TECHNIQUE CHIRURGICALE Progrès en Urologie (1999), 9, 562-566 Voie d’abord antéro-latérale trans-abdominale de Giuliani avec séparation musculaire et préservation nerveuse pour abord des tumeurs du rein Claudio GIBERTI, Maurizio SCHENONE Service d’Urologie, Ospedale San Paolo, A.S.L. 2 Savonese, Savona, Italie RESUME Buts : Les voies d’abord antéro-latérales trans-abdominales fournissent une bonne exposition à la fois pour la chirurgie sus et sous-mésocolique. Cependant le dessin de ces incisions est tel qu’il sectionne et dénerve le muscle droit, les muscles obliques et transverse de l’abdomen avec une perte nette du contrôle actif des muscles pour un grand nombre de patients. En 1974, G IULIANI a décrit une approche antéro-latérale et trans-abdominale pour les tumeurs du rein qui fournit une bonne vue et un bon accès au pédicule rénal ainsi qu’une bonne exposition à la fois vers le bas jusqu’à la bifurcation aortique et vers le haut jusqu’au diaphragme. Les auteurs rapportent une nouvelle technique anatomique avec cette voie d’abord qui sépare les muscles et préserve les nerfs évitant ainsi une hypotonie musculaire abdominale. Matériel et Méthodes : De mars 1996 à mars 1998, cet abord chirurgical dit de Giuliani a été réalisé chez 35 patients qui devaient subir une néphrectomie élargie pour cancer du rein (24 côté gauche et 11 côté droit). L’âge des patients allait de 42 à 80 ans (moyenne de 63,2 ans). Le suivi moyen a été de 11,6 mois. Résultats : Chez tous ces 35 patients le tonus et le contrôle actif de la paroi abdominale musculaire étaient totalement préservés. Cependant tous les patients présentaient une petite hypoesthésie sur la partie basse de l’incision cutanée transversale près de l’ombilic qui s’améliorait avec le temps et disparaissait approximativement chez 50% d’entre eux. Conclusion : L’avantage majeur de cette voie d’abord anatomique par rapport aux techniques conventionnelles est d’éliminer les déficits fonctionnels permanents et l’hypotonie de la paroi abdominale. De plus, cette approche anatomique apporte des possibilités de fermeture aisée et en toute sécurité, plan par plan, en reconstruisant la paroi abdominale antérieure. Mots clés : Cancer du rein, chirurgie, voie d’abord. En chirurgie urologique, les principales indications pour une voie d’abord antéro-latérale trans-abdominale sont les néphrectomies radicales élargies pour tumeur du rein et les traumatismes du rein. Le patient est en décubitus dorsal en hyper-extension par une hyperlordose marquée, la section unilatérale et même bilatérale du muscle droit de l’abdomen donne un jour extrêmement favorable sur la cavité abdominale fournissant une bonne exposition à la fois des étages sus et sous-mésocolique. toire, une meilleure vision et un meilleur accès au pédicule rénal aussi bien qu’une bonne exposition à la fois, vers le bas, jusqu’à la bifurcation aortique et, vers le haut jusqu’au diaphragme [5, 6]. Cependant l’inconvénient de cette incision aussi bien que les autres approches antéro-latérales transabdominales était une trans-section et une dénervation des muscles obliques et transverse de l’abdomen avec une perte du contrôle musculaire actif chez un grand nombre de patients. Les En 1974, G IULIANI a décrit une voie d’abord antérolatérale transabdominale pour les tumeurs du rein, «l’incision avec lambeau sous-costale xypho-ombilico-épigastrique». Celle-ci fournit un bon champ opéra- Manuscrit reçu : mai 1998, accepté : mars 1999. Adresse pour correspondance : Pr. Claudio Giberti, Service d’Urologie, Ospedale San Paolo, Via Genova 38, 17100 Savona, Italie. 562 C. Giberti et coll., Progrès en Urologie (1999), 9, 562-566 auteurs rapportent une nouvelle technique anatomique par cette approche qui sépare les muscles et préserve les nerfs évitant ainsi une atonie musculaire abdominale. PATIENTS ET METHODES De mars 1996 à mars 1998, la voie d’abord chirurgicale de Giuliani a été réalisée chez 35 patients qui ont subi une néphrectomie radicale pour cancer du rein du côté gauche et du côté droit (24 et 11 respectivement). L’âge des patients allait de 42 à 80 ans (moyenne 63,2 ans). Le suivi moyen a été de 11,6 mois. Technique opératoire Le patient est placé en décubitus dorsal et en hyperextension avec une lordose marquée. L’incision de la peau et du tissu sous-cutané s’étend sur la ligne médiane de l’angle costo-xyphoïdien à michemin entre la xyphoïde et l’ombilic à proximité de la deuxième intersection tendineuse du muscle droit de l’abdomen. Là l’incision s’incurve franchement vers le bas et latéralement et s’étend transversalement vers la ligne axillaire moyenne à mi-chemin entre le rebord costal et la crête iliaque juste au-dessus de la ligne ombilicale transverse (Figure 1). L’aponévrose du muscle oblique externe doit être bien exposée à la fois au dessus et latéralement, et celà jusqu’à l’épine iliaque antéro supérieure après avoir détaché et rétracté le fascia superficialis de camper et le tissu cellulaire sous cutané (Figure 2A). La ligne blanche est incisée dans les limites de l’incision cutanée sans ouvrir le péritoine et l’incision se poursuit sur le feuillet antérieur de la gaine du muscle droit de l’abdomen obliquement. L’aponévrose du muscle oblique externe est aussi incisée, là où elle se continue avec la gaine antérieure du muscle droit de l’abdomen. L’étape suivante est la séparation de l’aponévrose du muscle oblique externe de celle sous jacente du muscle oblique interne. Deux doigts glissés entre ces deux aponévroses permettent de ne sectionner que l’aponévrose du muscle oblique externe latéralement et vers l’épine iliaque antéro supérieure (Figure 2A). Une fois incisée, cette aponévrose est rétractée exposant le muscle oblique interne. Figure 1. Voie d’abord de Giuliani. Tracé de l’incision cuta née. alors séparé de la face postérieure de la gaine du droit, soulevée et sectionnée au bistouri électrique le long de l’intersecti on tendineuse en s’assurant qu’il n’y a aucun pédicule vasculo-nerveux qui passe entre la gaine postérieure du muscle droit et le muscle luimême. La gaine postérieure du muscle droit de l’abdomen et le muscle oblique interne sont maintenant exposés. Du fait que les fibres du muscle oblique interne sont disposées de façon parallèle à l’incision cutanée transverse, elles peuvent être aisément séparées après transection du fin fascia qui le couvre pour atteindre le muscle transverse de l’abdomen sous jacent (Figure 2B). Le muscle oblique interne est alors séparé du muscle transverse et rét racté pour exposer de façon suffisante celui-ci et son aponévrose (Figure 2C). Pendant toute cette dissection, le chirurgien doit faire attention à ne pas léser les vaisseaux et les nerfs situés entre le muscle oblique interne et le muscle transverse spécialement le 11ème nerf intercostal et le nerf subcostal qui doivent être parfaitement vus. En fait, les faisceaux musculaires du muscle transverse doivent être séparées après que leur aponévrose ait été incisée jusqu’à exposer le fascia transversalis sous jacent, laissant, de cette façon, les nerfs préservés sous le feuillet postérieur de la gaine du muscle droit de l’abdomen. Le péritoine doit maintenant être disséqué obliquement en bas et en dehors et, prolongeant la section entre les faisceaux préalablement rétractés du muscle oblique interne, l’aponévrose du muscle transverse est coupé Les berges de l’incision de la gaine antérieure du muscle droit de l’abdomen sont détachées sur quelques centimètres, des bandelettes musculaires sous-jacentes du muscle lui-même jusqu’à la deuxième intersection tendineuse du muscle droit de l’abdomen qui est exposé (Figure 2B). Le muscle droit de l’abdomen est 563 C. Giberti et coll., Progrès en Urologie (1999), 9, 562-566 Ligne blanche Aponévrose du muscle oblique externe Seconde intersection tendineuse Gaine antérieure du muscle droit Aponévrose et muscle oblique externe Muscle oblique interne A Gaine postérieure du muscle droit Gaine antérieure du muscle droit B Gaine postérieure du muscle droit Muscle transverse de l’abdomen Fascia transversalis et transverse de l’abdomen 11 ème et 12ème nerfs intercostaux Muscle oblique interne C D Nerfs intercostaux Figure 2. Différentes étapes de la voie d’abord de Giuliani avec séparation musculaire et préservation nerveuse : A. Incision cutanée et section de l’aponévrose du muscle oblique externe. B. Exposition du muscle oblique interne et de la deuxième intersection tendineuse du muscle droit de l’abdomen. C. Le muscle oblique interne est séparé du muscle transverse et rétracté pour exposer ce dernier et l’aponévrose ainsi que les 11ème et 12ème nerfs intercostaux. D. Incision de l’aponévrose du muscle transverse de l’abdomen, du fascia transversalis et de la gaine postérieure du muscle droit de l’abdomen avec préservation des nerfs intercostaux. 564 C. Giberti et coll., Progrès en Urologie (1999), 9, 562-566 péritoine et le fascia transversalis sont alors réunis en un seul plan avec des sutures résorbables séparées et les faisceaux musculaires du transverse sont rapprochés les uns aux autres par quelques points séparés en faisant attention à protéger les nerfs intercostaux. L’aponévrose du muscle transverse et la face postérieure du muscle droit sont fermées par un surjet qui comprend le péritoine sous-jacent. Les berges du muscle droit sont rapprochées à l’aide de sutures résorbables à points séparés. Ce type de suture à l’intersection tendineuse est solide et reproductible. Les fibres du muscle oblique interne sont rapprochées à l’aide de quelques points. L’aponévrose du muscle oblique externe est ensuite suturée en commençant par la partie postérolatérale près de la crête iliaque. Le feuillet antérieur de la gaine du muscle droit de l’abdomen est alors fermé ainsi que l’incision médiane sur la ligne blanche. Figure 3A. Vue peropératoire des 11ème et 12ème nerfs inter costaux avant l’incision de l’aponévrose costaux. RESULTATS Figure 3B. Vue peropératoire des 11ème et 12ème nerfs inter costaux après l’incision de l’aponévrose entre les faisceaux musculaires préalablement fendus préservant ainsi les nerfs intercostaux. sur toute sa longueur jusqu’à la ligne semi-lunaire de Spieghel (bord interne de la partie charnue du muscle transverse), ainsi est mis en évidence le fascia transversalis déjà trouvé lors de la section précédente des fibres musculaires charnues du muscle transverse qui avait permis de protéger les nerfs inter costaux (Figures 2D, 3A et 3B). En disséquant le bord du feuillet postérieur de la gaine du muscle droit de l’abdomen, un rameau nerveux communiquant, issu du 10ème nerf intercostal et qui a un trajet longitudinal est habituellement retrouvé avec les vaisseaux anastomotiques longitudinaux (artère et veine épigastrique). Aucun des 35 patients n’a eu d’hypotonie abdominale avec un recul post-opératoire de 1 à 24 mois (moyenne 11,6 mois). Les contractions volontaires des muscles abdominaux étaient aussi efficaces du côté opéré que de l’autre côté. Cependant tous les patients avaient une hypoesthésie sur la partie inférieure de l’incision cutanée transversale sur une surface d’environ 10 par 2 à 3 cm près de l’ombilic. Cette hypoesthésie est récupérée avec le temps et disparaissait ou diminuait de plus de 50% chez la moitié des patients (20 sur 35) 5 mois après la chirurgie. L’hypoesthésie était probablement due au large décollement de la peau et des tissus souscutanés (fascia superficiel de la paroi abdominale) des aponévroses sous-jacentes et notamment de celle du muscle oblique externe avec interruption des branches sensitives terminales dérivées des rameaux cutanés antérieurs du 10ème nerf intercostal. La cicatrisation des incisions se réalise sans difficulté et la paroi est solide. Aucun de ces patients n’a eu de nécrose des berges cutanées ou d’infection pariétale. Un patient a présenté une petite hernie épigastrique sur l’incision 9 mois après la chirurgie. DISCUSSION Les approches transabdominales du rein sont nécessaires quand un abord vasculaire est indispensable notamment en cas de néphrectomie élargie ou de traumatisme du rein. Comparée aux approches thoracoabdominales elle présente l’avantage de préserver la plèvre. Les approches thoraco-abdominales antérolatérales fournissent une bonne et large exposition du rétro-péritoine et les gros vaisseaux sont abordés de façon plus aisée par des approches transabdominales sur la ligne médiane [5]. La voie d’abord de Giuliani Ce type d’incision anatomique permet une reconstruction de la paroi abdominale plus aisée et qui peut être réalisée