'un lambeau de la Macédoine
correspondant à la vallée de la Struma. Elle ne gagnait que 400 000 habitants, alors
que, par la même occasion, la Grèce en gagnait quatre fois plus et recevait l'Épire et
toute la Macédoine du Sud avec notamment Salonique. La Serbie quant à elle voyait
sa population augmenter de 1.2 millions d'habitants grâce à ses acquisitions en
Macédoine avec toute la vallée du Vardar ainsi que Monastir [29], tandis qu'elle
occupait une partie du Sandjak de Novi-Pazar, qu'elle partageait avec le Monténégro
qui lui était obligé d'évacuer sa capitale médiévale, Scutari qui était allouée au
nouvel état albanais [30]. La Roumanie, la dernière arrivée dans ce dépeçage,
recevait en compensation la Dobroudja du Sud.
Victorieuses sur le papier et sur les cartes, les Guerres Balkaniques n'en furent pas
moins désastreuses pour les états de la région. Tous ces états étaient désormais
séparés par des accusations d'atrocités [31] et des haines réciproques. De nouveaux
types d'alliance se préfiguraient. D'un côté, une Bulgarie irrédentiste voulant
récupérer contre les Serbes, ses Macédoniens, contre les Grecs, la ville de Salonique
et la Thrace tout entière et enfin contre les Roumains, la Dobroudja du Sud. De
l'autre des peuples qui ne s'aimaient guère; Serbie, Grèce et Roumanie, devenaient
des alliés naturels pour défendre ce nouveau statu quo. Tandis que la Turquie
esquissait un rapprochement avec la Bulgarie face aux prétentions helléniques dans la
mer Égée.
Cette victoire des Balkaniques qui avait d'abord surpris les Grands n'en touchait pas
moins à leurs intérêts dans la région. Ils y trouvaient néanmoins, la possibilité
d'esquisser de nouvelles alliances. Tout d'abord les Centraux [32] qui avaient subi une
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défaite diplomatique, voyaient dans la dislocation de la Ligue Balkanique un moyen
de reprendre du terrain. À cet effet l'Allemagne qui avait perdu de son prestige dans
la défaite des armées turques équipées par elle renforça sa présence dans l'Empire
ottoman qui lui basculait clairement dans le camp des Empires Centraux pour faire
pièce aux ambitions russes sur les détroits. De plus ceux-ci trouvaient dans la Bulgarie
flouée de sa victoire, un allié possible pour contrer les appétits de la Serbie qui risque
de devenir le pôle attractif de tous les slaves du sud, y compris ceux qui habitent
l'Empire des Habsbourg [33]. Ce rapprochement austro-bulgare a pourtant une autre
conséquence. En effet, la Roumanie gouvernée par un Hohenzollern [34], jusqu'ici
tournée vers la Triplice se détache de celle-ci, car il existe maintenant un
contentieux territorial entre elle et la Bulgarie qui est entrée dans la clientèle des
Centraux. Autre point négatif pour la Triplice [35], la Grèce, dont le nouveau roi
Constantin Ier est réputé germanophile, mais qui ne peut ignorer les contentieux qui
l'opposent à la Bulgarie et à la nouvelle Albanie voulue par l'Autriche et l'Italie.
Cette dernière quant à elle se rapproche de la Triple Entente, et ce même si elle
regarde d'un mauvais œil tout agrandissement de la Serbie en direction de
l'Adriatique, puisqu'elle est maintenant en conflit avec la Turquie au sujet des Îles du
Dodécanèse qu'elle continue d'occuper "provisoirement" le temps de pacifier la
Tripolitaine. Pour l'Empire russe, cet épisode est un demi-échec. Si elle reste toujours
la protectrice de la Serbie et du Monténégro et si elle voit dans la Roumanie et la
Grèce des possibilités de rapprochements futurs, il n'en reste pas moins que la Ligue
Balkanique qu'elle avait contribuée à mettre en place n'existe plus. Elle perd de son
influence sur la Bulgarie, tandis que le problème des détroits reste toujours posé,
surtout après l'envoi de la mission allemande de Liman von Sanders [36] à
Constantinople. Tout au plus peut elle compter sur le soutien de la France qui dans ce
conflit a préféré opter pour les états balkaniques plutôt que de maintenir l'intégrité
territoriale de la Turquie.
Frustrations chez les Balkaniques, frustrations chez les Grands, principalement chez
les Centraux, cette paix qui est mise en place à Bucarest paraît bien précaire et
annonce les défections et les alliances futures qu'engendrera la Première Guerre
Mondiale.
Notes
1. Association d'officiers et de fonctionnaires réformateurs turcs fondée à Salonique et qui parvient à prendre le
pouvoir en renversant le sultan Abdoul Hamid II.
2. Région centrale de la péninsule des Balkans où l'on retrouve toutes ethnies qui peuple cette même péninsule.
Terrain de rivalité entre les différents États nationaux de la région, elle est un foyer perpétuel d'agitation. Ce qui
a conduit les Grandes Puissances a y envoyé une gendarmerie internationale en 1904.
3. Dans le cadre de sa politique d'expansion coloniale, l'Italie a entrepris la conquête de la dernière possession
ottomane en Afrique du Nord en 1911.
4. Ensemble d'îles situées entre la Crète et la Turquie continentale et comprenant notamment Rhodes. Elles
resteront possession italienne jusqu'à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Le traité de Paris (1947) consacrera le
rattachement du Dodécanèse à la Grèce.
5. Homme d'État grec, chef du mouvement national grec en Crète (alors sous domination ottomane). Il profite de
l'annexion de la Bosnie-Herzégovine en 1908 par l'Autriche-Hongrie, pour opérer le rattachement de l'île à la
Grèce. Président du conseil grec en 1910, il est contraint par le roi Constantin Ier à démissionner en 1915 car,
contrairement à ce dernier, il est favorable à une intervention aux côtés des Alliés. Il forme alors un
gouvernement républicain à Salonique (alors sous contrôle des Alliés). À la faveur d'un coup de force de ces
deniers (abdication en 1917 de Constantin au profit de son second fils Alexandre) il revient au pouvoir et fait
entrer la Grèce dans le conflit aux côtés des Alliés. Il restera au pouvoir jusqu'en 1920. Il y reviendra entre 1928 et
1933. Il mourra en exil en France.
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6. "Mes Bulgares ne me pardonneraient pas la ruine de leurs espérances nationales" déclaration du roi Ferdinand
au ministre français à propos des Macédoniens in Pierre Renouvin, La crise européenne et la première guerre
mondiale, 1969, p 171
7. Aujourd'hui Istanbul
8. Problème du droit de passage pour la flotte russe (entre la mer Noire et la mer Égée) et du contrôle des détroits
(Dardanelles et Bosphore)
9. Fleuve macédonien qui débouche à Salonique.
10. Aujourd'hui Thessalonique en Grèce.
11. Ou Michel Obrénovitch, prince de Serbie de 1839 à 1942 et de 1860 à 1869. Il meurt assassiné.
12. Alliance entre la France, la Russie et le Royaume-Uni.
13. Pierre Renouvin, La crise européenne et la première guerre mondiale, 1969, p 173
14. Le Monténégro avait déjà soutenu en 1911 le mouvement insurrectionnel de la tribu albanaise catholique des
Malissores en Albanie du Nord.
15. Terme employé par le mouvement national grec et évoquant le rattachement des "territoires grecs" (là où
vivent ou ont vécus des Grecs) à la Grèce. Venizélos était le leader de ce mouvement. Lorsque certains
nationalistes grecs aujourd'hui réclame le rattachement de Chypre à la Grèce, ils se réclament de ce mouvement.
16. Région du Sud-Est des Balkans, comprise entre les mers de Marmara et Égée et la chaîne de montagne du
Rhodope. Elle est aujourd'hui partagée entre la Grèce, la Turquie et la Bulgarie.
17. Ville turque située en Thrace orientale entre Andrinople et Constantinople.
18. Aujourd'hui Edirne en Turquie
19. Fleuve à l'Est de Salonique.
20. Région du Nord-ouest de la Grèce, à la frontière avec l'Albanie.
21. Aujourd'hui Ionnina en Grèce.
22. Vengeant ainsi la défaite de Kosovo-Polje de 1389.
23. Durrës en Albanais.
24. Général ottoman, leader du mouvement "Jeunes-Turcs" et donc de facto menant la politique ottomane après
1913. Il lui donna un tournant résolument germanophile, au point d'engager son pays dans la Première Guerre
Mondiale aux côtés des Empires Centraux en 1914. Considéré comme responsable de la défaite de 1918, il s'enfuit
à Berlin puis à Moscou auprès des Soviets. Déçu par ces derniers, il prend la tête d'un mouvement pan-turc anticommuniste en Asie centrale, mais sera tué au cours d'un combat avec l'Armée Rouge.
25. Région située entre le Danube et la mer Noire, à cheval aujourd'hui entre la Bulgarie et la Roumanie.
26. Maréchal autrichien, chef de l'état-major de 1912 à 1917. Il démissionne en 1917 à la suite de différents avec
le nouvel empereur Charles Ier au sujet des plans depaix de ce dernier.
27. Population pastorale et nomade de langue latine proche du roumain.
28. Aujourd'hui Alexandroupolis en Grèce.
29. Aujourd'hui Bitola au Sud-ouest de la Macédoine près de la frontière grecque.
30. Lors de la Conférence de Londres qui mettait un terme à la première guerre balkanique, les Grandes
Puissances (notamment l'Italie et l'Autriche-Hongrie) ont imposé la création de l'Albanie face aux appétits de ces
voisins, sanctionnant ainsi la déclaration d'indépendance du 28 novembre 1912 (congrès de Vlöre ou Valona).
31. Voir à ce titre l'ouvrage publié par la Fondation Canergie pour la paix internationale, Enquête dans les Balkans,
Paris, Ed. Georges Crés et Cie, 1914, 496 p.
32. Terme qui désigne tout d'abord les empires allemand et austro-hongrois (qui recouvre l'Europe centrale), puis
durant le premier conflit mondial ces mêmes pays et leurs alliés (Empire ottoman et Bulgarie).
33. Dynastie régnante en Autriche-Hongrie.
34. Famille régnante du royaume de Prusse et de l'Empire allemand.
35. Alliance issue du système bismarckien visant à isoler la France après 1870 et réunissant l'Allemagne, l'AutricheHongrie et l'Italie. Elle s'oppose en cela à la Triple Entente.
36. Mission allemande de réarmement et d'entraînement de l'armée ottomane dans le cadre de la coopération
lancée par Enver Pacha entre les deux empires.
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II. L'entré en guerre
Moins d'un an après le traité de Bucarest, le geste d'un étudiant serbe allait entraîner
les Balkans, puis le monde dans un conflit qui devait durer plus de quatre ans. Dans
cette première phase du conflit qui s'étend d'août 1914 a l'entrée en guerre de la
Bulgarie le 14 octobre 1915, les pays Alliés dans cette région, c'est-à-dire la Serbie et
le Monténégro, après la surprise, réussissent à prendre l'initiative et enfin, à offrir
une résistance inespérée en stabilisant le front face aux troupes austro-hongroises.
Ces deux pays sont pourtant sortis exsangues de ces Guerres Balkaniques;
destructions, pertes humaines, endettement, de plus ils doivent financer le processus
d'intégration des territoires nouvellement conquis. Pays pauvre par excellence dans
une région elle-même pauvre, le Monténégro se voit donc confronté à des difficultés
quasi insurmontables. C'est pourquoi avant d'évoquer sa participation au conflit aux
côtes des Alliés, j'essayerais de dresser un bilan sur sa situation avant le début des
hostilités.
A. La situation du Monténégro en 1914
La Conférence des Ambassadeurs de Londres qui marque la fin de la première guerre
balkanique entérine les agrandissements territoriaux du Monténégro sur la Turquie. À
ce titre, le petit royaume reçoit la partie sud-ouest du Sandjak de Novi-Pazar ainsi
que la Metohija. Cette dernière qui est une riche plaine agricole accroît
considérablement la surface cultivable du pays puisque la majeure partie du
Monténégro était composée jusqu'ici par des plateaux karstiques stériles en façade
maritime, tandis que l'intérieur était composé de hautes montagnes [1] recouvertes
de forêts denses (ce qui a valu au pays son nom). Le pays est agricolement pauvre,
ses seules ressources sont constituées par ces forêts et l'élevage, notamment de
porcs. Or l'agriculture est la seule véritable activité économique du pays puisque
l'industrie y est inexistante et le commerce peu développé du fait de son relatif
enclavement, et ce malgré le développement récent du port d'Antivari qui commerce
avec l'Italie [2]. Ce pays est d'ailleurs le principal investisseur du pays [3], depuis que
le Monténégro s'est tourné vers lui pour se dégager de la tutelle économique
envahissante de l'Autriche-Hongrie.
Cette agriculture défaillante et l'inexistence de manufactures sur le territoire
nécessitent de nombreuses importations [4] et favorise l'émigration des Monténégrins
à l'étranger, notamment les États-Unis d'Amérique. En 1904 ils étaient 4 000 à avoir
émigrés, ils sont 21 000 en 1912. Par le transfert d'une partie de leur salaire, ils
contribuent pour une bonne part au revenu de la nation [5]. Mais ces rentrées
financières ne suffisent pas à assainir une situation budgétaire difficile qui aboutit le
plus souvent à des déficits et oblige le royaume à emprunter. Les représentants Alliés
au Monténégro n'avaient de cesse de le faire remarquer à leur gouvernement respectif
"des aides puissantes et inlassables sont indispensables à ce pays pour assurer son
existence économique. À lui seul il ne saurait subvenir à ses propres besoins" [6] ce à
quoi il ajoute une remarque du ministre serbe "le Monténégro mourra un jour
d'épuisement financier. La seule industrie connue ici est d'emprunter de l'argent."
Pour les partisans de l'union comme Andriya Radovitch cette situation qu'il qualifie de
désastre économique et financier justifie à elle seule l'union. Le Monténégro ne peut
trouver son salut que dans l'union [7]. Les Guerres Balkaniques et les dépenses
qu'elles ont occasionnées ont accru ces difficultés chroniques. Pour y faire face les
Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921)
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grandes puissances s'étaient engagées à garantir un emprunt de 40 millions de francs
en échange du retrait des troupes monténégrines de Scutari. Le royaume ne pourra
pas profiter de cet apport financier pour réorganiser les nouveaux territoires et
assurer son développement puisque la guerre viendra contrecarrer ces projets.
Si la situation économique suscite chez les partisans de l'union, des critiques, ils en
attribuent le plus souvent la paternité à la politique menée depuis 54 ans par leur
souverain Nicolas Ier. Ceux-ci le décrive le plus souvent comme un prince autocrate,
menant une politique à "l'orientale", dilapidant les subsides russes au profit de sa
propre personne ou de la dynastie, à l'occasion de fête comme celle de son jubilé au
cours duquel il reçoit le titre de roi. Au pouvoir depuis 1860 Nicolas n'en a pas moins
essayé de moderniser son pays; en ouvrant des écoles, des lycées et en octroyant en
1905 une constitution calquée sur la constitution russe de la même année. Mais
encore une fois, ces réformes ne sont pour les unionistes qu'un leurre [8]. Cette
constitution octroie au peuple une représentation parlementaire à travers une
Skoupchtina [9] de 76 membres dont 14 nommés par le roi. Il est vrai que Nicolas s'est
taillé une constitution à sa mesure et que malgré cela il n'hésitera pas à gouverner
sans en tenir compte, lorsqu'elle n'entérine pas ses propres décisions. Ainsi il
dissoudra la première Skoupchtina en 1907, jugée trop unioniste et interdira les partis
politiques car "leur formation ne servirait qu'à diviser le peuple" [10]. Autocrate,
paternaliste, Nicolas l'est sûrement, mais où trouver dans cette région un régime
pleinement démocratique, où le souverain n'intervient pas directement dans la
politique du pays.
Le régime doit donc faire face à une certaine opposition interne qui pose le problème
des relations avec le voisin serbe. Problème de plus en plus répandu depuis que ces
deux pays ont acquis une frontière commune à la suite des Guerres Balkaniques;
véritables guerres de libération nationale. S'il est un domaine qui a permis à la
dynastie de perdurer jusqu'ici, c'est justement cette politique de lutte contre les
Ottomans. Le crédit que conserve le roi auprès de ce peuple guerrier et
essentiellement dû à son engagement incessant contre la domination turque; 1862,
1876 il soutient les révoltes en Herzégovine, en 1878 lors de l'intervention russe, en
1910-1911 en Albanie et enfin lors des Guerres Balkaniques. Mais ces guerres
multiples n'ont pas été sans laisser des traces dans les effectifs de ce peuple guerrier.
Il n'existe pas en effet dans ce pays de véritable armée régulière, il s'agit plutôt de
milices, de "peuple en arme". Et les Guerres Balkaniques ont eu pour effet de décimer
une bonne partie de ses effectifs [11]. Ainsi en 1912 réussit-il à mobiliser 40 000
soldats pour une population de 285 000 habitants, deux ans plus tard ils ne sont que
50 000 à prendre part au conflit alors que la population est passée a 435 000
habitants. Le pays est donc exsangue économiquement et humainement. Pourtant
lorsque éclate la crise austro-serbe de juillet 1914, et ce malgré les divergences entre
les deux états au sujet de l'union, le Monténégro s'engage résolument aux côtés de la
Serbie.
B. Le Monténégro dans le conflit
L'attentat contre le prince héritier François-Ferdinand a très vite donné lieu à des
arrestations dans les milieux nationalistes yougoslaves de la double monarchie. Celleci ne voulut pas s'arrêter aux lampistes et posa la question des responsabilités. Vienne
conclut immédiatement à la responsabilité du gouvernement serbe. Il fallait en finir
Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921)
Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I
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avec la Serbie, et ce geste en fournissait le prétexte. Dans ce dessein, elle envoya un
ultimatum, le 22 juillet au soir, au gouvernement serbe avec un délai d'expiration de
deux jours. Le 25 la Serbie refusait un des points. Trois jours plus tard, Belgrade était
bombardée. Le jeu des alliances aidant une semaine plus tard l'Europe était en
guerre. Ne possédant pas d'accords avec la Serbie, le Monténégro décrétait quant
même la mobilisation générale le 29 juillet et déclarait la guerre à l'Autriche-Hongrie
le 8 août 1914.
Aux vues des critiques du parti unioniste après la défaite à propos notamment de la
trahison du Monténégro, cet engagement n'apparaît pas comme évident. Le
Monténégro serait entré en guerre à reculons. C'est pourquoi il importe d'essayer de
définir les conditions de son entrée en guerre. L'Autriche-Hongrie soucieuse de
circonscrire le conflit ne ménagea pas ses efforts pour maintenir le Monténégro en
dehors du conflit, ce qui explique notamment ce délai entre la mobilisation et la
déclaration de guerre. Consciente qu'elle ne pouvait l'attirer dans son camp, elle
essaya de lui acheter sa neutralité au pris de concessions territoriales en Albanie et
même en Serbie dans l'autre moitié du Sandjak. Alors même que pour justifier la
bonne fois de son action contre la Serbie auprès du gouvernement monténégrin, elle
disait ne pas en vouloir à l'intégrité territoriale de la Serbie. Ces compensations
territoriales auraient été accompagnées de compensations financières. Nicolas ne
parut pas désintéressé par ces propositions, mais il lui fallait compter avec son
opinion publique clairement engagée derrière la Serbie [12].
Dans le même temps, alors qu'il recevait des gages de bonne volonté de la part de
Vienne, le disculpant de toute implication dans l'attentat, Nicolas s'empressait, lui
aussi de donner des gages de bonne volonté à son petit-fils; le prince-régent
Alexandre de Serbie [13], ainsi qu'au gouvernement serbe pour les assurer de son
entier soutient. Il le fit par trois fois. Ainsi le fit-il lorsque Pachitch, le chef de
gouvernement serbe, lui demanda conseil sur la réponse à donner à l'AutricheHongrie: "il est difficile de dire quelle réponse doit être donnée à l'Autriche-Hongrie.
Notre opinion est d'obéir en tous aux conseils de la Russie. En tout cas, le Monténégro
partagera aujourd'hui, comme toujours, le bien et le mal avec la Serbie. Votre sort
sera le nôtre !" Ce à quoi il ajoute le même jour comme réponse à un télégramme de
Pachitch qui lui demandait s'il pouvait compter sur son aide fraternelle et illimitée en
cas de conflit, "la Serbie peut compter sur l'aide fraternelle et illimitée du
Monténégro, en ce moment critique pour le peuple serbe, ainsi qu'en tout autre." Il
adressa le même type de message à Alexandre "mes Monténégrins sont déjà prêts à la
frontière à mourir pour la défense de notre cause commune et sacrée" [14].
Quelle politique jouait donc Nicolas; celle de l'entente avec la double monarchie ou
bien celle de la défense de la race serbe? [15] La réponse n'est pas évidente. Il sait
son pays démuni, sans argent, sans armes, sans munitions [16]. La neutralité n'est pas
sans avantages ainsi se range-t-il derrière la position de la Russie. Si elle reste neutre,
il restera neutre ce qui ne doit pas l'empêcher d'essayer de maintenir la paix. Il
demandera à cet effet au gouvernement de Vienne de rallonger le délai de
l'ultimatum. Mais des erreurs de la part du gouvernement austro-hongrois comme
l'expulsion des citoyens monténégrins de Cattaro ou l'arrêt des communications
télégraphiques entre les deux pays ainsi que l'entrée en guerre de la Russie, l'ont
poussé à suivre les recommandations de la Skoupchtina qui réunit le 1er août
demande au gouvernement royal de déclarer immédiatement la guerre à l'ennemi
Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921)
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séculaire [17]. Le 5, il remercie les représentants autrichiens et entre en guerre le 8.
Dans son dernier entretien avec Hubka [18] le roi lui prétextera avoir tout fait pour
sauver la paix, mais que tel était le destin [19]. Homme de paix convaincu, qui sait
que son pays n'est pas près au conflit mais qui de toute façon s'engagera aux côtes des
frères serbes, ou souverain habile qui cherche à jouer sur les deux tableaux mais qui
sous la pression populaire, notamment des partisans de l'union, doit se soumettre et
déclarer la guerre à la double monarchie?
On ne peut répondre de manière définitive à cette question. Mais une fois le pays en
guerre, celui-ci se rangea résolument aux côtes des Alliés, en participant aux
opérations militaires contre l'Empire. Forte de 43 000 hommes auxquels vinrent
s'ajouter 4 000 volontaires venus d'Herzégovine ou de Dalmatie, l'armée monténégrine
est divisée en quatre colonnes avec chacune une mission précise:
• la première colonne (groupe d'armée du Lovtchen) qui comprend 11 950 hommes est
positionnée entre Dulcigno et Cattaro. Elle a pour but de défendre la côte et le mont
Lovtchen qui surplombe la base navale autrichienne des Bouches de Cattaro.
• la deuxième colonne (groupe d'armée d'Herzégovine) composée de 23 000 soldats
entre Cattaro et le confluent de la Tara et de la Piva [20]. Elle a pour mission de
défendre la frontière et de créer une diversion a l'offensive autrichienne en Serbie.
• la troisième colonne (groupe d'armée de Plevlie) avec 5 580 hommes situés a la
frontière avec la Serbie a pour but de soutenir l'armée serbe de Bosnie.
• la quatrième colonne (groupe d'armée de Detchani) avec 6 300 soldats est chargée
de surveiller la frontière albanaise.
Bons combattants, les soldats monténégrins n'en sont pas moins sous équipés, avec un
matériel quelque peu archaïque et qui a souffert des deux dernières guerres. Ils sont
aussi, de par l'organisation tribale de cette armée ou milice qui regroupe tous les
hommes de 18 a 63 ans, relativement indisciplinés ce qui n'ira pas sans poser des
problèmes dans ce premier grand conflit moderne que représente la Première Guerre
Mondiale.
Sur demande Alliée, principalement de la Russie qui ne veut pas voir ses deux petits
alliés se disperser [21], le haut commandement de l'armée monténégrine est confié
au général serbe Yankovitch, assisté de nombreux autres officiers serbes dont le
colonel Pechitch [22]. Cette arrivée provoque un changement de l'ordre de bataille;
l'armée monténégrine devient alors le flanc gauche de l'armée serbe. À cet effet, la
majeure partie des effectifs est dirigée vers le Sandjak. Ainsi:
• la colonne du Lovtchen passe de 11 950 à 8 970 hommes et est commandée par le
prince Pierre, le fils cadet du roi Nicolas.
• la colonne d'Herzégovine, elle passe de 23000 à 9500 et est dirigée par le général P.
Petrovitch.
• la troisième colonne voit ses effectifs passer de 5580 à 22100 sous le
commandement du général Y.Voukotich qui est aussi à l'époque le chef du
gouvernement monténégrin.
• l'effectif du groupe d'armée qui se trouve en face de l'Albanie reste inchangé et est
confié au général Vechovitch.
Dorénavant l'armée monténégrine se trouve incluse dans le dispositif de défense serbe
et participe aux opérations de l'armée serbe.
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Dans cette optique, après avoir contribué à la résistance serbe en immobilisant sur
ses frontières des troupes austro-hongroises, l'armée du général Voukotich participe à
la contre-offensive serbe en Bosnie en direction de Sarajevo dont elle atteindra les
faubourgs (moins de 18 km) à la fin de septembre 1914. Cette contre-offensive qui
avait été rendue possible par l'offensive russe en Galicie [23], marque un coup d'arrêt
en octobre et les troupes serbo-monténégrines sont obligées de se retirer derrière la
Drina à la suite de l'offensive du général croate Potiorek en Serbie ainsi qu'à cause de
mutineries dans l'armée monténégrine. Une offensive russe dans les Carpates [24] et
l'hiver viennent fixer le front qui ne variera plus jusqu'en octobre 1915. Tout comme
en Occident le front se stabilise.
Si les deux pays offrent une résistance inespérée aux Centraux, la situation sur le
"front intérieur" se dégrade rapidement. Cette situation est en partie la cause des
mutineries. Les Monténégrins sont des paysans-soldats et à ce titre supportent mal un
éloignement trop long de leur foyer tandis que la pénurie touche leur famille. Ce à
quoi s'ajoute une insécurité permanente due aux incursions de bandes albanaises ainsi
qu'aux bombardements de la côte et des villes soit par la flotte, soit par l'aviation
autrichienne. Tout ceci perturbant un ravitaillement du pays déjà difficile.
Ces bombardements aériens du territoire monténégrin sont à l'origine d'une des autres
"preuves" de la trahison du Monténégro pour Radovitch et les unionistes.
L'augmentation de leur nombre à partir du début de l'année 1915 et notamment les
cibles choisies; Antivari, Cettigné, Podgoritza et l'accroissement du nombre des
victimes [25] ont poussé le prince Pierre à entrer en contact avec les Autrichiens de
Cattaro pour obtenir un modus vivendi sur le bombardement des villes. À cet effet il
rencontre le 29 mai à Budua [26], le colonel Otto Hubka ancien attaché militaire
autrichien à Cettigné que l'on a pour l'occasion rapatrié de l'Isonzo [27] pensant que le
gouvernement monténégrin avait des propositions à faire. Tel ne fut pas le cas, mais
les bombardements aériens cessèrent sur les villes ouvertes jusqu'au 23 octobre de la
même année. Les ouvrages polémiques défendant la cause de l'union reprirent cet
événement pour en faire un des points de départ de la trahison de la dynastie. Ceuxci y voient notamment l'objet d'un marchandage entre les deux pays au cours duquel
Pierre aurait vendu le mont Lovtchen contre l'occupation de Scutari 15 jours plus
tard. Les preuves de cette trahison étaient encore plus évidentes à l'analyse de
l'attitude du prince durant cette période, puisque celui-ci était en communication
téléphonique avec Cattaro, distribuait à ces troupes des journaux autrichiens et
faisait jouer l'hymne bulgare après la chute d'Usküb [28]. Ces accusations ne purent
malheureusement, pour ces propagandistes, être prouvées. Si cet événement ne
suscita pas de vives réactions de la part des Alliés, il en fut tout autrement du
problème de la prise de Scutari par les troupes monténégrines pour assurer au pays un
meilleur ravitaillement.
C. Le Monténégro et les Alliés
Le ravitaillement reste en fait le problème n° 1 pour le pays. En effet déjà déficitaire
en temps de paix, en temps de guerre, celui-ci n'arrive même plus à fournir le
minimum nécessaire du point de vue alimentaire. Pour ce pays donc, le blocus
maritime mis en place par la flotte austro-hongroise dès le début du conflit, puisque
le 8 août 1914 les Autrichiens bombardent Antivari [29], est catastrophique. Celui-ci
obligera l'Italie encore neutre à suspendre le 3 octobre ses liaisons avec le
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Monténégro et le port albanais de Saint-Jean-de-Médua [30]. Le Monténégro est alors
coupé de l'extérieur. Ainsi, dès octobre 1914 les hôpitaux monténégrins ne sont plus
chauffés [31]. Adossée à des montagnes difficiles à traverser, l'Adriatique était la
seule porte d'entrée et de sortie du pays et les promesses de Paris n'y feront rien [32].
Ce problème est d'autant plus crucial que c'est de lui dont dépend la survie du
Monténégro et donc son maintien dans le conflit. Mais voilà, le théâtre balkanique
n'intéresse que très peu les états-majors Alliés et le Monténégro encore moins que
d'autre: "plus encore que l'Albanie, ce petit pays ne peut avoir d'intérêt stratégique
que par la suite de circonstances spéciales" [33]. Et en 1914 ces circonstances
spéciales n'existent pas. Ainsi, en tout et pour tout le Monténégro ne reçu pendant
toute la période d'août 1914 à janvier 1916 que 9 000 tonnes de marchandises diverses
[34], et quelles fournitures; des vieux uniformes de pompier de Paris [35] mais en
nombre insuffisant ce qui fait que l'on dut les partager entre les soldats.
Le ravitaillement par mer étant devenu dangereux selon l'amiral Boué de Lapeyrère
[36], il décida de faire transiter le ravitaillement du Monténégro par la Serbie via
Salonique [37]. Ce à quoi la Serbie répondit favorablement. C'était pour elle le
meilleur moyen de contrôler l'action du Monténégro en distribuant l'aide au comptegoutte et d'en accaparer une partie [38]. Ainsi le gouvernement serbe s'employa-t-il à
prouver que le ravitaillement Salonique-Mitrovitza-Ipek-Andrievitza était possible
[39]. On sait ce qu'il advint des troupes serbes sur ces "routes" lors de leur retraite. Le
gouvernement monténégrin proposa alors de construire une route entre Ipek et
Mitrovitza avec les prisonniers des Serbes, mais l'épidémie de typhus vint stopper les
travaux ainsi que le ravitaillement en mars 1915.
Privé de ravitaillement Allié par la mer, certains commerçants monténégrins
n'hésitent pas à utiliser ce moyen pour acheminer leurs marchandises. Celles-ci sont
débarquées à Saint-Jean-de-Médua sur des barques qui remontent ensuite sur la
Boyana [40] qui débouche sur le lac de Scutari. Ce parcours près des côtes, en eaux
peu profondes, interdit la venue des sous-marins autrichiens de la base de Cattaro. Ce
trajet n'en est pas moins risqué. En effet Saint-Jean-de-Médua et la Boyana sont
situés en territoire albanais, pays officiellement neutre, mais qui baigne dans
l'anarchie tribale, après le départ du prince Guillaume de Wied et des experts
internationaux [41]. Or cette région de l'Albanie du Nord est essentiellement
composée d'albanais catholiques sur lesquels les agents autrichiens exercent leur
influence notamment sur la tribu des Malissores [42]. Harcelant le sud du Monténégro,
ceux-ci n'hésitent pas à entraver l'acheminement des marchandises sur la Boyana.
Ainsi, cinq barques d'un commerçant de Podgoritza furent arrêtées par deux fois sur
le fleuve et durent acquitter des taxes sous peine de confiscation [43] et ce à
l'encontre des accords internationaux qui assuraient la libre circulation sur le fleuve
sans droits de douane. Cet incident qui eut lieu en décembre 1914 ne fut que le
premier d'une longue liste. Ainsi un sous-marin autrichien pénétra-t-il dans le port
Saint-Jean-de-Médua le 20 mai 1915 et proposa aux Albanais la moitié d'une cargaison
de céréales à destination du Monténégro si ceux-ci les aidaient à la capturer. Cette
cargaison de 1 600 tonnes était d'autant plus importante qu'elle permettait de nourrir
le Monténégro pendant un mois [44]. Et l'on pourrait multiplier les exemples.
Cette situation qui accroît la pénurie ne fait qu'irriter de plus en plus la population et
les militaires à l'encontre des Albanais. Ainsi, selon le roi, des soldats monténégrins
Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921)
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menaceraient de quitter leur poste pour aller prendre les marchandises bloquées en
Albanie [45]. Réalité ou tentative de chantage du roi pour engager une action en
Albanie? Toujours est-il que cette situation lui fournit un bon prétexte. D'autant plus
que le gouvernement de Durazzo [46] d'Essad Pacha [47] lui aurait offert d'occuper
Scutari et sa banlieue pour éliminer les tribus pro-autrichiennes contre lesquelles il
combat [48]. Cependant, le roi est au courant des réticences que provoquerait une
telle occupation chez ses Alliés russe, britannique, serbe et principalement italien qui
a des visées sur toute l'Albanie. Cette attitude à tenir à l'égard de l'Albanie et de
l'éventualité d'une occupation de Scutari va d'ailleurs provoquer une crise
ministérielle au sein du gouvernement royal entre le ministre des affaires étrangères
Pierre Plamenatz et les autres ministres partisans d'une intervention en Albanie.
Cependant et malgré l'avis contraire des Grands, le Monténégro occupe Scutari le 14
juin 1915.
Cette action est immédiatement perçu comme une provocation du gouvernement
monténégrin. Ainsi les Italiens qui jusqu'ici étaient en tractation avec les
Monténégrins pour des actions sur la côte dalmate, pour contrer les Serbes [49] y
voient une collusion entre le Monténégro et la double monarchie après l'entrevue de
Budua. Le ministre [50] italien à Cettigné, de Negretto, va même jusqu'à prétendre
que, par cet accord, le Monténégro s'engagerait à cesser les hostilités effectives [51].
Les Serbes reprennent ses accusations, tel le général Yankovitch, le chef d'état-major
du Monténégro à son retour auprès du gouvernement serbe à Nich [52]. Pourtant ces
deux pays omettent de signaler que tous les deux sont déjà présents sur le sol
albanais. Les Italiens à Valona [53] et ce depuis le début 1915 [54] alors qu'ils étaient
encore neutres et les Serbes quant à eux occupent la ville d'Elbassan [55] à l'Est de
Tirana, tandis que la Grèce autre pays neutre occupe l'Épire du Nord. Toutes ces
occupations se sont faites sans soulever de protestations internationales.
Toutes ces accusations seront reprises par les unionistes pour prouver la trahison et
démontrer que la politique personnelle du roi allait à l'encontre des intérêts alliés en
dégarnissant le front nord au profit d'une aventure territoriale en Albanie sans accord
avec l'état-major serbe. C'est pourtant le général Yankovitch qui demanda le transfert
de trois bataillons sur la frontière albanaise [56]. De plus ce même haut
commandement fut obligé de reconnaître que cette opération n'avait pas prélevé, à
moyen terme, de troupes sur le front nord, bien au contraire. Ainsi au moins d'août
1914 le front nord disposait de 36 204 hommes en juillet 1915, après l'opération de
pacification de la frontière albanaise, ils étaient 42 544. Alors que dans le même
temps la quatrième colonne affectée à la surveillance de la frontière albanaise
passait de 7 601 a 4 739 hommes.
Cette atmosphère de suspicion à l'égard du Monténégro eut pour conséquence de
remettre en cause l'approvisionnement du pays. Prenant prétexte de la prétendue
duplicité du roi, les gouvernements italien et anglais décidèrent de suspendre leur
aide. Ainsi le comte Salis, représentant du Royaume-Uni à Cettigné, décide son
gouvernement à suspendre l'aide au Monténégro et à ne plus prendre en charge le
rapatriement des réservistes monténégrins d'Amérique [57]. Cette même attitude est
suivie par le gouvernement italien qui décide de bloquer l'approvisionnement dans les
ports italiens car il ne "pouvait" plus assurer la protection des bateaux assurant
l'approvisionnement du pays [58].
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Qu'en était-il de l'aide française? On l'a vu, le Monténégro n'était pas considéré
comme ayant une importance stratégique pour la conduite de la guerre. Pourtant, dès
le début du conflit, le ministère de la marine s'interrogea sur le moyen de tenir un
blocus de l'Adriatique, rendu possible par la neutralité italienne. L'amiral Boué de
Lapeyrère qui avait été chargé de faire un rapport sur la stratégie navale à appliquer
en Méditerranée préconisait ceci: "pour tenir le blocus de l'Adriatique, il n'y a que
deux solutions: s'installer dans une baie des îles ioniennes appartenant à la Grèce ou
s'emparer d'une base ennemie" [59]. Dans le même temps, le roi du Monténégro
proposait au gouvernement français la conquête de la base la plus méridionale de
l'Autriche; Cattaro, en coordination avec la flotte et les troupes françaises [60]. Le
ministère opta donc pour la seconde solution. À cet effet la France envoya donc 8
canons et 140 marins sous les ordres du capitaine de frégate Grellier. Le manque de
moyen et de stratégie conduira cette expérience à l'échec, malgré des débuts
prometteurs. Les canons ne purent rien contre les fortifications tandis que les navires
étaient hors de portée. La poudre noire utilisée par ces vieux canons les rendit
vulnérables (au 27 octobre déjà deux pièces détruites et 21 morts). Les conditions
climatiques sur le mont Lovtchen à plus de 1700m aidant, les effectifs déclinèrent
rapidement et le 23 novembre 1914 les troupes françaises réembarquaient [61].
