La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 4 - avril 2000
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TRIBUNE
le cas dans les années 50, en Argentine et en Bolivie, où la révo-
lution agraire a entraîné une déforestation pour de nouvelles
cultures de maïs. Ainsi attirés auprès des agriculteurs, des
mulots, jusque-là éloignés des contacts humains, ont été à l’ori-
gine d’épidémies d’une nouvelle maladie locale, une fièvre
hémorragique due à un virus découvert à cette occasion et
hébergé par ces mulots, le virus Juninen Argentine et Machupo
en Bolivie. Dans le Connecticut, citadins, touristes et campeurs
se sont mis au contact des daims et des tiques, attirés par la vie
en forêt. Une nouvelle maladie (maladie de Lyme) sévit alors
(dans les années 80) ; elle fut rapportée à une bactérie décou-
verte à cette occasion (Borrelia burgdorferi), hébergée et trans-
mise par les tiques et retrouvée ultérieurement dans le monde
entier.
Ainsi, la survenue d’une infection dans des lieux où elle
n’existait pas auparavant, de même que les changements
de répartition géographique des maladies infectieuses, ont des
raisons d’être qui trouvent souvent leur origine dans des modi-
fications écologiques dont l’homme est responsable, qu’il
s’agisse de la prolifération de certaines espèces animales ou de
leurs nouveaux contacts avec les hommes.
PERTURBATIONS CLIMATIQUES MAJEURES
Par opposition aux précédents, ces événements sont fonda-
mentalement liés à des phénomènes naturels, cataclysmiques
ou non, ou périodiques comme El Niño ou La Niña dans les
zones du Pacifique, ou NAO (oscillations nord-atlantiques) pour
l’Europe. Ils bouleversent, certaines années, le climat de
quelques-unes des régions exposées (10,11). La température
ambiante et le taux d’humidité de l’air conditionnant étroite-
ment le cycle de vie de nombreux petits animaux, leurs varia-
tions sont susceptibles d’intervenir fortement sur leur présence
et leurs activités. Ainsi, une élévation thermique de quelques
degrés, certains hivers doux, favorise la multiplication des ron-
geurs, et la pluviosité accrue celle des moustiques. C’est ainsi
qu’en 1993, après des pluies abondantes dans une région sèche
du Nouveau-Mexique (États-Unis), la densité des mulots et des
daims s’est accrue, précédant la survenue de nombreux cas
d’une infection respiratoire grave provoquée par un Hantavi-
rus découvert à cette occasion (Sin Nombre), hébergé par les
rongeurs sauvages (12). De la même façon, l’irruption des ano-
phèles dans une région sèche du Pakistan a décimé, par le palu-
disme, une population non immune dans les suites d’une plu-
viosité intense apparue dans le sillage d’El Niño. À l’inverse,
la borréliose à tique des régions du Sahel en Afrique de l’Ouest,
dont le réservoir est un petit rongeur habitué aux faibles plu-
viosités, s’est étendue, comme l’aire de répartition de ce mulot,
à la faveur de l’extension de la sécheresse dans ces régions à la
fin des années 70.
Toutes ces perturbations climatiques pourraient avoir un
lien avec le réchauffement de la planète, phénomène que
l’on constate depuis un siècle (+ 0,6 °C), et la tendance s’ac-
centue. Dans le même temps, l’émission de gaz à effet de serre
due aux activités humaines (principalement le gaz carbonique)
ne cesse d’augmenter, provoquant probablement ce réchauffe-
ment. Ainsi, même les perturbations climatiques pourraient
entrer dans le domaine de nos responsabilités. Or, pour quelques
degrés de plus en permanence dans les régions tempérées, une
extension géographique de l’aire de répartition de certaines
espèces, notamment de moustiques, devient plausible. On
évoque ainsi le spectre du paludisme et de la dengue dans les
régions tempérées d’Europe et d’Amérique, dont le climat serait
alors approprié à l’émergence de ces vecteurs.
DÉPLACEMENTS À LONGUE DISTANCE
Ce mode historique d’évolution épidémiologique des maladies
infectieuses d’une région à l’autre et d’un continent à l’autre
concerne aussi bien les hommes que les animaux. Il s’est consi-
dérablement amplifié à l’ère moderne, en particulier avec l’avia-
tion. La rapidité des transferts, la fréquence des allées et venues
jouent ainsi un rôle important depuis quelques décennies, per-
mettant, par exemple, à des anophèles tropicaux de débarquer
des avions non ou mal désinsectisés, et de sévir aux alentours
pendant quelques jours, certains étés chauds, dans des pays où
le paludisme n’a pas droit de cité. Le commerce des animaux
exotiques (oiseaux, primates) peut échapper aux contrôles sani-
taires et importer ici ou là des animaux malades ou infectés,
celui des marchandises s’accompagner d’insectes adultes (fruits
frais) ou de larves (pneus usagés contenant de l’eau). Les consé-
quences sont le plus souvent ponctuelles (paludisme des aéro-
ports), mais des flambées locales insolites peuvent émerger :
50 cas d’encéphalite furent ainsi observés en août 1999 à New
York, dus à un virus transmis par un moustique (Culex) à par-
tir d’oiseaux infectés, sans doute importés illicitement et por-
teurs du virus West Nile (13, 14), qu’on trouve habituellement
en Afrique orientale. Des flambées analogues avaient été obser-
vées antérieurement en Camargue, en Italie, en Europe cen-
trale, en Roumanie en 1996-97 (400 cas et 17 morts) et au Séné-
gal, et ce virus a été récemment signalé en Israël, mais sans
toucher l’homme.
De telles émergences par importation d’animaux dans des
régions inhabituelles pour eux font surgir la question de
leur implantation locale, et dès lors du potentiel épidémique de
l’infection (15). Dans les pays tempérés, caractérisés par l’al-
ternance des saisons, l’arrivée de la saison froide interdit sys-
tématiquement aux moustiques, par exemple, de poursuivre leur
cycle vital. Dans ces pays, de plus, la lutte antivectorielle,
publique ou individuelle, se met en route s’il le faut. Il y a donc
là de bonnes raisons de ne pas craindre la poursuite de tels évé-
nements graves au-delà de l’été. Néanmoins, si l’anophèle vec-
teur du paludisme et Aedes aegypti sont assez exigeants quant
à leurs conditions d’existence, d’activité, de longévité et de
reproduction,Culex et Aedes albopictus le sont beaucoup moins
(16). Cette dernière espèce est d’autant plus à craindre qu’elle
est un vecteur potentiel de plusieurs agents infectieux, en pre-
mier lieu du virus de la dengue. C’est grâce à l’expansion mon-
diale des Aedesque celle de la maladie s’est effectuée de l’Asie
aux Caraïbes en passant par l’Océanie pour toucher l’Amérique
du Nord puis l’Italie en 1990, laissant craindre dès lors leur