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Jéco 2014
Samedi 15 Novembre 2014- 9h30-11h
Compte rendu de L. Auffant
La démocratie : un levier du développement ?
Intervenants :
 Fouad Abdelmoumni, acteur associatif
 Michel Aglietta, professeur émérite de sciences économiques à Paris Ouest, membre
du Haut Conseil des Finances Publiques
 François Roubaud, Directeur de recherche à l’IRD
 Isabelle Thireau, Directrice d’études à l’EHESS et directrice de recherche au CNRS
Modérateur : Serge Marti, président de l’Association des journalistes économiques et
financiers, ancien rédacteur-en-chef économique au Monde
Présentation (Serge Marti) :
Ici la question posée pourrait être inversée.
Nous nous demanderons si la démocratie est un levier de développement. La réponse est
complexe : des dictatures ont pu permettre à des pays de devenir de grandes puissances
industrielles (Corée du Sud) alors que les démocraties ne garantissent pas forcément un
mieux-être, une meilleure répartition des richesses voire un décollage économique. Le lien
entre démocratie et croissance n’est pas automatique.
Exposé des intervenants, intégrant les réponses aux questions posées par l’auditoire :
Michel Aglietta :
Les économistes ont peu à dire sur le sujet démocratie et développement qui est davantage un
sujet de philosophie politique. Néanmoins on peut présenter quelques faits sur le
rapprochement entre développement et démocratie et montrer quels sont les facteurs de
développement.
Quelques faits stylisés historiques :
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Fortes disparités entre les niveaux de développement et la croissance en très longue
période : UK et EU = deux démocraties quand le pays se développe alors que Allemagne
et Japon = 2 régimes politiques de forme impériale, 2 empires (mais pas des dictatures)
quand ils rattrapent les pays premiers industrialisés.
Il existe 3 facteurs stratégiques de développement : l’accumulation du capital, l’éducation
de masse et l’ouverture internationale.
La notion de rattrapage ou de convergence au-delà de l’Occident :
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La convergence conditionnelle a été bien plus rapide dans la 2nde moitié du XXème
siècle et a été concentrée en Asie.
Contraste entre l’Amérique latine (effondrement après 1950) et l’Asie (1ère moitié du
XXème = évolution catastrophique avant de prendre sa revanche sur l’Occident dans
la 2nde moitié du XXème : « tigres asiatiques », Chine, Inde)
L’Afrique n’a jamais pu desserrer l’étau du colonialisme et a perdu systématiquement
du terrain pendant la 2nde moitié du XXème par manque d’État développeur :
agriculture délaissée, démographie non régulée, éducation de masse inexistante. La
question essentielle pour le développement n’est pas la démocratie mais l’existence
d’un État développeur.
L’exemple de la voie asiatique pour faire émerger les conditions de base d’un
développement en processus continu :
 Un leadership de l’État pour produire des biens publics : éducation de masse, surtout
des filles, système de santé publique, légitimité politique, services publics de
transports, communications, énergie
 Un secteur public entraînant, et de fortes liaisons État-grandes entreprises pour des
choix industriels stratégiques : par ex chaebols sud-coréens
 Une bureaucratie dont les intérêts sont alignés sur les objectifs stratégiques de l’État
 Des politiques volontaristes pour aider l’émergence d’une classe d’entrepreneurs : le
but est de créer de hauts rendements sur le capital productif.
Quels sont les enjeux du développement aujourd’hui ?
Il ne s’agit pas seulement de la croissance, il faut aussi que la croissance ait une certaine
qualité : le développement doit être inclusif et soutenable, il doit concilier richesse des nations
et bien-être social.
Enjeux : avoir des indicateurs plus complets que le PIB. Une croissance soutenable impose de
mesurer la richesse sociale, toutes les formes de capitaux. Or, aujourd’hui, on va vers un
épuisement du capital naturel, et une partie du capital est mal mesurée car intangible :
l’intelligence collective par exemple. Il est nécessaire de débattre sur ce à quoi la société
attribue une valeur.
Il est important de donner une valeur au capital naturel qui est irremplaçable, à tous les actifs.
Il faut tenir compte du changement climatique, de la biodiversité : pas de substituabilité, il
faut donc définir une valeur sociale à ce qui n’est pas exprimé par le marché.
Un exemple de statistique : l’indicateur IWI (inclusive wealth index) : mesure de la
soutenabilité, permet de savoir si on a un État développeur. On peut comparer la croissance du
PIB et le niveau de l’IWI (diapo pour la période 1990-20081) : les classements entre les pays
ne sont pas les mêmes en fonction de ces 2 instruments de mesure.
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Voir les C/R à venir des Jéco
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Entre 1990 et 2008, la Chine a une croissance inclusive car 400 millions de personnes ont été
sorties de la pauvreté absolue.
Le paradoxe de la démocratie
La démocratie est un paradoxe auto-référentiel : on a une boucle puisque le peuple a le
pouvoir sur le peuple.
Dans un processus autoréférentiel on a trois solutions :
- La légitimité procédurale (ex : démocratie française).
- La légitimité fondée sur des valeurs d’appartenance sociétale (il faut que la société soit
homogène)
- La légitimité fondée sur la poursuite du bien-être social selon la loi (l’inconvénient peut
être que le gouvernement soit submergé par les demandes sociales d’où de la corruption)
Quel modèle d’organisation des sociétés et quelle trajectoire chinoise possibles ?
Société civile autonome
Planification
Laissez-faire
État centralisé
Marché pur
Hétéronomie totale
Homo oeconomicus ou sujet de l’État
Trajectoire chinoise possible :
1 : planification intégrale puis 2 réformes puis 3 transformations vers une société harmonieuse
(le centre du triangle).