L'échec était retentissant et le journal italien "Corriere della Serra" parlait d'inaction
de la flotte française qui permettait à l'Autriche-Hongrie de faire de l'Adriatique sa
propriété [62]. Delaroche-Vernet [63] eut à ce titre à se plaindre du manque action
de la flotte de l'amiral de Lapeyrère contre le blocus, celui-ci préférant conserver sa
flotte intacte plutôt que de l'engager dans des combats [64].
La situation qui voulait que pour le moment le Monténégro résiste au puissant voisin
autrichien était donc purement artificielle. Elle ne tenait qu'au peu d'empressement
de ce dernier à agir dans les Balkans, préférant d'abord circonscrire le danger russe en
Galicie. Aussitôt que celui-ci passerait à l'offensive, les problèmes de pénurie que
subissaient le pays dans ces temps de relatif accalmie ne feraient que croître, au
point de l'entraîner vers le désastre [65].
Notes
1. Les plus hautes montagnes culminent à plus de 2000m avec le mont Durmitor, 2523m.
2. "Dans l'ensemble, le Monténégro est un pays de parcours très difficile. Il possède cependant un réseau de
bonnes routes dans la partie méridionale, un chemin de fer à voie étroite, un port maritime assez bien outillé" in
Notice sur l'Albanie et le Monténégro, par le ministère de la guerre, 1915, p 120
3. L'Italie a reçu le monopole des tabacs, a participé à l'assèchement du lac de Dulcigno, gère l'unique ligne de
chemin de fer du pays qui relie Antivari à Virpazar sur le lac de Scutari dont elle assure la navigation et entretient
un service régulier entre Bari et Antivari. "avec les consulats, la douane, il y a là les éléments d'une ville moderne
où l'on entend parler beaucoup italien" in Notice sur l'Albanie et le Monténégro, par le ministère de la guerre,
1915, p 132
4. En 1910 le Monténégro importait pour 8 166 661 francs de produits dont 7 600 tonnes de céréales in Rapport sur
les dommages causés à la Serbie et au Monténégro présenté à la commission des réparations et dommages par la
délégation du royaume S.H.S. à la Conférence de la Paix, 1919, p 148
5. 2 300 000 de francs en 1911, in Rapport sur les dommages causés à la Serbie et au Monténégro présenté à la
commission des réparations et dommages par la délégation du royaume S.H.S. à la Conférence de la Paix, 1919, p
147-148
6. Dépêche Tailhand chargé d'affaire à Cettigné au ministre des affaires étrangères (MAE), Archives du MAE, ns
Monténégro n°9, p 32
7. A. Radovitch, Le Monténégro, son passé et son avenir, 1918 p23-35
8. "Il a avoué lui-même n'avoir octroyé la constitution qu'en vue de l'étranger, notamment pour y trouver du
crédit, et pour assurer légalement la stabilité de sa dynastie" in A. Radovitch, Le Monténégro et ses tendances
nationales, 1918, p 10
9. Assemblée nationale en Serbie et au Monténégro.
10. A. Radovitch, Le Monténégro et ses tendances nationales, 1918, p 11
11. Le Monténégro perdit 10 000 hommes dans le siège de Scutari, Yanko Spassoyevitch, Le roi Nicolas et l'union du
Monténégro avec la Serbie, 1918, p 47
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24
12. John D. Treadway, The Falcon and the Eagle: Montenegro and Austria-Hungary, 1983, p 182-199
13. Fils de Pierre Ier de Serbie et de la princesse Zorka Petrovitch-Niegoch (fille ainée de Nicolas Ier) se trouve
donc être le petit-fils de Nicolas Ier. Du fait du mauvais état de santé de son père, Alexandre assume la direction
effective du royaume de Serbie depuis juin 1914 avec le titre de prince-régent.
14. Vladimir Popovitch, Le Monténégro pendant la Grande Guerre, 1918, p 61-63
15. J. D. Treadway, The Falcon and the Eagle, 1983, p 191
16. J. D. Treadway, The Falcon and the Eagle, 1983, p 197
17. Attaché militaire autrichien à Cettigné.
18. J. D. Treadway, The Falcon and the Eagle, 1983, p 198
19. Rivières du Nord du Monténégro qui encadrent le massif du Durmitor. En se rejoignant elles forment la Drina
qui s'écoule vers le Nord en direction du Danube et dessine en bonne partie la frontière entre la BosnieHerzégovine et la Serbie.
20. "God is my witness that I never willed the war, for I know what is at stake. Destiny fulfills itself; it is stronger
than the human will" J. D. Treadway, The Falcon and the Eagle, 1983, p 199
21. Dépêche de Nich (Boppe) à ministère des affaires étrangères (Doumergue), AMAE, gu14-18, n°322, p 1-3. "Le
gouvernement russe n'aidera le Monténégro que si celui-ci concerte son action avec la Serbie."
Ministre plénipotentiaire français auprès du gouvernement serbe.
22. Selon V. Popovitch, Le Monténégro dans la Grande Guerre, 1918, p 87-88, cette arrivée s'est faite sur demande
du gouvernement monténégrin.
23. Région de l'Est de l'Empire austro-hongrois, correspondant aujourd'hui à la région de L'vov en Ukraine
occidentale.
24. Chaîne de montagnes qui s'étend en arc de cercle de la Slovaquie à la Roumanie en passant parla Pologne et
l'Ukraine.
25. Nombreuses dépêches du ministre plénipotentiaire français à Cettigné Delaroche-Vernet au ministère des
affaires étrangères, AMAE, gu14-18, n°322, p 83 les 06.01.1915 bombardements de Cettigné AMAE, gu14-18,
n°322, p 91 les 15.01.1915 bombardements de Cettigné AMAE, gu14-18, n°1029, p 4 les 02.03.1915
bombardements et débarquement des Autrichiens à Antivari.
AMAE, gu14-18, n°1029, p17 le 31.03.1915, Delaroche constate l'augmentation des bombardements et l'inaction
alliée alors que ceux-ci ont envoyé des avions en Serbie.
AMAE, gu14-18, n°322, p 151 le 07.04.1915, 12 morts et 48 blessés à Podgoritza.
26. Ville de la côte adriatique situé en territoire austro-hongrois.
27. Fleuve italien qui se jette dans l'Adriatique près de Trieste et qui correspondait à la ligne de front séparant
l'Italie de l'Autriche-Hongrie.
28. Aujourd'hui Skopje, capitale de la Macédoine.
29. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°4, p 86
30. Ou Alessio, aujourd'hui Lezh en Albanie.
31. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°322 p 8
32. Dépêche MAE à Delaroche, AMAE, gu14-18, n°1028 p 1
"...les escadres Alliées vont débloquer le Monténégro."
33. Notice sur l'Albanie et le Monténégro, par le ministère de la guerre, 1915, p 102
34. Jean Arcille, Et le Monténégro??? Exposé de la question balkanique, 1919, p 4-5
35. Dépêche MAE à Delaroche, AMAE, gu14-18, n°335, p 34
36. Ancien minsitre de la marine et commandant des flottes Alliées en méditerranée entre 1914 et 1915.
37. Dépêche MAE à Delaroche, AMAE, gu14-18, n°335, p 39
38. Le gouvernement Serbe était chargé de distribuer au gouvernement monténégrin l'aide que les Alliés allouaient
au Monténégro (1.5 francs/jour/soldat). Cependant elle reversait cette somme en dinars. Ce qui fait que pour
acheter des produits à l'étranger, le Monténégro était obligé de les changer contre des devises à la banque francoSerbe de Paris. En fin d'opération, la subvention perdait 50% de sa valeur. Ce type de manœuvre se produisait aussi
avec les marchandises en provenance de Russie par le Danube.
39. Note de Margerie (dir. de la direction politique et commerciale du MAE) à Doumergue, AMAE, gu14-18, n°335,
p 55
40. Fleuve albanais qui relie le lac de Scutari à la mer Adriatique. Aujourd'hui Bunë en Albanais.
41. Prince allemand choisit par les Grandes Puissances (notamment l'Autriche-Hongrie et l'Italie) pour être le
souverain de la nouvelle Albanie. Arrivé en mars 1914, il installe sa capitale à Durazzo, mais doit faire face à deux
révoltes: l'une au Sud, soutenue par les Grecs, l'autre dans la région de Tirana favorable au Turcs. Au
déclenchement du conflit mondial, les experts internationaux des Grandes Puissances chargés de veiller à son
installation se retirent dans leur pays respectif. Il doit s'enfuir en septembre 1914.
42. J.D. Treadway, The Falcon and the Eagle, 1983, p 189
43. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°322, p 80 et 89
44. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°335, p 191
45. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°335, p 195
46. Aujourd'hui Durrës en Albanie.
47. Membre d'une importante famille albanaise, il soutient la révolution Jeunes-Turcs. Élu au Parlement turc, il
combat les Monténégrins à Scutari mais est obligé de se rendre en 1913. Il accueille favorablement Guillaume de
Wied, mais se brouille rapidement avec lui et fomente une rébellion qui oblige le prince à partir en septembre
Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921)
Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I
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1914. Il prend alors le pouvoir laissé vacant. Il impose un pouvoir dictatorial avec l'aide de l'Italie, mais ne peut
s'opposer à l'invasion de son pays par les Autrichiens en février 1916.
48. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°322, p 82
49. Dépêche Barrère (Rome) à MAE, AMAE, gu14-18, n°322, p 93
Ambassadeur de France à Rome auprès du gouvernement italien.
Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°322, p 183
50. Pour les petits pays, on parle de ministre plénipotentiaire et non d'ambassadeur. Ce titre est réservé à
l'époque aux représentants des Grandes Puissances dans les grandes capitales (Berlin, Constantinople, Londres,
Paris, Rome, Pétrograd, Vienne, Washington). Les petits pays qui n'ont pas les moyens d'avoir un représentant
diplomatique dans chaque pays, désigne un chargé d'affaire. C'est le cas du Monténégro à Paris.
51. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°323, p 2
52. Dépêche Boppe (Nich) à MAE, AMAE, gu14-18, n°323, p 20
Belgrade étant occupé par les forces germano-autrichiennes, le gouvernement serbe s'est replié sur la ville de Nich
(aujourd'hui Nis) dans le Sud de la Serbie.
53. Vlorë au Sud de l'Albanie.
54. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°322, p 81
55. Aujourd'hui Elbasan.
56. Ordre confidentiel n°29 de 28.05.1915 du général Yankovitch. Mais celui-ci se ravisera après avoir reçu des
directives de Nich. V.Popovitch, Le Monténégro dans la Grande Guerre, 1918, p 132
57. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°335, p 258
58. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°335, p 262
59. Louis Cadars, La guerre d'Orient 1914-1918, in les cahiers de l'histoire, 1965, p 123
60. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°1028, p 14
61. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°322, p 40
62. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°1028, p188
63. Ministre plénipotentiaire français à Cettigné puis à Paris auprès du roi Nicolas Ier.
64. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°322, p 66
Mais on retrouve cette attitude chez tous les marins de l'époque qui après avoir consacré tant d'effort à construire
ces flottes, ne voulaient pas les engager. D'où le peu de combat naval durant cette guerre.
65. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°1029, p 265
Le manque de munition est "la seule entrave réelle aux progrès de l'armée monténégrine (...c'est) la question du
ravitaillement qui, en fait, reste la question vitale à l'heure actuelle." Le 02.01.1916, mais il est déjà trop tard.
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III. Vers le désastre
L'offensive Mackensen [1] d'octobre 1915 vint détruire ce bel équilibre, et l'entrée en
guerre des Bulgares aux côtes des Centraux ne fit qu'accroître ce déséquilibre des
forces en présence, au profit des austro-germano-bulgares. Le chemin de croix des
Serbes, à travers les montagnes d'Albanie et du Monténégro, allait rappeler
douloureusement aux opinions publiques Alliées qu'il existait un autre front, là-bas en
Orient, dans des Balkans qui avait été à l'origine du conflit. La guerre ne se limitait
pas à un affrontement franco-allemand, comme voulait le croire les grands stratèges
qu'ils aient été Alliés ou Centraux. Ainsi avant de voir les conditions qui ont amené le
peuple serbe à entamer sa pénible retraite et le Monténégro à déposer les armes en
janvier 1916, j'essayerais d'en découvrir les raisons à travers un récapitulatif de la
politique alliée dans les Balkans.
A. Le front d'Orient et les Alliés
Lorsqu'en août 1914 par le jeu des alliances, l'Europe se retrouve plongée dans la
guerre, tout le monde pense à un conflit cours, dont la décision interviendra sur le
front de l'Ouest, l'engagement russe n'étant pour les Français qu'un moyen de dégarnir
le front allemand de l'Ouest pour pouvoir remporter la décision. Les différents étatsmajors ne possèdent pas de plan pour les Balkans. De toute façon l'armée austrohongroise ne doit faire qu'une bouchée de la Serbie. Il n'est donc pas nécessaire de lui
prévoir une quelconque aide. Mais ces prévisions ne se réaliseront pas. Le conflit
s'enlise à l'Ouest et les deux petits Alliés balkaniques offrent une résistance
inespérée. Ces changements dans l'ordre des prévisions auraient dû provoquer un
changement chez les états-majors. Peine perdue, les généralissimes Kitchener [2] et
Joffre [3] ne voient toujours que par le front de l'Ouest et se désintéressent des
Balkans.
Les Russes eux-mêmes n'ont pas de réelle politique dans les Balkans, si ce n'est le
mirage des détroits. Depuis Pierre le Grand ils sont le seul et unique but de la
politique russe dans cette région. Si elle s'engage aux côtes des Balkaniques en 1878
ou en 1912 c'est dans le but d'affaiblir l'Empire ottoman pour en obtenir des
concessions. Si en 1913 elle opte pour la Serbie contre la Bulgarie, c'est que celle-ci
menace de prendre Constantinople. Son engagement dans le conflit pour la défense
de la Serbie ne peut alors apparaître que comme un leurre; Constantinople est
l'objectif majeur de son pan slavisme. Sa politique à l'égard des Balkans durant le
conflit ne fait que renforcer cette tendance. Elle entraîne ses Alliés (Grey et Delcassé
[4]) dans son aveuglement. Ainsi dans l'opération des Dardanelles, dont elle est à
l'origine [5], demande-t-elle à ses alliés de refuser l'aide grecque dont elle craint les
ambitions. Aussi fait-elle parvenir, dans un mémorandum, aux pays Alliés ses buts de
guerre avant le début de l'opération pour parer à toute initiative anglaise. Ce
mémorandum réclamait en cas de victoire non seulement Constantinople mais aussi
toute la Thrace du Sud. Le sort de la Serbie était bien loin de ses considérations.
Ainsi les intransigeances russes avaient conduit la Turquie à la guerre [6] et la Grèce à
rester, pour une longue période encore, dans la neutralité malgré les propositions de
Venizélos. Quant à la Roumanie, elle était en but à la même intransigeance
(problème de la Bessarabie [7]). Restait enfin la Bulgarie. Comme nous l'avons vu, la
deuxième guerre balkanique entre les anciens alliés avait poussé celle-ci dans les bras
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de la Triplice, qui voyait là le moyen de barrer la route a l'impérialisme russe et à
l'agitation serbe. Cependant au moment du début des hostilités, le roi Ferdinand
restait dans l'expectative, attendant le meilleur moment pour participer au conflit. La
Turquie entrée en guerre aux côtes des Centraux, la diplomatie britannique,
bulgarophile, se tourna naturellement vers la Bulgarie pour l'entraîner du côté des
Alliés. Pour cela l'Entente n'hésita pas à proposer des avantages territoriaux au
détriment de la Turquie (Thrace) mais aussi au détriment de la Serbie (Macédoine),
alors même que l'Entente était entrée en guerre pour défendre l'intégrité de ce même
pays. Le sort de la Serbie était donc encore une fois bien loin des préoccupations de
l'Entente. Ces discussions durèrent jusqu'au dernier moment alors même que la
Bulgarie avait déjà signé une convention militaire avec les Centraux le 6 septembre
1915. Ces pourparlers empêchèrent ainsi la Serbie de mettre fin aux préparatifs
Bulgares, en menant une attaque préventive dans la région de Pirot [8]. C'était une
nouvelle occasion manquée.
Suite aux visées russes sur les détroits, l'Entente décide de mener une opération sur
les Dardanelles, suivant en cela le plan du chef de l'amirauté britannique Winston
Churchill [9] contre le plan de Briand [10] et Lloyd George [11] qui prévoyait un
débarquement à Salonique pour soutenir les troupes serbes durant leur contreoffensive de la fin 1914, durant laquelle le général Putnik [12] reprit Belgrade. Cette
expédition qui eut lieu de février 1915 à janvier 1916 se révèle être un terrible échec
pour l'Entente. Et le 8 janvier, les membres du corps expéditionnaire quittent
Gallipoli [13], pour se réfugier à Salonique. En effet, les Alliés occupent la ville depuis
le 3 octobre 1915, suivant en cela les prescriptions [14] qui a été limogé de la
troisième armée par Joffre est envoyé à Salonique le 12 octobre, mais il est sans
moyen, et cette décision militaire s'apparente plus en réalité à une décision politique
[15]. Mais tout ceci arrive trop tard, Sarrail ne peut rien contre l'effondrement serbe.
B. La retraite serbe
L'échec de la politique russophile de Delcassé et la non-prise en compte du rôle de la
Serbie, et du Monténégro dans les opérations militaires de l'Entente, conduisirent ces
deux pays vers une défaite inévitable. Débarrasser du danger russe, les puissances
centrales pouvaient enfin mettre à bas la résistance serbo-monténégrine sur leur
flanc sud. Aidés par les incohérences de la politique Alliée, les Centraux purent à
loisir préparer leur offensive.
L'offensive de von Mackensen avait pour but d'assurer les arrières des Empires
Centraux en intégrant de gré ou de force les Balkans dans la "forteresse allemande".
L'alliance avec la Bulgarie étant dès lors acquise, cette intégration passait sur le
cadavre de la Serbie. Une fois ce plan appliqué, il devait permettre à l'Allemagne de
se retourner contre la France. La bataille de Verdun ne fut donc que le prolongement
occidental de cette offensive des Centraux dans les Balkans à la fin 1915. Le plan
prévoyait un vaste mouvement enveloppant contre toutes les frontières de la Serbie,
sauf à l'Ouest sur la Drina face au Monténégro, car les forces austro-hongroises étaient
affaiblies par les envois de troupes sur l'Isonzo. Le but de la manœuvre était donc de
prendre en tenaille la Serbie et de capturer ainsi son armée.
Les forces germano-autrichiennes passent donc à l'offensive le 4 octobre 1915 et
prennent Belgrade le 9. Cinq jours plus tard la Bulgarie déclare la guerre à la Serbie
Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921)
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et entre en Macédoine. Le 25 Usküb était prise. Cette victoire bulgare coupe toute
possibilité de retraite vers le Sud en direction de Monastir et Salonique pour rejoindre
les forces Alliées. Celles-ci ne sont d'ailleurs pas en nombre assez suffisant pour
pouvoir venir en aide aux Serbes. De plus la multiplicité des ordres contradictoires
émanant du ministère de la guerre ne leur permet pas d'agir en toute clarté. Ainsi le 7
octobre leur demande-t-on de pénétrer en Serbie pour secourir les Serbes. Trois jours
plus tard, un nouvel ordre, leur demande de ne pas franchir la frontière gréco-serbe.
Le 12, nouvel ordre, l'armée de Salonique doit couvrir la voie ferrée de Salonique en
Serbie, puis le 23, de se lier avec les Serbes vers Usküb et Veles [16] tout en restant
en contact avec Salonique. Contradictions entre les différents ordres reçus, manque
de moyen matériel et humain, le général Sarrail ne peut sauver la Macédoine et se
retranche derrière la frontière grecque tandis qu'à l'Est les Bulgares occupent la
Thrace occidentale dans sa totalité. La Grèce se retrouve donc plonger dans le conflit
malgré sa neutralité, même si l'accord serbo-grec de juin 1913 prévoyait une alliance
défensive entre les deux pays contre une attaque de la Bulgarie.
La défaite éclair des Serbes en Macédoine peut s'expliquer par un manque de
prévoyance du côté de l'état-major serbe. En effet au lieu de concentrer ses forces
dans le Sud pour pouvoir protéger l'axe Morava-Vardar [17], celui-ci a préféré se
battre sur tous les fronts en dispersant ses armées pour ne pas perdre toute
possibilité de retraite vers Salonique, comme cela avait été prévue. Par ailleurs ce
plan faisait fi du cas du Monténégro qui serait ainsi resté seul face aux Centraux. Ce
changement de plan qui prévoie maintenant une retraite vers l'Adriatique à travers
l'Albanie et le Monténégro ne pouvait que soulager le Monténégro mais coûta au
peuple serbe une longue et pénible retraite durant laquelle ils durent abandonner
dans les montagnes tout leur matériel.
Durant cette première partie de l'offensive des Empires Centraux contre la Serbie, le
Monténégro n'eut que peu à souffrir des attaques autrichiennes. Ce qui ne retire rien
à sa situation dramatique du point de vue du ravitaillement rendu difficile a la fois
par le blocus autrichien et par la mauvaise volonté des Italiens et des Britanniques.
L'annonce de la venue des Serbes est donc perçue positivement par la population et
par le roi qui dans son discours de Podgoritza le 29.11.1915, incite la population à
continuer la lutte aux côtes des Alliés qui ne tarderont pas à venir en aide au royaume
[18]. Mais l'arrivée des troupes serbes au Monténégro n'est pas à la hauteur de ses
espérances. Depuis leur évacuation de Nich le 5 novembre, les Serbes mènent une
difficile retraite sur les routes de montagnes monténégrines. Ayant dû abandonner
leur matériel, ils sont affamés et démoralisés [19]. De plus, ce ne sont pas seulement
les troupes serbes qui arrivent, mais tout un peuple avec sa masse de réfugiés (aux
alentours de 130 000 réfugiés) ce qui a pour effet d'accroître encore plus la pénurie
alimentaire du Monténégro.
Malgré ce défaitisme chez les Serbes qui conduit le colonel Pechitch [20] a confié à
Delaroche-Vernet que "maintenant tout est fini !" dès le 25 novembre [21], le moral
des Monténégrins reste bon [22]. À partir de ce moment, lorsque les armées serbes
eurent quitté le territoire serbe et abandonné l'Est du Monténégro (Ipek et Diakovitza
[23]), l'armée monténégrine prend en charge la défense des troupes serbes qui
dorénavant ne se battent plus. Cette lourde charge revient à la deuxième et troisième
colonne monténégrine [24] qui jusqu'au bout protégèrent la retraite de leur allié
comme on leur avait demandé [25]. Mais à partir de décembre, la situation devient de
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plus en plus intenable et provoque une crise ministérielle. Le cabinet Y.Voukotich est
remplacé par Lazare Miouchkovitch qui, même si il est perçu comme austrophile,
décide de continuer la lutte avec l'assentiment de la Skoupchtina [26]. Mais les
difficultés de ravitaillement, le choléra et le défaitisme répandu par les réfugiés
serbes finissent par achever la résistance des Monténégrins qui le mois suivant
s'effondreront sous les coups de butoir de l'armée autrichienne.
C. Janvier 1916
La défaite du Monténégro en ce mois de janvier 1916 marque la fin de l'existence
"territoriale" de cet état indépendant plus de cinq siècles. Les conditions dans
lesquelles eut lieu cette défaite conduisirent les Alliés à émettre des doutes sur la
loyauté du roi. Ces propos furent repris à grand renfort de publicité par les unionistes
et à travers eux par le gouvernement serbe. Si le Monténégro avait été battu, c'est
qu'on l'avait trahi. À cet égard la politique ambiguë du roi durant les deux derniers
mois de sa présence dans son pays ne put que renforcer le camp de ses détracteurs,
aussi bien parmi ses sujets que parmi ses alliés. Ces reproches portent à la fois sur le
fait que la victoire autrichienne ait été si rapide et sur la tentative de paix séparée
entre l'Autriche-Hongrie et le Monténégro.
Comme nous l'avons vu, la situation en ce début janvier devient catastrophique pour
le Monténégro, submergé par les réfugiés serbes. Pourtant le front monténégrin du
Sandjak et d'Herzégovine résiste toujours aux Centraux et permet en cela l'évacuation
par Scutari du gouvernement serbe et de son armée. On peut alors juger le rôle
pleinement bénéfique qu'eut dans ces moments pour les Alliés l'occupation de la ville,
par les forces monténégrines en juin 1915 [27]. Occupation qui causa tant de
problème pour le Monténégro. Mais le 8 janvier, le général autrichien, Conrad von
Hötzendorf ordonne l'offensive sur tous les fronts contre le Monténégro [28], contre
l'avis de von Falkenhayn [29] pour qui il fallait immobiliser le plus de troupes Alliées
possibles dans cette région, dans le cadre d'une offensive sur le front de l'Ouest. "Les
forces de l'Entente (si elles étaient expulsées) deviendraient disponibles pour
d'autres théâtres de guerre, les Bulgares ne le seraient plus" [30]. Selon la stratégie
serbe, la majorité des forces monténégrines étaient affectées à la défense de l'aile
gauche de l'armée serbe (deuxième et troisième colonne soit un total de 35 000
hommes), puis à la protection de la retraite serbe dans le Sandjak. À cet effet le
général Yankovitch avait dégarni la première colonne qui occupait le mont Lovtchen
qui protégeait la capitale Cettigné. En octobre 1915 elle ne comprenait donc plus que
7 000 hommes. En face le 8 janvier, le feld-marechald-lieutenant Weber von
Webeneau, commandant de Cattaro, disposait de 25 000 fantassins auxquels
s'ajoutaient la flotte, forte de 14 unités dont quatre croiseurs. Si comme le
prétendront plus tard les unionistes le Monténégro avait trahi et que la cause du mont
Lovtchen était entendue depuis l'entrevue de Budua entre le prince Pierre et le
colonel Hubka, pourquoi un tel déploiement de force. A-t-on besoin réellement d'aller
chercher les causes de la perte du Lovtchen dans une prétendue trahison? Incapable
de résister le mont Lovtchen est abandonné, ce qui ouvre aux Autrichiens le chemin
de Cettigné et de la côte (Antivari est prise le 11 et la capitale le 15) [31]. Cette
chute a pour conséquence de briser la résistance monténégrine, ordre est alors donné
à la IIme et IIIme colonne de se replier sur Podgoritza et Scutari. Mais elles sont à ce
moment-là à plus de 100km de ces points, sur les frontières du vieux Monténégro.
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Dans ces conditions, la continuation de la lutte devient intenable. Le nouveau
gouvernement Miouchkovitch demande au roi de négocier avec les Autrichiens un
armistice le 10 janvier. Devant les exigences autrichiennes, le roi refuse de poursuivre
les négociations [32]. À la suite de ce refus, le gouvernement donne sa démission que
le roi refuse [33]. Le gouvernement est appuyé en cela par les déclarations du colonel
Pechitch et du représentant serbe L. Michailovitch ainsi que du représentant russe
Obnorsky qui poussent le roi à demander la paix, puisqu'il a refusé les propositions du
gouvernement royal. Ainsi le roi écrit-il le 13 janvier pour demander la paix, dans le
but d'arrêter temporairement les hostilités et permettre ainsi le regroupement des
forces monténégrines. François-Joseph [34] se défaussant sur son commandement
local, les hostilités ne s'arrêtent pas. De plus les nouvelles conditions sont
inacceptables:
• reddition des troupes serbes se trouvant encore au Monténégro
• remise sans conditions de l'armée monténégrine
• installation de garnisons autrichiennes pendant la durée du conflit
• remises aux troupes autrichiennes des moyens de communication
• libre passage vers l'Albanie
Nicolas refuse de nouveau de prolonger les négociations devant la continuation des
hostilités. Prenant prétexte de ces pourparlers, le gouvernement serbe accuse le roi
de duplicité, et rappelle le colonel Pechitch. Ce dernier transmet son commandement
au général Y.Voukoutitch en lui assurant de tenir la route de Scutari.
Le 19 janvier la cour, le roi, le chef de gouvernement et les différents représentants
diplomatiques quittent Podgoritza pour Scutari. Ils laissent sur place le prince Mirko,
malade, ainsi que trois ministres (Radoulovitch, Popovitch, et le général Vechovitch)
pour continuer les pourparlers et assurer la retraite de troupes vers Scutari. Le roi
quitte Scutari le 20 pour Brindisi. Mais les troupes serbes qui devaient tenir Scutari
pour permettre la retraite des Monténégrins quittent la ville pour Durazzo. Ainsi les
austro-hongrois qui continuaient leur progression vers le sud pénètrent-ils sans
combat dans la ville le 21 janvier coupant ainsi toute retraite aux Monténégrins. Face
à cette situation, les membres du gouvernement et les députés réunis dans la
manufacture des tabacs de Podgoritza décident de dissoudre l'armée en proclamant
que celle-ci devait s'identifier au peuple et donc que les armes cessaient d'être
propriété de l'état.
Le Monténégro est donc défait, dans des conditions malheureuses qui conduisirent les
Alliés à émettre des doutes sur la volonté de Nicolas à continuer la lutte. Doutes
largement repris et entretenus par le gouvernement serbe et ensuite par les membres
du Comité Monténégrin pour l'Union Nationale. Le Monténégro avait trahi la cause
Alliée. Mais que firent ces Alliés pour venir en aide au Monténégro. Malgré les
difficultés de ravitaillement et la situation de pénurie, A. Radovitch ira jusqu'à nier
l'existence de cette pénurie qui selon lui ne saurait expliquer la défaite [35], les Alliés
ne soutiennent pas entièrement le pays. Ainsi la mission britannique "British Adriatic
Mission" commandée par Harry Lamb qui a en charge de venir en aide aux réfugiés
serbes, à ordre de son gouvernement de ne pas venir en aide au Monténégro car ce
pays est soupçonné de traîtrise. Il en est de même pour l'Italie. Il faudra attendre une
réunion entre le gouvernement royal monténégrin et les représentants diplomatiques
des pays Alliés le 6 janvier, pour que ceux-ci se décident enfin à venir en aide au
Monténégro. Mais il est déjà bien tard puisque le 8, c'est l'offensive autrichienne. Que
firent les marines française et italienne qui avaient en charge ce secteur, contre les
Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921)
Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I
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attaques de convois de ravitaillement par les sous-marins ou contre la flotte
autrichienne lorsqu'elle participa aux opérations du 8 et des jours suivants en
bombardant le Lovtchen et la côte.
Tout le monde s'empressa de parler de trahison [36]. Il était bien évidemment plus
facile pour les gouvernements Alliés, de voir les choses ainsi, plutôt que de
reconnaître leurs erreurs dans la conduite des opérations dans les Balkans. Erreurs qui
avaient amené la Serbie à abandonner son territoire et le Monténégro à capituler
[37]. S'il y a eu trahison, ne peut-on pas parler de la trahison des Alliés [38]. Le
Monténégro fut le seul des Balkaniques à prendre la défense du peuple serbe [39], se
battant sans arrières pensées [40], au contraire des Serbes, comme le colonel
Pechitch qui dans une polémique l'opposant à un autre général, dans le journal serbe
la Pravda, avouera avoir placé l'armée monténégrine dans une situation telle qu'elle
était obligée de capituler. Et qu'il amena le roi à capituler pour le plus grand bénéfice
de la Serbie qui évitait ainsi qu'une armée monténégrine ne se reforme à Salonique ce
qui aurait empêché par la suite l'union des deux royaumes [41].
Les deux Guerres Balkaniques qui ont permis au Monténégro d'asseoir son
indépendance grâce à des acquisitions territoriales ont aussi contribué à affaiblir un
royaume déjà pauvre. L'année de répit entre ces guerres et le début du premier
conflit mondial ne lui permit pas de parfaire son développement. Ainsi, entre-t-il dans
ce nouveau conflit exsangue. Pourtant le Monténégro résista pendant plus de 18 mois
aux offensives des Centraux, et ce malgré les privations et le peu d'aide qu'il reçut
des pays Alliés. N'ayant que peu d'intérêt pour ce front, ceux-ci menèrent une
politique attentiste, au jour le jour, aveuglés par des intérêts qui dépassaient ceux de
leurs alliés balkaniques. Cette politique ou non-politique dans les Balkans eut pour
conséquence l'occupation de ces deux Alliés par les Centraux. Dès lors, il fut plus
facile de rejeter la défaite sur un bouc émissaire; le Monténégro avait trahi. Cette
suspicion des Alliés à l'égard du Monténégro, fut encouragée par le frère d'arme serbe
qui y voyait enfin là, le moyen de se débarrasser d'un roi encombrant pour ses projets
de Grande Serbie. Cette politique de déstabilisation du Monténégro trouva toute son
ampleur durant l'exil français du roi Nicolas à travers les "intrigues monténégrines"
entretenues par l'ancien président du conseil Andriya Radovitch qui dans cette
entreprise pouvait compter sur le gouvernement serbe.
Notes
1. Maréchal allemand , commandant du front de l'Est. Il conduit les opérations militaires des Empires Centraux en
Galicie contre les Russes en 1914, puis contre la Serbie en 1915-1916, occupe la Roumanie en 1917 et est défait
par les Alliés sur le front de Macédoine en 1918.
2. Maréchal britannique, ministre de la guerre. Après avoir combattu au Soudan et durant la guerre des Boers en
Afrique du Sud, il devient résident général en Égypte. Rappeler à Londres en 1914 pour devenir ministre, il
s'emploie à réorganiser l'armée britannique en prévision d'une guerre longue. Il meurt noyé après que son bateau
qui l'amenait en Russie a heurté une mine allemande aux larges des îles Orcades.
3. Général puis maréchal français, commandant en chef des forces armées françaises. Dépassé par l'offensive
allemande d'août 1914, il organise la retraite française et se voit créditer de la victoire de la Marne en septembre.
il est remplacé à son poste par le général Nivelle après Verdun. On lui offre alors le poste honorifique de conseiller
militaire en chef auprès du gouvernement. Il était résolument contre l'établissement du second front dans les
Balkans.
4. Respectivement ministre du Foreign office britannique et ministre des Affaires étrangères français. À ce titre ils
sont tout les deux considérés comme les artisans de la création de la Triple Entente.
5. Occupation des détroits pour assurer son ravitaillement et faire diversion alors qu'elle est en pleine débâcle
dans le Caucase.
6. Le gouvernement turc était près à désavouer le bombardement des ports russes le 28 octobre 1914 par les
Jeunes-Turcs.
7. Région de Russie peuplée majoritairement de roumanophone. Elle correspond aujourd'hui à l'actuelle Moldavie.
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8. Ville serbe située à l'Est de Nich près de la frontière bulgare.
9. Homme politique britannique, membre du parti conservateur, il est depuis 1911 Premier lord de l'Amirauté
(c'est-à-dire ministre de la marine). il sera Premier ministre durant le second conflit mondial.
10. Homme politique français, membre du parti socialiste. Déjà plusieurs fois ministre et président du conseil, il
l'est de nouveau d'octobre 1915 jusqu'à mars 1917 lorsque son gouvernement tombe suite aux manœuvres de
Clemenceau. Partisan du front d'Orient, c'est lui qui écarte Joffre du commandement des armées françaises. Il se
distinguera dans l'après-guerre par une attitude conciliante à l'égard de l'Allemagne et deviendra un "apôtre de la
paix" (prix Nobel de la Paix en 1926 avec son homologue allemand Gustav Stresemann).
11. Homme politique britannique, chef du parti libéral. Ministre des munitions puis de la guerre, il devient Premier
ministre en décembre 1916. Il le restera jusqu'en 1922. Il jouera un rôle de modérateur à la Conférence de la Paix
entre les exigences de Clemenceau et les propositions idéaliste de Wilson.
12. Maréchal (voïvode) serbe, commandant en chef des armées serbes. Considéré comme un des meilleurs
tacticiens et stratèges de son époque, il a participé victorieusement aux guerres balkaniques, mais affaibli par la
maladie il ne peut rien contre l'offensive combinée des austro-germano-bulgares de novembre 1915. Il meurt à
Nice en 1917.
13. Aujourd'hui Gelibolu en Turquie. Partie européenne du détroit des Dardanelles, là où le corps expéditionnaire
Allié a debarqué en avril 1915.
14. Général français, commandant de la IIIe armée lors de la bataille de la Marne. Renvoyé par Joffre, il est
nommé commandant des forces alliés sur le front d'Orient à Salonique en 1915. Il est rappelé à Paris en décembre
1917.
15. Cette décision qui pour Sarrail s'apparente à une humiliation provoquera une crise parlementaire, les Radicaux
et les Socialistes prenant son parti contre Joffre considéré comme l'homme de la droite.
16. Ville située en Macédoine, au Sud-est d'Usküb sur la route de Salonique.
17. Axe formé par les deux rivières, l'une remontant vers le Nord et le Danube (Morova), l'autre decendant vers le
Sud et Salonique, et qui ouvre une brèche dans les Balkans entre les Monts Sar à l'Ouest (frontière albanomacédonienne) et les Monts Osogov à l'Est (frontière bulgaro-macédonienne). Ce qui en fait un axe de pénétration
vers l'intérieur des Balkans à partir du port de Salonique situé sur la mer Égée.
18. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°323, p 225
19. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°323, p 252
20. Le colonel Pechitch a remplacé le général Yankovitch à la tête de l'état-major monténégrin en juillet 1915
21. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°323, p 221
22. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°323, p 252
23. Aujourd'hui Dakovica au Kosovo.
24. Communiqués officiels publiés par le haut commandement monténégrin sous les ordres de Pechitch in V.
Popovitch, Le Monténégro pendant la Grande Guerre, 1918, p 166-172
25. Généralissime serbe Putnik au général monténégrin Yanko Voukotich, commandant de la troisième colonne "Si
vous réussissez à retarder l'ennemi dans son avance, le Monténégro aura payé sa dette envers la cause Serbe." In
Y.Plamenatz, Le Monténégro devant la Conférence de la Paix, 1919, tome II, p 5
26. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°324, p 2 et 8
27. Conversation entre Briand et ambassadeur de Grande-Bretagne à Paris, AMAE, gu14-18, n°1478a, p 107
28. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°1029, p 270
29. Général allemand, ministre de la guerre de 1906 à 1915, il succède à Moltke comme chef d'état-major en 1914.
À la suite du désastre de Verdun (1916), il est remplacé par Hindenburg. Il sera affecté au commandement des
opérations en Roumanie en 1916 puis en Palestine en 1917.
