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Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921)
Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I
(Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro
mais le sac vint à crever au-dessus du Monténégro et il tomba cette masse effroyable
de rochers" [3]. Pauvre et peu peuplé malgré l'apport d'une nouvelle population avec
l'annexion de la riche plaine de la Metohija [4] (435 000 habitants en 1914 contre 285
000 avant 1913), il n'en est pas moins fier de sa longue histoire et de son combat
contre l'Empire Ottoman qui expliquent notamment le rôle disproportionné que jouait
ce pays dans les Balkans par rapport à sa taille.
Le Monténégro fait sa première apparition dans l'histoire au cours du XI siècle mais
sous un autre nom; le royaume de Zeta du knez [5] Voislav. Son fils Michel (Mikailo)
pour renforcer son pouvoir et se détacher de la tutelle de Byzance [6] obtient du
pape en 1077 le titre royal et fixe sa capitale à Scutari [7]. Par la suite, la Zeta se
trouve rattachée à la Rascie [8] par l'action du grand joupan [9] Étienne Nemanja. La
mort d'Étienne Douchan en 1355 puis la défaite de Lazare devant les Ottomans en
1389 à Kosovo-Polje marquent la fin de l'Empire serbe et sa décomposition. Une
dynastie locale, les Balchides, s'empare du pouvoir en 1360 pour le conserver jusqu'en
1421, date à laquelle elle est remplacée par les Brankovtch puis les Crnojevitch en
1439. Pour faire face à la menace turque, ces trois familles tissent des liens avec la
république de Venise qui en échange reçoit des positions sur le littoral. Cependant
cette alliance restera sans effet, puisque lorsque le sultan Mehmed II s'empare de
Scutari en 1479, Venise n'intervient pas. Ivan Crnojevitch (1465-1490) est donc obligé
de transférer sa capitale plus à l'intérieur des terres, au pied du mont Lovtchen à
Cettigné [10]. Il y installe le métropolite ainsi qu'une imprimerie (la première du
monde slave). Installée dans ces montagnes, la principauté prend le nom de
Monténégro (Crna-Gora en serbe) en lingua franca qui était la langue utilisée par les
marins vénitiens.
À la disparition des Crnojevitch en 1496, le Monténégro est placé sous la suzeraineté
théorique du sultan qui faisait prévaloir ses droits en envoyant périodiquement des
expéditions militaires pour prélever le kharadj [11]. Réfugiés dans les montagnes, les
Monténégrins se réunissent autour du monastère de Cettigné. Se met alors en place
une théocratie élective avec à sa tête un prince-évêque: le vladika [12]. À cette
charge est adjointe celle moins prestigieuse de gouverneur civil: le governador. Mais
en réalité l'autorité réelle dans ces montagnes appartenait aux chefs des quelques 30
tribus, assistés de leur conseil d'ancien, qui levaient les taxes et rendaient une justice
clanique basée sur la vendetta.
Cette anarchie tribale, semblable à celle que connue l'Albanie jusqu'au XX siècle,
continue jusqu'en 1696 date à laquelle la charge de vladika est attribuée à Danilo
Petrovitch-Niegoch (1696-1735). Elle ne quittera alors plus cette famille, sauf
épisodiquement, et se transmettra jusqu'en 1918 d'oncle à neveu. Il réussit à fédérer
autour de lui les différentes tribus ainsi qu'à éliminer la population musulmane des
hautes terres en 1702 lors des "Vêpres monténégrines". En 1711, il noue des relations
avec la Russie de Pierre le Grand qui versera un subside annuel au Monténégro
jusqu'en 1916. Son successeur Sava (1735-1782) continuera la même politique de
désenclavement en nouant une alliance avec la république vénitienne. Son règne est
marqué par l'épopée extraordinaire d'un jeune paysan, Etienne Mali qui réussit à se
faire passer pour Pierre III, le tzar assassiné par son épouse Catherine II. Il réunit
autour de lui de nombreux partisans et prend part à de nombreux combats contre les
Turcs en Bosnie. Il réussit même à s'imposer et à dominer le pays en 1773, mais il
meurt assassiné l'année suivante.