Isabelle Thireau :
Travaux d’observations et d’enquêtes sociologiques menés en Chine
Ces travaux montrent qu’une forme d’invention démocratique est à l’œuvre en Chine. Ici, la
démocratie n’est pas définie comme un régime politique ou une forme de société mais comme
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des actions qui, en dehors de tout cadre démocratique, manifestent des attentes qui
correspondent à la démocratie. Autrement dit, dans la vie quotidienne il existe des initiatives
variées qui s’apparentent à la démocratie. Ces espaces sont importants.
1949 : le projet politique de la Chine est un projet ayant une visée totalitaire avec une emprise
de type terroriste sur la parole, le dogme idéologique combine accusatoire et inquisitoire.
Fin des années 1970 : ce système n’est plus. Mais on a encore une méfiance : on ne sait pas à
qui faire confiance.
Deux exemples actuels qui montrent que les individus se parlent, échangent, ce qui fait
émerger le bien commun :
 Ex 1 : place publique où des gens font des exercices physiques, lieu ouvert à tous.
Certains viennent tous les jours. Quelques uns ne disent jamais rien, d’autres parlent.
On peut ainsi savoir quels sont les sujets sur lesquels il n’y a pas de méfiance (ex : les
fêtes du calendrier chinois) et quels sont ceux pour lesquels les gens se méfient. Ces
espaces intermédiaires de médiation se développent, ils permettent de faire avancer le
faire ensemble et le pouvoir agir ensemble.
 Ex 2 : l’administration des lettres (y compris mails) et des visites.
Cette administration existe depuis 1951. C’est un ensemble de bureaux où les citoyens
peuvent faire part de leurs doléances. Les témoignages ont augmenté de 10% depuis
1990, la population interpelle les dirigeants, fait part de ses attentes, demande aux
dirigeants d’avoir la capacité de se mettre à la place des citoyens. La population a le
droit de participer aux affaires publiques du pays.
La contestation existe en Chine mais elle ne s’exprime pas de la même façon qu’en France
Fouad Abdelmoumni :
La démocratie est un levier de développement mais le contexte change selon les pays car la
démocratie a des principes universels mais aussi beaucoup de spécificités historiques, locales.
Ex définition de la démocratie dans pays occidentaux intègre la laïcité intégrale, la liberté à
disposer de son corps, le mariage homosexuel… Mais la démocratie englobe aussi des
procédures (ex éligibilité des gouvernants) et des valeurs (par exemple les droits de
minorités).
Au Maroc il existe un système politique avec des courriers adressés au palais royal. La
première revendication est les prêts-ventes. Problème: on ne travaille pas si on n’a pas de
visibilité, si on ne peut pas avancer. Or, au Maroc, les individus dépendent de la bonne
volonté du Prince.
Les concepts à mettre en effectivité pour que la démocratie soit un levier de développement
sont : l’État de droit, la gouvernance, sinon on est dans une économie de prédation, une
économie clientéliste.
Quels ont été les leviers de croissance au Maroc ?
- Le besoin de main d’œuvre non qualifiée entre 1997 et 2007 en Espagne, en Italie et en
France : 1,5 million de personnes sont parties travailler dans ces pays, sinon on avait une
véritable bombe sociale. Malgré la crise, certains migrants potentiels sont souvent restés
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sur place, et parfois les familles au Maroc envoient de l’argent aux migrants qui redoutent
la déconsidération sociale s’ils revenaient.
Le tourisme (mais c’est aléatoire)
Les IDE (mais ils sont volatils).
Quels sont les obstacles au développement du Maroc ?
- Le coût des élites
- Le coût de l’administration publique, notamment de l’armée
- La corruption internationale y compris avec l’establishment français (cf. livre de Gilles
Perrault : Notre ami le Roi)
Pour conclure, le développement ne peut pas être construit sans démocratie, cependant la
démocratie est insuffisante pour assurer le développement.
François Roubaud :
5 commentaires sur la question du jour sous le prisme de l’économie du développement, les
statistiques et l’Afrique.
1) la question est mal posée
La démocratie n’est pas un levier du développement, c’est une composante du
développement. La démocratie a deux dimensions :
- Dimension instrumentale : en quoi elle favorise le développement.
- Dimension intrinsèque : liberté = espace des choix.
Le bien-être = le pain et la liberté.
2) la démocratie : concept importé ou valeur universelle ?
Citoyens du monde et démocratie : mêmes conceptions, mêmes aspirations. Démocratie =
plusieurs libertés + l’État de droit
Enquêtes dans 8 pays africains : les différentes libertés sont partout fondamentales = valeur
universelle. En revanche, l’espace du respect de ces libertés n’est pas le même partout.
3) démocratie et croissance ou développement économique : pas de loi générale
La causalité peut être établie dans les 2 sens
Les effets sont parfois contrintuitifs : ex de Madagascar où quand le pays a connu une
croissance économique cela s’est soldé par une crise sociopolitique (car les aspirations
citoyennes reprennent avec la croissance alors que les gens baissent la tête en temps de crise)
4) la mesure de la démocratie : un bien public
 Problème: les bases de données internationales ne sont pas fiables.
Ex de la corruption : enquêtes auprès d’experts (on leur demande combien de personnes sont
touchées par la corruption selon eux) versus auprès de citoyens. On a des écarts très
importants : les experts surestiment massivement la corruption.
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Débat : production de statistique de gouvernance démocratique dans l’agenda post
2015.
5) Quelles politiques ?
Garantir le respect des principes démocratiques
Renforcer les intermédiaires démocratiques (partis, médias, syndicats, société civile)
Produire des indicateurs sur la démocratie : information + suivi.
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