30. Souvenirs de guerre de Falkenhayn in L.Cadars, La guerre d'Orient 1914-1918, 1965, p72-74
31. Dépêche Delaroche (de Podgoritza où se sont repliés le gouvernement et le corps diplomatique) à MAE, AMAE,
gu14-18, n°324, p 29 et 31
32. Télégramme tiré de, Le rôle de la France dans l'annexion forcée du Monténégro, le ministère des affaires
étrangères monténégrin, 1921, p 148
Dépêche Delaroche (Podgoritza) à MAE, AMAE, gu14-18, n°324, p29
33. Lettre tirée de, Le rôle de la France dans l'annexion forcée du Monténégro, le ministère des affaires
étrangères monténégrin, 1921, p 148-149
34. Empereur d'Autriche et roi de Hongrie.
35. Bulletin Monténégrin n°2, p 36
36. Cette campagne de presse allant à prouver la trahison du Monténégro durant ce mois de janvier 1916 trouva
toute son ampleur en 1917 après la création du Comité Monténégrin pour l'Union Nationale par A. Radovitch. Ainsi
le 02.07.1917 le journal Le Temps titre "L'énigme monténégrine", le 16 il reprenait en compagnie de la Gazette de
Lausanne "J'accuse par un Serbe", dans le même temps L'Excelsior et Le Journal parlaient de "La trahison du
Monténégro".
37. Article de G. Clemenceau dans L'Homme Enchaîné de janvier 1916
38. Interview de N. Obnorsky, chargé d'affaire russe à Cettigné, paru le 11 mai 1916 dans Novoié Vremia.
39. Ferri Pisani, Le Drame serbe, 1916, p 104
40. Article du journal Le Matin du 14.03.1916, sur le retour des Français du Monténégro
41. J. Ciubranovitch, Le plus grand crime de l'histoire, 1928, p 8
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Deuxième partie
L'exil
(1916-1918)
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Tout comme les défaites Alliées avaient contraint la Belgique et la Serbie à l'exil, le
roi Nicolas Ier de Monténégro fut contraint en janvier 1916 de trouver refuge chez ses
alliés. Cette seconde partie évoque donc les événements qui se déroulèrent durant
cette période, depuis le départ du roi de Scutari, le 20 janvier 1916, jusqu'à la
victoire Alliée de 1918. Pourtant le roi ne rentrera jamais d'exil, comme les
souverains belge et serbe. En effet au moment de la libération de son pays par les
forces Alliées, en octobre 1918, une autorité provisoire se met en place et organise
l'élection d'une assemblée qui réunit le 26 novembre à Podgoritza, vote la déchéance
de sa personne et de la dynastie des Petrovitch-Niegoch qui régnait sur le petit
royaume depuis 1696. Cette destitution peut paraître injuste à l'égard d'un souverain
Allié qui après la défaite de son pays à du subir l'exil. C'est pourtant en partie à cause
de cet exil et notamment les causes qui l'ont amené, que le roi doit sa destitution. En
effet les suspicions sur sa loyauté qui virent le jour durant la première partie du
conflit, trouvèrent un écho et un développement croissant durant son exil français.
C'est pourquoi avant de passer aux conditions de la victoire alliée et de sa déposition,
je m'attacherai à voir d'abord dans quelle mesure les "intrigues monténégrines" et les
rapports avec les Alliés ont contribué à cette situation, pour ensuite dresser un
récapitulatif des relations serbo-monténégrines durant ces deux années.
IV. Un royaume en exil
A. Les "intrigues monténégrines"
Ce titre fut souvent repris par la presse Alliée pour qualifier la politique menée par
Nicolas et ses différents gouvernements successifs qui selon elle était sujette à
caution. Tout d'abord sur les conditions de son départ, puisqu'il laisse derrière lui trois
membres de son gouvernement et un de ses fils; Mirko. Ceci fut interprété comme un
moyen de continuer les négociations de paix entreprises par le roi le 13 janvier, puis
réfutées par lui un peu plus tard puisqu'il décidait de continuer la lutte depuis un
territoire Allié. Pour faire face à l'agitation qui régnait dans le pays [1], ce
gouvernement décidait de dissoudre l'armée, contre l'avis du général Voukotich qui
voulait prolonger la résistance, et de déposer les armes le 22 [2]. Dans le but de
valider sa victoire sur le Monténégro et ainsi de signer le premier traité de paix avec
un pays Allié, l'Autriche-Hongrie, dans un but de politique intérieure, fit savoir qu'elle
reconnaissait le gouvernement monténégrin resté sur place et qu'elle était prête à
entreprendre des négociations avec celui-ci [3]. Aussitôt démentit par un journal de
Genève, dans lequel Delaroche-Vernet voit la main du gouvernement de Nicolas [4],
le gouvernement autrichien n'en continue pas moins ses approches. Ainsi le 11 février
Vienne demande à Madrid de faire passer un message du "gouvernement Mirko" à
Nicolas pour qu'il lui donne des instructions sur les négociations de paix. Devant le
refus de Paris de laisser passer ce message, Madrid déclina l'offre de Vienne, de servir
d'intermédiaire. Vienne se ravisa, mais n'abandonna pas la carte Mirko pour semer la
discorde entre les Alliés et le Monténégro. Ainsi le gouvernement autrichien fit-il
venir Mirko à Vienne [5] et laissa entendre qu'il allait devenir gouverneur des
territoires occupés de Serbie et de Monténégro, provoquant la fureur de Vechnitch [6]
soutenu en cela par le ministre français Boppe qui y voyait les suites d'intrigues que le
roi menait, dès novembre 1915 [7]. Cette affaire créa une crise ministérielle qui
aboutit au départ de Miouchkovitch et à l'arrivée de Radovitch qui obligea le roi à se
désolidariser de son fils et des membres du précédent gouvernement restés sur place
[8].
Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921)
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Cette crise ministérielle ne fut que la première d'une longue liste de soubresauts qui
affectèrent les gouvernements monténégrins. À cette époque, le gouvernement était
installé à Bordeaux après un passage à Lyon. Lors de son départ du Monténégro, le roi
aurait dû normalement s'installer en Italie, dont sa fille Hélène était la reine. Mais les
mauvais rapports à l'époque entre les gouvernements monténégrins et italiens
(polémique sur l'attitude de l'Italie durant le conflit à l'égard du Monténégro) avaient
poussé le roi à opter pour la France. Cependant, le choix de Lyon comme capitale
d'exil suscita chez les Alliés (russe et français) des inquiétudes [9], car la ville était
jugée trop proche de la Suisse, et l'on fit déménager la cour et le gouvernement à
Bordeaux en mars [10]. En octobre 1916, la capitale d'exil changea une nouvelle fois
de place, mais cette fois-ci à la demande du roi, et s'installa à Neuilly s/Seine.
Le Monténégro eut donc durant son exil jusqu'en 1918 et la victoire Alliée quatre
gouvernements successifs qui tombèrent tous sur le problème de l'union, selon les
déclarations des ministres sortants. Ainsi le gouvernement Miouchkovitch, le seul
membre du gouvernement à être sorti du Monténégro, qualifié d'austrophile par les
ministres Alliés, démissionne-t-il le 26 avril 1916 après avoir critiqué l'attitude du roi
[11]. Le cabinet Radovitch qui se met ensuite en place tombera lui aussi sur le
problème de l'union, à la suite des mémorandums de Radovitch au roi, lui enjoignant
d'accepter l'union le 11 janvier 1917. À sa suite le gouvernement du général
Matanovitch, que Radovitch qualifie de gouvernement militaire, reposa la question du
problème de l'union, et fut contraint à la démission le 5 juin 1917; "je me rends
compte que la réalisation d'une politique nationale m'est devenue impossible là où des
motifs dynastiques l'emportent" [12]. Le cabinet d'Eugène Popovitch quant à lui
restera en place jusqu'à la fin du conflit. Le problème de l'union se posa donc, à
chaque nouveau gouvernement, mais ne peut-on pas voir, dans ces démissions
successives, le résultat de lutte d'influence dans l'entourage du roi Nicolas.
Ce sont d'ailleurs ces luttes intestines qui amenèrent la presse française à parler
"d'intrigues monténégrines". En effet, le simple motif, du refus par le roi d'aborder le
thème de l'union, n'explique pas tout. À cet égard la démission du cabinet
Miouchkovitch, dont il était le seul représentant en France, est caractéristique. Celuici apparaît aux yeux des Alliés comme la "chose" du roi, pourtant celui-ci sera amené
à démissionner à la suite d'intrigues de Pierre Plamenatz appuyées par Radovitch et la
princesse Xénia de Monténégro [13]. À la suite de sa démission, il n'hésita pas à parler
de départ du roi, du Monténégro dans des conditions suspectes [14], alors même qu'il
était surveillé en Suisse pour activités pro-autrichiennes. Enfin lorsque Y.
Spassoyevitch démissionna du cabinet de Radovitch, à cause du problème de l'union (il
sera membre ensuite du Comité Monténégrin pour l'Union Nationale), et qu'il fit
publié en Suisse sa lettre de démission à forte connotation anti-royaliste, DelarocheVernet n'hésite pas à y voir la main de Miouchkovitch qu'il suspecte pourtant
d'austrophilisme [15]. On retrouvera cette atmosphère de complot lors des démissions
des deux cabinets suivants, sur lesquelles je reviendrai au prochain chapitre.
Durant l'affaire Miouchkovitch, cette atmosphère fut entretenue par le chargé
d'affaire du Monténégro à Paris, M. Brunet. En effet, depuis l'arrivée du roi en France
M. Brunet avait été nommé secrétaire général des affaires étrangères du Monténégro,
l'arrivée de Radovitch lui retirait donc cette prérogative. Ainsi prit-il le parti de
Miouchkovitch et mis tout en œuvre pour nuire au nouveau gouvernement et au roi
Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921)
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[16] allant même dans ces communications avec le Quai d'Orsay [17], dont il ne se
privait pas, à parler lui aussi de trahison du roi lors de son départ du Monténégro,
alors qu'il était [18]. Convaincu de son manque de loyauté à son égard le roi se défit
de lui le 4 décembre 1916, non sans difficultés.
En effet, Delaroche-Vernet voyait en lui aussi un homme de main du roi, affairiste qui
aurait pu révéler des affaires plus ou moins louches concernant le Monténégro [19].
Delaroche-Vernet, comme les autres représentants Alliés auprès du roi de
Monténégro, ne sont pas exempts de reproches quant à cette atmosphère de suspicion
dans cette cour en exil. Cette lutte d'influence dans l'entourage royal n'épargne pas
les représentants des grandes puissances qui se prêtent volontiers à ce jeu, dans leurs
rapports à leur chancellerie respective. Ainsi ne voit-on pas des agents autrichiens
partout dans l'entourage du roi, tandis que l'on affuble aux différents représentants
monténégrins des amitiés pour tel ou tel pays. Ainsi la princesse Xénia est-elle d'abord
considérée comme austrophile puis francophile, Radovitch passe de francophile à
italophile ami de Pierre Plamenatz pour enfin se dévoiler être serbophile ennemi de
ce même Plamenatz.
B. Les rapports avec les Alliés
Les pays de l'Entente ne sont donc pas absents de cette lutte d'influence et chaque
pays cherche à faire rentrer dans sa clientèle le Monténégro pour servir ses propres
intérêts. Nicolas cherchera à plusieurs reprises à tirer profit de ses divergences pour
pouvoir assurer son pouvoir et son retour au Monténégro. Mais ces alliances de
principes sont changeantes, et varient selon les intérêts des puissances sur le
moment.
À cet égard, les relations entre le Monténégro et l'Italie sont les plus caractéristiques.
Le mariage de sa fille Hélène avec le futur roi d'Italie Victor-Emmanuel III en 1896
avait pour but de détacher le Monténégro de la tutelle économique trop pesante de
l'Autriche-Hongrie. Elle avait aussi pour effet de montrer au monde que l'Italie
s'intéressait particulièrement à l'avenir de cette région des Balkans. Le roi y voyait là
le moyen de s'affirmer politiquement au niveau international, tandis que l'Italie
pensait y trouver un pion docile dans le jeu balkanique pour faire pièce au Drang
nacht osten autrichien [20] et servir ses ambitions balkaniques. Cette politique fut
valable jusqu'au premier conflit mondial où l'Italie chercha à s'entendre avec le
Monténégro pour s'emparer de la Dalmatie [21]. Mais l'affaire de l'occupation de
Scutari en juin 1915, qui entravait les visées italiennes sur l'Albanie, vint contrarier
cette alliance. À partir de ce moment, la diplomatie italienne mit tout en œuvre pour
discréditer la monarchie monténégrine, en appuyant la théorie de la trahison et
l'affaiblir, au point de refuser de lui venir en aide à la fin 1915-début 1916.
Mais la dualité des pouvoirs en Italie en matière de politique étrangère vient
compliquer la situation. Le ministre italien parle-t-il au nom de son ministre des
affaires étrangères, le baron Sonnino [22] ou au nom du roi et de la reine, la fille de
Nicolas? En effet, le baron Sonnino apparaît comme méfiant vis-à-vis de la dynastie,
et refusera le ravitaillement du Monténégro occupé, comme cela se passait pour la
Serbie ou la Belgique, sous prétexte de la duplicité du roi [23]. Au contraire la
royauté italienne n'acceptera pas de voir le Monténégro disparaître, du mois tant que
le roi Nicolas sera en vie [24]. Mais une nouvelle fois les choses se compliquent.
Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921)
Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I
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Lorsque le roi menace de s'installer en Italie, ce que craignent la France et la Russie
[25], Victor-Emmanuel l'en dissuade. Au contraire à la même période le gouvernement
reçoit une allocation de 100 000 francs de la part du gouvernement italien [26]. Il
apparaît donc en réalité que le gouvernement et même la dynastie italienne se
désintéressent plus du sort de la dynastie monténégrine que du Monténégro lui-même
[27]. L'Italie s'accommoderait mal d'une déchéance du gospadar dans le cas d'une
union de la Serbie et du Monténégro, même si elle sait ce mouvement inévitable. Son
but est donc de le retarder "non par amour pour le Monténégro, mais par défiance
d'une Serbie démesurément agrandie et qui aspire, sans le dire ouvertement, à
disputer à l'Italie la maîtrise de l'Adriatique" [28]. Le Monténégro n'est donc pour elle
qu'une monnaie d'échange avec la future Yougoslavie [29].
La politique italienne est donc de favoriser les dissensions entre le Monténégro et les
autres Alliés pour mieux l'arrimer à elle. Ces autres Alliés; la Russie et la France
notamment qui ont eux décidé de jouer la carte serbe dans les Balkans voient de
façon négative ses tentatives de rapprochement. Et pour y parer, ainsi qu'à toute
velléité d'indépendance politique de la part de Nicolas, ils usent de l'arme financière,
en coupant ou diminuant les subventions allouées par l'Entente au gouvernement
monténégrin; baisse de 200 000 à 100 000 francs de la subvention française et arrêt
de la subvention russe en janvier 1917 à la suite de la démission du cabinet Radovitch
[30].
Mais ces politiques n'en sont pas moins changeantes en fonction de la situation des
états. Ainsi la Russie qui pesait de tout son poids pour l'union avec la Serbie [31] et
qui refusait notamment la création d'une légion monténégrine comme on le verra dans
le chapitre suivant, après la révolution, change d'avis. Rejetés dans le camp des
vaincus par les autres membres de l'Entente, les Russes "Blancs" [32] voient dans le roi
Nicolas un allié potentiel pour faire valoir leurs droits. Ainsi, Islavine, après avoir
combattu les aspirations à l'autonomie du roi, entretiendra la "mégalomanie" du roi,
en l'incitant à demander des garanties aux Alliés sur son retour au Monténégro et sur
ses projets d'agrandissement territoriaux [33].
Il en est de même pour le Royaume-Uni qui sur les conseils de l'ancien représentant
britannique au Monténégro, le comte Salis, avait arrêté son aide au Monténégro après
l'occupation de Scutari. Sur l'insistance de la France, le gouvernement de Londres
avait repris cette aide en janvier 1916 au moment du désastre pour le Monténégro.
Elle continua en participant pour moitié (200 000 francs/mois) à l'allocation que
l'Entente versait au gouvernement monténégrin en exil, mais l'avait supprimé en mai
1916 sous prétexte d'ordre administratif. Dans ce but Nicolas essayera de se
rapprocher de Londres pour pouvoir de nouveau toucher cette indemnité [34]. Un an
plus tard à la grande fureur des unionistes et des Serbes le président du conseil
monténégrin E. Popovitch était décoré par le roi d'Angleterre [35]. Car à cette époque
le Monténégro et de nouveau entré dans les faveurs du comte Salis.
Dans d'autres occasions, le roi essaya de s'attirer l'amitié et la collaboration d'autres
personnes comme Essad Pacha, le rebelle albanais qui soutenait les Alliés [36] ou
d'autre pays comme les États-Unis sur lesquels Nicolas fondait de grands espoirs
surtout après la déclaration des 14 points [37]. Lors d'un entretien avec l'ambassadeur
des USA en France, au moment de la Conférence Balkanique le 23 octobre 1917, celuici déclara à Popovitch "Eh bien ! Monsieur le président, vous n'êtes pas invité à la
Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921)
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conférence? Nous non plus, d'ailleurs! Mais rassurez-vous, vous serez invité à la
grande conférence, celle où l'on prendra les résolutions définitives, je vous le
promets au nom de M. Wilson comme au mien, et il sortira un Monténégro agrandi"
[38]. Cette affirmation est reprise par le président des USA lui-même dans une
réponse à un télégramme de félicitation du roi à l'occasion du 4 juillet 1918 [39]. Mais
ces belles paroles de Wilson restèrent malheureusement lettres mortes, puisque après
la Conférence, les États-Unis se retirèrent du jeu européen.
L'attitude de la France à l'égard du Monténégro fut tout autre, dans le sens ou, elle
poursuivit la politique qu'elle avait tracé avec le gouvernement du tzar; soutient à la
Serbie dans ses projets d'union sans pour autant rompre avec le Monténégro qui était
un état reconnu sur le plan international et qui de plus était un état Allié. Pour elle le
Monténégro était suspecté à "juste titre" [40] puisque Delaroche-Vernet parlait ainsi
du roi: "... à l'homme dissimulé et fourbe qu'a toujours été le roi" [41]. On reprochait
au roi d'avoir une politique personnelle et d'avoir traité avec l'Autriche en janvier
1916. Cette duplicité, Nicolas n'est pourtant pas le seul à la pratiquer. La diplomatie
française à plusieurs reprises fit preuve d'un certain cynisme à l'égard du Monténégro.
Ainsi en 1915, à l'occasion du traité de Londres qui scellait l'entrée en guerre de
l'Italie au côté de l'Entente, la France, la Grande-Bretagne et la Russie n'hésitent pas
à attribuer à l'Italie les Bouches de Cattaro, malgré les droits reconnus du Monténégro
sur cette région par la déclaration de 1909 [42]. En 1917, lors de l'offre de paix
séparée a l'Autriche, la France n'hésite pas de nouveau à traiter sur le dos du
Monténégro. Ainsi le 22 août 1917, la France lors des négociations avec le comte
Revertera [43] propose à l'Autriche en échange de la paix "des rectifications de
frontières sont possibles entre l'Autriche et le Monténégro." C'est-à-dire la cession du
mont Lovtchen. Viennent ensuite les arrangements pour les autres pays "la Serbie
rentrera dans ses frontières telles qu'elles existaient à la fin de juillet 1914. Elle
sera territorialement unie au Monténégro" [44]. Non contente de négocier avec
l'Autriche, chose qu'elle avait reprochée en son temps au Monténégro, la France
dispose de ce pays comme d'une simple monnaie d'échange lui appartenant. Cette
attitude ambiguë à l'égard des représentants officiels du Monténégro, la France
l'entretient aussi en apportant un soutien plus ou moins dissimulé, aux partisans de
l'union en laissant entrer leurs revues parues en Suisse, alors que dans le même
temps, elle refuse l'entrée de revues royalistes, car celles-ci sont jugées austrophiles
[45]. Cette politique de soutien aux revues du Comité Monténégrin pour l'Union
Nationale s'applique aussi à ses membres. Ainsi le gouvernement se retrouve-t-il
embarrasser lorsque le 29 août 1918 le gouvernement monténégrin publie un arrêté
mettant en accusation de haute trahison les membres du Comité (Radovitch,
Spassoyevitch, Gatalo, Djourachkovitch et Ivanovitch). La France s'autorise des
actions qu'elle refuse au Monténégro en traitant avec l'Autriche et pratique la
duplicité dans ses rapports avec le Monténégro. En suivant le raisonnement qu'elle a
sur l'attitude du Monténégro, nous pourrions être conduit à dire que la France a trahi,
trahi un de ses alliés; le Monténégro. Mais l'étude des rapports serbo-monténégrins
nous montre qu'elle ne fut pas la seule.
Notes
1. Dépêche colonel Fournier représentant du général Mondésir chargé de l'évacuation des troupes Serbes (Scutari)
à MAE, AMAE, gu14-18, n°324, p 52, "mouvements de pillage"
Dépêche Delaroche (Paris) à MAE, AMAE, gu14-18, n°328, p 50, parle de violentes manifestations contre le roi, 48
heures après son départ, devant le palais.
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2. Dépêche colonel Fournier à MAE, AMAE, gu14-18, n°324, p 131
3. Dépêche Delaroche (Lyon) à MAE, AMAE, gu14-18, n°324, p 9
4. Dépêche Delaroche (Lyon) à MAE, AMAE, gu14-18, n°324, p 16, il parlera même des "nouvelles intrigues" tandis
que le ministre italien parle de Genève comme d'un centre d'action austro-monténégrine
5. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°325, p 32
6. Communication de Vechnitch (ambassadeur de Serbie en France) à MAE, AMAE, gu14-18, n°326, p 1
7. Dépêche Boppe (Corfou) à MAE, AMAE, gu14-18, n°326, p 114
8. Dépêche Delaroche (Bordeaux) à MAE, AMAE, gu14-18, n°325, p 185
9. Note du MAE, AMAE, gu14-18, n°324, p 108
10. Dépêche Delaroche (Bordeaux) à MAE, AMAE, gu14-18, n°324, p120
11. Y. Spassoyevitch, Le roi Nicolas et l'union du Monténégro à la Serbie, 1918
12. Dépêche Delaroche (Paris) à MAE, AMAE, gu14-18, n°330, p 234, déclaration de démission du cabinet
Matanovitch.
13. Note de Brunet (député français, chargé d'affaire monténégrin en France) à MAE, AMAE, gu14-18, n°325, p 45
14. Entretien Miouchkovitch et secrétaire de de Margerie le 12.01.1917, AMAE, gu14-18, n°329, p 39
15. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°329, p 54
16. Écoutes téléphoniques des communications de Brunet par la préfecture de Bordeaux le 05.05.1916 "du roi au
dernier soldat, se sont tous des fripouilles."
17. Adresse du ministère des affaires étrangères français à Paris et donc par extension autre nom donné à celui-ci.
18. Note Brunet (Bordeaux) à MAE, AMAE, gu14-18, n°325, p 78 et 161
19. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°328, p 55
20. Politique d'expansion à l'Est et notamment dans les Balkans pour les Autrichiens. Mais c'est une politique qui
s'inscrit plus généralement dans un contexte "germanique" d'expansion vers l'Est pour repousser les Slaves et
commencé dès le Moyen-Âge, avec l'expansion du Saint-Empire Romain Germanique.
21. Région côtière de la Croatie ce qui lui offre un débouché sur l'Adriatique. Possession vénitienne jusqu'à
Napoléon Ier, puis attribuée à l'Autriche au Congrès de Vienne en 1815, l'Italie estime avoir des droits historiques
sur cette région, d'autant qu'une minorité d'Italiens y vit encore.
22. Fonctionnaire du ministère italien des Affaires étrangères puis homme politique conservateur il s'opposera à
l'autre grand homme politique italien de l'avant-guerre: Giovanni Giolitti. En tant que ministre des Affaires
étrangères il négocie au nom de l'Italie le traité de Londres (1915) qui marque l'entrée en guerre de l'Italie aux
côtés des Alliés.
23. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°336, p 105 et 158
24. Dépêche Barrère (Rome) à MAE, AMAE, gu14-18, n°329, p 82
25. Note du MAE, AMAE, gu14-18, n°325, p 32
26. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°331, p 166
27. Dépêche Barrère à MAE, AMAE, gu14-18, n°332, p 176
28. Dépêche Barrère à MAE, AMAE, gu14-18, n°327, p 44
29. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°336, p 181
30. Note Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°1478b, p 31
Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°329, p 44
31. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°329, p 123
Islavine, le ministre plénipotentiaire russe auprès de Nicolas Ier, déclare que l'on ne peut pas attendre la mort du
souverain pour régler le sort du Monténégro, car il lui sera impossible de se rétablir. À cet effet il demande une
concertation entre les membres de l'Entente.
32. En opposition aux Russes "Rouges" ou bolchévik qui ont pris le pouvoir en Russie à la suite de la Révolution
d'Octobre 1917.
33. Note Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 198
34. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°331, p 17
35. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 21
36. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°327, p 9
37. Un des 14 points du président W. Wilson prévoyait la restauration des états occupés par les Centraux; la
Belgique, la Serbie et le Monténégro.
38. MAE à ambassade de France à Washington, AMAE, gu14-18, n°331 p 176
Président démocrate des États-Unis d'Amérique depuis 1912, il a été réélu en 1916 sur un programme neutraliste
vis-àvis du conflit en Europe et ce en adéquation avec les aspirations de son peuple. Mais une fois réélu, il profite
du mouvement de protestation de l'opinion américaine soulevé par la guerre sous-marine à outrance déclarée par
Guillaume II (de nombreux navires civils américains sous coulés) pour engager son pays aux côtés des Alliés (6 avril
1917). Idéaliste de part ces convictions religieuses, il s'efforcera de faire valoir les Quatorze Points (ses buts de
guerre) face aux prétentions des vainqueurs lors du traité de Versailles en 1919. Il réussira aussi un imposer la
création d'un "gouvernement mondial" à travers la création de la Société Des Nations. Cependant, désavoué par le
Sénat américain et une opinion isolationniste, il ne put parachever son œuvre.
39. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7 p 22 "... will have confidence in the
détermination of the U.S. to see that in the final victory, that will come, the integrity and rights of Monténégro
shall be secured and recognized."
40. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°332, p 120
41. Dépêche Delaroche (Bordeaux) à MAE, AMAE, gu14-18, n°325, p 108
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42. Article 5 du traité de Londres le 26 avril 1915.
43. Le comte Nicolas de Revertera a été nommé par Charles Ier pour engager des pourparles en vue d'une paix
séparée avec le comte Abel Armand, capitaine du 2e Bureau français en août 1917. Ces négociations se révèleront
être un échec.
44. Sixte de Bourbon, L'offre de paix séparée de l'Autriche, 1920, p 281 à 289. Dans une annotation, le prince de
Bourbon précise "encore un peuple, celui du Monténégro, dont on dispose avant qu'il ne parle clairement luimême."
Beau-frère du nouvel empereur Charles Ier, Sixte de Bourbon Parme s'efforcera de transmettre aux Alliés les désirs
de paix de l'empereur. Mais les ambitions de certains (Ribot ministre des Affaires étrangères et Clemenceau) ainsi
que les exigences italiennes feront échouer ces tentatives et contribueront à ressouder l'alliance germanoautrichienne alors en position de force sur le plan militaire depuis l'armistice avec les bolcheviks et la défaite
italienne de Caporetto (aujourd'hui Kobarid en Slovénie) à la fin de 1917.
45. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°332, p 10
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V. Les rapports serbo-monténégrins
La victoire des Centraux dans les Balkans en janvier 1916 a obligé les deux États
balkaniques Alliés que sont la Serbie et le Monténégro à trouver refuge chez leurs
alliés. Ou tout du moins, dans des régions contrôlées par eux, puisque le
gouvernement serbe en exil s'installa sur l'île grecque de Corfou alors que ce pays
était officiellement neutre. Cette épreuve que constitue l'exil aurait dû normalement
rapprocher ces deux pays que des divergences avaient séparés au moment de la
défaite. Il n'en fut rien. Et ces deux pays dont les relations achoppaient sur le
problème de l'union, se divisèrent et s'affrontèrent directement à travers le problème
de la légion monténégrine ou bien indirectement à travers le Comité Monténégrin
pour l'Union Nationale d'Andriya Radovitch. La Serbie mis donc tout en œuvre pour
discréditer le Monténégro et son souverain aux yeux des Alliés, pour pouvoir ensuite
justifier le rattachement du Monténégro à la couronne des Karageorgevitch, au
moment de la libération du pays.
A. La Serbie, le Monténégro et l'union
La prise de conscience de l'existence de nations yougoslaves prend naissance au début
du XIX siècle, dans deux foyers bien distincts. Tout d'abord, dans l'Empire
habsbourgeois avec l'illyrisme et la prise de conscience d'une communauté de destin
entre Slovènes et Croates, après l'expérience des provinces illyriennes de l'Empire
napoléonien. L'autre foyer tourne autour de l'orbite serbe et de la lutte pour
l'indépendance contre les Ottomans; c'est l'idée pan serbe. L'union du Monténégro à la
Serbie se rattache à cette conception qui fait de la nation serbe le pôle fédérateur
des nations sud-slaves. Cette idée trouve ses racines dans l'histoire médiévale de la
Serbie et de la vision quasi mythique qu'en ont les Serbes; l'Empire de Douchan. Celuici regroupait toute la nation serbe en un seul état, avant d'être séparé en deux
branches; les Serbes de Serbie et les Serbes du Monténégro, par l'invasion turque. Si
le Monténégro réussit à préserver son indépendance, la Serbie quant à elle vécut sous
la domination ottomane jusqu'au XIX siècle. Le but des deux branches était donc de
repousser les Turcs et de reconstruire cette unité perdue. Une fois son autonomie (en
1829) puis son indépendance acquise (en 1878), la Serbie et le Monténégro purent
s'atteler à cette mission. Ainsi par deux fois les deux principautés s'y essayèrent. Une
première fois lorsque Danilo II déclare à propos du prince Michel Obrénovitch "je
monterais la garde devant la tente du prince Michel, pourvu que la nation serbe fût
libérée et unie" [1]. Cette politique d'alliance entre les deux nations se poursuit avec
le successeur de Danilo qui n'est autre que Nicolas Ier. Celui-ci signe avec Michel de
Serbie en 1865, un traité qui prévoyait l'union des deux pays. Le jeune Nicolas
promettait de renoncer au trône et Michel s'engageait à le prendre comme héritier,
s'il n'avait pas de descendance directe. Mais l'assassinat de ce dernier en 1869 vient
interrompre ce processus, puisque Michel est remplacé par son cousin Milan [2] en
contradiction avec l'accord précédemment conclu [3].
À partir de cette période, l'antagonisme entre les deux principautés ira croissant,
même s'ils se retrouvent lors des conflits qui les opposent aux Turcs en 1878 et 19121913 ou lors du conflit présent contre les Autrichiens. Cet antagonisme est entretenu
par l'orientation austrophile que prennent le roi Milan et son successeur Alexandre
[4]. Le Monténégro attire donc à cette époque-là, les aspirations du peuple serbe,
grâce notamment à son alliance longue de deux siècles avec la Russie, ce qui n'est pas
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pour déplaire au prince Nicolas. L'assassinat d'Alexandre en 1903 et son remplacement
par Pierre Ier Karageorgevitch [5] changent cet état de fait. La Serbie redevient le
pôle d'attraction des Serbes, rôle que jouait imparfaitement le Monténégro du fait de
sa pauvreté.
Ce changement des rôles n'est pas pour satisfaire Nicolas qui y voit là un danger pour
sa dynastie. Ainsi faut-il voir l'érection de la principauté en royaume en 1910, comme
une volonté de s'affirmer face aux prétentions fédératrices du royaume de Serbie. En
effet, l'arrivée au pouvoir des Karageorgevitch n'a fait que renforcer les divergences
entre les deux branches du peuple serbe, tout du moins entre les deux dynasties,
puisque chacune d'elle peut prétendre à l'héritage de l'Empire de Douchan. Dans cette
optique le roi qui a accordé une constitution doit faire face à une opposition naissante
qui réclame l'union à la Serbie. Cette lutte entre les deux dynasties trouva, avantguerre, son paroxysme avec l'affaire des bombes en 1907, dans laquelle furent
impliqués Radovitch et à travers lui, la Serbie qui finançait et armait cette
opposition. Machination de Nicolas ou complot de la Serbie, les relations entre les
deux pays s'en ressentirent jusqu'aux Guerres Balkaniques. Cette guerre qui donna des
frontières communes aux deux pays relança le débat sur l'union et à la demande de la
Skoupchtina monténégrine, des négociations entre les deux pays furent entreprises à
propos d'une union douanière et d'une meilleure coopération entre les deux pays. La
Première Guerre Mondiale vint les interrompre.
Le premier conflit mondial posait donc la question de l'union de manière encore plus
évidente. La Serbie voulait profiter de cette occasion pour la rendre inévitable et
s'employa donc à le démontrer aux Alliés, en discréditant à leurs yeux le Monténégro.
Cette entreprise de déstabilisation commença durant le conflit et trouva un de ses
aboutissements dans la suspicion des Alliés à l'encontre du roi après la défaite de
janvier 1916, puis se poursuivit tout au long de l'exil.
À cet égard la politique ambiguë du roi ne fit que renforcer ces doutes. D'abord
résolument contre toute idée d'union; trois gouvernements successifs tombèrent car
le roi ne voulait pas aborder le problème, le roi se ravisa petit a petit. Ainsi en
décembre 1916, lors d'une discussion avec Islavine, le roi évoque-t-il une abdication si
on lui assurait une position conforme à son rang [6], c'est-à-dire une rente et un
apanage. Mais les "pressions" italiennes y mirent un terme. Durant l'année 1917,
constatant que le mouvement devenait de plus en plus inévitable, l'entourage royal,
pour montrer la volonté unioniste du roi, émit l'idée d'une fédération de tous les
peuples yougoslaves et que, dans cette idée, il reconnaissait l'utilité d'un
rapprochement entre les deux pays [7], provoquant ainsi la fureur de la Serbie qui
était ainsi obligée de dévoiler ses projets et de dire son opposition à toute idée
fédératrice qui selon elle ferait le jeu des Centraux.
En effet, la politique serbe suivait deux axes; à la fois l'union avec le Monténégro et la
création d'une Grande Serbie, regroupant les Slaves du sud. Cette dernière devait être
conçue autour de la Serbie avec un pouvoir central fort qui modèlerait les différents
peuples pour n'en faire qu'un, selon le modèle français de l'état unitaire. Mais cette
conception faisait peur aux populations slaves de l'Empire habsbourgeois. Rejeter
l'idée de fédération c'était se mettre à dos ces populations. L'union de la Serbie et du
Monténégro relevait d'une autre optique. Pour elle en effet, quelle que soit l'issue du
Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921)
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conflit, le maintient du statu quo ante entre les deux pays n'est plus possible. Ainsi la
Serbie ne lie pas victoire et union au Monténégro.
Elle n'hésitera donc pas à utiliser tous les moyens pour y parvenir [8] et ce, malgré les
déclarations de M. Pachitch qui "... estime donc que dans ces conditions le mieux est
de laisser dormir la question de l'union du Monténégro à la Serbie; la question est
posée et du fait des Monténégrins eux-mêmes (...). L'union est fatale et elle se fera
en dépit de l'opposition de l'Italie" [9]. Ainsi tout en continuant à reconnaître le
gouvernement monténégrin, elle réduit sa représentation auprès du roi Nicolas en
remplaçant son ministre plénipotentiaire par un simple chargé d'affaire, "à quoi
serviraient ces agents, puisque le roi Nicolas n'agit qu'à sa guise (...). Nous avons un
chargé d'affaire auprès de son gouvernement; cela suffit pour marquer que nos
relations ne sont pas rompues..." (Pachitch) [10] ou en rappelant son attaché
militaire en avril 1917 [11]. Dans un but de propagande et pour contrecarrer les
projets monténégrins, elle n'hésite pas à demander au gouvernement américain, une
subvention pour secourir la population monténégrine [12].
Son action va jusqu'à infiltrer l'entourage royal. Soit en débauchant l'entourage du roi
comme le docteur Iliytch ministre des finances et de la justice du cabinet Matanovitch
[13] ou Veliko Militchevitch, ministre de la justice démissionnaire du gouvernement
d'Eugène Popovitch le 18 septembre 1917 [14]. Soit en y introduisant des agents
provocateurs comme Guenchitch qui excite le roi contre la Serbie "... afin de lui faire
faire des gaffes" [15] ou des informateurs comme Spassoyevitch [16]. Ce dernier
rejoindra d'ailleurs plus tard le Comité Monténégrin pour l'Union Nationale de
Radovitch. Comité qu'elle soutient financièrement [17] et politiquement en le
considérant de plus en plus comme le représentant légal des aspirations du peuple
monténégrin [18]. Petit à petit donc, à travers ce comité, la Serbie se prépare à
rompre avec le Monténégro, en plaçant les pays de l'Entente devant le fait accompli
de l'annexion au moment de la victoire finale.
