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Maladies infectieuses émergentes :
place de l’émergence des vecteurs
! F. Vachon *
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outes les maladies infectieuses sont transmissibles,
certaines entre les humains (maladies contagieuses),
d’autres à partir de notre environnement (air, eau,
aliments, sol et végétaux, outils et objets), d’autres enfin via
certains animaux susceptibles de nous transmettre bactéries,
virus et parasites impliqués dans le cycle d’une zoonose.
Les maladies infectieuses émergentes sont des infections
nouvelles, résurgentes ou résistantes aux drogues, dont
l’incidence chez l’homme a augmenté ces vingt dernières
années ou menace d’augmenter dans le futur proche. Leur
nombre s’est beaucoup accru, même s’il faut tenir compte d’une
meilleure connaissance apportée par les réseaux de surveillance
épidémiologique mondiaux et par les outils modernes d’identification des agents pathogènes, devenus très performants, en
particulier pour les virus. Les infections émergentes sont particulièrement en vedette lorsqu’elles sont graves et contagieuses
(sida, fièvre hémorragique d’Ebola, peste...) ou si elles mettent
en cause nos habitudes quotidiennes (chaîne alimentaire, air
ambiant-climatisation-douches). Bien des exemples ont mis en
relief ces dernières années des sources nouvelles dont certaines
sont issues de nos nouveaux modes d’existence. Plus généralement, le rôle de l’homme est apparu primordial dans la plupart de ces événements (1, 2).
Les maladies infectieuses émergentes impliquant des
transmissions par des animaux sont, comme les autres,
centrées sur les micro-organismes qui en sont la cause, surtout
s’ils sont nouveaux ou nouvellement identifiés (2, 3). Ainsi,
pour n’évoquer que des événements récents, des cas d’encéphalite due à un nouveau virus d’origine porcine (Nipahvirus)
sont survenus en 1999 à Singapour, la transmission étant probablement directe à partir d’animaux malades (4). De même,
18 cas de grippe d’origine aviaire (avec six décès) ont été observés à Hong Kong en 1999, dus à un sous-type viral A (H5 N1)
directement transmis par des volailles malades, indiquant un
franchissement de la barrière d’espèce, du poulet à l’homme,
sans recombinaison dans des mammifères intermédiaires
comme cela est habituel pour les virus grippaux ( 5).
* Clinique de réanimation des maladies infectieuses, hôpital Bichat-Claude
Bernard, Paris.
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D’une autre manière, en Afrique centrale, à partir d’un
seul cas de fièvre d’Ebola, se développe de temps à autre
une petite épidémie familiale, liée au caractère contagieux de
cette virose. Une émergence épidémique plus large, observée
à plusieurs reprises depuis 1976, a été à chaque fois conditionnée aussi par le phénomène de contagion, mais cette fois
intrahospitalier (6).
Le rôle des proliférations animales, à la source de l’émergence des zoonoses infectieuses, est rarement mis en
exergue. Or c’est bien souvent à travers elles qu’interviennent
les trois facteurs principaux généralement impliqués dans ces
émergences.
MODIFICATIONS PROFONDES ET DURABLES
DE L’ÉCOSYSTÈME LOCAL
LIÉES AUX PROGRÈS DE LA CIVILISATION
Déforestation, reboisement, barrage-irrigation d’une région
aride, cultures nouvelles, industrialisation, urbanisation sont ici
en question. De tels bouleversements concernent à l’évidence
la faune locale, et donc les petits animaux qui nous transmettent les agents pathogènes. Les petits rongeurs (7) hébergent
très souvent et en permanence, tout en restant en bonne santé,
un ou plusieurs agents infectieux qui leur sont spécifiques : ce
sont des “réservoirs de virus”. Ils les disséminent dans la nature
via leurs excreta : fèces, urine, salive, et leur sang issu du
cadavre. La contamination humaine s’effectue par aérosol après
dessiccation spontanée (voie respiratoire ou conjonctivale), par
contact direct avec les déjections (voie cutanéo-muqueuse) ou
par ingestion d’aliments qu’elles ont souillés. Les arthropodes
(8, 9) [auxquels le terme de vecteur est plus spécialement
réservé par les entomologistes car un cycle spécifique doit
s’effectuer chez eux avant l’inoculation], sont plus à craindre
du fait de leur nuisance au quotidien, et parce qu’ils inoculent
directement le micro-organisme lors d’une piqûre (moustiques,
mouches, poux, puces...) ou d’une morsure (tiques). Ils se
contaminent sur des animaux réservoirs ou sur des individus
malades (hôtes temporaires) animaux ou humains. Les arbovirus persistent chez le moustique durant toute sa courte vie.
