Le Monténégro et son intégration dans le royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Guillaume Balavoine [www.guillaume-balavoine.net] Mémoire de maîtrise d'histoire d'histoire contemporaine UFR 09 de l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) mention: histoire de l'Europe Centrale et de l'Allemagne contemporaine sous la direction de M. Bernard Michel soutenu en septembre 1993 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 1 Table des Matières Avant-propos ......................................................................................3 Introduction .......................................................................................4 1. Le Monténégro dans le conflit (1914-1916) ................................................9 I. La situation des Balkans en 1914 ........................................................ 10 A. La Ligue Balkanique ................................................................... 10 B. Les Guerres Balkaniques .............................................................. 12 C. Une paix précaire ...................................................................... 14 II. L'entré en guerre ......................................................................... 17 A. La situation du Monténégro en 1914 ................................................ 17 B. Le Monténégro dans le conflit........................................................ 18 C. Le Monténégro et les Alliés ........................................................... 21 III. Vers le désastre .......................................................................... 27 A. Le front d'Orient et les Alliés......................................................... 27 B. La retraite serbe ....................................................................... 28 C. Janvier 1916 ............................................................................ 30 2. L'exil (1916-1918)............................................................................ 34 IV. Un royaume en exil ...................................................................... 35 A. Les "intrigues monténégrines" ........................................................ 35 B. Les rapports avec les Alliés ........................................................... 37 V. Les rapports serbo-monténégrins....................................................... 42 A. La Serbie, le Monténégro et l'union ................................................. 42 B. Radovitch et le Comité Monténégrin pour l'Union Nationale ..................... 44 C. La légion monténégrine ............................................................... 46 VI. 1918 et la victoire alliée ................................................................ 50 A. La victoire Alliée dans les Balkans... ................................................ 50 B. ... Et ses conséquences sur le Monténégro ......................................... 51 C. La fin des Petrovitch-Niegoch ........................................................ 53 3. Le rattachement au royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1918-1921) ........ 58 VII. Les Alliés et l'occupation du Monténégro ............................................ 59 A. L'occupation Alliée du Monténégro .................................................. 59 B. Le Monténégro passe sous administration serbe ................................... 60 VIII. La résistance à "l'annexion" ........................................................... 64 A. La politique de Nicolas ................................................................ 64 B. Insurrection et conflit Verts/Blancs ................................................. 65 IX. Le sort du Monténégro .................................................................. 69 A. Le Monténégro devant la Conférence de la Paix................................... 69 B. Les élections à la Constituante et la reconnaissance de l'union ................. 71 Conclusion ....................................................................................... 76 Annexes .......................................................................................... 81 Bibliographie ................................................................................... 109 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 2 Avant-propos Pour des raisons de commodité, vis-à-vis de mes sources (et aussi pour des problèmes de police), j'ai repris la transcription de la langue serbo-croate en vigueur à l'époque des faits, que ce soit pour les noms communs ou les noms propres, et non la transcription en latinica en vigueur aujourd'hui: Tz ou ts = c par exemple Podgoritza pour Podgorica Tch = c (avec un accent aigu) par exemple Radovitch pour Radovic Ch = s (avec un accent circonflexe inversé) par exemple Pachitch pour Pasic Ou = u par exemple skoupchtina pour skupstina J = z (avec un accent circonflexe inversé) par exemple joupan pour zupan De plus, il peut s'avérer que des noms de localité aient changé au cours de l'histoire, en changeant notamment de pays. Là aussi, je reprends l'orthographe la plus couramment employée à l'époque des événements: Scutari = Skadar en serbe, aujourd'hui Shkodër en Albanie Cettigné = Cetinje Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 3 Introduction La crise yougoslave qui s'étale depuis maintenant deux ans à la une des presses du monde entier a provoqué chez les Européens, peut-être à cause de leur impuissance, un regain d'intérêt, teinté d'inquiétude pour les Balkans que l'on avait pour habitude de qualifier de poudrière avant 1914. Cette guerre qui par bien des aspects s'apparente à une véritable guerre civile entre les différents peuples qui composaient la nation yougoslave, marque la fin d'une idée qui avait donné naissance à un État à la fin du premier conflit mondial; la Yougoslavie. Celle-ci avait déjà connu de nombreux soubresauts qui ont notamment conduit à une première disparition lors du partage de 1941, puis à sa résurrection sous l'égide de Tito en 1945 sous la forme d'une fédération yougoslave. C'est pourquoi on est aujourd'hui conduit à parler d'une troisième Yougoslavie lorsque l'on évoque la fédération, issue de la dislocation de la Yougoslavie titiste et qui unit la Serbie et le Monténégro. Par son rôle de fidèle et unique partenaire de la Serbie au sein de cette fédération, le Monténégro a retrouvé tout son intérêt notamment en tant qu'unique débouché sur la mer de cette nouvelle Yougoslavie. Cette république de l'ex-Yougoslavie voulue par Tito, ne doit son existence en tant que nation, et ce bien que les Monténégrins soient de langue serbe et de religion orthodoxe, qu'à une longue tradition d'indépendance. En effet, de tous les peuples yougoslaves, eux seuls n'ont jamais subi la domination d'une puissance extérieure, notamment turque, ce qui vaut au Monténégro d'être affublé du qualificatif de "village d'Astérix" dans l'ouvrage de Paul Garde [1], et ce jusqu'en 1918 où il est rattaché au royaume des Serbes, Croates et Slovènes (S.H.S.). La fin du premier conflit mondial se solde donc par la disparition de ce petit royaume balkanique. On peut donc légitimement se poser le question de savoir, comment un État qui a participé au conflit aux côtes des Alliés, a-t-il pu disparaître ainsi de la carte politique européenne et ce après plus de cinq siècles d'indépendance? C'est cette question qui m'a poussée à poursuivre une étude un peu plus approfondie, après un travail personnel au cours de mon année de licence sur le Monténégro durant la Grande Guerre, sur les raisons et les conditions de sa dilution au sein du royaume S.H.S. Adossé aux Alpes dinariques, dont les pieds baignent dans l'Adriatique face à l'Italie, le Monténégro est entouré au Nord-Ouest par le puissant voisin autrichien avec l'Herzégovine et la Dalmatie, à l'Est depuis 1913 par le royaume de Serbie grâce à la conquête du Sandjak de Novi-Pazar [2] et au Sud par la toute nouvelle Albanie, voulue par les grandes puissances et notamment l'Autriche-Hongrie et l'Italie. Petit pays par la superficie; 14180 km2 dont 5100 annexés en 1913, pays de montagnes, difficile d'accès, "Quand dieu créa le monde, il tenait à la main un sac plein de montagnes, Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 4 mais le sac vint à crever au-dessus du Monténégro et il tomba cette masse effroyable de rochers" [3]. Pauvre et peu peuplé malgré l'apport d'une nouvelle population avec l'annexion de la riche plaine de la Metohija [4] (435 000 habitants en 1914 contre 285 000 avant 1913), il n'en est pas moins fier de sa longue histoire et de son combat contre l'Empire Ottoman qui expliquent notamment le rôle disproportionné que jouait ce pays dans les Balkans par rapport à sa taille. Le Monténégro fait sa première apparition dans l'histoire au cours du XI siècle mais sous un autre nom; le royaume de Zeta du knez [5] Voislav. Son fils Michel (Mikailo) pour renforcer son pouvoir et se détacher de la tutelle de Byzance [6] obtient du pape en 1077 le titre royal et fixe sa capitale à Scutari [7]. Par la suite, la Zeta se trouve rattachée à la Rascie [8] par l'action du grand joupan [9] Étienne Nemanja. La mort d'Étienne Douchan en 1355 puis la défaite de Lazare devant les Ottomans en 1389 à Kosovo-Polje marquent la fin de l'Empire serbe et sa décomposition. Une dynastie locale, les Balchides, s'empare du pouvoir en 1360 pour le conserver jusqu'en 1421, date à laquelle elle est remplacée par les Brankovtch puis les Crnojevitch en 1439. Pour faire face à la menace turque, ces trois familles tissent des liens avec la république de Venise qui en échange reçoit des positions sur le littoral. Cependant cette alliance restera sans effet, puisque lorsque le sultan Mehmed II s'empare de Scutari en 1479, Venise n'intervient pas. Ivan Crnojevitch (1465-1490) est donc obligé de transférer sa capitale plus à l'intérieur des terres, au pied du mont Lovtchen à Cettigné [10]. Il y installe le métropolite ainsi qu'une imprimerie (la première du monde slave). Installée dans ces montagnes, la principauté prend le nom de Monténégro (Crna-Gora en serbe) en lingua franca qui était la langue utilisée par les marins vénitiens. À la disparition des Crnojevitch en 1496, le Monténégro est placé sous la suzeraineté théorique du sultan qui faisait prévaloir ses droits en envoyant périodiquement des expéditions militaires pour prélever le kharadj [11]. Réfugiés dans les montagnes, les Monténégrins se réunissent autour du monastère de Cettigné. Se met alors en place une théocratie élective avec à sa tête un prince-évêque: le vladika [12]. À cette charge est adjointe celle moins prestigieuse de gouverneur civil: le governador. Mais en réalité l'autorité réelle dans ces montagnes appartenait aux chefs des quelques 30 tribus, assistés de leur conseil d'ancien, qui levaient les taxes et rendaient une justice clanique basée sur la vendetta. Cette anarchie tribale, semblable à celle que connue l'Albanie jusqu'au XX siècle, continue jusqu'en 1696 date à laquelle la charge de vladika est attribuée à Danilo Petrovitch-Niegoch (1696-1735). Elle ne quittera alors plus cette famille, sauf épisodiquement, et se transmettra jusqu'en 1918 d'oncle à neveu. Il réussit à fédérer autour de lui les différentes tribus ainsi qu'à éliminer la population musulmane des hautes terres en 1702 lors des "Vêpres monténégrines". En 1711, il noue des relations avec la Russie de Pierre le Grand qui versera un subside annuel au Monténégro jusqu'en 1916. Son successeur Sava (1735-1782) continuera la même politique de désenclavement en nouant une alliance avec la république vénitienne. Son règne est marqué par l'épopée extraordinaire d'un jeune paysan, Etienne Mali qui réussit à se faire passer pour Pierre III, le tzar assassiné par son épouse Catherine II. Il réunit autour de lui de nombreux partisans et prend part à de nombreux combats contre les Turcs en Bosnie. Il réussit même à s'imposer et à dominer le pays en 1773, mais il meurt assassiné l'année suivante. Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 5 En 1782, Pierre Ier accède à la charge de vladika et s'emploie durant son long règne de 48 ans à moderniser son pays; création d'une assemblée des tribus, d'un tribunal avec un code des lois. Mais en fait, durant tout son règne, il ne fit que lutter pour imposer aux tribus le paiement des taxes ainsi que sa justice. Ce n'est qu'a la veille de sa mort en 1830 qu'il réussit réellement à imposer son autorité de vladika, en éliminant la famille des Radnojitch qui détenait la charge de governador, qu'il fit supprimer. En matière de politique étrangère, Pierre qui fut plus tard canonisé et enterré sur le mont Lovtchen poursuit la politique d'alliance avec la Russie en luttant contre l'Empire ottoman ce qui lui permet d'arracher en 1799 cette déclaration: "les Monténégrins n'ont jamais été sujets de la Sublime Porte [13]", véritable reconnaissance d'indépendance. Il participe aussi aux guerres napoléoniennes aux côtes des Russes en occupant les Bouches de Cattaro [14] qu'il devra évacuer en 1815 au profit de l'Autriche. Pierre II, son neveu reprend donc la charge de prince-évêque (1830-1851). Élevé en Russie, celui-ci s'intéresse plus à la poésie qu'à sa fonction religieuse (il est à ce titre reconnu comme l'un des plus grands poètes de langue serbe avec notamment la Guirlande des Montagnes en 1845 ou il évoque la lutte ancestrale entre son peuple et les Ottomans en exaltant la nation serbe et la foi orthodoxe). Habile diplomate (il réussit en 1841 à fixer ses frontières avec l'Autriche), son règne se caractérise surtout par une politique de modernisation du pays et de renforcement du pouvoir central (création d'une garde permanente). Son neveu Danilo II, lui aussi élevé en Russie, refuse de revêtir la charge d'évêque et avec l'aide de l'Autriche et de la Russie laïcise la charge de vladika en prenant le titre de gospadar [15]. Il s'oppose en cela à la Porte qui voulait rétablir l'ordre ancien. Il fait alors appel à Vienne qui rappelle à la Sublime Porte la déclaration de 1799. Sur l'injonction de cette même capitale, il doit renoncer à aider la Russie en 1856 lors de la guerre de Crimée. Au traité de Paris qui suit ce conflit, la Porte voulut faire valoir ses droits sur le Monténégro, mais Napoléon III s'y opposa en envoyant sa flotte au large des côtes monténégrines. Il meurt assassiné par un proscrit en 1860 à Cattaro. Son épouse réussit à imposer aux tribus son neveu Nicolas Ier (Nikita), le fils de Mirko, frère de Danilo, qui avait sévèrement battu les Turcs à Grahovo en 1858. Sur le plan intérieur, Nicolas octroie une constitution en 1905 et favorise le développement économique de son pays. Sur le plan extérieur, il réussit à légitimer internationalement la principauté, qui deviendra un royaume en 1910, au Congrès de Berlin en 1878 qui reconnaît l'indépendance du Monténégro. Ce même congrès lui accorde des extensions territoriales au Nord et à l'Est avec des villes comme Nikchitz et Podgoritza [16] plus un accès à la mer avec le port d'Antivari que complétera en 1881 l'acquisition de Dulcigno [17]. L'alliance avec la Russie se maintient [18] et même se renforce grâce à une habile politique dynastique de mariage de ses filles à deux grands-ducs russes. Il poursuit cette politique en mariant sa fille Hélène au roi d'Italie Victor Emmanuel III. Ce mariage, au contraire, marque un changement d'orientation dans ses alliances puisque depuis 1878, il se détourne de l'Autriche au profit de l'Italie qui marque un intérêt particulier à être présente dans cette région en participant notamment à son développement économique. Telle est donc la situation en 1912 à la veille de la première guerre balkanique. Pourtant six ans plus tard, à la suite du conflit mondial, le royaume de Monténégro Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 6 n'existe plus. Celui-ci se trouve intégré au sein du royaume de Serbie qui lui-même s'associe aux autres Slaves du Sud pour former le royaume S.H.S., dont le nom ne fait aucune mention à l'ancien royaume monténégrin. Comment expliquer cet état de fait alors que le Monténégro en tant que pays Alliés fait partie des vainqueurs. Cette question nous amène donc à nous poser le problème de savoir dans quelles conditions s'est déroulée son intégration dans le royaume S.H.S. S'agit-il d'une annexion ou d'une union librement consentie? Cette question oppose adversaires et partisans du rattachement a la Serbie. Pour les premiers, il s'agit, bien entendu, d'une annexion pure et simple par le royaume de Serbie, pays Allié, et ce, à l'encontre des règles internationales. Les seconds voient au contraire dans cette union avec la Serbie, le résultat d'une longue marche du peuple serbe vers l'unité depuis la disparition de l'Empire de Douchan. Cette union, librement consentie à travers des élections, ayant aussi pour but selon eux de sanctionner la politique personnelle d'un roi qui allait à l'encontre des intérêts pan serbes en trahissant notamment la cause Alliée. Les unionistes s'emploient en effet à justifier la destitution de Nicolas Ier par le fait que celui-ci aurait trahi la cause Alliée en livrant son pays a l'ennemi en janvier 1916 à la suite d'un traité secret. Le Monténégro n'aurait pas combattu loyalement aux côtes des Alliés. La pénible et confuse retraite serbe à travers les montagnes d'Albanie et du Monténégro ne facilite pas une vision claire des événements de janvier 1916. Au-delà de cette justification, le parti unioniste monténégrin n'est pas seul à réclamer l'union. Il bénéficie en cela du soutien financier et politique du premier pays concerné par cette union; la Serbie. Celle-ci en effet ne ménage pas ses efforts auprès des Alliés pour discréditer le petit royaume et donc ainsi faciliter son annexion. Elle s'y emploie à la fois ouvertement en refusant par exemple d'admettre le Monténégro aux pourparlers précédant la déclaration de Corfou, ou bien dans l'ombre en finançant le Comité Monténégrin pour l'Union Nationale dans ses campagnes de presse contre le roi et un Monténégro indépendant. Il importe donc de définir le rôle exact de la Serbie dans le processus d'intégration. Pourtant au-delà du rôle joué par la Serbie et du cas particulier du Monténégro, il convient de replacer le sort de ce petit pays dans le cadre plus vaste du jeu diplomatique des grandes puissances, notamment Alliées, dans les Balkans. Les choix diplomatiques de ces puissances ne sont pas sans révéler une certaine hypocrisie ou machiavélisme à l'égard du Monténégro. Si dans une première étape le roi Nicolas paraît maître de ce jeu, en tirant profit des divergences entre les puissances pour maintenir l'existence de son royaume jusqu'en 1914, il apparaît au contraire que durant la période qui nous concerne (1914-1921), le Monténégro ne devient plus qu'un simple pion de ce jeu, une simple monnaie d'échange pour les Grands. Le choix de cette période se justifie donc par le fait qu'elle marque un profond bouleversement de l'ordre établi pour les Monténégrins qui passent du statut d'indépendants à celui de membres d'un pays regroupant les différentes nations yougoslaves. 1914 marque le début de la Première Guerre Mondiale annonciatrice de changements, même si pour les pays balkaniques elle ne fait qu'une avec les Guerres Balkaniques, tandis que 1921 marque la fin du Monténégro sur le plan international Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 7 après les élections de la Constituante de Belgrade le 28 novembre 1920 et la mort du roi Nicolas le 1er mars 1921 à Antibes. Pourtant cette étude des politiques des différentes puissances dans les Balkans au cours de la guerre, à travers le cas particulier du Monténégro et de son intégration dans le royaume S.H.S. ne peut s'avérer nullement exhaustive. Elle ne concerne pour ainsi dire que les pays Alliés et principalement la France à cause des sources utilisées: archives diplomatiques françaises, ouvrages polémiques publiés dans les pays Alliés durant cette période. Des lacunes, des zones d'ombre persistent. Le fait de pas avoir pu incorporer à cette étude d'autres sources officielles; serbes, italiennes et principalement austro-hongroises et monténégrines ne me permettent pas de porter un jugement définitif sur les faits notamment reprochés au Monténégro durant les années 1915-1916, et donc sur sa trahison qui justifie pour une bonne part pour les unionistes la destitution de Nicolas en novembre 1918. La croissance graduelle, ce qui pourrait faire penser à un plan minutieusement préparé, des événements qui vont mener jusqu'à cette destitution et à la disparition du Monténégro en tant qu'état indépendant m'ont amené à opter pour un plan chronologique dans la réponse aux différentes problématiques évoquées ci-dessus. Tout d'abord la première étape consiste à mettre en place le décor des événements qui mèneront à cette disparition. Cette période voit le Monténégro prendre part au conflit aussi bien aux Guerres Balkaniques d'avant 1914 qu'à la Grande Guerre où après l'euphorie engendrée par une résistance inespérée succèdent le désastre, l'invasion et l'exil. La deuxième partie du développement tourne autour de ce dernier point qui nous mène de l'exil français à la victoire Alliée de 1918 en passant par les "intrigues monténégrines" et les rapports de plus en plus distendus entre la Serbie et le Monténégro. Enfin dans un troisième temps je m'attacherai à développer les conditions du rattachement du Monténégro au royaume S.H.S. de 1918 à 1921 à travers tout d'abord l'occupation du Monténégro, puis la résistance à l'annexion, pour enfin poser le sort du Monténégro comme un problème international pour les Alliés. Notes 1. Paul Garde, Vie et mort de la Yougoslavie, 1992, p 216 2. Région située au nord du vieux Monténégro. 3. Dicton monténégrin cité par Augustin Rey, La question des Balkans devant l'Europe, le Monténégro à travers l'histoire, 1916, p 2 4. Région de Ipek (aujourd'hui Pec) située au Nord-est du Monténégro. 5. Chef de village serbe, puis par extension prince. 6. Aujourd'hui Istanbul en Turquie (Constantinople en 1914) 7. Skadar en Serbe, aujourd'hui Shkodër en Albanie. 8. Raska en Serbe, principauté qui préfigure l'actuelle Serbie. 9. Chef de tribus serbe. au Moyen Âge. 10. Aujourd'hui Cetinje. 11. Impôt de capitation payé par les non musulmans de l'Empire ottoman. 12. Titre de prince-évêque du monténégro de 1516 à 1851. 13. Autre nom donné à l'Empire ottoman 14. Kotor en Serbe. 15. Seigneur. Titre des princes de Moldavie et de Valachie (actuelle Roumanie), repris par le prince de Monténégro lors de son couronnement royal en 1910. 16. Aujourd'hui Niksic et Podgorica (ancienne Titograd entre 1946 et 1992, capitale de la république populaire du Monténégro). 17. Aujourd'hui Bar et Ulcinj. 18. Lors d'un toast d'Alexandre III à Peterhof en 1890, en l'honneur de Nicolas Ier, le tzar dira de lui qu'il est "son seul et unique ami". Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 8 Première partie Le Monténégro dans le conflit (1914-1916) Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 9 Cette première partie qui s'étale d'août 1914 à janvier 1916 a pour but de mettre en place les événements qui annoncent ceux qui sont à venir pour le Monténégro jusqu'en 1921. On y voit le Monténégro prendre part au conflit mondial en tant que pays Alliés aux côtes de la Serbie dans les Balkans. Clairement engagé dans ce conflit; le Monténégro participe à l'effort de guerre serbe pour résister à la première offensive austro-hongroise ou bien pour prendre part a la contre-offensive serbe de septembre 1914 qui mène les troupes serbo-monténégrines jusqu'aux faubourgs de Sarajevo. Cet effort n'en reste pas moins vint et voit les deux seuls pays Alliés balkaniques succomber à l'offensive des Empires Centraux auxquels s'est joint la Bulgarie. On peut trouver deux types de raisons à ce désastre qui a profondément marqué les opinions publiques Alliées de l'époque. Tout d'abord un certain désintérêt pour ne pas dire un désintérêt certain des grandes puissances Alliées pour ce front d'Orient qui a été le détonateur du conflit, mais pour lequel aucun plan n'était prévu par les états-majors, les gouvernements Alliés n'ayant même pas de politique balkanique précise. La deuxième raison est plus en relation avec la situation des Balkans avant 1914 et les conditions dans lesquelles les pays balkaniques entrent dans ce conflit. Ils sont pour la plupart exsangues après deux années de conflit. C'est pourquoi, malgré les limites chronologiques de cette première partie, on ne peut passer sous silence ces deux années des Guerres Balkaniques qui pour tous ces pays ne font qu'un avec le premier conflit mondial. I. La situation des Balkans en 1914 A. La Ligue Balkanique On voit souvent dans ce conflit localisé que constituent les Guerres Balkaniques comme une sorte de dernière répétition où se heurtent par alliés interposés les différents impérialismes européens avant la déflagration de 1914. N'y voir que cet aspect serait inexact, pourtant les grandes puissances ne sont pas absentes dans ce conflit. Si elles n'y participent pas directement, elles n'en ont pas moins un rôle actif sur le plan diplomatique. Et à ce titre, le rôle de la Russie est assurément le plus important. Affaibli par sa défaite dans le conflit qui l'opposait au Japon, ainsi que par la révolution de 1905, l'Empire russe n'avait pu répondre à l'annexion de la BosnieHerzégovine. La diplomatie russe était humiliée. La désagrégation lente de l'Empire ottoman va permettre à la Russie de pouvoir reprendre part au jeu diplomatique et de tenir ainsi sa revanche. En effet, la révolution jeune-turque de 1908 [1] qui avait suscité de nombreux espoirs chez les différents peuples qui composent l'Empire, à travers notamment l'octroi d'une constitution, avait très vite déçu ceux-ci. Le résultat était tout autre. Une fois installés au pouvoir les membres du Comité Union et Progrès dévoilèrent leur programme. Leur but était de renforcer l'élément turc au sein de l'Empire, aux dépens des autres nationalités, pour le consolider et éviter ainsi toute désagrégation. Cette politique nationaliste de "turquisation" qui se traduisait par la fermeture des écoles de langue nationale, l'installation de colons turcs dans les régions insoumises, provoqua une recrudescence de l'agitation nationaliste chez les populations dominées et notamment en Macédoine des 1910 [2]. Région à population très hétérogène, la Macédoine suscite la convoitise des petits états balkaniques. Ces appétits divergents Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 10 avaient déjà conduit les grandes puissances à calmer le jeu, en envoyant en 1904 une gendarmerie internationale avec promesse de la Porte d'engager des réformes. Celleci était restée sans suite. Mais en 1911 la situation pour l'Empire ottoman est tout autre. En effet, l'Empire se trouve aux prises avec un autre problème. La Turquie doit faire face à une guerre qui l'oppose à l'Italie depuis le 29 septembre au sujet de la Libye [3]. Guerre qui au contraire des prévisions italiennes se prolonge. Ce qui oblige ce pays en février 1912, à porter le conflit dans la Méditerranée orientale, aux portes de la Turquie (occupation des Îles du Dodécanèse [4], attaque des détroits), pour forcer l'Empire à céder. Au contraire les pays balkaniques se trouvent dans de bonnes conditions pour imposer leurs vues. Tout d'abord la Serbie qui veut effacer l'humiliation de 1909 lorsqu'elle avait dû reconnaître l'annexion de la BosnieHerzégovine, ensuite la Grèce qui s'est donné pour chef de gouvernement, le chef du mouvement nationaliste grec de Crète; Venizélos [5], et enfin la Bulgarie qui considérait les Macédoniens comme des Bulgares [6]. Face à cette opportunité que représente la guerre italo-turque pour les États balkaniques et la Russie, oblige cette dernière à faire des choix. Ou bien suivre la ligne préconisée par Tcharykov l'ambassadeur à Constantinople [7] qui propose de profiter des difficultés turques pour reposer la question des détroits [8] en proposant à la Porte une alliance protectrice qui garantirait le statu quo dans les Balkans contre un libre passage de la flotte russe dans les détroits. Ou alors suivre l'avis d'Hartwig, ministre russe à Belgrade qui soutient les aspirations des jeunes États balkaniques dont la Russie pourrait se faire une clientèle contre les prétentions autrichiennes. Face au désintérêt français uniquement préoccupé par la crise marocaine, ainsi qu'à la politique de la sourde oreille de la Porte à toutes propositions russes, la Russie décide d'opter pour la deuxième solution en facilitant les négociations entre les différents prétendants à l'héritage européen de l'Empire ottoman. Dès l'automne 1911, en pleine guerre italo-turque, les dirigeants Serbes et Bulgares sous le patronage des représentants russes dans les deux capitales négocient les conditions d'un futur partage. Ces négociations commencent le 11 octobre 1911 à Belgrade par un entretien entre le président du conseil bulgare Guéchov et le chef de gouvernement serbe Milovanovitch, puis se poursuivent à Sofia. Celles-ci sont difficiles et buttent notamment sur les conditions du partage. Mais grâce à l'arbitrage russe et à la pression nationaliste des Chrétiens de l'Empire en but à la "turquisation", les deux gouvernements s'entendent et signent un traité le 12 mars 1912. C'est en apparence une alliance défensive contre toute tentative d'annexion d'un territoire balkanique soumis à la Turquie par un tiers (l'Autriche-Hongrie). Mais une annexe secrète prévoit une guerre offensive "au cas où des difficultés intérieures ou extérieures, avec lesquelles la Turquie se verrait aux prises, mettraient en cause le maintient du statu quo dans la péninsule des Balkans." Ce même traité fixe les conditions du partage de la Macédoine en laissant à l'arbitrage du tzar une zone contestée de part et d'autre du Vardar [9]. En même temps la Bulgarie négociait avec la Grèce. Les négociations aboutissent à la signature d'un traité le 29 mai 1912. Celuici prévoit une alliance défensive contre la Turquie, mais ne fait aucune mention sur les clauses territoriales; les deux capitales convoitant Salonique [10]. Ainsi prend naissance la deuxième Ligue Balkanique après la tentative avortée de 1865-1868 après l'assassinat du prince Mihailo [11] à Belgrade. Enfin le Monténégro sans signer d'accord Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 11 avec les trois autres pays leur fait savoir son intention de les assister dans l'éventualité d'un conflit. B. Les Guerres Balkaniques L'éventualité d'un conflit quant à elle devient de plus en plus évidente. Or la Russie qui a parrainé ces négociations est au courant de toutes les étapes de ces négociations, elle sait donc que dans l'esprit des différents gouvernements, cette Ligue n'a qu'un seul but: la guerre. Après les avoir encouragés, la diplomatie russe va donc s'efforcer de calmer les états slaves et ce même si elle reçoit le soutien mesuré de la France qui ne veut pas affaiblir la Triple Entente [12]. Ainsi Sazonov, le ministre des affaires étrangères russes, recommande-t-il à la Bulgarie dès le lendemain de la signature des accords de mener "une politique réfléchie" [13] il réitérera ces conseils de prudence le 29 août. En fait la Russie ne peut plus reculer devant ce mouvement qu'elle a elle même contribué à lancer. De plus, les conditions risques de ne plus être aussi favorables pour les Balkaniques puisque depuis juillet, le gouvernement ottoman est en pourparlers avec l'Italie. Il leur faut donc agir. À l'automne 1912, les Balkaniques ont terminé leurs préparatifs. Depuis plus de six semaines, les chancelleries des deux blocs, connaissant la détermination de la Ligue, s'agitent pour chercher des solutions garantissant le statu quo. Peine perdue, les Balkaniques décidèrent d'agir seuls. Le 30 septembre 1912 prenant prétexte de mouvements de troupes en Turquie, ils décident la mobilisation générale et exigent par ultimatum d'importantes réformes dans l'administration de la Macédoine. Constantinople concentra ses troupes et fit la sourde oreille jusqu'au 8 octobre, date à laquelle le Monténégro sous prétexte de rétablir l'ordre, envoie son armée en Albanie du Nord [14]. Une semaine plus tard, après avoir signé la paix d'Ouchy avec l'Italie pour ne pas avoir à combattre sur deux fronts, la Porte priait les représentants serbe et bulgare de quitter la capitale. Le 18 la guerre était déclarée à ces deux pays tandis que la Grèce, au nom de l'Enosis [15], rejoignait ses alliés. Les événements déjouèrent toutes les prévisions des experts des grandes puissances. Ceux-ci prévoyaient deux cas de figure. Ou une guerre longue et indécise qui se terminerait par une médiation des grandes puissances car l'Autriche-Hongrie n'accepterait jamais un agrandissement de la Serbie. Ou bien pour la plupart d'entre eux, une rapide victoire des armées du sultan organisées et équipées par les Allemands. Mais les armées balkaniques étaient plus nombreuses que celles des Ottomans qui devaient aussi veiller à la sécurité de l'Empire dans le Caucase face a la Russie et en Arabie face à l'agitation des Arabes. En trois semaines, la guerre connaissait son dénouement, il s'agissait pour ces peuples d'une véritable guerre de libération nationale. Les Bulgares eurent à supporter le principal effort de guerre. Engageant 200 000 combattants, leur offensive suivit deux axes. Le premier en Thrace orientale [16] en direction de Constantinople où après la victoire de Luleburgaz [17] le 24 octobre, ils mettent le siège devant Andrinople [18] avant d'arriver a 50 km de Constantinople. Le second se fait en direction de la mer Égée et de la Struma [19]. Ils atteignent Salonique mais 24 heures après les Grecs, ce qui les privait de l'administration de la ville. L'armée de Georges de Grèce occupait l'Épire [20] vers Janina [21] et s'était emparée de Salonique le 8 novembre. Quant à sa marine empêchant la venue de renforts turcs du Proche-orient, elle occupait les îles Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 12 de la mer Égée. Pendant ce temps, les Serbes descendant vers la Macédoine remportaient la victoire de Kumanovo [22], puis poussaient vers Monastir avant de traverser le pays albanais en direction de Durazzo [23] et avec l'aide des Monténégrins occupaient le Sandjak de Novi-Pazar, tandis que ceux-ci mettaient le siège devant Scutari. L'Empire ottoman était pour ainsi dire presque entièrement rejeté d'Europe. L'ampleur et la rapidité de la victoire des Balkaniques inquiétèrent les chancelleries. Pour les Russes les victoires bulgares qui menaçaient Constantinople et les AustroHongrois qui voyaient les Serbes se rapprocher de l'Adriatique, le conflit avait assez duré. D'autant plus que le nouveau grand vizir, anglophile, se tournait vers Londres pour demander une médiation. Le 3 décembre, un armistice était signé et les représentants des belligérants ainsi que ceux des grandes puissances se retrouvaient à une Conférence des Ambassadeurs à Londres. Devant les exigences des États chrétiens, les Turcs se cabrèrent et un coup d'état mené par Enver Pacha [24] le 23 janvier 1913 chassa le gouvernement et donna le pouvoir à un triumvirat militaire germanophile. Le conflit reprenait donc le 3 février 1913. Mieux préparés les Turcs résistèrent, mais ne purent faire face au nombre. Andrinople tombait le 28 mars, Janina était prise le 6 mars par les Grecs, tandis que les Monténégrins prenaient Scutari alors que les grandes puissances voulaient l'accorder au nouvel état albanais qui s'était déclaré indépendant le 28 novembre 1912 pour contrer les ambitions de ses voisins. Ils résisteront six semaines aux pressions des grands pour qu'ils évacuent la ville. Le 16 avril, les hostilités cessèrent et tous se retrouvèrent de nouveau à Londres. La Turquie devait céder aux Balkaniques tous ses territoires européens à l'Ouest de la ligne Enos-Midia en Thrace ainsi que la Crète. Le sort de l'Albanie et des îles de la mer Égée était renvoyé à la décision des grandes puissances. Le partage des dépouilles va s'avérer plus difficile. Les accords antérieurs apparaissent insuffisants. Les Bulgares en tant que principal belligérant réclament la partie contestée de la région du Vardar, tandis que les Serbes qui occupent le terrain, la réclame comme compensation, après l'indépendance de l'Albanie. Les Bulgares s'opposent aussi aux Grecs sur le sort de Salonique. Les Roumains quant à eux réclament la Dobroudja [25] à la Bulgarie comme compensation à sa renonciation à ses Valaques de Macédoine [26]. Confiante dans son armée, la Bulgarie ne veut pas céder, c'est elle qui a fourni le principal effort de guerre contre les Turcs. Au-delà de ces divergences entre les différents États balkaniques, ce sont Vienne et Saint-Petersbourg qui s'opposent. La première voudrait mettre un terme à la Ligue Balkanique qui s'apparente pour elle à un encerclement par le flanc sud, par la Russie. Celle-ci au contraire voudrait la maintenir pour asseoir son influence diplomatique dans les Balkans. Les deux capitales regardent donc avec préoccupation la perspective d'une guerre entre les anciens alliés. Ainsi l'Autriche-Hongrie s'emploiet-elle à soutenir en sous-main les prétentions bulgares pour affaiblir la Serbie. En cas de victoire serbe dans un conflit serbo-bulgare, le chef d'état-major Conrad von Hötzendorf [27] a même envisagé une action contre la Serbie. La Russie au contraire s'emploie elle, à refroidir les ardeurs et demande aux gouvernements grec et serbe de revenir sur leur alliance défensive du 1er juin, dirigée contre la Bulgarie et de se soumettre à l'arbitrage russe. Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 13 Face à la pression de son opinion publique Ferdinand Ier de Bulgarie décide avec l'aide de son chef d'état-major Savov et sans en avertir son chef de gouvernement alors à Saint-Petersbourg, de prendre les devants et ordonne dans la nuit du 29 au 30 juin de repousser les lignes serbo-grecques. La Turquie en profite pour reprendre les hostilités et reprend Andrinople le 22 juillet. Les Serbes et les Grecs passent le Vardar et marchent sur Sofia, tandis que les Roumains entrent en Bulgarie le 10 juillet. Lâchée par l'Autriche-Hongrie qui n'a pu obtenir le soutien de ses alliés allemands et italiens pour le plan de Conrad von Hötzendorf, la Bulgarie demande la médiation de la Russie. En vain, les rancœurs sont là, les Grecs et les Serbes veulent en finir avec les Bulgares. La Bulgarie est écrasée, Sofia est menacée, c'est ce moment que choisit Bucarest pour arrêter les victoires serbes et grecques, et décide l'ouverture des négociations. L'armistice est signé le 31 juillet et le 10 août 1913 le traité paix de Bucarest concrétise la défaite bulgare. C. Une paix précaire Le traité de Bucarest entérine donc, pour le moment, les profonds changements que vient de subir la péninsule Balkanique et qui voient la Turquie rejeter hors d'Europe, sauf un petit morceau de la Thrace orientale avec Andrinople qu'elle a reprise aux Bulgares lors de la deuxième guerre balkanique, et ce après plus de cinq siècles de présence en Europe, allant même jusqu'aux portes de Vienne. Le partage des dépouilles qui avait conduit à la dislocation de la Ligue se fait au détriment de la Bulgarie. De ses victoires, la Bulgarie ne gardait que la Thrace occidentale ce qui lui offrait un débouché à Dédé-Agatch [28] sur la mer Égée ainsi qu'un lambeau de la Macédoine correspondant à la vallée de la Struma. Elle ne gagnait que 400 000 habitants, alors que, par la même occasion, la Grèce en gagnait quatre fois plus et recevait l'Épire et toute la Macédoine du Sud avec notamment Salonique. La Serbie quant à elle voyait sa population augmenter de 1.2 millions d'habitants grâce à ses acquisitions en Macédoine avec toute la vallée du Vardar ainsi que Monastir [29], tandis qu'elle occupait une partie du Sandjak de Novi-Pazar, qu'elle partageait avec le Monténégro qui lui était obligé d'évacuer sa capitale médiévale, Scutari qui était allouée au nouvel état albanais [30]. La Roumanie, la dernière arrivée dans ce dépeçage, recevait en compensation la Dobroudja du Sud. Victorieuses sur le papier et sur les cartes, les Guerres Balkaniques n'en furent pas moins désastreuses pour les états de la région. Tous ces états étaient désormais séparés par des accusations d'atrocités [31] et des haines réciproques. De nouveaux types d'alliance se préfiguraient. D'un côté, une Bulgarie irrédentiste voulant récupérer contre les Serbes, ses Macédoniens, contre les Grecs, la ville de Salonique et la Thrace tout entière et enfin contre les Roumains, la Dobroudja du Sud. De l'autre des peuples qui ne s'aimaient guère; Serbie, Grèce et Roumanie, devenaient des alliés naturels pour défendre ce nouveau statu quo. Tandis que la Turquie esquissait un rapprochement avec la Bulgarie face aux prétentions helléniques dans la mer Égée. Cette victoire des Balkaniques qui avait d'abord surpris les Grands n'en touchait pas moins à leurs intérêts dans la région. Ils y trouvaient néanmoins, la possibilité d'esquisser de nouvelles alliances. Tout d'abord les Centraux [32] qui avaient subi une Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 14 défaite diplomatique, voyaient dans la dislocation de la Ligue Balkanique un moyen de reprendre du terrain. À cet effet l'Allemagne qui avait perdu de son prestige dans la défaite des armées turques équipées par elle renforça sa présence dans l'Empire ottoman qui lui basculait clairement dans le camp des Empires Centraux pour faire pièce aux ambitions russes sur les détroits. De plus ceux-ci trouvaient dans la Bulgarie flouée de sa victoire, un allié possible pour contrer les appétits de la Serbie qui risque de devenir le pôle attractif de tous les slaves du sud, y compris ceux qui habitent l'Empire des Habsbourg [33]. Ce rapprochement austro-bulgare a pourtant une autre conséquence. En effet, la Roumanie gouvernée par un Hohenzollern [34], jusqu'ici tournée vers la Triplice se détache de celle-ci, car il existe maintenant un contentieux territorial entre elle et la Bulgarie qui est entrée dans la clientèle des Centraux. Autre point négatif pour la Triplice [35], la Grèce, dont le nouveau roi Constantin Ier est réputé germanophile, mais qui ne peut ignorer les contentieux qui l'opposent à la Bulgarie et à la nouvelle Albanie voulue par l'Autriche et l'Italie. Cette dernière quant à elle se rapproche de la Triple Entente, et ce même si elle regarde d'un mauvais œil tout agrandissement de la Serbie en direction de l'Adriatique, puisqu'elle est maintenant en conflit avec la Turquie au sujet des Îles du Dodécanèse qu'elle continue d'occuper "provisoirement" le temps de pacifier la Tripolitaine. Pour l'Empire russe, cet épisode est un demi-échec. Si elle reste toujours la protectrice de la Serbie et du Monténégro et si elle voit dans la Roumanie et la Grèce des possibilités de rapprochements futurs, il n'en reste pas moins que la Ligue Balkanique qu'elle avait contribuée à mettre en place n'existe plus. Elle perd de son influence sur la Bulgarie, tandis que le problème des détroits reste toujours posé, surtout après l'envoi de la mission allemande de Liman von Sanders [36] à Constantinople. Tout au plus peut elle compter sur le soutien de la France qui dans ce conflit a préféré opter pour les états balkaniques plutôt que de maintenir l'intégrité territoriale de la Turquie. Frustrations chez les Balkaniques, frustrations chez les Grands, principalement chez les Centraux, cette paix qui est mise en place à Bucarest paraît bien précaire et annonce les défections et les alliances futures qu'engendrera la Première Guerre Mondiale. Notes 1. Association d'officiers et de fonctionnaires réformateurs turcs fondée à Salonique et qui parvient à prendre le pouvoir en renversant le sultan Abdoul Hamid II. 2. Région centrale de la péninsule des Balkans où l'on retrouve toutes ethnies qui peuple cette même péninsule. Terrain de rivalité entre les différents États nationaux de la région, elle est un foyer perpétuel d'agitation. Ce qui a conduit les Grandes Puissances a y envoyé une gendarmerie internationale en 1904. 