B. Radovitch et le Comité Monténégrin pour l'Union Nationale
Un "parti" unioniste existait déjà au Monténégro avant-guerre, mais celui-ci ne prend
une véritable ampleur qu'au cours du conflit, avec la création le 4 avril 1917, à
Genève, d'un Comité Monténégrin pour l'Union Nationale par Andriya Radovitch,
Premier Ministre démissionnaire trois mois plutôt. Par son action, il s'attira toutes les
haines du "parti" royaliste. Ainsi, importe-t-il de connaître le personnage avant de voir
son action au sein du Comité.
À plus d'un titre, son attitude fut aussi ambiguë que celle du roi, qu'il avait pris pour
cible de ses attaques. Fils d'un serviteur du roi, Radovitch est envoyé, au frais du
prince Nicolas, en Italie pour poursuivre ses études. Une fois rentré au Monténégro, il
devient officier d'ordonnance dans l'entourage princier. Il sera même nommé
ministre. Pourtant en 1907 un complot contre le roi est découvert (affaire des
bombes). À l'occasion de celui-ci, le roi devait être tué ainsi que ses fils et le
rattachement à la Serbie aussitôt proclamée. Radovitch y aurait pris part, et se
retrouve ainsi condamné à 15 ans de travaux forcés. Cependant, il est gracié six ans
plus tard.
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Avec la guerre et malgré cette affaire, Radovitch rentre de nouveau dans les faveurs
du roi. Il devient conseiller d'état charger du ravitaillement, ce qui lui vaut d'être
remarqué et apprécié par le commandant Grellier et Delaroche-Vernet [19].
Jugement que Delaroche réitérera à plusieurs reprises [20]. Ceci ne l'empêche pas de
succéder à Miouchkovitch au poste de président du conseil, le 13 mai 1916, à la suite
d'intrigues menées avec l'aide de Pierre Plamenatz qui avait été son avocat pendant
l'affaire des bombes. Cette amitié lui vaut alors d'être qualifie d'italophile [21]. Si, au
début de sa présidence, il s'efforce de prouver l'innocence de son pays, en combattant
les accusations de l'administration serbe, en déclarant notamment à Islavine et
Delaroche qu'il possédait la lettre du colonel Pechitch du 12 janvier 1916, dans
laquelle celui-ci conseillait au roi de demander la paix [22]. Très vite, dès le mois
d'août, on assiste à un retournement dans ses positions. Ainsi déclare-t-il de retour
d'une visite du front français "nous n'avons qu'un seul chef, c'est le prince Alexandre."
[23] Puis il envoie deux mémorandums, prônant les bienfaits d'une union avec la
Serbie, l'un à la reine Hélène d'Italie, l'autre au roi Nicolas. Pour lui la mission du
Monténégro est finie, la race serbe doit vivre au sein d'un même état, pour des
raisons historiques et économiques, puisque dans le monde à venir le Monténégro ne
pourrait survivre seul [24].
Ce mémorandum ne reçut aucune réponse de la part du roi qui en accord avec l'Italie,
refuse toute idée d'union avec la Serbie. Ainsi réitère-t-il une nouvelle fois, en
menaçant de démissionner [25] ce qu'il fait le 11 janvier 1917 devant le refus du roi
d'évoquer la question de l'union [26], provoquant le mécontentement des Russes et
des Français. En avril, il fonde avec d'autres Monténégrins le Comité Monténégrin pour
l'Union Nationale et alors, n'aura de cesse de se présenter comme le seul représentant
légal du Monténégro auprès des puissances de l'Entente.
Quelles sont les raisons de ce profond revirement qui lui ont fait accepter la charge
de président du conseil en mai 1916, pour huit mois plus tard, se ranger résolument
dans le camp des adversaires du roi Nicolas? Pour se justifier dans la polémique qui
l'opposera à Vladimir Popovitch, par journaux interposés, Radovitch évoquera que
c'est au cours de son passage au gouvernement qu'il fut convaincu de la déloyauté des
princes, puisque n'étant pas retourné au Monténégro durant l'année 1915, il était alors
en mission de ravitaillement en Italie en France et en Grande-Bretagne, il n'était pas
au courant des tractations austro-monténégrines de l'époque [27]. Or, cette
affirmation s'avère être fausse selon Popovitch puisqu'il serait revenu en novembre
1915 avec la mission anglaise de ravitaillement. Il était donc au courant de l'entrevue
du prince Pierre et du colonel Hubka et d'ailleurs répondit par deux fois dans des
journaux italiens aux accusations de trahison lancées par ces journaux [28]. Ces deux
articles contredisent par ailleurs les déclarations que Radovitch fera plus tard en
dénonçant la trahison lors de l'entrevue de Budua lors de laquelle le roi aurait vendu
le mont Lovtchen, expliquant ainsi la défaite éclair [29].
Pour V. Popovitch, ce retournement de Radovitch serait uniquement dû à une avance
de 500 000 francs faite par le gouvernement serbe par l'intermédiaire de M.
Vechnitch. En effet Radovitch ne voulut jamais révéler l'origine des fonds qui lui ont
permis de créer le Comité ainsi qu'une demi-douzaine de publications, en plusieurs
langues, s'y rapportant. Il évoquait les dons de riches marchands serbes [30]. Les
débauchages effectués par le gouvernement serbe dans l'entourage du roi, évoqués
plus haut, peuvent nous amener à en douter, surtout après les déclarations de P.
Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921)
Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I
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Voutchkovitch, membre du Comité Monténégrin pour l'Union Nationale [31], qui
tendent à prouver les suppositions de Popovitch [32].
Reprochant au roi ses compromissions avec les Centraux, on peut d'ailleurs se poser la
question de savoir comment et avec quelles aides la femme et la belle-mère de
Radovitch ont pu venir en France en passant par l'Autriche [33]. Radovitch crée donc
le Comité Monténégrin pour l'Union Nationale. Ce Comité reprend les principes que
Radovitch avait évoqués dans ses deux mémorandums, tout en les "extrémisants",
puisqu'il ne parle plus de compromis dynastique entre les Petrovitch-Niegoch et les
Karageorgevitch. Parmi les membres fondateurs, on retrouve deux de ses anciens
ministres Y. Spassoyevitch et P. Voutchkovitch, un ancien ministre de la guerre Gatalo
et M. Ivanovitch condamné en même temps que lui lors de l'affaire des bombes.
Bien que n'agissant pas selon eux par vengeance personnelle [34] ils cherchent en cela
à justifier l'union du Monténégro à la Serbie par d'autres raisons que la trahison du roi.
En dehors des raisons historiques, ils évoquent aussi bien des raisons économiques que
les intérêts qu'ils y auraient pour les Alliés, à la création d'un grand État yougoslave
faisant barrage à la poussée germanique [35], alors qu'un Monténégro indépendant
serait en proie à des luttes intérieures dont les Centraux pourraient tirer profit. Ils
reprennent en cela l'idée des dirigeants serbes qui après la Déclaration de Corfou
[36], se veulent les garants de la stabilité des Balkans à travers l'union de tous les
Slaves du sud et non plus des Serbes uniquement. Il est à remarquer d'ailleurs que
cette déclaration qui dispose du Monténégro sans que ses représentants y participent
[37], ne fait même pas place au Comité, alors que celui-ci a été voulu et créé par la
Serbie. Ce qui veut dire que dès cette date, le 20 juillet 1917, la Serbie considère
l'annexion comme une chose acquise. Le Comité s'y associera le 17 août [38].
Mais l'argumentation principale reste quand même la duplicité du roi. Ce qui amènera
de vives polémiques entre partisans et adversaires de l'union par presse helvétique
interposée, ce qui amena le gouvernement à interdire l'entrée de ces journaux sur le
sol français [39]. Mais le Comité détourna cette interdiction en les faisant publiés en
France et ce sans que la censure ne s'en mêle, au contraire des publications
nicolaistes. Ce parti pris des autorités françaises se retrouve aussi dans l'autre
question qui empoisonne les relations entre le Monténégro et la Serbie; le sort de la
légion monténégrine.
C. La légion monténégrine
Après sa retraite à travers les montagnes d'Albanie et du Monténégro, l'armée Serbe
fut recueillie par les Alliés, puis transférée vers Corfou en vue de son rééquipement
pour pouvoir ensuite l'envoyer de nouveau sur le front. Conscients que le même sort
attendait l'armée monténégrine, les Alliés décidèrent de prendre les mêmes
dispositions pour celle-ci [40]. Mais cette décision tout comme la promesse de
ravitaillement, intervenait bien tard, nous étions le 12 janvier. De plus si l'évacuation
de l'armée serbe avait été rendue possible, les Alliés le devaient en partie aux troupes
monténégrines qui, constituant l'arrière-garde des forces serbes, protégeaient la
retraite serbe. Or personne ne protégeait les arrières des Monténégrins. Encore
éloignée des points de départ situés sur la côte et après la prise de Scutari par les
Autrichiens sans combats, alors que le siège de cette ville en 1913 avait coûté 10 000
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hommes au Monténégro, l'armée monténégrine se retrouvait prise dans une nasse. Son
évacuation devenait impossible.
Abandonnés par les Alliés et notamment les Serbes qui fuyaient en direction de
Durazzo, seuls quelques Monténégrins réussirent à fuir et à rejoindre Durazzo en
compagnie de 2 000 volontaires monténégrins originaires des territoires autrichiens
qui avaient fui pour ne pas être fusillés comme déserteurs et traîtres [41]. En accord
avec la décision du 12 janvier, il fut décider de créer une unité monténégrine
indépendante, mais le peu de Monténégrins ne le permirent pas. Cherchant à profiter
de cette situation, les Serbes et notamment le colonel Pechitch cherchèrent à les
incorporer dans leur armée [42], provoquant une réaction de Radovitch qui était alors
pour la reconstitution d'une armée monténégrine [43]. Il sera opposé à un tel projet
d'incorporation jusqu'en octobre 1916, c'est-à-dire après son premier mémorandum
pour l'union. Dans une dépêche qu'il fait parvenir à Brunet, il parle d'intrigues qui ont
abouti au changement de dénomination du bataillon et au refus qui est fait à ces
volontaires de porter l'écusson et le drapeau monténégrin [44] ainsi que de percevoir
la solde versée par le roi [45].
Dans l'impossibilité de créer une armée monténégrine et devant l'hostilité russe à tout
projet de ce type notamment avec l'apport de Monténégrins venant d'Amérique [46],
la France décide alors de ne pas insister. Le bataillon est alors envoyé sur le front de
Salonique sous la dénomination de bataillon bosniaque attaché à la légion étrangère,
car la France refuse de recevoir des volontaires appartenant à des pays belligérants et
ce malgré leur demande. Se reconnaissant comme faisant toujours partie de l'armée
monténégrine, ils demandent au représentant monténégrin sur place; N.
Haydoucovitch, de leur fournir des cocardes monténégrines. Cette action provoque la
fureur des représentants serbes qui par l'intermédiaire du général en chef de la
mission serbe, Raditch porte l'affaire devant le grand quartier général Allié. Ne
voulant pas froisser ses alliés serbes, Joffre refuse le port de la cocarde et dans une
dépêche au général Sarrail déclare; "je vous rappelle, à ce propos, que l'armée
monténégrine n'existe plus et que le principe de la réorganisation d'unités
monténégrines distinctes a été écarté par le ministère des affaires étrangères" [47].
Cette décision et le renvoi de Haydoucovitch par Sarrail après que celui-ci ait été
accusé d'espionnage par les Serbes provoquèrent dans le bataillon des troubles. Ce qui
conduisit le général Sarrail à les renvoyer en France, dans le camp d'internement de
Cervione en Corse [48]. Cette décision et l'internement de ces volontaires
monténégrins d'origine austro-hongroise qui s'étaient battu pour la cause alliée dans
les rangs monténégrins jusqu'en janvier 1916 déclenchèrent une nouvelle crise entre
la Serbie et le Monténégro. Chacun des deux pays cherchant à s'attirer les faveurs de
ces hommes, on assista alors à une guerre des passeports de complaisance.
Ce problème des internes de Cervione resurgira en 1918, lorsque le gouvernement
serbe voulut de nouveau les incorporer dans son armée. Ne se cachant pas de leur
partialité à l'égard du Monténégro [49], et ne voulant pas froisser le général Raditch,
le gouvernement français décide d'attribuer ces soldats à l'armée serbe alors qu'il
l'avait refusé au Monténégro sous le prétexte que ces soldats étaient des sujets
autrichiens [50].
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Le refus russe puis le refus français de créer un corps monténégrin indépendant avait
pour finalité de contrarier les buts de Nicolas. Celui-ci voulait en effet, à travers
cette légion, à la fois marquer qu'il était toujours partie prenante dans le conflit et
ainsi pouvoir participer aux négociations finales en position de force. Mais aussi
assurer son retour en créant un "corps de janissaires" [51] qui sous son
commandement libérerait le Monténégro, tuant ainsi dans l'œuf les projets d'annexion
de la Serbie, comme le prouvera la victoire Alliée dans les Balkans ou malgré les
assurances données par la France, les troupes serbes libéreront le pays et mettront
les Alliés devant le fait accompli.
Notes
1. A. Radovitch, Le Monténégro et ses tendances nationales, 1918, p 9
2. Milan Obrénovitch, prince puis roi de Serbie à la suite de l'assassinat de son cousin Michel (Mihailo) en 1869
jusqu'en 1889 date à laquelle il doit abdiquer à la suite d'un divorce.
3. A. Radovitch, Le Monténégro et ses tendances nationales, 1918, p 9
4. Alexandre Obrénovitch, fils de Milan devient roi à la suite de l'abdication de son père. Son autoritarisme et sa
politique pro-autrichienne sucitent le mécontentement des nationalistes serbes (la Main Noire) qui finissent par
l'assassiner lors d'un attentat en 1903.
5. Roi de Serbie en 1903 à la suite de la mort d'Alexandre, puis roi des Serbes, Croates et Slovènes à la fin du
premier conflit mondial. Il est le représentant de la deuxième grande dynastie; les Karageorgevitch (avec les
Obrénovitch) qui ont contribué à l'indépendance de la Serbie. Fils d'Alexandre Karageorgevitch (prince de Serbie
de 1842 à 1858), il a été élevé en France et à ce titre réoriente la politique extérieure de son pays dans un sens
plus favorable à la Triple Entente. Affaibli, il laisse le pouvoir à son second fils Alexandre qui prend le titre de
prince-régent en juin 1914.
6. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°328, p 111
7. Dépêche Boppe (Corfou) à MAE, AMAE, gu14-18, n°330, p 162
Dépêches Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°331, p 18 et 30
8. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°327, p 21 "Le gouvernement serbe serait tout disposé à mettre à
profit et peut-être même à encourager ces dispositions de l'opinion publique monténégrine pour provoquer un
mouvement tendant à l'annexion (sous une forme quelconque) du Monténégro à la Serbie."
9. Dépêche Boppe (Corfou) à MAE, AMAE, gu14-18, n°327, p 192
10. Dépêche Boppe à MAE, AMAE, gu14-18, n°329, p 23
11. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°330, p 122
12. Dépêche Fontenay (Corfou) à MAE, AMAE, gu14-18, n°332, p 72
Représentant du gouvernement français auprès du prince-régent Alexandre de Serbie.
13. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°331, p 85
14. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°331, p 153
15. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 98
16. Dépêche Boppe (Corfou) à MAE, AMAE, gu14-18, n°328, p 103
17. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°330, 61. Selon Radovitch, ce comité est financé par un riche
commerçant serbe dont il ne peut révéler le nom. Ceci aura pour effet de provoquer une polémique avec V.
Popovitch.
SHA, Les armées alliées en Orient après l'armistice de 1918, 1972, p 86-89, "... constitué (le comité) en Suisse dés
1917 par A. Radovitch (...) largement subventionné par le gouvernement serbe." (Franchet d'Esperey).
18. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°331 p 165 où selon Delaroche-Vernet le gouvernement Serbe a
"l'intention bien arrêtée de s'abstenir désormais de toute collaboration avec le Monténégro dans les affaires
balkaniques et peut-être même le désir d'espacer de plus en plus ses relations avec le roi Nicolas afin de
développer plus librement la coopération de la Serbie avec le parti fusionniste monténégrin."
19. Dépêche Delaroche (Cettigné) à MAE, AMAE, gu14-18, n°322, p 51
20. Dépêche Delaroche (Bordeaux) à MAE, AMAE, gu14-18, n°325, p 72. Radovitch possède "... deux qualités rares
chez ses compatriotes à savoir la franchise et la loyauté."
21. Dépêche Delaroche (Bordeaux) à MAE, AMAE, gu14-18, n°325, p 125
22. Dépêche Delaroche (Bordeaux) à MAE, AMAE, gu14-18, n°325, p 182
23. Note Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°327, p 4
24. Archive MAE, gu14-18, n°327, p 83-89
25. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°329, p 33
26. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°329, p 44
27. V. Popovitch, [censuré...] ou M. André Radovitch, 1917, p 13
28. Articles du 10.10.1915 du Giornale d'Italia et du 04.02.1916 de Idea Nazionale
29. Le Bulletin Monténégrin juillet 1917
30. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°330, p 61
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31. Celui-ci démissionnera du comité après la déclaration de Pachitch dans le n°2 de L'Union, dans laquelle il
déclare que le Monténégro jouira des mêmes libertés que la Macédoine, sans reconnaître les particularités du
pays. Il s'opposera aussi à Radovitch sur la question des fonds qui étaient directement gérés par la Serbie.
32. Dépêche tirée de [censuré...] où M. André Radovitch, de Popovitch Vladimir Paris, Lang et Blanchong, 1917, p
46
33. Dépêche Delaroche (Bordeaux) à MAE, AMAE, gu14-18, n°325, p 202
Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°329, p 66
34. A. Radovitch, Le Monténégro et ses tendances nationales, 1918, p 15
35. A. Radovitch, Le Monténégro et ses tendances nationales, 1918, p 17
36. Déclaration de Corfou (20 juillet 1917) conclue entre le gouvernement serbe en exil (Nicolas Pachitch) et le
Comité yougoslave constitué à Londres (présidé par Ante Trumbitch), représentant les Slaves du sud de l'empire
austro-hongrois qui prévoie la création d'une monarchie parlementaire constitutionnelle et démocratique avec la
dynastie serbe des Karageorgevitch à sa tête.
37. À ce propos, il est à noter les contradictions de Radovitch sur ce sujet, puisque dans son ouvrage, La question
du Monténégro, il déclare que c'est Nicolas qui refuse d'y participer. Alors que dans un autre de ses ouvrages, Le
Monténégro son passé et son avenir, il déclare que si le roi n'a pas été invité c'est pour ne pas introduire une "note
discordante".
38. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°331, p 113
39. Télégramme Radovitch à Pichon du 28.08.1918, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°4, p 14
40. Dépêche MAE à Delaroche (Podgoritza), AMAE, gu14-18, n°324, p30
41. Dépêche colonel Fournier (Durazzo) à ministère de la guerre, AMAE, gu14-18, n°324, p 136
Dépêche général Mondésir (Corfou) à ministère de la guerre, AMAE, gu14-18, n°324, p 139
42. Dépêche Joffre à ministère de la guerre, AMAE, gu14-18, n°324, p 109
43. Dépêche tirée de [censuré...] où M. André Radovitch, de Popovitch Vladimir Paris, Lang et Blanchong, 1917, p
50
44. Télégramme Radovitch à Brunet le 03.10.1916, AMAE, gu14-18, n°334, p 1
45. Dépêche Delaroche (Bordeaux) à MAE, AMAE, gu14-18, n°326, p 82
46. Dépêche Delaroche (Paris) à MAE, AMAE, gu14-18, n°325, p 37 "... elles ne feront rien pendant cette guerre et
au moment de la paix, elles nous gêneront et compliqueront les choses." (Islavine).
47. Dépêche Joffre à Sarrail, AMAE, gu14-18, n°326, p 89
48. Dépêche Sarrail à ministère de la guerre, AMAE, gu14-18, n°327, p 58
49. Dépêche MAE au ministère de la guerre, AMAE, gu14-18,n°334, p 151
50. Dépêche MAE à ministère de la guerre, AMAE, gu14-18, n°334, p 231
51. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°334, p 46
Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 55
Cette expression fait référence à un corps d'infanterie d'élite de l'armée ottomane (en turc yenitcherie signifie
"nouvelle troupe") fondé au XIV siècle. Ce corps était constitué d'enfants chrétiens enlevés à leurs parents, puis
islamisés, turquisés et éduqués. Ils devenaient ensuite des serviteurs dévoués du sultan.
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VI. 1918 et la victoire Alliée
La victoire des Alliés sur le front de l'Ouest fut précédée par leur victoire dans les
Balkans. En effet, le sort des Centraux dans cette région est scellé dès octobre 1918,
soit un mois avant le front français. L'offensive de Ludendorff [1] du printemps avait
obligé les Centraux à dégarnir leur flanc sud. Profitant de cette occasion, les Alliés
allaient enfin pouvoir s'engager au-delà de la frontière gréco-serbe sur laquelle s'était
fixée le front depuis deux ans. Une fois l'obstacle Bulgare passé, il fallut moins d'un
mois pour atteindre Belgrade. Le Monténégro était quant à lui atteint dès le 12
octobre et 15 jours plus tard entièrement libéré. Mais libérer par des troupes serbes
ou "yougoslaves" contrairement aux assurances faites par la France au roi Nicolas. Ses
craintes, de ne pouvoir rentrer dans son royaume, se trouvèrent très vite justifiées,
puisqu'une assemblée réunit à Podgoritza décrétait moins d'un mois après la libération
du pays, la déchéance des Petrovitch-Niegoch et le rattachement du Monténégro à la
Serbie. La victoire des Alliés se soldait donc par la disparition d'un des leurs.
A. La victoire Alliée dans les Balkans...
Lorsque les Alliés s'installent à Salonique en octobre 1915, la pérennité de ce nouveau
front n'est pas acquise. Les Anglais et notamment le généralissime Kitchener y sont
opposés. Pour eux l'on ne peut pas défendre Salonique et l'Égypte. Ce dernier réussit
à convaincre Briand de la nécessité de quitter Salonique qui de plus est située dans un
pays neutre, pour concentrer les forces Alliées d'Orient en Palestine. Berthelot [2]
réussit de nouveau à le retourner, ainsi que Poincaré [3] et l'état-major de Joffre. Ces
derniers ont en effet tout à craindre d'un échec de la politique de Briand, après celui
de Delcassé. Son échec signifierait l'arrivée au pouvoir de Clemenceau [4] (alors
président de la commission de l'armée au Sénat), or celui-ci est résolument contre
toute dispersion des forces; la guerre doit se gagner en France. La Grande-Bretagne
se ravise le 11 décembre et il est décidé de transférer les troupes du corps
expéditionnaire de Gallipoli sur Salonique. Mais elles arrivent trop tard pour venir en
aide aux Serbes, le front se fige déjà sur la frontière.
Dans le but de soutenir l'effort Allié à Verdun, une offensive est déclenchée par
Sarrail. Monastir en territoire serbe est libérée le 17 octobre 1916. Mais cette victoire
s'est faite au prix de lourds efforts. En effet, les obstacles naturels que constituent ici
les Balkans, demande trop d'efforts en homme et matériel par rapport aux nécessités
du front de l'Ouest. C'est ainsi que le front se fige de nouveau et cette fois-ci pour
deux ans.
L'année 1917 sera donc une année d'attente, ce qui amènera Clemenceau à parler des
"jardiniers de Salonique" en parlant des troupes de Sarrail. Ainsi qu'une année de
trouble, marquée par, l'exécution du lieutenant-colonel serbe Dimitrievitch [5] pour
complot contre le prince-régent Alexandre, des mutineries dans le corps
expéditionnaire à cause de retard dans les permissions, ainsi que par la mise au pas
de la Grèce, dont le roi Constantin est obligé d'abdiquer en faveur de son fils cadet
Alexandre à la suite des pressions Alliées [6]. Ce changement permet à Venizélos de
redevenir chef du gouvernement et de déclarer la guerre aux puissances centrales le
30 juin 1917. La Grèce fournit alors aux Alliés une aide de 15 divisions qui furent
engagées sur le front de Salonique à côté de huit divisions françaises, six serbes,
quatre anglaises et une italienne.
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En décembre 1917, Sarrail est rappelé par le nouveau président du conseil
Clemenceau pour prendre le commandement de la défense de Paris. Il est remplacé
par Guillaumat [7] qui lui-même est remplacé en juin par Franchet d'Esperey [8] après
avoir réussit à restructurer un corps expéditionnaire qui partait en déliquescence. Dès
son arrivée à Salonique le 6 juin, Franchet d'Esperey reprend le plan de Sarrail qui
prévoyait une attaque au centre dans la région des monts Dobropolje [9], dans le
secteur serbe. Il réussit redonner confiance à ceux-ci en plaçant deux divisions
françaises sous les ordres du prince Alexandre. Ce plan ne plait guère aux Anglais pour
qui les Bulgares, après la démission du cabinet Radoslavov, sont près à se détacher
des Centraux, ainsi que par les Italiens qui jalousent et craignent les ambitions
serbes. Cependant, Guillaumat qui est retourné à Paris auprès de Clemenceau, réussit
à soulever certaines des réticences du président du conseil à l'égard du front d'Orient.
Une offensive de Guillaumat en mai, dans la région de Skra-Gevgelija [10] avait déjà
prouvé les faiblesses de l'armée de Ferdinand Ier et le 18 septembre après trois jours
de combat les Serbes s'emparent des monts Dobropolje et enfoncent les lignes
Bulgares qui entament leur retraite. Usküb est atteinte le 29, le jour même de
l'armistice Bulgare signé à Salonique. La route de Belgrade était alors ouverte d'autant
plus que le lendemain la Turquie signait un armistice à Moudros [11], ce qui
permettait aux Britanniques de l'amiral Gough-Calthorpe [12] d'occuper
Constantinople. Décidant de pousser son avantage Franchet d'Esperey veut marcher
sur la Hongrie et Vienne. Mais Clemenceau ne voulant pas reconnaître son erreur à
propos du front d'Orient, lui demande d'obliquer vers l'Est, vers la Roumanie.
Empêchant ainsi la guerre de se terminer un peu plus tôt puisque l'Autriche ne
capitulera que le 3 novembre sur le front italien.
B. ... Et ses conséquences sur le Monténégro
Lorsque les troupes Alliées arrivent au Monténégro, celui-ci est occupé depuis
maintenant plus de deux ans par les Autrichiens. Pourtant celles-ci n'arrivent pas dans
un pays entièrement sous occupation autrichienne. En effet malgré l'internement des
hommes en Hongrie et la mise sous loi martiale du pays [13] et grâce à la
configuration topographique du Monténégro, une résistance s'est mise en place dès le
mois de juin 1916. Selon le Bosnich Post, organe officieux du gouvernement
bosniaque, plusieurs mouvements de rébellion auraient vu le jour dès cette date. Ces
mouvements se localisent principalement dans deux régions du royaume. Tout d'abord
dans la région de Kolachin [14] où la tribu des Vassoyevitch qui s'était rebellée doit
subir une dure répression de la part des autorités autrichiennes [15]. Et ensuite dans
la région frontalière albanaise où le général Vechovitch, ancien commandant de la
quatrième colonne, a pris les armes à la tête de 2 000 à 3 000 hommes [16] qui
refusent d'être internés en Hongrie comme 35 000 à 50 000 de leurs compatriotes.
Pour essayer de mettre fin à cette guérilla, les autorités autrichiennes iront jusqu'à
prendre en otage le père et le frère du général. Ce dernier sera même fusillé devant
le refus du général de déposer les armes et de se rendre [17]. Cependant au cours des
mois, cette action des haydouks [18] contre la présence autrichienne prend de plus en
plus l'allure d'une lutte entre adversaires et partisans du roi, ces derniers étant
considérés comme austrophiles [19]. En octobre 1918, le pays est donc retombé dans
une anarchie où les tribus s'affrontent entre elles et où les Autrichiens contrôlent de
moins en moins le territoire.
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L'offensive Alliée dans cette région des Balkans suivit deux axes. L'un vient du SudOuest par le Kosovo et l'autre du sud par l'Albanie. Ce dernier a à sa tête les troupes
italiennes du général Ferrero qui stationnaient jusqu'ici dans le sud de l'Albanie, entre
Valona et le lac d'Okrida [20] à l'Ouest de Monastir. Elles remontent donc le long de
l'Albanie et atteignent Scutari le 3 novembre, mais trois jours après les troupes de
l'Adriatique du colonel Fourtou [21]. Celles-ci qui composaient l'autre axe de
pénétration dans le pays monténégrin étaient essentiellement formées de
"Yougoslaves" encadrés par des Français. Les troupes de l'Adriatique avaient atteint le
Monténégro dès le 12 octobre en libérant la région de Ipek et de Diakova, puis
poursuivant leur avancée sur Scutari, avaient libéré Podgoritza le 1er novembre [22].
Une fois la capitale libérée le 4 et Cattaro occupée le 8 novembre, une nouvelle
situation, dont allait dépendre la suite des événements dans cette région, se mit en
place. En effet malgré l'unité de commandement Alliée deux zones d'occupations vont
se mettre en place de facto. D'un côté les Italiens, soucieux de leurs intérêts et de
leur hantise de voir des Serbes sur l'Adriatique, vont s'efforcer de contrôler le littoral
monténégrin entre la frontière albanaise et Cattaro en occupant les ports [23]. De
l'autre les "forces yougoslaves" qui venues de l'Est contrôlent l'intérieur du pays avec
l'assentiment du commandement français. Pour le roi Nicolas, cette occupation de
fait, par des troupes serbes, de son royaume, allait à l'encontre de ses intérêts. Aussi,
pressentant cette situation, avait-il fait de nombreuses démarches pour revenir dans
son pays.
Pour le roi, en effet la situation était claire; il lui fallait revenir dans son pays, parer
à toute tentative de remise en cause de son pouvoir, "j'ai peur que mes Monténégrins
ne fassent des bêtises (...). Il faut qu'ils me sentent près d'eux pour qu'ils soient
raisonnables" [24]. Ainsi fait-il part à Delaroche de son désir de rentrer dans son pays
en suivant la progression des troupes italiennes en Albanie, dès le lendemain de
l'armistice bulgare [25]. Il réitérera cette demande à plusieurs reprises, sous de
multiples formes, tout au long du mois d'octobre. Pour lui le danger venait des
initiatives serbes "ce sont des révolutionnaires, des anarchistes" [26] et de leurs alliés
du Comité Monténégrin pour l'Union Nationale dont il demande au gouvernement
français, avec le soutien italien, de ne pas les autoriser à partir pour Salonique [27].
Ces derniers au contraire espéraient que le gouvernement français n'autoriserait pas
le départ du roi [28]. Dans le but de rendre ce retour improbable, ils avaient fait part
au Quai d'Orsay qu'ils riposteraient à un retour du roi par des bombes et des émeutes
[29]. Devant ces risques de troubles que les déclarations antérieures de Nicolas ne
démentaient pas "il faudra que nous revenions à Cettigné en automobile blindée (...).
Vous me laisserez bien, n'est ce pas couper quelques têtes lorsque je serai de retour
là-bas?", Delaroche préconisa au ministère des affaires étrangères de différer pour le
moment le retour du roi.
Mais l'attitude de celui-ci restait équivoque. Reconnaissant toujours le gouvernement
de Popovitch et le roi Nicolas comme les représentants légaux du Monténégro, le
gouvernement français leur donna par deux fois l'assurance que son autorité serait
respectée et que les autorités Alliées sur place agiraient en son nom [30]. Mais d'un
autre côté, refusait de mettre par écrit les raisons du refus de ce retour [31], pour ne
pas qu'on puisse lui reprocher plus tard, d'avoir mis des entraves au retour du roi.
Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921)
Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I
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Dans cette même optique Delaroche demande une action concertée avec les autres
Alliés, pour ne pas que cette décision incombe entièrement au gouvernement français
[32].
Cette attitude devint encore plus compromettante, lorsque malgré les déclarations
françaises faites au gouvernement italien [33], la France ne mit aucune entrave et
même favorisa le retour par Salonique de Radovitch et de membres du Comité, en
complète contradiction avec ses précédentes affirmations. Il en est de même pour les
consignes qui sont données par Clemenceau à Franchet d'Esperey, qui doit agir au
nom du roi, mais ne doit prendre aucune mesure politique pour faire respecter
l'autorité royale au nom de laquelle il agit; "le sentiment de la population ne devra
être violé en aucune manière et l'autorité militaire ne devra en aucun cas se faire
l'instrument de mesures de représailles ou de répressions d'ordre politique, que le
gouvernement du roi Nicolas tenterait d'exercer" [34] alors même que ce
gouvernement est empêché de rentrer d'exil. De plus il n'est fait aucune mention de
la conduite à tenir en cas de représailles serbes à l'encontre des partisans du roi et
qui donc violeraient l'autorité d'un gouvernement toujours reconnu par la France.
Le gouvernement français a en effet refusé de certifier par écrit au roi que seules des
troupes françaises pénètreraient au Monténégro [35], ce qui lui permettait ainsi
d'utiliser des agents "yougoslaves" pour fomenter des mouvements insurrectionnels sur
les arrières des Autrichiens. Mais une nouvelle fois, le gouvernement français ne veut
pas prendre ses responsabilités et veut agir sous couvert serbe "il est à croire que les
émissaires qui sont employés par le général Franchet d'Esperey, en raison de leurs
origines, favoriseront cette dernière tendance (unioniste). Comme il s'agit, avant
tout, d'échapper à la domination autrichienne, nous ne pouvons reculer devant les
moyens à employer, mais il y aurait peut-être intérêt à laisser nos alliés serbes
assumer au moins en apparence la direction et la responsabilité de ces manœuvres"
[36]. Ainsi les troupes serbes purent-elles pénétrer au Monténégro et participer à sa
libération en fomentant des rébellions qui aboutirent à la libération de Nikchitz,
Berane et Andryevitza [37]. Si pour le gouvernement monténégrin ces révoltes sont le
fruit des actions des comitadjis [38] serbes du commandant serbe Pavle Blajovitch
[39], elles ont au contraire pour les unionistes, précédé l'arrivée des Alliés qui une
fois sur place n'ont fait que respecter ces nouvelles autorités mises en place à la suite
du soulèvement du peuple monténégrin [40]. Les décisions prises plus tard par ces
autorités ne devaient donc rien, selon eux, à la présence de troupes serbes. Et les
premières décisions prises par ce nouveau pouvoir seront lourdes de conséquence
pour le roi, puisqu'elles signifieront la fin de sa dynastie.
C. La fin des Petrovitch-Niegoch
Les craintes du roi avaient donc été justifiées, la libération de son pays avait entraîné
de facto le rattachement du Monténégro à la Serbie. Lorsque Radovitch évoque les
nouvelles autorités mises en place avant l'arrivée des Alliés, il fait référence à la
création d'un Comité National Provisoire Exécutif qui dès le 7 novembre décide de
faire procéder à l'élection des députés d'une Grande Skoupchtina qui décidera du
"futur statut national du Monténégro et afin de choisir un comité exécutif permanent
national qui dirigera le travail et exécutera les décisions de l'assemblée" [41]. À la
tête de ce comité provisoire se trouve Y. Spassoyevitch, membre du Comité
Monténégrin pour l'Union Nationale de Genève ainsi que deux Serbes; R. Kosovitch et
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S. Tomitch, ce qui tendrait à prouver que ces nouvelles autorités, mises en place à la
suite du soulèvement du peuple monténégrin, se sont en réalité installées à la suite
de l'arrivée des Serbes, contrairement aux affirmations des unionistes.
Ces élections au suffrage indirect eurent lieu les 17 et 19 novembre. Par un jeu de
proportionnalité, le Comité National Provisoire Exécutif accordait plus de poids aux
nouvelles provinces de 1913 qu'au vieux Monténégro pourtant plus peuplé mais aussi
peut-être plus fidèle à la dynastie. De plus le scrutin fut public, laissant ainsi libre
cours à toutes formes de pression, car si le Comité c'était soi-disant formé avant
l'arrivée des troupes yougoslaves, les élections quant à elles eurent lieu en leur
présence. Les unionistes reprendront les conclusions de la commission internationale
dirigée par Franchet d'Esperey le 2 février 1919, pour justifier de la bonne tenue des
élections. À savoir que les troupes yougoslaves au nombre de 500 n'avaient pu exercer
aucune influence sur "50 000 monténégrins armés" et que dans ces conditions les
élections avaient été bien plus libres que sous Nicolas [42].
Sans vouloir remettre en cause les conclusions de Franchet d'Esperey dont on connaît
l'amitié pour le prince-régent Alexandre de Serbie, on peut être amené à se poser des
questions sur les profondes divergences entre ses conclusions et un rapport de l'étatmajor général effectué le 14 décembre. Celui-ci parle de l'empressement des
autorités serbes à régler le sort de l'union en refusant d'attendre le retour des
prisonniers (entre 35 000 et 50 000) et en fournissant elles mêmes les bulletins de
votes ainsi que les différentes proclamations préalablement imprimées en Serbie. De
plus dans ce rapport, il est fait allusion au fait que si les Monténégrins n'avaient pas
été désarmés par les Autrichiens, il y aurait eu une véritable guerre civile. Où sont
donc les 50 000 Monténégrins armés face aux 500 pauvres soldats "yougoslaves"? [43]
Élue dans des conditions sujettes à caution [44], la Grande Skoupchtina se réunit donc
le 24 novembre à Podgoritza dans le but de statuer sur le sort du Monténégro. Celle-ci
dans sa première cession, le 26 décide:
• la déchéance de Nicolas Ier Petrovitch-Niegoch ainsi que de sa dynastie.
• l'union du Monténégro à la Serbie en un seul et unique état sous le règne de la
dynastie des Karageorgevitch qui,`
• ainsi unie, entre dans la patrie commune de notre peuple au trois noms; Serbes,
Croates et Slovènes.
