Homélie du mardi saint - 15 avril 2014 - Lc 4,16-21 - « Être baptisés, devenir chrétiens »
Lors de ma 43ème et dernière visite pastorale, un enfant de 8 ans est venu me voir à la
fin de la rencontre du catéchisme. Il m’a timidement posé cette question surprenante : « Je
suis qui pour Dieu ? » Je suis resté comme muet, un instant, devant le visage interrogatif de
cet enfant. « Je suis qui pour Dieu ? » La question était tellement sérieuse. Elle attendait peut-
être depuis longtemps dans son cœur. Mais comment répondre pleinement à une question dont
Dieu seul connaît la réponse ? Comment lui dire simplement qu’il est unique aux yeux de
Dieu ? Comment lui dire qu’il est créé à un exemplaire unique et jamais reproduit depuis que
le monde est monde ? Comment lui dire que son prénom a pris tout son sens au moment de
son baptême « au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit » ? Comment lui dire enfin que
Dieu l’aime et l’aimera toujours ? Et voilà que mercredi dernier, lors de l’audience pontificale
sur la place Saint-Pierre, à Rome, un homme a hurlé au pape François : « Tu es unique ! » Le
pape a alors répliqué : « Toi aussi, il n’y en a pas deux comme toi ! » Cette réponse s’adressait
tout autant à ce jeune de 8 ans ou à chacun de nous : « Pour Dieu, il n’y en a pas deux comme
toi ! » Et c’est bien ce que confirme le baptême : ce jour-là, publiquement, l’Église affirme
que chacun est unique aux yeux de Dieu et qu’il commence une aventure unique dans ce
monde.
À l’occasion de cette Année jubilaire, en cette année nous faisons mémoire, d’une
certaine manière, du « baptême » du diocèse, il est bon de nous émerveiller de ce que chacun,
dans son être même, est devenu par la grâce du baptême sur cette terre de l’Aisne. Plus nous
serons reconnaissants pour le don de Dieu, de ce que nous sommes « pour Dieu », plus nous
oserons dire qu’il est bon de devenir chrétien.
Car le baptême n’est pas seulement un instant, pas seulement un moment sacramentel,
pas seulement une fête de famille. Le baptême est un don qui exige un engagement à vie.
Nous le disons souvent pour les catéchumènes. Ils demandent le baptême, mais ils doivent
devenir chrétiens. Chaque baptisé doit devenir un disciple, et comme le désigne le pape
François, un « disciple missionnaire ». Être chrétien, c’est vivre à la suite du Christ, comme le
Christ. Devenir chrétien, cela se réalise par un cheminement. Il ne suffit donc pas d’être
catholique, il faut vivre avec une attitude chrétienne.
La posture des catholiques nous apparaît aujourd'hui plus diverse : attestation
identitaire pour les uns, enfouissement et simple proximité pour d’autres, « dialogue de salut »
en recevant et donnant pour les derniers. Chaque posture est gitime dans la mesure elle
est fondée en Christ : sel, levain, lumière. Mais cela peut conduire à des déchirements et des
procès en catholicité. Ceci n’a rien de nouveau depuis deux mille ans. Les diversités ont
toujours existé. Peut-être manque-t-il cette écoute mutuelle qui cherche à sauver le point de
vue de l’autre ? Nos différentes postures ne doivent pas être fixées une fois pour toutes, mais
elles doivent être ajustées à celle, unique, exemplaire, du Christ, lui qui a su s’enfouir, se
cacher, se fâcher, dialoguer, avertir, tout en restant doux et humble de cœur. Dieu nous
demande de ne pas vivre immobiles. Madeleine Delbrêl écrivait : « En face de l’Evangile, ce
n’est pas d’être peu nombreux qui est grave, c’est d’être immobiles ou de marcher comme des
vieillards. » Quant au pape François, il regrettait le 21 mars dernier : « Tant de chrétiens sont
immobiles !Le Seigneur ne peut pas s’appuyer sur eux car ils ne marchent pas. » Cette
marche n’est pas seulement physique, elle est une « marche du regard » (Lumen Fidei), une
marche du cœur, une marche derrière le Christ, car c’est bien Lui qui nous entraîne vers le
Père. Dimanche dernier, improvisant l’homélie de la messe des Rameaux, le pape invitait les
chrétiens à se poser quelques questions durant cette semaine sainte : « Qui suis-je devant
Jésus ? Suis-je comme ces prêtres, pharisiens, docteurs de la loi ? Suis-je comme les disciples
qui se sont endormis ? Suis-je comme cet autre disciple qui voulait tout solutionner par
l’épée ? Suis-je comme Judas qui fit semblant d’aimer Jésus ? Suis-je comme la foule qui
choisit Barabbas ? Suis-je comme les soldats qui se divertissent ? Suis-je comme Pilate qui se
lave les mains sans assumer ses responsabilités ? Ou suis-je comme Simon de Cyrène qui,
fatigué, prend la croix de sus ? Suis-je comme ces femmes courageuses qui restent
fidèles au pied de la croix ? Suis-je comme Joseph d'Arimathie, le disciple secret qui prend
soin du corps de Jésus ? » Et je réentends alors comme en écho la voix de cet enfant : « Je
suis qui pour Dieu ? » Judas ? Pierre ? Marie ?
