Cas clinique suggérant l’utilité du sérum de sang placentaire allogénique dans le traitement d’ulcères cornéens persistants chez une jument. VERSION LONGUE Isabelle Desjardins*, Anne-Laure Terzian**, Jean-Luc Cadoré*, Nathalie Saulnier***, Stéphane Maddens***. * Pôle Equin, Vetagro-Sup, 1 avenue Bourgelat, 69280 Marcy l’Etoile ** rue de la Gare 01500 AMBRONAY *** Vetbiobank, 1 avenue Bourgelat, 69280 Marcy l’Etoile Cas clinique : Une jument selle-français de 18 mois est référée à la Clinéquine de VetAgro Sup en consultation d’ophtalmologie pour ulcérations cornéennes bilatérales constatées 4 semaines auparavant et ne rétrocédant pas au traitement antibiotique et protecteur cornéen local. Un mois après le début des symptômes, la jument est référée pour un examen ophtalmologique complet. La vision est normale des deux côtés, un ulcère cornéen superficiel de 4 mm à gauche et un autre de 2 mm à droite sont visibles au test à la fluorescéine. Les autres structures oculaires ne présentent pas de lésion, la pression intra-oculaire et l’examen échographique sont normaux. La cyto-bactériologie de raclage cornéen ne permet pas de mettre en évidence d’éléments étiologiques ; un traitement local (4 fois par jour) est donc initié à base de trifluridine, antibiotiques (chibroxine) et atropine. Un masque protecteur est laissé en permanence. Huit jours plus tard, la cicatrisation cornéenne stagne, sans néovascularisation, et plusieurs applications topiques d’iode sont effectuées à gauche. Ceci occasionne le développement de quelques néo-vaisseaux ainsi qu’une conjonctivite bilatérale. A droite, l’ulcère cicatrise en 12 jours. Une blépharorraphie ne permet pas non plus la cicatrisation cornéenne gauche. Un traitement immunomodulateur (cyclosporine A) associé aux antibiotiques est poursuivi à gauche et une disparition de l’ulcère est objectivée en 6 semaines. Toutefois, 4 mois plus tard, l’ulcération cornéenne gauche réapparait sur le même site (2 mm), avec un œdème cornéen focal, sans néovascularisation ni autre structure lésée ou anomalie de l’examen clinique général. A droite, seule une cicatrice cornéenne est présente. Considérant le caractère récidivant et chronique de l’ulcère à gauche et la réponse thérapeutique limitée et lente aux traitements précédents, il est décidé avec le consentement du propriétaire de mettre en place, à titre compassionnel, un traitement expérimental à base sérum de sang placentaire allogénique équin (Vetbiobank®, Marcy l’Etoile) à raison de 2 gouttes trois fois par jour pendant 7 j. L’œil droit est également traité, afin d’évaluer l’effet du sérum sur la cicatrice cornéenne. Aucun autre traitement n’est adjoint. Le confort reste très bon tout au long du traitement, malgré une légère conjonctivite bilatérale. A gauche, une néovascularisation cornéenne apparaît progressivement sur le site de l’ulcère et dorsalement, du limbe vers la cicatrice. La perte de substance disparaît peu à peu, ne subsiste à J 2+57 (ou J1+199) qu’une trace « gélatineuse », ne prenant plus la fluorescéine au bout de 13 jours de traitement. L’opacification cicatricielle demeure. Sur l’œil droit, la cicatrice cornéenne disparaît en 6 jours. L’année suivante, la pouliche ne représente pas d’ulcères cornéens, et aucune cicatrice cornéenne persistante n’est visible, ni à droite, ni à gauche. Discussion : les anomalies de cicatrisation cornéenne Peu de données sont connues sur la cicatrisation cornéenne chez le cheval. La cornée étant normalement un tissu avasculaire, l’épithélium cornéen est entièrement dépendent du film lacrymal et de son apport en facteurs de croissance. La cicatrisation des lésions épithéliales est la plus rapide dans les premiers 5 à 7 jours, puis ralentit. Cette différence a été attribuée à l’épuisement des cellules épithéliales environnantes, ou à des modification du stroma cornéen sous-jacent. Une vitesse de cicatrisation moyenne sur des ulcères de 7 mm induits chirurgicalement est de 0,6 mm par jour. Mais cela peut prendre jusqu’à 6 semaines à l’épithélium cornéen pour s’ancrer dans le stroma après cicatrisation, ce qui rend le tissu fragile et prompt à se ré-ulcérer. Certains ulcères, notamment profonds, ont un temps de cicatrisation long (plusieurs semaines), même si leur surface n’est pas très grande. Après une lésion stromale, soit profonde, il peut être physiologique d’assister à des arrêts de réépithélialisation. Un retard à la cicatrisation est occasionné le plus souvent par une surinfection (bactérienne le plus souvent, parfois fongique), un traitement inadapté ou une incapacité à traiter localement l’œil malade. L’absence de protection d’un œil par un masque peut occasionner des récidives d’ulcères par frottement ou par action irritante d’insectes. Parfois, un corps étranger intra-stromal, au niveau d’un cul de sac palpébral, de la troisième paupière, peut expliquer l’échec du traitement médical et la persistance de l’ulcération (point d’épine végétale par exemple). Il se peut également que des cils ectopiques soient présents. Les chevaux âgés, particulièrement ceux souffrant de dysfonctionnement de la pars intermedia de l’hypophyse (« cushing »), sont sujets au retard de cicatrisation d’ulcères cornéens. Si toutes ces causes ont été exclues, on peut alors parler d’ulcère atone ou indolent, dont la caractéristique est un échec de la réépithélialisation. En cas d’échec du traitement médical comme dans le cas présent, un traitement chirurgical peut être envisagé, comme une blépharorraphie, une kératectomie en grille, ou une énucléation (dans les cas les plus chroniques ou présentant des limites financières). Toutefois, si ces techniques apportent en général une réponse favorable, elles sont assez invasives par rapport à une application topique de collyre. Dans le cas décrit, le cheval présente un défaut d’épithélialisation, et une absence de néovascularisation. Le sérum autologue n’a pas permis de palier à ce déficit. Chez l’homme l’utilisation de sérum de sang placentaire allogénique a été décrite dans la prise en charge de pertes de substance épithéliales cornéennes persistantes, réfractaires au traitement médical avec une cicatrisation accélérée en comparaison avec le sérum autologue. Le sérum de sang placentaire humain contient des facteurs de croissance et des composés naturels des larmes ainsi que des facteurs neurotrophiques permettant une croissance plus rapide des cellules souches, une épithélialisation plus rapide. Par analogie, le sérum de sang placentaire équin pourrait aussi avoir des propriétés anti-inflammatoires, immunomodulatrices favorisant la cicatrisation de l’épithélium cornéen in vivo. Toutefois aucune donnée sur cette alternative thérapeutique n’existe chez le cheval et il est prudent de ne pas extrapoler ces résultats au cheval sans preuve. C’est dans ce contexte d’impasse thérapeutique que ce traitement expérimental a été proposé à titre compassionnel au propriétaire. L’évolution positive des lésions avec ce traitement incite à confirmer cette hypothèse par une étude clinique randomisée et contrôlée visant à tester l’intérêt clinique du sérum de sang placentaire dans le traitement des ulcères cornéens récalcitrants aux traitements usuels. 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