Dans sa séance du 28, elle procède à l'élection d'un Comité Exécutif de cinq membres
qui ont en charge de gouverner le pays jusqu'à ce que l'union rentre dans les faits. Ces
cinq membres sont:
• le voïvode Stevo Voukotich (frère de la reine Miléna mais ennemi personnel des
Petrovitch depuis l'affaire des bombes)
• Marko Dakovitch
• Spasoje Piletitch
• Lazare Damjanovitch
• Risto Joitch
Le 7 décembre, ce comité informe les différentes chancelleries qu'il est désormais le
seul pouvoir légal au Monténégro. Durant la clôture de cette première session de la
Grande Skoupchtina le 29, une nouvelle décision est prise. Celle-ci ordonne la
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confiscation des biens de la couronne et interdiction est faite au roi et a sa dynastie
d'entrer au Monténégro [45].
Selon les partisans de l'union, ces décisions auraient été prises à la quasi-unanimité et
dans la liesse générale sans aucune forme de pression. Pourtant si l'on se réfère
toujours au rapport de l'état-major général ces décisions n'ont pas été si unanimes. En
effet lors de la première séance les représentants des Nahias [46] de Katounska,
Rietchka, Tzeklinska, Tzermeniska et Zeta c'est-à-dire du vieux Monténégro, fidèles à
la dynastie (et non au roi et ses fils mais au fils de Mirko) comprenant le vrai but de
cette Grande Skoupchtina qui était d'entériner l'annexion du Monténégro, décidèrent
de quitter la séance. Les Serbes durent verser des pots-de-vin aux députés restants et
menacer d'utiliser la force pour s'assurer de la décision.
Pour entériner les résolutions prises par la Grande Skoupchtina, celles-ci furent
communiquées au roi, aux gouvernements Alliés et neutres ainsi qu'au prince
Alexandre qui reçut une délégation de députés dirigée par le métropolite d'Ipek le 19
décembre qui acquiesça "avec émotion et reconnaissance" à l'offre de la couronne
monténégrine [47]. Les décisions de l'assemblée et la reconnaissance de celle-ci par
le prince-régent marquaient de facto la suspension de relations diplomatiques entre
la Serbie et le Monténégro, suspension qui fut annoncée officiellement le 30
décembre [48]. Cette décision provoqua des divergences parmi les Alliés, entre des
Italiens toujours résolument contre, mais plus pour leur propres intérêts que pour
ceux de Nicolas, des Britanniques qui par respect de la dignité royale voulaient
condamner ce coup de force et des Français soucieux de ménager leur allié serbe.
L'inaction des grandes puissances légitimait donc ce véritable coup de force des
autorités serbes.
Trois années d'exil se soldaient donc par la victoire des Alliés mais aussi par la
disparition du royaume monténégrin qui faisait, de fait, partie de la Serbie, même si
les grandes puissances reconnaissaient toujours le gouvernement royal comme le
représentant légitime du Monténégro. Cette annexion qui mettait fin à cinq siècles
d'indépendance monténégrine avait pris forme dans la première partie du conflit qui
avait vu le Monténégro déposer les armes dans des conditions qui parurent à l'époque
suspectes. Elle profita donc de ces trois années d'exil pour mûrir sous l'action
conjuguée des campagnes de diffamations du Comité Monténégrin pour l'Union
Nationale d'Andriya Radovitch orchestrées en sous-main par la Serbie, des maladresses
du roi et de son entourage dans lequel régnait une véritable atmosphère de cabale,
ainsi que de "l'hypocrisie" des grandes puissances qui se servirent du Monténégro au
gré de leurs intérêts comme l'Italie qui passe de l'hostilité à la compromission ou la
France qui, sous couvert de respecter le droit et les valeurs de la justice, laisse faire
son allié serbe et même l'encourage dans sa volonté de créer un "cordon sanitaire"
slave sur le flanc sud du monde germanique, même si pour cela il lui faut utiliser des
moyens plus que douteux. Le peu de manière que mettront les Serbes à respecter les
traditions, les us et coutumes du Monténégro, allant même jusqu'à la répression
cruelle ne pourra que favoriser un mouvement anti-annexionniste, et ce même si au
départ une large partie de la population était hostile au retour du roi et favorable à
l'union de tous les Serbes sous quelques formes que se soient.
Notes
1. Général allemand, disciple de Schlieffen, il entre à l'état-major d'Hindenburg. Par son action il contribua à la
chute du gouvernement de Bethmann-Hollweg en 1917. Puis prendra une grande part aux opérations militaires
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entre 1917 et la défaite de novembre 1918 qui l'oblige un temps à fuir en Suède. Il revient en Allemagne en 1919
et prend part à différentes tentatives de putsch nationaliste et notamment celle de Muniche en 1923 en
compagnie d'Hitler.
2. Philippe Berthelot (1866-1934) directeur des Affaires politiques de 1913 à 1920 au ministère des Affaires
étrangères.
3. Homme politique de droite français, président de la République entre 1913 et 1920. Durant et après le traité de
Versailles il sera un partisan constant de la politique de "l'Allemagne doit payer".
4. Homme politique français membre du parti radical. Partisan de la lutte contre l'Allemagne, il pourfend tous
ceux qui seraient selon lui enclin au défaitisme (en contribuant notamment à la chute de nombreux
gouvernements). Alors que la France est en pleine période de doute après les victoires des Centraux à l'Est, il est
rappelé au pouvoir par Poincaré en novembre 1917. Par son "énergisme", il redonne confiance aux Français
contribuant ainsi à la victoire finale ("le père la victoire"). Son intransigeance à l'égard de l'Allemagne vaincue
contribuera à une vision négative du traité de Versailles par les populations vaincues (le diktat de Versailles),
provoquant ainsi un sentiment de revanche qui éclatera lors de la Deuxième Guerre Mondiale.
5. Membre de la Main Noire, il participa à l'assassinat des Obrénovitch en 1903 et fut à l'origine de l'attentat de
Sarajevo.
6. Constantin Ier de Grèce, beau-frère de Guillaume II, refuse en 1914 d'engager son pays dans la guerre aux côtés
des Alliés et ce malgré les pressions de son président du conseil Venizélos et de l'accord de défense signé avec la
Serbie en 1913. Le débarquement des Alliés à Salonique puis à Corfou le pousse à séparer de Venizélos qui part
fondé un gouvernement républicain à Salonique. La Grèce reste donc neutre; pour la contraindre à s'engager des
troupes françaises débarquent au Pirée, et en juin 1917 le haut-commissaire français à Athènes contraint
Constantin à abdiquer en faveur de son second fils Alexandre. Venizélos revient au pouvoir et déclare le guerre
aux Centraux.
7. Général français commandant de la seconde armée de 1916 à 1917, il est désigné en décembre 1917 pour
succéder au général Sarrail en tant que commandant des forces Alliées à Salonique. Il contribuera à réorganiser les
troupes Alliées en y intégrant notamment les divisions grecques. Il remporte un premier succès, mais est rappeler
le 30 mai 1918 pour organiser la défense de Paris menacé par l'offensive de Ludendorff de mars 1918.
8. Général français qui prend la suite de Guillaumat en juin 1918 en tant que commandant des forces Alliées en
Orient. Il convint le Conseil Suprême des Forces Alliées (Foch) de l'utilité du second front et réussit à percer le
front bulgare dans la région des monts Dobropolje avec l'aide des deux armées serbes. La Bulgarie s'effondre et
demande l'armistice le 29 septembre. Il entame alors sa remontée vers Belgrade et le Danube et veut poursuivre sa
route vers Budapest et Vienne. Il en est empêché par Clemenceau qui lui demande d'obliquer vers l'Est en direction
de la Roumanie et de la Russie. Durant tout le temps de son commandement dans la région, il se comporta comme
un véritable proconsul sur les territoires libérés.
9. Montagne à l'Est de Monastir (Bitola) marquant la frontière gréco-macedonienne.
10. Skra village grec, Gevgelija ville macédonienne situé sur le Vardar à la frontière gréco-macédonienne.
11. Village de l'île grecque de Lemnos dans la mer Égée.
12. Amiral britannique, commandant de la flotte britannique en Méditerranée.
13. Note Miouchkovitch à de Margerie, AMAE, gu14-18, n°324, p 139
14. Aujourd'hui Kolasin, ville de l'intérieur du Monténégro sur les bords de la Tara.
15. Dépêche Delaroche (Bordeaux) à MAE, AMAEgu14-18, n°326, p 84
Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°329, p 66
16. Lettre interceptée à destination de M. Alex Devine, Anglais mais qui a fondé un comité de soutien aux
Monténégrins, AMAE, gu14-18, n°328, p 66
17. Dépêche Delaroche (Bordeaux) à MAE, AMAE, gu14-18, n°324, p 84
18. Brigand, bandit, rebelle contre les Turcs.
19. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°332, p 88
20. Lac Ohrid à la frontière albano-macédonienne.
21. Colonel puis général en charge du commandement Allié dans la région de Scutari, qu'il évacuera en mars 1920.
22. Communication du ministère des affaires étrangères monténégrin à Delaroche, AMAE, eu18-40, Monténégro,
n°7, p 173
23. Communication du Comité Monténégrin pour l'Union Nationale à Clemenceau, AMAE, eu18-40, Monténégro,
n°7, p 188
24. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 57
25. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 55
26. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 73
27. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 88
28. Conversation rapportée entre un ami de Radovitch et Gatalo à Genève, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 76
29. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 55
30. Déclarations de M. Pichon du 04.11.1918 et de M. Poincaré du 24.11.1918
Note Delaroche à Pichon, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 63 "Il n'est pas question de contester au roi la
souveraineté du Monténégro, ni de favoriser actuellement un mouvement contraire à la dynastie. Le roi Nicolas
reste le souverain légal et c'est en son nom que les autorités alliées devront réoccuper le Monténégro."
31. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 94
32. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 57
33. Dépêche MAE à Barrère (Rome), AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 100
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34. Dépêche Clemenceau à Franchet d'Esperey, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 122
35. Dépêche MAE à Delaroche, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 93
36. Dépêche MAE à Clemenceau, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 68
37. ou Ivangrad, ville du Monténégro située dans les nouveaux territoires de 1913 du Sandjak et situé sur la rivière
Lima (Lim).
Aujourd'hui Andrijevica qui est située au Sud de Berane sur la même rivière.
38. Francs-tireurs; terme employé au XIX et XX siècle en Macédoine pour désigner les membres de l'Organisation
Intérieure Révolutionnaire de Macédoine (ORIM). Possède par la suite une connotation péjorative chez les Serbes
après la guerre contre la Bulgarie qui soutenait les membres de l'ORIM.
39. Dépêche ministère des affaires étrangères du Monténégro à Delaroche, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 155
40. A. Radovitch..., La question du Monténégro, 1919
41. Ministère des affaires étrangères du Monténégro, Le rôle de la France dans l'annexion forcée du Monténégro,
1921, p 68
42. Anonyme, La question monténégrine. Rapports et documents, 1919, p 36
43. Informations transmises par l'état-major général à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°8, p 92209.
44. SHA, Les armées alliées en Orient après l'armistice de 1918, 1972, p 87. "Une Grande Skoupchtina, élue au
suffrage universel par tous les cantons du pays, dans des conditions peut-être un peu arbitraires..."
45. Z. Tomitch, La formation de l'État yougoslave, 1927, p 132-140
46. Représente le plus petite des circonscriptions administratives dans les Balkans.
47. Dépêche Fontenay (Belgrade) à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°8, p 45
48. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°8, p 65
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Troisième partie
Le rattachement au royaume S.H.S.
(1918-1921)
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Après avoir vu dans les deux premières parties les raisons qui ont amené à l'annexion
ou l'union du Monténégro à la Serbie, à la fin du premier conflit mondial, j'essayerai
de voir dans quelles conditions s'est effectué ce rattachement à la Serbie puis au
royaume des Serbes, Croates et Slovènes. En effet, si la Serbie prend comme
référence le vote du 26 novembre 1918, et la réception par le prince-régent
Alexandre de la délégation de la Grande Skoupchtina le 19 décembre de la même
année, pour enregistrer la réunion des deux pays, il n'en sera pas de même pour les
autres pays Alliés. Le problème de la reconnaissance de cette union par les puissances
s'éternisera pendant les deux années qui suivirent la fin du conflit. Et même au-delà,
si l'on se place du point de vue de la politique intérieure yougoslave. Ces deux années
qui suivirent la libération du Monténégro de l'occupation autrichienne furent
marquées par la volonté de la Serbie puis du royaume S.H.S., de légitimer sur le plan
international, l'occupation puis l'annexion de fait, par ces derniers du territoire
monténégrin. En effet si l'administration serbe avait succédé à l'occupation Alliée, le
sort du Monténégro n'en était nullement réglé; les puissances reconnaissaient toujours
le roi Nicolas comme souverain du Monténégro. Ce dernier ainsi que ses partisans
mirent à profit cette ambiguïté diplomatique pour résister à cette annexion, tant sur
le plan diplomatique que sur le plan intérieur en fomentant un mouvement
insurrectionnel au Monténégro, opposant les Verts et les Blancs. Ces tentatives furent
réduites à néant par la reconnaissance de cette union par les puissances, au
lendemain des élections de la Constituante de Belgrade le 28 novembre 1920.
Pourtant le sort du Monténégro, à travers cette reconnaissance tardive et quelque
peu ambiguë (les élections ne furent qu'un prétexte utile pour se débarrasser d'un
problème encombrant), n'en était pas moins toujours en suspend sur le plan
international, comme le prouveront les multiples démarches effectuées par les
gouvernements monténégrins en exil auprès notamment de la Société des Nations.
VII. Les Alliés et l'occupation du Monténégro
A. L'occupation Alliée du Monténégro
Lorsque les troupes Alliées pénètrent au Monténégro en octobre-novembre 1918, se
met alors en place une occupation du Monténégro ainsi que de Cattaro et Scutari,
sous les ordres du haut commandement interallié d'Orient du général Franchet
d'Esperey. Ces détachements interalliés dirigés par le général Venel [1], sont
composés de troupes françaises, britanniques, américaines, serbes et italiennes.
Cependant ces deux dernières soucieuses de leurs intérêts respectifs possèdent aussi
sur place des troupes qui ne relèvent pas de ce haut commandement et de ce fait
agissent sans en référer à Salonique puis Constantinople où se trouve le haut
commandement de l'armée d'Orient. Cette situation engendre dans les faits deux
zones d'occupation bien distinctes; l'une italienne cantonnée sur le littoral
monténégrin (Cattaro, Niegoch, Virpazar, Antivari, Dulcigno, et Scutari), l'autre Serbe
se localisant plus à l'intérieur des terres, même si elle se trouve aussi sur le littoral.
Les rivalités entre les deux pays vont conduire à plusieurs reprises à des incidents,
mais le plus souvent par l'intermédiaire de leurs partisans respectifs. Ainsi lorsque les
Italiens décident d'occuper Cettigné en novembre 1918, ceux-ci sont repoussés par les
partisans de l'union [2]. La multiplication des incidents conduira les Alliés à envisager
le départ des troupes serbes et italiennes pour les remplacer par des Américains et
des Britanniques [3]. Mais le refus de ces deux pays, de s'engager plus en avant dans
Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921)
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le problème yougoslave, ne permettra pas une telle solution et après leurs départs en
avril 1919, les troupes Alliées ne seront plus composées que de français, d'italiens et
de serbes. Pris entre deux feux, les Italiens et les Serbes tendent à rejeter sur la
France la responsabilité de la situation dans l'Adriatique, Clemenceau décide
l'évacuation du détachement interallié du Monténégro [4]. Cependant Serbes et
Italiens refusent d'obtempérer. Pour les premiers, fort de la reconnaissance du
royaume S.H.S. par les États-Unis, leurs troupes ne peuvent pas évacuer un territoire
qui est placé sous leur souveraineté. Quant aux seconds, ils déclarent ne pas
dépendre du général Tahon [5], nouveau commandant des forces Alliées au
Monténégro. Cette situation durera jusqu'en juin 1920, lorsque les Italiens, lassés par
le peu de résultat obtenu, quitteront le Monténégro [6]. Ce départ ne signifiait pas
pour autant leur désintérêt complet pour cette région, puisque comme je le verrai
dans le chapitre suivant, l'activité déstabilisatrice entreprise par les Italiens
perdurera jusqu'au Traité de Rapallo.
Si, par leur attitude, les Italiens ont contribué à empoisonner la situation, la
partialité des autorités françaises dans l'occupation du Monténégro n'a pas été sans
effet. On retrouve ce parti pris à la fois sur le terrain et dans les relations avec le
gouvernement du roi Nicolas. Ainsi lors d'une tentative d'insurrection à Cettigné,
organisée par Yovan Plamenatz, contre la présence serbe, le général Venel n'hésita
pas à faire feu sur les rebelles [7], pour préserver la ville. Or, lors de leur arrivée au
Monténégro les autorités militaires avaient ordre à la fois d'agir au nom du roi (elles
n'ont pourtant rien fait pour faire respecter cette autorité), mais aussi de ne pas
intervenir dans les luttes politiques. Conscient de ce parti pris E. Popovitch, président
du conseil monténégrin refuse de rentrer en France à cause du "mauvais vouloir" de
celle-ci. Ainsi par deux fois des représentants de la France, tout en reconnaissant
toujours le roi reconnaissent l'annexion de fait du royaume monténégrin par le
royaume S.H.S.. Tardieu [8] en février 1919 refuse l'étude des frontières entre le
Monténégro et la future Yougoslavie puisque le Monténégro faisait partie du royaume
S.H.S., tandis que Millerand [9] accorde l'Albanie du Nord à la Serbie puisque "l'on
part de l'idée que le Monténégro sera partie intégrante de l'État Serbe, Croate et
Slovène" [10]. Par ces petites phrases, il apparaît de plus en plus évident que le fait
accompli serbe au Monténégro, tend à devenir la norme, et que les gouvernements
Alliés l'acceptent, (la France dès le mois de juin 1920 décide de supprimer sa légation
à Cettigné) en attendant de trouver le moment propice pour rompre avec le
Monténégro. Cependant le passage du Monténégro sous administration serbe ne se
fera pas sans problème.
B. Le Monténégro passe sous administration serbe
La libération et l'occupation du pays par les troupes "yougoslaves" suivies de la
résolution de la Grande Skoupchtina du 26 novembre avaient dans les faits rattaché le
Monténégro au royaume de Serbie. Pour montrer que cette union était rentrée dans
les faits le nouveau cabinet serbe de M. Protitch accueillit dans ses rangs un ministre
monténégrin affecté au ravitaillement (M. Raitchevitch) [11]. Et dans le but de se
montrer sur de son fait, accepte l'idée d'un plébiscite, mais ne voit pas l'utilité d'un
contrôle Allié puisque la Serbie est un pays indépendant et démocratique [12].
Cependant à cette date, bien que les fonctionnaires et les militaires de Belgrade
soient déjà sur place, le pouvoir au Monténégro dépend toujours du Comité Exécutif
élu le 28 novembre, par une Grande Skoupchtina qui siège toujours. Ce n'est en effet
Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921)
Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I
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qu'à la fin avril que le Monténégro passe réellement sous administration serbe, avec
l'arrivée du commissaire royal au Monténégro, Ivan Pavitchevitch et la dissolution de
l'assemblée monténégrine [13]. En contrepartie, le Monténégro avait reçu dix sièges
dans l'assemblée provisoire du royaume S.H.S. Le 17 février 1919 [14].
Mais cette transition ne s'est pas faite sans heurts pour les autorités serbes du
Monténégro. Les méthodes employées par ces derniers, et malgré l'attitude
conciliante du nouveau haut-commissaire [15], vont très vite faire naître un
sentiment de frustration chez les Monténégrins, jaloux de leur indépendance,
contribuant ainsi à renforcer le camp des opposants au nouveau régime et notamment
celui des fédéralistes républicains [16].
Leur attitude agressive décrite dans de nombreux rapports ("... les Serbes adoptaient,
tant au Monténégro qu'en Dalmatie, une attitude nettement agressive; ils semblent
actuellement portés à se considérer comme les maîtres véritables du pays. (...) Les
Serbes semblent plus disposés à considérer leurs nouvelles provinces comme des
conquêtes que comme des états libres venus volontairement s'agréger à eux") [17]
prenait différentes formes. Soit en agissant directement à travers des mesures
répressives, en plaçant le Monténégro sous la loi martiale, restreignant la liberté de
circulation (à l'intérieur du pays et entre le pays et l'extérieur, seuls les fidèles ont le
droit de circuler comme bon leur semble) [18], ou en remplaçant les fonctionnaires
monténégrins à cause de leur "incapacité" [19] par des fonctionnaires serbes: ceux-ci
par exemples profitent en avril 1919, de l'absence du général Tahon, pour remplacer
tous les préfets monténégrins [20]. Ou bien en favorisant "brutalement les militants
serbes" qui eux-mêmes ne reculaient devant rien pour asseoir leur pouvoir [21].
Cette politique d'assimilation forcée par la terreur, déjà pratiquée par les Serbes en
Macédoine en 1913 et décrite dans le rapport de la Fondation Canergie pour la Paix
Internationale, Enquête dans les Balkans, 1914 (p 143-174) se prolongea tout au long
de ces deux années et au-delà et ce malgré les dénégations de Pavitchevitch qui
décrit un pays calme [22] appuyé en cela par les dépêches apaisantes envoyées par
Fontenay. Ces atrocités commises par les autorités serbes furent d'ailleurs un des
enjeux de la campagne électorale pour l'élection de la Constituante de Belgrade, ou
radicaux et démocrates vont se rejeter mutuellement la responsabilité de ces crimes.
Ainsi le journal La Tribuna de Belgrade, organe du parti radical de Pachitch, dans son
numéro du 23 novembre 1920, parle-t-elle de la situation au Monténégro et incrimine
au gouvernement démocrate de Davidovitch la responsabilité des crimes commis:
"...vous êtes ceux qui ont tué Joko Tzoto (cul-de-jatte !). Vous êtes ceux qui ont tué
la grand-mère de Nechko R. Nikolitch d'un coup de canon ! Vous êtes ceux dont le
"comité d'exécution", par son décret le plus ignominieux, a assassiné la grand-mère
de Simonovitch, du village de Dragovolitchi! Vous êtes ceux qui ont pillé des milliers
de jupes et layettes d'enfants. Vous êtes ceux qui ont fourré des chats sous les jupes
des femmes de Rovtza en les fouettant !" [23].
Ces allégations furent de nouveau citées à plusieurs reprises au cours des années vingt
par ce même journal ainsi que par Balkan, un autre journal radical. Le 23 août 1922
ce dernier parle de 95% des maisons monténégrines qui ont été soit pillées, soit
saccagées, soit incendiées (dans son édition du 20 septembre 1923 Le Tribuna évoque
quant à elle 5 000 maisons brûlées). Ces déclarations postérieures viennent donc
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corroborer les affirmations des indépendantistes monténégrins et notamment la
déposition du général Vechovitch qui, après avoir tenu tête aux Autrichiens, se
retrouve accusé de haute trahison par le gouvernement serbe pour avoir refusé de
prêter serment au roi Pierre Ier et pour avoir rencontré le consul italien de Scutari.
Durant son procès à Belgrade le 11 février 1921, il déclare que son pays "est
transformé aujourd'hui en un enfer beaucoup plus terrible que celui de Dante. (...)
On a planté des épines sous les ongles d'une femme pour lui faire dire, où se cachait
son fils insurgé; on a mis des chats sous les jupes d'une autre en liant la partie
inférieure de sa jupe, puis on a frappé les chats qui, devenus enragés, déchiraient la
chair de la pauvre victime et tout cela pour obliger cette femme à dévoiler la
retraite de son fils rebelle. La malheureuse a refusé de dénoncer celui-ci, mais elle a
succombé sous les coups de bâtons et les déchirures de la bête enragée" [24].
On pourrait voir dans ces affirmations une volonté de propagande, entretenue par un
esprit revanchard, notamment lorsque le ministère des affaires étrangères
monténégrin publie en 1920 documents sur les atrocités serbes au Monténégro.
Pourtant au-delà de ces témoignages qui peuvent paraître partiaux, ces accusations
contre le régime serbe au Monténégro, sont reprises par des étrangers ayant été sur
place. Étrangers que les autorités serbes supportent de moins en moins, ce qui la
conduit notamment à expulser du Monténégro la mission britannique de ravitaillement
du Monténégro le 29 mai 1920, ainsi que l'expulsion du colonel J. Burnham, chef de la
mission humanitaire canadienne, le 14 juillet 1920 car selon les autorités serbes sa
mission n'était plus en sûreté. Voici comment il décrit la situation: "ce malheureux
pays va de mal en pis. Le peuple ne peut plus vivre dans ces conditions. Le pays tout
entier est en deuil. À cause de cette indicible terreur, la population commence à
perdre la raison. (...) Les Serbes ont essayé tous les procédés inavouables et
inimaginables; et du moment qu'ils osèrent m'adresser des menaces de mort, il est
facile de s'imaginer leur conduite envers la pauvre population du Monténégro..."
[25]. Ces accusations sont aussi reprises par le capitaine américain Bruce envoyé en
mission pour soustraire la famille d'un monténégrin naturalisé, aux exactions serbes
[26]. Or peut-on reprocher à ces deux dernières nations d'avoir des visées sur le
Monténégro qui déformeraient leurs jugements sur la situation?
Internements, violences physiques et psychiques, saccages et pillages, situation de
disette entretenue par les autorités serbes qui ne distribuent d'aide qu'aux familles
loyalistes à l'égard du nouveau pouvoir, toutes ces accusations furent reprises dans un
rapport de l'ancien représentant britannique à Cettigné, le comte Salis. Accusations
tellement graves que lord Curzon [27], ministre du Foreign Office refusa, le 11 mars
1920, de divulguer à la chambre des lords, les conclusions de ce rapport, car les
informations avaient été obtenues sous le sceau du silence [28]. Les élections de la
Constituante ne réglèrent nullement le problème, puisqu'en 1922, le consul français
de Scutari parle d'insécurité endémique et de répression difficile à cause de la
complicité de la population [29]. Insécurité qui ne prendra fin qu'avec la mort du
dernier comitadjis monténégrin; Raspopovitch en janvier 1924 [30]. L'annexion ne
s'est donc pas faite sans des tentatives de résistance qui ont notamment amené au
conflit Verts/Blancs (Monténégrins/Serbes et Nicolaistes/Unionistes).
Notes
1. Général français, commandant des forces Alliées au Monténégro.
2. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°8, p 60
3. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°8, p 172
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4. Dépêche Clemenceau à Franchet d'Esperey (Constantinople), AMAE, eu18-40, Monténégro, n°15, p 141
5. Général français, successeur du général Venel au Monténégro.
6. Dépêche Fontenay (Belgrade) à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°11, p 93
7. Dépêche Franchet d'Esperey (Salonique) à Clemenceau, AMAE, Monténégro, n°8, p132
8. Homme politique conservateur français et journaliste au journal Le Temps. Délégué français à la Conférence de
la Paix, il n'eut de cesse durant la conférence en tant que collaborateur de Clemenceau et durant l'entre-deuxguerres en tant que ministre ou président du conseil d'agiter la menace allemande.
9. Homme politique français, membre du parti socialiste puis conservateur. Il fut plusieurs ministre et notamment
de la guerre entre 1914 et 1915. il accéda à la fonction de président de la République en 1920 après la démission
de Paul Deschanel mais dut se retirer devant l'opposition du Cartel des Gauches en 1924. Il incarna le rôle de
leader du Bloc National.
10. Note MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°9, p 6
Dépêche ministère des affaires étrangères monténégrin à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°11, p 26
11. Note P. Chotch (ministre monténégrin qui assure l'intérim après le départ de Popovitch pour l'Italie) à
Delaroche, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°8, p 125
12. Dépêche Fontenay (Belgrade) à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°8, p 169
13. Dépêche Fontenay à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°9, p 157
14. Dépêche Fontenay à MAE, AMAE, eu18-40, Yougoslavie, n°31, p 92
15. Note Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°9, p 222
16. Note Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°9, p 223
17. SHA, Les armées Alliées en Orient après l'armistice de 1918, 1972, T II p 139-146
18. Rapport de l'état-major général, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°8, p 92
19. Dépêche Fontenay à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°11, p 5
20. SHA, Les armées Alliées en Orient après l'armistice de 1918, 1972, T III p 23-26
21. SHA, Les armées Alliées en Orient après l'armistice de 1918, 1972, T II p 26, "Le parti serbisant a vu sa
majorité se désagréger petit à petit mais, fort du vote de la Skoupchtina, il est décidé à se maintenir au pouvoir
par les armes et, au besoin, contre la volonté de la majorité de la population."
22. Rapport du haut-commissaire remit au secrétariat général de la Conférence de la Paix, AMAE, eu18-40,
Monténégro, n°10, p 93
23. Dépêche Barrère à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°11, p 177. Repris dans Le rôle de la France dans
l'annexion forcée du Monténégro, du ministère des affaires étrangères du Monténégro, 1921, p 85
24. Le rôle de la France dans l'annexion forcée du Monténégro, du ministère des affaires étrangères du
Monténégro, 1921, p 167
25. Ministère des affaires étrangères du Monténégro, Documents sur les atrocités serbes au Monténégro, 1920, p
49
26. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°9, p 76
27. Homme politique conservateur britannique. Il fut vice-roi des Indes entre 1898 et 1905. Il dut quitter ce poste
à la suite d'un désaccord avec Kitchener alors commandant de l'armée des Indes. Durant la Première Guerre
Mondiale, il participe aux cabinet de coalition de Asquith et Lloyd George. Ministre du Foreign office de 1919 à
1924, il fut le principale artisan du traité de Lausanne en 1923 avec la Turquie. Son nom est aussi attaché à une
ligne imaginaire qui fixa les frontières orientales de la nouvelle Pologne avant que celle-ci ne s'agrandisse à l'Est.
Mais cette ligne a été reprise lors du nouveau tracé de la frontière soviéto-polonaise après 1945.
28. Ministère des affaires étrangères du Monténégro, Documents sur les atrocités serbes au Monténégro, 1920, p 5
29. Dépêche consulat de Raguse (Dubrovnik) à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°14, p 48
30. Dépêche consulat de Raguse à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°14, p 54
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VIII. La résistance à "l'annexion"
Les méthodes employées par les Serbes n'ont pas été sans créer tant à l'extérieur qu'à
l'intérieur, un mouvement de protestation qui petit à petit pris l'allure d'un
mouvement de résistance à l'annexion ou l'union. À l'extérieur, pour Nicolas les choix
étaient simples. N'ayant pas reconnu la décision de le Grande Skoupchtina, il se
devait de s'affirmer comme le seul représentant légal du Monténégro en recherchant
de nouveaux appuis; en dénonçant la terreur centralisatrice serbe et en se présentant
comme un partisan du fédéralisme respectant les particularités régionales. Cette
politique ne l'empêchait pourtant pas de mener des négociations avec la dynastie
serbe, dans le but de monnayer sa reconnaissance de l'union. À l'intérieur, la
résistance des autonomistes qui n'étaient pas obligatoirement royalistes, pris la forme
d'une insurrection armée qui déboucha sur le conflit Verts/Blancs. Ce conflit
s'éternisa bien au-delà des élections de la Constituante de Belgrade qui marquait
pourtant pour les Grands, la fin du problème monténégrin sur le plan international.
A. La politique de Nicolas
Dans un premier temps le gouvernement monténégrin en exil et à travers lui le roi
Nicolas se montre résolument contre l'annexion de son pays par la Serbie, en
dénonçant les pratiques serbes et en demandant leur départ pour qu'ils soient
remplacés par des troupes Alliées dans l'attente du retour du Monténégro officiel en
compagnie des représentants officiels accrédités auprès de lui, pour légitimer son
retour. Dans ce but, il rassemble autour de lui ses partisans, qualifiés d'éminemment
suspects par Delaroche-Vernet [1], et nomme un nouveau Premier Ministre; Yovan
Plamenatz que le comte Salis qualifie "d'homme à l'ancienne mode".
Cependant face aux difficultés que rencontre sa cause au Monténégro et dans son
entourage qui enregistre de nombreuses défections [2] le roi, dans le but de présenter
une image positive et démocrate aux Alliés, décide de pratiquer une politique de
conciliation en suivant leurs recommandations. Ainsi décide-t-il de signer un message
à destination du peuple monténégrin, rédigé par le président Wilson le 22 janvier
1919, appelant la population au calme:
"À mon cher peuple,
Je vous supplie de rester tranquille chez vous et de ne pas vous opposer, par les
armes, aux troupes qui cherchent à s'emparer du gouvernement de notre pays. J'ai
reçu les plus hautes assurances des représentants des pays Alliés, que très
prochainement une bonne occasion sera offerte au peuple monténégrin de se
prononcer librement sur la forme politique de son futur régime. Et, pour ma part, je
me rangerai avec plaisir à cette décision.
Nicolas" [3]
On pourra d'ailleurs remarquer à cet égard, que les assurances Alliées ne se traduiront
jamais dans les faits et que cette lettre n'empêcha pas les exactions serbes de
continuer. Dans cette même optique, il déclare être près à abdiquer si l'on garantit
l'autonomie de son pays [4] et regrette l'attitude de son nouveau Premier ministre
qu'il juge trop virulente à l'égard des Alliés.
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Ce changement d'orientation politique qui donne à ses déclarations un ton fédéraliste
et républicain [5], à pour but de faciliter la recherche de nouvelle alliance. L'Italie en
effet se montre de plus en plus irritée par les initiatives royales et lui refuse par
exemple l'autorisation de s'installer sur le territoire italien [6]. Ne voulant pas être
une simple monnaie d'échange, il décide de placer ses espoirs dans les États-Unis et la
Grande-Bretagne qui toute deux verraient d'un bon œil la création d'une fédération
yougoslave. Cette attitude est encouragée par des résultats prometteurs obtenus dans
les deux pays. Ainsi à l'occasion d'une visite du roi au stade Pershing lors d'une
compétition d'athlétisme, il est particulièrement bien reçu par la délégation
américaine, délégation qui multiplie les décorations aux soldats monténégrins [7]. Au
Royaume-Uni des manifestations demandant le rétablissement du Monténégro ont
lieu, tandis que le comte Salis et Grahame (chargé d'affaire auprès du gospadar) se
rangent à l'idée d'une fédération [8] ou lorsque Lloyd George évoque le sort du
Monténégro: "on n'a pas traité le Monténégro comme il le méritait, bien plus, on a
été, à son égard, souverainement injuste. Nous réparerons tout cela nous-mêmes si
les autres n'y veulent pas consentir" [9].
Ces espoirs, il ne les plaçait pas seulement dans de nouvelles alliances. Ainsi durant
toute cette période, il n'hésita pas à parlementer avec les Karageorgevitch, par
l'intermédiaire de la princesse Hélène de Serbie. Et ce malgré les dénégations de
Fontenay, résolument serbophile, pour qui la princesse est choquée par la révolution
bolchevique en Russie [10]. Les deux dynasties y avaient en effet tout intérêt. Les
Karageorgevitch pour légitimer une annexion qui leur posait plus de problèmes que
prévus et ainsi couper court au mouvement insurrectionnel. Les Petrovitch-Niegoch,
quant à eux y voyaient là, le moyen de monnayer leur renonciation au trône du
Monténégro. C'est d'ailleurs sur ce point que les négociations échoueront en juillet
1920. La Serbie était prête à accorder 1.2 million de francs par an, alors que le
gospadar en désirait immédiatement 15 [11].
Néanmoins, ces belles intentions anglo-saxonnes resteront lettres mortes. Les ÉtatsUnis se retireront du jeu européen pour retourner à leur isolationnisme, tandis que la
Grande-Bretagne suivra les décisions françaises. Le roi se trouvera de nouveau
contraint de jouer la carte italienne, malgré les divergences et les irritations. "Ils (les
Italiens) font leurs affaires, et leurs affaires seulement" [12]. Ainsi, après avoir
désapprouvé l'action d'Annunzio sur la ville de Fiume [13], car selon lui elle
rapprochait les Serbes des Croates, alors que ces derniers manifestaient des
tendances nettement séparatistes, il manifeste un intérêt croissant pour le
personnage. Ce dernier lui enverra même un portrait dédicacé, suscitant chez le roi
un nouvel optimisme lorsqu'il déclare à Delaroche de manière détournée: "si l'on ne
m'accorde pas ce que je veux, je ferai un petit tour de ma façon, sans effusion de
sang, bien entendu, mais un bon petit tour" [14]. Ce rapprochement se fait au
moment où, grâce à l'Italie, un camp d'entraînement a été constitué à Gaète, dans la
banlieue de Naples. Camp qui reçoit les partisans volontaires ou forcés du roi, en
prévision de leur départ, pour un hypothétique débarquement au Monténégro, dans le
but de soutenir le soulèvement des verts contre l'annexion du royaume par la Serbie.
B. Insurrection et conflit Verts/Blancs
Le mouvement de rébellion à la présence serbe ne semble pas s'être manifesté dès
l'occupation du pays. En effet après trois années d'occupation autrichienne, la
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population accueillit les Serbes en libérateurs. De plus les conditions du départ du roi
en janvier 1916 et les suspicions qui pesaient sur lui faisait qu'une grande majorité de
la population était contre le retour du roi. Cependant, cette semblante unanimité,
manifestée dans les résolutions de la Grande Skoupchtina, ne durera pas longtemps.
Très vite l'on vit deux groupes prendre forme. D'un côté les Vieux Monténégrins se
constituaient en groupements actifs: les "Verts" qui s'opposaient aux "Blancs" qui
représentaient le parti de la jeunesse monténégrine (Omladina).
Cette opposition fut dès lors entretenue par la propagande italienne qui y voyait là un
moyen de servir ses intérêts. Celle-ci visait autant à soutenir le parti vieux
monténégrin qu'à soutenir les prétentions albanaises dans la région de Podgoritza ou
d'Ipek. Fort de ce soutient, le parti Vert décida d'agir. L'ancien président du conseil
Yovan Plamenatz passe à l'action et tente de soulever la population et de marcher sur
Cettigné le 4 janvier. Les insurgés sont pour la plupart originaires du vieux
Monténégro (région de Niegoch, Nikchitz et Virpazar dont est originaire Plamenatz),
fidèle à la dynastie. Arrivé le 5 à Cettigné, ils auraient demandé au général Venel
d'établir un détachement Allié dans la capitale à la place de la garnison serbe.
Cependant le 6, le mouvement de protestation tourne au massacre, puisque la
garnison serbe ravitaillée en sous-main par le général Venel, selon les royalistes [14]
passe à l'offensive, tandis qu'un détachement français empêche toute retraite aux
insurgés. On relèvera 50 morts selon les sources officielles françaises [16], 10 fois plus
selon le gouvernement monténégrin. Le haut commandement de l'armée d'Orient se
justifiera par ces termes dans un télégramme "... pour préserver la ville arrêta
rebelles par le feu" [17]. Pourtant le gouvernement s'empressa de demander à
Barrère, ambassadeur à Rome, de démentir les propos des journaux italiens quant à la
partialité des autorités d'occupation françaises [18].
Toujours selon le rapport de Franchet d'Esperey, les insurgés auraient été trompés par
les meneurs qui se seraient bien gardés de signifier le but réel de l'opération qui était
de rétablir le roi, et n'auraient laissé entrevoir qu'un pillage ou une fête. Meneurs qui
quant à eux se seraient réfugiés auprès des autorités italiennes à Cattaro ou à SaintJean-de-Médua. Cet incident ne fera qu'exaspérer le parti serbe contre les Italiens
qu'ils accusent d'être à l'origine de cette insurrection. Cette influence néfaste des
troupes italiennes, dénoncée par le remplaçant du général Venel; le général Tahon,
pour qui elles sont à l'origine des troubles et désordres, en pratiquant une propagande
alimentaire et pécuniaire et en armant les insurgés monténégrins ou les rebelles
albanais, sera à l'origine de la multiplication des incidents entre Italiens et Blancs:
• 07.06, attaque du consulat italien d'Antivari
• 14.06, manifestation anti-italienne à Cattaro
• 29.06, gendarmes yougoslaves tirent sur soldats italiens
• 20.07, assassinat du lieutenant Rubbi et d'un soldat alors que des Serbes voulaient
arrêter des Monténégrins cherchant à fuir le Monténégro et s'étaient placés sous la
protection italienne
• attentat sur la ligne de chemin de fer d'Antivari à Virpazar... [19]
Nous avons donc une agitation entretenue par l'Italie, mais elle est aussi alimentée
par les méthodes expéditives des Serbes qui par leurs procédés jettent dans le camp
des insurgés des personnes jusqu'ici favorables à l'union ou tout du moins à une
"Yougoslavie fédérative". Ainsi en mai 1919, l'administration serbe ordonne
l'incorporation des hommes de 18 à 35 ans n'ayant pas encore servi dans l'armée
Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921)
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serbe. Ce décret aboutira à la désertion de 70% des recrues qui iront rejoindre les
comitadjis dans les environs d'Antivari, Nikchitz et Ipek [20]. Ces raisons expliquent
en partie les causes de la poursuite de ce mouvement bien au-delà du désengagement
italien.
Mais cet engagement des Italiens aux côtés des forces loyalistes au gospadar se
traduit aussi par une activité fébrile en Italie. Fort du soutien d'un comité
parlementaire baptisé "pro-Monténégro" ainsi que de l'intérêt que porte au problème
la reine Hélène, des Monténégrins ont installé en Italie un camp d'entraînement et de
regroupement en vue d'une opération au Monténégro. Ce camp d'abord situé dans la
banlieue de Rome à Montecavo, puis transféré à Gaète compta jusqu'à 4 250 hommes
soit l'équivalent de trois bataillons d'infanterie plus une compagnie de mitrailleuses
[21].
Toutefois, selon ce même lieutenant, les avis au sein du camp sont plus que partagés,
puisque la moitié seulement des effectifs serait favorable au roi:
• troisième bataillon qui est favorable au roi a été armé et aurait reçu l'ordre de se
préparer
• le deuxième bataillon serait sans opinion
• quant au premier bataillon, il serait favorable à l'union.
Si les avis sont si partagés, cela est dû en partie aux procédés de recrutement. Car si
au départ, le roi a convié ses périaniks [22] et quelques-uns de ses fidèles à rejoindre
l'Italie, très vite les sources de nouvelles recrues se sont taries. Aux départs
volontaires se sont succédés les départs forcés; en menaçant de destitution les
fonctionnaires qui refusaient de partir avant le 1er décembre 1919 [23], ou en
supprimant les subventions aux étudiants récalcitrants [24]. Aidé par les autorités
italiennes, le gouvernement monténégrin allait jusqu'à enrôler de force des
prisonniers monténégrins rentrant d'Allemagne et cherchant à rejoindre leur pays par
l'Italie [25]. Le problème de ces évadés ira jusqu'à créer un incident diplomatique
entre l'Italie et la Serbie, puisqu'un de ceux-ci sera pourchassé par la police italienne
et par des Monténégrins jusque dans la légation serbe de Rome, où il s'était réfugié
[26].
Ces hommes ne prirent jamais part à un quelconque débarquement, malgré les
pressions de la marine italienne qui voulait rééditer un "exploit" à la d'Annunzio sur la
côte Adriatique, à l'insu du ministère des affaires étrangères italien [27]. En effet le
20 novembre le comte Sforza signe avec la Yougoslavie le traité de Rapallo qui règle
en quelque sorte le sort du Monténégro. Mais il faudra attendre la mort du vieux roi le
1er mars 1921 pour que l'Italie dissolve le camp en mai 1921 [28], mettant fin ainsi à
plus de deux années d'activisme sur l'autre rive de l'Adriatique scellant ainsi le sort du
Monténégro sur le plan international (les résultats des élections de la Constituante de
Belgrade ne servirent que de prétexte, puisque l'Italie ne s'opposait plus à l'union) et
ce même si le mouvement insurrectionnel demeurera un problème, sur le plan
intérieur pour la nouvelle Yougoslavie.
Notes
1. Note Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°8, p 150
2. Note Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°9, p 78
3. Télégramme de Nicolas à son cousin Bojo Petrovitch, ancien président du conseil, à Nikchitz, AMAE, eu18-40,
Monténégro, n°8, p 163
4. Note Delaroche à MAE, sur message de Nicolas à Wilson, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°9, p 101
Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921)
Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I
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5. Note Delaroche à MAE, à propos interview donnée par Nicolas au journal La fédération des États-Unis
yougoslaves, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°10, p 127
6. Note Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°9, p 167
7. Note Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°9, p193 et 224
8. Note Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°10, p 82bis
Dépêche Cambon (Londres) à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°10, p9
9. Note Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°10, p 217
10. Note Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°10, p 56bis
Dépêche Fontenay à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°10, p 98
11. Note Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°11, p 109
12. Note Delaroche à MAE, sur les propos de Nicolas, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°11, p 75
13. Aujourd'hui Rijeka en Croatie.
La Conférence de la Paix de 1919 avait donné la ville de Fiume au nouveau royaume des Serbes, Croates et
Slovènes. Refusant cette décision, Gabriele D' Annunzio (écrivain nationaliste italien) à la tête d'un troupe de
légionnaire s'empare de la ville le 11 septembre 1919. Il y installe un gouvernement et proclame Fiume, "ville
libre". Le traité de Rapallo reconnait le statut d'État indépendant à Fiume. En 1922, les fascistes prennent la ville
qu'ils annexent à l'Italie en 1924 à la suite du traité de Rome entre l'Italie et le royaume des Serbes, Croates et
Slovènes.
14. Dépêches Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°11, p 43 et 44
15. Ministère des affaires étrangères du Monténégro, Le rôle de la France dans l'annexion forcée du Monténégro,
1921, p 35
16. Rapport de Franchet d'Esperey sur les événements du mois de janvier au Monténégro, AMAE, eu18-40,
Monténégro, n°9, p 25-32
17. Dépêche Franchet d'Esperey (Salonique) à Clemenceau, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°8, p 132
18. Dépêche de Clemenceau à Pichon, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°8, p 158
19. Communication du délégué italien à la Conférence de la Paix le 26 août 1919, AMAE, eu18-40, Monténégro,
n°10, p 89
20. SHA, Les armées Alliées en Orient après l'armistice de 1918, 1972, p 23-26
21. Dépêche Barrère à MAE, à propos de renseignements fournis par le lieutenant V. Andjouchitch évadé du camp
le 6 juillet 1920, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°11, p 103
22. Garde personnelle du roi de Monténégro
23. Dépêche MAE à Barrère, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°10, p 166
24. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°10, p 194
25. Dépêche 2me bureau à MAE, à propos des renseignements fournis par un évadé du camp de Gaète, AMAE,
eu18-40, Monténégro, n°10, p 214
26. Dépêche Fontenay à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°9, p 38
27. Dépêche Barrère à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°11, p 34
28. Dépêche Charles-Roux (Rome) à MAE, eu18-40, Monténégro, n°2, p 211
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IX. Le sort du Monténégro
La politique du fait accompli appliquée par les Serbes au Monténégro, ainsi que
l'essoufflement progressif du conflit opposant les Verts et les Blancs auraient dû
sceller définitivement le sort du Monténégro. Pourtant, la reconnaissance tacite du
royaume des Serbes, Croates et Slovènes et donc du rattachement du Monténégro à la
Serbie, par les Alliés, ne résout en rien le problème monténégrin. En effet,
conformément aux buts de guerre définie par les Alliés et de par sa participation au
conflit aux côtes des Alliés, le Monténégro est admis à la Conférence de la Paix de
Versailles. Cependant, malgré les assurances des vainqueurs et ses protestations, le
Monténégro ne put y participer et vu son sort soigneusement éviter par les Grands. Ce
même scénario se reproduisit lorsque le Monténégro fit sa demande d'admission au
sein de la Société des Nations. Son sort sur le plan international ne fut jamais réglé
par un quelconque traité. Les grandes puissances semblaient s'accommoder de cette
situation et trouvèrent dans les élections à la Constituante de Belgrade, le moyen, ou
le prétexte de rompre leurs relations avec le gouvernement royal en exil,
reconnaissant ainsi l'intégration du Monténégro dans le Royaume des Serbes, Croates
et Slovènes.
A. Le Monténégro devant la Conférence de la Paix
Lorsque la Conférence de la Paix s'ouvre à Versailles le 18 janvier 1919, les Alliés ont
décidé d'entreprendre les négociations sur la base des 14 points définis par le
président Wilson le 8 janvier 1918. Le onzième point stipulait l'évacuation et la
restauration de la Roumanie, de la Serbie et du Monténégro. Cette déclaration du
président américain répondait aux conditions de paix et buts de guerre Alliés qu'avait
fait parvenir Briand, alors président du conseil, à Wilson, le 10 janvier 1917. Le
premier article de ce mémorandum prévoyait "la restauration de la Belgique, de la
Serbie et du Monténégro, avec les dédommagements qui leur sont dus". Ces
déclarations en faveur du rétablissement du Monténégro furent répétées à de
nombreuses occasions.
Pourtant, dès les préparatifs, les conditions d'équité à l'égard du Monténégro n'étaient
pas respectées. En effet lors de la répartition des sièges entre les différents
participants à la Conférence, le 13 janvier, le Monténégro ne reçut qu'un siège. Cet
unique siège le plaçait au même niveau que les pays qui s'étaient bornés à rompre
leurs relations diplomatiques avec les Puissances Centrales. Mais cette injustice avait
aussi pour effet, de désavouer l'attitude de la Serbie en ne reconnaissant pas l'union
votée par la Grande Skoupchtina. Néanmoins la propagande serbe réussit à écarter le
Monténégro, en faisant pression sur les Alliés pour qu'ils ajournent cette invitation. Le
Monténégro était pourvu d'un siège à la Conférence, mais n'avait pas de délégué: "le
Monténégro sera représenté par un délégué, mais les règles concernant la
désignation de ce délégué ne seront fixées qu'au moment où la situation politique de
ce pays aura été éclaircie" [1].
Ensuite contrairement à la Belgique, à la Serbie ou à la Roumanie qui sont
conformément aux conditions posées par les Alliés, immédiatement restaurées, les
grandes puissances considèrent la restauration du Monténégro comme relevant de la
compétence de la Conférence. Dans cette optique, après l'accord de la délégation
italienne qui fit savoir qu'elle n'avait pas d'intérêts particuliers dans cette région
Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921)
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s'opposant à l'étude de ce cas, le conseil suprême des Premiers ministres décide
d'entendre la délégation monténégrine au cours de la séance de la commission des
affaires roumaines et yougoslaves. Toutefois, les représentants français et
britannique (Tardieu et Crow) refusent que la question du Monténégro soit posée
puisque selon eux le Monténégro faisait dorénavant partie du royaume S.H.S. [2].
Nous étions alors le 5 février 1919, soit plus d'un an avant la reconnaissance officielle
par le Royaume-Uni et la France de l'union des deux pays. Le problème du Monténégro
ne fut donc jamais abordé ni réglé par la Conférence. Ce que reconnaîtra plus tard la
S.D.N., le 25 novembre 1920, lorsque Paul Mantoux évoquera dans son rapport sur
l'adhésion du Monténégro: "la question de l'existence actuelle d'un état indépendant
du Monténégro n'a jamais été réglée" [3].
Ce refus d'évoquer le cas du Monténégro est aussi visible, lorsque Poincaré qui avait
donné des garanties au roi quant à la libération de son pays omet, dans le discours
inaugural de la Conférence, de citer le Monténégro en tant que pays Allié ayant pris
part au conflit dès août 1914 [4]. Fait que reconnaîtra elle-même la délégation du
royaume S.H.S., dans son rapport sur les dommages causés à la Serbie et au
Monténégro présenté à la commission des réparations et dommages, "nous avons
inclus dans le mémoire concernant les dommages serbes ceux qui se rapportent au
Monténégro; il est entré en lice dès les premiers jours de la guerre européenne et,
de même que la Serbie, a été envahi, saccagé, spolié et dévasté pendant trois ans"
[5].
En effet n'ayant pu faire reconnaître son annexion, la Serbie, après avoir cherché à
faire attribuer le siège monténégrin à Andriya Radovitch [6], cherchera à se présenter
comme le seul défenseur des intérêts monténégrins. À ce titre, Pachitch incorporera
Radovitch à sa délégation. Pour parer à ces tentatives serbes, Plamenatz essayera de
placer les Alliés devant le fait accompli, en nommant un délégué; Yovo Popovitch,
ancien délégué monténégrin à la Conférence de Londres en 1913. Cette tentative fut
vouée à l'échec. Tout comme la reconnaissance par le gouvernement monténégrin, du
gouvernement russe de l'amiral Koltchak [7], dans le but de lier le sort des deux pays
exclus de la Conférence [8].
Malgré toutes ces entraves, le Monténégro n'en présenta pas moins des revendications
territoriales et financières comme compensation des dommages causes par plus de
quatre années de guerre, dont trois années d'occupation. Du point de vue territorial,
le gouvernement monténégrin réclamait l'Herzégovine, les Bouches de Cattaro ainsi
que l'Albanie du Nord avec la ville de Scutari, quant aux dédommagements financiers
il les chiffrait à hauteur de 350 millions de francs [9]. Selon Delaroche-Vernet, ces
revendications étaient dues à "... l'imagination poétique du gospadar". Beaucoup
moins poétique en tout cas que les revendications de Radovitch qui réclamait pour le
seul Monténégro 723 millions de francs [10], ainsi que l'Albanie du Nord en ces
termes: "d'après le traité secret de Londres de 1915 lui-même la zone située le long
du Drin [11] a été donnée à la Serbie et au Monténégro: ils l'ont occupée avant
l'évacuation de 1916, ensuite ces territoires ont été acquis par l'armée serbe" [12].
C'est-à-dire des territoires que le Monténégro avait occupés après la trahison de 1915,
tant dénoncée par ce même Radovitch. Trahison sur laquelle le roi demanda, en août
1919, une enquête à propos de son rôle pendant la guerre. Ce à quoi la Serbie se
refusa.
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Éloigné de la Conférence [13], le Monténégro chercha dans la S.D.N. nouvellement
créée, le moyen de faire-valoir ces droits. Ainsi demanda-t-il son admission le 18
novembre 1920 [14]. Cette admission fut refusée 7 jours plus tard par la S.D.N. qui
invoque la prudence pour ne pas se prononcer, même si elle reconnaît que le
problème n'est pas réglé [15]. Le gouvernement réitérera sa demande lors de la
deuxième cession. Cette fois-ci il lui fut répondu par Mantoux: "Je reconnais que la
question monténégrine n'a pas été internationalement réglée; mais que voulez-vous?
Elle est restée en l'air" [16]. Le gouvernement en exil tentera de nouvelles démarches
en 1924, 1926 et 1928, mais ses demandes resteront sans effet, du fait du veto de
certains pays notamment ceux de la petite Entente et donc à travers eux, de la
France [17].
B. Les élections à la Constituante et la reconnaissance de l'union
Si les élections de la Grande Skoupchtina ainsi que les résolutions qu'elle avait prises à
la fin novembre 1918 étaient apparues suffisantes au gouvernement serbe pour
reconnaître l'union des deux pays et, ainsi rompre ses relations diplomatiques avec le
Monténégro, il n'en était pas de même, comme nous l'avons vu, pour les grandes
puissances. Le problème du Monténégro et de son intégration dans le royaume S.H.S.
restait posé. Le problème restait posé surtout du fait de l'Italie. Celle-ci voyait dans
le maintien du problème monténégrin sur le plan international, un moyen de faire
pression sur le gouvernement yougoslave, avec lequel elle était en différant sur le
problème de l'Adriatique. À cet égard Delaroche-Vernet considérait que "l'agitation
royaliste monténégrine n'est plus qu'une carte dans la partie qui se joue entre l'Italie
et la Yougos-slavie à propos de l'Adriatique, le jour où les deux puissances se
mettraient d'accord, on verrait très probablement à brève échéance la fin d'une
"chouannerie" qui n'existe encore que grâce à la tolérance et peut-être l'appui secret
du gouvernement italien" [18]. Le règlement de la question italo-yougoslave devait
donc permettre le règlement de la question monténégrine. Ce règlement de la
question Adriatique intervient à la suite du traité de Rapallo, le 12 novembre 1920,
qui fixe les frontières entre les deux pays (Istrie et Zara [19] à l'Italie) et entérine
l'occupation de facto, de la ville de Fiume par D'Annunzio. Par cet accord, l'Italie
échangeait donc son désintérêt pour le Monténégro en reconnaissant l'annexion,
contre la ville de Fiume, comme l'envisageait déjà en septembre 1919, le comte
Montagliari représentant italien auprès du roi [20].
Si le traité de Rapallo mettait un terme, pour la diplomatie italienne, au problème
monténégrin, il permettait aussi aux chancelleries Alliées de se dédouaner, en liant
l'intégration du Monténégro au royaume S.H.S. à l'accord italo-yougoslave. Pour elles,
il n'existait un problème monténégrin que dans la mesure ou l'Italie était concernée.
"Les Yougo-slaves ayant accepté toutes les conditions italiennes, le sort du
Monténégro avait été par la même, fixé et que le petit royaume devenait serbe. J'ai
ajouté que dans ces conditions, nous considérions comme valable la consultation des
populations, déjà faite par le gouvernement des Serbes, Croates et Slovènes" [21].
Cette remarque est de nouveau faite par le gouvernement français, le 21 novembre,
avec l'appui de la Grande-Bretagne pour qui, le cas du Monténégro n'apparaissant pas
dans les négociations du traité de Rapallo, le rattachement du royaume monténégrin
au royaume S.H.S. était maintenant une chose admise [22]. Cependant, Sir Crowe
émettait le désir d'attendre la fin des élections à la Constituante de Belgrade, pour
supprimer la légation britannique auprès du roi. Cette proposition fut à son tour
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reprise par le Quai d'Orsay. Les élections et leurs résultats n'allaient donc servir que
de prétexte aux grandes puissances pour reconnaître l'union des deux pays.
Les élections eurent lieu le 28 novembre 1920 dans tout le Monténégro, comme dans
tout le royaume, sauf dans les districts de Nikchitz et de Kolachin, ou le matériel
n'étant pas arrivé, le vote eut lieu le 5 décembre. La loi électorale attribuait 10
sièges à la Constituante au vieux Monténégro (d'avant 1913). En effet les nouvelles
provinces du Sandjak de Novi-Pazar et de la Metohija avaient été, préalablement,
rattachées administrativement aux trois départements serbes de ce même Sandjak.
Ce scrutin met en présence sept listes:
• les radicaux, représentants Pachitch et Vechnitch, conduits par Milosav Raichevitch
• les démocrates, représentant le gouvernement de Davidovitch alors en place à
Belgrade, conduits par Pavle Choubrovitch
• les républicains conduits par Jovan Tchonovitch
• les communistes conduits par Jovan Tomashovitch
• les indépendants conduits par Spasoje Piletitch
• la liste de Nikchitz conduite par Novista Schaoulitch
• la liste Radovitch conduite par Radovitch
Les trois dernières listes sont des listes dissidentes. Les indépendants sont des
personnes qui étant en opposition personnelle avec des membres des deux grands
partis, ont décidé de former une liste. La liste de Nikchitz est une liste purement
locale, dans une région encore très clanique. Quant à la dernière, elle a été formée
par Radovitch car il n'admettait pas d'être place en troisième sur la liste démocrate.
Ces trois listes sont dans la mouvance démocrate.
Toutes ces listes ont pour programme l'union. Il n'existe pas en effet de liste
séparatiste qui remette en cause l'union. Selon le gouvernement monténégrin en exil,
cette absence serait due à l'interdiction par le ministre de l'intérieur serbe
Drachkovitch, de présenter des listes ayant pour programme l'indépendance [23].
Selon un rapport d'observateurs britanniques cette absence est due au fait que les
deux "partis" qui sont opposés à l'union; les "modérés" (veulent un statut d'égalité
entre Serbes et Monténégrins au sein du royaume S.H.S.) et les "extrémistes"
(partisans d'un retour à l'indépendance pure et simple), n'ont pu se mettre d'accord
pour créer une liste commune, notamment sur la personne qui conduirait la liste [24].
Il n'y eut donc pas de liste séparatiste, et ces derniers appelèrent à l'abstention.
La liste démocrate et ses mouvances ainsi que les listes républicaine et communiste
sont pour un état unitaire fortement centralisé devant amener à la création d'une
nation yougoslave. Les deux dernières ne divergeant que sur la forme de
gouvernement à adopter; république ou dictature du prolétariat. La liste radicale est
elle aussi pour l'union, mais avec des réserves. Elle veut une union, mais avec une
large autonomie locale du point de vue administratif (et non législatif). Elle est donc
contre toute idée de fédération mais aussi contre la centralisation qui irait à
l'encontre des traditions et des histoires locales différentes [25].
Le gouvernement monténégrin en exil parla de pressions effectuées sur la population
pour qu'elle aille voter, en utilisant la menace ou la corruption. Sur ce dernier point il
cite un article paru dans le journal du parti socialiste serbe, Radnichke Novine du 6
novembre 1920:
Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921)
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"Nous sommes à même de présenter à nos lecteurs un document irréfutable qui
témoigne que le gouvernement veut aussi, par la corruption falsifier la volonté du
peuple monténégrin. C'est l'ordre confidentiel du ministère de l'intérieur serbe n°270
du 26.10.1920. En vertu de cet ordre le conseil des ministres a accordé un crédit de
500 000 dinars comme fonds secrets de la police pour les élections du Monténégro"
[26].
Pourtant les observateurs anglais ne firent aucune remarque à ce sujet et jugèrent les
élections comme équitables et sincères, reflétant les aspirations de la population.
Ces mêmes observateurs avalisèrent les résultats donnés par les ministères de
l'intérieur yougoslave. Selon ce dernier, il n'y aurait eu au Monténégro que 34.08%
d'absentions. Le gouvernement royal quant à lui parla d'une participation de
seulement 23.75%. Pour cela il se fondait sur les recensements d'avant 1914. Ainsi sur
une population de 450 000 habitants, le Monténégro comptait 120 000 électeurs
(hommes âgés de plus de 21 ans) et selon les résultats seulement 28 650 personnes
auraient pris part au vote. Néanmoins ce dernier omet de signaler que 450 000
habitants c'est en comptabilisant les nouvelles provinces et que sur les 120 000
électeurs présents en 1914, nombreux sont ceux qui sont morts durant le conflit (le
gouvernement monténégrin avança le chiffre de 50% de ces effectifs militaires). On
ne peut donc tenir ses explications sur la faible participation comme juste:
• absentions pour marquer son désaccord
• non participation des réfugiés (8 000)
• non participation des insurgés (4 000)
• les prisonniers politiques
• les enrôlés de force dans l'armée serbe
• les expatriés par les Serbes dans les autres provinces (Macédoine)
• 20 000 monténégrins émigrés aux USA qui ont toujours la nationalité monténégrine.
Toutefois les explications des observateurs britanniques, quant au nombre des inscrits
ainsi qu'au taux d'abstention, restent peu convaincantes. Selon ces derniers, le taux
d'inscrit sur les listes électorales est satisfaisant puisqu'il représente 1/6 de la
population totale soit 16%, ce qui reste à mon avis relativement faible si l'on part de
l'hypothèse que l'électorat représente entre 25 et 30% de la population. À cette
différence vient s'ajouter un taux d'abstention de 34.08%. Chiffre qu'encore une fois,
ils jugent peu important. Pourtant si l'on prend en compte ces deux remarques,
seulement 45% des hommes en âge de voter ont pris part au vote. R. Bryce y voit
quatre raisons:
• l'illettrisme de la population
• la configuration du pays qui ne facilite pas l'accès aux 150 bureaux d'inscription et
de vote
• le tribalisme qui fait que l'on ne vote pas si sa tribu n'est pas représentée sur les
listes
• et enfin la population musulmane qui n'a pas pris part au vote, faute de candidats
musulman
Des raisons qui n'ont donc rien en commun avec les explications avancées par les
séparatistes.
Si les résultats ne sont pas sujets à caution, leurs explications quant à elles divergent:
• radicaux: 3845 voix soit 1 siège
• démocrates: 4061 voix soit 1 siège
Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921)
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indépendants: 2406 voix soit 1 siège
républicains: 4612 voix soit 2 sièges
communistes: 10900 voix soit 4 sièges
liste de Radovitch: 1488 voix soit 1 siège
liste de Nikchitz: 1338 voix et aucun siège
Comme nous l'avons vu toutes les listes défendaient dans leur programme l'idée
d'union avec la Serbie. Pourtant les Verts cherchèrent à s'approprier ce résultat qui
marquait une défiance à l'égard des partis "institutionnels". En effet, le vote
communiste et républicain représente 15 512 voix (6 sièges) contre 13 138 pour les
autres. Les indépendantistes y voient là un vote contestataire en faveur de leurs
thèses. Il serait réducteur d'acquiescer à une telle conclusion. Et ce même si les six
députés "contestataires" voteront contre le projet de constitution élaborée à Belgrade
le 28 juin 1921. Pour dénoncer cette appropriation le parti républicain publiera au
lendemain des élections un manifeste pro-unioniste, dénonçant la manœuvre des
sécessionnistes [27].
La commission britannique explique le succès du vote communiste, par une
propagande active et disciplinée (ils jouent sur la russophilie du peuple en se
présentant comme les seuls véritables amis de la Russie), par le rôle actif des
instituteurs largement gagnés aux idées communistes et enfin par la popularité de la
tête de liste; Tomashovitch. Elle évoque aussi la popularité de Tchonovitch pour
expliquer le succès républicain ainsi que la présence de nombreux émigrés américains
largement ralliés aux idées républicaines. Quant à l'échec de la liste Radovitch qui
n'obtient qu'un siège au plus fort reste, les observateurs l'expliquent par l'extrême
impopularité de Radovitch, à qui l'on reproche son ambition, sa participation au
régime de terreur après la libération ainsi que les attaques violentes contre le roi.
Les résultats peuvent donc conduire à des analyses différentes. Qualifier le vote
communiste ou républicain, de vote en faveur des partisans du roi, comme ces
derniers le laisse entendre, serait réducteur. À cet égard l'on doit mettre le succès
communiste en parallèle avec leurs succès obtenus en Serbie ou en Macédoine.
Pourtant l'échec des listes "institutionnelles" ne peut laisser indifférent. Comment ne
pas y voir un vote sanction? D'ailleurs dans leur conclusion, observateurs anglais
évoquent la possibilité d'un retournement d'opinion en faveur des anti-unionistes si la
constitution ne respectait les particularités du Monténégro.
Une fois les résultats rendus officiels, il ne restait plus qu'aux Grands de se servir de
ce prétexte pour reconnaître l'union. Ainsi la France rompt-elle ses relations avec le
gouvernement royal le 20 décembre 1920, pour ne pas avoir à présenter ses vœux le
1er janvier 1921 [28], et sans évoquer les raisons profondes de cette rupture qui ont
trait au traité de Rapallo [29]. Le Royaume-Uni suivra le même mois, tandis que la
question s'éternisera un peu plus longtemps en Italie puisqu'il faudra attendre la mort
du roi le 1er mars 1921 à Antibes, ainsi que la fin d'une crise ministérielle qui voit la
chute du comte Sforza, l'artisan de Rapallo, à la suite d'une agitation entretenue par
Yovan Plamenatz, pour que l'Italie supprime le poste de Montagliari en avril 1921 [30].
Après cinq siècles d'indépendance, trois années d'occupation autrichienne et deux
années d'une union officieuse, le Monténégro, par une décision des Grandes
Puissances, n'existait plus. Son intégration dans le royaume des Serbes, Croates et
Slovènes était désormais une chose acquise.
Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921)
Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I
(Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro
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Notes
1. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°8, p 145
Y. Plamenatz, Le Monténégro devant la Conférence de la Paix, 1919, T I p 11
2. Note MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°9, p 6
3. Rapport de P. Mantoux à la cinquième commission de la société des nations n°20-65-6, citée dans La S.D.N.
Restera-t-elle complice du plus grand crime de la guerre mondiale?, V.Popovitch et A.Prlia, 1924, p 12
4. Dépêche Plamenatz à Delaroche, AMAE, A. Paix, n°325, p 4
5. Délégation du royaume S.H.S. à la Conférence de la paix, Rapport sur les dommages causés à la Serbie et au
Monténégro, 1919, p VII
6. Dépêche Plamenatz à Delaroche, AMAE, A. Paix, n°30, p 27
7. Le 18 novembre 1918, l'amiral Alexandre Koltchak (1874-1920), chef de la flotte impériale de mer Noire, prend
le titre de régent suprême de Russie et installe un gouvernement antirévolutionnaire à Omsk (Sibérie) et prend le
commandement des armées blanches. Maître de la Sibérie et de l'ouest de l'Oural jusqu'à la Volga. Gardien du
trésor des Romanov, il tente de s'imposer comme le seul représentant de la Russie jusqu'ici exclue à la Conférence
pour la Paix en 1919. Ayant dû battre en retraite, il est livré aux Rouges par les Japonais et exécuté le 7 février
1920 a Irkoutsk.
8. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°9, p 205
9. Rivière du Nord de l'Albanie qui se jette dans l'Adriatique à St-Jean-de-Médua.
10. Y. Plamenatz, Le Monténégro devant la Conférence de la Paix, 1919, T III
Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, A. Paix, n°325, p 11
11. Délégation du Royaume S.H.S., Rapport sur les dommages causés à la Serbie et au Monténégro, 1919, p 160
12. Dépêche Radovitch à Clemenceau, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°10, p 4
13. À ce titre on peut se poser la question du peu de cas que se faisaient les Alliés du Monténégro en examinant le
dossier concernant le Monténégro et la Conférence de la Paix. Dans la série A. Paix n°325 du MAE, le pays qui suit
le Monténégro par ordre alphabétique se trouve être la Norvège, pays neutre. Pourtant le MAE lui consacrait à
l'époque un dossier de 45 pages contre 14 pour le Monténégro.
14. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°11, p164
15. Rapport tiré de, La S.D.N. restera-t-elle complice du plus grand crime de la guerre mondiale?, V. Popovitch et
A. Prlia, 1924, p 13
16. V. Popovitch et A. Prlia, La S.D.N. restera-t-elle complice du plus grand crime de la guerre mondiale?, 1924, p
4
17. Jean Ciubranovitch, Le plus grand crime de l'histoire, 1928, p 21
18. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°11, p 136
19. Péninsule située au Nord de l'Adriatique avec à l'Ouest la ville de Trieste et à l'Est Fiume. Aujourd'hui en
territoire croate. Aujourd'hui Zadar en Dalmatie.
20. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°10, p 129
21. Dépêche MAE à Barrère (Rome), AMAE, eu18-40, Monténégro, n°11, p 155,
rapport conversation entre l'ambassadeur italien à Paris, le comte Bonin et Laroche directeur des affaires
politiques et commerciales
22. Dépêche Londres à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°11, p 161
23. Ministère des affaires étrangères monténégrin, Le rôle de la France dans l'annexion forcée du Monténégro,
1921, p 79
24. Roland Bryce, Report on political condition in Montenegro, 1921, p 4
25. Roland Bryce, Report on political condition in Montenegro, 1921, p 3
26. Ministère des affaires étrangères monténégrin, Le rôle de la France dans l'annexion forcée du Monténégro,
1921, p 81
27. R. Bryce, Report on political conditions in Montenegro, 1921, p 12
28. Dépêche MAE à Londres, Rome et Belgrade, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°11, p 181
29. Dépêche tirée de, La formation de l'État yougoslave, Z. Tomitch, 1927, p 144-145
30. Note Laroche, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°12, p 47
Note Laroche, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°2, p 207
Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921)
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Conclusion
La victoire Alliée de 1918 et les traités de paix qui en résultent se soldent donc par le
rattachement du Monténégro à la Serbie, mettant fin par la même à cinq siècles
d'indépendance. Pourtant lorsque débute le conflit, le Monténégro, pays reconnu au
plan international depuis le Congrès de Berlin, s'engage aux côtes de son allié serbe.
Ces deux pays furent jusqu'à l'entrée en guerre de la Roumanie en août 1916, les deux
seuls pays balkaniques ayant opté pour les Alliés. Cette situation isolée dans les
Balkans sera d'ailleurs, une des causes de leur défaite commune à la fin de l'année
1915, au moment de l'offensive de von Mackensen.
Isolés face à l'Empire austro-hongrois, mais aussi face à des Balkaniques prêt à
participer au dépeçage en cas de difficultés, à la suite des rancœurs nées des Guerres
Balkaniques comme la Bulgarie ou l'Albanie, ou bien face à l'attentisme des Grecs et
des Roumains prêt à se vendre au plus offrant des deux camps. Mais aussi isolés par
rapport à la stratégie Alliée qui ne voyait pas dans ce théâtre d'opération d'Orient,
une pièce maîtresse pour gagner la guerre. Les Balkans étaient à l'origine du conflit,
mais très vite celui-ci pris l'allure d'une opposition franco-allemande. Pour ces deux
protagonistes, la guerre devait se gagner à l'Ouest. Ainsi, Centraux et membres de
l'Entente déclenchaient une guerre sur un problème balkanique sans politique ni
stratégie précise à l'égard de cette région. Le coup de revolver de Gavrilo Princip [1]
et la défense de l'intégrité serbe ne furent donc en réalité que des prétextes, pour
régler des différends qui dépassaient de loin les intérêts des pays balkaniques.
Ces lacunes dans les plans d'action se firent très vite ressentir du côté Allié. En effet,
la résistance inespérée des forces serbo-monténégrines, due principalement il est vrai
aux transferts de troupes autrichiennes en Galicie pour faire face à l'offensive russe,
et l'enlisement du front à l'Ouest donnait à ce théâtre d'opération une nouvelle
dimension, en ouvrant de nouvelles possibilités. Toutefois, le manque de cohérence
de la politique Alliée, aveuglée par l'obsession russe du contrôle des détroits, allait
gâcher ces opportunités. Ainsi on refusa l'aide grecque pour la conquête des détroits,
refus qui installa la Grèce dans la neutralité, alors que dans le même temps les
discussions continuaient avec la Bulgarie qui pourtant se montrait de plus en plus
germanophile. La bulgarophilie de la diplomatie anglaise ne permit pas à la Serbie de
prendre les devants, face aux préparatifs bulgares, entraînant ainsi une défaite qui, si
du moins, elle ne pouvait être évitée, aurait été retardée.
Affaiblis par les Guerres Balkaniques, secourus trop tardivement, la Serbie et le
Monténégro ne purent faire face à l'offensive des armées austro-germano-bulgares.
Les hésitations Alliées avaient conduit ces deux pays à la défaite et, à la pénible
retraite de l'armée serbe vers l'Adriatique à travers les montagnes d'Albanie et du
Monténégro. Il fallait, pour les chancelleries de l'Entente, trouver un responsable à
cet échec. Étant plus facile de chercher un bouc émissaire que de reconnaître ses
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propres erreurs, les Alliés trouvèrent dans les conditions du désastre monténégrin et
les tentatives de négociations du roi avec l'Autriche, le moyen de se dédouaner; le
Monténégro avait trahi.
Cette affirmation ne fut jamais avancée officiellement par les Alliés, mais les
campagnes de presse jetèrent la suspicion sur le comportement du petit royaume.
Seule, parmi les Alliés, la Serbie qui favorisait en sous-main ces campagnes l'affirmait
officiellement. Piètre récompense pour un pays qui l'avait recueillie et aidée à sauver
son armée. Cependant, cette attitude de la Serbie s'inscrivait dans le cadre plus
général des ambitions serbes. La Serbie devait devenir le pôle fédérateur d'un
nouveau pays, réunissant autour du noyau serbe toutes les nations sud-slaves. En
discréditant le Monténégro aux yeux des Alliés et des Yougo-slaves, elle se posait en
seule héritière de l'Empire de Douchan et, préparait ainsi une annexion future.
Annexion d'ôtant plus facilement acceptée par les Alliés, si cette suspicion était
entretenue au cours de l'exil par Andriya Radovitch et son Comité Monténégrin pour
l'Union Nationale et si la Serbie se présentait comme la seule armée libératrice des
Balkans en empêchant toute reformation d'une armée monténégrine, si petite futelle.
Les erreurs de Nicolas et les divergences politiques entre les Alliés aidant, le sort du
Monténégro était presque définitivement réglé avant la fin des hostilités. Le
Monténégro n'était plus qu'une simple monnaie d'échange entre Grands comme le
montre les tentatives de paix séparée de l'Autriche, ou bien le rôle que fit jouer
l'Italie au Monténégro. Les buts de guerre Alliés ne correspondaient en rien aux
objectifs poursuivis par le Monténégro.
Si les Alliés ne reconnurent pas "l'union" de facto entre le Monténégro et la Serbie
immédiatement, c'est qu'à ce moment précis, tous ne sont pas d'accord. Non pas sur
le principe de la réunion des deux pays qu'ils jugent inévitable, mais parce que
Italiens et Serbes s'affrontent pour le "contrôle" de la mer Adriatique. Dans le jeu
diplomatique italien, le Monténégro n'est plus qu'une carte parmi tant d'autres, un
moyen de faire pression sur les Alliés et sur les Serbes, pour que le règlement de la
question Adriatique se fasse en sa faveur. Dans l'attente d'une résolution du
problème, les Alliés (France et Royaume-Uni) décident de passer sous silence le
problème de "l'annexion" pour ne froisser, ni les Italiens, ni les Serbes. Même si a
l'égard de ces derniers, ils manifestent une attitude bienveillante. Car s'ils ne
reconnaissent officiellement pas les décisions de la Grande Skoupchtina, ils ne font
rien pour empêcher cette union et même parfois la favorise, contrairement aux
engagements pris par les gouvernements français à l'égard du roi Nicolas.
Le règlement du différent italo-yougoslave par le traité de Rapallo clôt donc à leurs
yeux le problème monténégrin, puisque l'Italie ne fait pas mention du problème dans
le traité. Les élections à la Constituante de Belgrade ne furent donc qu'un prétexte
pour les grandes puissances en vue de rompre leurs relations avec le gouvernement en
exil et, reconnaître ainsi officiellement une "union" qui de toute façon pour elles était
rentrée dans les faits. Le Monténégro disparaissait après plus de cinq siècles
d'existence par le simple fait que l'Italie ne mentionnant pas le problème monténégrin
dans le traité de Rapallo, le problème était résolu. Aucun accord international ne
viendra entériner officiellement la disparition du Monténégro et son intégration dans
le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes. Après deux années de lutte aux côtes des
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Alliés et trois ans d'occupation autrichienne, le Monténégro disparaissait de la carte
politique européenne.
Cette disparition résultait-elle d'une annexion du Monténégro par la Serbie ou d'une
union du Monténégro a la Serbie? Cette question reste toujours posée. Paul Garde,
dans le chapitre qu'il consacre au Monténégro, dans son ouvrage de 1992, hésite
encore sur la question. Selon lui, le roi aurait abdiqué en 1918. Volontairement ou
poussé par Clemenceau, il n'apporte pas de réponse.
Si une réponse clairement affirmative, en faveur d'une des deux options ne peut-être
apportée, il apparaît évident, en tout cas, que le gospadar n'a pas abdiqué comme le
suggère Paul Garde. Le rattachement du Monténégro à la Serbie n'est pas la
conséquence de l'abdication de Nicolas, mais de sa destitution par la Grande
Skoupchtina réunie à Podgoritza, le 26 novembre 1918. L'emploi du terme annexion
laisserait sous-entendre que cette intégration s'est faite contre la volonté populaire.
Au contraire, la terminologie d'union prouverait la volonté du peuple monténégrin de
s'associer à la Serbie. La difficulté est donc de savoir si cette assemblée s'est
prononcée librement.
D'une manière générale, on peut considérer que la majorité de la population était
contre un retour du roi, celle-ci s'étant sentie trahi par le départ de son roi en janvier
1916. Dans cette majorité, la plupart était pour l'union. Seul le mode unification et le
type de constitution à adopter variaient; union avec le royaume S.H.S. Sur un pied
d'égalité avec les serbes ou union au préalable avec la Serbie, république ou
monarchie. Le parti indépendantiste est donc minoritaire. On peut donc dire que la
décision de la Grande Skoupchtina reflète les aspirations des Monténégrins dans leur
ensemble. On ne peut pourtant pas dire que les conditions dans lesquelles se sont
déroulées les élections de cette assemblée ainsi que ses délibérations aient été
exemptes de reproches. La présence militaire des Serbes et les pressions effectuées
par ces derniers aidés en cela par les Blancs pro-unionistes ne peuvent être niées.
C'est d'ailleurs cette attitude de conquérant, largement condescendant à l'égard de
Monténégrins "inaptes", ainsi que les méthodes expéditives employées par
l'administration serbe qui conduiront une partie de la population à se rebeller. Sans
pour autant dire qu'elle était passée dans le camp de séparatistes. En définitive, si
dans l'esprit cette intégration relève de l'union, dans la forme, elle a pris l'apparence
d'une véritable annexion, avec tout ce que cela comporte d'abus.
L'argument principal des unionistes pour justifier cette union fut la trahison du roi le
29 mai 1915 avec l'entrevue entre le prince Pierre et le colonel Hubka, au cours de
laquelle le roi aurait vendu le mont Lovtchen et le 13 janvier 1916 lorsque le roi
demanda la paix par une lettre au François-Joseph. Par son attitude, le roi avait trahi
la cause alliée en livrant son pays et son armée à l'occupation austro-hongroise. Aucun
des protagonistes de l'entrevue ne la nia. Elle avait pour but de mettre fin aux
bombardements de villes monténégrines par l'aviation autrichienne. Bombardements
contre lesquels la France et les Alliés ne firent jamais rien, au contraire de la Serbie
qui reçut des avions. Cette entrevue ne fut nullement cachée, puisque les légations
Alliées furent averties. Radovitch lui-même défendra le Monténégro contre les
accusations de trahison parues dans la presse italienne, avant de défendre la thèse
contraire après la fondation du Comité Monténégrin pour l'Union Nationale.
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Quant à la demande de paix effectuée par le roi auprès de l'empereur d'Autriche, il le
fit sur une requête du colonel Pechitch et du représentant serbe Mihailovitch. Après
s'être défendu d'avoir fait parvenir une telle lettre au roi, les Serbes reconnaîtront
son existence, mais tout en précisant que le colonel l'avait écrite sous la "contrainte"
[2]. Dans ces négociations, le roi aurait délibérément livré son armée aux Autrichiens,
l'empêchant ainsi de se réfugier à Corfou en compagnie de l'armée serbe. Or le haut
commandement serbe reconnut lui-même avoir placé l'armée monténégrine dans une
position telle, qu'elle ne pouvait pas organiser sa retraite sur Scutari, ville que les
forces serbes auraient dû défendre, comme le colonel Pechitch le promit au général
monténégrin Voukotich, lorsqu'il quitta le commandement des troupes monténégrines
à la suite de la "trahison" du roi. Encerclées, située à plus de 100km de Scutari pour
protéger la retraite serbe, les troupes monténégrines ne purent atteindre Scutari qui
avait été abandonnée aux Autrichiens par les Serbes. Dans le "jargon" militaire,
l'arrière-garde a souvent pour vocation de se sacrifier. C'est ce que fit l'armée
monténégrine. Reprocha-t-on aux soldats français de Dunkerque d'avoir trahi la
France en couvrant l'évacuation des troupes anglaises.
Selon le gouvernement serbe, le roi en demandant la paix, puis en laissant sur place
un de ses fils et son gouvernement, voulait jouer sur les deux tableaux, au cas où les
Centraux gagneraient la guerre. Par cette tentative de négociation d'une paix
séparée, la duplicité du roi, dénoncée depuis tant de temps, était donc enfin mise à
jour. Est-ce pour autant que l'on parla de trahison de la Roumanie lorsqu'elle fut
contrainte à signer la paix de Bucarest le 7 mai 1918, alors que la totalité de son
territoire n'était pas occupée par les Centraux. La Conférence de la paix ne lui en tint
aucune rigueur. À sa décharge, la Roumanie avait repris les hostilités le ... 10
novembre 1918 soit un jour avant l'armistice sur le front de l'Ouest, mais sept jours
après l'armistice austro-hongrois. Le fait que le Monténégro n'ait pu reprendre les
hostilités ne fut pas de sa propre décision. C'est l'opposition de la Russie et de la
Serbie à voir la reformation d'une légion monténégrine indépendante qui ne permit
pas au Monténégro de reprendre part au conflit.
La reformation d'une unité monténégrine contrariait les ambitions serbes. Le but des
Serbes était aussi bien de discréditer le Monténégro que de se présenter en libérateur
des Yougo-slaves et entre autres des Monténégrins. Cette position avantageuse lui
permettant ainsi de précipiter l'union des deux pays dans l'euphorie de la libération.
La Serbie par cette union proclamée avant la création du royaume S.H.S., lui
permettait à la fois de couper court à toute tentative de fédération, idée à laquelle
elle est opposée, dans laquelle le Monténégro serait un membre à part entière, mais
aussi de renforcer l'élément serbe dans le futur état yougo-slave, lui permettant ainsi
de mieux s'assurer le prédominance sur les deux autres groupes; Croates et Slovènes,
ainsi que d'imposer plus sûrement le roi Pierre comme le souverain de ce nouvel état
avant qu'une assemblée ne fixe la forme constitutionnelle de ce futur état yougoslave.
Si la Serbie a joué un rôle important dans la mise à l'écart du Monténégro et en
suscitant ou du moins en finançant une opposition, lui permettant par la suite de
justifier son annexion, elle n'est pas la seule à avoir eut un double jeu à l'égard du
Monténégro. De ce point de vue, les grandes puissances alliées ne sont pas exemptes
de reproches. Chacune à leur tour, elles se sont servies du Monténégro pour leur
propre intérêt. La France et l'Italie sont à cet égard les plus compromises. La
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première qui reproche au Monténégro d'avoir voulu négocier une paix séparée avec
l'Autriche entreprendra durant les années 1916-1917 des négociations avec ce même
pays. Négociations au cours desquelles elle disposera du sort du Monténégro pour
servir ses propres intérêts; don du mont Lovtchen à l'Autriche, union de la Serbie et
du Monténégro furent des propositions françaises pour aboutir à une paix séparée
avec l'Autriche-Hongrie. Malgré les assurances données par le gouvernement français
au gouvernement monténégrin, sur le respect de l'autorité royale par les forces
d'occupation alliées, le gouvernement français ne dénonça pas l'attitude serbe et
même l'encouragea. Tout ça dans le dessein de former un état capable de former un
rempart contre le pangermanisme et former un cordon sanitaire autour de la Russie
bolchevique, dans le cadre de la petite Entente. Le problème monténégrin est donc
bien loin de ses centres d'intérêts.
L'autre protagoniste, principal dans cet imbroglio diplomatique, fut l'Italie. Son
attitude à propos du Monténégro varia selon ses intérêts. Si au début du conflit
mondial, alors qu'elle est encore neutre, elle prend parti pour le Monténégro,
fustigeant l'inaction française dans cette région des Balkans puis en échafaudant des
plans d'actions combinées contre la côte dalmate avec l'aide des Monténégrins, elle
change du tout au tout après l'occupation par les Monténégrins de Scutari. L'Italie
considère l'Albanie comme son domaine réservé. Le Monténégro devient alors dans la
presse italienne, le traître qui s'est arrangé avec l'Autriche pour occuper la ville,
contre la position du mont Lovtchen qui surplombe la base navale des Bouches de
Cattaro. Puis voyant que les Alliés jouaient la carte serbe et à plus longue échéance,
la carte yougoslave, l'Italie décide de s'attirer de nouveau les faveurs du Monténégro
en soutenant ses prétentions et en l'excitant contre les autres Alliés pour mieux
l'attirer vers elle. Le Monténégro devait devenir une carte dans la guerre
diplomatique que se livrait la Serbie et l'Italie pour le "contrôle" de l'Adriatique. Mais
une fois cette "guerre" diplomatique résolue par le traité de Rapallo, le Monténégro
fut laissé à lui-même. Enfin pas complètement puisque l'Italie resta un foyer
d'agitation monténégrin pendant tout l'entre-deux-guerres [3], en relation avec le
gouvernement fasciste qui lors du partage de la Yougoslavie en 1941 ira même jusqu'à
recréer un état satellite monténégrin.
Le roi Nicolas n'est peut-être pas innocent des faits qu'on lui reproche, le fait de ne
pas avoir eu la possibilité de consulter d'autres archives officielles ne me permet pas
d'être catégorique. Cependant ce qu'on lui reproche, et notamment les chancelleries
Alliées, c'est d'avoir voulu mener sa propre politique, comme son statut d'état
indépendant l'y autorisait. Politique qui allait parfois à l'encontre des intérêts de ces
chancelleries. Ce qui revient à dire qu'il est permis des choses aux grandes puissances
que l'on n'accepte pas des petits.
Notes
1. Étudiant et agitateur nationaliste serbe (membre de la Main Noire) qui assassinat l'archiduc François-Ferdinand
de Habsbourg le 28 juin 1914. Il meurt de tuberculose en prison en 1918.
2. Note Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°9, p 1
3. Après la mort du roi Nicolas, la capitale du gouvernement en exil fut établie par la reine Miléna à San Remo où
elle assura la régence en attendant la majorité de Michel Ier, le fils de Mirko, puisque Danilo avait abdiqué en
décembre 1921
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Annexes
Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921)
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A. Réponse autrichienne à la demande de cessation temporaire des hostilités,
faite par le roi le 10 janvier 1916.
Sur la position, le 12 janvier 1916
Au haut commandement monténégrin,
À la demande du ministère monténégrin de cesser temporairement les hostilités, il est
fait la réponse suivante;
Toute l'armée monténégrine doit déposer les armes et sans pourparler; toutes les
armées serbes qui se trouvent sur le territoire monténégrin doivent être livrées. À ce
moment-là seulement, le commandement supérieur sera prêt à cesser les hostilités.
Jusqu'au moment où ces conditions seront remplies, les troupes austro-hongroises ont
l'ordre de continuer les opérations sans arrêt. Le gouvernement impérial et royal en
est informé.
Par ordre du commandement supérieur
De l'armée impériale et royale d'opération
Colonel Chloross
Télégramme tiré de, le rôle de la France dans l'annexion forcée du Monténégro, le
ministère des affaires étrangères monténégrin, 1921, p 148
Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921)
Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I
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82
B. Lettre de démission du gouvernement Miouchkovitch, le 12 janvier à la suite du
refus du roi de donner suite aux exigences autrichiennes.
Sire,
Le gouvernement de votre majesté estime que votre majesté et votre gouvernement
ne doivent pas quitter le pays, en des moments aussi critiques. Leur départ ne serait
justifié à aucun point de vue. Ils doivent, au contraire, rester dans le pays et partager
avec le peuple la mauvaise fortune qui nous accable.
Comme votre gouvernement sait que notre armée est absolument incapable de
résister à l'ennemi, il vous a, il y a un instant, propose de demander la paix.
Votre majesté a résisté à la proposition du gouvernement.
C'est pour cela que celui-ci est obligé, par la présente, de vous remettre
respectueusement sa démission et de déclarer qu'à partir de ce moment il cesse de
fonctionner et de porter la responsabilité des événements qui pourront suivre.
De votre majesté les plus dévoués:
Miouchkovitch, président du conseil
Radoulovitch, ministre de la justice
Popovitch, ministre de l'intérieur
Général Vechovitch, ministre de la guerre
Ibidem p 148-149
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83
C. Rapport du colonel serbe Pechitch, alors chef de l'état-major de l'armée
monténégrine.
Sire,
Tous les commandants des armées, sur le front de l'Ouest, affirment que dans notre
armée il se manifeste une telle démoralisation que toute résistance ultérieure est
absolument impossible contre l'ennemi.
L'armée de Cattaro, commandée par le général de division M. Martinovitch, est
complètement dissoute et n'existe pour ainsi dire plus.
L'armée d'Herzégovine est aussi dans un mauvais état et les soldats ne veulent plus se
battre. Dans l'armée du Lovtchen, on ne peut plus compter que sur la brigade
Koutchi-Bratonogitchi.
Les commandants des armées de Cattaro et du Lovtchen n'ont plus un seul canon.
L'armée a faim; elle a très peu de munitions, on ne peut plus espérer changer cet état
de choses.
En vous montrant dans la réalité cet état de l'armée, j'ai l'honneur de signaler à
l'attention de votre majesté qu'il est absolument impossible, dans des conditions
pareilles, de continuer la lutte et qu'il faut, tout de suite et le plus rapidement
possible, faire ceci:
- Premièrement, demander la paix à l'ennemi, puisqu'il n'a pas voulu accepter la
proposition du gouvernement royal, faite il y a deux jours, concernant l'armistice.
- Deuxièmement, la famille royale, le corps diplomatique, le gouvernement royal et
le commandement supérieur doivent partir pour Scutari, au plus tard demain.
- Troisièmement, près de Scutari, il faut organiser la défense de l'armée qui s'y trouve
et celle que nous pourrions éventuellement tirer du pays. Elle doit, sous la protection
des forts et du Drin, continuer la lutte si l'ennemi n'accepte pas une paix honorable.
31 décembre 1915-13 janvier 1916
Krouchevatz (palais royal de Podgoritza)
Le chef d'état-major colonel-serdar
Pierre Pechitch
Ibidem p 149
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84
D. Article de Georges Clemenceau publié dans L'Homme Enchaîné en janvier 1916
sous le titre "l'unité d'action".
La preuve manifeste en est dans le fait que l'Italie ne s'est pas plus préoccupée de
défendre le mont Lovtchen, nécessaire à l'existence du Monténégro ami, et
redoutable menace aux mains des Autrichiens pour la liberté de l'Adriatique, que de
ravitailler l'armée serbe, dans les pires extrémités du malheur.
Nous mêmes, d'ailleurs, si pitoyables aux Serbes, qu'avons-nous fait pour les
Monténégrins? (...)
Depuis ce temps, le mont Lovtchen, abondamment pourvu d'une artillerie
préhistorique, attendait tranquillement que quelqu'un vînt le prendre. (...)
La fameuse concentration des troupes russes en Bessarabie, abandonnée aussitôt que
commencée, sans cause connue, les promesses non tenues de l'Italie, qui paye sa
passivité de la chute du mont Lovtchen, ouvrent décidément à l'Autriche les portes de
l'Albanie, après la capitulation du roi de Monténégro (...). Tout cela n'est pas un
indice en faveur d'une unité d'action.
Ibidem p 155-156
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85
E. Interview de Nicolas Obnorsky, chargé d'affaire russe à Cettigné, parue dans
Novoie Vremia de Petrograd le 11 mai 1916.
La défaite de la Serbie a incontestablement dû ruiner aussi le Monténégro. Lorsque la
force militaire de la Serbie fut brisée, l'armée monténégrine, complètement
abandonnée à elle-même, n'a pas pu résister aux efforts d'un ennemi plusieurs fois
supérieur en nombre. Il faut se rendre compte que l'armée monténégrine s'élevait à
45 000 hommes et que par son "organisation", c'est plutôt une milice. Mais la cause
principale, qui a précipité la fin tragique de ce pays, fut le manque de vivres et de
munitions. La Russie avait adressé au Monténégro des provisions et du matériel de
guerre, mais, malheureusement, ils n'arrivèrent jamais à leur destination. La plus
grande partie fut coulée par les sous-marins autrichiens, et le reste fut pillé par les
Albanais, à Saint-Jean-de-Médua. Cependant, dans le pays même, il n'était demeuré
aucune réserve de vivres pour l'armée ou pour la population. Les derniers restes
furent épuisés pendant la retraite serbe. La famine et le manque de matériel de
guerre influencèrent l'esprit de l'armée monténégrine, qui faisait des efforts inouïs
pour résister à la pression d'un ennemi supérieur en nombre et armé à la moderne.
Avant tout, les Monténégrins furent laissés à eux-mêmes et sans aucun secours du
côté des Serbes. En novembre 1915, on a donné l'ordre le plus catégorique aux soldats
serbes et aux réfugiés de quitter le Monténégro. Je ne sais pas de façon certaine qui
est l'auteur de cet ordre. C'est pour cette raison que fut rompue l'étroite union des
armées serbe et monténégrine pour la lutte contre le vieil ennemi du slavisme.
La capitulation de l'armée monténégrine se produisit comme un résultat inévitable.
Comme elle s'était concentrée au centre du pays, l'armée autrichienne réussit à
s'emparer des positions importantes de Virpazar, Taraboch et Scutari. Les
Monténégrins se trouvèrent encerclés dans un espace restreint, délimité par les
armées ennemies. Ainsi leur retraite vers l'Albanie se trouva coupée.
Ibidem p 154-155
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86
F. Extrait du livre Le Drame serbe, (Paris, 1916, p 104), Ferri Pisani,
correspondant de guerre auprès de l'armée serbe.
Seuls parmi les Balkaniques, les Monténégrins ont répondu à l'appel de leurs frères de
Serbie. (...)
La situation apparaissait désespérée. Les plus braves auraient hésité. Les
Monténégrins ont crié: "nous voilà" ! (...)
Quel faible appoint ! Mais quelle leçon aussi donnée aux autres faux alliés. (...)
Les Monténégrins, non sans raison, auraient pu dire: "nous manquons de tout. Les
navires autrichiens bloquent nos côtes. Nous n'avons ni pain, ni cartouche, ni
uniformes. Nous sommes réduits à vêtir nos soldats avec de vieilles défroques de
pompiers que la France nous envoya. Nous ne sommes que quelques milliers. Que
pourrions-nous faire pour vous?" Les Monténégrins, au lieu de tenir ce langage, sont
accourus. L'histoire en tiendra compte !
Cité dans le plus grand crime de l'histoire, de Jean Ciubranovitch, 1928, p 7
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87
G. Article du journal Le Matin de Paris, le 14 mars 1916, intitulé "Retour d'Albanie
- Nos coloniaux racontent ce qu'ils ont vu".
Marseille, 13. Du correspondant particulier du Matin.
Les soldats coloniaux français envoyés, en Albanie pour maintenir l'ordre avec les
autres troupes du contingent international, viennent de rentrer à Marseille, après 32
mois de séjour dans les Balkans. Le détachement qui appartient au régiment colonial,
revient presque complet; à peine manque-t-il une dizaine d'hommes sur l'effectif de
300, qui, malade en Albanie, furent évacués sur la France et l'Italie. C'est en 1913 que
cette compagnie s'embarqua à Toulon pour les Balkans.
Le détachement resta d'abord à Scutari jusqu'au moment de l'agression austroallemande; il fut mis alors à la disposition du Monténégro et se rendit à Cettigné, où il
demeura jusqu'en janvier dernier. Bien que ne participant pas aux opérations, nos
coloniaux purent en suivre toutes les péripéties et ils sont unanimes à reconnaître que
les vaillants montagnards défendirent énergiquement leur patrie; mais après que la
Serbie fut envahie, la petite armée monténégrine, qui comptait près de 40 000
hommes au début de la campagne, avait vu ses forces réduites au cours des actions
sur la frontière d'Herzégovine. Elle ne possédait plus d'artillerie et encore moins de
munitions et le front qu'elle avait à couvrir s'étendait sur un espace de près de 250
kilomètres; le Lovtchen, considéré comme inexpugnable, devenait lui-même
intenable devant une armée ennemie nombreuse, bien équipée et pourvue de
batteries de montagnes démontables. Les quelques canons de marine envoyés par la
France n'avaient eux-mêmes qu'un rôle éphémère à remplir. Eh bien ! Malgré toutes
les difficultés le malheureux Monténégro, en proie a la disette, demeura jusqu'au
bout avec un moral excellent.
La sobriété extraordinaire du peuple lui permit de résister aux plus dures fatigues,
avec quelques galettes de maïs et un peu d'eau.
Des vieillards, des femmes, des enfants moururent de privations à la fin de l'année
dernière. Les arrivages de vivres ne parvenaient qu'irrégulièrement en raison des
nombreuses difficultés qu'il fallait vaincre et la disette qui s'était établie dans le pays
presque au début de la guerre devint plus grande encore dans les derniers mois de
1915 et les souffrances du peuple furent alors terribles; les pommes de terre se
payaient 1 franc 50 l'oka (un kilo et demi), la faine et le riz valaient 3 francs l'oka;
plus tard, il n'y eut plus de prix et une bouteille de vin ordinaire valait de 10 à 15
francs. Le détachement de nos coloniaux, lui, recevait assez fréquemment des envois
de farine et alimenta sur ses propres réserves un certain nombre de pauvres gens.
Dans les derniers jours de 1915, on vit des gens affamés se ruer à l'assaut des rares
boulangeries, il fallut établir des réseaux de fils de fer barbelés dans les rues pour
interdire à ces malheureux l'accès des boutiques; les soldats continuaient pourtant à
se battre ayant chacun une galette de mais a la ceinture.
Lorsque la retraite devint inévitable, le roi réunit le détachement français et pris
congé de lui.
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88
Il était fier de nous, me dit un colonial, il nous avait déjà réunis après la bataille de la
Marne pour féliciter en nous les soldats de la France, dont ses frères venaient de
sauver la civilisation.
Le détachement français quitta Cettigné le 13 janvier, pris part à la retraite des
Serbes réfugiés au Monténégro. Après des marches pénibles qui durèrent 12 jours, ils
arrivèrent à Durazzo où ils furent reçus par les troupes italiennes; deux jours après, le
détachement partait pour Corfou à bord du Memphis qui fut coulé peu après, nos
soldats restèrent un mois à Corfou et dans l'île voisine de Palo dont on avait décidé
l'occupation, croyant qu'elle servirait de base de ravitaillement aux sous-marins
ennemis; ils partirent ensuite pour Marseille ou ils arrivèrent avant-hier sans incident
notable.
Cité dans le rôle de la France dans l'annexion forcée du Monténégro, publié par le
ministère des affaires étrangères monténégrin, 1921, p 157-158
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89
H. Andriya Radovitch et la question des 500000 francs. Réponse de P.
Voutchkovitch à V. Popovitch
M. Vladimir G. Popovitch, avocat, Paris.
À propos de la question que vous nous avez adressée aujourd'hui, nous déclarons que
ce que vous avez publié dans la Voix du Monténégrin, n°25, dans votre première
réponse à M. Radovitch, est exact: que M. Radovitch a déclaré, à la fin de votre
entretien, que l'argent (500 000 francs) qu'il a reçu, fut offert par certains
bienfaiteurs; que des fonds son administrés par le gouvernement serbe et que lui, M.
Radovitch, les a touchés avec le consentement de ce dernier.
Ce sont les propres paroles de M. Radovitch.
Veuillez agréer, etc.
P. Voutchkovitch, ministre en disponibilité
K. Loutchitch, directeur de la société "Rossio" pour le Monténégro
A. Perlya, étudiant es lettres
Paris, le 24 octobre 1917
Citée dans [censure...] ou M. André Radovitch, de Vladimir Popovitch, 1917, p 46
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90
I. Dépêche de M. Radovitch de Brindisi à Corfou le 6 février 1916, à propos de la
reformation d'une armée monténégrine.
Consulat français, Corfou.
Veuillez communiquer cette dépêche au capitaine de l'armée monténégrine Radisave
Vouksanovitch: j'apprends votre arrivée. Prière d'informer vos collègues officiers
monténégrins de former avec les volontaires et les autres Monténégrins bien portants
une division monténégrine spéciale, dont s'occupera la mission française, ainsi qu'elle
le fait pour l'armée serbe...
...informez-moi si vous avez besoin d'argent et de combien. À plusieurs reprises j'ai
voulu vous en envoyer N.N. Avec quelque argent et le charger de vous faire certaines
communications, mais ce n'est qu'hier que j'ai reçu pour lui l'autorisation de
s'embarquer sur un torpilleur à destination de Durazzo.
Envoyez-moi les noms des officiers monténégrins et le nombre des soldats.
Il serait utile que le général Petar Martinovitch et vous veniez le plus tôt possible à
Brindisi pour nous entendre. Répondez si vous avez un chiffre et lequel.
Délégué monténégrin Radovitch
Hôtel Central
Ibidem p 50
Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921)
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91
J. Déclaration de Radovitch au journal italien L'Idea Nazionale du 4 février 1916,
sur la prétendue trahison du Monténégro.
Je vous déclare nettement que les renseignements puisés par votre correspondant son
complètement faux en ce qui concerne les derniers événements qui ont eu lieu au
Monténégro. Dans les renseignements de votre correspondant se reflètent, en autres,
les calomnies répandues par les réactionnaires du pays contre les gouvernements
monténégrin actuel et précédent, connus par leur dévouement à la cause de
l'Entente.
On ajoute foi à un traité secret qu'aurait conclu le Monténégro avec l'Autriche lors de
l'occupation de Scutari par les Monténégrins en 1915. Nous sommes accusés d'avoir
procédé à cette occupation après entente préalable avec l'Autriche. Il y a quelque
temps, dans une interview avec le Giornale d'Italia, j'ai démontré la fausseté des
bruits répandus quant aux circonstances dans lesquelles l'occupation de Scutari a eu
lieu. Je déclare ici qu'en 1913 le Monténégro aurait pu librement rester à Scutari, son
ancienne capitale, reconquise par le sang des meilleurs de ses enfants, si notre vieux
souverain avait consenti à la rectification des frontières du côté de l'Autriche...(c'està-dire à la cession du mont Lovtchen).
En 1913, le Monténégro a rejeté toute proposition autrichienne concernant la cession
du Lovtchen. S'il y avait des accords, comme la presse l'affirme, le Monténégro aurait
dû agir différemment.
Ainsi donc une foi aveugle dans ces bruits mensongers et diffamatoires, répandus
partout, a contribué puissamment à la fin de ma patrie.
Nos ennemis ont réussi à persuader le public des Alliés de la vérité des bruits
tendancieusement répandus; c'était l'arme la plus envenimée contre le Monténégro.
On verra bientôt quelle lourde responsabilité pèse de ce chef sur la presse Alliée;
d'ailleurs on en voit un premier résultat dans le sort atroce du Monténégro.
Dans l'Idea Nazionale du 27.01.1916, on lit: que les ministres monténégrins et certains
personnages haut placés de l'entourage du roi Nicolas, comme par exemple le
maréchal de la cour D. Gregovitch et l'ancien président du conseil A. Radovitch, ont
conclu un accord avec trois délégués autrichiens, et précisément avec l'ancien
ministre plénipotentiaire à Cettigné, le baron Giesel, l'attaché militaire Hubka et le
commandant des Bouches de Cattaro. On affirme en outre qu'à la conclusion de ce
traité assistait le Premier ministre, M. Pachitch. Tout ceci n'est qu'une infâme
calomnie.
À l'appui de ce que j'avance, je rappelle la récente dépêche que sa majesté le roi
Nicolas a adressé à M. Le président de la république française en l'assurant de son
dévouement à la cause des Alliés, à l'égard desquels son attitude n'a jamais varié et
ne variera pas dans l'avenir. (...)
La fin tragique de mon pays est l'une des conséquences des fautes commises dans les
Balkans. Nous sommes des victimes, et il est inhumain d'envenimer nos plaies et de
nous forcer à faire la lumière sur ces événements, ce qui peut-être utile pour nous,
mais pas pour les autres
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92
Si nous nous taisons maintenant c'est pour ne pas provoquer des polémiques, qui ne
contenteraient que nos ennemis.
Ibidem p 7-9
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93
K. Interview de Radovitch sur l'entrevue de Budua. Giornale d'Italia, le 10 octobre
1915.
Chaque jour les aéroplanes autrichiens survolaient Cettigné et les autres villes
monténégrines et jetaient des bombes. C'était pour nous des jours difficiles, car nous
ne pouvions pas riposter à nos ennemis de la même façon. Dans une seule journée les
aéroplanes autrichiens ont tué à Podgoritza une centaine de personnes. Que pouvionsnous faire? Bombarder les Bouches de Cattaro, rien de plus facile... Mais les habitants
de Cattaro sont presque tous des Monténégrins et massacrer nos frères nous était
impossible.
Il était nécessaire que le commandant de nos troupes dans le secteur des Bouches de
Cattaro, le prince Pierre, informât les Autrichiens qu'il désirait une entrevue avec
l'ex-attaché militaire à Cettigné, le major Hubka. Le prince pensait que celui-ci se
trouvait à Castel-Nuovo (Bouches de Cattaro) où quelque autre port près des positions
monténégrines et, le connaissant personnellement, a préféré traiter avec lui qu'avec
un inconnu.
Pendant ce temps-la, Hubka était sur l'Isonzo. L'Autriche, croyant que le Monténégro
avait des propositions spéciales à faire, avait autorisé le major Hubka à venir du
nouveau front et il s'est présenté en automobile devant nos positions. Le prince Pierre
a déclaré au parlementaire autrichien que, si les Autrichiens ne cessaient pas de
bombarder les villes ouvertes et non défendues, les Monténégrins de leur côté
bombarderaient sans merci Cattaro et ses bourgs environnants. Hubka a été
désappointé, car il s'attendait à des propositions de nature différente. La menace a
eu son effet et, depuis lors, les Autrichiens n'ont bombardé que des objectifs
militaires.
Ibidem p 9-10
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L. Mémorandum de Radovitch au roi Nicolas, le 18 août 1916.
Sire,
Les événements qui se déroulèrent sur les divers champs de la bataille me fournissent
l'occasion d'attirer, en sujet dévoué, la haute attention de votre majesté sur les
destinés de notre patrie à l'avenir.
Sire,
Il n'existe plus aucun doute quant à la victoire complète de nos Alliés qui mènera
inévitablement la chute définitive de l'Empire turc en Europe, la défaite de l'AutricheHongrie et la libération du peuple serbe. Il a, du reste, plus que tout autre, acheté
par son sang et mérité sa délivrance. Il est probable que cette libération soit suivie de
celle des Croates et des Slovènes qui, d'accord avec les Serbes, tendent à créer un
État yougoslave. Cette idée représente l'idéal d'un peuple tout entier; c'est une
exigence de la justice aussi bien que des temps que nous traversons; c'est l'idée
salutaire dont la masse s'est enthousiasmée et pour laquelle elle a supporté - et aurait
encore la force de le faire - des sacrifices de tout genre. Celui qui voudra combattre
ce mouvement sera tôt ou tard vaincu car il se trouvera face à un torrent qui emporte
tout ce qu'il rencontre sur sa route.
Il se pourrait, uniquement par égard pour l'auguste personne de votre majesté, que le
Monténégro fut de nouveau rétabli tandis que les autres territoires yougoslaves
formeraient un état sous le sceptre des Karageorgevitch.
Dans les circonstances les plus favorables le Monténégro s'étendrait en Herzégovine
jusqu'à la Narenta et formerait avec Raguse, les Bouches de Cattaro et Scutari un état
d'à peu près un million d'habitants.
Ce pays pauvre est peuplé par l'élément le plus énergique que l'on rencontre chez les
Serbes, mais la richesse de ces territoires ne correspondant pas à l'esprit et à l'élan du
peuple, il s'ensuivrait un mécontentement et de jour en jour croîtrait le désir de s'unir
aux frères de la riche Serbie et de la Bosnie.
Par cette guerre terrible il sera, dans tous les pays, très difficile de gouverner car on
se heurtera à l'impossibilité de satisfaire les prétentions individuelles. La démocratie
deviendra dangereuse et brisera comme un torrent tous les obstacles qu'on voudra lui
opposer. Aux hommes d'état incombera la lourde tâche de la mener pour l'empêcher
de sortir de son sillon et de provoquer des bouleversements.
Il est hors de doute que les événements qui se sont déroulés dans notre patrie avant
et après la catastrophe amèneront le Monténégro a se laisser gouverner plus
difficilement qu'un autre État; à ces raisons il faut ajouter encore le récent
internement des Monténégrins ainsi que la faim, à laquelle une grande partie de notre
malheureuse population succombera inévitablement.
Dans la meilleure des hypothèses, l'union financière devra être certainement suivie
d'une union militaire et politique avec la Serbie ou l'État yougoslave. Mais, malgré
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95
cette nécessité impérieuse les esprits agités de l'un et de l'autre état serbe, exaltées
par l'idée de l'union, ne s'arrêteraient devant aucun moyen pour la réaliser, en sorte
que les deux États deviendraient les théâtres des intrigues les plus diverses
qu'encourageraient encore, à moins de les créer, nos ennemis communs. Au lieu de la
paix et du bien-être, si justement mérités par le peuple serbe après tant de
sacrifices, la discorde et les troubles régneraient dans ces pays.
L'issue d'une pareille situation est facile à prévoir, surtout après votre majesté. Elle
se verrait, du reste, dans l'impossibilité d'adhérer aux prétentions exorbitantes de la
démocratie et passerait dans le mécontentement la fin de son règne, qui a été,
surtout pendant les premiers 45 ans, riche en gloire et en grandeur.
Les derniers événements, cependant, demandent à être mis à l'ombre par l'éclat d'un
acte qui couronnerait si dignement le règne de votre majesté.
Sire,
Le Monténégro a été tant de siècle l'intrépide champion de la liberté du peuple serbe
et l'avant-poste slave vers l'Occident. Le jour où, avec l'aide de Dieu, les territoires
yougoslaves seront libérés, ce rôle sera glorieusement achevé.
Le grand ancêtre de votre majesté, le grand poète serbe l'évêque et le souverain du
Monténégro, Pierre Petrovitch-Niegoch, a offert au ban Jelacic, croate et catholique,
de se mettre à la tête de l'État yougoslave.