3. Dans le cadre de sa politique d'expansion coloniale, l'Italie a entrepris la conquête de la dernière possession ottomane en Afrique du Nord en 1911. 4. Ensemble d'îles situées entre la Crète et la Turquie continentale et comprenant notamment Rhodes. Elles resteront possession italienne jusqu'à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Le traité de Paris (1947) consacrera le rattachement du Dodécanèse à la Grèce. 5. Homme d'État grec, chef du mouvement national grec en Crète (alors sous domination ottomane). Il profite de l'annexion de la Bosnie-Herzégovine en 1908 par l'Autriche-Hongrie, pour opérer le rattachement de l'île à la Grèce. Président du conseil grec en 1910, il est contraint par le roi Constantin Ier à démissionner en 1915 car, contrairement à ce dernier, il est favorable à une intervention aux côtés des Alliés. Il forme alors un gouvernement républicain à Salonique (alors sous contrôle des Alliés). À la faveur d'un coup de force de ces deniers (abdication en 1917 de Constantin au profit de son second fils Alexandre) il revient au pouvoir et fait entrer la Grèce dans le conflit aux côtés des Alliés. Il restera au pouvoir jusqu'en 1920. Il y reviendra entre 1928 et 1933. Il mourra en exil en France. Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 15 6. "Mes Bulgares ne me pardonneraient pas la ruine de leurs espérances nationales" déclaration du roi Ferdinand au ministre français à propos des Macédoniens in Pierre Renouvin, La crise européenne et la première guerre mondiale, 1969, p 171 7. Aujourd'hui Istanbul 8. Problème du droit de passage pour la flotte russe (entre la mer Noire et la mer Égée) et du contrôle des détroits (Dardanelles et Bosphore) 9. Fleuve macédonien qui débouche à Salonique. 10. Aujourd'hui Thessalonique en Grèce. 11. Ou Michel Obrénovitch, prince de Serbie de 1839 à 1942 et de 1860 à 1869. Il meurt assassiné. 12. Alliance entre la France, la Russie et le Royaume-Uni. 13. Pierre Renouvin, La crise européenne et la première guerre mondiale, 1969, p 173 14. Le Monténégro avait déjà soutenu en 1911 le mouvement insurrectionnel de la tribu albanaise catholique des Malissores en Albanie du Nord. 15. Terme employé par le mouvement national grec et évoquant le rattachement des "territoires grecs" (là où vivent ou ont vécus des Grecs) à la Grèce. Venizélos était le leader de ce mouvement. Lorsque certains nationalistes grecs aujourd'hui réclame le rattachement de Chypre à la Grèce, ils se réclament de ce mouvement. 16. Région du Sud-Est des Balkans, comprise entre les mers de Marmara et Égée et la chaîne de montagne du Rhodope. Elle est aujourd'hui partagée entre la Grèce, la Turquie et la Bulgarie. 17. Ville turque située en Thrace orientale entre Andrinople et Constantinople. 18. Aujourd'hui Edirne en Turquie 19. Fleuve à l'Est de Salonique. 20. Région du Nord-ouest de la Grèce, à la frontière avec l'Albanie. 21. Aujourd'hui Ionnina en Grèce. 22. Vengeant ainsi la défaite de Kosovo-Polje de 1389. 23. Durrës en Albanais. 24. Général ottoman, leader du mouvement "Jeunes-Turcs" et donc de facto menant la politique ottomane après 1913. Il lui donna un tournant résolument germanophile, au point d'engager son pays dans la Première Guerre Mondiale aux côtés des Empires Centraux en 1914. Considéré comme responsable de la défaite de 1918, il s'enfuit à Berlin puis à Moscou auprès des Soviets. Déçu par ces derniers, il prend la tête d'un mouvement pan-turc anticommuniste en Asie centrale, mais sera tué au cours d'un combat avec l'Armée Rouge. 25. Région située entre le Danube et la mer Noire, à cheval aujourd'hui entre la Bulgarie et la Roumanie. 26. Maréchal autrichien, chef de l'état-major de 1912 à 1917. Il démissionne en 1917 à la suite de différents avec le nouvel empereur Charles Ier au sujet des plans depaix de ce dernier. 27. Population pastorale et nomade de langue latine proche du roumain. 28. Aujourd'hui Alexandroupolis en Grèce. 29. Aujourd'hui Bitola au Sud-ouest de la Macédoine près de la frontière grecque. 30. Lors de la Conférence de Londres qui mettait un terme à la première guerre balkanique, les Grandes Puissances (notamment l'Italie et l'Autriche-Hongrie) ont imposé la création de l'Albanie face aux appétits de ces voisins, sanctionnant ainsi la déclaration d'indépendance du 28 novembre 1912 (congrès de Vlöre ou Valona). 31. Voir à ce titre l'ouvrage publié par la Fondation Canergie pour la paix internationale, Enquête dans les Balkans, Paris, Ed. Georges Crés et Cie, 1914, 496 p. 32. Terme qui désigne tout d'abord les empires allemand et austro-hongrois (qui recouvre l'Europe centrale), puis durant le premier conflit mondial ces mêmes pays et leurs alliés (Empire ottoman et Bulgarie). 33. Dynastie régnante en Autriche-Hongrie. 34. Famille régnante du royaume de Prusse et de l'Empire allemand. 35. Alliance issue du système bismarckien visant à isoler la France après 1870 et réunissant l'Allemagne, l'AutricheHongrie et l'Italie. Elle s'oppose en cela à la Triple Entente. 36. Mission allemande de réarmement et d'entraînement de l'armée ottomane dans le cadre de la coopération lancée par Enver Pacha entre les deux empires. Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 16 II. L'entré en guerre Moins d'un an après le traité de Bucarest, le geste d'un étudiant serbe allait entraîner les Balkans, puis le monde dans un conflit qui devait durer plus de quatre ans. Dans cette première phase du conflit qui s'étend d'août 1914 a l'entrée en guerre de la Bulgarie le 14 octobre 1915, les pays Alliés dans cette région, c'est-à-dire la Serbie et le Monténégro, après la surprise, réussissent à prendre l'initiative et enfin, à offrir une résistance inespérée en stabilisant le front face aux troupes austro-hongroises. Ces deux pays sont pourtant sortis exsangues de ces Guerres Balkaniques; destructions, pertes humaines, endettement, de plus ils doivent financer le processus d'intégration des territoires nouvellement conquis. Pays pauvre par excellence dans une région elle-même pauvre, le Monténégro se voit donc confronté à des difficultés quasi insurmontables. C'est pourquoi avant d'évoquer sa participation au conflit aux côtes des Alliés, j'essayerais de dresser un bilan sur sa situation avant le début des hostilités. A. La situation du Monténégro en 1914 La Conférence des Ambassadeurs de Londres qui marque la fin de la première guerre balkanique entérine les agrandissements territoriaux du Monténégro sur la Turquie. À ce titre, le petit royaume reçoit la partie sud-ouest du Sandjak de Novi-Pazar ainsi que la Metohija. Cette dernière qui est une riche plaine agricole accroît considérablement la surface cultivable du pays puisque la majeure partie du Monténégro était composée jusqu'ici par des plateaux karstiques stériles en façade maritime, tandis que l'intérieur était composé de hautes montagnes [1] recouvertes de forêts denses (ce qui a valu au pays son nom). Le pays est agricolement pauvre, ses seules ressources sont constituées par ces forêts et l'élevage, notamment de porcs. Or l'agriculture est la seule véritable activité économique du pays puisque l'industrie y est inexistante et le commerce peu développé du fait de son relatif enclavement, et ce malgré le développement récent du port d'Antivari qui commerce avec l'Italie [2]. Ce pays est d'ailleurs le principal investisseur du pays [3], depuis que le Monténégro s'est tourné vers lui pour se dégager de la tutelle économique envahissante de l'Autriche-Hongrie. Cette agriculture défaillante et l'inexistence de manufactures sur le territoire nécessitent de nombreuses importations [4] et favorise l'émigration des Monténégrins à l'étranger, notamment les États-Unis d'Amérique. En 1904 ils étaient 4 000 à avoir émigrés, ils sont 21 000 en 1912. Par le transfert d'une partie de leur salaire, ils contribuent pour une bonne part au revenu de la nation [5]. Mais ces rentrées financières ne suffisent pas à assainir une situation budgétaire difficile qui aboutit le plus souvent à des déficits et oblige le royaume à emprunter. Les représentants Alliés au Monténégro n'avaient de cesse de le faire remarquer à leur gouvernement respectif "des aides puissantes et inlassables sont indispensables à ce pays pour assurer son existence économique. À lui seul il ne saurait subvenir à ses propres besoins" [6] ce à quoi il ajoute une remarque du ministre serbe "le Monténégro mourra un jour d'épuisement financier. La seule industrie connue ici est d'emprunter de l'argent." Pour les partisans de l'union comme Andriya Radovitch cette situation qu'il qualifie de désastre économique et financier justifie à elle seule l'union. Le Monténégro ne peut trouver son salut que dans l'union [7]. Les Guerres Balkaniques et les dépenses qu'elles ont occasionnées ont accru ces difficultés chroniques. Pour y faire face les Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 17 grandes puissances s'étaient engagées à garantir un emprunt de 40 millions de francs en échange du retrait des troupes monténégrines de Scutari. Le royaume ne pourra pas profiter de cet apport financier pour réorganiser les nouveaux territoires et assurer son développement puisque la guerre viendra contrecarrer ces projets. Si la situation économique suscite chez les partisans de l'union, des critiques, ils en attribuent le plus souvent la paternité à la politique menée depuis 54 ans par leur souverain Nicolas Ier. Ceux-ci le décrive le plus souvent comme un prince autocrate, menant une politique à "l'orientale", dilapidant les subsides russes au profit de sa propre personne ou de la dynastie, à l'occasion de fête comme celle de son jubilé au cours duquel il reçoit le titre de roi. Au pouvoir depuis 1860 Nicolas n'en a pas moins essayé de moderniser son pays; en ouvrant des écoles, des lycées et en octroyant en 1905 une constitution calquée sur la constitution russe de la même année. Mais encore une fois, ces réformes ne sont pour les unionistes qu'un leurre [8]. Cette constitution octroie au peuple une représentation parlementaire à travers une Skoupchtina [9] de 76 membres dont 14 nommés par le roi. Il est vrai que Nicolas s'est taillé une constitution à sa mesure et que malgré cela il n'hésitera pas à gouverner sans en tenir compte, lorsqu'elle n'entérine pas ses propres décisions. Ainsi il dissoudra la première Skoupchtina en 1907, jugée trop unioniste et interdira les partis politiques car "leur formation ne servirait qu'à diviser le peuple" [10]. Autocrate, paternaliste, Nicolas l'est sûrement, mais où trouver dans cette région un régime pleinement démocratique, où le souverain n'intervient pas directement dans la politique du pays. Le régime doit donc faire face à une certaine opposition interne qui pose le problème des relations avec le voisin serbe. Problème de plus en plus répandu depuis que ces deux pays ont acquis une frontière commune à la suite des Guerres Balkaniques; véritables guerres de libération nationale. S'il est un domaine qui a permis à la dynastie de perdurer jusqu'ici, c'est justement cette politique de lutte contre les Ottomans. Le crédit que conserve le roi auprès de ce peuple guerrier et essentiellement dû à son engagement incessant contre la domination turque; 1862, 1876 il soutient les révoltes en Herzégovine, en 1878 lors de l'intervention russe, en 1910-1911 en Albanie et enfin lors des Guerres Balkaniques. Mais ces guerres multiples n'ont pas été sans laisser des traces dans les effectifs de ce peuple guerrier. Il n'existe pas en effet dans ce pays de véritable armée régulière, il s'agit plutôt de milices, de "peuple en arme". Et les Guerres Balkaniques ont eu pour effet de décimer une bonne partie de ses effectifs [11]. Ainsi en 1912 réussit-il à mobiliser 40 000 soldats pour une population de 285 000 habitants, deux ans plus tard ils ne sont que 50 000 à prendre part au conflit alors que la population est passée a 435 000 habitants. Le pays est donc exsangue économiquement et humainement. Pourtant lorsque éclate la crise austro-serbe de juillet 1914, et ce malgré les divergences entre les deux états au sujet de l'union, le Monténégro s'engage résolument aux côtés de la Serbie. B. Le Monténégro dans le conflit L'attentat contre le prince héritier François-Ferdinand a très vite donné lieu à des arrestations dans les milieux nationalistes yougoslaves de la double monarchie. Celleci ne voulut pas s'arrêter aux lampistes et posa la question des responsabilités. Vienne conclut immédiatement à la responsabilité du gouvernement serbe. Il fallait en finir Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 18 avec la Serbie, et ce geste en fournissait le prétexte. Dans ce dessein, elle envoya un ultimatum, le 22 juillet au soir, au gouvernement serbe avec un délai d'expiration de deux jours. Le 25 la Serbie refusait un des points. Trois jours plus tard, Belgrade était bombardée. Le jeu des alliances aidant une semaine plus tard l'Europe était en guerre. Ne possédant pas d'accords avec la Serbie, le Monténégro décrétait quant même la mobilisation générale le 29 juillet et déclarait la guerre à l'Autriche-Hongrie le 8 août 1914. Aux vues des critiques du parti unioniste après la défaite à propos notamment de la trahison du Monténégro, cet engagement n'apparaît pas comme évident. Le Monténégro serait entré en guerre à reculons. C'est pourquoi il importe d'essayer de définir les conditions de son entrée en guerre. L'Autriche-Hongrie soucieuse de circonscrire le conflit ne ménagea pas ses efforts pour maintenir le Monténégro en dehors du conflit, ce qui explique notamment ce délai entre la mobilisation et la déclaration de guerre. Consciente qu'elle ne pouvait l'attirer dans son camp, elle essaya de lui acheter sa neutralité au pris de concessions territoriales en Albanie et même en Serbie dans l'autre moitié du Sandjak. Alors même que pour justifier la bonne fois de son action contre la Serbie auprès du gouvernement monténégrin, elle disait ne pas en vouloir à l'intégrité territoriale de la Serbie. Ces compensations territoriales auraient été accompagnées de compensations financières. Nicolas ne parut pas désintéressé par ces propositions, mais il lui fallait compter avec son opinion publique clairement engagée derrière la Serbie [12]. Dans le même temps, alors qu'il recevait des gages de bonne volonté de la part de Vienne, le disculpant de toute implication dans l'attentat, Nicolas s'empressait, lui aussi de donner des gages de bonne volonté à son petit-fils; le prince-régent Alexandre de Serbie [13], ainsi qu'au gouvernement serbe pour les assurer de son entier soutient. Il le fit par trois fois. Ainsi le fit-il lorsque Pachitch, le chef de gouvernement serbe, lui demanda conseil sur la réponse à donner à l'AutricheHongrie: "il est difficile de dire quelle réponse doit être donnée à l'Autriche-Hongrie. Notre opinion est d'obéir en tous aux conseils de la Russie. En tout cas, le Monténégro partagera aujourd'hui, comme toujours, le bien et le mal avec la Serbie. Votre sort sera le nôtre !" Ce à quoi il ajoute le même jour comme réponse à un télégramme de Pachitch qui lui demandait s'il pouvait compter sur son aide fraternelle et illimitée en cas de conflit, "la Serbie peut compter sur l'aide fraternelle et illimitée du Monténégro, en ce moment critique pour le peuple serbe, ainsi qu'en tout autre." Il adressa le même type de message à Alexandre "mes Monténégrins sont déjà prêts à la frontière à mourir pour la défense de notre cause commune et sacrée" [14]. Quelle politique jouait donc Nicolas; celle de l'entente avec la double monarchie ou bien celle de la défense de la race serbe? [15] La réponse n'est pas évidente. Il sait son pays démuni, sans argent, sans armes, sans munitions [16]. La neutralité n'est pas sans avantages ainsi se range-t-il derrière la position de la Russie. Si elle reste neutre, il restera neutre ce qui ne doit pas l'empêcher d'essayer de maintenir la paix. Il demandera à cet effet au gouvernement de Vienne de rallonger le délai de l'ultimatum. Mais des erreurs de la part du gouvernement austro-hongrois comme l'expulsion des citoyens monténégrins de Cattaro ou l'arrêt des communications télégraphiques entre les deux pays ainsi que l'entrée en guerre de la Russie, l'ont poussé à suivre les recommandations de la Skoupchtina qui réunit le 1er août demande au gouvernement royal de déclarer immédiatement la guerre à l'ennemi Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 19 séculaire [17]. Le 5, il remercie les représentants autrichiens et entre en guerre le 8. Dans son dernier entretien avec Hubka [18] le roi lui prétextera avoir tout fait pour sauver la paix, mais que tel était le destin [19]. Homme de paix convaincu, qui sait que son pays n'est pas près au conflit mais qui de toute façon s'engagera aux côtes des frères serbes, ou souverain habile qui cherche à jouer sur les deux tableaux mais qui sous la pression populaire, notamment des partisans de l'union, doit se soumettre et déclarer la guerre à la double monarchie? On ne peut répondre de manière définitive à cette question. Mais une fois le pays en guerre, celui-ci se rangea résolument aux côtes des Alliés, en participant aux opérations militaires contre l'Empire. Forte de 43 000 hommes auxquels vinrent s'ajouter 4 000 volontaires venus d'Herzégovine ou de Dalmatie, l'armée monténégrine est divisée en quatre colonnes avec chacune une mission précise: • la première colonne (groupe d'armée du Lovtchen) qui comprend 11 950 hommes est positionnée entre Dulcigno et Cattaro. Elle a pour but de défendre la côte et le mont Lovtchen qui surplombe la base navale autrichienne des Bouches de Cattaro. • la deuxième colonne (groupe d'armée d'Herzégovine) composée de 23 000 soldats entre Cattaro et le confluent de la Tara et de la Piva [20]. Elle a pour mission de défendre la frontière et de créer une diversion a l'offensive autrichienne en Serbie. • la troisième colonne (groupe d'armée de Plevlie) avec 5 580 hommes situés a la frontière avec la Serbie a pour but de soutenir l'armée serbe de Bosnie. • la quatrième colonne (groupe d'armée de Detchani) avec 6 300 soldats est chargée de surveiller la frontière albanaise. Bons combattants, les soldats monténégrins n'en sont pas moins sous équipés, avec un matériel quelque peu archaïque et qui a souffert des deux dernières guerres. Ils sont aussi, de par l'organisation tribale de cette armée ou milice qui regroupe tous les hommes de 18 a 63 ans, relativement indisciplinés ce qui n'ira pas sans poser des problèmes dans ce premier grand conflit moderne que représente la Première Guerre Mondiale. Sur demande Alliée, principalement de la Russie qui ne veut pas voir ses deux petits alliés se disperser [21], le haut commandement de l'armée monténégrine est confié au général serbe Yankovitch, assisté de nombreux autres officiers serbes dont le colonel Pechitch [22]. Cette arrivée provoque un changement de l'ordre de bataille; l'armée monténégrine devient alors le flanc gauche de l'armée serbe. À cet effet, la majeure partie des effectifs est dirigée vers le Sandjak. Ainsi: • la colonne du Lovtchen passe de 11 950 à 8 970 hommes et est commandée par le prince Pierre, le fils cadet du roi Nicolas. • la colonne d'Herzégovine, elle passe de 23000 à 9500 et est dirigée par le général P. Petrovitch. • la troisième colonne voit ses effectifs passer de 5580 à 22100 sous le commandement du général Y.Voukotich qui est aussi à l'époque le chef du gouvernement monténégrin. • l'effectif du groupe d'armée qui se trouve en face de l'Albanie reste inchangé et est confié au général Vechovitch. Dorénavant l'armée monténégrine se trouve incluse dans le dispositif de défense serbe et participe aux opérations de l'armée serbe. Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 20 Dans cette optique, après avoir contribué à la résistance serbe en immobilisant sur ses frontières des troupes austro-hongroises, l'armée du général Voukotich participe à la contre-offensive serbe en Bosnie en direction de Sarajevo dont elle atteindra les faubourgs (moins de 18 km) à la fin de septembre 1914. Cette contre-offensive qui avait été rendue possible par l'offensive russe en Galicie [23], marque un coup d'arrêt en octobre et les troupes serbo-monténégrines sont obligées de se retirer derrière la Drina à la suite de l'offensive du général croate Potiorek en Serbie ainsi qu'à cause de mutineries dans l'armée monténégrine. Une offensive russe dans les Carpates [24] et l'hiver viennent fixer le front qui ne variera plus jusqu'en octobre 1915. Tout comme en Occident le front se stabilise. Si les deux pays offrent une résistance inespérée aux Centraux, la situation sur le "front intérieur" se dégrade rapidement. Cette situation est en partie la cause des mutineries. Les Monténégrins sont des paysans-soldats et à ce titre supportent mal un éloignement trop long de leur foyer tandis que la pénurie touche leur famille. Ce à quoi s'ajoute une insécurité permanente due aux incursions de bandes albanaises ainsi qu'aux bombardements de la côte et des villes soit par la flotte, soit par l'aviation autrichienne. Tout ceci perturbant un ravitaillement du pays déjà difficile. Ces bombardements aériens du territoire monténégrin sont à l'origine d'une des autres "preuves" de la trahison du Monténégro pour Radovitch et les unionistes. L'augmentation de leur nombre à partir du début de l'année 1915 et notamment les cibles choisies; Antivari, Cettigné, Podgoritza et l'accroissement du nombre des victimes [25] ont poussé le prince Pierre à entrer en contact avec les Autrichiens de Cattaro pour obtenir un modus vivendi sur le bombardement des villes. À cet effet il rencontre le 29 mai à Budua [26], le colonel Otto Hubka ancien attaché militaire autrichien à Cettigné que l'on a pour l'occasion rapatrié de l'Isonzo [27] pensant que le gouvernement monténégrin avait des propositions à faire. Tel ne fut pas le cas, mais les bombardements aériens cessèrent sur les villes ouvertes jusqu'au 23 octobre de la même année. Les ouvrages polémiques défendant la cause de l'union reprirent cet événement pour en faire un des points de départ de la trahison de la dynastie. Ceuxci y voient notamment l'objet d'un marchandage entre les deux pays au cours duquel Pierre aurait vendu le mont Lovtchen contre l'occupation de Scutari 15 jours plus tard. Les preuves de cette trahison étaient encore plus évidentes à l'analyse de l'attitude du prince durant cette période, puisque celui-ci était en communication téléphonique avec Cattaro, distribuait à ces troupes des journaux autrichiens et faisait jouer l'hymne bulgare après la chute d'Usküb [28]. Ces accusations ne purent malheureusement, pour ces propagandistes, être prouvées. Si cet événement ne suscita pas de vives réactions de la part des Alliés, il en fut tout autrement du problème de la prise de Scutari par les troupes monténégrines pour assurer au pays un meilleur ravitaillement. C. Le Monténégro et les Alliés Le ravitaillement reste en fait le problème n° 1 pour le pays. En effet déjà déficitaire en temps de paix, en temps de guerre, celui-ci n'arrive même plus à fournir le minimum nécessaire du point de vue alimentaire. Pour ce pays donc, le blocus maritime mis en place par la flotte austro-hongroise dès le début du conflit, puisque le 8 août 1914 les Autrichiens bombardent Antivari [29], est catastrophique. Celui-ci obligera l'Italie encore neutre à suspendre le 3 octobre ses liaisons avec le Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 21 Monténégro et le port albanais de Saint-Jean-de-Médua [30]. Le Monténégro est alors coupé de l'extérieur. Ainsi, dès octobre 1914 les hôpitaux monténégrins ne sont plus chauffés [31]. Adossée à des montagnes difficiles à traverser, l'Adriatique était la seule porte d'entrée et de sortie du pays et les promesses de Paris n'y feront rien [32]. Ce problème est d'autant plus crucial que c'est de lui dont dépend la survie du Monténégro et donc son maintien dans le conflit. Mais voilà, le théâtre balkanique n'intéresse que très peu les états-majors Alliés et le Monténégro encore moins que d'autre: "plus encore que l'Albanie, ce petit pays ne peut avoir d'intérêt stratégique que par la suite de circonstances spéciales" [33]. Et en 1914 ces circonstances spéciales n'existent pas. Ainsi, en tout et pour tout le Monténégro ne reçu pendant toute la période d'août 1914 à janvier 1916 que 9 000 tonnes de marchandises diverses [34], et quelles fournitures; des vieux uniformes de pompier de Paris [35] mais en nombre insuffisant ce qui fait que l'on dut les partager entre les soldats. Le ravitaillement par mer étant devenu dangereux selon l'amiral Boué de Lapeyrère [36], il décida de faire transiter le ravitaillement du Monténégro par la Serbie via Salonique [37]. Ce à quoi la Serbie répondit favorablement. C'était pour elle le meilleur moyen de contrôler l'action du Monténégro en distribuant l'aide au comptegoutte et d'en accaparer une partie [38]. Ainsi le gouvernement serbe s'employa-t-il à prouver que le ravitaillement Salonique-Mitrovitza-Ipek-Andrievitza était possible [39]. On sait ce qu'il advint des troupes serbes sur ces "routes" lors de leur retraite. Le gouvernement monténégrin proposa alors de construire une route entre Ipek et Mitrovitza avec les prisonniers des Serbes, mais l'épidémie de typhus vint stopper les travaux ainsi que le ravitaillement en mars 1915. Privé de ravitaillement Allié par la mer, certains commerçants monténégrins n'hésitent pas à utiliser ce moyen pour acheminer leurs marchandises. Celles-ci sont débarquées à Saint-Jean-de-Médua sur des barques qui remontent ensuite sur la Boyana [40] qui débouche sur le lac de Scutari. Ce parcours près des côtes, en eaux peu profondes, interdit la venue des sous-marins autrichiens de la base de Cattaro. Ce trajet n'en est pas moins risqué. En effet Saint-Jean-de-Médua et la Boyana sont situés en territoire albanais, pays officiellement neutre, mais qui baigne dans l'anarchie tribale, après le départ du prince Guillaume de Wied et des experts internationaux [41]. Or cette région de l'Albanie du Nord est essentiellement composée d'albanais catholiques sur lesquels les agents autrichiens exercent leur influence notamment sur la tribu des Malissores [42]. Harcelant le sud du Monténégro, ceux-ci n'hésitent pas à entraver l'acheminement des marchandises sur la Boyana. Ainsi, cinq barques d'un commerçant de Podgoritza furent arrêtées par deux fois sur le fleuve et durent acquitter des taxes sous peine de confiscation [43] et ce à l'encontre des accords internationaux qui assuraient la libre circulation sur le fleuve sans droits de douane. Cet incident qui eut lieu en décembre 1914 ne fut que le premier d'une longue liste. Ainsi un sous-marin autrichien pénétra-t-il dans le port Saint-Jean-de-Médua le 20 mai 1915 et proposa aux Albanais la moitié d'une cargaison de céréales à destination du Monténégro si ceux-ci les aidaient à la capturer. Cette cargaison de 1 600 tonnes était d'autant plus importante qu'elle permettait de nourrir le Monténégro pendant un mois [44]. Et l'on pourrait multiplier les exemples. Cette situation qui accroît la pénurie ne fait qu'irriter de plus en plus la population et les militaires à l'encontre des Albanais. Ainsi, selon le roi, des soldats monténégrins Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 22 menaceraient de quitter leur poste pour aller prendre les marchandises bloquées en Albanie [45]. Réalité ou tentative de chantage du roi pour engager une action en Albanie? Toujours est-il que cette situation lui fournit un bon prétexte. D'autant plus que le gouvernement de Durazzo [46] d'Essad Pacha [47] lui aurait offert d'occuper Scutari et sa banlieue pour éliminer les tribus pro-autrichiennes contre lesquelles il combat [48]. Cependant, le roi est au courant des réticences que provoquerait une telle occupation chez ses Alliés russe, britannique, serbe et principalement italien qui a des visées sur toute l'Albanie. Cette attitude à tenir à l'égard de l'Albanie et de l'éventualité d'une occupation de Scutari va d'ailleurs provoquer une crise ministérielle au sein du gouvernement royal entre le ministre des affaires étrangères Pierre Plamenatz et les autres ministres partisans d'une intervention en Albanie. Cependant et malgré l'avis contraire des Grands, le Monténégro occupe Scutari le 14 juin 1915. Cette action est immédiatement perçu comme une provocation du gouvernement monténégrin. Ainsi les Italiens qui jusqu'ici étaient en tractation avec les Monténégrins pour des actions sur la côte dalmate, pour contrer les Serbes [49] y voient une collusion entre le Monténégro et la double monarchie après l'entrevue de Budua. Le ministre [50] italien à Cettigné, de Negretto, va même jusqu'à prétendre que, par cet accord, le Monténégro s'engagerait à cesser les hostilités effectives [51]. Les Serbes reprennent ses accusations, tel le général Yankovitch, le chef d'état-major du Monténégro à son retour auprès du gouvernement serbe à Nich [52]. Pourtant ces deux pays omettent de signaler que tous les deux sont déjà présents sur le sol albanais. Les Italiens à Valona [53] et ce depuis le début 1915 [54] alors qu'ils étaient encore neutres et les Serbes quant à eux occupent la ville d'Elbassan [55] à l'Est de Tirana, tandis que la Grèce autre pays neutre occupe l'Épire du Nord. Toutes ces occupations se sont faites sans soulever de protestations internationales. Toutes ces accusations seront reprises par les unionistes pour prouver la trahison et démontrer que la politique personnelle du roi allait à l'encontre des intérêts alliés en dégarnissant le front nord au profit d'une aventure territoriale en Albanie sans accord avec l'état-major serbe. C'est pourtant le général Yankovitch qui demanda le transfert de trois bataillons sur la frontière albanaise [56]. De plus ce même haut commandement fut obligé de reconnaître que cette opération n'avait pas prélevé, à moyen terme, de troupes sur le front nord, bien au contraire. Ainsi au moins d'août 1914 le front nord disposait de 36 204 hommes en juillet 1915, après l'opération de pacification de la frontière albanaise, ils étaient 42 544. Alors que dans le même temps la quatrième colonne affectée à la surveillance de la frontière albanaise passait de 7 601 a 4 739 hommes. Cette atmosphère de suspicion à l'égard du Monténégro eut pour conséquence de remettre en cause l'approvisionnement du pays. Prenant prétexte de la prétendue duplicité du roi, les gouvernements italien et anglais décidèrent de suspendre leur aide. Ainsi le comte Salis, représentant du Royaume-Uni à Cettigné, décide son gouvernement à suspendre l'aide au Monténégro et à ne plus prendre en charge le rapatriement des réservistes monténégrins d'Amérique [57]. Cette même attitude est suivie par le gouvernement italien qui décide de bloquer l'approvisionnement dans les ports italiens car il ne "pouvait" plus assurer la protection des bateaux assurant l'approvisionnement du pays [58]. Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 23 Qu'en était-il de l'aide française? On l'a vu, le Monténégro n'était pas considéré comme ayant une importance stratégique pour la conduite de la guerre. Pourtant, dès le début du conflit, le ministère de la marine s'interrogea sur le moyen de tenir un blocus de l'Adriatique, rendu possible par la neutralité italienne. L'amiral Boué de Lapeyrère qui avait été chargé de faire un rapport sur la stratégie navale à appliquer en Méditerranée préconisait ceci: "pour tenir le blocus de l'Adriatique, il n'y a que deux solutions: s'installer dans une baie des îles ioniennes appartenant à la Grèce ou s'emparer d'une base ennemie" [59]. Dans le même temps, le roi du Monténégro proposait au gouvernement français la conquête de la base la plus méridionale de l'Autriche; Cattaro, en coordination avec la flotte et les troupes françaises [60]. Le ministère opta donc pour la seconde solution. À cet effet la France envoya donc 8 canons et 140 marins sous les ordres du capitaine de frégate Grellier. Le manque de moyen et de stratégie conduira cette expérience à l'échec, malgré des débuts prometteurs. Les canons ne purent rien contre les fortifications tandis que les navires étaient hors de portée. La poudre noire utilisée par ces vieux canons les rendit vulnérables (au 27 octobre déjà deux pièces détruites et 21 morts). Les conditions climatiques sur le mont Lovtchen à plus de 1700m aidant, les effectifs déclinèrent rapidement et le 23 novembre 1914 les troupes françaises réembarquaient [61]. L'échec était retentissant et le journal italien "Corriere della Serra" parlait d'inaction de la flotte française qui permettait à l'Autriche-Hongrie de faire de l'Adriatique sa propriété [62]. Delaroche-Vernet [63] eut à ce titre à se plaindre du manque action de la flotte de l'amiral de Lapeyrère contre le blocus, celui-ci préférant conserver sa flotte intacte plutôt que de l'engager dans des combats [64]. La situation qui voulait que pour le moment le Monténégro résiste au puissant voisin autrichien était donc purement artificielle. Elle ne tenait qu'au peu d'empressement de ce dernier à agir dans les Balkans, préférant d'abord circonscrire le danger russe en Galicie. Aussitôt que celui-ci passerait à l'offensive, les problèmes de pénurie que subissaient le pays dans ces temps de relatif accalmie ne feraient que croître, au point de l'entraîner vers le désastre [65]. Notes 1. Les plus hautes montagnes culminent à plus de 2000m avec le mont Durmitor, 2523m. 2. "Dans l'ensemble, le Monténégro est un pays de parcours très difficile. Il possède cependant un réseau de bonnes routes dans la partie méridionale, un chemin de fer à voie étroite, un port maritime assez bien outillé" in Notice sur l'Albanie et le Monténégro, par le ministère de la guerre, 1915, p 120 3. L'Italie a reçu le monopole des tabacs, a participé à l'assèchement du lac de Dulcigno, gère l'unique ligne de chemin de fer du pays qui relie Antivari à Virpazar sur le lac de Scutari dont elle assure la navigation et entretient un service régulier entre Bari et Antivari. "avec les consulats, la douane, il y a là les éléments d'une ville moderne où l'on entend parler beaucoup italien" in Notice sur l'Albanie et le Monténégro, par le ministère de la guerre, 1915, p 132 4. En 1910 le Monténégro importait pour 8 166 661 francs de produits dont 7 600 tonnes de céréales in Rapport sur les dommages causés à la Serbie et au Monténégro présenté à la commission des réparations et dommages par la délégation du royaume S.H.S. à la Conférence de la Paix, 1919, p 148 5. 2 300 000 de francs en 1911, in Rapport sur les dommages causés à la Serbie et au Monténégro présenté à la commission des réparations et dommages par la délégation du royaume S.H.S. à la Conférence de la Paix, 1919, p 147-148 6. Dépêche Tailhand chargé d'affaire à Cettigné au ministre des affaires étrangères (MAE), Archives du MAE, ns Monténégro n°9, p 32 7. A. Radovitch, Le Monténégro, son passé et son avenir, 1918 p23-35 8. "Il a avoué lui-même n'avoir octroyé la constitution qu'en vue de l'étranger, notamment pour y trouver du crédit, et pour assurer légalement la stabilité de sa dynastie" in A. Radovitch, Le Monténégro et ses tendances nationales, 1918, p 10 9. Assemblée nationale en Serbie et au Monténégro. 10. A. Radovitch, Le Monténégro et ses tendances nationales, 1918, p 11 11. Le Monténégro perdit 10 000 hommes dans le siège de Scutari, Yanko Spassoyevitch, Le roi Nicolas et l'union du Monténégro avec la Serbie, 1918, p 47 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 24 12. John D. Treadway, The Falcon and the Eagle: Montenegro and Austria-Hungary, 1983, p 182-199 13. Fils de Pierre Ier de Serbie et de la princesse Zorka Petrovitch-Niegoch (fille ainée de Nicolas Ier) se trouve donc être le petit-fils de Nicolas Ier. Du fait du mauvais état de santé de son père, Alexandre assume la direction effective du royaume de Serbie depuis juin 1914 avec le titre de prince-régent. 14. Vladimir Popovitch, Le Monténégro pendant la Grande Guerre, 1918, p 61-63 15. J. D. Treadway, The Falcon and the Eagle, 1983, p 191 16. J. D. Treadway, The Falcon and the Eagle, 1983, p 197 17. Attaché militaire autrichien à Cettigné. 18. J. D. Treadway, The Falcon and the Eagle, 1983, p 198 19. Rivières du Nord du Monténégro qui encadrent le massif du Durmitor. En se rejoignant elles forment la Drina qui s'écoule vers le Nord en direction du Danube et dessine en bonne partie la frontière entre la BosnieHerzégovine et la Serbie. 20. "God is my witness that I never willed the war, for I know what is at stake. Destiny fulfills itself; it is stronger than the human will" J. D. Treadway, The Falcon and the Eagle, 1983, p 199 21. Dépêche de Nich (Boppe) à ministère des affaires étrangères (Doumergue), AMAE, gu14-18, n°322, p 1-3. "Le gouvernement russe n'aidera le Monténégro que si celui-ci concerte son action avec la Serbie." Ministre plénipotentiaire français auprès du gouvernement serbe. 22. Selon V. Popovitch, Le Monténégro dans la Grande Guerre, 1918, p 87-88, cette arrivée s'est faite sur demande du gouvernement monténégrin. 23. Région de l'Est de l'Empire austro-hongrois, correspondant aujourd'hui à la région de L'vov en Ukraine occidentale. 24. Chaîne de montagnes qui s'étend en arc de cercle de la Slovaquie à la Roumanie en passant parla Pologne et l'Ukraine. 25. Nombreuses dépêches du ministre plénipotentiaire français à Cettigné Delaroche-Vernet au ministère des affaires étrangères, AMAE, gu14-18, n°322, p 83 les 06.01.1915 bombardements de Cettigné AMAE, gu14-18, n°322, p 91 les 15.01.1915 bombardements de Cettigné AMAE, gu14-18, n°1029, p 4 les 02.03.1915 bombardements et débarquement des Autrichiens à Antivari. AMAE, gu14-18, n°1029, p17 le 31.03.1915, Delaroche constate l'augmentation des bombardements et l'inaction alliée alors que ceux-ci ont envoyé des avions en Serbie. AMAE, gu14-18, n°322, p 151 le 07.04.1915, 12 morts et 48 blessés à Podgoritza. 26. Ville de la côte adriatique situé en territoire austro-hongrois. 27. Fleuve italien qui se jette dans l'Adriatique près de Trieste et qui correspondait à la ligne de front séparant l'Italie de l'Autriche-Hongrie. 28. Aujourd'hui Skopje, capitale de la Macédoine. 29. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°4, p 86 30. Ou Alessio, aujourd'hui Lezh en Albanie. 31. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°322 p 8 32. Dépêche MAE à Delaroche, AMAE, gu14-18, n°1028 p 1 "...les escadres Alliées vont débloquer le Monténégro." 33. Notice sur l'Albanie et le Monténégro, par le ministère de la guerre, 1915, p 102 34. Jean Arcille, Et le Monténégro??? Exposé de la question balkanique, 1919, p 4-5 35. Dépêche MAE à Delaroche, AMAE, gu14-18, n°335, p 34 36. Ancien minsitre de la marine et commandant des flottes Alliées en méditerranée entre 1914 et 1915. 37. Dépêche MAE à Delaroche, AMAE, gu14-18, n°335, p 39 38. Le gouvernement Serbe était chargé de distribuer au gouvernement monténégrin l'aide que les Alliés allouaient au Monténégro (1.5 francs/jour/soldat). Cependant elle reversait cette somme en dinars. Ce qui fait que pour acheter des produits à l'étranger, le Monténégro était obligé de les changer contre des devises à la banque francoSerbe de Paris. En fin d'opération, la subvention perdait 50% de sa valeur. Ce type de manœuvre se produisait aussi avec les marchandises en provenance de Russie par le Danube. 39. Note de Margerie (dir. de la direction politique et commerciale du MAE) à Doumergue, AMAE, gu14-18, n°335, p 55 40. Fleuve albanais qui relie le lac de Scutari à la mer Adriatique. Aujourd'hui Bunë en Albanais. 41. Prince allemand choisit par les Grandes Puissances (notamment l'Autriche-Hongrie et l'Italie) pour être le souverain de la nouvelle Albanie. Arrivé en mars 1914, il installe sa capitale à Durazzo, mais doit faire face à deux révoltes: l'une au Sud, soutenue par les Grecs, l'autre dans la région de Tirana favorable au Turcs. Au déclenchement du conflit mondial, les experts internationaux des Grandes Puissances chargés de veiller à son installation se retirent dans leur pays respectif. Il doit s'enfuir en septembre 1914. 42. J.D. Treadway, The Falcon and the Eagle, 1983, p 189 43. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°322, p 80 et 89 44. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°335, p 191 45. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°335, p 195 46. Aujourd'hui Durrës en Albanie. 47. Membre d'une importante famille albanaise, il soutient la révolution Jeunes-Turcs. Élu au Parlement turc, il combat les Monténégrins à Scutari mais est obligé de se rendre en 1913. Il accueille favorablement Guillaume de Wied, mais se brouille rapidement avec lui et fomente une rébellion qui oblige le prince à partir en septembre Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 1 1914. Il prend alors le pouvoir laissé vacant. Il impose un pouvoir dictatorial avec l'aide de l'Italie, mais ne peut s'opposer à l'invasion de son pays par les Autrichiens en février 1916. 48. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°322, p 82 49. Dépêche Barrère (Rome) à MAE, AMAE, gu14-18, n°322, p 93 Ambassadeur de France à Rome auprès du gouvernement italien. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°322, p 183 50. Pour les petits pays, on parle de ministre plénipotentiaire et non d'ambassadeur. Ce titre est réservé à l'époque aux représentants des Grandes Puissances dans les grandes capitales (Berlin, Constantinople, Londres, Paris, Rome, Pétrograd, Vienne, Washington). Les petits pays qui n'ont pas les moyens d'avoir un représentant diplomatique dans chaque pays, désigne un chargé d'affaire. C'est le cas du Monténégro à Paris. 51. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°323, p 2 52. Dépêche Boppe (Nich) à MAE, AMAE, gu14-18, n°323, p 20 Belgrade étant occupé par les forces germano-autrichiennes, le gouvernement serbe s'est replié sur la ville de Nich (aujourd'hui Nis) dans le Sud de la Serbie. 53. Vlorë au Sud de l'Albanie. 54. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°322, p 81 55. Aujourd'hui Elbasan. 56. Ordre confidentiel n°29 de 28.05.1915 du général Yankovitch. Mais celui-ci se ravisera après avoir reçu des directives de Nich. V.Popovitch, Le Monténégro dans la Grande Guerre, 1918, p 132 57. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°335, p 258 58. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°335, p 262 59. Louis Cadars, La guerre d'Orient 1914-1918, in les cahiers de l'histoire, 1965, p 123 60. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°1028, p 14 61. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°322, p 40 62. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°1028, p188 63. Ministre plénipotentiaire français à Cettigné puis à Paris auprès du roi Nicolas Ier. 64. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°322, p 66 Mais on retrouve cette attitude chez tous les marins de l'époque qui après avoir consacré tant d'effort à construire ces flottes, ne voulaient pas les engager. D'où le peu de combat naval durant cette guerre. 65. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°1029, p 265 Le manque de munition est "la seule entrave réelle aux progrès de l'armée monténégrine (...c'est) la question du ravitaillement qui, en fait, reste la question vitale à l'heure actuelle." Le 02.01.1916, mais il est déjà trop tard. Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 26 III. Vers le désastre L'offensive Mackensen [1] d'octobre 1915 vint détruire ce bel équilibre, et l'entrée en guerre des Bulgares aux côtes des Centraux ne fit qu'accroître ce déséquilibre des forces en présence, au profit des austro-germano-bulgares. Le chemin de croix des Serbes, à travers les montagnes d'Albanie et du Monténégro, allait rappeler douloureusement aux opinions publiques Alliées qu'il existait un autre front, là-bas en Orient, dans des Balkans qui avait été à l'origine du conflit. La guerre ne se limitait pas à un affrontement franco-allemand, comme voulait le croire les grands stratèges qu'ils aient été Alliés ou Centraux. Ainsi avant de voir les conditions qui ont amené le peuple serbe à entamer sa pénible retraite et le Monténégro à déposer les armes en janvier 1916, j'essayerais d'en découvrir les raisons à travers un récapitulatif de la politique alliée dans les Balkans. A. Le front d'Orient et les Alliés Lorsqu'en août 1914 par le jeu des alliances, l'Europe se retrouve plongée dans la guerre, tout le monde pense à un conflit cours, dont la décision interviendra sur le front de l'Ouest, l'engagement russe n'étant pour les Français qu'un moyen de dégarnir le front allemand de l'Ouest pour pouvoir remporter la décision. Les différents étatsmajors ne possèdent pas de plan pour les Balkans. De toute façon l'armée austrohongroise ne doit faire qu'une bouchée de la Serbie. Il n'est donc pas nécessaire de lui prévoir une quelconque aide. Mais ces prévisions ne se réaliseront pas. Le conflit s'enlise à l'Ouest et les deux petits Alliés balkaniques offrent une résistance inespérée. Ces changements dans l'ordre des prévisions auraient dû provoquer un changement chez les états-majors. Peine perdue, les généralissimes Kitchener [2] et Joffre [3] ne voient toujours que par le front de l'Ouest et se désintéressent des Balkans. Les Russes eux-mêmes n'ont pas de réelle politique dans les Balkans, si ce n'est le mirage des détroits. Depuis Pierre le Grand ils sont le seul et unique but de la politique russe dans cette région. Si elle s'engage aux côtes des Balkaniques en 1878 ou en 1912 c'est dans le but d'affaiblir l'Empire ottoman pour en obtenir des concessions. Si en 1913 elle opte pour la Serbie contre la Bulgarie, c'est que celle-ci menace de prendre Constantinople. Son engagement dans le conflit pour la défense de la Serbie ne peut alors apparaître que comme un leurre; Constantinople est l'objectif majeur de son pan slavisme. Sa politique à l'égard des Balkans durant le conflit ne fait que renforcer cette tendance. Elle entraîne ses Alliés (Grey et Delcassé [4]) dans son aveuglement. Ainsi dans l'opération des Dardanelles, dont elle est à l'origine [5], demande-t-elle à ses alliés de refuser l'aide grecque dont elle craint les ambitions. Aussi fait-elle parvenir, dans un mémorandum, aux pays Alliés ses buts de guerre avant le début de l'opération pour parer à toute initiative anglaise. Ce mémorandum réclamait en cas de victoire non seulement Constantinople mais aussi toute la Thrace du Sud. Le sort de la Serbie était bien loin de ses considérations. Ainsi les intransigeances russes avaient conduit la Turquie à la guerre [6] et la Grèce à rester, pour une longue période encore, dans la neutralité malgré les propositions de Venizélos. Quant à la Roumanie, elle était en but à la même intransigeance (problème de la Bessarabie [7]). Restait enfin la Bulgarie. Comme nous l'avons vu, la deuxième guerre balkanique entre les anciens alliés avait poussé celle-ci dans les bras Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 27 de la Triplice, qui voyait là le moyen de barrer la route a l'impérialisme russe et à l'agitation serbe. Cependant au moment du début des hostilités, le roi Ferdinand restait dans l'expectative, attendant le meilleur moment pour participer au conflit. La Turquie entrée en guerre aux côtes des Centraux, la diplomatie britannique, bulgarophile, se tourna naturellement vers la Bulgarie pour l'entraîner du côté des Alliés. Pour cela l'Entente n'hésita pas à proposer des avantages territoriaux au détriment de la Turquie (Thrace) mais aussi au détriment de la Serbie (Macédoine), alors même que l'Entente était entrée en guerre pour défendre l'intégrité de ce même pays. Le sort de la Serbie était donc encore une fois bien loin des préoccupations de l'Entente. Ces discussions durèrent jusqu'au dernier moment alors même que la Bulgarie avait déjà signé une convention militaire avec les Centraux le 6 septembre 1915. Ces pourparlers empêchèrent ainsi la Serbie de mettre fin aux préparatifs Bulgares, en menant une attaque préventive dans la région de Pirot [8]. C'était une nouvelle occasion manquée. Suite aux visées russes sur les détroits, l'Entente décide de mener une opération sur les Dardanelles, suivant en cela le plan du chef de l'amirauté britannique Winston Churchill [9] contre le plan de Briand [10] et Lloyd George [11] qui prévoyait un débarquement à Salonique pour soutenir les troupes serbes durant leur contreoffensive de la fin 1914, durant laquelle le général Putnik [12] reprit Belgrade. Cette expédition qui eut lieu de février 1915 à janvier 1916 se révèle être un terrible échec pour l'Entente. Et le 8 janvier, les membres du corps expéditionnaire quittent Gallipoli [13], pour se réfugier à Salonique. En effet, les Alliés occupent la ville depuis le 3 octobre 1915, suivant en cela les prescriptions [14] qui a été limogé de la troisième armée par Joffre est envoyé à Salonique le 12 octobre, mais il est sans moyen, et cette décision militaire s'apparente plus en réalité à une décision politique [15]. Mais tout ceci arrive trop tard, Sarrail ne peut rien contre l'effondrement serbe. B. La retraite serbe L'échec de la politique russophile de Delcassé et la non-prise en compte du rôle de la Serbie, et du Monténégro dans les opérations militaires de l'Entente, conduisirent ces deux pays vers une défaite inévitable. Débarrasser du danger russe, les puissances centrales pouvaient enfin mettre à bas la résistance serbo-monténégrine sur leur flanc sud. Aidés par les incohérences de la politique Alliée, les Centraux purent à loisir préparer leur offensive. L'offensive de von Mackensen avait pour but d'assurer les arrières des Empires Centraux en intégrant de gré ou de force les Balkans dans la "forteresse allemande". L'alliance avec la Bulgarie étant dès lors acquise, cette intégration passait sur le cadavre de la Serbie. Une fois ce plan appliqué, il devait permettre à l'Allemagne de se retourner contre la France. La bataille de Verdun ne fut donc que le prolongement occidental de cette offensive des Centraux dans les Balkans à la fin 1915. Le plan prévoyait un vaste mouvement enveloppant contre toutes les frontières de la Serbie, sauf à l'Ouest sur la Drina face au Monténégro, car les forces austro-hongroises étaient affaiblies par les envois de troupes sur l'Isonzo. Le but de la manœuvre était donc de prendre en tenaille la Serbie et de capturer ainsi son armée. Les forces germano-autrichiennes passent donc à l'offensive le 4 octobre 1915 et prennent Belgrade le 9. Cinq jours plus tard la Bulgarie déclare la guerre à la Serbie Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 28 et entre en Macédoine. Le 25 Usküb était prise. Cette victoire bulgare coupe toute possibilité de retraite vers le Sud en direction de Monastir et Salonique pour rejoindre les forces Alliées. Celles-ci ne sont d'ailleurs pas en nombre assez suffisant pour pouvoir venir en aide aux Serbes. De plus la multiplicité des ordres contradictoires émanant du ministère de la guerre ne leur permet pas d'agir en toute clarté. Ainsi le 7 octobre leur demande-t-on de pénétrer en Serbie pour secourir les Serbes. Trois jours plus tard, un nouvel ordre, leur demande de ne pas franchir la frontière gréco-serbe. Le 12, nouvel ordre, l'armée de Salonique doit couvrir la voie ferrée de Salonique en Serbie, puis le 23, de se lier avec les Serbes vers Usküb et Veles [16] tout en restant en contact avec Salonique. Contradictions entre les différents ordres reçus, manque de moyen matériel et humain, le général Sarrail ne peut sauver la Macédoine et se retranche derrière la frontière grecque tandis qu'à l'Est les Bulgares occupent la Thrace occidentale dans sa totalité. La Grèce se retrouve donc plonger dans le conflit malgré sa neutralité, même si l'accord serbo-grec de juin 1913 prévoyait une alliance défensive entre les deux pays contre une attaque de la Bulgarie. La défaite éclair des Serbes en Macédoine peut s'expliquer par un manque de prévoyance du côté de l'état-major serbe. En effet au lieu de concentrer ses forces dans le Sud pour pouvoir protéger l'axe Morava-Vardar [17], celui-ci a préféré se battre sur tous les fronts en dispersant ses armées pour ne pas perdre toute possibilité de retraite vers Salonique, comme cela avait été prévue. Par ailleurs ce plan faisait fi du cas du Monténégro qui serait ainsi resté seul face aux Centraux. Ce changement de plan qui prévoie maintenant une retraite vers l'Adriatique à travers l'Albanie et le Monténégro ne pouvait que soulager le Monténégro mais coûta au peuple serbe une longue et pénible retraite durant laquelle ils durent abandonner dans les montagnes tout leur matériel. Durant cette première partie de l'offensive des Empires Centraux contre la Serbie, le Monténégro n'eut que peu à souffrir des attaques autrichiennes. Ce qui ne retire rien à sa situation dramatique du point de vue du ravitaillement rendu difficile a la fois par le blocus autrichien et par la mauvaise volonté des Italiens et des Britanniques. L'annonce de la venue des Serbes est donc perçue positivement par la population et par le roi qui dans son discours de Podgoritza le 29.11.1915, incite la population à continuer la lutte aux côtes des Alliés qui ne tarderont pas à venir en aide au royaume [18]. Mais l'arrivée des troupes serbes au Monténégro n'est pas à la hauteur de ses espérances. Depuis leur évacuation de Nich le 5 novembre, les Serbes mènent une difficile retraite sur les routes de montagnes monténégrines. Ayant dû abandonner leur matériel, ils sont affamés et démoralisés [19]. De plus, ce ne sont pas seulement les troupes serbes qui arrivent, mais tout un peuple avec sa masse de réfugiés (aux alentours de 130 000 réfugiés) ce qui a pour effet d'accroître encore plus la pénurie alimentaire du Monténégro. Malgré ce défaitisme chez les Serbes qui conduit le colonel Pechitch [20] a confié à Delaroche-Vernet que "maintenant tout est fini !" dès le 25 novembre [21], le moral des Monténégrins reste bon [22]. À partir de ce moment, lorsque les armées serbes eurent quitté le territoire serbe et abandonné l'Est du Monténégro (Ipek et Diakovitza [23]), l'armée monténégrine prend en charge la défense des troupes serbes qui dorénavant ne se battent plus. Cette lourde charge revient à la deuxième et troisième colonne monténégrine [24] qui jusqu'au bout protégèrent la retraite de leur allié comme on leur avait demandé [25]. Mais à partir de décembre, la situation devient de Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 29 plus en plus intenable et provoque une crise ministérielle. Le cabinet Y.Voukotich est remplacé par Lazare Miouchkovitch qui, même si il est perçu comme austrophile, décide de continuer la lutte avec l'assentiment de la Skoupchtina [26]. Mais les difficultés de ravitaillement, le choléra et le défaitisme répandu par les réfugiés serbes finissent par achever la résistance des Monténégrins qui le mois suivant s'effondreront sous les coups de butoir de l'armée autrichienne. C. Janvier 1916 La défaite du Monténégro en ce mois de janvier 1916 marque la fin de l'existence "territoriale" de cet état indépendant plus de cinq siècles. Les conditions dans lesquelles eut lieu cette défaite conduisirent les Alliés à émettre des doutes sur la loyauté du roi. Ces propos furent repris à grand renfort de publicité par les unionistes et à travers eux par le gouvernement serbe. Si le Monténégro avait été battu, c'est qu'on l'avait trahi. À cet égard la politique ambiguë du roi durant les deux derniers mois de sa présence dans son pays ne put que renforcer le camp de ses détracteurs, aussi bien parmi ses sujets que parmi ses alliés. Ces reproches portent à la fois sur le fait que la victoire autrichienne ait été si rapide et sur la tentative de paix séparée entre l'Autriche-Hongrie et le Monténégro. Comme nous l'avons vu, la situation en ce début janvier devient catastrophique pour le Monténégro, submergé par les réfugiés serbes. Pourtant le front monténégrin du Sandjak et d'Herzégovine résiste toujours aux Centraux et permet en cela l'évacuation par Scutari du gouvernement serbe et de son armée. On peut alors juger le rôle pleinement bénéfique qu'eut dans ces moments pour les Alliés l'occupation de la ville, par les forces monténégrines en juin 1915 [27]. Occupation qui causa tant de problème pour le Monténégro. Mais le 8 janvier, le général autrichien, Conrad von Hötzendorf ordonne l'offensive sur tous les fronts contre le Monténégro [28], contre l'avis de von Falkenhayn [29] pour qui il fallait immobiliser le plus de troupes Alliées possibles dans cette région, dans le cadre d'une offensive sur le front de l'Ouest. "Les forces de l'Entente (si elles étaient expulsées) deviendraient disponibles pour d'autres théâtres de guerre, les Bulgares ne le seraient plus" [30]. Selon la stratégie serbe, la majorité des forces monténégrines étaient affectées à la défense de l'aile gauche de l'armée serbe (deuxième et troisième colonne soit un total de 35 000 hommes), puis à la protection de la retraite serbe dans le Sandjak. À cet effet le général Yankovitch avait dégarni la première colonne qui occupait le mont Lovtchen qui protégeait la capitale Cettigné. En octobre 1915 elle ne comprenait donc plus que 7 000 hommes. En face le 8 janvier, le feld-marechald-lieutenant Weber von Webeneau, commandant de Cattaro, disposait de 25 000 fantassins auxquels s'ajoutaient la flotte, forte de 14 unités dont quatre croiseurs. Si comme le prétendront plus tard les unionistes le Monténégro avait trahi et que la cause du mont Lovtchen était entendue depuis l'entrevue de Budua entre le prince Pierre et le colonel Hubka, pourquoi un tel déploiement de force. A-t-on besoin réellement d'aller chercher les causes de la perte du Lovtchen dans une prétendue trahison? Incapable de résister le mont Lovtchen est abandonné, ce qui ouvre aux Autrichiens le chemin de Cettigné et de la côte (Antivari est prise le 11 et la capitale le 15) [31]. Cette chute a pour conséquence de briser la résistance monténégrine, ordre est alors donné à la IIme et IIIme colonne de se replier sur Podgoritza et Scutari. Mais elles sont à ce moment-là à plus de 100km de ces points, sur les frontières du vieux Monténégro. Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 30 Dans ces conditions, la continuation de la lutte devient intenable. Le nouveau gouvernement Miouchkovitch demande au roi de négocier avec les Autrichiens un armistice le 10 janvier. Devant les exigences autrichiennes, le roi refuse de poursuivre les négociations [32]. À la suite de ce refus, le gouvernement donne sa démission que le roi refuse [33]. Le gouvernement est appuyé en cela par les déclarations du colonel Pechitch et du représentant serbe L. Michailovitch ainsi que du représentant russe Obnorsky qui poussent le roi à demander la paix, puisqu'il a refusé les propositions du gouvernement royal. Ainsi le roi écrit-il le 13 janvier pour demander la paix, dans le but d'arrêter temporairement les hostilités et permettre ainsi le regroupement des forces monténégrines. François-Joseph [34] se défaussant sur son commandement local, les hostilités ne s'arrêtent pas. De plus les nouvelles conditions sont inacceptables: • reddition des troupes serbes se trouvant encore au Monténégro • remise sans conditions de l'armée monténégrine • installation de garnisons autrichiennes pendant la durée du conflit • remises aux troupes autrichiennes des moyens de communication • libre passage vers l'Albanie Nicolas refuse de nouveau de prolonger les négociations devant la continuation des hostilités. Prenant prétexte de ces pourparlers, le gouvernement serbe accuse le roi de duplicité, et rappelle le colonel Pechitch. Ce dernier transmet son commandement au général Y.Voukoutitch en lui assurant de tenir la route de Scutari. Le 19 janvier la cour, le roi, le chef de gouvernement et les différents représentants diplomatiques quittent Podgoritza pour Scutari. Ils laissent sur place le prince Mirko, malade, ainsi que trois ministres (Radoulovitch, Popovitch, et le général Vechovitch) pour continuer les pourparlers et assurer la retraite de troupes vers Scutari. Le roi quitte Scutari le 20 pour Brindisi. Mais les troupes serbes qui devaient tenir Scutari pour permettre la retraite des Monténégrins quittent la ville pour Durazzo. Ainsi les austro-hongrois qui continuaient leur progression vers le sud pénètrent-ils sans combat dans la ville le 21 janvier coupant ainsi toute retraite aux Monténégrins. Face à cette situation, les membres du gouvernement et les députés réunis dans la manufacture des tabacs de Podgoritza décident de dissoudre l'armée en proclamant que celle-ci devait s'identifier au peuple et donc que les armes cessaient d'être propriété de l'état. Le Monténégro est donc défait, dans des conditions malheureuses qui conduisirent les Alliés à émettre des doutes sur la volonté de Nicolas à continuer la lutte. Doutes largement repris et entretenus par le gouvernement serbe et ensuite par les membres du Comité Monténégrin pour l'Union Nationale. Le Monténégro avait trahi la cause Alliée. Mais que firent ces Alliés pour venir en aide au Monténégro. Malgré les difficultés de ravitaillement et la situation de pénurie, A. Radovitch ira jusqu'à nier l'existence de cette pénurie qui selon lui ne saurait expliquer la défaite [35], les Alliés ne soutiennent pas entièrement le pays. Ainsi la mission britannique "British Adriatic Mission" commandée par Harry Lamb qui a en charge de venir en aide aux réfugiés serbes, à ordre de son gouvernement de ne pas venir en aide au Monténégro car ce pays est soupçonné de traîtrise. Il en est de même pour l'Italie. Il faudra attendre une réunion entre le gouvernement royal monténégrin et les représentants diplomatiques des pays Alliés le 6 janvier, pour que ceux-ci se décident enfin à venir en aide au Monténégro. Mais il est déjà bien tard puisque le 8, c'est l'offensive autrichienne. Que firent les marines française et italienne qui avaient en charge ce secteur, contre les Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 31 attaques de convois de ravitaillement par les sous-marins ou contre la flotte autrichienne lorsqu'elle participa aux opérations du 8 et des jours suivants en bombardant le Lovtchen et la côte. Tout le monde s'empressa de parler de trahison [36]. Il était bien évidemment plus facile pour les gouvernements Alliés, de voir les choses ainsi, plutôt que de reconnaître leurs erreurs dans la conduite des opérations dans les Balkans. Erreurs qui avaient amené la Serbie à abandonner son territoire et le Monténégro à capituler [37]. S'il y a eu trahison, ne peut-on pas parler de la trahison des Alliés [38]. Le Monténégro fut le seul des Balkaniques à prendre la défense du peuple serbe [39], se battant sans arrières pensées [40], au contraire des Serbes, comme le colonel Pechitch qui dans une polémique l'opposant à un autre général, dans le journal serbe la Pravda, avouera avoir placé l'armée monténégrine dans une situation telle qu'elle était obligée de capituler. Et qu'il amena le roi à capituler pour le plus grand bénéfice de la Serbie qui évitait ainsi qu'une armée monténégrine ne se reforme à Salonique ce qui aurait empêché par la suite l'union des deux royaumes [41]. Les deux Guerres Balkaniques qui ont permis au Monténégro d'asseoir son indépendance grâce à des acquisitions territoriales ont aussi contribué à affaiblir un royaume déjà pauvre. L'année de répit entre ces guerres et le début du premier conflit mondial ne lui permit pas de parfaire son développement. Ainsi, entre-t-il dans ce nouveau conflit exsangue. Pourtant le Monténégro résista pendant plus de 18 mois aux offensives des Centraux, et ce malgré les privations et le peu d'aide qu'il reçut des pays Alliés. N'ayant que peu d'intérêt pour ce front, ceux-ci menèrent une politique attentiste, au jour le jour, aveuglés par des intérêts qui dépassaient ceux de leurs alliés balkaniques. Cette politique ou non-politique dans les Balkans eut pour conséquence l'occupation de ces deux Alliés par les Centraux. Dès lors, il fut plus facile de rejeter la défaite sur un bouc émissaire; le Monténégro avait trahi. Cette suspicion des Alliés à l'égard du Monténégro, fut encouragée par le frère d'arme serbe qui y voyait enfin là, le moyen de se débarrasser d'un roi encombrant pour ses projets de Grande Serbie. Cette politique de déstabilisation du Monténégro trouva toute son ampleur durant l'exil français du roi Nicolas à travers les "intrigues monténégrines" entretenues par l'ancien président du conseil Andriya Radovitch qui dans cette entreprise pouvait compter sur le gouvernement serbe. Notes 1. Maréchal allemand , commandant du front de l'Est. Il conduit les opérations militaires des Empires Centraux en Galicie contre les Russes en 1914, puis contre la Serbie en 1915-1916, occupe la Roumanie en 1917 et est défait par les Alliés sur le front de Macédoine en 1918. 2. Maréchal britannique, ministre de la guerre. Après avoir combattu au Soudan et durant la guerre des Boers en Afrique du Sud, il devient résident général en Égypte. Rappeler à Londres en 1914 pour devenir ministre, il s'emploie à réorganiser l'armée britannique en prévision d'une guerre longue. Il meurt noyé après que son bateau qui l'amenait en Russie a heurté une mine allemande aux larges des îles Orcades. 3. Général puis maréchal français, commandant en chef des forces armées françaises. Dépassé par l'offensive allemande d'août 1914, il organise la retraite française et se voit créditer de la victoire de la Marne en septembre. il est remplacé à son poste par le général Nivelle après Verdun. On lui offre alors le poste honorifique de conseiller militaire en chef auprès du gouvernement. Il était résolument contre l'établissement du second front dans les Balkans. 4. Respectivement ministre du Foreign office britannique et ministre des Affaires étrangères français. À ce titre ils sont tout les deux considérés comme les artisans de la création de la Triple Entente. 5. Occupation des détroits pour assurer son ravitaillement et faire diversion alors qu'elle est en pleine débâcle dans le Caucase. 6. Le gouvernement turc était près à désavouer le bombardement des ports russes le 28 octobre 1914 par les Jeunes-Turcs. 7. Région de Russie peuplée majoritairement de roumanophone. Elle correspond aujourd'hui à l'actuelle Moldavie. Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 32 8. Ville serbe située à l'Est de Nich près de la frontière bulgare. 9. Homme politique britannique, membre du parti conservateur, il est depuis 1911 Premier lord de l'Amirauté (c'est-à-dire ministre de la marine). il sera Premier ministre durant le second conflit mondial. 10. Homme politique français, membre du parti socialiste. Déjà plusieurs fois ministre et président du conseil, il l'est de nouveau d'octobre 1915 jusqu'à mars 1917 lorsque son gouvernement tombe suite aux manœuvres de Clemenceau. Partisan du front d'Orient, c'est lui qui écarte Joffre du commandement des armées françaises. Il se distinguera dans l'après-guerre par une attitude conciliante à l'égard de l'Allemagne et deviendra un "apôtre de la paix" (prix Nobel de la Paix en 1926 avec son homologue allemand Gustav Stresemann). 11. Homme politique britannique, chef du parti libéral. Ministre des munitions puis de la guerre, il devient Premier ministre en décembre 1916. Il le restera jusqu'en 1922. Il jouera un rôle de modérateur à la Conférence de la Paix entre les exigences de Clemenceau et les propositions idéaliste de Wilson. 12. Maréchal (voïvode) serbe, commandant en chef des armées serbes. Considéré comme un des meilleurs tacticiens et stratèges de son époque, il a participé victorieusement aux guerres balkaniques, mais affaibli par la maladie il ne peut rien contre l'offensive combinée des austro-germano-bulgares de novembre 1915. Il meurt à Nice en 1917. 13. Aujourd'hui Gelibolu en Turquie. Partie européenne du détroit des Dardanelles, là où le corps expéditionnaire Allié a debarqué en avril 1915. 14. Général français, commandant de la IIIe armée lors de la bataille de la Marne. Renvoyé par Joffre, il est nommé commandant des forces alliés sur le front d'Orient à Salonique en 1915. Il est rappelé à Paris en décembre 1917. 15. Cette décision qui pour Sarrail s'apparente à une humiliation provoquera une crise parlementaire, les Radicaux et les Socialistes prenant son parti contre Joffre considéré comme l'homme de la droite. 16. Ville située en Macédoine, au Sud-est d'Usküb sur la route de Salonique. 17. Axe formé par les deux rivières, l'une remontant vers le Nord et le Danube (Morova), l'autre decendant vers le Sud et Salonique, et qui ouvre une brèche dans les Balkans entre les Monts Sar à l'Ouest (frontière albanomacédonienne) et les Monts Osogov à l'Est (frontière bulgaro-macédonienne). Ce qui en fait un axe de pénétration vers l'intérieur des Balkans à partir du port de Salonique situé sur la mer Égée. 18. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°323, p 225 19. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°323, p 252 20. Le colonel Pechitch a remplacé le général Yankovitch à la tête de l'état-major monténégrin en juillet 1915 21. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°323, p 221 22. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°323, p 252 23. Aujourd'hui Dakovica au Kosovo. 24. Communiqués officiels publiés par le haut commandement monténégrin sous les ordres de Pechitch in V. Popovitch, Le Monténégro pendant la Grande Guerre, 1918, p 166-172 25. Généralissime serbe Putnik au général monténégrin Yanko Voukotich, commandant de la troisième colonne "Si vous réussissez à retarder l'ennemi dans son avance, le Monténégro aura payé sa dette envers la cause Serbe." In Y.Plamenatz, Le Monténégro devant la Conférence de la Paix, 1919, tome II, p 5 26. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°324, p 2 et 8 27. Conversation entre Briand et ambassadeur de Grande-Bretagne à Paris, AMAE, gu14-18, n°1478a, p 107 28. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°1029, p 270 29. Général allemand, ministre de la guerre de 1906 à 1915, il succède à Moltke comme chef d'état-major en 1914. À la suite du désastre de Verdun (1916), il est remplacé par Hindenburg. Il sera affecté au commandement des opérations en Roumanie en 1916 puis en Palestine en 1917. 30. Souvenirs de guerre de Falkenhayn in L.Cadars, La guerre d'Orient 1914-1918, 1965, p72-74 31. Dépêche Delaroche (de Podgoritza où se sont repliés le gouvernement et le corps diplomatique) à MAE, AMAE, gu14-18, n°324, p 29 et 31 32. Télégramme tiré de, Le rôle de la France dans l'annexion forcée du Monténégro, le ministère des affaires étrangères monténégrin, 1921, p 148 Dépêche Delaroche (Podgoritza) à MAE, AMAE, gu14-18, n°324, p29 33. Lettre tirée de, Le rôle de la France dans l'annexion forcée du Monténégro, le ministère des affaires étrangères monténégrin, 1921, p 148-149 34. Empereur d'Autriche et roi de Hongrie. 35. Bulletin Monténégrin n°2, p 36 36. Cette campagne de presse allant à prouver la trahison du Monténégro durant ce mois de janvier 1916 trouva toute son ampleur en 1917 après la création du Comité Monténégrin pour l'Union Nationale par A. Radovitch. Ainsi le 02.07.1917 le journal Le Temps titre "L'énigme monténégrine", le 16 il reprenait en compagnie de la Gazette de Lausanne "J'accuse par un Serbe", dans le même temps L'Excelsior et Le Journal parlaient de "La trahison du Monténégro". 37. Article de G. Clemenceau dans L'Homme Enchaîné de janvier 1916 38. Interview de N. Obnorsky, chargé d'affaire russe à Cettigné, paru le 11 mai 1916 dans Novoié Vremia. 39. Ferri Pisani, Le Drame serbe, 1916, p 104 40. Article du journal Le Matin du 14.03.1916, sur le retour des Français du Monténégro 41. J. Ciubranovitch, Le plus grand crime de l'histoire, 1928, p 8 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 33 Deuxième partie L'exil (1916-1918) Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 34 Tout comme les défaites Alliées avaient contraint la Belgique et la Serbie à l'exil, le roi Nicolas Ier de Monténégro fut contraint en janvier 1916 de trouver refuge chez ses alliés. Cette seconde partie évoque donc les événements qui se déroulèrent durant cette période, depuis le départ du roi de Scutari, le 20 janvier 1916, jusqu'à la victoire Alliée de 1918. Pourtant le roi ne rentrera jamais d'exil, comme les souverains belge et serbe. En effet au moment de la libération de son pays par les forces Alliées, en octobre 1918, une autorité provisoire se met en place et organise l'élection d'une assemblée qui réunit le 26 novembre à Podgoritza, vote la déchéance de sa personne et de la dynastie des Petrovitch-Niegoch qui régnait sur le petit royaume depuis 1696. Cette destitution peut paraître injuste à l'égard d'un souverain Allié qui après la défaite de son pays à du subir l'exil. C'est pourtant en partie à cause de cet exil et notamment les causes qui l'ont amené, que le roi doit sa destitution. En effet les suspicions sur sa loyauté qui virent le jour durant la première partie du conflit, trouvèrent un écho et un développement croissant durant son exil français. C'est pourquoi avant de passer aux conditions de la victoire alliée et de sa déposition, je m'attacherai à voir d'abord dans quelle mesure les "intrigues monténégrines" et les rapports avec les Alliés ont contribué à cette situation, pour ensuite dresser un récapitulatif des relations serbo-monténégrines durant ces deux années. IV. Un royaume en exil A. Les "intrigues monténégrines" Ce titre fut souvent repris par la presse Alliée pour qualifier la politique menée par Nicolas et ses différents gouvernements successifs qui selon elle était sujette à caution. Tout d'abord sur les conditions de son départ, puisqu'il laisse derrière lui trois membres de son gouvernement et un de ses fils; Mirko. Ceci fut interprété comme un moyen de continuer les négociations de paix entreprises par le roi le 13 janvier, puis réfutées par lui un peu plus tard puisqu'il décidait de continuer la lutte depuis un territoire Allié. Pour faire face à l'agitation qui régnait dans le pays [1], ce gouvernement décidait de dissoudre l'armée, contre l'avis du général Voukotich qui voulait prolonger la résistance, et de déposer les armes le 22 [2]. Dans le but de valider sa victoire sur le Monténégro et ainsi de signer le premier traité de paix avec un pays Allié, l'Autriche-Hongrie, dans un but de politique intérieure, fit savoir qu'elle reconnaissait le gouvernement monténégrin resté sur place et qu'elle était prête à entreprendre des négociations avec celui-ci [3]. Aussitôt démentit par un journal de Genève, dans lequel Delaroche-Vernet voit la main du gouvernement de Nicolas [4], le gouvernement autrichien n'en continue pas moins ses approches. Ainsi le 11 février Vienne demande à Madrid de faire passer un message du "gouvernement Mirko" à Nicolas pour qu'il lui donne des instructions sur les négociations de paix. Devant le refus de Paris de laisser passer ce message, Madrid déclina l'offre de Vienne, de servir d'intermédiaire. Vienne se ravisa, mais n'abandonna pas la carte Mirko pour semer la discorde entre les Alliés et le Monténégro. Ainsi le gouvernement autrichien fit-il venir Mirko à Vienne [5] et laissa entendre qu'il allait devenir gouverneur des territoires occupés de Serbie et de Monténégro, provoquant la fureur de Vechnitch [6] soutenu en cela par le ministre français Boppe qui y voyait les suites d'intrigues que le roi menait, dès novembre 1915 [7]. Cette affaire créa une crise ministérielle qui aboutit au départ de Miouchkovitch et à l'arrivée de Radovitch qui obligea le roi à se désolidariser de son fils et des membres du précédent gouvernement restés sur place [8]. Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 35 Cette crise ministérielle ne fut que la première d'une longue liste de soubresauts qui affectèrent les gouvernements monténégrins. À cette époque, le gouvernement était installé à Bordeaux après un passage à Lyon. Lors de son départ du Monténégro, le roi aurait dû normalement s'installer en Italie, dont sa fille Hélène était la reine. Mais les mauvais rapports à l'époque entre les gouvernements monténégrins et italiens (polémique sur l'attitude de l'Italie durant le conflit à l'égard du Monténégro) avaient poussé le roi à opter pour la France. Cependant, le choix de Lyon comme capitale d'exil suscita chez les Alliés (russe et français) des inquiétudes [9], car la ville était jugée trop proche de la Suisse, et l'on fit déménager la cour et le gouvernement à Bordeaux en mars [10]. En octobre 1916, la capitale d'exil changea une nouvelle fois de place, mais cette fois-ci à la demande du roi, et s'installa à Neuilly s/Seine. Le Monténégro eut donc durant son exil jusqu'en 1918 et la victoire Alliée quatre gouvernements successifs qui tombèrent tous sur le problème de l'union, selon les déclarations des ministres sortants. Ainsi le gouvernement Miouchkovitch, le seul membre du gouvernement à être sorti du Monténégro, qualifié d'austrophile par les ministres Alliés, démissionne-t-il le 26 avril 1916 après avoir critiqué l'attitude du roi [11]. Le cabinet Radovitch qui se met ensuite en place tombera lui aussi sur le problème de l'union, à la suite des mémorandums de Radovitch au roi, lui enjoignant d'accepter l'union le 11 janvier 1917. À sa suite le gouvernement du général Matanovitch, que Radovitch qualifie de gouvernement militaire, reposa la question du problème de l'union, et fut contraint à la démission le 5 juin 1917; "je me rends compte que la réalisation d'une politique nationale m'est devenue impossible là où des motifs dynastiques l'emportent" [12]. Le cabinet d'Eugène Popovitch quant à lui restera en place jusqu'à la fin du conflit. Le problème de l'union se posa donc, à chaque nouveau gouvernement, mais ne peut-on pas voir, dans ces démissions successives, le résultat de lutte d'influence dans l'entourage du roi Nicolas. Ce sont d'ailleurs ces luttes intestines qui amenèrent la presse française à parler "d'intrigues monténégrines". En effet, le simple motif, du refus par le roi d'aborder le thème de l'union, n'explique pas tout. À cet égard la démission du cabinet Miouchkovitch, dont il était le seul représentant en France, est caractéristique. Celuici apparaît aux yeux des Alliés comme la "chose" du roi, pourtant celui-ci sera amené à démissionner à la suite d'intrigues de Pierre Plamenatz appuyées par Radovitch et la princesse Xénia de Monténégro [13]. À la suite de sa démission, il n'hésita pas à parler de départ du roi, du Monténégro dans des conditions suspectes [14], alors même qu'il était surveillé en Suisse pour activités pro-autrichiennes. Enfin lorsque Y. Spassoyevitch démissionna du cabinet de Radovitch, à cause du problème de l'union (il sera membre ensuite du Comité Monténégrin pour l'Union Nationale), et qu'il fit publié en Suisse sa lettre de démission à forte connotation anti-royaliste, DelarocheVernet n'hésite pas à y voir la main de Miouchkovitch qu'il suspecte pourtant d'austrophilisme [15]. On retrouvera cette atmosphère de complot lors des démissions des deux cabinets suivants, sur lesquelles je reviendrai au prochain chapitre. Durant l'affaire Miouchkovitch, cette atmosphère fut entretenue par le chargé d'affaire du Monténégro à Paris, M. Brunet. En effet, depuis l'arrivée du roi en France M. Brunet avait été nommé secrétaire général des affaires étrangères du Monténégro, l'arrivée de Radovitch lui retirait donc cette prérogative. Ainsi prit-il le parti de Miouchkovitch et mis tout en œuvre pour nuire au nouveau gouvernement et au roi Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 36 [16] allant même dans ces communications avec le Quai d'Orsay [17], dont il ne se privait pas, à parler lui aussi de trahison du roi lors de son départ du Monténégro, alors qu'il était [18]. Convaincu de son manque de loyauté à son égard le roi se défit de lui le 4 décembre 1916, non sans difficultés. En effet, Delaroche-Vernet voyait en lui aussi un homme de main du roi, affairiste qui aurait pu révéler des affaires plus ou moins louches concernant le Monténégro [19]. Delaroche-Vernet, comme les autres représentants Alliés auprès du roi de Monténégro, ne sont pas exempts de reproches quant à cette atmosphère de suspicion dans cette cour en exil. Cette lutte d'influence dans l'entourage royal n'épargne pas les représentants des grandes puissances qui se prêtent volontiers à ce jeu, dans leurs rapports à leur chancellerie respective. Ainsi ne voit-on pas des agents autrichiens partout dans l'entourage du roi, tandis que l'on affuble aux différents représentants monténégrins des amitiés pour tel ou tel pays. Ainsi la princesse Xénia est-elle d'abord considérée comme austrophile puis francophile, Radovitch passe de francophile à italophile ami de Pierre Plamenatz pour enfin se dévoiler être serbophile ennemi de ce même Plamenatz. B. Les rapports avec les Alliés Les pays de l'Entente ne sont donc pas absents de cette lutte d'influence et chaque pays cherche à faire rentrer dans sa clientèle le Monténégro pour servir ses propres intérêts. Nicolas cherchera à plusieurs reprises à tirer profit de ses divergences pour pouvoir assurer son pouvoir et son retour au Monténégro. Mais ces alliances de principes sont changeantes, et varient selon les intérêts des puissances sur le moment. À cet égard, les relations entre le Monténégro et l'Italie sont les plus caractéristiques. Le mariage de sa fille Hélène avec le futur roi d'Italie Victor-Emmanuel III en 1896 avait pour but de détacher le Monténégro de la tutelle économique trop pesante de l'Autriche-Hongrie. Elle avait aussi pour effet de montrer au monde que l'Italie s'intéressait particulièrement à l'avenir de cette région des Balkans. Le roi y voyait là le moyen de s'affirmer politiquement au niveau international, tandis que l'Italie pensait y trouver un pion docile dans le jeu balkanique pour faire pièce au Drang nacht osten autrichien [20] et servir ses ambitions balkaniques. Cette politique fut valable jusqu'au premier conflit mondial où l'Italie chercha à s'entendre avec le Monténégro pour s'emparer de la Dalmatie [21]. Mais l'affaire de l'occupation de Scutari en juin 1915, qui entravait les visées italiennes sur l'Albanie, vint contrarier cette alliance. À partir de ce moment, la diplomatie italienne mit tout en œuvre pour discréditer la monarchie monténégrine, en appuyant la théorie de la trahison et l'affaiblir, au point de refuser de lui venir en aide à la fin 1915-début 1916. Mais la dualité des pouvoirs en Italie en matière de politique étrangère vient compliquer la situation. Le ministre italien parle-t-il au nom de son ministre des affaires étrangères, le baron Sonnino [22] ou au nom du roi et de la reine, la fille de Nicolas? En effet, le baron Sonnino apparaît comme méfiant vis-à-vis de la dynastie, et refusera le ravitaillement du Monténégro occupé, comme cela se passait pour la Serbie ou la Belgique, sous prétexte de la duplicité du roi [23]. Au contraire la royauté italienne n'acceptera pas de voir le Monténégro disparaître, du mois tant que le roi Nicolas sera en vie [24]. Mais une nouvelle fois les choses se compliquent. Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 37 Lorsque le roi menace de s'installer en Italie, ce que craignent la France et la Russie [25], Victor-Emmanuel l'en dissuade. Au contraire à la même période le gouvernement reçoit une allocation de 100 000 francs de la part du gouvernement italien [26]. Il apparaît donc en réalité que le gouvernement et même la dynastie italienne se désintéressent plus du sort de la dynastie monténégrine que du Monténégro lui-même [27]. L'Italie s'accommoderait mal d'une déchéance du gospadar dans le cas d'une union de la Serbie et du Monténégro, même si elle sait ce mouvement inévitable. Son but est donc de le retarder "non par amour pour le Monténégro, mais par défiance d'une Serbie démesurément agrandie et qui aspire, sans le dire ouvertement, à disputer à l'Italie la maîtrise de l'Adriatique" [28]. Le Monténégro n'est donc pour elle qu'une monnaie d'échange avec la future Yougoslavie [29]. La politique italienne est donc de favoriser les dissensions entre le Monténégro et les autres Alliés pour mieux l'arrimer à elle. Ces autres Alliés; la Russie et la France notamment qui ont eux décidé de jouer la carte serbe dans les Balkans voient de façon négative ses tentatives de rapprochement. Et pour y parer, ainsi qu'à toute velléité d'indépendance politique de la part de Nicolas, ils usent de l'arme financière, en coupant ou diminuant les subventions allouées par l'Entente au gouvernement monténégrin; baisse de 200 000 à 100 000 francs de la subvention française et arrêt de la subvention russe en janvier 1917 à la suite de la démission du cabinet Radovitch [30]. Mais ces politiques n'en sont pas moins changeantes en fonction de la situation des états. Ainsi la Russie qui pesait de tout son poids pour l'union avec la Serbie [31] et qui refusait notamment la création d'une légion monténégrine comme on le verra dans le chapitre suivant, après la révolution, change d'avis. Rejetés dans le camp des vaincus par les autres membres de l'Entente, les Russes "Blancs" [32] voient dans le roi Nicolas un allié potentiel pour faire valoir leurs droits. Ainsi, Islavine, après avoir combattu les aspirations à l'autonomie du roi, entretiendra la "mégalomanie" du roi, en l'incitant à demander des garanties aux Alliés sur son retour au Monténégro et sur ses projets d'agrandissement territoriaux [33]. Il en est de même pour le Royaume-Uni qui sur les conseils de l'ancien représentant britannique au Monténégro, le comte Salis, avait arrêté son aide au Monténégro après l'occupation de Scutari. Sur l'insistance de la France, le gouvernement de Londres avait repris cette aide en janvier 1916 au moment du désastre pour le Monténégro. Elle continua en participant pour moitié (200 000 francs/mois) à l'allocation que l'Entente versait au gouvernement monténégrin en exil, mais l'avait supprimé en mai 1916 sous prétexte d'ordre administratif. Dans ce but Nicolas essayera de se rapprocher de Londres pour pouvoir de nouveau toucher cette indemnité [34]. Un an plus tard à la grande fureur des unionistes et des Serbes le président du conseil monténégrin E. Popovitch était décoré par le roi d'Angleterre [35]. Car à cette époque le Monténégro et de nouveau entré dans les faveurs du comte Salis. Dans d'autres occasions, le roi essaya de s'attirer l'amitié et la collaboration d'autres personnes comme Essad Pacha, le rebelle albanais qui soutenait les Alliés [36] ou d'autre pays comme les États-Unis sur lesquels Nicolas fondait de grands espoirs surtout après la déclaration des 14 points [37]. Lors d'un entretien avec l'ambassadeur des USA en France, au moment de la Conférence Balkanique le 23 octobre 1917, celuici déclara à Popovitch "Eh bien ! Monsieur le président, vous n'êtes pas invité à la Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 38 conférence? Nous non plus, d'ailleurs! Mais rassurez-vous, vous serez invité à la grande conférence, celle où l'on prendra les résolutions définitives, je vous le promets au nom de M. Wilson comme au mien, et il sortira un Monténégro agrandi" [38]. Cette affirmation est reprise par le président des USA lui-même dans une réponse à un télégramme de félicitation du roi à l'occasion du 4 juillet 1918 [39]. Mais ces belles paroles de Wilson restèrent malheureusement lettres mortes, puisque après la Conférence, les États-Unis se retirèrent du jeu européen. L'attitude de la France à l'égard du Monténégro fut tout autre, dans le sens ou, elle poursuivit la politique qu'elle avait tracé avec le gouvernement du tzar; soutient à la Serbie dans ses projets d'union sans pour autant rompre avec le Monténégro qui était un état reconnu sur le plan international et qui de plus était un état Allié. Pour elle le Monténégro était suspecté à "juste titre" [40] puisque Delaroche-Vernet parlait ainsi du roi: "... à l'homme dissimulé et fourbe qu'a toujours été le roi" [41]. On reprochait au roi d'avoir une politique personnelle et d'avoir traité avec l'Autriche en janvier 1916. Cette duplicité, Nicolas n'est pourtant pas le seul à la pratiquer. La diplomatie française à plusieurs reprises fit preuve d'un certain cynisme à l'égard du Monténégro. Ainsi en 1915, à l'occasion du traité de Londres qui scellait l'entrée en guerre de l'Italie au côté de l'Entente, la France, la Grande-Bretagne et la Russie n'hésitent pas à attribuer à l'Italie les Bouches de Cattaro, malgré les droits reconnus du Monténégro sur cette région par la déclaration de 1909 [42]. En 1917, lors de l'offre de paix séparée a l'Autriche, la France n'hésite pas de nouveau à traiter sur le dos du Monténégro. Ainsi le 22 août 1917, la France lors des négociations avec le comte Revertera [43] propose à l'Autriche en échange de la paix "des rectifications de frontières sont possibles entre l'Autriche et le Monténégro." C'est-à-dire la cession du mont Lovtchen. Viennent ensuite les arrangements pour les autres pays "la Serbie rentrera dans ses frontières telles qu'elles existaient à la fin de juillet 1914. Elle sera territorialement unie au Monténégro" [44]. Non contente de négocier avec l'Autriche, chose qu'elle avait reprochée en son temps au Monténégro, la France dispose de ce pays comme d'une simple monnaie d'échange lui appartenant. Cette attitude ambiguë à l'égard des représentants officiels du Monténégro, la France l'entretient aussi en apportant un soutien plus ou moins dissimulé, aux partisans de l'union en laissant entrer leurs revues parues en Suisse, alors que dans le même temps, elle refuse l'entrée de revues royalistes, car celles-ci sont jugées austrophiles [45]. Cette politique de soutien aux revues du Comité Monténégrin pour l'Union Nationale s'applique aussi à ses membres. Ainsi le gouvernement se retrouve-t-il embarrasser lorsque le 29 août 1918 le gouvernement monténégrin publie un arrêté mettant en accusation de haute trahison les membres du Comité (Radovitch, Spassoyevitch, Gatalo, Djourachkovitch et Ivanovitch). La France s'autorise des actions qu'elle refuse au Monténégro en traitant avec l'Autriche et pratique la duplicité dans ses rapports avec le Monténégro. En suivant le raisonnement qu'elle a sur l'attitude du Monténégro, nous pourrions être conduit à dire que la France a trahi, trahi un de ses alliés; le Monténégro. Mais l'étude des rapports serbo-monténégrins nous montre qu'elle ne fut pas la seule. Notes 1. Dépêche colonel Fournier représentant du général Mondésir chargé de l'évacuation des troupes Serbes (Scutari) à MAE, AMAE, gu14-18, n°324, p 52, "mouvements de pillage" Dépêche Delaroche (Paris) à MAE, AMAE, gu14-18, n°328, p 50, parle de violentes manifestations contre le roi, 48 heures après son départ, devant le palais. Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 39 2. Dépêche colonel Fournier à MAE, AMAE, gu14-18, n°324, p 131 3. Dépêche Delaroche (Lyon) à MAE, AMAE, gu14-18, n°324, p 9 4. Dépêche Delaroche (Lyon) à MAE, AMAE, gu14-18, n°324, p 16, il parlera même des "nouvelles intrigues" tandis que le ministre italien parle de Genève comme d'un centre d'action austro-monténégrine 5. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°325, p 32 6. Communication de Vechnitch (ambassadeur de Serbie en France) à MAE, AMAE, gu14-18, n°326, p 1 7. Dépêche Boppe (Corfou) à MAE, AMAE, gu14-18, n°326, p 114 8. Dépêche Delaroche (Bordeaux) à MAE, AMAE, gu14-18, n°325, p 185 9. Note du MAE, AMAE, gu14-18, n°324, p 108 10. Dépêche Delaroche (Bordeaux) à MAE, AMAE, gu14-18, n°324, p120 11. Y. Spassoyevitch, Le roi Nicolas et l'union du Monténégro à la Serbie, 1918 12. Dépêche Delaroche (Paris) à MAE, AMAE, gu14-18, n°330, p 234, déclaration de démission du cabinet Matanovitch. 13. Note de Brunet (député français, chargé d'affaire monténégrin en France) à MAE, AMAE, gu14-18, n°325, p 45 14. Entretien Miouchkovitch et secrétaire de de Margerie le 12.01.1917, AMAE, gu14-18, n°329, p 39 15. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°329, p 54 16. Écoutes téléphoniques des communications de Brunet par la préfecture de Bordeaux le 05.05.1916 "du roi au dernier soldat, se sont tous des fripouilles." 17. Adresse du ministère des affaires étrangères français à Paris et donc par extension autre nom donné à celui-ci. 18. Note Brunet (Bordeaux) à MAE, AMAE, gu14-18, n°325, p 78 et 161 19. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°328, p 55 20. Politique d'expansion à l'Est et notamment dans les Balkans pour les Autrichiens. Mais c'est une politique qui s'inscrit plus généralement dans un contexte "germanique" d'expansion vers l'Est pour repousser les Slaves et commencé dès le Moyen-Âge, avec l'expansion du Saint-Empire Romain Germanique. 21. Région côtière de la Croatie ce qui lui offre un débouché sur l'Adriatique. Possession vénitienne jusqu'à Napoléon Ier, puis attribuée à l'Autriche au Congrès de Vienne en 1815, l'Italie estime avoir des droits historiques sur cette région, d'autant qu'une minorité d'Italiens y vit encore. 22. Fonctionnaire du ministère italien des Affaires étrangères puis homme politique conservateur il s'opposera à l'autre grand homme politique italien de l'avant-guerre: Giovanni Giolitti. En tant que ministre des Affaires étrangères il négocie au nom de l'Italie le traité de Londres (1915) qui marque l'entrée en guerre de l'Italie aux côtés des Alliés. 23. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°336, p 105 et 158 24. Dépêche Barrère (Rome) à MAE, AMAE, gu14-18, n°329, p 82 25. Note du MAE, AMAE, gu14-18, n°325, p 32 26. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°331, p 166 27. Dépêche Barrère à MAE, AMAE, gu14-18, n°332, p 176 28. Dépêche Barrère à MAE, AMAE, gu14-18, n°327, p 44 29. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°336, p 181 30. Note Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°1478b, p 31 Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°329, p 44 31. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°329, p 123 Islavine, le ministre plénipotentiaire russe auprès de Nicolas Ier, déclare que l'on ne peut pas attendre la mort du souverain pour régler le sort du Monténégro, car il lui sera impossible de se rétablir. À cet effet il demande une concertation entre les membres de l'Entente. 32. En opposition aux Russes "Rouges" ou bolchévik qui ont pris le pouvoir en Russie à la suite de la Révolution d'Octobre 1917. 33. Note Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 198 34. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°331, p 17 35. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 21 36. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°327, p 9 37. Un des 14 points du président W. Wilson prévoyait la restauration des états occupés par les Centraux; la Belgique, la Serbie et le Monténégro. 38. MAE à ambassade de France à Washington, AMAE, gu14-18, n°331 p 176 Président démocrate des États-Unis d'Amérique depuis 1912, il a été réélu en 1916 sur un programme neutraliste vis-àvis du conflit en Europe et ce en adéquation avec les aspirations de son peuple. Mais une fois réélu, il profite du mouvement de protestation de l'opinion américaine soulevé par la guerre sous-marine à outrance déclarée par Guillaume II (de nombreux navires civils américains sous coulés) pour engager son pays aux côtés des Alliés (6 avril 1917). Idéaliste de part ces convictions religieuses, il s'efforcera de faire valoir les Quatorze Points (ses buts de guerre) face aux prétentions des vainqueurs lors du traité de Versailles en 1919. Il réussira aussi un imposer la création d'un "gouvernement mondial" à travers la création de la Société Des Nations. Cependant, désavoué par le Sénat américain et une opinion isolationniste, il ne put parachever son œuvre. 39. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7 p 22 "... will have confidence in the détermination of the U.S. to see that in the final victory, that will come, the integrity and rights of Monténégro shall be secured and recognized." 40. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°332, p 120 41. Dépêche Delaroche (Bordeaux) à MAE, AMAE, gu14-18, n°325, p 108 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 40 42. Article 5 du traité de Londres le 26 avril 1915. 43. Le comte Nicolas de Revertera a été nommé par Charles Ier pour engager des pourparles en vue d'une paix séparée avec le comte Abel Armand, capitaine du 2e Bureau français en août 1917. Ces négociations se révèleront être un échec. 44. Sixte de Bourbon, L'offre de paix séparée de l'Autriche, 1920, p 281 à 289. Dans une annotation, le prince de Bourbon précise "encore un peuple, celui du Monténégro, dont on dispose avant qu'il ne parle clairement luimême." Beau-frère du nouvel empereur Charles Ier, Sixte de Bourbon Parme s'efforcera de transmettre aux Alliés les désirs de paix de l'empereur. Mais les ambitions de certains (Ribot ministre des Affaires étrangères et Clemenceau) ainsi que les exigences italiennes feront échouer ces tentatives et contribueront à ressouder l'alliance germanoautrichienne alors en position de force sur le plan militaire depuis l'armistice avec les bolcheviks et la défaite italienne de Caporetto (aujourd'hui Kobarid en Slovénie) à la fin de 1917. 45. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°332, p 10 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 41 V. Les rapports serbo-monténégrins La victoire des Centraux dans les Balkans en janvier 1916 a obligé les deux États balkaniques Alliés que sont la Serbie et le Monténégro à trouver refuge chez leurs alliés. Ou tout du moins, dans des régions contrôlées par eux, puisque le gouvernement serbe en exil s'installa sur l'île grecque de Corfou alors que ce pays était officiellement neutre. Cette épreuve que constitue l'exil aurait dû normalement rapprocher ces deux pays que des divergences avaient séparés au moment de la défaite. Il n'en fut rien. Et ces deux pays dont les relations achoppaient sur le problème de l'union, se divisèrent et s'affrontèrent directement à travers le problème de la légion monténégrine ou bien indirectement à travers le Comité Monténégrin pour l'Union Nationale d'Andriya Radovitch. La Serbie mis donc tout en œuvre pour discréditer le Monténégro et son souverain aux yeux des Alliés, pour pouvoir ensuite justifier le rattachement du Monténégro à la couronne des Karageorgevitch, au moment de la libération du pays. A. La Serbie, le Monténégro et l'union La prise de conscience de l'existence de nations yougoslaves prend naissance au début du XIX siècle, dans deux foyers bien distincts. Tout d'abord, dans l'Empire habsbourgeois avec l'illyrisme et la prise de conscience d'une communauté de destin entre Slovènes et Croates, après l'expérience des provinces illyriennes de l'Empire napoléonien. L'autre foyer tourne autour de l'orbite serbe et de la lutte pour l'indépendance contre les Ottomans; c'est l'idée pan serbe. L'union du Monténégro à la Serbie se rattache à cette conception qui fait de la nation serbe le pôle fédérateur des nations sud-slaves. Cette idée trouve ses racines dans l'histoire médiévale de la Serbie et de la vision quasi mythique qu'en ont les Serbes; l'Empire de Douchan. Celuici regroupait toute la nation serbe en un seul état, avant d'être séparé en deux branches; les Serbes de Serbie et les Serbes du Monténégro, par l'invasion turque. Si le Monténégro réussit à préserver son indépendance, la Serbie quant à elle vécut sous la domination ottomane jusqu'au XIX siècle. Le but des deux branches était donc de repousser les Turcs et de reconstruire cette unité perdue. Une fois son autonomie (en 1829) puis son indépendance acquise (en 1878), la Serbie et le Monténégro purent s'atteler à cette mission. Ainsi par deux fois les deux principautés s'y essayèrent. Une première fois lorsque Danilo II déclare à propos du prince Michel Obrénovitch "je monterais la garde devant la tente du prince Michel, pourvu que la nation serbe fût libérée et unie" [1]. Cette politique d'alliance entre les deux nations se poursuit avec le successeur de Danilo qui n'est autre que Nicolas Ier. Celui-ci signe avec Michel de Serbie en 1865, un traité qui prévoyait l'union des deux pays. Le jeune Nicolas promettait de renoncer au trône et Michel s'engageait à le prendre comme héritier, s'il n'avait pas de descendance directe. Mais l'assassinat de ce dernier en 1869 vient interrompre ce processus, puisque Michel est remplacé par son cousin Milan [2] en contradiction avec l'accord précédemment conclu [3]. À partir de cette période, l'antagonisme entre les deux principautés ira croissant, même s'ils se retrouvent lors des conflits qui les opposent aux Turcs en 1878 et 19121913 ou lors du conflit présent contre les Autrichiens. Cet antagonisme est entretenu par l'orientation austrophile que prennent le roi Milan et son successeur Alexandre [4]. Le Monténégro attire donc à cette époque-là, les aspirations du peuple serbe, grâce notamment à son alliance longue de deux siècles avec la Russie, ce qui n'est pas Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 42 pour déplaire au prince Nicolas. L'assassinat d'Alexandre en 1903 et son remplacement par Pierre Ier Karageorgevitch [5] changent cet état de fait. La Serbie redevient le pôle d'attraction des Serbes, rôle que jouait imparfaitement le Monténégro du fait de sa pauvreté. Ce changement des rôles n'est pas pour satisfaire Nicolas qui y voit là un danger pour sa dynastie. Ainsi faut-il voir l'érection de la principauté en royaume en 1910, comme une volonté de s'affirmer face aux prétentions fédératrices du royaume de Serbie. En effet, l'arrivée au pouvoir des Karageorgevitch n'a fait que renforcer les divergences entre les deux branches du peuple serbe, tout du moins entre les deux dynasties, puisque chacune d'elle peut prétendre à l'héritage de l'Empire de Douchan. Dans cette optique le roi qui a accordé une constitution doit faire face à une opposition naissante qui réclame l'union à la Serbie. Cette lutte entre les deux dynasties trouva, avantguerre, son paroxysme avec l'affaire des bombes en 1907, dans laquelle furent impliqués Radovitch et à travers lui, la Serbie qui finançait et armait cette opposition. Machination de Nicolas ou complot de la Serbie, les relations entre les deux pays s'en ressentirent jusqu'aux Guerres Balkaniques. Cette guerre qui donna des frontières communes aux deux pays relança le débat sur l'union et à la demande de la Skoupchtina monténégrine, des négociations entre les deux pays furent entreprises à propos d'une union douanière et d'une meilleure coopération entre les deux pays. La Première Guerre Mondiale vint les interrompre. Le premier conflit mondial posait donc la question de l'union de manière encore plus évidente. La Serbie voulait profiter de cette occasion pour la rendre inévitable et s'employa donc à le démontrer aux Alliés, en discréditant à leurs yeux le Monténégro. Cette entreprise de déstabilisation commença durant le conflit et trouva un de ses aboutissements dans la suspicion des Alliés à l'encontre du roi après la défaite de janvier 1916, puis se poursuivit tout au long de l'exil. À cet égard la politique ambiguë du roi ne fit que renforcer ces doutes. D'abord résolument contre toute idée d'union; trois gouvernements successifs tombèrent car le roi ne voulait pas aborder le problème, le roi se ravisa petit a petit. Ainsi en décembre 1916, lors d'une discussion avec Islavine, le roi évoque-t-il une abdication si on lui assurait une position conforme à son rang [6], c'est-à-dire une rente et un apanage. Mais les "pressions" italiennes y mirent un terme. Durant l'année 1917, constatant que le mouvement devenait de plus en plus inévitable, l'entourage royal, pour montrer la volonté unioniste du roi, émit l'idée d'une fédération de tous les peuples yougoslaves et que, dans cette idée, il reconnaissait l'utilité d'un rapprochement entre les deux pays [7], provoquant ainsi la fureur de la Serbie qui était ainsi obligée de dévoiler ses projets et de dire son opposition à toute idée fédératrice qui selon elle ferait le jeu des Centraux. En effet, la politique serbe suivait deux axes; à la fois l'union avec le Monténégro et la création d'une Grande Serbie, regroupant les Slaves du sud. Cette dernière devait être conçue autour de la Serbie avec un pouvoir central fort qui modèlerait les différents peuples pour n'en faire qu'un, selon le modèle français de l'état unitaire. Mais cette conception faisait peur aux populations slaves de l'Empire habsbourgeois. Rejeter l'idée de fédération c'était se mettre à dos ces populations. L'union de la Serbie et du Monténégro relevait d'une autre optique. Pour elle en effet, quelle que soit l'issue du Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 43 conflit, le maintient du statu quo ante entre les deux pays n'est plus possible. Ainsi la Serbie ne lie pas victoire et union au Monténégro. Elle n'hésitera donc pas à utiliser tous les moyens pour y parvenir [8] et ce, malgré les déclarations de M. Pachitch qui "... estime donc que dans ces conditions le mieux est de laisser dormir la question de l'union du Monténégro à la Serbie; la question est posée et du fait des Monténégrins eux-mêmes (...). L'union est fatale et elle se fera en dépit de l'opposition de l'Italie" [9]. Ainsi tout en continuant à reconnaître le gouvernement monténégrin, elle réduit sa représentation auprès du roi Nicolas en remplaçant son ministre plénipotentiaire par un simple chargé d'affaire, "à quoi serviraient ces agents, puisque le roi Nicolas n'agit qu'à sa guise (...). Nous avons un chargé d'affaire auprès de son gouvernement; cela suffit pour marquer que nos relations ne sont pas rompues..." (Pachitch) [10] ou en rappelant son attaché militaire en avril 1917 [11]. Dans un but de propagande et pour contrecarrer les projets monténégrins, elle n'hésite pas à demander au gouvernement américain, une subvention pour secourir la population monténégrine [12]. Son action va jusqu'à infiltrer l'entourage royal. Soit en débauchant l'entourage du roi comme le docteur Iliytch ministre des finances et de la justice du cabinet Matanovitch [13] ou Veliko Militchevitch, ministre de la justice démissionnaire du gouvernement d'Eugène Popovitch le 18 septembre 1917 [14]. Soit en y introduisant des agents provocateurs comme Guenchitch qui excite le roi contre la Serbie "... afin de lui faire faire des gaffes" [15] ou des informateurs comme Spassoyevitch [16]. Ce dernier rejoindra d'ailleurs plus tard le Comité Monténégrin pour l'Union Nationale de Radovitch. Comité qu'elle soutient financièrement [17] et politiquement en le considérant de plus en plus comme le représentant légal des aspirations du peuple monténégrin [18]. Petit à petit donc, à travers ce comité, la Serbie se prépare à rompre avec le Monténégro, en plaçant les pays de l'Entente devant le fait accompli de l'annexion au moment de la victoire finale. B. Radovitch et le Comité Monténégrin pour l'Union Nationale Un "parti" unioniste existait déjà au Monténégro avant-guerre, mais celui-ci ne prend une véritable ampleur qu'au cours du conflit, avec la création le 4 avril 1917, à Genève, d'un Comité Monténégrin pour l'Union Nationale par Andriya Radovitch, Premier Ministre démissionnaire trois mois plutôt. Par son action, il s'attira toutes les haines du "parti" royaliste. Ainsi, importe-t-il de connaître le personnage avant de voir son action au sein du Comité. À plus d'un titre, son attitude fut aussi ambiguë que celle du roi, qu'il avait pris pour cible de ses attaques. Fils d'un serviteur du roi, Radovitch est envoyé, au frais du prince Nicolas, en Italie pour poursuivre ses études. Une fois rentré au Monténégro, il devient officier d'ordonnance dans l'entourage princier. Il sera même nommé ministre. Pourtant en 1907 un complot contre le roi est découvert (affaire des bombes). À l'occasion de celui-ci, le roi devait être tué ainsi que ses fils et le rattachement à la Serbie aussitôt proclamée. Radovitch y aurait pris part, et se retrouve ainsi condamné à 15 ans de travaux forcés. Cependant, il est gracié six ans plus tard. Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 44 Avec la guerre et malgré cette affaire, Radovitch rentre de nouveau dans les faveurs du roi. Il devient conseiller d'état charger du ravitaillement, ce qui lui vaut d'être remarqué et apprécié par le commandant Grellier et Delaroche-Vernet [19]. Jugement que Delaroche réitérera à plusieurs reprises [20]. Ceci ne l'empêche pas de succéder à Miouchkovitch au poste de président du conseil, le 13 mai 1916, à la suite d'intrigues menées avec l'aide de Pierre Plamenatz qui avait été son avocat pendant l'affaire des bombes. Cette amitié lui vaut alors d'être qualifie d'italophile [21]. Si, au début de sa présidence, il s'efforce de prouver l'innocence de son pays, en combattant les accusations de l'administration serbe, en déclarant notamment à Islavine et Delaroche qu'il possédait la lettre du colonel Pechitch du 12 janvier 1916, dans laquelle celui-ci conseillait au roi de demander la paix [22]. Très vite, dès le mois d'août, on assiste à un retournement dans ses positions. Ainsi déclare-t-il de retour d'une visite du front français "nous n'avons qu'un seul chef, c'est le prince Alexandre." [23] Puis il envoie deux mémorandums, prônant les bienfaits d'une union avec la Serbie, l'un à la reine Hélène d'Italie, l'autre au roi Nicolas. Pour lui la mission du Monténégro est finie, la race serbe doit vivre au sein d'un même état, pour des raisons historiques et économiques, puisque dans le monde à venir le Monténégro ne pourrait survivre seul [24]. Ce mémorandum ne reçut aucune réponse de la part du roi qui en accord avec l'Italie, refuse toute idée d'union avec la Serbie. Ainsi réitère-t-il une nouvelle fois, en menaçant de démissionner [25] ce qu'il fait le 11 janvier 1917 devant le refus du roi d'évoquer la question de l'union [26], provoquant le mécontentement des Russes et des Français. En avril, il fonde avec d'autres Monténégrins le Comité Monténégrin pour l'Union Nationale et alors, n'aura de cesse de se présenter comme le seul représentant légal du Monténégro auprès des puissances de l'Entente. Quelles sont les raisons de ce profond revirement qui lui ont fait accepter la charge de président du conseil en mai 1916, pour huit mois plus tard, se ranger résolument dans le camp des adversaires du roi Nicolas? Pour se justifier dans la polémique qui l'opposera à Vladimir Popovitch, par journaux interposés, Radovitch évoquera que c'est au cours de son passage au gouvernement qu'il fut convaincu de la déloyauté des princes, puisque n'étant pas retourné au Monténégro durant l'année 1915, il était alors en mission de ravitaillement en Italie en France et en Grande-Bretagne, il n'était pas au courant des tractations austro-monténégrines de l'époque [27]. Or, cette affirmation s'avère être fausse selon Popovitch puisqu'il serait revenu en novembre 1915 avec la mission anglaise de ravitaillement. Il était donc au courant de l'entrevue du prince Pierre et du colonel Hubka et d'ailleurs répondit par deux fois dans des journaux italiens aux accusations de trahison lancées par ces journaux [28]. Ces deux articles contredisent par ailleurs les déclarations que Radovitch fera plus tard en dénonçant la trahison lors de l'entrevue de Budua lors de laquelle le roi aurait vendu le mont Lovtchen, expliquant ainsi la défaite éclair [29]. Pour V. Popovitch, ce retournement de Radovitch serait uniquement dû à une avance de 500 000 francs faite par le gouvernement serbe par l'intermédiaire de M. Vechnitch. En effet Radovitch ne voulut jamais révéler l'origine des fonds qui lui ont permis de créer le Comité ainsi qu'une demi-douzaine de publications, en plusieurs langues, s'y rapportant. Il évoquait les dons de riches marchands serbes [30]. Les débauchages effectués par le gouvernement serbe dans l'entourage du roi, évoqués plus haut, peuvent nous amener à en douter, surtout après les déclarations de P. Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 45 Voutchkovitch, membre du Comité Monténégrin pour l'Union Nationale [31], qui tendent à prouver les suppositions de Popovitch [32]. Reprochant au roi ses compromissions avec les Centraux, on peut d'ailleurs se poser la question de savoir comment et avec quelles aides la femme et la belle-mère de Radovitch ont pu venir en France en passant par l'Autriche [33]. Radovitch crée donc le Comité Monténégrin pour l'Union Nationale. Ce Comité reprend les principes que Radovitch avait évoqués dans ses deux mémorandums, tout en les "extrémisants", puisqu'il ne parle plus de compromis dynastique entre les Petrovitch-Niegoch et les Karageorgevitch. Parmi les membres fondateurs, on retrouve deux de ses anciens ministres Y. Spassoyevitch et P. Voutchkovitch, un ancien ministre de la guerre Gatalo et M. Ivanovitch condamné en même temps que lui lors de l'affaire des bombes. Bien que n'agissant pas selon eux par vengeance personnelle [34] ils cherchent en cela à justifier l'union du Monténégro à la Serbie par d'autres raisons que la trahison du roi. En dehors des raisons historiques, ils évoquent aussi bien des raisons économiques que les intérêts qu'ils y auraient pour les Alliés, à la création d'un grand État yougoslave faisant barrage à la poussée germanique [35], alors qu'un Monténégro indépendant serait en proie à des luttes intérieures dont les Centraux pourraient tirer profit. Ils reprennent en cela l'idée des dirigeants serbes qui après la Déclaration de Corfou [36], se veulent les garants de la stabilité des Balkans à travers l'union de tous les Slaves du sud et non plus des Serbes uniquement. Il est à remarquer d'ailleurs que cette déclaration qui dispose du Monténégro sans que ses représentants y participent [37], ne fait même pas place au Comité, alors que celui-ci a été voulu et créé par la Serbie. Ce qui veut dire que dès cette date, le 20 juillet 1917, la Serbie considère l'annexion comme une chose acquise. Le Comité s'y associera le 17 août [38]. Mais l'argumentation principale reste quand même la duplicité du roi. Ce qui amènera de vives polémiques entre partisans et adversaires de l'union par presse helvétique interposée, ce qui amena le gouvernement à interdire l'entrée de ces journaux sur le sol français [39]. Mais le Comité détourna cette interdiction en les faisant publiés en France et ce sans que la censure ne s'en mêle, au contraire des publications nicolaistes. Ce parti pris des autorités françaises se retrouve aussi dans l'autre question qui empoisonne les relations entre le Monténégro et la Serbie; le sort de la légion monténégrine. C. La légion monténégrine Après sa retraite à travers les montagnes d'Albanie et du Monténégro, l'armée Serbe fut recueillie par les Alliés, puis transférée vers Corfou en vue de son rééquipement pour pouvoir ensuite l'envoyer de nouveau sur le front. Conscients que le même sort attendait l'armée monténégrine, les Alliés décidèrent de prendre les mêmes dispositions pour celle-ci [40]. Mais cette décision tout comme la promesse de ravitaillement, intervenait bien tard, nous étions le 12 janvier. De plus si l'évacuation de l'armée serbe avait été rendue possible, les Alliés le devaient en partie aux troupes monténégrines qui, constituant l'arrière-garde des forces serbes, protégeaient la retraite serbe. Or personne ne protégeait les arrières des Monténégrins. Encore éloignée des points de départ situés sur la côte et après la prise de Scutari par les Autrichiens sans combats, alors que le siège de cette ville en 1913 avait coûté 10 000 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 46 hommes au Monténégro, l'armée monténégrine se retrouvait prise dans une nasse. Son évacuation devenait impossible. Abandonnés par les Alliés et notamment les Serbes qui fuyaient en direction de Durazzo, seuls quelques Monténégrins réussirent à fuir et à rejoindre Durazzo en compagnie de 2 000 volontaires monténégrins originaires des territoires autrichiens qui avaient fui pour ne pas être fusillés comme déserteurs et traîtres [41]. En accord avec la décision du 12 janvier, il fut décider de créer une unité monténégrine indépendante, mais le peu de Monténégrins ne le permirent pas. Cherchant à profiter de cette situation, les Serbes et notamment le colonel Pechitch cherchèrent à les incorporer dans leur armée [42], provoquant une réaction de Radovitch qui était alors pour la reconstitution d'une armée monténégrine [43]. Il sera opposé à un tel projet d'incorporation jusqu'en octobre 1916, c'est-à-dire après son premier mémorandum pour l'union. Dans une dépêche qu'il fait parvenir à Brunet, il parle d'intrigues qui ont abouti au changement de dénomination du bataillon et au refus qui est fait à ces volontaires de porter l'écusson et le drapeau monténégrin [44] ainsi que de percevoir la solde versée par le roi [45]. Dans l'impossibilité de créer une armée monténégrine et devant l'hostilité russe à tout projet de ce type notamment avec l'apport de Monténégrins venant d'Amérique [46], la France décide alors de ne pas insister. Le bataillon est alors envoyé sur le front de Salonique sous la dénomination de bataillon bosniaque attaché à la légion étrangère, car la France refuse de recevoir des volontaires appartenant à des pays belligérants et ce malgré leur demande. Se reconnaissant comme faisant toujours partie de l'armée monténégrine, ils demandent au représentant monténégrin sur place; N. Haydoucovitch, de leur fournir des cocardes monténégrines. Cette action provoque la fureur des représentants serbes qui par l'intermédiaire du général en chef de la mission serbe, Raditch porte l'affaire devant le grand quartier général Allié. Ne voulant pas froisser ses alliés serbes, Joffre refuse le port de la cocarde et dans une dépêche au général Sarrail déclare; "je vous rappelle, à ce propos, que l'armée monténégrine n'existe plus et que le principe de la réorganisation d'unités monténégrines distinctes a été écarté par le ministère des affaires étrangères" [47]. Cette décision et le renvoi de Haydoucovitch par Sarrail après que celui-ci ait été accusé d'espionnage par les Serbes provoquèrent dans le bataillon des troubles. Ce qui conduisit le général Sarrail à les renvoyer en France, dans le camp d'internement de Cervione en Corse [48]. Cette décision et l'internement de ces volontaires monténégrins d'origine austro-hongroise qui s'étaient battu pour la cause alliée dans les rangs monténégrins jusqu'en janvier 1916 déclenchèrent une nouvelle crise entre la Serbie et le Monténégro. Chacun des deux pays cherchant à s'attirer les faveurs de ces hommes, on assista alors à une guerre des passeports de complaisance. Ce problème des internes de Cervione resurgira en 1918, lorsque le gouvernement serbe voulut de nouveau les incorporer dans son armée. Ne se cachant pas de leur partialité à l'égard du Monténégro [49], et ne voulant pas froisser le général Raditch, le gouvernement français décide d'attribuer ces soldats à l'armée serbe alors qu'il l'avait refusé au Monténégro sous le prétexte que ces soldats étaient des sujets autrichiens [50]. Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 47 Le refus russe puis le refus français de créer un corps monténégrin indépendant avait pour finalité de contrarier les buts de Nicolas. Celui-ci voulait en effet, à travers cette légion, à la fois marquer qu'il était toujours partie prenante dans le conflit et ainsi pouvoir participer aux négociations finales en position de force. Mais aussi assurer son retour en créant un "corps de janissaires" [51] qui sous son commandement libérerait le Monténégro, tuant ainsi dans l'œuf les projets d'annexion de la Serbie, comme le prouvera la victoire Alliée dans les Balkans ou malgré les assurances données par la France, les troupes serbes libéreront le pays et mettront les Alliés devant le fait accompli. Notes 1. A. Radovitch, Le Monténégro et ses tendances nationales, 1918, p 9 2. Milan Obrénovitch, prince puis roi de Serbie à la suite de l'assassinat de son cousin Michel (Mihailo) en 1869 jusqu'en 1889 date à laquelle il doit abdiquer à la suite d'un divorce. 3. A. Radovitch, Le Monténégro et ses tendances nationales, 1918, p 9 4. Alexandre Obrénovitch, fils de Milan devient roi à la suite de l'abdication de son père. Son autoritarisme et sa politique pro-autrichienne sucitent le mécontentement des nationalistes serbes (la Main Noire) qui finissent par l'assassiner lors d'un attentat en 1903. 5. Roi de Serbie en 1903 à la suite de la mort d'Alexandre, puis roi des Serbes, Croates et Slovènes à la fin du premier conflit mondial. Il est le représentant de la deuxième grande dynastie; les Karageorgevitch (avec les Obrénovitch) qui ont contribué à l'indépendance de la Serbie. Fils d'Alexandre Karageorgevitch (prince de Serbie de 1842 à 1858), il a été élevé en France et à ce titre réoriente la politique extérieure de son pays dans un sens plus favorable à la Triple Entente. Affaibli, il laisse le pouvoir à son second fils Alexandre qui prend le titre de prince-régent en juin 1914. 6. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°328, p 111 7. Dépêche Boppe (Corfou) à MAE, AMAE, gu14-18, n°330, p 162 Dépêches Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°331, p 18 et 30 8. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°327, p 21 "Le gouvernement serbe serait tout disposé à mettre à profit et peut-être même à encourager ces dispositions de l'opinion publique monténégrine pour provoquer un mouvement tendant à l'annexion (sous une forme quelconque) du Monténégro à la Serbie." 9. Dépêche Boppe (Corfou) à MAE, AMAE, gu14-18, n°327, p 192 10. Dépêche Boppe à MAE, AMAE, gu14-18, n°329, p 23 11. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°330, p 122 12. Dépêche Fontenay (Corfou) à MAE, AMAE, gu14-18, n°332, p 72 Représentant du gouvernement français auprès du prince-régent Alexandre de Serbie. 13. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°331, p 85 14. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°331, p 153 15. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 98 16. Dépêche Boppe (Corfou) à MAE, AMAE, gu14-18, n°328, p 103 17. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°330, 61. Selon Radovitch, ce comité est financé par un riche commerçant serbe dont il ne peut révéler le nom. Ceci aura pour effet de provoquer une polémique avec V. Popovitch. SHA, Les armées alliées en Orient après l'armistice de 1918, 1972, p 86-89, "... constitué (le comité) en Suisse dés 1917 par A. Radovitch (...) largement subventionné par le gouvernement serbe." (Franchet d'Esperey). 18. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°331 p 165 où selon Delaroche-Vernet le gouvernement Serbe a "l'intention bien arrêtée de s'abstenir désormais de toute collaboration avec le Monténégro dans les affaires balkaniques et peut-être même le désir d'espacer de plus en plus ses relations avec le roi Nicolas afin de développer plus librement la coopération de la Serbie avec le parti fusionniste monténégrin." 19. Dépêche Delaroche (Cettigné) à MAE, AMAE, gu14-18, n°322, p 51 20. Dépêche Delaroche (Bordeaux) à MAE, AMAE, gu14-18, n°325, p 72. Radovitch possède "... deux qualités rares chez ses compatriotes à savoir la franchise et la loyauté." 21. Dépêche Delaroche (Bordeaux) à MAE, AMAE, gu14-18, n°325, p 125 22. Dépêche Delaroche (Bordeaux) à MAE, AMAE, gu14-18, n°325, p 182 23. Note Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°327, p 4 24. Archive MAE, gu14-18, n°327, p 83-89 25. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°329, p 33 26. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°329, p 44 27. V. Popovitch, [censuré...] ou M. André Radovitch, 1917, p 13 28. Articles du 10.10.1915 du Giornale d'Italia et du 04.02.1916 de Idea Nazionale 29. Le Bulletin Monténégrin juillet 1917 30. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°330, p 61 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 48 31. Celui-ci démissionnera du comité après la déclaration de Pachitch dans le n°2 de L'Union, dans laquelle il déclare que le Monténégro jouira des mêmes libertés que la Macédoine, sans reconnaître les particularités du pays. Il s'opposera aussi à Radovitch sur la question des fonds qui étaient directement gérés par la Serbie. 32. Dépêche tirée de [censuré...] où M. André Radovitch, de Popovitch Vladimir Paris, Lang et Blanchong, 1917, p 46 33. Dépêche Delaroche (Bordeaux) à MAE, AMAE, gu14-18, n°325, p 202 Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°329, p 66 34. A. Radovitch, Le Monténégro et ses tendances nationales, 1918, p 15 35. A. Radovitch, Le Monténégro et ses tendances nationales, 1918, p 17 36. Déclaration de Corfou (20 juillet 1917) conclue entre le gouvernement serbe en exil (Nicolas Pachitch) et le Comité yougoslave constitué à Londres (présidé par Ante Trumbitch), représentant les Slaves du sud de l'empire austro-hongrois qui prévoie la création d'une monarchie parlementaire constitutionnelle et démocratique avec la dynastie serbe des Karageorgevitch à sa tête. 37. À ce propos, il est à noter les contradictions de Radovitch sur ce sujet, puisque dans son ouvrage, La question du Monténégro, il déclare que c'est Nicolas qui refuse d'y participer. Alors que dans un autre de ses ouvrages, Le Monténégro son passé et son avenir, il déclare que si le roi n'a pas été invité c'est pour ne pas introduire une "note discordante". 38. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°331, p 113 39. Télégramme Radovitch à Pichon du 28.08.1918, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°4, p 14 40. Dépêche MAE à Delaroche (Podgoritza), AMAE, gu14-18, n°324, p30 41. Dépêche colonel Fournier (Durazzo) à ministère de la guerre, AMAE, gu14-18, n°324, p 136 Dépêche général Mondésir (Corfou) à ministère de la guerre, AMAE, gu14-18, n°324, p 139 42. Dépêche Joffre à ministère de la guerre, AMAE, gu14-18, n°324, p 109 43. Dépêche tirée de [censuré...] où M. André Radovitch, de Popovitch Vladimir Paris, Lang et Blanchong, 1917, p 50 44. Télégramme Radovitch à Brunet le 03.10.1916, AMAE, gu14-18, n°334, p 1 45. Dépêche Delaroche (Bordeaux) à MAE, AMAE, gu14-18, n°326, p 82 46. Dépêche Delaroche (Paris) à MAE, AMAE, gu14-18, n°325, p 37 "... elles ne feront rien pendant cette guerre et au moment de la paix, elles nous gêneront et compliqueront les choses." (Islavine). 47. Dépêche Joffre à Sarrail, AMAE, gu14-18, n°326, p 89 48. Dépêche Sarrail à ministère de la guerre, AMAE, gu14-18, n°327, p 58 49. Dépêche MAE au ministère de la guerre, AMAE, gu14-18,n°334, p 151 50. Dépêche MAE à ministère de la guerre, AMAE, gu14-18, n°334, p 231 51. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°334, p 46 Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 55 Cette expression fait référence à un corps d'infanterie d'élite de l'armée ottomane (en turc yenitcherie signifie "nouvelle troupe") fondé au XIV siècle. Ce corps était constitué d'enfants chrétiens enlevés à leurs parents, puis islamisés, turquisés et éduqués. Ils devenaient ensuite des serviteurs dévoués du sultan. Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 49 VI. 1918 et la victoire Alliée La victoire des Alliés sur le front de l'Ouest fut précédée par leur victoire dans les Balkans. En effet, le sort des Centraux dans cette région est scellé dès octobre 1918, soit un mois avant le front français. L'offensive de Ludendorff [1] du printemps avait obligé les Centraux à dégarnir leur flanc sud. Profitant de cette occasion, les Alliés allaient enfin pouvoir s'engager au-delà de la frontière gréco-serbe sur laquelle s'était fixée le front depuis deux ans. Une fois l'obstacle Bulgare passé, il fallut moins d'un mois pour atteindre Belgrade. Le Monténégro était quant à lui atteint dès le 12 octobre et 15 jours plus tard entièrement libéré. Mais libérer par des troupes serbes ou "yougoslaves" contrairement aux assurances faites par la France au roi Nicolas. Ses craintes, de ne pouvoir rentrer dans son royaume, se trouvèrent très vite justifiées, puisqu'une assemblée réunit à Podgoritza décrétait moins d'un mois après la libération du pays, la déchéance des Petrovitch-Niegoch et le rattachement du Monténégro à la Serbie. La victoire des Alliés se soldait donc par la disparition d'un des leurs. A. La victoire Alliée dans les Balkans... Lorsque les Alliés s'installent à Salonique en octobre 1915, la pérennité de ce nouveau front n'est pas acquise. Les Anglais et notamment le généralissime Kitchener y sont opposés. Pour eux l'on ne peut pas défendre Salonique et l'Égypte. Ce dernier réussit à convaincre Briand de la nécessité de quitter Salonique qui de plus est située dans un pays neutre, pour concentrer les forces Alliées d'Orient en Palestine. Berthelot [2] réussit de nouveau à le retourner, ainsi que Poincaré [3] et l'état-major de Joffre. Ces derniers ont en effet tout à craindre d'un échec de la politique de Briand, après celui de Delcassé. Son échec signifierait l'arrivée au pouvoir de Clemenceau [4] (alors président de la commission de l'armée au Sénat), or celui-ci est résolument contre toute dispersion des forces; la guerre doit se gagner en France. La Grande-Bretagne se ravise le 11 décembre et il est décidé de transférer les troupes du corps expéditionnaire de Gallipoli sur Salonique. Mais elles arrivent trop tard pour venir en aide aux Serbes, le front se fige déjà sur la frontière. Dans le but de soutenir l'effort Allié à Verdun, une offensive est déclenchée par Sarrail. Monastir en territoire serbe est libérée le 17 octobre 1916. Mais cette victoire s'est faite au prix de lourds efforts. En effet, les obstacles naturels que constituent ici les Balkans, demande trop d'efforts en homme et matériel par rapport aux nécessités du front de l'Ouest. C'est ainsi que le front se fige de nouveau et cette fois-ci pour deux ans. L'année 1917 sera donc une année d'attente, ce qui amènera Clemenceau à parler des "jardiniers de Salonique" en parlant des troupes de Sarrail. Ainsi qu'une année de trouble, marquée par, l'exécution du lieutenant-colonel serbe Dimitrievitch [5] pour complot contre le prince-régent Alexandre, des mutineries dans le corps expéditionnaire à cause de retard dans les permissions, ainsi que par la mise au pas de la Grèce, dont le roi Constantin est obligé d'abdiquer en faveur de son fils cadet Alexandre à la suite des pressions Alliées [6]. Ce changement permet à Venizélos de redevenir chef du gouvernement et de déclarer la guerre aux puissances centrales le 30 juin 1917. La Grèce fournit alors aux Alliés une aide de 15 divisions qui furent engagées sur le front de Salonique à côté de huit divisions françaises, six serbes, quatre anglaises et une italienne. Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 50 En décembre 1917, Sarrail est rappelé par le nouveau président du conseil Clemenceau pour prendre le commandement de la défense de Paris. Il est remplacé par Guillaumat [7] qui lui-même est remplacé en juin par Franchet d'Esperey [8] après avoir réussit à restructurer un corps expéditionnaire qui partait en déliquescence. Dès son arrivée à Salonique le 6 juin, Franchet d'Esperey reprend le plan de Sarrail qui prévoyait une attaque au centre dans la région des monts Dobropolje [9], dans le secteur serbe. Il réussit redonner confiance à ceux-ci en plaçant deux divisions françaises sous les ordres du prince Alexandre. Ce plan ne plait guère aux Anglais pour qui les Bulgares, après la démission du cabinet Radoslavov, sont près à se détacher des Centraux, ainsi que par les Italiens qui jalousent et craignent les ambitions serbes. Cependant, Guillaumat qui est retourné à Paris auprès de Clemenceau, réussit à soulever certaines des réticences du président du conseil à l'égard du front d'Orient. Une offensive de Guillaumat en mai, dans la région de Skra-Gevgelija [10] avait déjà prouvé les faiblesses de l'armée de Ferdinand Ier et le 18 septembre après trois jours de combat les Serbes s'emparent des monts Dobropolje et enfoncent les lignes Bulgares qui entament leur retraite. Usküb est atteinte le 29, le jour même de l'armistice Bulgare signé à Salonique. La route de Belgrade était alors ouverte d'autant plus que le lendemain la Turquie signait un armistice à Moudros [11], ce qui permettait aux Britanniques de l'amiral Gough-Calthorpe [12] d'occuper Constantinople. Décidant de pousser son avantage Franchet d'Esperey veut marcher sur la Hongrie et Vienne. Mais Clemenceau ne voulant pas reconnaître son erreur à propos du front d'Orient, lui demande d'obliquer vers l'Est, vers la Roumanie. Empêchant ainsi la guerre de se terminer un peu plus tôt puisque l'Autriche ne capitulera que le 3 novembre sur le front italien. B. ... Et ses conséquences sur le Monténégro Lorsque les troupes Alliées arrivent au Monténégro, celui-ci est occupé depuis maintenant plus de deux ans par les Autrichiens. Pourtant celles-ci n'arrivent pas dans un pays entièrement sous occupation autrichienne. En effet malgré l'internement des hommes en Hongrie et la mise sous loi martiale du pays [13] et grâce à la configuration topographique du Monténégro, une résistance s'est mise en place dès le mois de juin 1916. Selon le Bosnich Post, organe officieux du gouvernement bosniaque, plusieurs mouvements de rébellion auraient vu le jour dès cette date. Ces mouvements se localisent principalement dans deux régions du royaume. Tout d'abord dans la région de Kolachin [14] où la tribu des Vassoyevitch qui s'était rebellée doit subir une dure répression de la part des autorités autrichiennes [15]. Et ensuite dans la région frontalière albanaise où le général Vechovitch, ancien commandant de la quatrième colonne, a pris les armes à la tête de 2 000 à 3 000 hommes [16] qui refusent d'être internés en Hongrie comme 35 000 à 50 000 de leurs compatriotes. Pour essayer de mettre fin à cette guérilla, les autorités autrichiennes iront jusqu'à prendre en otage le père et le frère du général. Ce dernier sera même fusillé devant le refus du général de déposer les armes et de se rendre [17]. Cependant au cours des mois, cette action des haydouks [18] contre la présence autrichienne prend de plus en plus l'allure d'une lutte entre adversaires et partisans du roi, ces derniers étant considérés comme austrophiles [19]. En octobre 1918, le pays est donc retombé dans une anarchie où les tribus s'affrontent entre elles et où les Autrichiens contrôlent de moins en moins le territoire. Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 51 L'offensive Alliée dans cette région des Balkans suivit deux axes. L'un vient du SudOuest par le Kosovo et l'autre du sud par l'Albanie. Ce dernier a à sa tête les troupes italiennes du général Ferrero qui stationnaient jusqu'ici dans le sud de l'Albanie, entre Valona et le lac d'Okrida [20] à l'Ouest de Monastir. Elles remontent donc le long de l'Albanie et atteignent Scutari le 3 novembre, mais trois jours après les troupes de l'Adriatique du colonel Fourtou [21]. Celles-ci qui composaient l'autre axe de pénétration dans le pays monténégrin étaient essentiellement formées de "Yougoslaves" encadrés par des Français. Les troupes de l'Adriatique avaient atteint le Monténégro dès le 12 octobre en libérant la région de Ipek et de Diakova, puis poursuivant leur avancée sur Scutari, avaient libéré Podgoritza le 1er novembre [22]. Une fois la capitale libérée le 4 et Cattaro occupée le 8 novembre, une nouvelle situation, dont allait dépendre la suite des événements dans cette région, se mit en place. En effet malgré l'unité de commandement Alliée deux zones d'occupations vont se mettre en place de facto. D'un côté les Italiens, soucieux de leurs intérêts et de leur hantise de voir des Serbes sur l'Adriatique, vont s'efforcer de contrôler le littoral monténégrin entre la frontière albanaise et Cattaro en occupant les ports [23]. De l'autre les "forces yougoslaves" qui venues de l'Est contrôlent l'intérieur du pays avec l'assentiment du commandement français. Pour le roi Nicolas, cette occupation de fait, par des troupes serbes, de son royaume, allait à l'encontre de ses intérêts. Aussi, pressentant cette situation, avait-il fait de nombreuses démarches pour revenir dans son pays. Pour le roi, en effet la situation était claire; il lui fallait revenir dans son pays, parer à toute tentative de remise en cause de son pouvoir, "j'ai peur que mes Monténégrins ne fassent des bêtises (...). Il faut qu'ils me sentent près d'eux pour qu'ils soient raisonnables" [24]. Ainsi fait-il part à Delaroche de son désir de rentrer dans son pays en suivant la progression des troupes italiennes en Albanie, dès le lendemain de l'armistice bulgare [25]. Il réitérera cette demande à plusieurs reprises, sous de multiples formes, tout au long du mois d'octobre. Pour lui le danger venait des initiatives serbes "ce sont des révolutionnaires, des anarchistes" [26] et de leurs alliés du Comité Monténégrin pour l'Union Nationale dont il demande au gouvernement français, avec le soutien italien, de ne pas les autoriser à partir pour Salonique [27]. Ces derniers au contraire espéraient que le gouvernement français n'autoriserait pas le départ du roi [28]. Dans le but de rendre ce retour improbable, ils avaient fait part au Quai d'Orsay qu'ils riposteraient à un retour du roi par des bombes et des émeutes [29]. Devant ces risques de troubles que les déclarations antérieures de Nicolas ne démentaient pas "il faudra que nous revenions à Cettigné en automobile blindée (...). Vous me laisserez bien, n'est ce pas couper quelques têtes lorsque je serai de retour là-bas?", Delaroche préconisa au ministère des affaires étrangères de différer pour le moment le retour du roi. Mais l'attitude de celui-ci restait équivoque. Reconnaissant toujours le gouvernement de Popovitch et le roi Nicolas comme les représentants légaux du Monténégro, le gouvernement français leur donna par deux fois l'assurance que son autorité serait respectée et que les autorités Alliées sur place agiraient en son nom [30]. Mais d'un autre côté, refusait de mettre par écrit les raisons du refus de ce retour [31], pour ne pas qu'on puisse lui reprocher plus tard, d'avoir mis des entraves au retour du roi. Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 52 Dans cette même optique Delaroche demande une action concertée avec les autres Alliés, pour ne pas que cette décision incombe entièrement au gouvernement français [32]. Cette attitude devint encore plus compromettante, lorsque malgré les déclarations françaises faites au gouvernement italien [33], la France ne mit aucune entrave et même favorisa le retour par Salonique de Radovitch et de membres du Comité, en complète contradiction avec ses précédentes affirmations. Il en est de même pour les consignes qui sont données par Clemenceau à Franchet d'Esperey, qui doit agir au nom du roi, mais ne doit prendre aucune mesure politique pour faire respecter l'autorité royale au nom de laquelle il agit; "le sentiment de la population ne devra être violé en aucune manière et l'autorité militaire ne devra en aucun cas se faire l'instrument de mesures de représailles ou de répressions d'ordre politique, que le gouvernement du roi Nicolas tenterait d'exercer" [34] alors même que ce gouvernement est empêché de rentrer d'exil. De plus il n'est fait aucune mention de la conduite à tenir en cas de représailles serbes à l'encontre des partisans du roi et qui donc violeraient l'autorité d'un gouvernement toujours reconnu par la France. Le gouvernement français a en effet refusé de certifier par écrit au roi que seules des troupes françaises pénètreraient au Monténégro [35], ce qui lui permettait ainsi d'utiliser des agents "yougoslaves" pour fomenter des mouvements insurrectionnels sur les arrières des Autrichiens. Mais une nouvelle fois, le gouvernement français ne veut pas prendre ses responsabilités et veut agir sous couvert serbe "il est à croire que les émissaires qui sont employés par le général Franchet d'Esperey, en raison de leurs origines, favoriseront cette dernière tendance (unioniste). Comme il s'agit, avant tout, d'échapper à la domination autrichienne, nous ne pouvons reculer devant les moyens à employer, mais il y aurait peut-être intérêt à laisser nos alliés serbes assumer au moins en apparence la direction et la responsabilité de ces manœuvres" [36]. Ainsi les troupes serbes purent-elles pénétrer au Monténégro et participer à sa libération en fomentant des rébellions qui aboutirent à la libération de Nikchitz, Berane et Andryevitza [37]. Si pour le gouvernement monténégrin ces révoltes sont le fruit des actions des comitadjis [38] serbes du commandant serbe Pavle Blajovitch [39], elles ont au contraire pour les unionistes, précédé l'arrivée des Alliés qui une fois sur place n'ont fait que respecter ces nouvelles autorités mises en place à la suite du soulèvement du peuple monténégrin [40]. Les décisions prises plus tard par ces autorités ne devaient donc rien, selon eux, à la présence de troupes serbes. Et les premières décisions prises par ce nouveau pouvoir seront lourdes de conséquence pour le roi, puisqu'elles signifieront la fin de sa dynastie. C. La fin des Petrovitch-Niegoch Les craintes du roi avaient donc été justifiées, la libération de son pays avait entraîné de facto le rattachement du Monténégro à la Serbie. Lorsque Radovitch évoque les nouvelles autorités mises en place avant l'arrivée des Alliés, il fait référence à la création d'un Comité National Provisoire Exécutif qui dès le 7 novembre décide de faire procéder à l'élection des députés d'une Grande Skoupchtina qui décidera du "futur statut national du Monténégro et afin de choisir un comité exécutif permanent national qui dirigera le travail et exécutera les décisions de l'assemblée" [41]. À la tête de ce comité provisoire se trouve Y. Spassoyevitch, membre du Comité Monténégrin pour l'Union Nationale de Genève ainsi que deux Serbes; R. Kosovitch et Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 53 S. Tomitch, ce qui tendrait à prouver que ces nouvelles autorités, mises en place à la suite du soulèvement du peuple monténégrin, se sont en réalité installées à la suite de l'arrivée des Serbes, contrairement aux affirmations des unionistes. Ces élections au suffrage indirect eurent lieu les 17 et 19 novembre. Par un jeu de proportionnalité, le Comité National Provisoire Exécutif accordait plus de poids aux nouvelles provinces de 1913 qu'au vieux Monténégro pourtant plus peuplé mais aussi peut-être plus fidèle à la dynastie. De plus le scrutin fut public, laissant ainsi libre cours à toutes formes de pression, car si le Comité c'était soi-disant formé avant l'arrivée des troupes yougoslaves, les élections quant à elles eurent lieu en leur présence. Les unionistes reprendront les conclusions de la commission internationale dirigée par Franchet d'Esperey le 2 février 1919, pour justifier de la bonne tenue des élections. À savoir que les troupes yougoslaves au nombre de 500 n'avaient pu exercer aucune influence sur "50 000 monténégrins armés" et que dans ces conditions les élections avaient été bien plus libres que sous Nicolas [42]. Sans vouloir remettre en cause les conclusions de Franchet d'Esperey dont on connaît l'amitié pour le prince-régent Alexandre de Serbie, on peut être amené à se poser des questions sur les profondes divergences entre ses conclusions et un rapport de l'étatmajor général effectué le 14 décembre. Celui-ci parle de l'empressement des autorités serbes à régler le sort de l'union en refusant d'attendre le retour des prisonniers (entre 35 000 et 50 000) et en fournissant elles mêmes les bulletins de votes ainsi que les différentes proclamations préalablement imprimées en Serbie. De plus dans ce rapport, il est fait allusion au fait que si les Monténégrins n'avaient pas été désarmés par les Autrichiens, il y aurait eu une véritable guerre civile. Où sont donc les 50 000 Monténégrins armés face aux 500 pauvres soldats "yougoslaves"? [43] Élue dans des conditions sujettes à caution [44], la Grande Skoupchtina se réunit donc le 24 novembre à Podgoritza dans le but de statuer sur le sort du Monténégro. Celle-ci dans sa première cession, le 26 décide: • la déchéance de Nicolas Ier Petrovitch-Niegoch ainsi que de sa dynastie. • l'union du Monténégro à la Serbie en un seul et unique état sous le règne de la dynastie des Karageorgevitch qui,` • ainsi unie, entre dans la patrie commune de notre peuple au trois noms; Serbes, Croates et Slovènes. Dans sa séance du 28, elle procède à l'élection d'un Comité Exécutif de cinq membres qui ont en charge de gouverner le pays jusqu'à ce que l'union rentre dans les faits. Ces cinq membres sont: • le voïvode Stevo Voukotich (frère de la reine Miléna mais ennemi personnel des Petrovitch depuis l'affaire des bombes) • Marko Dakovitch • Spasoje Piletitch • Lazare Damjanovitch • Risto Joitch Le 7 décembre, ce comité informe les différentes chancelleries qu'il est désormais le seul pouvoir légal au Monténégro. Durant la clôture de cette première session de la Grande Skoupchtina le 29, une nouvelle décision est prise. Celle-ci ordonne la Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 54 confiscation des biens de la couronne et interdiction est faite au roi et a sa dynastie d'entrer au Monténégro [45]. Selon les partisans de l'union, ces décisions auraient été prises à la quasi-unanimité et dans la liesse générale sans aucune forme de pression. Pourtant si l'on se réfère toujours au rapport de l'état-major général ces décisions n'ont pas été si unanimes. En effet lors de la première séance les représentants des Nahias [46] de Katounska, Rietchka, Tzeklinska, Tzermeniska et Zeta c'est-à-dire du vieux Monténégro, fidèles à la dynastie (et non au roi et ses fils mais au fils de Mirko) comprenant le vrai but de cette Grande Skoupchtina qui était d'entériner l'annexion du Monténégro, décidèrent de quitter la séance. Les Serbes durent verser des pots-de-vin aux députés restants et menacer d'utiliser la force pour s'assurer de la décision. Pour entériner les résolutions prises par la Grande Skoupchtina, celles-ci furent communiquées au roi, aux gouvernements Alliés et neutres ainsi qu'au prince Alexandre qui reçut une délégation de députés dirigée par le métropolite d'Ipek le 19 décembre qui acquiesça "avec émotion et reconnaissance" à l'offre de la couronne monténégrine [47]. Les décisions de l'assemblée et la reconnaissance de celle-ci par le prince-régent marquaient de facto la suspension de relations diplomatiques entre la Serbie et le Monténégro, suspension qui fut annoncée officiellement le 30 décembre [48]. Cette décision provoqua des divergences parmi les Alliés, entre des Italiens toujours résolument contre, mais plus pour leur propres intérêts que pour ceux de Nicolas, des Britanniques qui par respect de la dignité royale voulaient condamner ce coup de force et des Français soucieux de ménager leur allié serbe. L'inaction des grandes puissances légitimait donc ce véritable coup de force des autorités serbes. Trois années d'exil se soldaient donc par la victoire des Alliés mais aussi par la disparition du royaume monténégrin qui faisait, de fait, partie de la Serbie, même si les grandes puissances reconnaissaient toujours le gouvernement royal comme le représentant légitime du Monténégro. Cette annexion qui mettait fin à cinq siècles d'indépendance monténégrine avait pris forme dans la première partie du conflit qui avait vu le Monténégro déposer les armes dans des conditions qui parurent à l'époque suspectes. Elle profita donc de ces trois années d'exil pour mûrir sous l'action conjuguée des campagnes de diffamations du Comité Monténégrin pour l'Union Nationale d'Andriya Radovitch orchestrées en sous-main par la Serbie, des maladresses du roi et de son entourage dans lequel régnait une véritable atmosphère de cabale, ainsi que de "l'hypocrisie" des grandes puissances qui se servirent du Monténégro au gré de leurs intérêts comme l'Italie qui passe de l'hostilité à la compromission ou la France qui, sous couvert de respecter le droit et les valeurs de la justice, laisse faire son allié serbe et même l'encourage dans sa volonté de créer un "cordon sanitaire" slave sur le flanc sud du monde germanique, même si pour cela il lui faut utiliser des moyens plus que douteux. Le peu de manière que mettront les Serbes à respecter les traditions, les us et coutumes du Monténégro, allant même jusqu'à la répression cruelle ne pourra que favoriser un mouvement anti-annexionniste, et ce même si au départ une large partie de la population était hostile au retour du roi et favorable à l'union de tous les Serbes sous quelques formes que se soient. Notes 1. Général allemand, disciple de Schlieffen, il entre à l'état-major d'Hindenburg. Par son action il contribua à la chute du gouvernement de Bethmann-Hollweg en 1917. Puis prendra une grande part aux opérations militaires Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 55 entre 1917 et la défaite de novembre 1918 qui l'oblige un temps à fuir en Suède. Il revient en Allemagne en 1919 et prend part à différentes tentatives de putsch nationaliste et notamment celle de Muniche en 1923 en compagnie d'Hitler. 2. Philippe Berthelot (1866-1934) directeur des Affaires politiques de 1913 à 1920 au ministère des Affaires étrangères. 3. Homme politique de droite français, président de la République entre 1913 et 1920. Durant et après le traité de Versailles il sera un partisan constant de la politique de "l'Allemagne doit payer". 4. Homme politique français membre du parti radical. Partisan de la lutte contre l'Allemagne, il pourfend tous ceux qui seraient selon lui enclin au défaitisme (en contribuant notamment à la chute de nombreux gouvernements). Alors que la France est en pleine période de doute après les victoires des Centraux à l'Est, il est rappelé au pouvoir par Poincaré en novembre 1917. Par son "énergisme", il redonne confiance aux Français contribuant ainsi à la victoire finale ("le père la victoire"). Son intransigeance à l'égard de l'Allemagne vaincue contribuera à une vision négative du traité de Versailles par les populations vaincues (le diktat de Versailles), provoquant ainsi un sentiment de revanche qui éclatera lors de la Deuxième Guerre Mondiale. 5. Membre de la Main Noire, il participa à l'assassinat des Obrénovitch en 1903 et fut à l'origine de l'attentat de Sarajevo. 6. Constantin Ier de Grèce, beau-frère de Guillaume II, refuse en 1914 d'engager son pays dans la guerre aux côtés des Alliés et ce malgré les pressions de son président du conseil Venizélos et de l'accord de défense signé avec la Serbie en 1913. Le débarquement des Alliés à Salonique puis à Corfou le pousse à séparer de Venizélos qui part fondé un gouvernement républicain à Salonique. La Grèce reste donc neutre; pour la contraindre à s'engager des troupes françaises débarquent au Pirée, et en juin 1917 le haut-commissaire français à Athènes contraint Constantin à abdiquer en faveur de son second fils Alexandre. Venizélos revient au pouvoir et déclare le guerre aux Centraux. 7. Général français commandant de la seconde armée de 1916 à 1917, il est désigné en décembre 1917 pour succéder au général Sarrail en tant que commandant des forces Alliées à Salonique. Il contribuera à réorganiser les troupes Alliées en y intégrant notamment les divisions grecques. Il remporte un premier succès, mais est rappeler le 30 mai 1918 pour organiser la défense de Paris menacé par l'offensive de Ludendorff de mars 1918. 8. Général français qui prend la suite de Guillaumat en juin 1918 en tant que commandant des forces Alliées en Orient. Il convint le Conseil Suprême des Forces Alliées (Foch) de l'utilité du second front et réussit à percer le front bulgare dans la région des monts Dobropolje avec l'aide des deux armées serbes. La Bulgarie s'effondre et demande l'armistice le 29 septembre. Il entame alors sa remontée vers Belgrade et le Danube et veut poursuivre sa route vers Budapest et Vienne. Il en est empêché par Clemenceau qui lui demande d'obliquer vers l'Est en direction de la Roumanie et de la Russie. Durant tout le temps de son commandement dans la région, il se comporta comme un véritable proconsul sur les territoires libérés. 9. Montagne à l'Est de Monastir (Bitola) marquant la frontière gréco-macedonienne. 10. Skra village grec, Gevgelija ville macédonienne situé sur le Vardar à la frontière gréco-macédonienne. 11. Village de l'île grecque de Lemnos dans la mer Égée. 12. Amiral britannique, commandant de la flotte britannique en Méditerranée. 13. Note Miouchkovitch à de Margerie, AMAE, gu14-18, n°324, p 139 14. Aujourd'hui Kolasin, ville de l'intérieur du Monténégro sur les bords de la Tara. 15. Dépêche Delaroche (Bordeaux) à MAE, AMAEgu14-18, n°326, p 84 Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°329, p 66 16. Lettre interceptée à destination de M. Alex Devine, Anglais mais qui a fondé un comité de soutien aux Monténégrins, AMAE, gu14-18, n°328, p 66 17. Dépêche Delaroche (Bordeaux) à MAE, AMAE, gu14-18, n°324, p 84 18. Brigand, bandit, rebelle contre les Turcs. 19. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, gu14-18, n°332, p 88 20. Lac Ohrid à la frontière albano-macédonienne. 21. Colonel puis général en charge du commandement Allié dans la région de Scutari, qu'il évacuera en mars 1920. 22. Communication du ministère des affaires étrangères monténégrin à Delaroche, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 173 23. Communication du Comité Monténégrin pour l'Union Nationale à Clemenceau, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 188 24. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 57 25. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 55 26. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 73 27. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 88 28. Conversation rapportée entre un ami de Radovitch et Gatalo à Genève, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 76 29. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 55 30. Déclarations de M. Pichon du 04.11.1918 et de M. Poincaré du 24.11.1918 Note Delaroche à Pichon, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 63 "Il n'est pas question de contester au roi la souveraineté du Monténégro, ni de favoriser actuellement un mouvement contraire à la dynastie. Le roi Nicolas reste le souverain légal et c'est en son nom que les autorités alliées devront réoccuper le Monténégro." 31. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 94 32. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 57 33. Dépêche MAE à Barrère (Rome), AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 100 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 56 34. Dépêche Clemenceau à Franchet d'Esperey, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 122 35. Dépêche MAE à Delaroche, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 93 36. Dépêche MAE à Clemenceau, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 68 37. ou Ivangrad, ville du Monténégro située dans les nouveaux territoires de 1913 du Sandjak et situé sur la rivière Lima (Lim). Aujourd'hui Andrijevica qui est située au Sud de Berane sur la même rivière. 38. Francs-tireurs; terme employé au XIX et XX siècle en Macédoine pour désigner les membres de l'Organisation Intérieure Révolutionnaire de Macédoine (ORIM). Possède par la suite une connotation péjorative chez les Serbes après la guerre contre la Bulgarie qui soutenait les membres de l'ORIM. 39. Dépêche ministère des affaires étrangères du Monténégro à Delaroche, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°7, p 155 40. A. Radovitch..., La question du Monténégro, 1919 41. Ministère des affaires étrangères du Monténégro, Le rôle de la France dans l'annexion forcée du Monténégro, 1921, p 68 42. Anonyme, La question monténégrine. Rapports et documents, 1919, p 36 43. Informations transmises par l'état-major général à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°8, p 92209. 44. SHA, Les armées alliées en Orient après l'armistice de 1918, 1972, p 87. "Une Grande Skoupchtina, élue au suffrage universel par tous les cantons du pays, dans des conditions peut-être un peu arbitraires..." 45. Z. Tomitch, La formation de l'État yougoslave, 1927, p 132-140 46. Représente le plus petite des circonscriptions administratives dans les Balkans. 47. Dépêche Fontenay (Belgrade) à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°8, p 45 48. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°8, p 65 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 57 Troisième partie Le rattachement au royaume S.H.S. (1918-1921) Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 58 Après avoir vu dans les deux premières parties les raisons qui ont amené à l'annexion ou l'union du Monténégro à la Serbie, à la fin du premier conflit mondial, j'essayerai de voir dans quelles conditions s'est effectué ce rattachement à la Serbie puis au royaume des Serbes, Croates et Slovènes. En effet, si la Serbie prend comme référence le vote du 26 novembre 1918, et la réception par le prince-régent Alexandre de la délégation de la Grande Skoupchtina le 19 décembre de la même année, pour enregistrer la réunion des deux pays, il n'en sera pas de même pour les autres pays Alliés. Le problème de la reconnaissance de cette union par les puissances s'éternisera pendant les deux années qui suivirent la fin du conflit. Et même au-delà, si l'on se place du point de vue de la politique intérieure yougoslave. Ces deux années qui suivirent la libération du Monténégro de l'occupation autrichienne furent marquées par la volonté de la Serbie puis du royaume S.H.S., de légitimer sur le plan international, l'occupation puis l'annexion de fait, par ces derniers du territoire monténégrin. En effet si l'administration serbe avait succédé à l'occupation Alliée, le sort du Monténégro n'en était nullement réglé; les puissances reconnaissaient toujours le roi Nicolas comme souverain du Monténégro. Ce dernier ainsi que ses partisans mirent à profit cette ambiguïté diplomatique pour résister à cette annexion, tant sur le plan diplomatique que sur le plan intérieur en fomentant un mouvement insurrectionnel au Monténégro, opposant les Verts et les Blancs. Ces tentatives furent réduites à néant par la reconnaissance de cette union par les puissances, au lendemain des élections de la Constituante de Belgrade le 28 novembre 1920. Pourtant le sort du Monténégro, à travers cette reconnaissance tardive et quelque peu ambiguë (les élections ne furent qu'un prétexte utile pour se débarrasser d'un problème encombrant), n'en était pas moins toujours en suspend sur le plan international, comme le prouveront les multiples démarches effectuées par les gouvernements monténégrins en exil auprès notamment de la Société des Nations. VII. Les Alliés et l'occupation du Monténégro A. L'occupation Alliée du Monténégro Lorsque les troupes Alliées pénètrent au Monténégro en octobre-novembre 1918, se met alors en place une occupation du Monténégro ainsi que de Cattaro et Scutari, sous les ordres du haut commandement interallié d'Orient du général Franchet d'Esperey. Ces détachements interalliés dirigés par le général Venel [1], sont composés de troupes françaises, britanniques, américaines, serbes et italiennes. Cependant ces deux dernières soucieuses de leurs intérêts respectifs possèdent aussi sur place des troupes qui ne relèvent pas de ce haut commandement et de ce fait agissent sans en référer à Salonique puis Constantinople où se trouve le haut commandement de l'armée d'Orient. Cette situation engendre dans les faits deux zones d'occupation bien distinctes; l'une italienne cantonnée sur le littoral monténégrin (Cattaro, Niegoch, Virpazar, Antivari, Dulcigno, et Scutari), l'autre Serbe se localisant plus à l'intérieur des terres, même si elle se trouve aussi sur le littoral. Les rivalités entre les deux pays vont conduire à plusieurs reprises à des incidents, mais le plus souvent par l'intermédiaire de leurs partisans respectifs. Ainsi lorsque les Italiens décident d'occuper Cettigné en novembre 1918, ceux-ci sont repoussés par les partisans de l'union [2]. La multiplication des incidents conduira les Alliés à envisager le départ des troupes serbes et italiennes pour les remplacer par des Américains et des Britanniques [3]. Mais le refus de ces deux pays, de s'engager plus en avant dans Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 59 le problème yougoslave, ne permettra pas une telle solution et après leurs départs en avril 1919, les troupes Alliées ne seront plus composées que de français, d'italiens et de serbes. Pris entre deux feux, les Italiens et les Serbes tendent à rejeter sur la France la responsabilité de la situation dans l'Adriatique, Clemenceau décide l'évacuation du détachement interallié du Monténégro [4]. Cependant Serbes et Italiens refusent d'obtempérer. Pour les premiers, fort de la reconnaissance du royaume S.H.S. par les États-Unis, leurs troupes ne peuvent pas évacuer un territoire qui est placé sous leur souveraineté. Quant aux seconds, ils déclarent ne pas dépendre du général Tahon [5], nouveau commandant des forces Alliées au Monténégro. Cette situation durera jusqu'en juin 1920, lorsque les Italiens, lassés par le peu de résultat obtenu, quitteront le Monténégro [6]. Ce départ ne signifiait pas pour autant leur désintérêt complet pour cette région, puisque comme je le verrai dans le chapitre suivant, l'activité déstabilisatrice entreprise par les Italiens perdurera jusqu'au Traité de Rapallo. Si, par leur attitude, les Italiens ont contribué à empoisonner la situation, la partialité des autorités françaises dans l'occupation du Monténégro n'a pas été sans effet. On retrouve ce parti pris à la fois sur le terrain et dans les relations avec le gouvernement du roi Nicolas. Ainsi lors d'une tentative d'insurrection à Cettigné, organisée par Yovan Plamenatz, contre la présence serbe, le général Venel n'hésita pas à faire feu sur les rebelles [7], pour préserver la ville. Or, lors de leur arrivée au Monténégro les autorités militaires avaient ordre à la fois d'agir au nom du roi (elles n'ont pourtant rien fait pour faire respecter cette autorité), mais aussi de ne pas intervenir dans les luttes politiques. Conscient de ce parti pris E. Popovitch, président du conseil monténégrin refuse de rentrer en France à cause du "mauvais vouloir" de celle-ci. Ainsi par deux fois des représentants de la France, tout en reconnaissant toujours le roi reconnaissent l'annexion de fait du royaume monténégrin par le royaume S.H.S.. Tardieu [8] en février 1919 refuse l'étude des frontières entre le Monténégro et la future Yougoslavie puisque le Monténégro faisait partie du royaume S.H.S., tandis que Millerand [9] accorde l'Albanie du Nord à la Serbie puisque "l'on part de l'idée que le Monténégro sera partie intégrante de l'État Serbe, Croate et Slovène" [10]. Par ces petites phrases, il apparaît de plus en plus évident que le fait accompli serbe au Monténégro, tend à devenir la norme, et que les gouvernements Alliés l'acceptent, (la France dès le mois de juin 1920 décide de supprimer sa légation à Cettigné) en attendant de trouver le moment propice pour rompre avec le Monténégro. Cependant le passage du Monténégro sous administration serbe ne se fera pas sans problème. B. Le Monténégro passe sous administration serbe La libération et l'occupation du pays par les troupes "yougoslaves" suivies de la résolution de la Grande Skoupchtina du 26 novembre avaient dans les faits rattaché le Monténégro au royaume de Serbie. Pour montrer que cette union était rentrée dans les faits le nouveau cabinet serbe de M. Protitch accueillit dans ses rangs un ministre monténégrin affecté au ravitaillement (M. Raitchevitch) [11]. Et dans le but de se montrer sur de son fait, accepte l'idée d'un plébiscite, mais ne voit pas l'utilité d'un contrôle Allié puisque la Serbie est un pays indépendant et démocratique [12]. Cependant à cette date, bien que les fonctionnaires et les militaires de Belgrade soient déjà sur place, le pouvoir au Monténégro dépend toujours du Comité Exécutif élu le 28 novembre, par une Grande Skoupchtina qui siège toujours. Ce n'est en effet Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 60 qu'à la fin avril que le Monténégro passe réellement sous administration serbe, avec l'arrivée du commissaire royal au Monténégro, Ivan Pavitchevitch et la dissolution de l'assemblée monténégrine [13]. En contrepartie, le Monténégro avait reçu dix sièges dans l'assemblée provisoire du royaume S.H.S. Le 17 février 1919 [14]. Mais cette transition ne s'est pas faite sans heurts pour les autorités serbes du Monténégro. Les méthodes employées par ces derniers, et malgré l'attitude conciliante du nouveau haut-commissaire [15], vont très vite faire naître un sentiment de frustration chez les Monténégrins, jaloux de leur indépendance, contribuant ainsi à renforcer le camp des opposants au nouveau régime et notamment celui des fédéralistes républicains [16]. Leur attitude agressive décrite dans de nombreux rapports ("... les Serbes adoptaient, tant au Monténégro qu'en Dalmatie, une attitude nettement agressive; ils semblent actuellement portés à se considérer comme les maîtres véritables du pays. (...) Les Serbes semblent plus disposés à considérer leurs nouvelles provinces comme des conquêtes que comme des états libres venus volontairement s'agréger à eux") [17] prenait différentes formes. Soit en agissant directement à travers des mesures répressives, en plaçant le Monténégro sous la loi martiale, restreignant la liberté de circulation (à l'intérieur du pays et entre le pays et l'extérieur, seuls les fidèles ont le droit de circuler comme bon leur semble) [18], ou en remplaçant les fonctionnaires monténégrins à cause de leur "incapacité" [19] par des fonctionnaires serbes: ceux-ci par exemples profitent en avril 1919, de l'absence du général Tahon, pour remplacer tous les préfets monténégrins [20]. Ou bien en favorisant "brutalement les militants serbes" qui eux-mêmes ne reculaient devant rien pour asseoir leur pouvoir [21]. Cette politique d'assimilation forcée par la terreur, déjà pratiquée par les Serbes en Macédoine en 1913 et décrite dans le rapport de la Fondation Canergie pour la Paix Internationale, Enquête dans les Balkans, 1914 (p 143-174) se prolongea tout au long de ces deux années et au-delà et ce malgré les dénégations de Pavitchevitch qui décrit un pays calme [22] appuyé en cela par les dépêches apaisantes envoyées par Fontenay. Ces atrocités commises par les autorités serbes furent d'ailleurs un des enjeux de la campagne électorale pour l'élection de la Constituante de Belgrade, ou radicaux et démocrates vont se rejeter mutuellement la responsabilité de ces crimes. Ainsi le journal La Tribuna de Belgrade, organe du parti radical de Pachitch, dans son numéro du 23 novembre 1920, parle-t-elle de la situation au Monténégro et incrimine au gouvernement démocrate de Davidovitch la responsabilité des crimes commis: "...vous êtes ceux qui ont tué Joko Tzoto (cul-de-jatte !). Vous êtes ceux qui ont tué la grand-mère de Nechko R. Nikolitch d'un coup de canon ! Vous êtes ceux dont le "comité d'exécution", par son décret le plus ignominieux, a assassiné la grand-mère de Simonovitch, du village de Dragovolitchi! Vous êtes ceux qui ont pillé des milliers de jupes et layettes d'enfants. Vous êtes ceux qui ont fourré des chats sous les jupes des femmes de Rovtza en les fouettant !" [23]. Ces allégations furent de nouveau citées à plusieurs reprises au cours des années vingt par ce même journal ainsi que par Balkan, un autre journal radical. Le 23 août 1922 ce dernier parle de 95% des maisons monténégrines qui ont été soit pillées, soit saccagées, soit incendiées (dans son édition du 20 septembre 1923 Le Tribuna évoque quant à elle 5 000 maisons brûlées). Ces déclarations postérieures viennent donc Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 61 corroborer les affirmations des indépendantistes monténégrins et notamment la déposition du général Vechovitch qui, après avoir tenu tête aux Autrichiens, se retrouve accusé de haute trahison par le gouvernement serbe pour avoir refusé de prêter serment au roi Pierre Ier et pour avoir rencontré le consul italien de Scutari. Durant son procès à Belgrade le 11 février 1921, il déclare que son pays "est transformé aujourd'hui en un enfer beaucoup plus terrible que celui de Dante. (...) On a planté des épines sous les ongles d'une femme pour lui faire dire, où se cachait son fils insurgé; on a mis des chats sous les jupes d'une autre en liant la partie inférieure de sa jupe, puis on a frappé les chats qui, devenus enragés, déchiraient la chair de la pauvre victime et tout cela pour obliger cette femme à dévoiler la retraite de son fils rebelle. La malheureuse a refusé de dénoncer celui-ci, mais elle a succombé sous les coups de bâtons et les déchirures de la bête enragée" [24]. On pourrait voir dans ces affirmations une volonté de propagande, entretenue par un esprit revanchard, notamment lorsque le ministère des affaires étrangères monténégrin publie en 1920 documents sur les atrocités serbes au Monténégro. Pourtant au-delà de ces témoignages qui peuvent paraître partiaux, ces accusations contre le régime serbe au Monténégro, sont reprises par des étrangers ayant été sur place. Étrangers que les autorités serbes supportent de moins en moins, ce qui la conduit notamment à expulser du Monténégro la mission britannique de ravitaillement du Monténégro le 29 mai 1920, ainsi que l'expulsion du colonel J. Burnham, chef de la mission humanitaire canadienne, le 14 juillet 1920 car selon les autorités serbes sa mission n'était plus en sûreté. Voici comment il décrit la situation: "ce malheureux pays va de mal en pis. Le peuple ne peut plus vivre dans ces conditions. Le pays tout entier est en deuil. À cause de cette indicible terreur, la population commence à perdre la raison. (...) Les Serbes ont essayé tous les procédés inavouables et inimaginables; et du moment qu'ils osèrent m'adresser des menaces de mort, il est facile de s'imaginer leur conduite envers la pauvre population du Monténégro..." [25]. Ces accusations sont aussi reprises par le capitaine américain Bruce envoyé en mission pour soustraire la famille d'un monténégrin naturalisé, aux exactions serbes [26]. Or peut-on reprocher à ces deux dernières nations d'avoir des visées sur le Monténégro qui déformeraient leurs jugements sur la situation? Internements, violences physiques et psychiques, saccages et pillages, situation de disette entretenue par les autorités serbes qui ne distribuent d'aide qu'aux familles loyalistes à l'égard du nouveau pouvoir, toutes ces accusations furent reprises dans un rapport de l'ancien représentant britannique à Cettigné, le comte Salis. Accusations tellement graves que lord Curzon [27], ministre du Foreign Office refusa, le 11 mars 1920, de divulguer à la chambre des lords, les conclusions de ce rapport, car les informations avaient été obtenues sous le sceau du silence [28]. Les élections de la Constituante ne réglèrent nullement le problème, puisqu'en 1922, le consul français de Scutari parle d'insécurité endémique et de répression difficile à cause de la complicité de la population [29]. Insécurité qui ne prendra fin qu'avec la mort du dernier comitadjis monténégrin; Raspopovitch en janvier 1924 [30]. L'annexion ne s'est donc pas faite sans des tentatives de résistance qui ont notamment amené au conflit Verts/Blancs (Monténégrins/Serbes et Nicolaistes/Unionistes). Notes 1. Général français, commandant des forces Alliées au Monténégro. 2. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°8, p 60 3. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°8, p 172 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 62 4. Dépêche Clemenceau à Franchet d'Esperey (Constantinople), AMAE, eu18-40, Monténégro, n°15, p 141 5. Général français, successeur du général Venel au Monténégro. 6. Dépêche Fontenay (Belgrade) à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°11, p 93 7. Dépêche Franchet d'Esperey (Salonique) à Clemenceau, AMAE, Monténégro, n°8, p132 8. Homme politique conservateur français et journaliste au journal Le Temps. Délégué français à la Conférence de la Paix, il n'eut de cesse durant la conférence en tant que collaborateur de Clemenceau et durant l'entre-deuxguerres en tant que ministre ou président du conseil d'agiter la menace allemande. 9. Homme politique français, membre du parti socialiste puis conservateur. Il fut plusieurs ministre et notamment de la guerre entre 1914 et 1915. il accéda à la fonction de président de la République en 1920 après la démission de Paul Deschanel mais dut se retirer devant l'opposition du Cartel des Gauches en 1924. Il incarna le rôle de leader du Bloc National. 10. Note MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°9, p 6 Dépêche ministère des affaires étrangères monténégrin à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°11, p 26 11. Note P. Chotch (ministre monténégrin qui assure l'intérim après le départ de Popovitch pour l'Italie) à Delaroche, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°8, p 125 12. Dépêche Fontenay (Belgrade) à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°8, p 169 13. Dépêche Fontenay à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°9, p 157 14. Dépêche Fontenay à MAE, AMAE, eu18-40, Yougoslavie, n°31, p 92 15. Note Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°9, p 222 16. Note Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°9, p 223 17. SHA, Les armées Alliées en Orient après l'armistice de 1918, 1972, T II p 139-146 18. Rapport de l'état-major général, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°8, p 92 19. Dépêche Fontenay à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°11, p 5 20. SHA, Les armées Alliées en Orient après l'armistice de 1918, 1972, T III p 23-26 21. SHA, Les armées Alliées en Orient après l'armistice de 1918, 1972, T II p 26, "Le parti serbisant a vu sa majorité se désagréger petit à petit mais, fort du vote de la Skoupchtina, il est décidé à se maintenir au pouvoir par les armes et, au besoin, contre la volonté de la majorité de la population." 22. Rapport du haut-commissaire remit au secrétariat général de la Conférence de la Paix, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°10, p 93 23. Dépêche Barrère à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°11, p 177. Repris dans Le rôle de la France dans l'annexion forcée du Monténégro, du ministère des affaires étrangères du Monténégro, 1921, p 85 24. Le rôle de la France dans l'annexion forcée du Monténégro, du ministère des affaires étrangères du Monténégro, 1921, p 167 25. Ministère des affaires étrangères du Monténégro, Documents sur les atrocités serbes au Monténégro, 1920, p 49 26. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°9, p 76 27. Homme politique conservateur britannique. Il fut vice-roi des Indes entre 1898 et 1905. Il dut quitter ce poste à la suite d'un désaccord avec Kitchener alors commandant de l'armée des Indes. Durant la Première Guerre Mondiale, il participe aux cabinet de coalition de Asquith et Lloyd George. Ministre du Foreign office de 1919 à 1924, il fut le principale artisan du traité de Lausanne en 1923 avec la Turquie. Son nom est aussi attaché à une ligne imaginaire qui fixa les frontières orientales de la nouvelle Pologne avant que celle-ci ne s'agrandisse à l'Est. Mais cette ligne a été reprise lors du nouveau tracé de la frontière soviéto-polonaise après 1945. 28. Ministère des affaires étrangères du Monténégro, Documents sur les atrocités serbes au Monténégro, 1920, p 5 29. Dépêche consulat de Raguse (Dubrovnik) à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°14, p 48 30. Dépêche consulat de Raguse à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°14, p 54 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 63 VIII. La résistance à "l'annexion" Les méthodes employées par les Serbes n'ont pas été sans créer tant à l'extérieur qu'à l'intérieur, un mouvement de protestation qui petit à petit pris l'allure d'un mouvement de résistance à l'annexion ou l'union. À l'extérieur, pour Nicolas les choix étaient simples. N'ayant pas reconnu la décision de le Grande Skoupchtina, il se devait de s'affirmer comme le seul représentant légal du Monténégro en recherchant de nouveaux appuis; en dénonçant la terreur centralisatrice serbe et en se présentant comme un partisan du fédéralisme respectant les particularités régionales. Cette politique ne l'empêchait pourtant pas de mener des négociations avec la dynastie serbe, dans le but de monnayer sa reconnaissance de l'union. À l'intérieur, la résistance des autonomistes qui n'étaient pas obligatoirement royalistes, pris la forme d'une insurrection armée qui déboucha sur le conflit Verts/Blancs. Ce conflit s'éternisa bien au-delà des élections de la Constituante de Belgrade qui marquait pourtant pour les Grands, la fin du problème monténégrin sur le plan international. A. La politique de Nicolas Dans un premier temps le gouvernement monténégrin en exil et à travers lui le roi Nicolas se montre résolument contre l'annexion de son pays par la Serbie, en dénonçant les pratiques serbes et en demandant leur départ pour qu'ils soient remplacés par des troupes Alliées dans l'attente du retour du Monténégro officiel en compagnie des représentants officiels accrédités auprès de lui, pour légitimer son retour. Dans ce but, il rassemble autour de lui ses partisans, qualifiés d'éminemment suspects par Delaroche-Vernet [1], et nomme un nouveau Premier Ministre; Yovan Plamenatz que le comte Salis qualifie "d'homme à l'ancienne mode". Cependant face aux difficultés que rencontre sa cause au Monténégro et dans son entourage qui enregistre de nombreuses défections [2] le roi, dans le but de présenter une image positive et démocrate aux Alliés, décide de pratiquer une politique de conciliation en suivant leurs recommandations. Ainsi décide-t-il de signer un message à destination du peuple monténégrin, rédigé par le président Wilson le 22 janvier 1919, appelant la population au calme: "À mon cher peuple, Je vous supplie de rester tranquille chez vous et de ne pas vous opposer, par les armes, aux troupes qui cherchent à s'emparer du gouvernement de notre pays. J'ai reçu les plus hautes assurances des représentants des pays Alliés, que très prochainement une bonne occasion sera offerte au peuple monténégrin de se prononcer librement sur la forme politique de son futur régime. Et, pour ma part, je me rangerai avec plaisir à cette décision. Nicolas" [3] On pourra d'ailleurs remarquer à cet égard, que les assurances Alliées ne se traduiront jamais dans les faits et que cette lettre n'empêcha pas les exactions serbes de continuer. Dans cette même optique, il déclare être près à abdiquer si l'on garantit l'autonomie de son pays [4] et regrette l'attitude de son nouveau Premier ministre qu'il juge trop virulente à l'égard des Alliés. Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 64 Ce changement d'orientation politique qui donne à ses déclarations un ton fédéraliste et républicain [5], à pour but de faciliter la recherche de nouvelle alliance. L'Italie en effet se montre de plus en plus irritée par les initiatives royales et lui refuse par exemple l'autorisation de s'installer sur le territoire italien [6]. Ne voulant pas être une simple monnaie d'échange, il décide de placer ses espoirs dans les États-Unis et la Grande-Bretagne qui toute deux verraient d'un bon œil la création d'une fédération yougoslave. Cette attitude est encouragée par des résultats prometteurs obtenus dans les deux pays. Ainsi à l'occasion d'une visite du roi au stade Pershing lors d'une compétition d'athlétisme, il est particulièrement bien reçu par la délégation américaine, délégation qui multiplie les décorations aux soldats monténégrins [7]. Au Royaume-Uni des manifestations demandant le rétablissement du Monténégro ont lieu, tandis que le comte Salis et Grahame (chargé d'affaire auprès du gospadar) se rangent à l'idée d'une fédération [8] ou lorsque Lloyd George évoque le sort du Monténégro: "on n'a pas traité le Monténégro comme il le méritait, bien plus, on a été, à son égard, souverainement injuste. Nous réparerons tout cela nous-mêmes si les autres n'y veulent pas consentir" [9]. Ces espoirs, il ne les plaçait pas seulement dans de nouvelles alliances. Ainsi durant toute cette période, il n'hésita pas à parlementer avec les Karageorgevitch, par l'intermédiaire de la princesse Hélène de Serbie. Et ce malgré les dénégations de Fontenay, résolument serbophile, pour qui la princesse est choquée par la révolution bolchevique en Russie [10]. Les deux dynasties y avaient en effet tout intérêt. Les Karageorgevitch pour légitimer une annexion qui leur posait plus de problèmes que prévus et ainsi couper court au mouvement insurrectionnel. Les Petrovitch-Niegoch, quant à eux y voyaient là, le moyen de monnayer leur renonciation au trône du Monténégro. C'est d'ailleurs sur ce point que les négociations échoueront en juillet 1920. La Serbie était prête à accorder 1.2 million de francs par an, alors que le gospadar en désirait immédiatement 15 [11]. Néanmoins, ces belles intentions anglo-saxonnes resteront lettres mortes. Les ÉtatsUnis se retireront du jeu européen pour retourner à leur isolationnisme, tandis que la Grande-Bretagne suivra les décisions françaises. Le roi se trouvera de nouveau contraint de jouer la carte italienne, malgré les divergences et les irritations. "Ils (les Italiens) font leurs affaires, et leurs affaires seulement" [12]. Ainsi, après avoir désapprouvé l'action d'Annunzio sur la ville de Fiume [13], car selon lui elle rapprochait les Serbes des Croates, alors que ces derniers manifestaient des tendances nettement séparatistes, il manifeste un intérêt croissant pour le personnage. Ce dernier lui enverra même un portrait dédicacé, suscitant chez le roi un nouvel optimisme lorsqu'il déclare à Delaroche de manière détournée: "si l'on ne m'accorde pas ce que je veux, je ferai un petit tour de ma façon, sans effusion de sang, bien entendu, mais un bon petit tour" [14]. Ce rapprochement se fait au moment où, grâce à l'Italie, un camp d'entraînement a été constitué à Gaète, dans la banlieue de Naples. Camp qui reçoit les partisans volontaires ou forcés du roi, en prévision de leur départ, pour un hypothétique débarquement au Monténégro, dans le but de soutenir le soulèvement des verts contre l'annexion du royaume par la Serbie. B. Insurrection et conflit Verts/Blancs Le mouvement de rébellion à la présence serbe ne semble pas s'être manifesté dès l'occupation du pays. En effet après trois années d'occupation autrichienne, la Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 65 population accueillit les Serbes en libérateurs. De plus les conditions du départ du roi en janvier 1916 et les suspicions qui pesaient sur lui faisait qu'une grande majorité de la population était contre le retour du roi. Cependant, cette semblante unanimité, manifestée dans les résolutions de la Grande Skoupchtina, ne durera pas longtemps. Très vite l'on vit deux groupes prendre forme. D'un côté les Vieux Monténégrins se constituaient en groupements actifs: les "Verts" qui s'opposaient aux "Blancs" qui représentaient le parti de la jeunesse monténégrine (Omladina). Cette opposition fut dès lors entretenue par la propagande italienne qui y voyait là un moyen de servir ses intérêts. Celle-ci visait autant à soutenir le parti vieux monténégrin qu'à soutenir les prétentions albanaises dans la région de Podgoritza ou d'Ipek. Fort de ce soutient, le parti Vert décida d'agir. L'ancien président du conseil Yovan Plamenatz passe à l'action et tente de soulever la population et de marcher sur Cettigné le 4 janvier. Les insurgés sont pour la plupart originaires du vieux Monténégro (région de Niegoch, Nikchitz et Virpazar dont est originaire Plamenatz), fidèle à la dynastie. Arrivé le 5 à Cettigné, ils auraient demandé au général Venel d'établir un détachement Allié dans la capitale à la place de la garnison serbe. Cependant le 6, le mouvement de protestation tourne au massacre, puisque la garnison serbe ravitaillée en sous-main par le général Venel, selon les royalistes [14] passe à l'offensive, tandis qu'un détachement français empêche toute retraite aux insurgés. On relèvera 50 morts selon les sources officielles françaises [16], 10 fois plus selon le gouvernement monténégrin. Le haut commandement de l'armée d'Orient se justifiera par ces termes dans un télégramme "... pour préserver la ville arrêta rebelles par le feu" [17]. Pourtant le gouvernement s'empressa de demander à Barrère, ambassadeur à Rome, de démentir les propos des journaux italiens quant à la partialité des autorités d'occupation françaises [18]. Toujours selon le rapport de Franchet d'Esperey, les insurgés auraient été trompés par les meneurs qui se seraient bien gardés de signifier le but réel de l'opération qui était de rétablir le roi, et n'auraient laissé entrevoir qu'un pillage ou une fête. Meneurs qui quant à eux se seraient réfugiés auprès des autorités italiennes à Cattaro ou à SaintJean-de-Médua. Cet incident ne fera qu'exaspérer le parti serbe contre les Italiens qu'ils accusent d'être à l'origine de cette insurrection. Cette influence néfaste des troupes italiennes, dénoncée par le remplaçant du général Venel; le général Tahon, pour qui elles sont à l'origine des troubles et désordres, en pratiquant une propagande alimentaire et pécuniaire et en armant les insurgés monténégrins ou les rebelles albanais, sera à l'origine de la multiplication des incidents entre Italiens et Blancs: • 07.06, attaque du consulat italien d'Antivari • 14.06, manifestation anti-italienne à Cattaro • 29.06, gendarmes yougoslaves tirent sur soldats italiens • 20.07, assassinat du lieutenant Rubbi et d'un soldat alors que des Serbes voulaient arrêter des Monténégrins cherchant à fuir le Monténégro et s'étaient placés sous la protection italienne • attentat sur la ligne de chemin de fer d'Antivari à Virpazar... [19] Nous avons donc une agitation entretenue par l'Italie, mais elle est aussi alimentée par les méthodes expéditives des Serbes qui par leurs procédés jettent dans le camp des insurgés des personnes jusqu'ici favorables à l'union ou tout du moins à une "Yougoslavie fédérative". Ainsi en mai 1919, l'administration serbe ordonne l'incorporation des hommes de 18 à 35 ans n'ayant pas encore servi dans l'armée Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 66 serbe. Ce décret aboutira à la désertion de 70% des recrues qui iront rejoindre les comitadjis dans les environs d'Antivari, Nikchitz et Ipek [20]. Ces raisons expliquent en partie les causes de la poursuite de ce mouvement bien au-delà du désengagement italien. Mais cet engagement des Italiens aux côtés des forces loyalistes au gospadar se traduit aussi par une activité fébrile en Italie. Fort du soutien d'un comité parlementaire baptisé "pro-Monténégro" ainsi que de l'intérêt que porte au problème la reine Hélène, des Monténégrins ont installé en Italie un camp d'entraînement et de regroupement en vue d'une opération au Monténégro. Ce camp d'abord situé dans la banlieue de Rome à Montecavo, puis transféré à Gaète compta jusqu'à 4 250 hommes soit l'équivalent de trois bataillons d'infanterie plus une compagnie de mitrailleuses [21]. Toutefois, selon ce même lieutenant, les avis au sein du camp sont plus que partagés, puisque la moitié seulement des effectifs serait favorable au roi: • troisième bataillon qui est favorable au roi a été armé et aurait reçu l'ordre de se préparer • le deuxième bataillon serait sans opinion • quant au premier bataillon, il serait favorable à l'union. Si les avis sont si partagés, cela est dû en partie aux procédés de recrutement. Car si au départ, le roi a convié ses périaniks [22] et quelques-uns de ses fidèles à rejoindre l'Italie, très vite les sources de nouvelles recrues se sont taries. Aux départs volontaires se sont succédés les départs forcés; en menaçant de destitution les fonctionnaires qui refusaient de partir avant le 1er décembre 1919 [23], ou en supprimant les subventions aux étudiants récalcitrants [24]. Aidé par les autorités italiennes, le gouvernement monténégrin allait jusqu'à enrôler de force des prisonniers monténégrins rentrant d'Allemagne et cherchant à rejoindre leur pays par l'Italie [25]. Le problème de ces évadés ira jusqu'à créer un incident diplomatique entre l'Italie et la Serbie, puisqu'un de ceux-ci sera pourchassé par la police italienne et par des Monténégrins jusque dans la légation serbe de Rome, où il s'était réfugié [26]. Ces hommes ne prirent jamais part à un quelconque débarquement, malgré les pressions de la marine italienne qui voulait rééditer un "exploit" à la d'Annunzio sur la côte Adriatique, à l'insu du ministère des affaires étrangères italien [27]. En effet le 20 novembre le comte Sforza signe avec la Yougoslavie le traité de Rapallo qui règle en quelque sorte le sort du Monténégro. Mais il faudra attendre la mort du vieux roi le 1er mars 1921 pour que l'Italie dissolve le camp en mai 1921 [28], mettant fin ainsi à plus de deux années d'activisme sur l'autre rive de l'Adriatique scellant ainsi le sort du Monténégro sur le plan international (les résultats des élections de la Constituante de Belgrade ne servirent que de prétexte, puisque l'Italie ne s'opposait plus à l'union) et ce même si le mouvement insurrectionnel demeurera un problème, sur le plan intérieur pour la nouvelle Yougoslavie. Notes 1. Note Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°8, p 150 2. Note Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°9, p 78 3. Télégramme de Nicolas à son cousin Bojo Petrovitch, ancien président du conseil, à Nikchitz, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°8, p 163 4. Note Delaroche à MAE, sur message de Nicolas à Wilson, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°9, p 101 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 67 5. Note Delaroche à MAE, à propos interview donnée par Nicolas au journal La fédération des États-Unis yougoslaves, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°10, p 127 6. Note Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°9, p 167 7. Note Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°9, p193 et 224 8. Note Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°10, p 82bis Dépêche Cambon (Londres) à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°10, p9 9. Note Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°10, p 217 10. Note Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°10, p 56bis Dépêche Fontenay à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°10, p 98 11. Note Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°11, p 109 12. Note Delaroche à MAE, sur les propos de Nicolas, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°11, p 75 13. Aujourd'hui Rijeka en Croatie. La Conférence de la Paix de 1919 avait donné la ville de Fiume au nouveau royaume des Serbes, Croates et Slovènes. Refusant cette décision, Gabriele D' Annunzio (écrivain nationaliste italien) à la tête d'un troupe de légionnaire s'empare de la ville le 11 septembre 1919. Il y installe un gouvernement et proclame Fiume, "ville libre". Le traité de Rapallo reconnait le statut d'État indépendant à Fiume. En 1922, les fascistes prennent la ville qu'ils annexent à l'Italie en 1924 à la suite du traité de Rome entre l'Italie et le royaume des Serbes, Croates et Slovènes. 14. Dépêches Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°11, p 43 et 44 15. Ministère des affaires étrangères du Monténégro, Le rôle de la France dans l'annexion forcée du Monténégro, 1921, p 35 16. Rapport de Franchet d'Esperey sur les événements du mois de janvier au Monténégro, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°9, p 25-32 17. Dépêche Franchet d'Esperey (Salonique) à Clemenceau, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°8, p 132 18. Dépêche de Clemenceau à Pichon, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°8, p 158 19. Communication du délégué italien à la Conférence de la Paix le 26 août 1919, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°10, p 89 20. SHA, Les armées Alliées en Orient après l'armistice de 1918, 1972, p 23-26 21. Dépêche Barrère à MAE, à propos de renseignements fournis par le lieutenant V. Andjouchitch évadé du camp le 6 juillet 1920, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°11, p 103 22. Garde personnelle du roi de Monténégro 23. Dépêche MAE à Barrère, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°10, p 166 24. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°10, p 194 25. Dépêche 2me bureau à MAE, à propos des renseignements fournis par un évadé du camp de Gaète, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°10, p 214 26. Dépêche Fontenay à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°9, p 38 27. Dépêche Barrère à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°11, p 34 28. Dépêche Charles-Roux (Rome) à MAE, eu18-40, Monténégro, n°2, p 211 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 68 IX. Le sort du Monténégro La politique du fait accompli appliquée par les Serbes au Monténégro, ainsi que l'essoufflement progressif du conflit opposant les Verts et les Blancs auraient dû sceller définitivement le sort du Monténégro. Pourtant, la reconnaissance tacite du royaume des Serbes, Croates et Slovènes et donc du rattachement du Monténégro à la Serbie, par les Alliés, ne résout en rien le problème monténégrin. En effet, conformément aux buts de guerre définie par les Alliés et de par sa participation au conflit aux côtes des Alliés, le Monténégro est admis à la Conférence de la Paix de Versailles. Cependant, malgré les assurances des vainqueurs et ses protestations, le Monténégro ne put y participer et vu son sort soigneusement éviter par les Grands. Ce même scénario se reproduisit lorsque le Monténégro fit sa demande d'admission au sein de la Société des Nations. Son sort sur le plan international ne fut jamais réglé par un quelconque traité. Les grandes puissances semblaient s'accommoder de cette situation et trouvèrent dans les élections à la Constituante de Belgrade, le moyen, ou le prétexte de rompre leurs relations avec le gouvernement royal en exil, reconnaissant ainsi l'intégration du Monténégro dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes. A. Le Monténégro devant la Conférence de la Paix Lorsque la Conférence de la Paix s'ouvre à Versailles le 18 janvier 1919, les Alliés ont décidé d'entreprendre les négociations sur la base des 14 points définis par le président Wilson le 8 janvier 1918. Le onzième point stipulait l'évacuation et la restauration de la Roumanie, de la Serbie et du Monténégro. Cette déclaration du président américain répondait aux conditions de paix et buts de guerre Alliés qu'avait fait parvenir Briand, alors président du conseil, à Wilson, le 10 janvier 1917. Le premier article de ce mémorandum prévoyait "la restauration de la Belgique, de la Serbie et du Monténégro, avec les dédommagements qui leur sont dus". Ces déclarations en faveur du rétablissement du Monténégro furent répétées à de nombreuses occasions. Pourtant, dès les préparatifs, les conditions d'équité à l'égard du Monténégro n'étaient pas respectées. En effet lors de la répartition des sièges entre les différents participants à la Conférence, le 13 janvier, le Monténégro ne reçut qu'un siège. Cet unique siège le plaçait au même niveau que les pays qui s'étaient bornés à rompre leurs relations diplomatiques avec les Puissances Centrales. Mais cette injustice avait aussi pour effet, de désavouer l'attitude de la Serbie en ne reconnaissant pas l'union votée par la Grande Skoupchtina. Néanmoins la propagande serbe réussit à écarter le Monténégro, en faisant pression sur les Alliés pour qu'ils ajournent cette invitation. Le Monténégro était pourvu d'un siège à la Conférence, mais n'avait pas de délégué: "le Monténégro sera représenté par un délégué, mais les règles concernant la désignation de ce délégué ne seront fixées qu'au moment où la situation politique de ce pays aura été éclaircie" [1]. Ensuite contrairement à la Belgique, à la Serbie ou à la Roumanie qui sont conformément aux conditions posées par les Alliés, immédiatement restaurées, les grandes puissances considèrent la restauration du Monténégro comme relevant de la compétence de la Conférence. Dans cette optique, après l'accord de la délégation italienne qui fit savoir qu'elle n'avait pas d'intérêts particuliers dans cette région Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 69 s'opposant à l'étude de ce cas, le conseil suprême des Premiers ministres décide d'entendre la délégation monténégrine au cours de la séance de la commission des affaires roumaines et yougoslaves. Toutefois, les représentants français et britannique (Tardieu et Crow) refusent que la question du Monténégro soit posée puisque selon eux le Monténégro faisait dorénavant partie du royaume S.H.S. [2]. Nous étions alors le 5 février 1919, soit plus d'un an avant la reconnaissance officielle par le Royaume-Uni et la France de l'union des deux pays. Le problème du Monténégro ne fut donc jamais abordé ni réglé par la Conférence. Ce que reconnaîtra plus tard la S.D.N., le 25 novembre 1920, lorsque Paul Mantoux évoquera dans son rapport sur l'adhésion du Monténégro: "la question de l'existence actuelle d'un état indépendant du Monténégro n'a jamais été réglée" [3]. Ce refus d'évoquer le cas du Monténégro est aussi visible, lorsque Poincaré qui avait donné des garanties au roi quant à la libération de son pays omet, dans le discours inaugural de la Conférence, de citer le Monténégro en tant que pays Allié ayant pris part au conflit dès août 1914 [4]. Fait que reconnaîtra elle-même la délégation du royaume S.H.S., dans son rapport sur les dommages causés à la Serbie et au Monténégro présenté à la commission des réparations et dommages, "nous avons inclus dans le mémoire concernant les dommages serbes ceux qui se rapportent au Monténégro; il est entré en lice dès les premiers jours de la guerre européenne et, de même que la Serbie, a été envahi, saccagé, spolié et dévasté pendant trois ans" [5]. En effet n'ayant pu faire reconnaître son annexion, la Serbie, après avoir cherché à faire attribuer le siège monténégrin à Andriya Radovitch [6], cherchera à se présenter comme le seul défenseur des intérêts monténégrins. À ce titre, Pachitch incorporera Radovitch à sa délégation. Pour parer à ces tentatives serbes, Plamenatz essayera de placer les Alliés devant le fait accompli, en nommant un délégué; Yovo Popovitch, ancien délégué monténégrin à la Conférence de Londres en 1913. Cette tentative fut vouée à l'échec. Tout comme la reconnaissance par le gouvernement monténégrin, du gouvernement russe de l'amiral Koltchak [7], dans le but de lier le sort des deux pays exclus de la Conférence [8]. Malgré toutes ces entraves, le Monténégro n'en présenta pas moins des revendications territoriales et financières comme compensation des dommages causes par plus de quatre années de guerre, dont trois années d'occupation. Du point de vue territorial, le gouvernement monténégrin réclamait l'Herzégovine, les Bouches de Cattaro ainsi que l'Albanie du Nord avec la ville de Scutari, quant aux dédommagements financiers il les chiffrait à hauteur de 350 millions de francs [9]. Selon Delaroche-Vernet, ces revendications étaient dues à "... l'imagination poétique du gospadar". Beaucoup moins poétique en tout cas que les revendications de Radovitch qui réclamait pour le seul Monténégro 723 millions de francs [10], ainsi que l'Albanie du Nord en ces termes: "d'après le traité secret de Londres de 1915 lui-même la zone située le long du Drin [11] a été donnée à la Serbie et au Monténégro: ils l'ont occupée avant l'évacuation de 1916, ensuite ces territoires ont été acquis par l'armée serbe" [12]. C'est-à-dire des territoires que le Monténégro avait occupés après la trahison de 1915, tant dénoncée par ce même Radovitch. Trahison sur laquelle le roi demanda, en août 1919, une enquête à propos de son rôle pendant la guerre. Ce à quoi la Serbie se refusa. Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 70 Éloigné de la Conférence [13], le Monténégro chercha dans la S.D.N. nouvellement créée, le moyen de faire-valoir ces droits. Ainsi demanda-t-il son admission le 18 novembre 1920 [14]. Cette admission fut refusée 7 jours plus tard par la S.D.N. qui invoque la prudence pour ne pas se prononcer, même si elle reconnaît que le problème n'est pas réglé [15]. Le gouvernement réitérera sa demande lors de la deuxième cession. Cette fois-ci il lui fut répondu par Mantoux: "Je reconnais que la question monténégrine n'a pas été internationalement réglée; mais que voulez-vous? Elle est restée en l'air" [16]. Le gouvernement en exil tentera de nouvelles démarches en 1924, 1926 et 1928, mais ses demandes resteront sans effet, du fait du veto de certains pays notamment ceux de la petite Entente et donc à travers eux, de la France [17]. B. Les élections à la Constituante et la reconnaissance de l'union Si les élections de la Grande Skoupchtina ainsi que les résolutions qu'elle avait prises à la fin novembre 1918 étaient apparues suffisantes au gouvernement serbe pour reconnaître l'union des deux pays et, ainsi rompre ses relations diplomatiques avec le Monténégro, il n'en était pas de même, comme nous l'avons vu, pour les grandes puissances. Le problème du Monténégro et de son intégration dans le royaume S.H.S. restait posé. Le problème restait posé surtout du fait de l'Italie. Celle-ci voyait dans le maintien du problème monténégrin sur le plan international, un moyen de faire pression sur le gouvernement yougoslave, avec lequel elle était en différant sur le problème de l'Adriatique. À cet égard Delaroche-Vernet considérait que "l'agitation royaliste monténégrine n'est plus qu'une carte dans la partie qui se joue entre l'Italie et la Yougos-slavie à propos de l'Adriatique, le jour où les deux puissances se mettraient d'accord, on verrait très probablement à brève échéance la fin d'une "chouannerie" qui n'existe encore que grâce à la tolérance et peut-être l'appui secret du gouvernement italien" [18]. Le règlement de la question italo-yougoslave devait donc permettre le règlement de la question monténégrine. Ce règlement de la question Adriatique intervient à la suite du traité de Rapallo, le 12 novembre 1920, qui fixe les frontières entre les deux pays (Istrie et Zara [19] à l'Italie) et entérine l'occupation de facto, de la ville de Fiume par D'Annunzio. Par cet accord, l'Italie échangeait donc son désintérêt pour le Monténégro en reconnaissant l'annexion, contre la ville de Fiume, comme l'envisageait déjà en septembre 1919, le comte Montagliari représentant italien auprès du roi [20]. Si le traité de Rapallo mettait un terme, pour la diplomatie italienne, au problème monténégrin, il permettait aussi aux chancelleries Alliées de se dédouaner, en liant l'intégration du Monténégro au royaume S.H.S. à l'accord italo-yougoslave. Pour elles, il n'existait un problème monténégrin que dans la mesure ou l'Italie était concernée. "Les Yougo-slaves ayant accepté toutes les conditions italiennes, le sort du Monténégro avait été par la même, fixé et que le petit royaume devenait serbe. J'ai ajouté que dans ces conditions, nous considérions comme valable la consultation des populations, déjà faite par le gouvernement des Serbes, Croates et Slovènes" [21]. Cette remarque est de nouveau faite par le gouvernement français, le 21 novembre, avec l'appui de la Grande-Bretagne pour qui, le cas du Monténégro n'apparaissant pas dans les négociations du traité de Rapallo, le rattachement du royaume monténégrin au royaume S.H.S. était maintenant une chose admise [22]. Cependant, Sir Crowe émettait le désir d'attendre la fin des élections à la Constituante de Belgrade, pour supprimer la légation britannique auprès du roi. Cette proposition fut à son tour Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 71 reprise par le Quai d'Orsay. Les élections et leurs résultats n'allaient donc servir que de prétexte aux grandes puissances pour reconnaître l'union des deux pays. Les élections eurent lieu le 28 novembre 1920 dans tout le Monténégro, comme dans tout le royaume, sauf dans les districts de Nikchitz et de Kolachin, ou le matériel n'étant pas arrivé, le vote eut lieu le 5 décembre. La loi électorale attribuait 10 sièges à la Constituante au vieux Monténégro (d'avant 1913). En effet les nouvelles provinces du Sandjak de Novi-Pazar et de la Metohija avaient été, préalablement, rattachées administrativement aux trois départements serbes de ce même Sandjak. Ce scrutin met en présence sept listes: • les radicaux, représentants Pachitch et Vechnitch, conduits par Milosav Raichevitch • les démocrates, représentant le gouvernement de Davidovitch alors en place à Belgrade, conduits par Pavle Choubrovitch • les républicains conduits par Jovan Tchonovitch • les communistes conduits par Jovan Tomashovitch • les indépendants conduits par Spasoje Piletitch • la liste de Nikchitz conduite par Novista Schaoulitch • la liste Radovitch conduite par Radovitch Les trois dernières listes sont des listes dissidentes. Les indépendants sont des personnes qui étant en opposition personnelle avec des membres des deux grands partis, ont décidé de former une liste. La liste de Nikchitz est une liste purement locale, dans une région encore très clanique. Quant à la dernière, elle a été formée par Radovitch car il n'admettait pas d'être place en troisième sur la liste démocrate. Ces trois listes sont dans la mouvance démocrate. Toutes ces listes ont pour programme l'union. Il n'existe pas en effet de liste séparatiste qui remette en cause l'union. Selon le gouvernement monténégrin en exil, cette absence serait due à l'interdiction par le ministre de l'intérieur serbe Drachkovitch, de présenter des listes ayant pour programme l'indépendance [23]. Selon un rapport d'observateurs britanniques cette absence est due au fait que les deux "partis" qui sont opposés à l'union; les "modérés" (veulent un statut d'égalité entre Serbes et Monténégrins au sein du royaume S.H.S.) et les "extrémistes" (partisans d'un retour à l'indépendance pure et simple), n'ont pu se mettre d'accord pour créer une liste commune, notamment sur la personne qui conduirait la liste [24]. Il n'y eut donc pas de liste séparatiste, et ces derniers appelèrent à l'abstention. La liste démocrate et ses mouvances ainsi que les listes républicaine et communiste sont pour un état unitaire fortement centralisé devant amener à la création d'une nation yougoslave. Les deux dernières ne divergeant que sur la forme de gouvernement à adopter; république ou dictature du prolétariat. La liste radicale est elle aussi pour l'union, mais avec des réserves. Elle veut une union, mais avec une large autonomie locale du point de vue administratif (et non législatif). Elle est donc contre toute idée de fédération mais aussi contre la centralisation qui irait à l'encontre des traditions et des histoires locales différentes [25]. Le gouvernement monténégrin en exil parla de pressions effectuées sur la population pour qu'elle aille voter, en utilisant la menace ou la corruption. Sur ce dernier point il cite un article paru dans le journal du parti socialiste serbe, Radnichke Novine du 6 novembre 1920: Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 72 "Nous sommes à même de présenter à nos lecteurs un document irréfutable qui témoigne que le gouvernement veut aussi, par la corruption falsifier la volonté du peuple monténégrin. C'est l'ordre confidentiel du ministère de l'intérieur serbe n°270 du 26.10.1920. En vertu de cet ordre le conseil des ministres a accordé un crédit de 500 000 dinars comme fonds secrets de la police pour les élections du Monténégro" [26]. Pourtant les observateurs anglais ne firent aucune remarque à ce sujet et jugèrent les élections comme équitables et sincères, reflétant les aspirations de la population. Ces mêmes observateurs avalisèrent les résultats donnés par les ministères de l'intérieur yougoslave. Selon ce dernier, il n'y aurait eu au Monténégro que 34.08% d'absentions. Le gouvernement royal quant à lui parla d'une participation de seulement 23.75%. Pour cela il se fondait sur les recensements d'avant 1914. Ainsi sur une population de 450 000 habitants, le Monténégro comptait 120 000 électeurs (hommes âgés de plus de 21 ans) et selon les résultats seulement 28 650 personnes auraient pris part au vote. Néanmoins ce dernier omet de signaler que 450 000 habitants c'est en comptabilisant les nouvelles provinces et que sur les 120 000 électeurs présents en 1914, nombreux sont ceux qui sont morts durant le conflit (le gouvernement monténégrin avança le chiffre de 50% de ces effectifs militaires). On ne peut donc tenir ses explications sur la faible participation comme juste: • absentions pour marquer son désaccord • non participation des réfugiés (8 000) • non participation des insurgés (4 000) • les prisonniers politiques • les enrôlés de force dans l'armée serbe • les expatriés par les Serbes dans les autres provinces (Macédoine) • 20 000 monténégrins émigrés aux USA qui ont toujours la nationalité monténégrine. Toutefois les explications des observateurs britanniques, quant au nombre des inscrits ainsi qu'au taux d'abstention, restent peu convaincantes. Selon ces derniers, le taux d'inscrit sur les listes électorales est satisfaisant puisqu'il représente 1/6 de la population totale soit 16%, ce qui reste à mon avis relativement faible si l'on part de l'hypothèse que l'électorat représente entre 25 et 30% de la population. À cette différence vient s'ajouter un taux d'abstention de 34.08%. Chiffre qu'encore une fois, ils jugent peu important. Pourtant si l'on prend en compte ces deux remarques, seulement 45% des hommes en âge de voter ont pris part au vote. R. Bryce y voit quatre raisons: • l'illettrisme de la population • la configuration du pays qui ne facilite pas l'accès aux 150 bureaux d'inscription et de vote • le tribalisme qui fait que l'on ne vote pas si sa tribu n'est pas représentée sur les listes • et enfin la population musulmane qui n'a pas pris part au vote, faute de candidats musulman Des raisons qui n'ont donc rien en commun avec les explications avancées par les séparatistes. Si les résultats ne sont pas sujets à caution, leurs explications quant à elles divergent: • radicaux: 3845 voix soit 1 siège • démocrates: 4061 voix soit 1 siège Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 73 • • • • • indépendants: 2406 voix soit 1 siège républicains: 4612 voix soit 2 sièges communistes: 10900 voix soit 4 sièges liste de Radovitch: 1488 voix soit 1 siège liste de Nikchitz: 1338 voix et aucun siège Comme nous l'avons vu toutes les listes défendaient dans leur programme l'idée d'union avec la Serbie. Pourtant les Verts cherchèrent à s'approprier ce résultat qui marquait une défiance à l'égard des partis "institutionnels". En effet, le vote communiste et républicain représente 15 512 voix (6 sièges) contre 13 138 pour les autres. Les indépendantistes y voient là un vote contestataire en faveur de leurs thèses. Il serait réducteur d'acquiescer à une telle conclusion. Et ce même si les six députés "contestataires" voteront contre le projet de constitution élaborée à Belgrade le 28 juin 1921. Pour dénoncer cette appropriation le parti républicain publiera au lendemain des élections un manifeste pro-unioniste, dénonçant la manœuvre des sécessionnistes [27]. La commission britannique explique le succès du vote communiste, par une propagande active et disciplinée (ils jouent sur la russophilie du peuple en se présentant comme les seuls véritables amis de la Russie), par le rôle actif des instituteurs largement gagnés aux idées communistes et enfin par la popularité de la tête de liste; Tomashovitch. Elle évoque aussi la popularité de Tchonovitch pour expliquer le succès républicain ainsi que la présence de nombreux émigrés américains largement ralliés aux idées républicaines. Quant à l'échec de la liste Radovitch qui n'obtient qu'un siège au plus fort reste, les observateurs l'expliquent par l'extrême impopularité de Radovitch, à qui l'on reproche son ambition, sa participation au régime de terreur après la libération ainsi que les attaques violentes contre le roi. Les résultats peuvent donc conduire à des analyses différentes. Qualifier le vote communiste ou républicain, de vote en faveur des partisans du roi, comme ces derniers le laisse entendre, serait réducteur. À cet égard l'on doit mettre le succès communiste en parallèle avec leurs succès obtenus en Serbie ou en Macédoine. Pourtant l'échec des listes "institutionnelles" ne peut laisser indifférent. Comment ne pas y voir un vote sanction? D'ailleurs dans leur conclusion, observateurs anglais évoquent la possibilité d'un retournement d'opinion en faveur des anti-unionistes si la constitution ne respectait les particularités du Monténégro. Une fois les résultats rendus officiels, il ne restait plus qu'aux Grands de se servir de ce prétexte pour reconnaître l'union. Ainsi la France rompt-elle ses relations avec le gouvernement royal le 20 décembre 1920, pour ne pas avoir à présenter ses vœux le 1er janvier 1921 [28], et sans évoquer les raisons profondes de cette rupture qui ont trait au traité de Rapallo [29]. Le Royaume-Uni suivra le même mois, tandis que la question s'éternisera un peu plus longtemps en Italie puisqu'il faudra attendre la mort du roi le 1er mars 1921 à Antibes, ainsi que la fin d'une crise ministérielle qui voit la chute du comte Sforza, l'artisan de Rapallo, à la suite d'une agitation entretenue par Yovan Plamenatz, pour que l'Italie supprime le poste de Montagliari en avril 1921 [30]. Après cinq siècles d'indépendance, trois années d'occupation autrichienne et deux années d'une union officieuse, le Monténégro, par une décision des Grandes Puissances, n'existait plus. Son intégration dans le royaume des Serbes, Croates et Slovènes était désormais une chose acquise. Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 74 Notes 1. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°8, p 145 Y. Plamenatz, Le Monténégro devant la Conférence de la Paix, 1919, T I p 11 2. Note MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°9, p 6 3. Rapport de P. Mantoux à la cinquième commission de la société des nations n°20-65-6, citée dans La S.D.N. Restera-t-elle complice du plus grand crime de la guerre mondiale?, V.Popovitch et A.Prlia, 1924, p 12 4. Dépêche Plamenatz à Delaroche, AMAE, A. Paix, n°325, p 4 5. Délégation du royaume S.H.S. à la Conférence de la paix, Rapport sur les dommages causés à la Serbie et au Monténégro, 1919, p VII 6. Dépêche Plamenatz à Delaroche, AMAE, A. Paix, n°30, p 27 7. Le 18 novembre 1918, l'amiral Alexandre Koltchak (1874-1920), chef de la flotte impériale de mer Noire, prend le titre de régent suprême de Russie et installe un gouvernement antirévolutionnaire à Omsk (Sibérie) et prend le commandement des armées blanches. Maître de la Sibérie et de l'ouest de l'Oural jusqu'à la Volga. Gardien du trésor des Romanov, il tente de s'imposer comme le seul représentant de la Russie jusqu'ici exclue à la Conférence pour la Paix en 1919. Ayant dû battre en retraite, il est livré aux Rouges par les Japonais et exécuté le 7 février 1920 a Irkoutsk. 8. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°9, p 205 9. Rivière du Nord de l'Albanie qui se jette dans l'Adriatique à St-Jean-de-Médua. 10. Y. Plamenatz, Le Monténégro devant la Conférence de la Paix, 1919, T III Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, A. Paix, n°325, p 11 11. Délégation du Royaume S.H.S., Rapport sur les dommages causés à la Serbie et au Monténégro, 1919, p 160 12. Dépêche Radovitch à Clemenceau, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°10, p 4 13. À ce titre on peut se poser la question du peu de cas que se faisaient les Alliés du Monténégro en examinant le dossier concernant le Monténégro et la Conférence de la Paix. Dans la série A. Paix n°325 du MAE, le pays qui suit le Monténégro par ordre alphabétique se trouve être la Norvège, pays neutre. Pourtant le MAE lui consacrait à l'époque un dossier de 45 pages contre 14 pour le Monténégro. 14. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°11, p164 15. Rapport tiré de, La S.D.N. restera-t-elle complice du plus grand crime de la guerre mondiale?, V. Popovitch et A. Prlia, 1924, p 13 16. V. Popovitch et A. Prlia, La S.D.N. restera-t-elle complice du plus grand crime de la guerre mondiale?, 1924, p 4 17. Jean Ciubranovitch, Le plus grand crime de l'histoire, 1928, p 21 18. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°11, p 136 19. Péninsule située au Nord de l'Adriatique avec à l'Ouest la ville de Trieste et à l'Est Fiume. Aujourd'hui en territoire croate. Aujourd'hui Zadar en Dalmatie. 20. Dépêche Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°10, p 129 21. Dépêche MAE à Barrère (Rome), AMAE, eu18-40, Monténégro, n°11, p 155, rapport conversation entre l'ambassadeur italien à Paris, le comte Bonin et Laroche directeur des affaires politiques et commerciales 22. Dépêche Londres à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°11, p 161 23. Ministère des affaires étrangères monténégrin, Le rôle de la France dans l'annexion forcée du Monténégro, 1921, p 79 24. Roland Bryce, Report on political condition in Montenegro, 1921, p 4 25. Roland Bryce, Report on political condition in Montenegro, 1921, p 3 26. Ministère des affaires étrangères monténégrin, Le rôle de la France dans l'annexion forcée du Monténégro, 1921, p 81 27. R. Bryce, Report on political conditions in Montenegro, 1921, p 12 28. Dépêche MAE à Londres, Rome et Belgrade, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°11, p 181 29. Dépêche tirée de, La formation de l'État yougoslave, Z. Tomitch, 1927, p 144-145 30. Note Laroche, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°12, p 47 Note Laroche, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°2, p 207 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 75 Conclusion La victoire Alliée de 1918 et les traités de paix qui en résultent se soldent donc par le rattachement du Monténégro à la Serbie, mettant fin par la même à cinq siècles d'indépendance. Pourtant lorsque débute le conflit, le Monténégro, pays reconnu au plan international depuis le Congrès de Berlin, s'engage aux côtes de son allié serbe. Ces deux pays furent jusqu'à l'entrée en guerre de la Roumanie en août 1916, les deux seuls pays balkaniques ayant opté pour les Alliés. Cette situation isolée dans les Balkans sera d'ailleurs, une des causes de leur défaite commune à la fin de l'année 1915, au moment de l'offensive de von Mackensen. Isolés face à l'Empire austro-hongrois, mais aussi face à des Balkaniques prêt à participer au dépeçage en cas de difficultés, à la suite des rancœurs nées des Guerres Balkaniques comme la Bulgarie ou l'Albanie, ou bien face à l'attentisme des Grecs et des Roumains prêt à se vendre au plus offrant des deux camps. Mais aussi isolés par rapport à la stratégie Alliée qui ne voyait pas dans ce théâtre d'opération d'Orient, une pièce maîtresse pour gagner la guerre. Les Balkans étaient à l'origine du conflit, mais très vite celui-ci pris l'allure d'une opposition franco-allemande. Pour ces deux protagonistes, la guerre devait se gagner à l'Ouest. Ainsi, Centraux et membres de l'Entente déclenchaient une guerre sur un problème balkanique sans politique ni stratégie précise à l'égard de cette région. Le coup de revolver de Gavrilo Princip [1] et la défense de l'intégrité serbe ne furent donc en réalité que des prétextes, pour régler des différends qui dépassaient de loin les intérêts des pays balkaniques. Ces lacunes dans les plans d'action se firent très vite ressentir du côté Allié. En effet, la résistance inespérée des forces serbo-monténégrines, due principalement il est vrai aux transferts de troupes autrichiennes en Galicie pour faire face à l'offensive russe, et l'enlisement du front à l'Ouest donnait à ce théâtre d'opération une nouvelle dimension, en ouvrant de nouvelles possibilités. Toutefois, le manque de cohérence de la politique Alliée, aveuglée par l'obsession russe du contrôle des détroits, allait gâcher ces opportunités. Ainsi on refusa l'aide grecque pour la conquête des détroits, refus qui installa la Grèce dans la neutralité, alors que dans le même temps les discussions continuaient avec la Bulgarie qui pourtant se montrait de plus en plus germanophile. La bulgarophilie de la diplomatie anglaise ne permit pas à la Serbie de prendre les devants, face aux préparatifs bulgares, entraînant ainsi une défaite qui, si du moins, elle ne pouvait être évitée, aurait été retardée. Affaiblis par les Guerres Balkaniques, secourus trop tardivement, la Serbie et le Monténégro ne purent faire face à l'offensive des armées austro-germano-bulgares. Les hésitations Alliées avaient conduit ces deux pays à la défaite et, à la pénible retraite de l'armée serbe vers l'Adriatique à travers les montagnes d'Albanie et du Monténégro. Il fallait, pour les chancelleries de l'Entente, trouver un responsable à cet échec. Étant plus facile de chercher un bouc émissaire que de reconnaître ses Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 76 propres erreurs, les Alliés trouvèrent dans les conditions du désastre monténégrin et les tentatives de négociations du roi avec l'Autriche, le moyen de se dédouaner; le Monténégro avait trahi. Cette affirmation ne fut jamais avancée officiellement par les Alliés, mais les campagnes de presse jetèrent la suspicion sur le comportement du petit royaume. Seule, parmi les Alliés, la Serbie qui favorisait en sous-main ces campagnes l'affirmait officiellement. Piètre récompense pour un pays qui l'avait recueillie et aidée à sauver son armée. Cependant, cette attitude de la Serbie s'inscrivait dans le cadre plus général des ambitions serbes. La Serbie devait devenir le pôle fédérateur d'un nouveau pays, réunissant autour du noyau serbe toutes les nations sud-slaves. En discréditant le Monténégro aux yeux des Alliés et des Yougo-slaves, elle se posait en seule héritière de l'Empire de Douchan et, préparait ainsi une annexion future. Annexion d'ôtant plus facilement acceptée par les Alliés, si cette suspicion était entretenue au cours de l'exil par Andriya Radovitch et son Comité Monténégrin pour l'Union Nationale et si la Serbie se présentait comme la seule armée libératrice des Balkans en empêchant toute reformation d'une armée monténégrine, si petite futelle. Les erreurs de Nicolas et les divergences politiques entre les Alliés aidant, le sort du Monténégro était presque définitivement réglé avant la fin des hostilités. Le Monténégro n'était plus qu'une simple monnaie d'échange entre Grands comme le montre les tentatives de paix séparée de l'Autriche, ou bien le rôle que fit jouer l'Italie au Monténégro. Les buts de guerre Alliés ne correspondaient en rien aux objectifs poursuivis par le Monténégro. Si les Alliés ne reconnurent pas "l'union" de facto entre le Monténégro et la Serbie immédiatement, c'est qu'à ce moment précis, tous ne sont pas d'accord. Non pas sur le principe de la réunion des deux pays qu'ils jugent inévitable, mais parce que Italiens et Serbes s'affrontent pour le "contrôle" de la mer Adriatique. Dans le jeu diplomatique italien, le Monténégro n'est plus qu'une carte parmi tant d'autres, un moyen de faire pression sur les Alliés et sur les Serbes, pour que le règlement de la question Adriatique se fasse en sa faveur. Dans l'attente d'une résolution du problème, les Alliés (France et Royaume-Uni) décident de passer sous silence le problème de "l'annexion" pour ne froisser, ni les Italiens, ni les Serbes. Même si a l'égard de ces derniers, ils manifestent une attitude bienveillante. Car s'ils ne reconnaissent officiellement pas les décisions de la Grande Skoupchtina, ils ne font rien pour empêcher cette union et même parfois la favorise, contrairement aux engagements pris par les gouvernements français à l'égard du roi Nicolas. Le règlement du différent italo-yougoslave par le traité de Rapallo clôt donc à leurs yeux le problème monténégrin, puisque l'Italie ne fait pas mention du problème dans le traité. Les élections à la Constituante de Belgrade ne furent donc qu'un prétexte pour les grandes puissances en vue de rompre leurs relations avec le gouvernement en exil et, reconnaître ainsi officiellement une "union" qui de toute façon pour elles était rentrée dans les faits. Le Monténégro disparaissait après plus de cinq siècles d'existence par le simple fait que l'Italie ne mentionnant pas le problème monténégrin dans le traité de Rapallo, le problème était résolu. Aucun accord international ne viendra entériner officiellement la disparition du Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes. Après deux années de lutte aux côtes des Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 77 Alliés et trois ans d'occupation autrichienne, le Monténégro disparaissait de la carte politique européenne. Cette disparition résultait-elle d'une annexion du Monténégro par la Serbie ou d'une union du Monténégro a la Serbie? Cette question reste toujours posée. Paul Garde, dans le chapitre qu'il consacre au Monténégro, dans son ouvrage de 1992, hésite encore sur la question. Selon lui, le roi aurait abdiqué en 1918. Volontairement ou poussé par Clemenceau, il n'apporte pas de réponse. Si une réponse clairement affirmative, en faveur d'une des deux options ne peut-être apportée, il apparaît évident, en tout cas, que le gospadar n'a pas abdiqué comme le suggère Paul Garde. Le rattachement du Monténégro à la Serbie n'est pas la conséquence de l'abdication de Nicolas, mais de sa destitution par la Grande Skoupchtina réunie à Podgoritza, le 26 novembre 1918. L'emploi du terme annexion laisserait sous-entendre que cette intégration s'est faite contre la volonté populaire. Au contraire, la terminologie d'union prouverait la volonté du peuple monténégrin de s'associer à la Serbie. La difficulté est donc de savoir si cette assemblée s'est prononcée librement. D'une manière générale, on peut considérer que la majorité de la population était contre un retour du roi, celle-ci s'étant sentie trahi par le départ de son roi en janvier 1916. Dans cette majorité, la plupart était pour l'union. Seul le mode unification et le type de constitution à adopter variaient; union avec le royaume S.H.S. Sur un pied d'égalité avec les serbes ou union au préalable avec la Serbie, république ou monarchie. Le parti indépendantiste est donc minoritaire. On peut donc dire que la décision de la Grande Skoupchtina reflète les aspirations des Monténégrins dans leur ensemble. On ne peut pourtant pas dire que les conditions dans lesquelles se sont déroulées les élections de cette assemblée ainsi que ses délibérations aient été exemptes de reproches. La présence militaire des Serbes et les pressions effectuées par ces derniers aidés en cela par les Blancs pro-unionistes ne peuvent être niées. C'est d'ailleurs cette attitude de conquérant, largement condescendant à l'égard de Monténégrins "inaptes", ainsi que les méthodes expéditives employées par l'administration serbe qui conduiront une partie de la population à se rebeller. Sans pour autant dire qu'elle était passée dans le camp de séparatistes. En définitive, si dans l'esprit cette intégration relève de l'union, dans la forme, elle a pris l'apparence d'une véritable annexion, avec tout ce que cela comporte d'abus. L'argument principal des unionistes pour justifier cette union fut la trahison du roi le 29 mai 1915 avec l'entrevue entre le prince Pierre et le colonel Hubka, au cours de laquelle le roi aurait vendu le mont Lovtchen et le 13 janvier 1916 lorsque le roi demanda la paix par une lettre au François-Joseph. Par son attitude, le roi avait trahi la cause alliée en livrant son pays et son armée à l'occupation austro-hongroise. Aucun des protagonistes de l'entrevue ne la nia. Elle avait pour but de mettre fin aux bombardements de villes monténégrines par l'aviation autrichienne. Bombardements contre lesquels la France et les Alliés ne firent jamais rien, au contraire de la Serbie qui reçut des avions. Cette entrevue ne fut nullement cachée, puisque les légations Alliées furent averties. Radovitch lui-même défendra le Monténégro contre les accusations de trahison parues dans la presse italienne, avant de défendre la thèse contraire après la fondation du Comité Monténégrin pour l'Union Nationale. Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 78 Quant à la demande de paix effectuée par le roi auprès de l'empereur d'Autriche, il le fit sur une requête du colonel Pechitch et du représentant serbe Mihailovitch. Après s'être défendu d'avoir fait parvenir une telle lettre au roi, les Serbes reconnaîtront son existence, mais tout en précisant que le colonel l'avait écrite sous la "contrainte" [2]. Dans ces négociations, le roi aurait délibérément livré son armée aux Autrichiens, l'empêchant ainsi de se réfugier à Corfou en compagnie de l'armée serbe. Or le haut commandement serbe reconnut lui-même avoir placé l'armée monténégrine dans une position telle, qu'elle ne pouvait pas organiser sa retraite sur Scutari, ville que les forces serbes auraient dû défendre, comme le colonel Pechitch le promit au général monténégrin Voukotich, lorsqu'il quitta le commandement des troupes monténégrines à la suite de la "trahison" du roi. Encerclées, située à plus de 100km de Scutari pour protéger la retraite serbe, les troupes monténégrines ne purent atteindre Scutari qui avait été abandonnée aux Autrichiens par les Serbes. Dans le "jargon" militaire, l'arrière-garde a souvent pour vocation de se sacrifier. C'est ce que fit l'armée monténégrine. Reprocha-t-on aux soldats français de Dunkerque d'avoir trahi la France en couvrant l'évacuation des troupes anglaises. Selon le gouvernement serbe, le roi en demandant la paix, puis en laissant sur place un de ses fils et son gouvernement, voulait jouer sur les deux tableaux, au cas où les Centraux gagneraient la guerre. Par cette tentative de négociation d'une paix séparée, la duplicité du roi, dénoncée depuis tant de temps, était donc enfin mise à jour. Est-ce pour autant que l'on parla de trahison de la Roumanie lorsqu'elle fut contrainte à signer la paix de Bucarest le 7 mai 1918, alors que la totalité de son territoire n'était pas occupée par les Centraux. La Conférence de la paix ne lui en tint aucune rigueur. À sa décharge, la Roumanie avait repris les hostilités le ... 10 novembre 1918 soit un jour avant l'armistice sur le front de l'Ouest, mais sept jours après l'armistice austro-hongrois. Le fait que le Monténégro n'ait pu reprendre les hostilités ne fut pas de sa propre décision. C'est l'opposition de la Russie et de la Serbie à voir la reformation d'une légion monténégrine indépendante qui ne permit pas au Monténégro de reprendre part au conflit. La reformation d'une unité monténégrine contrariait les ambitions serbes. Le but des Serbes était aussi bien de discréditer le Monténégro que de se présenter en libérateur des Yougo-slaves et entre autres des Monténégrins. Cette position avantageuse lui permettant ainsi de précipiter l'union des deux pays dans l'euphorie de la libération. La Serbie par cette union proclamée avant la création du royaume S.H.S., lui permettait à la fois de couper court à toute tentative de fédération, idée à laquelle elle est opposée, dans laquelle le Monténégro serait un membre à part entière, mais aussi de renforcer l'élément serbe dans le futur état yougo-slave, lui permettant ainsi de mieux s'assurer le prédominance sur les deux autres groupes; Croates et Slovènes, ainsi que d'imposer plus sûrement le roi Pierre comme le souverain de ce nouvel état avant qu'une assemblée ne fixe la forme constitutionnelle de ce futur état yougoslave. Si la Serbie a joué un rôle important dans la mise à l'écart du Monténégro et en suscitant ou du moins en finançant une opposition, lui permettant par la suite de justifier son annexion, elle n'est pas la seule à avoir eut un double jeu à l'égard du Monténégro. De ce point de vue, les grandes puissances alliées ne sont pas exemptes de reproches. Chacune à leur tour, elles se sont servies du Monténégro pour leur propre intérêt. La France et l'Italie sont à cet égard les plus compromises. La Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 79 première qui reproche au Monténégro d'avoir voulu négocier une paix séparée avec l'Autriche entreprendra durant les années 1916-1917 des négociations avec ce même pays. Négociations au cours desquelles elle disposera du sort du Monténégro pour servir ses propres intérêts; don du mont Lovtchen à l'Autriche, union de la Serbie et du Monténégro furent des propositions françaises pour aboutir à une paix séparée avec l'Autriche-Hongrie. Malgré les assurances données par le gouvernement français au gouvernement monténégrin, sur le respect de l'autorité royale par les forces d'occupation alliées, le gouvernement français ne dénonça pas l'attitude serbe et même l'encouragea. Tout ça dans le dessein de former un état capable de former un rempart contre le pangermanisme et former un cordon sanitaire autour de la Russie bolchevique, dans le cadre de la petite Entente. Le problème monténégrin est donc bien loin de ses centres d'intérêts. L'autre protagoniste, principal dans cet imbroglio diplomatique, fut l'Italie. Son attitude à propos du Monténégro varia selon ses intérêts. Si au début du conflit mondial, alors qu'elle est encore neutre, elle prend parti pour le Monténégro, fustigeant l'inaction française dans cette région des Balkans puis en échafaudant des plans d'actions combinées contre la côte dalmate avec l'aide des Monténégrins, elle change du tout au tout après l'occupation par les Monténégrins de Scutari. L'Italie considère l'Albanie comme son domaine réservé. Le Monténégro devient alors dans la presse italienne, le traître qui s'est arrangé avec l'Autriche pour occuper la ville, contre la position du mont Lovtchen qui surplombe la base navale des Bouches de Cattaro. Puis voyant que les Alliés jouaient la carte serbe et à plus longue échéance, la carte yougoslave, l'Italie décide de s'attirer de nouveau les faveurs du Monténégro en soutenant ses prétentions et en l'excitant contre les autres Alliés pour mieux l'attirer vers elle. Le Monténégro devait devenir une carte dans la guerre diplomatique que se livrait la Serbie et l'Italie pour le "contrôle" de l'Adriatique. Mais une fois cette "guerre" diplomatique résolue par le traité de Rapallo, le Monténégro fut laissé à lui-même. Enfin pas complètement puisque l'Italie resta un foyer d'agitation monténégrin pendant tout l'entre-deux-guerres [3], en relation avec le gouvernement fasciste qui lors du partage de la Yougoslavie en 1941 ira même jusqu'à recréer un état satellite monténégrin. Le roi Nicolas n'est peut-être pas innocent des faits qu'on lui reproche, le fait de ne pas avoir eu la possibilité de consulter d'autres archives officielles ne me permet pas d'être catégorique. Cependant ce qu'on lui reproche, et notamment les chancelleries Alliées, c'est d'avoir voulu mener sa propre politique, comme son statut d'état indépendant l'y autorisait. Politique qui allait parfois à l'encontre des intérêts de ces chancelleries. Ce qui revient à dire qu'il est permis des choses aux grandes puissances que l'on n'accepte pas des petits. Notes 1. Étudiant et agitateur nationaliste serbe (membre de la Main Noire) qui assassinat l'archiduc François-Ferdinand de Habsbourg le 28 juin 1914. Il meurt de tuberculose en prison en 1918. 2. Note Delaroche à MAE, AMAE, eu18-40, Monténégro, n°9, p 1 3. Après la mort du roi Nicolas, la capitale du gouvernement en exil fut établie par la reine Miléna à San Remo où elle assura la régence en attendant la majorité de Michel Ier, le fils de Mirko, puisque Danilo avait abdiqué en décembre 1921 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 80 Annexes Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 81 A. Réponse autrichienne à la demande de cessation temporaire des hostilités, faite par le roi le 10 janvier 1916. Sur la position, le 12 janvier 1916 Au haut commandement monténégrin, À la demande du ministère monténégrin de cesser temporairement les hostilités, il est fait la réponse suivante; Toute l'armée monténégrine doit déposer les armes et sans pourparler; toutes les armées serbes qui se trouvent sur le territoire monténégrin doivent être livrées. À ce moment-là seulement, le commandement supérieur sera prêt à cesser les hostilités. Jusqu'au moment où ces conditions seront remplies, les troupes austro-hongroises ont l'ordre de continuer les opérations sans arrêt. Le gouvernement impérial et royal en est informé. Par ordre du commandement supérieur De l'armée impériale et royale d'opération Colonel Chloross Télégramme tiré de, le rôle de la France dans l'annexion forcée du Monténégro, le ministère des affaires étrangères monténégrin, 1921, p 148 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 82 B. Lettre de démission du gouvernement Miouchkovitch, le 12 janvier à la suite du refus du roi de donner suite aux exigences autrichiennes. Sire, Le gouvernement de votre majesté estime que votre majesté et votre gouvernement ne doivent pas quitter le pays, en des moments aussi critiques. Leur départ ne serait justifié à aucun point de vue. Ils doivent, au contraire, rester dans le pays et partager avec le peuple la mauvaise fortune qui nous accable. Comme votre gouvernement sait que notre armée est absolument incapable de résister à l'ennemi, il vous a, il y a un instant, propose de demander la paix. Votre majesté a résisté à la proposition du gouvernement. C'est pour cela que celui-ci est obligé, par la présente, de vous remettre respectueusement sa démission et de déclarer qu'à partir de ce moment il cesse de fonctionner et de porter la responsabilité des événements qui pourront suivre. De votre majesté les plus dévoués: Miouchkovitch, président du conseil Radoulovitch, ministre de la justice Popovitch, ministre de l'intérieur Général Vechovitch, ministre de la guerre Ibidem p 148-149 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 83 C. Rapport du colonel serbe Pechitch, alors chef de l'état-major de l'armée monténégrine. Sire, Tous les commandants des armées, sur le front de l'Ouest, affirment que dans notre armée il se manifeste une telle démoralisation que toute résistance ultérieure est absolument impossible contre l'ennemi. L'armée de Cattaro, commandée par le général de division M. Martinovitch, est complètement dissoute et n'existe pour ainsi dire plus. L'armée d'Herzégovine est aussi dans un mauvais état et les soldats ne veulent plus se battre. Dans l'armée du Lovtchen, on ne peut plus compter que sur la brigade Koutchi-Bratonogitchi. Les commandants des armées de Cattaro et du Lovtchen n'ont plus un seul canon. L'armée a faim; elle a très peu de munitions, on ne peut plus espérer changer cet état de choses. En vous montrant dans la réalité cet état de l'armée, j'ai l'honneur de signaler à l'attention de votre majesté qu'il est absolument impossible, dans des conditions pareilles, de continuer la lutte et qu'il faut, tout de suite et le plus rapidement possible, faire ceci: - Premièrement, demander la paix à l'ennemi, puisqu'il n'a pas voulu accepter la proposition du gouvernement royal, faite il y a deux jours, concernant l'armistice. - Deuxièmement, la famille royale, le corps diplomatique, le gouvernement royal et le commandement supérieur doivent partir pour Scutari, au plus tard demain. - Troisièmement, près de Scutari, il faut organiser la défense de l'armée qui s'y trouve et celle que nous pourrions éventuellement tirer du pays. Elle doit, sous la protection des forts et du Drin, continuer la lutte si l'ennemi n'accepte pas une paix honorable. 31 décembre 1915-13 janvier 1916 Krouchevatz (palais royal de Podgoritza) Le chef d'état-major colonel-serdar Pierre Pechitch Ibidem p 149 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 84 D. Article de Georges Clemenceau publié dans L'Homme Enchaîné en janvier 1916 sous le titre "l'unité d'action". La preuve manifeste en est dans le fait que l'Italie ne s'est pas plus préoccupée de défendre le mont Lovtchen, nécessaire à l'existence du Monténégro ami, et redoutable menace aux mains des Autrichiens pour la liberté de l'Adriatique, que de ravitailler l'armée serbe, dans les pires extrémités du malheur. Nous mêmes, d'ailleurs, si pitoyables aux Serbes, qu'avons-nous fait pour les Monténégrins? (...) Depuis ce temps, le mont Lovtchen, abondamment pourvu d'une artillerie préhistorique, attendait tranquillement que quelqu'un vînt le prendre. (...) La fameuse concentration des troupes russes en Bessarabie, abandonnée aussitôt que commencée, sans cause connue, les promesses non tenues de l'Italie, qui paye sa passivité de la chute du mont Lovtchen, ouvrent décidément à l'Autriche les portes de l'Albanie, après la capitulation du roi de Monténégro (...). Tout cela n'est pas un indice en faveur d'une unité d'action. Ibidem p 155-156 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 85 E. Interview de Nicolas Obnorsky, chargé d'affaire russe à Cettigné, parue dans Novoie Vremia de Petrograd le 11 mai 1916. La défaite de la Serbie a incontestablement dû ruiner aussi le Monténégro. Lorsque la force militaire de la Serbie fut brisée, l'armée monténégrine, complètement abandonnée à elle-même, n'a pas pu résister aux efforts d'un ennemi plusieurs fois supérieur en nombre. Il faut se rendre compte que l'armée monténégrine s'élevait à 45 000 hommes et que par son "organisation", c'est plutôt une milice. Mais la cause principale, qui a précipité la fin tragique de ce pays, fut le manque de vivres et de munitions. La Russie avait adressé au Monténégro des provisions et du matériel de guerre, mais, malheureusement, ils n'arrivèrent jamais à leur destination. La plus grande partie fut coulée par les sous-marins autrichiens, et le reste fut pillé par les Albanais, à Saint-Jean-de-Médua. Cependant, dans le pays même, il n'était demeuré aucune réserve de vivres pour l'armée ou pour la population. Les derniers restes furent épuisés pendant la retraite serbe. La famine et le manque de matériel de guerre influencèrent l'esprit de l'armée monténégrine, qui faisait des efforts inouïs pour résister à la pression d'un ennemi supérieur en nombre et armé à la moderne. Avant tout, les Monténégrins furent laissés à eux-mêmes et sans aucun secours du côté des Serbes. En novembre 1915, on a donné l'ordre le plus catégorique aux soldats serbes et aux réfugiés de quitter le Monténégro. Je ne sais pas de façon certaine qui est l'auteur de cet ordre. C'est pour cette raison que fut rompue l'étroite union des armées serbe et monténégrine pour la lutte contre le vieil ennemi du slavisme. La capitulation de l'armée monténégrine se produisit comme un résultat inévitable. Comme elle s'était concentrée au centre du pays, l'armée autrichienne réussit à s'emparer des positions importantes de Virpazar, Taraboch et Scutari. Les Monténégrins se trouvèrent encerclés dans un espace restreint, délimité par les armées ennemies. Ainsi leur retraite vers l'Albanie se trouva coupée. Ibidem p 154-155 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 86 F. Extrait du livre Le Drame serbe, (Paris, 1916, p 104), Ferri Pisani, correspondant de guerre auprès de l'armée serbe. Seuls parmi les Balkaniques, les Monténégrins ont répondu à l'appel de leurs frères de Serbie. (...) La situation apparaissait désespérée. Les plus braves auraient hésité. Les Monténégrins ont crié: "nous voilà" ! (...) Quel faible appoint ! Mais quelle leçon aussi donnée aux autres faux alliés. (...) Les Monténégrins, non sans raison, auraient pu dire: "nous manquons de tout. Les navires autrichiens bloquent nos côtes. Nous n'avons ni pain, ni cartouche, ni uniformes. Nous sommes réduits à vêtir nos soldats avec de vieilles défroques de pompiers que la France nous envoya. Nous ne sommes que quelques milliers. Que pourrions-nous faire pour vous?" Les Monténégrins, au lieu de tenir ce langage, sont accourus. L'histoire en tiendra compte ! Cité dans le plus grand crime de l'histoire, de Jean Ciubranovitch, 1928, p 7 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 87 G. Article du journal Le Matin de Paris, le 14 mars 1916, intitulé "Retour d'Albanie - Nos coloniaux racontent ce qu'ils ont vu". Marseille, 13. Du correspondant particulier du Matin. Les soldats coloniaux français envoyés, en Albanie pour maintenir l'ordre avec les autres troupes du contingent international, viennent de rentrer à Marseille, après 32 mois de séjour dans les Balkans. Le détachement qui appartient au régiment colonial, revient presque complet; à peine manque-t-il une dizaine d'hommes sur l'effectif de 300, qui, malade en Albanie, furent évacués sur la France et l'Italie. C'est en 1913 que cette compagnie s'embarqua à Toulon pour les Balkans. Le détachement resta d'abord à Scutari jusqu'au moment de l'agression austroallemande; il fut mis alors à la disposition du Monténégro et se rendit à Cettigné, où il demeura jusqu'en janvier dernier. Bien que ne participant pas aux opérations, nos coloniaux purent en suivre toutes les péripéties et ils sont unanimes à reconnaître que les vaillants montagnards défendirent énergiquement leur patrie; mais après que la Serbie fut envahie, la petite armée monténégrine, qui comptait près de 40 000 hommes au début de la campagne, avait vu ses forces réduites au cours des actions sur la frontière d'Herzégovine. Elle ne possédait plus d'artillerie et encore moins de munitions et le front qu'elle avait à couvrir s'étendait sur un espace de près de 250 kilomètres; le Lovtchen, considéré comme inexpugnable, devenait lui-même intenable devant une armée ennemie nombreuse, bien équipée et pourvue de batteries de montagnes démontables. Les quelques canons de marine envoyés par la France n'avaient eux-mêmes qu'un rôle éphémère à remplir. Eh bien ! Malgré toutes les difficultés le malheureux Monténégro, en proie a la disette, demeura jusqu'au bout avec un moral excellent. La sobriété extraordinaire du peuple lui permit de résister aux plus dures fatigues, avec quelques galettes de maïs et un peu d'eau. Des vieillards, des femmes, des enfants moururent de privations à la fin de l'année dernière. Les arrivages de vivres ne parvenaient qu'irrégulièrement en raison des nombreuses difficultés qu'il fallait vaincre et la disette qui s'était établie dans le pays presque au début de la guerre devint plus grande encore dans les derniers mois de 1915 et les souffrances du peuple furent alors terribles; les pommes de terre se payaient 1 franc 50 l'oka (un kilo et demi), la faine et le riz valaient 3 francs l'oka; plus tard, il n'y eut plus de prix et une bouteille de vin ordinaire valait de 10 à 15 francs. Le détachement de nos coloniaux, lui, recevait assez fréquemment des envois de farine et alimenta sur ses propres réserves un certain nombre de pauvres gens. Dans les derniers jours de 1915, on vit des gens affamés se ruer à l'assaut des rares boulangeries, il fallut établir des réseaux de fils de fer barbelés dans les rues pour interdire à ces malheureux l'accès des boutiques; les soldats continuaient pourtant à se battre ayant chacun une galette de mais a la ceinture. Lorsque la retraite devint inévitable, le roi réunit le détachement français et pris congé de lui. Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 88 Il était fier de nous, me dit un colonial, il nous avait déjà réunis après la bataille de la Marne pour féliciter en nous les soldats de la France, dont ses frères venaient de sauver la civilisation. Le détachement français quitta Cettigné le 13 janvier, pris part à la retraite des Serbes réfugiés au Monténégro. Après des marches pénibles qui durèrent 12 jours, ils arrivèrent à Durazzo où ils furent reçus par les troupes italiennes; deux jours après, le détachement partait pour Corfou à bord du Memphis qui fut coulé peu après, nos soldats restèrent un mois à Corfou et dans l'île voisine de Palo dont on avait décidé l'occupation, croyant qu'elle servirait de base de ravitaillement aux sous-marins ennemis; ils partirent ensuite pour Marseille ou ils arrivèrent avant-hier sans incident notable. Cité dans le rôle de la France dans l'annexion forcée du Monténégro, publié par le ministère des affaires étrangères monténégrin, 1921, p 157-158 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 89 H. Andriya Radovitch et la question des 500000 francs. Réponse de P. Voutchkovitch à V. Popovitch M. Vladimir G. Popovitch, avocat, Paris. À propos de la question que vous nous avez adressée aujourd'hui, nous déclarons que ce que vous avez publié dans la Voix du Monténégrin, n°25, dans votre première réponse à M. Radovitch, est exact: que M. Radovitch a déclaré, à la fin de votre entretien, que l'argent (500 000 francs) qu'il a reçu, fut offert par certains bienfaiteurs; que des fonds son administrés par le gouvernement serbe et que lui, M. Radovitch, les a touchés avec le consentement de ce dernier. Ce sont les propres paroles de M. Radovitch. Veuillez agréer, etc. P. Voutchkovitch, ministre en disponibilité K. Loutchitch, directeur de la société "Rossio" pour le Monténégro A. Perlya, étudiant es lettres Paris, le 24 octobre 1917 Citée dans [censure...] ou M. André Radovitch, de Vladimir Popovitch, 1917, p 46 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 90 I. Dépêche de M. Radovitch de Brindisi à Corfou le 6 février 1916, à propos de la reformation d'une armée monténégrine. Consulat français, Corfou. Veuillez communiquer cette dépêche au capitaine de l'armée monténégrine Radisave Vouksanovitch: j'apprends votre arrivée. Prière d'informer vos collègues officiers monténégrins de former avec les volontaires et les autres Monténégrins bien portants une division monténégrine spéciale, dont s'occupera la mission française, ainsi qu'elle le fait pour l'armée serbe... ...informez-moi si vous avez besoin d'argent et de combien. À plusieurs reprises j'ai voulu vous en envoyer N.N. Avec quelque argent et le charger de vous faire certaines communications, mais ce n'est qu'hier que j'ai reçu pour lui l'autorisation de s'embarquer sur un torpilleur à destination de Durazzo. Envoyez-moi les noms des officiers monténégrins et le nombre des soldats. Il serait utile que le général Petar Martinovitch et vous veniez le plus tôt possible à Brindisi pour nous entendre. Répondez si vous avez un chiffre et lequel. Délégué monténégrin Radovitch Hôtel Central Ibidem p 50 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 91 J. Déclaration de Radovitch au journal italien L'Idea Nazionale du 4 février 1916, sur la prétendue trahison du Monténégro. Je vous déclare nettement que les renseignements puisés par votre correspondant son complètement faux en ce qui concerne les derniers événements qui ont eu lieu au Monténégro. Dans les renseignements de votre correspondant se reflètent, en autres, les calomnies répandues par les réactionnaires du pays contre les gouvernements monténégrin actuel et précédent, connus par leur dévouement à la cause de l'Entente. On ajoute foi à un traité secret qu'aurait conclu le Monténégro avec l'Autriche lors de l'occupation de Scutari par les Monténégrins en 1915. Nous sommes accusés d'avoir procédé à cette occupation après entente préalable avec l'Autriche. Il y a quelque temps, dans une interview avec le Giornale d'Italia, j'ai démontré la fausseté des bruits répandus quant aux circonstances dans lesquelles l'occupation de Scutari a eu lieu. Je déclare ici qu'en 1913 le Monténégro aurait pu librement rester à Scutari, son ancienne capitale, reconquise par le sang des meilleurs de ses enfants, si notre vieux souverain avait consenti à la rectification des frontières du côté de l'Autriche...(c'està-dire à la cession du mont Lovtchen). En 1913, le Monténégro a rejeté toute proposition autrichienne concernant la cession du Lovtchen. S'il y avait des accords, comme la presse l'affirme, le Monténégro aurait dû agir différemment. Ainsi donc une foi aveugle dans ces bruits mensongers et diffamatoires, répandus partout, a contribué puissamment à la fin de ma patrie. Nos ennemis ont réussi à persuader le public des Alliés de la vérité des bruits tendancieusement répandus; c'était l'arme la plus envenimée contre le Monténégro. On verra bientôt quelle lourde responsabilité pèse de ce chef sur la presse Alliée; d'ailleurs on en voit un premier résultat dans le sort atroce du Monténégro. Dans l'Idea Nazionale du 27.01.1916, on lit: que les ministres monténégrins et certains personnages haut placés de l'entourage du roi Nicolas, comme par exemple le maréchal de la cour D. Gregovitch et l'ancien président du conseil A. Radovitch, ont conclu un accord avec trois délégués autrichiens, et précisément avec l'ancien ministre plénipotentiaire à Cettigné, le baron Giesel, l'attaché militaire Hubka et le commandant des Bouches de Cattaro. On affirme en outre qu'à la conclusion de ce traité assistait le Premier ministre, M. Pachitch. Tout ceci n'est qu'une infâme calomnie. À l'appui de ce que j'avance, je rappelle la récente dépêche que sa majesté le roi Nicolas a adressé à M. Le président de la république française en l'assurant de son dévouement à la cause des Alliés, à l'égard desquels son attitude n'a jamais varié et ne variera pas dans l'avenir. (...) La fin tragique de mon pays est l'une des conséquences des fautes commises dans les Balkans. Nous sommes des victimes, et il est inhumain d'envenimer nos plaies et de nous forcer à faire la lumière sur ces événements, ce qui peut-être utile pour nous, mais pas pour les autres Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 92 Si nous nous taisons maintenant c'est pour ne pas provoquer des polémiques, qui ne contenteraient que nos ennemis. Ibidem p 7-9 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 93 K. Interview de Radovitch sur l'entrevue de Budua. Giornale d'Italia, le 10 octobre 1915. Chaque jour les aéroplanes autrichiens survolaient Cettigné et les autres villes monténégrines et jetaient des bombes. C'était pour nous des jours difficiles, car nous ne pouvions pas riposter à nos ennemis de la même façon. Dans une seule journée les aéroplanes autrichiens ont tué à Podgoritza une centaine de personnes. Que pouvionsnous faire? Bombarder les Bouches de Cattaro, rien de plus facile... Mais les habitants de Cattaro sont presque tous des Monténégrins et massacrer nos frères nous était impossible. Il était nécessaire que le commandant de nos troupes dans le secteur des Bouches de Cattaro, le prince Pierre, informât les Autrichiens qu'il désirait une entrevue avec l'ex-attaché militaire à Cettigné, le major Hubka. Le prince pensait que celui-ci se trouvait à Castel-Nuovo (Bouches de Cattaro) où quelque autre port près des positions monténégrines et, le connaissant personnellement, a préféré traiter avec lui qu'avec un inconnu. Pendant ce temps-la, Hubka était sur l'Isonzo. L'Autriche, croyant que le Monténégro avait des propositions spéciales à faire, avait autorisé le major Hubka à venir du nouveau front et il s'est présenté en automobile devant nos positions. Le prince Pierre a déclaré au parlementaire autrichien que, si les Autrichiens ne cessaient pas de bombarder les villes ouvertes et non défendues, les Monténégrins de leur côté bombarderaient sans merci Cattaro et ses bourgs environnants. Hubka a été désappointé, car il s'attendait à des propositions de nature différente. La menace a eu son effet et, depuis lors, les Autrichiens n'ont bombardé que des objectifs militaires. Ibidem p 9-10 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 94 L. Mémorandum de Radovitch au roi Nicolas, le 18 août 1916. Sire, Les événements qui se déroulèrent sur les divers champs de la bataille me fournissent l'occasion d'attirer, en sujet dévoué, la haute attention de votre majesté sur les destinés de notre patrie à l'avenir. Sire, Il n'existe plus aucun doute quant à la victoire complète de nos Alliés qui mènera inévitablement la chute définitive de l'Empire turc en Europe, la défaite de l'AutricheHongrie et la libération du peuple serbe. Il a, du reste, plus que tout autre, acheté par son sang et mérité sa délivrance. Il est probable que cette libération soit suivie de celle des Croates et des Slovènes qui, d'accord avec les Serbes, tendent à créer un État yougoslave. Cette idée représente l'idéal d'un peuple tout entier; c'est une exigence de la justice aussi bien que des temps que nous traversons; c'est l'idée salutaire dont la masse s'est enthousiasmée et pour laquelle elle a supporté - et aurait encore la force de le faire - des sacrifices de tout genre. Celui qui voudra combattre ce mouvement sera tôt ou tard vaincu car il se trouvera face à un torrent qui emporte tout ce qu'il rencontre sur sa route. Il se pourrait, uniquement par égard pour l'auguste personne de votre majesté, que le Monténégro fut de nouveau rétabli tandis que les autres territoires yougoslaves formeraient un état sous le sceptre des Karageorgevitch. Dans les circonstances les plus favorables le Monténégro s'étendrait en Herzégovine jusqu'à la Narenta et formerait avec Raguse, les Bouches de Cattaro et Scutari un état d'à peu près un million d'habitants. Ce pays pauvre est peuplé par l'élément le plus énergique que l'on rencontre chez les Serbes, mais la richesse de ces territoires ne correspondant pas à l'esprit et à l'élan du peuple, il s'ensuivrait un mécontentement et de jour en jour croîtrait le désir de s'unir aux frères de la riche Serbie et de la Bosnie. Par cette guerre terrible il sera, dans tous les pays, très difficile de gouverner car on se heurtera à l'impossibilité de satisfaire les prétentions individuelles. La démocratie deviendra dangereuse et brisera comme un torrent tous les obstacles qu'on voudra lui opposer. Aux hommes d'état incombera la lourde tâche de la mener pour l'empêcher de sortir de son sillon et de provoquer des bouleversements. Il est hors de doute que les événements qui se sont déroulés dans notre patrie avant et après la catastrophe amèneront le Monténégro a se laisser gouverner plus difficilement qu'un autre État; à ces raisons il faut ajouter encore le récent internement des Monténégrins ainsi que la faim, à laquelle une grande partie de notre malheureuse population succombera inévitablement. Dans la meilleure des hypothèses, l'union financière devra être certainement suivie d'une union militaire et politique avec la Serbie ou l'État yougoslave. Mais, malgré Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 95 cette nécessité impérieuse les esprits agités de l'un et de l'autre état serbe, exaltées par l'idée de l'union, ne s'arrêteraient devant aucun moyen pour la réaliser, en sorte que les deux États deviendraient les théâtres des intrigues les plus diverses qu'encourageraient encore, à moins de les créer, nos ennemis communs. Au lieu de la paix et du bien-être, si justement mérités par le peuple serbe après tant de sacrifices, la discorde et les troubles régneraient dans ces pays. L'issue d'une pareille situation est facile à prévoir, surtout après votre majesté. Elle se verrait, du reste, dans l'impossibilité d'adhérer aux prétentions exorbitantes de la démocratie et passerait dans le mécontentement la fin de son règne, qui a été, surtout pendant les premiers 45 ans, riche en gloire et en grandeur. Les derniers événements, cependant, demandent à être mis à l'ombre par l'éclat d'un acte qui couronnerait si dignement le règne de votre majesté. Sire, Le Monténégro a été tant de siècle l'intrépide champion de la liberté du peuple serbe et l'avant-poste slave vers l'Occident. Le jour où, avec l'aide de Dieu, les territoires yougoslaves seront libérés, ce rôle sera glorieusement achevé. Le grand ancêtre de votre majesté, le grand poète serbe l'évêque et le souverain du Monténégro, Pierre Petrovitch-Niegoch, a offert au ban Jelacic, croate et catholique, de se mettre à la tête de l'État yougoslave. Votre grand prédécesseur le prince Danilo mettait son trône à la disposition du prince Michel, uniquement pour réaliser l'union des Serbes. Votre majesté a donné dans sa jeunesse libre cours à son âme et à ses sentiments patriotiques dans l'hymne, si chéri de tous les Serbes: "Onamo, ô"; dans ses œuvres: "l'impératrice des Balkans", "le poète et la villa" et dans tant d'autres, votre majesté a réveillé la conscience de notre peuple; elle l'a animé et exalté avec la sainte idée de la réalisation du vœu solennel de tous les Serbes. Le moment heureux est venu pour votre majesté de réaliser personnellement ce rêve; de laisser un des plus beaux noms dans l'histoire serbe; elle deviendrait une des personnalités les plus aimées non seulement des Serbes, des Croates et des Slovènes. Mais de tous les Slaves et gagnerait en même temps la plus grande estime dans les Balkans et auprès de nos Alliés. Votre majesté devrait se faire le champion d'un État yougoslave fort et compact, dans lequel entreraient: les Serbes les Croates les Slovènes et peut-être plus tard aussi les Bulgares, comme une unité autonome. Cet état devrait se constituer à l'exemple de l'Italie: un état compact avec l'égalité des ressortissants. Les Croates sont plus proches des Serbes que ne l'étaient les Piémontais des Napolitains; les uns et les autres ont plus d'affinité avec les Slovènes que les Piémontais avec les Siciliens. Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 96 Jusqu'à la rédaction de lois communes, les diverses régions devraient se servir des législations suivies jusqu'à présent par elles. Les différences qui existent entre ces régions s'aplaniraient bientôt comme cela a eu lieu en Italie. La vigueur des Serbes de Serbie et du Monténégro serait modérée par la culture et l'esprit des Serbes, des Croates et des Slovènes, qui ont été sous la monarchie des Habsbourg. Les Croates ne peuvent pas souhaiter une Croatie indépendante car elle serait sous la tutelle de la Hongrie. Un partage en Croatie: Croatie, Bosnie et Herzégovine, Serbie, Dalmatie et Monténégro autonomes ne leur serait pas plus profitable car les Croates seraient partout, sauf en Croatie, en minorité; nos ennemis s'appliqueraient à y semer la discorde dont la première victime serait les Croates en raison de leur minorité. D'autre part, les Croates, unis à grand nombre de Serbes orthodoxes, se déferaient peu à peu de l'influence de leur clergé et deviendraient aux yeux même des Russes de grands patriotes salves; nous aussi, du reste, nous devons pour une grande part à notre religion orthodoxe d'avoir maintenu intacte pendant des siècles la conscience de notre peuple de même qu'au fait que nous avons constamment été secourus par notre puissante protectrice la Russie, dont les tendances ont toujours porté vers la libération de notre peuple tant pour des raisons nationales que religieuses. Une Croatie indépendante, probablement affaiblie par une partie des Croates qui seraient englobés par l'Italie et une autre partie par la grande Serbie, serait, en tant qu'État catholique, sous l'influence de Vienne et Budapest; elle serait donc perdue pour la Russie, les Slaves du Sud et les Alliés. Il semble que la France et l'Angleterre partagent cette opinion; beaucoup de Russes aussi craignent que les Croates, comme catholiques n'exercent une mauvaise influence religieuse sur les Serbes orthodoxes, quoique cette crainte n'ait aucun fondement réel. Beaucoup d'Italiens considèrent, d'un autre côté, un si grand État slave comme un danger pour leurs intérêts, ce qui ne saurait être car cet État serait, comme le professait le grand italien Mazzini, l'allié naturel du royaume latin en même temps que le meilleur débouché à ses produits. En dernier lieu, en dépit de toutes les difficultés et de tous les obstacles qui semblent entraver la formation d'un état yougoslave, les Alliés le constitueront dans l'intérêt même de la paix européenne. Comme conséquence de l'union du Monténégro et de la Serbie avec les autres territoires yougoslaves découle la fusion des deux dynasties qui sans aucun doute ont rendu de grands services à la cause serbe et slave; le fait que le petit-fils de votre majesté est aujourd'hui le régent de Serbie facilite encore l'exécution de ce projet. Sa majesté le roi Pierre, en raison de sa santé précaire, a remis son pouvoir royal à l'héritier du trône Alexandre qui s'est acquis les sympathies du monde civilisé et qui, à la tête de ses troupes rappelle les glorieux jours de Voutchi-do et tant d'autres ou votre majesté menait à la victoire ses intrépides héros. Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 97 À lui comme au représentant d'un État qui a apporté les plus lourds sacrifices et qui par sa puissance, sa culture et sa richesse a le pas sur les autres pays yougoslaves, revient la première place parmi les jeunes princes des deux dynasties serbes. Votre majesté, après presque 60 ans de règne, et S.M. le glorieux roi Pierre, par suite de son âge avancé et de sa santé délicate, méritent du repos, pour suivre, l'âme réjouie et en véritables pères de la patrie, le développement du jeune État yougoslave aux destinées duquel présiderait le petit-fils de votre majesté et le fils de sa majesté le roi Pierre. Autour du jeune souverain yougoslave se réunirait les princes Petrovitch-Niegoch et Karageorgevitch. Sa majesté la reine Miléna occuperait la première place honoraire dans l'État, c'est-à-dire celle de la reine-mère. La succession sur le trône pourrait être établie de la façon la plus équitable et comme suit: d'abord le prince Danilo, les descendants du prince Alexandre actuel ensuite, et puis l'alternativement les autres princes des deux dynasties. La providence a voulu que dans cette dynastie yougoslave il y ait des princes dans les veines desquels coule du sang des Obrénovitch, dynastie qui elle aussi a rendu des services appréciables à la nation serbe. Depuis longtemps, sire, il a été dit: "la concorde seule sauve le Serbe"; et vraiment la concorde et l'union des dynasties serbes les sauveront elles et préserveront le peuple de troubles. Ne devait-il pas en être ainsi, il faudra s'attendre à des difficultés et à des malentendus dont les conséquences pourraient être dangereuses pour la dynastie et pour le peuple, qui se verrait poussé à chercher son salut dans une autre forme de gouvernement pour laquelle il est aussi peu mur que les petites républiques américaines. Dans un pays riche tel que le serait l'état yougoslave, la dynastie aurait les moyens suffisants pour représenter dignement l'autorité suprême à l'intérieur du pays et à l'extérieur, ce qui actuellement est impossible dans le Monténégro pauvre, et même en Serbie. Leurs Majestés, les pères de la patrie auraient les plus hauts honneurs ainsi que de larges moyens de représentation et seraient adorés de tout le monde. Les villes et les provinces rivaliseraient pour faire le meilleur accueil à leurs pères de la patrie. Comme suite de l'idée que je me suis permis d'exprimer dans le plus profond sentiment de dévouement, votre majesté, en champion de l'idéal yougoslave, aurait à faire part de sa décision à sa majesté l'empereur de Russie. Afin de pouvoir fournir quelques renseignements nécessaires le ministre des affaires étrangères de votre majesté devrait, sous le prétexte d'une visite de courtoisie, due au gouvernement russe, remettre cette lettre à sa haute destination. Il serait également désirable d'ajouter à la lettre de votre majesté une déclaration ou une lettre de S.A.R. Le prince héritier Danilo à sa majesté l'empereur Nicolas. Après cela et d'accord avec le gouvernement impérial russe, la Serbie officielle devrait être mis au courant de cette question et le traité relatif signé. La Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 98 communication de cette lettre aux autres puissances Alliées devrait être fait après cette entente. Le moment venu il est évident que l'avis des Monténégrins sur cette question devrait être requis par suffrage universel; ils ne manqueront certainement pas de donner l'approbation à l'acte par lequel leur rêve et leur idéal si ardemment désirés se réaliseraient. Sire, Il n'y a pas de Serbe et en général de Slave qui ne saluerait avec enthousiasme cet acte de si haute portée de votre majesté. Dans l'histoire du peuple serbe, votre majesté deviendrait le rival en gloire de l'empereur Douchan le Grand. Une heureuse occasion est fournie à votre majesté de se couvrir de gloire; c'est aujourd'hui le moment de faire ce geste de la plus haute importance dans l'histoire de notre peuple; il est à craindre qu'après il ne soit trop tard. Non seulement comme Premier ministre et ministre des affaires étrangères de votre majesté, mais comme Serbe et comme fils de cette famille qui de tout temps a été fidèle aux glorieux ancêtres de votre majesté et à vous, sire, je me suis permis de soumettre ce projet si important à l'approbation de mon auguste souverain. Mes vues, telles que je viens de les exposer, sont aussi partagées de mes collègues et votre majesté peut les considérer comme la partie principale du programme de son gouvernement; c'est pour cette raison que nous attendrons avec impatience la haute décision de votre majesté. Sire, D'un seul trait de plume daignez fonder aujourd'hui, à la fête de la transfiguration, le bonheur des Yougoslaves; assurez l'avenir à votre glorieuse dynastie et rendez votre nom à jamais immortel. Avec le plus profond dévouement d'un sujet, j'ai l'honneur d'être de votre majesté le fidèle serviteur. V. Radovitch Paris le 6/18 août 1916 Mémorandum tiré des archives diplomatiques françaises, série guerre 1914-1918, n¯327, p 83-89 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 99 M. Dépêche du Quai d'Orsay au ministre de la guerre sur la situation des Monténégrins engagés dans l'armée serbe, le 28 mai 1917. En effet, nous avons adopté en ce qui concerne les enrôlements de sujets étrangers dans l'armée serbe une attitude de partialité bienveillante pour le gouvernement serbe en permettant à celui-ci de recruter des volontaires yougo-slaves étrangers à la nationalité serbe, tandis que nous interdisions au roi de Monténégro des volontaires de cette sorte en ce qui concerne les enrôlements dans l'armée monténégrine, elle n'en constitue pas moins à l'égard du roi Nicolas une disposition restrictive. Il s'ensuit qu'il paraît difficile de refuser à ce souverain en matière de compensation d'exercer vis-à-vis de ses sujets une sorte de veto en ce qui concerne leur service dans l'armée serbe. D'autre part, il ne nous appartient pas de faire rechercher dans l'armée serbe les Monténégrins qui s'y trouveraient et n'auraient pas excipé de leur qualité pour faire annuler leur engagement. Dépêche MAE au ministère de la guerre, AMAE,gu14-18,n¯334, p 151 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 100 N. Lettre du ministre des affaires étrangère français M. Pichon à S.M. Le roi de Monténégro, le 4 novembre 1918. Sire, Votre majesté a bien voulu m'exposer, par sa lettre du 2 novembre, les raisons pour lesquelles elle aurait désiré se rendre immédiatement au Monténégro. Votre majesté ajoutait que le ministre de la république, accrédité auprès d'elle, lui avait fait connaître le sentiment du gouvernement français partagé par les autres gouvernements Alliés, concernant l'opportunité de ce déplacement dans les circonstances présentes. À la suite de cette communication, votre majesté s'est persuadé qu'en effet, il était préférable pour elle de renoncer à entreprendre ce voyage, et qu'elle ne pouvait avoir de meilleures garanties, pour la quiétude de son pays, que les ordres donnés au général commandant en chef les armées d'Orient. Je remercie votre majesté d'avoir bien voulu me faire part de sa décision, dans laquelle je reconnais la sagesse avisée dont elle a donné tant de preuves. Vous pouvez être certain, sire, que les troupes placées sous le commandement du général Franchet d'Esperey ne négligeront rien pour assurer dans votre royaume le maintien de l'ordre, et qu'elles pratiqueront le respect des autorités constitutionnelles ainsi que des libertés du peuple monténégrin. Je prie votre majesté d'agréer les assurances de mon profond respect. Paris le 4 novembre 1918. S. Pichon Dépêche tirée de "Le rôle de la France dans l'annexion forcée du Monténégro", ministère des affaires étrangères monténégrin, 1921, p 40 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 101 O. Lettre du président de la république française M. Poincaré à S.M. Le roi de Monténégro, 24 novembre 1918. Très cher et grand ami, J'ai été très sensible à la démarche que vous avez bien voulu faire auprès de moi. La France n'a pas oublié la vaillance, avec laquelle le Monténégro s'est levé, à l'appel de votre majesté, pour la défense de son indépendance. Elle connaît les souffrances du peuple de la montagne noire et elle s'emploie de son mieux à les soulager. Votre majesté peut-être assurée que le gouvernement de la république, dont elle évoque, avec raison, la sollicitude pour les petits États, ne se prêtera, pour sa part, à aucune tentative qui aurait pour objet de contraindre la volonté de la nation monténégrine et de contrarier ses aspirations légitimes. En ce qui concerne les troupes françaises appelées à occuper provisoirement le territoire de votre royaume, respectueuses des institutions établies, elles s'emploieront à maintenir l'ordre, en assistant de leur mieux les populations, de manière à préparer le rétablissement de la vie normale, qui a été profondément troublée par les douloureuses épreuves résultant de l'occupation ennemie. Il paraît préférable que votre majesté attendît, pour regagner son royaume, que ce but ait été atteint et que l'existence ait repris au Monténégro son cours accoutumé. La présence des troupes Alliées, le concours qu'elles apporteront aux habitants contribueront sans doute à hâter ce moment que votre majesté appelle de tous ses vœux. Dès qu'il sera venu, le gouvernement de la république sera heureux, sire, de faciliter votre voyage de retour. Je suis heureux de me dire, très cher et grand ami, votre sincère ami. Paris, le 24 novembre 1918 R. Poincaré Ibidem p 41 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 102 P. Résolution de la Grande Skoupchtina du 26 novembre 1918 proclamant l'union du Monténégro à la Serbie et la déchéance des Petrovitch-Niegoch. En vertu du principe que tout peuple se détermine librement, principe admis et proclamé comme condition de la paix future, universelle, par l'apôtre de l'humanité, le président des États-Unis d'Amérique du Nord, M. Wilson et adopté par nos puissants alliés et grands amis: l'Angleterre, la France et l'Italie, la Grande Skoupchtina du peuple serbe du Monténégro, élue librement et réunie le 11/24 novembre 1918 à Podgoritza en vue de se prononcer là-dessus, déclare: 1. Le peuple serbe de Monténégro est de même sang, à la même langue, les mêmes aspirations, la même religion, les mêmes mœurs que le peuple qui habite la Serbie et autres contrées serbes. Le glorieux passé, qui les enthousiasme, leur idéal, leurs héros nationaux, leurs souffrances leur sont communes. Enfin tout ce qui caractérise un peuple leur est commun. Lorsqu'on a au Moyen Âge formé l'État serbe sous le règne de la dynastie des célèbres Némanjides, le peuple monténégrin y est entré dès le début et y a joué un rôle important. L'invasion turque a mis fin à l'existence de notre état et a réduit notre peuple à l'esclavage. Des efforts suprêmes ont été tentes par le peuple pour se libérer. Des insurrections ont eu lieu à diverses reprises, mais elles ont été étouffées d'une manière sanglante. Le peuple serbe de Monténégro y portait l'étendard. C'est lui qui a réussi le premier à se délivrer du joug turc, à reconquérir sa liberté. Dès lors datent ses aspirations et son idéal: la libération et l'union de tout le peuple serbe; c'était son rêve séculaire. Au commencement du XIX siècle s'insurgent les Serbes de Serbie de l'héroïque Karageorges, se débarrassent de la domination ottomane et posent les fondations de la Serbie contemporaine. À partir de cette date, les Serbes de la Serbie et ceux du Monténégro collaborent toujours à l'idéal commun: la libération et l'union du peuple serbe. C'est bien à cause de ce grand idéal - et toujours ensemble - que les guerres de délivrance ont été faites. Mais le succès a été insignifiant car l'Empire ottoman était toujours assez fort pour empêcher notre libération et notre union, d'autant plus qu'il disposait d'un collaborateur sincère, l'ennemi séculaire de notre peuple, la perfide Autriche-Hongrie, qui voyait toujours dans notre succès son insuccès, dans notre bonheur son malheur, dans notre union son démembrement. Au Congrès de Berlin, tenu peu après la guerre sanglante faite par la Serbie et le Monténégro à l'aide de leurs frères russes pour la libération et l'union de leurs conationaux, l'Autriche-Hongrie a réussi à nous priver de tous les fruits de cette grande lutte et d'annexer deux contrées classiques serbes: la Bosnie et l'Herzégovine, contrées dans lesquelles le premier coup de fusil a été tiré pour cette libération. De plus le Sandjak de Novi-Pazar, peuplé par une masse compacte de la population serbe, elle est parvenue à maintenir la souveraineté ottomane doublée des garnisons austro-hongroise. Ainsi l'Autriche et la Turquie montent la garde ensemble, afin que la Serbie et le Monténégro ne s'unissent pas. La guerre balkanique avait aussi le même but: la libération et l'union des Serbes. La Serbie et le Monténégro sont entrés ensemble dans cette guerre. Elles ont versé des torrents de sang et obtenu de brillants résultats; la majeure partie de notre peuple a Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 103 été délivrée du joug turc et uni à la Serbie et au Monténégro. La barrière, qui les séparait jusque-là, a disparu et le peuple s'est mis vivement à réaliser la grande œuvre: l'union. Des raisons dynastiques, ainsi que l'Autriche-Hongrie, décidée à intervenir même par les armes, s'y sont opposées. C'est bien à cause de cela qu'elle nous a attaqué et qu'elle a provoqué cette guerre sous prétexte du meurtre de l'héritier austro-hongrois à Sarajevo. Cependant tout notre peuple sait fort bien que l'Autriche-Hongrie, nous aurait attaqué même si ce meurtre n'avait pas eu lieu. Il n'ignore non plus qu'elle s'y préparait activement de beaucoup avant le meurtre. 2. Les intérêts économiques du Monténégro sont étroitement liés à ceux de la Serbie et des autres contrées serbes. Séparé d'elles, le Monténégro, dont le sol est l'un des plus pauvre du monde entier, n'offre aucune condition pour être indépendant. Il serait d'avance condamné à périr. Il est notoire qu'il était très difficile de vivre au Monténégro jusqu'à l'esclavage austro-hongrois et qu'une partie de notre maind'œuvre était obligée à s'en aller en Amérique en vue d'y gagner son pain quotidien et celui des siens. Après cette guerre, durant laquelle l'ennemi a tout pillé et enlevé à notre peuple, le laissant dans la misère la plus noire, l'existence du Monténégro comme pays indépendant est devenue encore moins possible. Donc même les intérêts économiques du Monténégro exigent d'une manière impérative l'union du Monténégro avec la Serbie et les autres contrées serbes. 3. Les raisons politiques imposent aussi l'union. Il serait superflu d'accentuer quelle misérable signification politique aurait le Monténégro à côté de la grande Yougoslavie. En somme toutes les raisons précitées montrent clairement que l'unique manière de sauver notre peuple gît dans l'union. L'union ou la mort: c'est le cri général qui se répercute au long et au large de notre patrie. Le peuple entier de Monténégro demande l'union. Seule la dynastie monténégrine ne la désire pas, ne la veut pas. Elle considère que cela est au détriment de ses intérêts, qui lui ont été toujours plus sacrés que ceux de notre peuple. On a essayé de la décider à venir au-devant du désir du peuple dans cette grande question de l'avenir national. On lui a fait entendre que ce sacrifice lui serait largement récompensé - mais en vain!... Le roi Nicolas, le représentant actuel de la dynastie, est le type le plus expressif du plus dur absolutisme. Durant tout son long règne, pour lui, à l'instar de Louis XIV, valait un dogme, dont il ne s'est jamais départi et qui est exprimé dans la fameuse phrase "l'État - c'est moi". Même la capitulation du Monténégro, par laquelle on a entaché les armes monténégrines, qui se sont couvertes de gloire pendant des siècles, est son œuvre. Il a jeté son peuple dans un esclavage pire et plus honteux que celui des Turcs. N'étant pas sur qui sortira vainqueur de cette grande guerre, il a laissé en esclavage l'un de ses fils en vue d'entretenir par son entremise des relations avec les Puissances Centrales et d'assurer ses intérêts en cas de leur victoire. Quant à lui, il a pris la fuite Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 104 et s'est fait martyr qui, comme lui-même l'a déclaré, a été délaissé par son peuple, peuple qui s'est rendu à l'ennemi, tandis que lui seul fidèle aux Alliés a réussi à s'enfuir! Cela lui rapportait au cas où les Alliés remportent la victoire sur les Puissances Centrales. Cependant on sait chez nous qu'il n'a pas sincèrement mené cette guerre. Bien des preuves existent. Quand après l'occupation les Monténégrins, tant dans le pays qu'à l'étranger, ont continué le mouvement pour la libération et l'union, les autorités austro-hongroises s'y sont opposées énergiquement, ont fait une vive propagande pour le roi Nicolas, ont permis la libre distribution des journaux publiés en France et en Suisse à ses frais. Elles ont travaillé par tous les moyens en faveur de la séparation du Monténégro et des intérêts du roi Nicolas. Tandis que les Monténégrins souffraient dans l'esclavage le plus terrible qu'ait connu l'histoire et qu'ils étaient opprimés, tués, pendus, déshonorés de toutes les façons qu'a pu imaginer cet état perfide et corrompu, le roi Nicolas vivait aisément à Paris. Il n'a rien fait pour adoucir le triste sort de son peuple. Il n'a jamais levé la voix, ni protesté contre le traitement inhumain et l'extermination de son peuple par l'Autriche-Hongrie. Il s'est gardé, cela se conçoit aisément, d'être désagréable à son amie l'Autriche-Hongrie et cela dans l'unique but de ne pas nuire à ses propres intérêts - sans tenir compte de ceux de son peuple. En base de tout ce sui précède la Grande Skoupchtina du peuple serbe de Monténégro, comme fidèle interprète des désirs et de la volonté de ce peuple, fidèle à ses traditions historiques et aux vœux de ses ancêtres, qui ont combattu pour eux pendant des siècles, décide à l'unanimité et par voix personnelle: 1. Le détrônement du roi Nicolas Ier Petrovitch-Niegoch et de sa dynastie 2. L'union du Monténégro avec la Serbie en un seul et unique état sous le règne de la dynastie des Karageorgevitch et qui, ainsi unie, entre dans la patrie commune de notre peuple aux trois noms: Serbes, Croates et Slovènes 3. L'élection d'un directoire de cinq membres, qui auront à mener les affaires jusqu'à ce que l'union complète soit achevée 4. Informer de cette résolution l'ex-roi de Monténégro Nicolas Petrovitch, le gouvernement du royaume de Serbie, les puissances Alliées de l'Entente, ainsi que tous les états neutres. Déclaration tirée de la Formation de l'État yougoslave, par Z.Tomitch, 1927, p 132136 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 105 Q. Résolution de la Grande Skoupchtina du 29 novembre 1918 proclamant la confiscation des biens royaux. La grande assemblée nationale consciente de la responsabilité politique et criminelle de l'ex-roi Nicolas à l'égard de son peuple et guidée par l'opinion et la conviction de tout le monde que les biens de l'ex-roi proviennent des biens injustement et illégalement enlevés au peuple, décide sous l'impulsion de motifs de droit précités: La confiscation au profit du peuple de tous les biens, meubles et immeubles de l'exroi Nicolas Petrovitch-Niegoch. Et l'interdiction a jamais d'entrer dans notre pays à l'ex-roi Nicolas PetrovitchNiegoch, ainsi qu'à tous les membres de sa dynastie. le président: Savo Tzerovitch les vice-présidents: Lazare Damianovitch, Savo Fatitch Les secrétaires: Lioubomir Vouksanovitch, Milan Baitch, Radovan Bochkovitch, Louka Voukotich, Novitza Chtchepanovitch, Mihailo Jovanovitch Ibidem p 136 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 106 R. Rapport de Paul Mantoux, directeur de la section politique du secrétariat général de la S.D.N. à la cinquième commission de la société. n°20-65-6 La question de l'existence actuelle d'un État indépendant du Monténégro n'a jamais été réglée. À la Conférence de la Paix, en 1919, le Monténégro était inscrit sur la liste des États qui devaient prendre part aux négociations, mais personne n'a été reconnu comme qualifié pour le représenter. M. Y. Plamenatz, signataire de la lettre ci-jointe, représente le roi de Monténégro. Celui-ci est en exil. Une assemblée monténégrine réunie en 1918, a proclamé sa déchéance et l'union avec l'État yougoslave. Il est vrai que la validité de cette décision et du mandat même de l'assemblée, élue, disent ses adversaires, sous la pression des Serbes et entourée de baïonnettes serbes, est contestée. Il est vrai qu'une opposition indivisible s'est manifestée contre l'annexion pure et simple de l'État yougoslave. Mais il est impossible de mesurer la force et d'apprécier la sincérité des opinions énoncées de part et d'autre, et, aux yeux des Yougoslaves, le Monténégro est devenu aujourd'hui partie intégrante du royaume serbe-croateslovène. Sans préjuger de cette question, il apparaît prudent de ne pas admettre le Monténégro dans la société, sur la demande d'un gouvernement pour le moins contesté, et résidant actuellement à l'étranger. 25 novembre 1920 Paul Mantoux Rapport tiré de la S.D.N. restera-t-elle complice du plus grand crime de la guerre mondiale, de V. Popovitch et A. Prlia, 1924, p 13 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 107 S. Dépêche envoyée par Delaroche-Vernet à Y. Plamenatz lui faisant savoir la rupture des relations diplomatiques, le 20 décembre 1920 Paris, le 20 décembre 1920 Son excellence M. Yovan Plamenatz Président du conseil et ministre des affaires étrangères du Monténégro Neuilly-sur-Seine Monsieur le président, D'ordre du gouvernement de la république française, j'ai l'honneur d'adresser à votre excellence la communication ci-après: des élections à l'assemblée Constituante ayant eu lieu récemment en Yougoslavie, les populations du Monténégro se sont prononcées: on ne peut, désormais douter de leur désir de rester unies aux autres populations serbes dans le royaume serbe-croate-slovène dont nous avons reconnu officiellement l'existence. Le gouvernement de la république estime donc, que la réunion du Monténégro au royaume susdit est maintenant un fait accompli. Dans ces conditions le gouvernement de la république française n'aperçoit pas de raisons de continuer à entretenir des relations diplomatiques avec sa majesté le roi Nicolas et il a, en conséquence décidé de supprimer la légation de France au Monténégro. Ma mission se trouve donc, ainsi, prendre fin. En même temps, la qualité diplomatique ne sera plus désormais reconnue au chargé d'affaires accrédité près le gouvernement français par le gouvernement monténégrin. D'autres part, les autorités intéressées ont été averties que les agents auxquels le gouvernement monténégrin avait confié les fonctions consulaires en France ne sont plus admis à les exercer. Je serais reconnaissant à votre excellence de bien vouloir porter ce qui précède à la connaissance de sa majesté le roi Nicolas et du gouvernement monténégrin. Veuillez agréer, monsieur le président, les assurances de ma haute considération. H. Delaroche-Verne Dépêche tirée de la Formation de l'État yougoslave, Z. Tomitch, 1927, p 144-145 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 108 Bibliographie Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 109 I. Sources d'archives A. Ministère des affaires étrangères français Nouvelle série (1896-1914) • Autriche-Hongrie - n°30 relation avec pays balkaniques - n°31-37 conflit austro-serbe • Monténégro - n°1-2 politique intérieure n°3-6 politique étrangère n°7 relation avec la France n°8 défense nationale n°9-10 finances Guerre 1914-1918 - n°1-6 dossier général n°217-221 Balkans dossier général n°322-334 Balkans Monténégro dossier général n°333-334 Balkans Monténégro légion monténégrine n°335-336 Balkans Monténégro ravitaillement n°1028-1029 opérations stratégique austro-serbo-monténégrines A. Paix - n°30 congrès paix plénipotentiaire Monténégro - n°296 travaux préparatoires politique yougoslave et Monténégro - n°325 Monténégro condition politique de la paix Conférence de la paix - n°53 commission des affaires roumaines et yougoslaves Europe 1918-1940 • Autriche - n°33 armée front divers • Balkans - n°1 dossier général • Monténégro - n°1 légation de France n°2 question dynastique n°3 corps diplomatique n°4 presse n°5 armée n°6 légion n°7-13 politique étrangère n°14 politique intérieure n°15-16 occupation militaire du Monténégro n°17 ravitaillement n°18 établissements financiers n°19 monténégrins n°20 affaires diverses - n°4 gouvernements n°9 presse n°17 armée dossier général n°18 armée ravitaillement • Yougoslavie Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 110 - n°31-33 politique intérieure - n°44-48 politique extérieure B. Ministère de la défense français Les principales notes et dépêches du ministère de la guerre, concernant le Monténégro, se retrouvent le plus souvent dans les dossiers que le ministère des affaires étrangères consacre à ce même pays. Cependant, ont été consultés les cartons suivants: - 5n113 et 114 relation avec les Alliés 1914-1918 7n729 mouvement royaliste au Monténégro 7n1375 Monténégro 10.1918-12.1919 7n1657 situation politique et militaire en 1919 7n2195 situation 1916-1918 7n2177 ravitaillement 1915-1917 16n2895 Monténégro 11.1915-01.1916 16n2948 et 2949 situation politique et militaire 1914-1916 16n3158-3 mission du général Mondésir en Albanie et au Monténégro 1915-1916 16n3246 intrigues monténégrines 1915-1918 20n141 comptes rendus concernant la situation politique, économique et militaire 08.1919-09.1920 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 111 II Sources imprimées A. Ouvrages de référence ou publiés après 1945: - Ancel Jacques, Peuples et nations des Balkans, Paris, Colin, 1926, - Ancel Jacques, Les Balkans face à l'Italie, Paris, Delgrave, 1928, 126p - Bourbon Sixte de, L'offre de paix séparée de l'Autriche, Paris, Plon, 1920, 443p - Cadars Louis, La guerre d'Orient 1914-1918, in les cahiers de l'histoire n°45 avril 1965, Paris, Sedip, 160p - Castellan Georges, Histoire des Balkans XIV-XX siècle, Paris, Fayard, 1991, 532p - Claparede René, Le droit des petits peuples Suisse, Monténégro, Arménie, pays des Iroquois, Genève, Atar, 1924, 16p - Comité Nationale Yougoslave des Sciences Historiques, Dix années d'historiographie yougoslave 1945-1955, Belgrade, Yougoslavie, 1955, 682p - Délégation du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes à la Conférence de la paix, Rapport sur les dommages de guerre causés à la Serbie et au Monténégro présenté à la Commission des Réparations et Dommages, Paris, imp. Slave, 1919, 168p - Ducasse André, Balkans 14-18 ou le chaudron du diable, Paris, Robert Laffont, 1964, 263p - Fondation Canergie pour la paix internationale, Enquête dans les Balkans, Paris, Cres et Cie, 1914, 496p - Garde Paul, Vie et mort de la Yougoslavie, Paris, Fayard, 1992, 444p - Girault René, Diplomatie européenne et impérialisme 1871-1914, Paris, Masson, 1979, 253p - Larcher Maurice, La Grande Guerre dans les Balkans, Paris, Payot, 1929, 302p - Livesey Anthony, Atlas de la Première Guerre Mondiale, Paris, Autrement, 1996, 192p - Peroche Grégory, Histoire de la Croatie et des nations slaves du sud 395-1992, Paris, Œil, 1992, 560p - Renouvin Pierre, La crise européenne et la Première Guerre Mondiale 1904-1918, Paris, Puf, 1969, 779p - Ristelhueber René, Histoire des peuples balkaniques, Paris, Fayard, 1950, 503p - Sellier André et Jean, Atlas de peuples d'Europe centrale, Paris, La Découverte, 1991, 191p - Sementéry Michel, La descendance de Nicolas Ier roi du Monténégro, Paris, ed Christian, 1982, 100p - Service géographique de l'armée, Notice sur l'Albanie et le Monténégro, Paris, Ed. du ministère de la guerre, 1915, 140p - Service historique des armées, Les armées Alliées en Orient après l'armistice de 1918, Paris, Ed. du ministère de la défense, 1972 - Treadway John D., The Falcon and the Eagle: Montenegro and Austria-Hungary 1908-1914, West Lafayette, USA, Purdue University Press, 1983, 349p B. Ouvrages "polémiques": - Anonyme, La question monténégrines rapports et documents, Paris, l'Émancipatrice, 1919, 48p - Anonyme, Les dessous de la politique en Orient par un Allemand, Paris, Plon, 1916, 269p Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 112 - Anonyme, Pour l'existence du Monténégro, Torino, Silvestrelli I Cappelleto, 1918, 22p - Arcille Jean, Et le Monténégro??? Exposé de la question balkanique, Paris, Lang et Blanchong, 1919, 20p - Boggiano Eugène, A vindication of Montenegro..., Birmingham, Hudson and Son, 1917, 32p - Boggiano Eugène, Contre une grande calomnie et pour le Monténégro allié, Paris, Lang et Blanchong, 24p - Bondonresque Léon, L'escamotage du Monténégro, Marseille, sdt, 1919, 60p - Brajovitch Yanko, The voice of Montenegro, sdt, 8p - Bresse Louis, Le Monténégro inconnu, Paris, Berger-Levrault, 1920, 110p - Bryce Roland, Report on political condition in Montenegro, London, Hmso, 1920, 16p - Chotch Pierre, L'Allié martyr, le Monténégro, Paris, La diplomatie publique, 1920, 16p - Chotch Pierre, La question du Monténégro, Paris, sdt, 1921 - Ciubranovitch Jean, Le Monténégro devant la Ligue internationale des femmes, Nancy, Berger-Levrault, 1926, 8p - Ciubranovitch Jean, Le plus grand crime de l'histoire, Roma, Ed. Du directoire de la défense nationale du Monténégro, 1928, 24p - Comité des Réfugiés Monténégrins, Pour le Monténégro, Un appel des réfugiés monténégrins, Paris, Lang et Blanchong, 1917 - Comité Monténégrin pour l'Union Nationale, La Serbie et le Monténégro, Genève, Reggiani, 1917, 15p - Crnagoratz, Comment et pourquoi le Monténégro fut sacrifié, Lausanne, Bibliothèque Universelle, 1916, pp 225/244 - Devine Alex, The martyred nation, a plea for Montenegro, London, St Clement Press, 1924 - Devine Alex, Off the map, the suppression of Montenegro, the tragedy of a small nation, London, sdt, 1921, 47p - Devine Alex, Montenegro in history, politic and war, London, Ficher Unwits, 1918, 140p - Dobretitch Philippe, Le Monténégro dans le conflit européen, Roma, sdt, 1917, 27p - Fedozzi Prospero, Une question internationale, la situation juridique et internationale du Monténégro, Gênes, Ed. du Comité pro-Monténégro, 6p - Gorrini Jean, Un souverain en exil, le roi Nicolas Ier de Monténégro, Torino, Silvestrelli I Cappelleto, 1918, 38p - Gouvernement du Royaume de Monténégro, Le Monténégro devant la Société des Nations, Roma, imp. de l'État monténégrin, 1920, 50p - Gouvernement du Royaume de Monténégro, Les patriotes monténégrins devant la cour martiale serbe, Roma, imp. de l'État monténégrin, 1920, 9p - La Voix du Peuple, L'ex-roi Nicolas de Monténégro et sa cour, épilogue d'un régime indigne, Sarajevo, sdt, 1919, 47p - Ministère des affaires étrangères du Monténégro, Le rôle de la France dans l'annexion forcée du Monténégro, Roma, Manuzio, 1921, 214p - Ministère des affaires étrangères du Monténégro, Documents sur les atrocités serbes au Monténégro, Rome, imp. de l'État monténégrin, 1920, 64p - Ministère royal de l'instruction publique et des cultes, Almanach du royaume de Monténégro, Paris, Ed. du ministère, 1918 et 1920 Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 113 - Plamenatz Yovan, Le Monténégro devant la Conférence de la paix, Paris, Lang et Blanchong, 1919, 57p - Popovitch Paul, À vous la parole M. Poincaré!, Roma, Rassegna Internazionale, 1921, 72p - Popovitch Vladimir, [censuré...] ou M. André Radovitch, Paris, Lang et Blanchong, 1917, 120p - Popovitch Vladimir, Le Monténégro pendant la Grande Guerre, Paris, Lang et Blanchong, 1918, 319p - Popovitch Vladimir et Prlia André, La Société des Nations restera-t-elle complice du plus grand crime de la guerre mondiale, Roma, sdt, 1924, 25p - Popovitch Vladimir, La responsabilita del cont Sforza nella questione montenegrina, Roma, Manuzio, 1921, 27p - Popovitch Yovo, Un aperçu sur les affaires monténégrines, Roma, Manuzio, 1919, 36p - Radovitch Andriya, Le Monténégro et ses tendances nationales, Paris, imp. Slave, 1918, 20p - Radovitch Andriya, Le Monténégro, son passé et son avenir, Paris, Bloud et Gay, 1918, 48p - Radovitch Andriya, La question du Monténégro, Paris, imp. Graphique, 1919, 51p - Rey Augustin, La question des Balkans devant l'Europe, le Monténégro à travers l'histoire, Paris, Meynial, 1916, 12p - Spassoyevitch Yanko, Le roi Nicolas et l'union du Monténégro avec la Serbie, Genève, Ed. du Journal la Serbie, 1918, 94p - Temperley Harold, Report on political conditions in Montenegro, London, Hmso, 1920 - Tomitch Zoran, La formation de l'État yougoslave, Paris, les Presses Modernes, 1927, 244p - Veritas, Le Monténégro, pages d'histoire diplomatique, Paris, Figuière, 1917, 102p - Voinovitch Louis, Le Monténégro et l'unité yougoslave, Paris, le Monde Nouveau, 1926, 31p - Vouksanovitch, Le Monténégro dans les guerres balkaniques et mondiale, Pau, Marrimponey, 1918, 109p - Whitney Warren, Montenegro, the crime of the peace Conference, New York, sdt, 1922, 64p C. Périodiques consultés: - Le Bulletin Monténégrin L'Illustration Le Temps L'Union La Voix du Monténégrin La Volonté du Peuple Le Monténégro et son intégration dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1914-1921) Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine de Guillaume Balavoine soutenu en septembre 1993 à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de M. Bernard Michel - accessible sur le web à http://mapage.noos.fr/montenegro 114