De tels bouleversements des écosystèmes sont à l’origine de
l’émergence de bien des maladies infectieuses, comme ce fut
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le cas dans les années 50, en Argentine et en Bolivie, où la révolution agraire a entraîné une déforestation pour de nouvelles
cultures de maïs. Ainsi attirés auprès des agriculteurs, des
mulots, jusque-là éloignés des contacts humains, ont été à l’origine d’épidémies d’une nouvelle maladie locale, une fièvre
hémorragique due à un virus découvert à cette occasion et
hébergé par ces mulots, le virus Junin en Argentine et Machupo
en Bolivie. Dans le Connecticut, citadins, touristes et campeurs
se sont mis au contact des daims et des tiques, attirés par la vie
en forêt. Une nouvelle maladie (maladie de Lyme) sévit alors
(dans les années 80) ; elle fut rapportée à une bactérie découverte à cette occasion (Borrelia burgdorferi), hébergée et transmise par les tiques et retrouvée ultérieurement dans le monde
entier.
Ainsi, la survenue d’une infection dans des lieux où elle
n’existait pas auparavant, de même que les changements
de répartition géographique des maladies infectieuses, ont des
raisons d’être qui trouvent souvent leur origine dans des modifications écologiques dont l’homme est responsable, qu’il
s’agisse de la prolifération de certaines espèces animales ou de
leurs nouveaux contacts avec les hommes.
PERTURBATIONS CLIMATIQUES MAJEURES
Par opposition aux précédents, ces événements sont fondamentalement liés à des phénomènes naturels, cataclysmiques
ou non, ou périodiques comme El Niño ou La Niña dans les
zones du Pacifique, ou NAO (oscillations nord-atlantiques) pour
l’Europe. Ils bouleversent, certaines années, le climat de
quelques-unes des régions exposées (10,11). La température
ambiante et le taux d’humidité de l’air conditionnant étroitement le cycle de vie de nombreux petits animaux, leurs variations sont susceptibles d’intervenir fortement sur leur présence
et leurs activités. Ainsi, une élévation thermique de quelques
degrés, certains hivers doux, favorise la multiplication des rongeurs, et la pluviosité accrue celle des moustiques. C’est ainsi
qu’en 1993, après des pluies abondantes dans une région sèche
du Nouveau-Mexique (États-Unis), la densité des mulots et des
daims s’est accrue, précédant la survenue de nombreux cas
d’une infection respiratoire grave provoquée par un Hantavirus découvert à cette occasion (Sin Nombre), hébergé par les
rongeurs sauvages (12). De la même façon, l’irruption des anophèles dans une région sèche du Pakistan a décimé, par le paludisme, une population non immune dans les suites d’une pluviosité intense apparue dans le sillage d’El Niño. À l’inverse,
la borréliose à tique des régions du Sahel en Afrique de l’Ouest,
dont le réservoir est un petit rongeur habitué aux faibles pluviosités, s’est étendue, comme l’aire de répartition de ce mulot,
à la faveur de l’extension de la sécheresse dans ces régions à la
fin des années 70.
Toutes ces perturbations climatiques pourraient avoir un
lien avec le réchauffement de la planète, phénomène que
l’on constate depuis un siècle (+ 0,6 °C), et la tendance s’accentue. Dans le même temps, l’émission de gaz à effet de serre
due aux activités humaines (principalement le gaz carbonique)
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ne cesse d’augmenter, provoquant probablement ce réchauffement. Ainsi, même les perturbations climatiques pourraient
entrer dans le domaine de nos responsabilités. Or, pour quelques
degrés de plus en permanence dans les régions tempérées, une
extension géographique de l’aire de répartition de certaines
espèces, notamment de moustiques, devient plausible. On
évoque ainsi le spectre du paludisme et de la dengue dans les
régions tempérées d’Europe et d’Amérique, dont le climat serait
alors approprié à l’émergence de ces vecteurs.
DÉPLACEMENTS À LONGUE DISTANCE
Ce mode historique d’évolution épidémiologique des maladies
infectieuses d’une région à l’autre et d’un continent à l’autre
concerne aussi bien les hommes que les animaux. Il s’est considérablement amplifié à l’ère moderne, en particulier avec l’aviation. La rapidité des transferts, la fréquence des allées et venues
jouent ainsi un rôle important depuis quelques décennies, permettant, par exemple, à des anophèles tropicaux de débarquer
des avions non ou mal désinsectisés, et de sévir aux alentours
pendant quelques jours, certains étés chauds, dans des pays où
le paludisme n’a pas droit de cité. Le commerce des animaux
exotiques (oiseaux, primates) peut échapper aux contrôles sanitaires et importer ici ou là des animaux malades ou infectés,
celui des marchandises s’accompagner d’insectes adultes (fruits
frais) ou de larves (pneus usagés contenant de l’eau). Les conséquences sont le plus souvent ponctuelles (paludisme des aéroports), mais des flambées locales insolites peuvent émerger :
50 cas d’encéphalite furent ainsi observés en août 1999 à New
York, dus à un virus transmis par un moustique (Culex) à partir d’oiseaux infectés, sans doute importés illicitement et porteurs du virus West Nile (13, 14), qu’on trouve habituellement
en Afrique orientale. Des flambées analogues avaient été observées antérieurement en Camargue, en Italie, en Europe centrale, en Roumanie en 1996-97 (400 cas et 17 morts) et au Sénégal, et ce virus a été récemment signalé en Israël, mais sans
toucher l’homme.
De telles émergences par importation d’animaux dans des
régions inhabituelles pour eux font surgir la question de
leur implantation locale, et dès lors du potentiel épidémique de
l’infection (15). Dans les pays tempérés, caractérisés par l’alternance des saisons, l’arrivée de la saison froide interdit systématiquement aux moustiques, par exemple, de poursuivre leur
cycle vital. Dans ces pays, de plus, la lutte antivectorielle,
publique ou individuelle, se met en route s’il le faut. Il y a donc
là de bonnes raisons de ne pas craindre la poursuite de tels événements graves au-delà de l’été. Néanmoins, si l’anophèle vecteur du paludisme et Aedes aegypti sont assez exigeants quant
à leurs conditions d’existence, d’activité, de longévité et de
reproduction, Culex et Aedes albopictus le sont beaucoup moins
(16). Cette dernière espèce est d’autant plus à craindre qu’elle
est un vecteur potentiel de plusieurs agents infectieux, en premier lieu du virus de la dengue. C’est grâce à l’expansion mondiale des Aedes que celle de la maladie s’est effectuée de l’Asie
aux Caraïbes en passant par l’Océanie pour toucher l’Amérique
du Nord puis l’Italie en 1990, laissant craindre dès lors leur
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implantation dans le Sud de l’Europe occidentale. On sait que
c’est grâce au commerce mondial des pneus usagés que ces
moustiques ont ainsi voyagé. Néanmoins, la présence d’un vecteur ne signifie pas pour autant celle de la maladie, ni celle
d’une épidémie, comme on peut le constater aux États-Unis
depuis de nombreuses années. Au-delà de la faillite des mesures
de lutte antivectorielle dont les carences sont à la source de la
résurgence d’infections graves, bien contrôlées depuis longtemps, et récemment réémergentes, comme la fièvre jaune
urbaine (17, 18) ou le paludisme dans bien des zones d’où il
avait été chassé dans les années 60, diverses conditions doivent
être réunies pour que la maladie survienne. On doit en particulier évoquer la compétence vectorielle des espèces ainsi
implantées dans de nouvelles conditions à transmettre efficacement le virus. On sait, sans explication satisfaisante, que la
fièvre jaune ne sévit pas en Asie, alors qu’Aedes aegypti y est
présent. Le contrôle génétique de la compétence vectorielle est
un sujet d’études en cours (19).
Ainsi nous faudrait-il anticiper mieux et aussi souvent que
possible les conséquences prévisibles des actions dont
nous sommes responsables, lorsqu’elles modifient profondément un écosystème local, dont les animaux font comme nous
partie intégrante. Quelle que soit l’origine de la situation nouvelle, l’accroissement du rôle des réseaux mondiaux de
surveillance épidémiologique est essentiel, devant associer
entre autres épidémiologistes, médecins, vétérinaires et
entomologistes.
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