Votre grand prédécesseur le prince Danilo mettait son trône à la disposition du prince
Michel, uniquement pour réaliser l'union des Serbes.
Votre majesté a donné dans sa jeunesse libre cours à son âme et à ses sentiments
patriotiques dans l'hymne, si chéri de tous les Serbes: "Onamo, ô"; dans ses œuvres:
"l'impératrice des Balkans", "le poète et la villa" et dans tant d'autres, votre majesté a
réveillé la conscience de notre peuple; elle l'a animé et exalté avec la sainte idée de
la réalisation du vœu solennel de tous les Serbes.
Le moment heureux est venu pour votre majesté de réaliser personnellement ce rêve;
de laisser un des plus beaux noms dans l'histoire serbe; elle deviendrait une des
personnalités les plus aimées non seulement des Serbes, des Croates et des Slovènes.
Mais de tous les Slaves et gagnerait en même temps la plus grande estime dans les
Balkans et auprès de nos Alliés.
Votre majesté devrait se faire le champion d'un État yougoslave fort et compact, dans
lequel entreraient: les Serbes les Croates les Slovènes et peut-être plus tard aussi les
Bulgares, comme une unité autonome.
Cet état devrait se constituer à l'exemple de l'Italie: un état compact avec l'égalité
des ressortissants.
Les Croates sont plus proches des Serbes que ne l'étaient les Piémontais des
Napolitains; les uns et les autres ont plus d'affinité avec les Slovènes que les
Piémontais avec les Siciliens.
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Jusqu'à la rédaction de lois communes, les diverses régions devraient se servir des
législations suivies jusqu'à présent par elles. Les différences qui existent entre ces
régions s'aplaniraient bientôt comme cela a eu lieu en Italie. La vigueur des Serbes de
Serbie et du Monténégro serait modérée par la culture et l'esprit des Serbes, des
Croates et des Slovènes, qui ont été sous la monarchie des Habsbourg.
Les Croates ne peuvent pas souhaiter une Croatie indépendante car elle serait sous la
tutelle de la Hongrie. Un partage en Croatie: Croatie, Bosnie et Herzégovine, Serbie,
Dalmatie et Monténégro autonomes ne leur serait pas plus profitable car les Croates
seraient partout, sauf en Croatie, en minorité; nos ennemis s'appliqueraient à y semer
la discorde dont la première victime serait les Croates en raison de leur minorité.
D'autre part, les Croates, unis à grand nombre de Serbes orthodoxes, se déferaient
peu à peu de l'influence de leur clergé et deviendraient aux yeux même des Russes de
grands patriotes salves; nous aussi, du reste, nous devons pour une grande part à
notre religion orthodoxe d'avoir maintenu intacte pendant des siècles la conscience
de notre peuple de même qu'au fait que nous avons constamment été secourus par
notre puissante protectrice la Russie, dont les tendances ont toujours porté vers la
libération de notre peuple tant pour des raisons nationales que religieuses.
Une Croatie indépendante, probablement affaiblie par une partie des Croates qui
seraient englobés par l'Italie et une autre partie par la grande Serbie, serait, en tant
qu'État catholique, sous l'influence de Vienne et Budapest; elle serait donc perdue
pour la Russie, les Slaves du Sud et les Alliés.
Il semble que la France et l'Angleterre partagent cette opinion; beaucoup de Russes
aussi craignent que les Croates, comme catholiques n'exercent une mauvaise
influence religieuse sur les Serbes orthodoxes, quoique cette crainte n'ait aucun
fondement réel.
Beaucoup d'Italiens considèrent, d'un autre côté, un si grand État slave comme un
danger pour leurs intérêts, ce qui ne saurait être car cet État serait, comme le
professait le grand italien Mazzini, l'allié naturel du royaume latin en même temps
que le meilleur débouché à ses produits.
En dernier lieu, en dépit de toutes les difficultés et de tous les obstacles qui semblent
entraver la formation d'un état yougoslave, les Alliés le constitueront dans l'intérêt
même de la paix européenne.
Comme conséquence de l'union du Monténégro et de la Serbie avec les autres
territoires yougoslaves découle la fusion des deux dynasties qui sans aucun doute ont
rendu de grands services à la cause serbe et slave; le fait que le petit-fils de votre
majesté est aujourd'hui le régent de Serbie facilite encore l'exécution de ce projet.
Sa majesté le roi Pierre, en raison de sa santé précaire, a remis son pouvoir royal à
l'héritier du trône Alexandre qui s'est acquis les sympathies du monde civilisé et qui, à
la tête de ses troupes rappelle les glorieux jours de Voutchi-do et tant d'autres ou
votre majesté menait à la victoire ses intrépides héros.
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À lui comme au représentant d'un État qui a apporté les plus lourds sacrifices et qui
par sa puissance, sa culture et sa richesse a le pas sur les autres pays yougoslaves,
revient la première place parmi les jeunes princes des deux dynasties serbes.
Votre majesté, après presque 60 ans de règne, et S.M. le glorieux roi Pierre, par suite
de son âge avancé et de sa santé délicate, méritent du repos, pour suivre, l'âme
réjouie et en véritables pères de la patrie, le développement du jeune État
yougoslave aux destinées duquel présiderait le petit-fils de votre majesté et le fils de
sa majesté le roi Pierre.
Autour du jeune souverain yougoslave se réunirait les princes Petrovitch-Niegoch et
Karageorgevitch. Sa majesté la reine Miléna occuperait la première place honoraire
dans l'État, c'est-à-dire celle de la reine-mère.
La succession sur le trône pourrait être établie de la façon la plus équitable et comme
suit: d'abord le prince Danilo, les descendants du prince Alexandre actuel ensuite, et
puis l'alternativement les autres princes des deux dynasties.
La providence a voulu que dans cette dynastie yougoslave il y ait des princes dans les
veines desquels coule du sang des Obrénovitch, dynastie qui elle aussi a rendu des
services appréciables à la nation serbe.
Depuis longtemps, sire, il a été dit: "la concorde seule sauve le Serbe"; et vraiment la
concorde et l'union des dynasties serbes les sauveront elles et préserveront le peuple
de troubles. Ne devait-il pas en être ainsi, il faudra s'attendre à des difficultés et à
des malentendus dont les conséquences pourraient être dangereuses pour la dynastie
et pour le peuple, qui se verrait poussé à chercher son salut dans une autre forme de
gouvernement pour laquelle il est aussi peu mur que les petites républiques
américaines.
Dans un pays riche tel que le serait l'état yougoslave, la dynastie aurait les moyens
suffisants pour représenter dignement l'autorité suprême à l'intérieur du pays et à
l'extérieur, ce qui actuellement est impossible dans le Monténégro pauvre, et même
en Serbie.
Leurs Majestés, les pères de la patrie auraient les plus hauts honneurs ainsi que de
larges moyens de représentation et seraient adorés de tout le monde. Les villes et les
provinces rivaliseraient pour faire le meilleur accueil à leurs pères de la patrie.
Comme suite de l'idée que je me suis permis d'exprimer dans le plus profond
sentiment de dévouement, votre majesté, en champion de l'idéal yougoslave, aurait à
faire part de sa décision à sa majesté l'empereur de Russie.
Afin de pouvoir fournir quelques renseignements nécessaires le ministre des affaires
étrangères de votre majesté devrait, sous le prétexte d'une visite de courtoisie, due
au gouvernement russe, remettre cette lettre à sa haute destination. Il serait
également désirable d'ajouter à la lettre de votre majesté une déclaration ou une
lettre de S.A.R. Le prince héritier Danilo à sa majesté l'empereur Nicolas.
Après cela et d'accord avec le gouvernement impérial russe, la Serbie officielle
devrait être mis au courant de cette question et le traité relatif signé. La
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communication de cette lettre aux autres puissances Alliées devrait être fait après
cette entente.
Le moment venu il est évident que l'avis des Monténégrins sur cette question devrait
être requis par suffrage universel; ils ne manqueront certainement pas de donner
l'approbation à l'acte par lequel leur rêve et leur idéal si ardemment désirés se
réaliseraient.
Sire,
Il n'y a pas de Serbe et en général de Slave qui ne saluerait avec enthousiasme cet
acte de si haute portée de votre majesté. Dans l'histoire du peuple serbe, votre
majesté deviendrait le rival en gloire de l'empereur Douchan le Grand.
Une heureuse occasion est fournie à votre majesté de se couvrir de gloire; c'est
aujourd'hui le moment de faire ce geste de la plus haute importance dans l'histoire de
notre peuple; il est à craindre qu'après il ne soit trop tard.
Non seulement comme Premier ministre et ministre des affaires étrangères de votre
majesté, mais comme Serbe et comme fils de cette famille qui de tout temps a été
fidèle aux glorieux ancêtres de votre majesté et à vous, sire, je me suis permis de
soumettre ce projet si important à l'approbation de mon auguste souverain. Mes vues,
telles que je viens de les exposer, sont aussi partagées de mes collègues et votre
majesté peut les considérer comme la partie principale du programme de son
gouvernement; c'est pour cette raison que nous attendrons avec impatience la haute
décision de votre majesté.
Sire,
D'un seul trait de plume daignez fonder aujourd'hui, à la fête de la transfiguration, le
bonheur des Yougoslaves; assurez l'avenir à votre glorieuse dynastie et rendez votre
nom à jamais immortel.
Avec le plus profond dévouement d'un sujet, j'ai l'honneur d'être de votre majesté le
fidèle serviteur.
V. Radovitch
Paris le 6/18 août 1916
Mémorandum tiré des archives diplomatiques françaises, série guerre 1914-1918,
n¯327, p 83-89
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M. Dépêche du Quai d'Orsay au ministre de la guerre sur la situation des
Monténégrins engagés dans l'armée serbe, le 28 mai 1917.
En effet, nous avons adopté en ce qui concerne les enrôlements de sujets étrangers
dans l'armée serbe une attitude de partialité bienveillante pour le gouvernement
serbe en permettant à celui-ci de recruter des volontaires yougo-slaves étrangers à la
nationalité serbe, tandis que nous interdisions au roi de Monténégro des volontaires
de cette sorte en ce qui concerne les enrôlements dans l'armée monténégrine, elle
n'en constitue pas moins à l'égard du roi Nicolas une disposition restrictive.
Il s'ensuit qu'il paraît difficile de refuser à ce souverain en matière de compensation
d'exercer vis-à-vis de ses sujets une sorte de veto en ce qui concerne leur service dans
l'armée serbe.
D'autre part, il ne nous appartient pas de faire rechercher dans l'armée serbe les
Monténégrins qui s'y trouveraient et n'auraient pas excipé de leur qualité pour faire
annuler leur engagement.
Dépêche MAE au ministère de la guerre, AMAE,gu14-18,n¯334, p 151
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N. Lettre du ministre des affaires étrangère français M. Pichon à S.M. Le roi de
Monténégro, le 4 novembre 1918.
Sire,
Votre majesté a bien voulu m'exposer, par sa lettre du 2 novembre, les raisons pour
lesquelles elle aurait désiré se rendre immédiatement au Monténégro.
Votre majesté ajoutait que le ministre de la république, accrédité auprès d'elle, lui
avait fait connaître le sentiment du gouvernement français partagé par les autres
gouvernements Alliés, concernant l'opportunité de ce déplacement dans les
circonstances présentes.
À la suite de cette communication, votre majesté s'est persuadé qu'en effet, il était
préférable pour elle de renoncer à entreprendre ce voyage, et qu'elle ne pouvait avoir
de meilleures garanties, pour la quiétude de son pays, que les ordres donnés au
général commandant en chef les armées d'Orient.
Je remercie votre majesté d'avoir bien voulu me faire part de sa décision, dans
laquelle je reconnais la sagesse avisée dont elle a donné tant de preuves.
Vous pouvez être certain, sire, que les troupes placées sous le commandement du
général Franchet d'Esperey ne négligeront rien pour assurer dans votre royaume le
maintien de l'ordre, et qu'elles pratiqueront le respect des autorités
constitutionnelles ainsi que des libertés du peuple monténégrin.
Je prie votre majesté d'agréer les assurances de mon profond respect.
Paris le 4 novembre 1918.
S. Pichon
Dépêche tirée de "Le rôle de la France dans l'annexion forcée du Monténégro",
ministère des affaires étrangères monténégrin, 1921, p 40
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101
O. Lettre du président de la république française M. Poincaré à S.M. Le roi de
Monténégro, 24 novembre 1918.
Très cher et grand ami,
J'ai été très sensible à la démarche que vous avez bien voulu faire auprès de moi. La
France n'a pas oublié la vaillance, avec laquelle le Monténégro s'est levé, à l'appel de
votre majesté, pour la défense de son indépendance. Elle connaît les souffrances du
peuple de la montagne noire et elle s'emploie de son mieux à les soulager.
Votre majesté peut-être assurée que le gouvernement de la république, dont elle
évoque, avec raison, la sollicitude pour les petits États, ne se prêtera, pour sa part, à
aucune tentative qui aurait pour objet de contraindre la volonté de la nation
monténégrine et de contrarier ses aspirations légitimes.
En ce qui concerne les troupes françaises appelées à occuper provisoirement le
territoire de votre royaume, respectueuses des institutions établies, elles
s'emploieront à maintenir l'ordre, en assistant de leur mieux les populations, de
manière à préparer le rétablissement de la vie normale, qui a été profondément
troublée par les douloureuses épreuves résultant de l'occupation ennemie.
Il paraît préférable que votre majesté attendît, pour regagner son royaume, que ce
but ait été atteint et que l'existence ait repris au Monténégro son cours accoutumé.
La présence des troupes Alliées, le concours qu'elles apporteront aux habitants
contribueront sans doute à hâter ce moment que votre majesté appelle de tous ses
vœux. Dès qu'il sera venu, le gouvernement de la république sera heureux, sire, de
faciliter votre voyage de retour.
Je suis heureux de me dire, très cher et grand ami, votre sincère ami.
Paris, le 24 novembre 1918
R. Poincaré
Ibidem p 41
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102
P. Résolution de la Grande Skoupchtina du 26 novembre 1918 proclamant l'union
du Monténégro à la Serbie et la déchéance des Petrovitch-Niegoch.
En vertu du principe que tout peuple se détermine librement, principe admis et
proclamé comme condition de la paix future, universelle, par l'apôtre de l'humanité,
le président des États-Unis d'Amérique du Nord, M. Wilson et adopté par nos puissants
alliés et grands amis: l'Angleterre, la France et l'Italie, la Grande Skoupchtina du
peuple serbe du Monténégro, élue librement et réunie le 11/24 novembre 1918 à
Podgoritza en vue de se prononcer là-dessus, déclare:
1. Le peuple serbe de Monténégro est de même sang, à la même langue, les mêmes
aspirations, la même religion, les mêmes mœurs que le peuple qui habite la Serbie et
autres contrées serbes. Le glorieux passé, qui les enthousiasme, leur idéal, leurs
héros nationaux, leurs souffrances leur sont communes. Enfin tout ce qui caractérise
un peuple leur est commun.
Lorsqu'on a au Moyen Âge formé l'État serbe sous le règne de la dynastie des célèbres
Némanjides, le peuple monténégrin y est entré dès le début et y a joué un rôle
important. L'invasion turque a mis fin à l'existence de notre état et a réduit notre
peuple à l'esclavage. Des efforts suprêmes ont été tentes par le peuple pour se
libérer. Des insurrections ont eu lieu à diverses reprises, mais elles ont été étouffées
d'une manière sanglante. Le peuple serbe de Monténégro y portait l'étendard. C'est lui
qui a réussi le premier à se délivrer du joug turc, à reconquérir sa liberté. Dès lors
datent ses aspirations et son idéal: la libération et l'union de tout le peuple serbe;
c'était son rêve séculaire.
Au commencement du XIX siècle s'insurgent les Serbes de Serbie de l'héroïque
Karageorges, se débarrassent de la domination ottomane et posent les fondations de
la Serbie contemporaine. À partir de cette date, les Serbes de la Serbie et ceux du
Monténégro collaborent toujours à l'idéal commun: la libération et l'union du peuple
serbe. C'est bien à cause de ce grand idéal - et toujours ensemble - que les guerres de
délivrance ont été faites. Mais le succès a été insignifiant car l'Empire ottoman était
toujours assez fort pour empêcher notre libération et notre union, d'autant plus qu'il
disposait d'un collaborateur sincère, l'ennemi séculaire de notre peuple, la perfide
Autriche-Hongrie, qui voyait toujours dans notre succès son insuccès, dans notre
bonheur son malheur, dans notre union son démembrement.
Au Congrès de Berlin, tenu peu après la guerre sanglante faite par la Serbie et le
Monténégro à l'aide de leurs frères russes pour la libération et l'union de leurs
conationaux, l'Autriche-Hongrie a réussi à nous priver de tous les fruits de cette
grande lutte et d'annexer deux contrées classiques serbes: la Bosnie et l'Herzégovine,
contrées dans lesquelles le premier coup de fusil a été tiré pour cette libération. De
plus le Sandjak de Novi-Pazar, peuplé par une masse compacte de la population
serbe, elle est parvenue à maintenir la souveraineté ottomane doublée des garnisons
austro-hongroise. Ainsi l'Autriche et la Turquie montent la garde ensemble, afin que
la Serbie et le Monténégro ne s'unissent pas.
La guerre balkanique avait aussi le même but: la libération et l'union des Serbes. La
Serbie et le Monténégro sont entrés ensemble dans cette guerre. Elles ont versé des
torrents de sang et obtenu de brillants résultats; la majeure partie de notre peuple a
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été délivrée du joug turc et uni à la Serbie et au Monténégro. La barrière, qui les
séparait jusque-là, a disparu et le peuple s'est mis vivement à réaliser la grande
œuvre: l'union.
Des raisons dynastiques, ainsi que l'Autriche-Hongrie, décidée à intervenir même par
les armes, s'y sont opposées. C'est bien à cause de cela qu'elle nous a attaqué et
qu'elle a provoqué cette guerre sous prétexte du meurtre de l'héritier austro-hongrois
à Sarajevo. Cependant tout notre peuple sait fort bien que l'Autriche-Hongrie, nous
aurait attaqué même si ce meurtre n'avait pas eu lieu. Il n'ignore non plus qu'elle s'y
préparait activement de beaucoup avant le meurtre.
2. Les intérêts économiques du Monténégro sont étroitement liés à ceux de la Serbie
et des autres contrées serbes. Séparé d'elles, le Monténégro, dont le sol est l'un des
plus pauvre du monde entier, n'offre aucune condition pour être indépendant. Il serait
d'avance condamné à périr. Il est notoire qu'il était très difficile de vivre au
Monténégro jusqu'à l'esclavage austro-hongrois et qu'une partie de notre maind'œuvre était obligée à s'en aller en Amérique en vue d'y gagner son pain quotidien et
celui des siens. Après cette guerre, durant laquelle l'ennemi a tout pillé et enlevé à
notre peuple, le laissant dans la misère la plus noire, l'existence du Monténégro
comme pays indépendant est devenue encore moins possible.
Donc même les intérêts économiques du Monténégro exigent d'une manière
impérative l'union du Monténégro avec la Serbie et les autres contrées serbes.
3. Les raisons politiques imposent aussi l'union. Il serait superflu d'accentuer quelle
misérable signification politique aurait le Monténégro à côté de la grande
Yougoslavie.
En somme toutes les raisons précitées montrent clairement que l'unique manière de
sauver notre peuple gît dans l'union.
L'union ou la mort: c'est le cri général qui se répercute au long et au large de notre
patrie. Le peuple entier de Monténégro demande l'union. Seule la dynastie
monténégrine ne la désire pas, ne la veut pas. Elle considère que cela est au
détriment de ses intérêts, qui lui ont été toujours plus sacrés que ceux de notre
peuple. On a essayé de la décider à venir au-devant du désir du peuple dans cette
grande question de l'avenir national. On lui a fait entendre que ce sacrifice lui serait
largement récompensé - mais en vain!...
Le roi Nicolas, le représentant actuel de la dynastie, est le type le plus expressif du
plus dur absolutisme. Durant tout son long règne, pour lui, à l'instar de Louis XIV,
valait un dogme, dont il ne s'est jamais départi et qui est exprimé dans la fameuse
phrase "l'État - c'est moi".
Même la capitulation du Monténégro, par laquelle on a entaché les armes
monténégrines, qui se sont couvertes de gloire pendant des siècles, est son œuvre. Il
a jeté son peuple dans un esclavage pire et plus honteux que celui des Turcs. N'étant
pas sur qui sortira vainqueur de cette grande guerre, il a laissé en esclavage l'un de
ses fils en vue d'entretenir par son entremise des relations avec les Puissances
Centrales et d'assurer ses intérêts en cas de leur victoire. Quant à lui, il a pris la fuite
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et s'est fait martyr qui, comme lui-même l'a déclaré, a été délaissé par son peuple,
peuple qui s'est rendu à l'ennemi, tandis que lui seul fidèle aux Alliés a réussi à
s'enfuir! Cela lui rapportait au cas où les Alliés remportent la victoire sur les
Puissances Centrales. Cependant on sait chez nous qu'il n'a pas sincèrement mené
cette guerre. Bien des preuves existent.
Quand après l'occupation les Monténégrins, tant dans le pays qu'à l'étranger, ont
continué le mouvement pour la libération et l'union, les autorités austro-hongroises s'y
sont opposées énergiquement, ont fait une vive propagande pour le roi Nicolas, ont
permis la libre distribution des journaux publiés en France et en Suisse à ses frais.
Elles ont travaillé par tous les moyens en faveur de la séparation du Monténégro et
des intérêts du roi Nicolas.
Tandis que les Monténégrins souffraient dans l'esclavage le plus terrible qu'ait connu
l'histoire et qu'ils étaient opprimés, tués, pendus, déshonorés de toutes les façons
qu'a pu imaginer cet état perfide et corrompu, le roi Nicolas vivait aisément à Paris.
Il n'a rien fait pour adoucir le triste sort de son peuple. Il n'a jamais levé la voix, ni
protesté contre le traitement inhumain et l'extermination de son peuple par
l'Autriche-Hongrie. Il s'est gardé, cela se conçoit aisément, d'être désagréable à son
amie l'Autriche-Hongrie et cela dans l'unique but de ne pas nuire à ses propres
intérêts - sans tenir compte de ceux de son peuple.
En base de tout ce sui précède la Grande Skoupchtina du peuple serbe de
Monténégro, comme fidèle interprète des désirs et de la volonté de ce peuple, fidèle
à ses traditions historiques et aux vœux de ses ancêtres, qui ont combattu pour eux
pendant des siècles, décide à l'unanimité et par voix personnelle:
1. Le détrônement du roi Nicolas Ier Petrovitch-Niegoch et de sa dynastie
2. L'union du Monténégro avec la Serbie en un seul et unique état sous le règne de la
dynastie des Karageorgevitch et qui, ainsi unie, entre dans la patrie commune de
notre peuple aux trois noms: Serbes, Croates et Slovènes
3. L'élection d'un directoire de cinq membres, qui auront à mener les affaires jusqu'à
ce que l'union complète soit achevée
4. Informer de cette résolution l'ex-roi de Monténégro Nicolas Petrovitch, le
gouvernement du royaume de Serbie, les puissances Alliées de l'Entente, ainsi que
tous les états neutres.
Déclaration tirée de la Formation de l'État yougoslave, par Z.Tomitch, 1927, p 132136
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Q. Résolution de la Grande Skoupchtina du 29 novembre 1918 proclamant la
confiscation des biens royaux.
La grande assemblée nationale consciente de la responsabilité politique et criminelle
de l'ex-roi Nicolas à l'égard de son peuple et guidée par l'opinion et la conviction de
tout le monde que les biens de l'ex-roi proviennent des biens injustement et
illégalement enlevés au peuple, décide sous l'impulsion de motifs de droit précités:
La confiscation au profit du peuple de tous les biens, meubles et immeubles de l'exroi Nicolas Petrovitch-Niegoch.
Et l'interdiction a jamais d'entrer dans notre pays à l'ex-roi Nicolas PetrovitchNiegoch, ainsi qu'à tous les membres de sa dynastie.
le président: Savo Tzerovitch
les vice-présidents: Lazare Damianovitch, Savo Fatitch
Les secrétaires: Lioubomir Vouksanovitch, Milan Baitch, Radovan Bochkovitch, Louka
Voukotich, Novitza Chtchepanovitch, Mihailo Jovanovitch
Ibidem p 136
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R. Rapport de Paul Mantoux, directeur de la section politique du secrétariat
général de la S.D.N. à la cinquième commission de la société.
n°20-65-6
La question de l'existence actuelle d'un État indépendant du Monténégro n'a jamais
été réglée. À la Conférence de la Paix, en 1919, le Monténégro était inscrit sur la liste
des États qui devaient prendre part aux négociations, mais personne n'a été reconnu
comme qualifié pour le représenter.
M. Y. Plamenatz, signataire de la lettre ci-jointe, représente le roi de Monténégro.
Celui-ci est en exil. Une assemblée monténégrine réunie en 1918, a proclamé sa
déchéance et l'union avec l'État yougoslave. Il est vrai que la validité de cette
décision et du mandat même de l'assemblée, élue, disent ses adversaires, sous la
pression des Serbes et entourée de baïonnettes serbes, est contestée. Il est vrai
qu'une opposition indivisible s'est manifestée contre l'annexion pure et simple de
l'État yougoslave. Mais il est impossible de mesurer la force et d'apprécier la sincérité
des opinions énoncées de part et d'autre, et, aux yeux des Yougoslaves, le
Monténégro est devenu aujourd'hui partie intégrante du royaume serbe-croateslovène. Sans préjuger de cette question, il apparaît prudent de ne pas admettre le
Monténégro dans la société, sur la demande d'un gouvernement pour le moins
contesté, et résidant actuellement à l'étranger.
25 novembre 1920
Paul Mantoux
Rapport tiré de la S.D.N. restera-t-elle complice du plus grand crime de la guerre
mondiale, de V. Popovitch et A. Prlia, 1924, p 13
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S. Dépêche envoyée par Delaroche-Vernet à Y. Plamenatz lui faisant savoir la
rupture des relations diplomatiques, le 20 décembre 1920
Paris, le 20 décembre 1920
Son excellence M. Yovan Plamenatz
Président du conseil et ministre des affaires étrangères du Monténégro
Neuilly-sur-Seine
Monsieur le président,
D'ordre du gouvernement de la république française, j'ai l'honneur d'adresser à votre
excellence la communication ci-après: des élections à l'assemblée Constituante ayant
eu lieu récemment en Yougoslavie, les populations du Monténégro se sont
prononcées: on ne peut, désormais douter de leur désir de rester unies aux autres
populations serbes dans le royaume serbe-croate-slovène dont nous avons reconnu
officiellement l'existence. Le gouvernement de la république estime donc, que la
réunion du Monténégro au royaume susdit est maintenant un fait accompli.
Dans ces conditions le gouvernement de la république française n'aperçoit pas de
raisons de continuer à entretenir des relations diplomatiques avec sa majesté le roi
Nicolas et il a, en conséquence décidé de supprimer la légation de France au
Monténégro. Ma mission se trouve donc, ainsi, prendre fin. En même temps, la qualité
diplomatique ne sera plus désormais reconnue au chargé d'affaires accrédité près le
gouvernement français par le gouvernement monténégrin. D'autres part, les autorités
intéressées ont été averties que les agents auxquels le gouvernement monténégrin
avait confié les fonctions consulaires en France ne sont plus admis à les exercer.
Je serais reconnaissant à votre excellence de bien vouloir porter ce qui précède à la
connaissance de sa majesté le roi Nicolas et du gouvernement monténégrin.
Veuillez agréer, monsieur le président, les assurances de ma haute considération.
H. Delaroche-Verne
Dépêche tirée de la Formation de l'État yougoslave, Z. Tomitch, 1927, p 144-145
Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921)
Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I
(Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro
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Bibliographie
Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921)
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I. Sources d'archives
A. Ministère des affaires étrangères français
Nouvelle série (1896-1914)
• Autriche-Hongrie
- n°30 relation avec pays balkaniques
- n°31-37 conflit austro-serbe
• Monténégro
-
n°1-2 politique intérieure
n°3-6 politique étrangère
n°7 relation avec la France
n°8 défense nationale
n°9-10 finances
Guerre 1914-1918
-
n°1-6 dossier général
n°217-221 Balkans dossier général
n°322-334 Balkans Monténégro dossier général
n°333-334 Balkans Monténégro légion monténégrine
n°335-336 Balkans Monténégro ravitaillement
n°1028-1029 opérations stratégique austro-serbo-monténégrines
A. Paix
- n°30 congrès paix plénipotentiaire Monténégro
- n°296 travaux préparatoires politique yougoslave et Monténégro
- n°325 Monténégro condition politique de la paix
Conférence de la paix
- n°53 commission des affaires roumaines et yougoslaves
Europe 1918-1940
• Autriche
- n°33 armée front divers
• Balkans
- n°1 dossier général
• Monténégro
-
n°1 légation de France
n°2 question dynastique
n°3 corps diplomatique
n°4 presse
n°5 armée
n°6 légion
n°7-13 politique étrangère
n°14 politique intérieure
n°15-16 occupation militaire du Monténégro
n°17 ravitaillement
n°18 établissements financiers
n°19 monténégrins
n°20 affaires diverses
-
n°4 gouvernements
n°9 presse
n°17 armée dossier général
n°18 armée ravitaillement
• Yougoslavie
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Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I
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- n°31-33 politique intérieure
- n°44-48 politique extérieure
B. Ministère de la défense français
Les principales notes et dépêches du ministère de la guerre, concernant le
Monténégro, se retrouvent le plus souvent dans les dossiers que le ministère des
affaires étrangères consacre à ce même pays. Cependant, ont été consultés les
cartons suivants:
-
5n113 et 114 relation avec les Alliés 1914-1918
7n729 mouvement royaliste au Monténégro
7n1375 Monténégro 10.1918-12.1919
7n1657 situation politique et militaire en 1919
7n2195 situation 1916-1918
7n2177 ravitaillement 1915-1917
16n2895 Monténégro 11.1915-01.1916
16n2948 et 2949 situation politique et militaire 1914-1916
16n3158-3 mission du général Mondésir en Albanie et au Monténégro 1915-1916
16n3246 intrigues monténégrines 1915-1918
20n141 comptes rendus concernant la situation politique, économique et militaire 08.1919-09.1920
Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921)
Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I
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II Sources imprimées
A. Ouvrages de référence ou publiés après 1945:
- Ancel Jacques, Peuples et nations des Balkans, Paris, Colin, 1926,
- Ancel Jacques, Les Balkans face à l'Italie, Paris, Delgrave, 1928, 126p
- Bourbon Sixte de, L'offre de paix séparée de l'Autriche, Paris, Plon, 1920, 443p
- Cadars Louis, La guerre d'Orient 1914-1918, in les cahiers de l'histoire n°45 avril
1965, Paris, Sedip, 160p
- Castellan Georges, Histoire des Balkans XIV-XX siècle, Paris, Fayard, 1991, 532p
- Claparede René, Le droit des petits peuples Suisse, Monténégro, Arménie, pays des
Iroquois, Genève, Atar, 1924, 16p
- Comité Nationale Yougoslave des Sciences Historiques, Dix années d'historiographie
yougoslave 1945-1955, Belgrade, Yougoslavie, 1955, 682p
- Délégation du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes à la Conférence de la paix,
Rapport sur les dommages de guerre causés à la Serbie et au Monténégro présenté à
la Commission des Réparations et Dommages, Paris, imp. Slave, 1919, 168p
- Ducasse André, Balkans 14-18 ou le chaudron du diable, Paris, Robert Laffont, 1964,
263p
- Fondation Canergie pour la paix internationale, Enquête dans les Balkans, Paris,
Cres et Cie, 1914, 496p
- Garde Paul, Vie et mort de la Yougoslavie, Paris, Fayard, 1992, 444p
- Girault René, Diplomatie européenne et impérialisme 1871-1914, Paris, Masson,
1979, 253p
- Larcher Maurice, La Grande Guerre dans les Balkans, Paris, Payot, 1929, 302p
- Livesey Anthony, Atlas de la Première Guerre Mondiale, Paris, Autrement, 1996,
192p
- Peroche Grégory, Histoire de la Croatie et des nations slaves du sud 395-1992, Paris,
Œil, 1992, 560p
- Renouvin Pierre, La crise européenne et la Première Guerre Mondiale 1904-1918,
Paris, Puf, 1969, 779p
- Ristelhueber René, Histoire des peuples balkaniques, Paris, Fayard, 1950, 503p
- Sellier André et Jean, Atlas de peuples d'Europe centrale, Paris, La Découverte,
1991, 191p
- Sementéry Michel, La descendance de Nicolas Ier roi du Monténégro, Paris, ed
Christian, 1982, 100p
- Service géographique de l'armée, Notice sur l'Albanie et le Monténégro, Paris, Ed.
du ministère de la guerre, 1915, 140p
- Service historique des armées, Les armées Alliées en Orient après l'armistice de
1918, Paris, Ed. du ministère de la défense, 1972
- Treadway John D., The Falcon and the Eagle: Montenegro and Austria-Hungary
1908-1914, West Lafayette, USA, Purdue University Press, 1983, 349p
B. Ouvrages "polémiques":
- Anonyme, La question monténégrines rapports et documents, Paris, l'Émancipatrice,
1919, 48p
- Anonyme, Les dessous de la politique en Orient par un Allemand, Paris, Plon, 1916,
269p
Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921)
Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I
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- Anonyme, Pour l'existence du Monténégro, Torino, Silvestrelli I Cappelleto, 1918,
22p
- Arcille Jean, Et le Monténégro??? Exposé de la question balkanique, Paris, Lang et
Blanchong, 1919, 20p
- Boggiano Eugène, A vindication of Montenegro..., Birmingham, Hudson and Son,
1917, 32p
- Boggiano Eugène, Contre une grande calomnie et pour le Monténégro allié, Paris,
Lang et Blanchong, 24p
- Bondonresque Léon, L'escamotage du Monténégro, Marseille, sdt, 1919, 60p
- Brajovitch Yanko, The voice of Montenegro, sdt, 8p
- Bresse Louis, Le Monténégro inconnu, Paris, Berger-Levrault, 1920, 110p
- Bryce Roland, Report on political condition in Montenegro, London, Hmso, 1920,
16p
- Chotch Pierre, L'Allié martyr, le Monténégro, Paris, La diplomatie publique, 1920,
16p
- Chotch Pierre, La question du Monténégro, Paris, sdt, 1921
- Ciubranovitch Jean, Le Monténégro devant la Ligue internationale des femmes,
Nancy, Berger-Levrault, 1926, 8p
- Ciubranovitch Jean, Le plus grand crime de l'histoire, Roma, Ed. Du directoire de la
défense nationale du Monténégro, 1928, 24p
- Comité des Réfugiés Monténégrins, Pour le Monténégro, Un appel des réfugiés
monténégrins, Paris, Lang et Blanchong, 1917
- Comité Monténégrin pour l'Union Nationale, La Serbie et le Monténégro, Genève,
Reggiani, 1917, 15p
- Crnagoratz, Comment et pourquoi le Monténégro fut sacrifié, Lausanne,
Bibliothèque Universelle, 1916, pp 225/244
- Devine Alex, The martyred nation, a plea for Montenegro, London, St Clement
Press, 1924
- Devine Alex, Off the map, the suppression of Montenegro, the tragedy of a small
nation, London, sdt, 1921, 47p
- Devine Alex, Montenegro in history, politic and war, London, Ficher Unwits, 1918,
140p
- Dobretitch Philippe, Le Monténégro dans le conflit européen, Roma, sdt, 1917, 27p
- Fedozzi Prospero, Une question internationale, la situation juridique et
internationale du Monténégro, Gênes, Ed. du Comité pro-Monténégro, 6p
- Gorrini Jean, Un souverain en exil, le roi Nicolas Ier de Monténégro, Torino,
Silvestrelli I Cappelleto, 1918, 38p
- Gouvernement du Royaume de Monténégro, Le Monténégro devant la Société des
Nations, Roma, imp. de l'État monténégrin, 1920, 50p
- Gouvernement du Royaume de Monténégro, Les patriotes monténégrins devant la
cour martiale serbe, Roma, imp. de l'État monténégrin, 1920, 9p
- La Voix du Peuple, L'ex-roi Nicolas de Monténégro et sa cour, épilogue d'un régime
indigne, Sarajevo, sdt, 1919, 47p
- Ministère des affaires étrangères du Monténégro, Le rôle de la France dans
l'annexion forcée du Monténégro, Roma, Manuzio, 1921, 214p
- Ministère des affaires étrangères du Monténégro, Documents sur les atrocités serbes
au Monténégro, Rome, imp. de l'État monténégrin, 1920, 64p
- Ministère royal de l'instruction publique et des cultes, Almanach du royaume de
Monténégro, Paris, Ed. du ministère, 1918 et 1920
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Blanchong, 1919, 57p
- Popovitch Paul, À vous la parole M. Poincaré!, Roma, Rassegna Internazionale, 1921,
72p
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Genève, Ed. du Journal la Serbie, 1918, 94p
- Temperley Harold, Report on political conditions in Montenegro, London, Hmso,
1920
- Tomitch Zoran, La formation de l'État yougoslave, Paris, les Presses Modernes, 1927,
244p
- Veritas, Le Monténégro, pages d'histoire diplomatique, Paris, Figuière, 1917, 102p
- Voinovitch Louis, Le Monténégro et l'unité yougoslave, Paris, le Monde Nouveau,
1926, 31p
- Vouksanovitch, Le Monténégro dans les guerres balkaniques et mondiale, Pau,
Marrimponey, 1918, 109p
- Whitney Warren, Montenegro, the crime of the peace Conference, New York, sdt,
1922, 64p
C. Périodiques consultés:
-
Le Bulletin Monténégrin
L'Illustration
Le Temps
L'Union
La Voix du Monténégrin
La Volonté du Peuple
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