L’ESPACE ÉCONOMIQUE MONDIAL
1
Contexte: les forces de la
mondialisation
1.1 L’économie mondiale, ses acteurs et ses pouvoirs
1.2 Une nouvelle économie spatiale
e terme économie mondiale est souvent utilisé pour décrire le résultat des
changements économiques, autant que politiques et sociaux qui se sont
produits au cours des dernières décennies aussi bien dans les pays développés
que dans les pays en voie de développement. En effet, l’actualité politique et
économique contemporaine souligne des événements comme l’internationalisation des
marchés, le déplacement d’activités économiques vers des pays à bas salaires, les
technologies de l’information devenues accessibles et peu coûteuses, le chômage
chronique dans plusieurs régions industrielles autrefois prospères, la formation de
blocs économiques comme l’Aléna1 et l’Union Européenne, et l’émergence de
nouvelles nations industrielles, notamment en Asie pacifique. Tous ces événements qui
à première vue peuvent apparaître indépendants, s’articulent dans une logique dont il
est possible de dresser les grandes lignes.
La mondialisation affecte les systèmes économiques et leur expression dans l’espace
de plusieurs façons. Par mondialisation, nous entendons deux principaux points :
La mondialisation est un processus. Il implique la convergence des
marchés, des systèmes de production et aussi des styles de vie. Ce
processus implique aussi une distinction entre les corporations, le capital et
l’espace. Le résultat est souvent une divergence spatiale du développement
économique allant des nations économiquement avancées aux pays les
plus en retard.
1 Accord de libre-échange nord-américain
Chapitre
1
L
LES FORCES DE LA MONDIALISATION
2
La mondialisation repose sur linterdépendance. Les marchés de biens et
services, la finance et la production se trouvent ainsi intégrés dans un
système très complexe où un changement d’un élément affecte
positivement ou négativement les autres. Les régions sont liées par des
flux intensifs de marchandises, de capital, de personnes et d’information.
Certains considèrent l’économie mondiale comme un fait accompli auquel il faut
souscrire, tandis que d’autres y voient des forces déstabilisatrices menaçant l’ordre
établi, ou encore le bien être des populations au profit du corporatisme. Il est
indéniable que plusieurs grands bouleversements sont en cours, surtout en ce qui a
trait à la distribution des activités économiques dans l’espace au sein de ce qu’il est
désormais convenu d’appeler le système-monde2. Le concept même de système-
monde illustre des modifications importantes dans la conception de l’économie et de
l’espace puisqu’il considère un ensemble d’interactions entre les sociétés, les
entreprises, les marchés, etc.
La mondialisation met en évidence plusieurs problèmes souvent liés à l’adaptation à de
nouvelles conditions. L’importance, l’étendue et l’échelle des mutations économiques
et territoriales, notamment au cours des années 1970 et 1980, ont pris plusieurs
intervenants de court. Il n’y a qu’à considérer l’impuissance des gouvernements devant
les grands processus de relocalisation industrielle et de mutation de la main-d’uvre
pour se rendre compte que les bases du système économique se sont adaptées à un
espace qui n’est plus national, mais continental, voire mondial dans plusieurs cas.
L’espace de l’état-nation cesse d’être le cadre de référence privilégié dans les analyses
de l’espace économique pour être remplacé pour un espace beaucoup plus vaste et
complexe, celui du système-monde. De plus, il importe de constater que les
changements de l’économie mondiale ne sont pas conjoncturels, mais bien
structurels, puisqu’il ne s’agit pas d’une modification de certains éléments des
systèmes économiques, mais bien d’une adaptation en profondeur des appareils de
production à un nouveau contexte et à un espace étendu.
Les éléments de ce nouveau contexte nous amènent à souligner plusieurs questions qui
seront débattues dans ce chapitre. Quelle est l’interprétation économique de cet
espace? Quels sont les principaux acteurs uvrant au sein du système-monde? Quels
sont les changements dans la nature et la manière dont les acteurs exercent leur
pouvoir? Ces questions nécessitent une re-définition du contexte et une identification
du rôle de la géographie économique.