Car pour Dieu, tout est clair, j’ai reçu l’Esprit Saint qui m’invite à être saint. Nous
sommes devenus enfants de Dieu, nous sommes devenus membres de l’Église. Nous avons
aussi reçu le pardon. Nous avons reçu le don de la vie éternelle pour vivre une vie nouvelle.
Le baptême constitue donc un sacrement mais surtout le fondement de toute la vie chrétienne,
le porche de la vie dans l’Esprit et la porte qui donne l’accès aux autres sacrements :
confirmation, eucharistie, mariage, ordination, pardon, onction des malades.
Au cours de cette année, nous sommes donc appelés à marcher pour rajeunir notre foi.
Je le dis souvent aux personnes les plus âgées : « Si vous avez la foi, vous êtes plus jeune que
moi ! » En général, elles sourient, en y voyant un gentil message de l’évêque ! Et pourtant, la
foi nous rajeunit. Saint Irénée l’affirme : « Cette foi, que nous avons reçue de l’Église, nous la
gardons avec soin, car sans cesse, sous l’action de l’Esprit de Dieu, tel un dépôt de grand
prix renfermé dans un vase excellent, elle rajeunit et fait rajeunir le vase même qui la
contient » (AH III,24,1). Quand on est baptisé, on vit notre vie comme à l’envers ! Nous
allons vers notre source, nous allons vers notre Créateur, vers Dieu lui-même. Notre corps
vieillit, mais notre être baptisé rajeunit : « Si vous ne devenez comme des enfants » disait
Jésus. Il ne s’agit pas de nous infantiliser ! Un adulte ne redevient pas enfant mais, si nous
suivons le Christ, notre foi nous rajeunit. Comment, nous tous ici présents, être les « disciples
missionnaires » de ce rajeunissement que donne le Christ, notre vie ?
À la suite de tant de chrétiens qui nous ont précédés depuis 17 siècles, il nous revient
aujourd'hui de nous convertir et de rendre grâce pour ce beau nom de chrétien. On ne peut
porter un nom que si on l’aime. On ne peut porter l’évangile que si on le lit. On ne peut porter
la vie que si la joie de l’évangile nous habite. Et cela commence dès le matin : « Dieu tu es
mon Dieu, je te cherche dès l’aube ». Lors de mes visites pastorales, j’ai toujours pris le
temps d’apprendre le signe de croix aux enfants. J’ai bien vu aussi que les catéchistes, et
beaucoup de fidèles, ne savaient pas le faire (je l’ai même constaté chez quelques frères
évêques !). Il manquait souvent ces deux petits « et » qui unissent le Père et le Fils et le Saint-
Esprit. Ce petit « et » qui exprime qu’on n’est pas chrétien tout seul, qu’un chrétien isolé est
un chrétien en danger. Pourquoi ne pas nous habituer à faire plus souvent ce signe de croix,
dès le lever, et en nous couchant ? Peut-être pourrions-nous aussi fêter notre anniversaire de
baptême, à condition de retrouver sa date, comme nous y invite aussi le pape François. Ce
signe de croix nous relie aux chrétiens de tous les temps et de tous les continents. Il unit le
ciel et la terre. Il dessine l’amour du Christ sur la Croix et la fidélité du Père dans les deux
nuits qui sauvèrent le monde, nuit de la croix et nuit de Pâques.
Mais le signe qui fait encore plus signe, c’est bien l’option pour les pauvres, « cette
forme spéciale de prioridans la pratique de la charité chrétienne dont témoigne toute la
tradition de l’Eglise » comme nous le dit le pape. L’évangile de la messe chrismale le
rappelle chaque année : « Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres ». Les pauvres
sont à nos portes. Et l’important n’est pas de vouloir changer les autres, l’Église ou le monde,
mais bien de changer notre propre cœur, notre regard, nos pratiques. encore,
l’immobilisme n’est pas de mise. Si par le baptême, Dieu forme en nous dès maintenant
l’amour dont nous l’aimerons éternellement, il nous donne déjà de choisir cet amour de
préférence. Le sacrement du pardon peut être l’occasion de « prendre la ferme résolution » de
nous décentrer. Dieu nous envoie au cœur du monde avec la certitude que nous y serons déjà
chez Lui. Marie a su qui elle était pour Dieu : sa servante, sa mère. Demandons à Notre Dame
de Liesse de vivre joyeusement, par le baptême, ce qu’elle a vécu par sa plénitude de grâce.
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