plan par plan. Les berges supérieure et inférieure de l’incision du muscle transverse de l’abdomen sont rapprochées avec des sutures placées aux portions médianes et latérales de la gaine du muscle droit. Le 565 C. Giberti et coll., Progrès en Urologie (1999), 9, 562-566 6. HINMAN F. Jr. Atlas of Urosurgical Anatomy. Surgical anatomy of controlateral and anterior incisions. Philadelphia, W.B. Saunders, 1993,110-117. transabdominale antéro-latérale fournit un meilleur abord sous-diaphragmatique que les approches antérieures sous-costales. De plus, comparée aux incisions sous-costales antérieures [3] et aux incisions ombilicocostales, cette voie d’abord fournit une exposition aisée et d’emblée large des gros vaisseaux du diaphragme jusqu'à la bifurcation aortique [2]. ____________________ SUMMARY Giuliani’s muscle splitting and nerve sparing anterolateral transabdominal approach to kidney tumors. L’étendue et la courbe harmonieuse de l’incision n’apporte pas de risque de nécrose des berges cutanées comme peut le faire une incision en T ou une incision de Baraya ou de Quénu [4]. De fait, l’incision se répare aisément et la paroi sous-jacente est solide et fournit de belles cicatrices. Objectives : Anterolateral transabdominal incisions provide good exposure for supramesocolonic and inframesocolonic surgery. However, these incisions section and denervate the rectus abdominis, oblique and transversus abdominis muscles with marked loss of active muscle control in a large number of patients. In 1974, Giuliani described an anterolateral transb dominal approach for renal tumours, which provides good visualization and good access to the renal pedicle, as well as good exposure caudally as far as the aortic bifurcation and cranially as far as the diaphragm. The authors report a new anatomical technique using this incision, which splits the muscles and preserves the nerves thereby avoiding the abdomi nal muscle hypotonia. Cependant, l’avantage majeur de la voie d’abord de Giuliani séparant les muscles et préservant les nerfs est qu’elle élimine les déficits fonctionnels permanents. Le tonus et le contrôle actif des muscles de la paroi abdominale sont préservés et à la différence des voies d’abord antéro-latérale, sous-costale et transversale, aucune hypotonie de la paroi abdominale n’a été retrouvée. Material and Methods : From March 1996 to March 1998, Giuliani’s surgical incision was performed in 35 patients undergoing radical nephrectomy for renal cancer (24 on the left side and 11 on the right side). The mean age of the patients was 63.2 years (range : 42 to 80 years) and the mean followup was 11.6 months. Cet article a été traduit par Emmanuel Chartier-Kastler, Service d’Urologie, Hôpital de la Pitié, Paris. REFERENCES 1. BARTSCH G., POISEL S. Anterior subcostal approach. In : Approaches in Urologic Surgery. Stuttgart, Germany, 1994, 93-104. Results : Tone and active control of muscles of the abdominal wall were completely preserved in all of these 35 patients. However, all patients presented a slight sensory loss in the low portion of the transverse skin incision close to the umbilicus, which improved with time and resolved completely in about 50% of cases. 2. COUVELAIRE R., CUKIER J. Nouveau traité de technique chirurgicale. Urologie. Chapitre 2 : Chirurgie du rein. Voies d’accès au rein. Paris, Masson, 1974, tome XV, 42-66. 3. DUFOUR B., CHOQUENET Ch.La voie d’abord antérieure transpéritonéale sous costale en urologie. J. Urol. (Paris), 1981, 118, 363368. Conclusion : The mahor advantage of this anatomical incision compared to the conventional technique is to eliminate perma nent functional deficits and hypotonia of the abdominal wall. This anatomical approach also allows easy and perfectly safe wound closure in layers, by reconstructing the anterior abdo minal wall. 4. GIULIANI L., MARTORANA G. L’accesso epigastrico e sottocostale transperitoneale alle neoplasie del rene. Atti 47° Congr. Soc. It. Urol., Roma, 1974, 155-165. 5. GIULIANI L. Surgical approach to renal tumors. 17th Congr. Soc. Internat. Urol. Paris, Doin, 1976, tome 2, 129-140. Key-words : Kidney, tumor, radical nephrectomy, approach. ____________________ 566