Cancérologie De nouvelles thérapies moléculaires ciblées à l’horizon Les découvertes de la recherche fondamentale depuis 25 ans, qui ont permis une meilleure compréhension de l’extraordinaire complexité de l’oncogenèse, vont se traduire dans l’avenir proche par des progrès thérapeutiques, estiment les cancérologues. C ontrairement aux antimitotiques, ces nouveaux médicaments cytostatiques ne sont pas toxiques pour toutes les cellules qui se multiplient et permettront probablement d’allonger la survie. Quelques molécules sont déjà commercialisées en France. Cependant, tout n’est pas résolu, on n’a pas encore trouvé la clé du contrôle du cancer. Les limites atteintes ? Dans les cancers les plus fréquents, les chimiothérapies conventionnelles semblent avoir atteint leurs limites, vu la mortalité élevée malgré de nombreux protocoles proposés depuis dix ans. « Le plus souvent, les médicaments cytotoxiques les plus récents sont juste un peu plus efficaces et un peu moins toxiques. Les derniers produits en cours d’exploration sont des produits d’origine marine dont la toxicité est probablement importante. De nouvelles molécules en développement, qui sont le fruit d’années de recherche fondamentale, visent à agir sur les mécanismes moléculaires conduisant à la prolifération cellulaire incontrôlée. Aujourd’hui, dès qu’une cible potentielle est identifiée, une molécule est créée. Beaucoup sont en phases I et II », rapporte le Pr J.-P. Armand (Institut GustaveRoussy, 94). Très logiquement, les chercheurs ont imaginé qu’il suffisait de bloquer un ou quelques endroits cruciaux dans la spirale de la dérégulation d’une cellule pour arrêter la progression du cancer. En fait, les anomalies moléculaires sont très nombreuses (et leur nombre augmente avec l’évolution du can- cer) et, lorsqu’une voie est bloquée, le message de prolifération peut emprunter une voie de dérivation, un peu comme dans le métro où l’on peut aller d’une station à l’autre par différents chemins. Encore faut-il déterminer quels sont les lieux de passage incontournables. L’accumulation des connaissances en biologie des cancers a permis d’identifier plusieurs cibles thérapeutiques à différents niveaux de la cancérogenèse : correction d’un défaut de mort programmée, inhibition de l’initiation du cycle cellulaire, blocage de l’angiogenèse (formation des néovaisseaux nourrissant les tumeurs), inhibition des métalloprotéinases (enzymes qui favorisent les métastases puisque la cellule maligne doit d’abord détruire l’environnement immédiat avant de migrer), inhibition de la transmission des signaux de la prolifération cellulaire. Lorsque les facteurs de croissance donnent le signal aux récepteurs de la membrane cellulaire, il s’ensuit une cascade d’informations de protéine à protéine, jusqu’au noyau qui reçoit l’ordre de multiplier l’ADN. A l’heure actuelle, deux molécules agissant sur certains facteurs de croissance donnent des résultats intéressants. L’anticorps monoclonal, l’herceptine T, qui est administré en complément de la chimiothérapie conventionnelle, a un effet positif sur des cancers du sein qui expriment en abondance le récepteur erbB2 (20 % des cancers). Le GlivecTM, qui vise plusieurs cibles pour bloquer les activités tyrosine kinase, permet d’obtenir des ré- missions de longue durée dans les leucémies myéloïdes chroniques et une réduction tumorale spectaculaire dans certains sarcomes du tube digestif. On s’attendait à des résultats encourageants avec IressaTM (inhibiteur des récepteurs d’un facteur de croissance cellulaire) étant donné que les cliniciens constatent un bénéfice chez environ 10 % des patients. Or, les résultats d’une grande étude récente n’ont pas confirmé son efficacité en association à des premières lignes de chimiothérapie dans le cancer du poumon. Pour le Pr Armand, ces chimiothérapies n’étaient peut-être pas les mieux adaptées et les doses d’IressaTM étaient peut-être trop faibles. Cocktail de médicaments Comme le souligne le Dr J. Robert (université de Bordeaux), la chimiothérapie du cancer s’oriente vers les mécanismes de la maladie, en sachant qu’il faudra couvrir plusieurs cibles moléculaires et sans doute associer plusieurs médicaments. Il s’agirait d’un “cocktail anticancéreux”, contenant un mélange de “petits” médicaments capables de contrecarrer à différents niveaux la multiplication anarchique des cellules (d’où l’importance d’une collaboration entre les firmes pharmaceutiques). Et, à l’instar des maladies infectieuses, l’approche “par organe” sera remplacée par le traitement adapté selon le type moléculaire de chaque tumeur. Autrement dit, un même médicament est susceptible d’agir sur des cancers de localisations différentes mais présentant les mêmes altérations moléculaires et donc les cibles similaires. Ludmila Couturier D’après les communications de la Société française du cancer. Professions Santé Infirmier Infirmière - No 42 - décembre 2002 7