N° 96 vendredi 20 juin 2008
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Mme Josiane Mathon-Poinat. – L’article 5 est
l’exemple parfait du fait que le rôle du Parlement n’est
pas véritablement renforcé par ce projet. L’article 16
de la Constitution est une profonde anomalie
républicaine. Il permet au Président de se saisir de
tous les pouvoirs en cas de nécessité ; motivé par le
souvenir du désastre de juin 1940, il est pourtant sans
précédent dans la tradition républicaine. Il autorise la
dictature, au sens romain du terme, c’est-à-dire le fait
de confier temporairement les pleins pouvoirs à un
magistrat, en cas de troubles graves. Aujourd’hui, il
n’est pas question de parler de dictature ; mais lorsque
l’article 16 fut mis en œuvre par le général de Gaulle
en 1961, la capacité d’action des assemblées
parlementaires fut réduite à néant. Je citerai le
constitutionnaliste Guy Carcassonne : « C’est d’abord
dans son message au Parlement du 25 avril 1961 que
le général de Gaulle invite expressément les élus à de
pas s’immiscer dans les mesures prises ou à prendre
en vertu de l’article 16. Exit l'actualité. C'est ensuite
par une lettre à son Premier ministre du 31 août qu'il
exclut que, hors les périodes normales de session, la
réunion du Parlement ait un aboutissement législatif.
Exit la fonction législative. C'est enfin le président de
l'Assemblée nationale qui, le 19 septembre, décide
qu'une motion de censure déposée en dehors des
sessions normales ne peut être reçue. Exit la fonction
de contrôle. ».
L'article 5 encadre -très légèrement- les conditions
d'exercice de l'article 16 en proposant de confier au
Conseil constitutionnel le contrôle de la durée des
pouvoirs exceptionnels du Président. Cela s'explique
notamment par la prolongation injustifiée, jusqu'au
29 septembre, des pleins pouvoirs par le général de
Gaulle alors que les circonstances graves avaient
cessé de l'être au bout d'une semaine. Le projet de loi
limite peu la durée d'exercice des pleins pouvoirs
puisque le Conseil constitutionnel ne peut être saisi
qu’au terme de trente jours, puis de soixante, et à tout
moment ensuite. L’aménagement prévu par l'article 5
ne correspond pas aux enjeux en cause pour la
démocratie, c'est pourquoi nous demandons son
abrogation.
M. Alain Gournac. – Soyez assuré de notre
soutien ! (Rires à droite)
M. le président. – Amendement identique n°363,
présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin,
Voynet, MM. Desessard et Muller.
Mme Alima Boumediene-Thiery. – Les pouvoirs
exceptionnels, qui confèrent au Président l'ensemble
des pouvoirs et privent le Parlement de son pouvoir
législatif, demeurent exorbitants. Quand le Président
décide seul, on n’est effectivement pas loin d’une
dictature. D’autant plus qu’on nous parle d’une
monocratie contre la démocratie…
Comment pourrait-on moderniser nos institutions
sans supprimer une disposition aujourd'hui inutile ? En
cas de crise grave, nous disposons de l'état d'urgence
et de l'état de crise : nul besoin de maintenir le fait du
prince. Les actes de terrorisme justifieraient son
maintien, mais dans quelle démocratie le Parlement
est-il totalement destitué de ses pouvoirs au profit du
chef de l'État ? On associe le Parlement pour toute
intervention des forces armées ou leur prolongation,
on lui permet de contrôler les états de siège et
d'urgence, on l’associe dans toutes les situations de
crise.
L’article 16 devient une aberration constitutionnelle.
Aucune démocratie, pas même les États-Unis, ne
prévoit une telle suspension des pouvoirs du
Parlement. En cherchant à encadrer cet article qui n’a
servi qu’une fois, vous le restaurez et lui donnez une
actualité qu'il ne mérite pas.
M. Alain Gournac. – Eh non !
M. le président. – Amendement identique n°426,
présenté par M. Frimat et les membres du groupe
socialiste et apparentés.
M. Jean-Pierre Sueur. – Depuis 1972, les
formations de gauche n’ont cessé de demander la
suppression de l’article 16.
M. Alain Gournac. – Pourquoi François Mitterrand
ne l’a-t-il pas fait ?
M. Michel Charasse. – Il a proposé de le
supprimer.
M. Dominique Braye. – Plutôt que de le proposer,
il aurait dû le faire !
M. Jean-Pierre Sueur. – Je crains que
l’encadrement proposé par ce projet de loi n’aggrave
pas la situation. Pourquoi le Parlement n’aurait-il, en
situation de crise, pour seul pouvoir que celui de saisir
le Conseil constitutionnel afin qu’il émette un avis sur
l’opportunité de prolonger l’application de l’article 16 ?
Nous refusons la banalisation de cet article, qui n’a été
utilisé qu’une fois. Dans une démocratie moderne, on
ne peut déléguer à un seul homme la gestion d’une
situation exceptionnelle.
Madame la ministre, à l’Assemblée nationale, vous
avez déclaré que nous ne sommes pas à l’abri de
circonstances particulières liées au terrorisme. On
risque alors d’étendre les cas justifiant le recours aux
pouvoirs exceptionnels : menace contre la sûreté de
l’État, contre la sûreté publique… Nous sommes
conscients des responsabilités du chef de l’État et des
pouvoirs publics en cas de crise mais le recours à
l’article 16 n’est pas adapté. D’autant qu’une telle
concentration des compétences est exceptionnelle
dans la tradition démocratique du monde occidental.
L’amendement n°152 rectifié n’est pas soutenu.
M. le président. – Amendement n°176, présenté
par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du
groupe CRC.
Remplacer le second alinéa de cet article par trois
alinéas ainsi rédigés :