2 Ce terme fut d’abord proposé par le géographe français Olivier Dollfus.
Le système-monde est
un élément complexe
issu des processus de
mondialisation. Les
changements imposés
sont structurels plus
que conjoncturels.
1.1
LES FORCES DE LA MONDIALISATION
3
L’économie mondiale, ses acteurs et ses pouvoirs
Devant une nouvelle réalité économique, le système-monde connaît une
restructuration de ses assises, domaine sur lequel la géographie économique peut
apporter des éléments explicatifs. Avant de définir les éléments de cette contribution,
il importe de relever les principaux aspects derrière une nouvelle définition du
contexte économique mondial. Nous articulons cette démarche en trois volets.
AL’émergence de nouveaux acteurs et de leurs pouvoirs impose une
considération de leur nature et leurs champs d’action. Il reste cependant
indéniable que le pouvoir corporatif est en émergence.
BLes relations de pouvoir qu’entretiennent les différents acteurs sont
devenues complexes au sein d’un nouvel environnement économique et
géographique. La façon dont un pouvoir s’affirme est aussi importante que les
relations qu’un pouvoir entretient avec d’autres pouvoirs.
CIl importe de considérer que les processus de mondialisation ne vont pas
dans un seul sens, ce qui n’est pas sans créer des tensions entre les éléments
qui se trouvent intégrés, parfois malgré eux, au système-monde.
Les nouveaux acteurs et leurs pouvoirs
Auparavant, l’analyse du système-monde passait par des considérations géopolitiques
qui coordonnaient les relations économiques entre ses éléments. La politique
commerciale d’une nation était alors très semblable aux relations politiques qu’elle
entretenait avec d’autres nations. Il n’y a qu’à considérer les relations économiques
entre les pays du bloc de l’Ouest et ceux du bloc de l’Est avant la chute de ce dernier
pour comprendre la composante géopolitique des échanges: le commerce suivant les
relations diplomatiques. Dans un monde l’interdépendance s’est substituée à
plusieurs confrontations (comme l’opposition Est-Ouest de la Guerre Froide) et où
les acteurs économiques sont beaucoup plus dynamiques que les acteurs politiques, il
convient de réévaluer la place de la politique et de l’économie. C’est alors qu’entre en
scène de nouveaux acteurs et de nouveaux pouvoirs dépassant les frontières du
contrôle étatique.
Quels sont donc ces acteurs et ces pouvoirs? Ils peuvent êtres inclus à l’intérieur des
pouvoirs économiques et sociaux régissant les processus d’accumulation et de
distribution qui s’articulent au sein du système-monde.
A
LES FORCES DE LA MONDIALISATION
4
Industriel
Financier
Médiatique
Politique
Système-monde
Social
Économique
Le pouvoir économique illustre le pouvoir industriel des entreprises et le pouvoir financier des
institutions. Le pouvoir social est exercé par les médias et les états à la fois sur les individus, les
entreprises et les institutions. Conjointement, ces dernières forment les bases des relations des
différents pouvoir au sein du système-monde.
Le pouvoir industriel des entreprises
La capacité de produire et de transformer est fondamentale dans la génération de la
richesse. En effet, le système d’entreprise et de production industrielle constitue les
bases du système économique et de son pouvoir. L’accumulation des forces
productives (infrastructures, capital et main-d’uvre) se fait surtout au profit des
entreprises multinationales. Ces dernières sont les principaux éléments décidant de
l’affectation territoriale des forces productives à l’échelle nationale aussi bien
qu’internationale. La nature et l’étendue de leur pouvoir est très complexe et s’établit
dans un tissu de relations entre les entreprises, la main-d’uvre, l’espace et les états.
Vers le milieu des années 1990 on dénombrait 37 000 sociétés multinationales, qui
avaient 170 000 filiales dans le monde. Ces sociétés contrôlent approximativement le
tiers de la production privée mondiale. Cette concentration est d’autant plus
importante si l’on considère les 200 entreprises les plus importantes qui contrôlent
26,8% du PNB mondial; plus de 85% de ces entreprises ont leur siège social aux États-
Unis, au Japon, en France, en Allemagne ou au Royaume-Uni. De plus, les 100
entreprises les plus importantes ont une capitalisation boursière qui dépasse les 4 500
milliards de dollars. Il faut souligner que seule une infime partie des grandes entreprises
évoluent effectivement dans l’espace économique mondial. La plupart ont des
fondations fortement régionales et rarement leurs activités dépassent-elles ce cadre.
Le succès des corporations équivaut à l’étendue de leur maîtrise de la technologie, des
capitaux, des marchés et des ressources, mais surtout à leur capacité d’évoluer dans
l’espace économique par des investissements et la relocalisation de leurs activités. Cette
Figure 1.1
Les pouvoirs sociaux et
économiques au sein du
système-monde
Le système-monde est
un espace corporatif.
LES FORCES DE LA MONDIALISATION
5
maîtrise n’est pas toujours accessible aux entreprises de plus petite taille et échappe
graduellement aux états.
Le pouvoir financier des institutions
Le secteur financier se base sur la manipulation du capital afin de produire des revenus
sur ces transactions. Les principaux recours sont la spéculation (valeurs boursières,
immobilier, devises) et les investissements (fixation du capital dans les forces
productives). Les marchés financiers (bourses, obligations), qui sont les principaux
lieux où s’échange le capital, constituent la plus forte expression de la mondialisation.
Ce pouvoir s’articule autour des trois grands pôles financiers que sont New York,
Londres et Tokyo et une multitude de centres de plus faible importance qui
coordonnent les capitaux et les marchés régionaux.
En 1998, 2 000 milliards de dollars s’échangeaient chaque jour sur les marchés
financiers pour les devises, 600 milliards pour les obligations et 100 milliards pour les
actions, tandis que l’économie mondiale produisait 100 milliards de dollars de PIB. La
grande majorité des activités financières impliquent en conséquence une spéculation
sur la fluctuation des devises qui repose parfois plus sur des rumeurs que sur les
performances économiques réelles. Il s’échange donc sur le marché mondial 50 fois
plus de capital que de biens et services. Cet état de fait soulève la question de savoir si
la profonde disparité entre le capital de production et le capital spéculatif n’est pas
source d’instabilité et de vulnérabilité devant des conjonctures temporaires. Ou,
encore, sommes nous en présence d’une économie de plus en plus immatérielle les
ressources physiques ont une importance plus marginale?
Dans ce contexte, les banques, les institutions financières (gestionnaires de fonds
mutuels, de caisses de retraite et de capitaux privés), les entreprises et particulièrement
ceux qui les contrôlent possèdent une énorme influence sur les activités politiques et
économiques. Par exemple, les 300 plus importants gestionnaires de fonds de pension
américains, européens et japonais contrôlaient une masse monétaire de 8 000 milliards
de dollars en 1993. Ces gestionnaires devront faire preuve de responsabilité par une
interprétation prudente des conjonctures et potentiels de développement. Par
exemple, le Fonds monétaire international, face à un endettement massif de plusieurs
pays en développement, a eu une influence considérable sur les politiques
économiques nationales. Les résultats de ces politiques, telle la baisse des dépenses
publiques dans l’éducation, la santé et l’alimentation, sont loin d’avoir eu des effets
positifs sur les conditions de vie des populations.
Les marchés financiers, par ailleurs fragiles, peuvent être victimes des mauvaises
décisions de leurs gestionnaires et même de rumeurs. Lors du crash boursier d’octobre
1987, plus de 2 000 milliards de dollars se sont évanouis en quelques jours sur les
places financières avec une baisse de plus de 22 % pour le seul indice Dow Jones. Dix
ans plus tard, en 1997, une crise monétaire et économique en Asie du Sud-Est a
entraîné un réajustement de la part de l’ensemble des places financières du monde. De
ce ralentissement économique en Asie Pacifique s’est suivi des tendances similaires au
Le système-monde est
un espace financier.
1 / 36 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !