Dyslexie développementale : principales théories

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Médecine
& enfance
Dyslexie développementale :
principales théories
SCIENCES COGNITIVES
G. Barbalat, Institute of Cognitive Neuroscience
Developmental Group, Londres
La dyslexie est une maladie neuropsychiatrique fréquente, définie par une difficulté durable d’apprentissage de la lecture et d’acquisition de son automatisme, chez des enfants intelligents, normalement scolarisés, indemnes de
troubles sensoriels et de troubles psychologiques préexistants. Trouver la ou
les causes de la dyslexie est crucial pour créer les meilleurs programmes d’intervention. Ici, nous passons en revue les principales théories de la dyslexie,
en particulier celles postulant un déficit des représentations phonologiques, de
l’attention visuo-spatiale ou des fonctions cérébelleuses. Chacune de ces
hypothèses n’explique que partiellement les multiples symptômes constatés.
Nous terminerons par une vision intégrative de ces différentes hypothèses,
suggérant que les troubles multiples dont souffre l’enfant dyslexique pourraient être secondaires à un déficit général dans l’anticipation de la survenue
des événements fréquents de l’environnement.
Rubrique dirigée par T. Gliga, Centre for Brain
and Cognitive Development, Londres
a dyslexie développementale est
une maladie neuropsychiatrique
fréquente (touchant entre 6 et
8 % des enfants français en population
scolaire), définie par une difficulté durable d’apprentissage de la lecture et
d’acquisition de son automatisme, chez
des enfants intelligents, normalement
scolarisés, indemnes de troubles sensoriels et de troubles psychologiques préexistants.
Mieux connaître la maladie pourrait
donc être d’importance cruciale pour
mieux en préciser le pronostic et définir
des bases thérapeutiques adaptées. Reste qu’il existe dans la littérature une
multitude de théories explicatives de la
dyslexie, diversité autant liée au fait
que la dyslexie a sans doute plusieurs
causes distinctes qu’à l’hétérogénéité
symptomatologique de la maladie, qui
inclut de nombreux symptômes autres
que le trouble de lecture, en particulier
des troubles de type phonologique, auditif, visuo-spatial ou moteur. Dans cet
article, nous proposons de répertorier et
de critiquer les principales théories explicatives de la dyslexie, avant de présenter une vue intégrative de ces différentes hypothèses.
L
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FORMES CLINIQUES
ET PRINCIPAUX
SYMPTÔMES
DE LA DYSLEXIE
D’après le modèle dit double-voie, les
lecteurs experts utilisent deux procédures pour lire : la voie lexicale (ou
d’adressage) et la voie sublexicale (ou
d’assemblage) [1]. La procédure lexicale
implique la récupération d’une représentation phonologique associée à un
mot écrit dans le lexique mental. En revanche, la voie sublexicale utilise les
règles de conversion graphèmes-phonèmes permettant la correspondance
entre unités orthographiques et phonologiques (voir encadré).
Deux types de dyslexie sont ainsi classiquement distingués [2]. La dyslexie phonologique se définit par un trouble de la
voie d’assemblage, qui a pour conséquence des difficultés dans l’apprentissage des
règles de conversion graphèmes-phonèmes. Les enfants présentant une dyslexie phonologique parviennent à lire les
mots familiers, mais ont d’importantes
difficultés pour les pseudo-mots (des
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mots qui n’existent pas et qu’on leur demande de lire comme ils se prononcent).
Ils présentent des déficits en conscience
phonologique, c’est-à-dire pour manipuler et segmenter les phonèmes.
Les dyslexiques de surface montrent
quant à eux une détérioration de la voie
lexicale. Ils sont capables de lire les
mots réguliers ou les pseudo-mots, mais
présentent de grandes difficultés pour
les mots irréguliers (des mots qui ne se
lisent pas comme ils se prononcent,
comme « femme » ou « monsieur »). Ils
souffrent d’une forte dysorthographie,
accompagnée, à l’inverse des dyslexiques phonologiques, de nombreuses
erreurs phonologiquement plausibles
(ils écrivent les mots comme ils se prononcent). Souvent, leurs troubles sont
interprétés comme des déficits d’allure
visuo-attentionnelle.
Enfin, il faut noter que le modèle doublevoie s’applique bien au lecteur expert,
qui utilise vraisemblablement de manière prédominante la voie lexicale pour lire, alors que la voie sublexicale lui est
utile pour déchiffrer des mots qu’il ne
connaît pas (lors de l’apprentissage
d’une nouvelle langue par exemple). En
revanche, bien que toujours très utilisé
en France pour catégoriser les deux
types de dyslexie sus-cités, ce modèle est
relativement moins pertinent chez l’enfant encore en phase d’apprentissage de
la lecture (chez qui les deux voies de lecture se développent vraisemblablement
en interaction). De fait, peu d’enfants
dyslexiques entrent dans le cadre décrit
ci-dessus : les formes mixtes représentent plus de 60 % des cas.
LA THÉORIE
PHONOLOGIQUE
Le fondement de la théorie phonologique est que la lecture est une activité
qui concerne principalement le langage
et que la langue écrite dépend crucialement du langage oral. La théorie phonologique repose sur le fait que les performances en lecture du dyslexique
chutent drastiquement par rapport à la
population générale lorsqu’il doit déco-
DÉFINITIONS
Phonème : la plus petite unité phonétique dans une langue susceptible de donner un sens
différent aux mots. Par exemple, /ch/ dans le mot chien versus /b/ dans le mot bien.
Graphème : analogue écrit du phonème. Il s’agit de la ou des lettres susceptibles de repré-
senter graphiquement un phonème.
Conscience phonologique : elle peut être définie comme l’aptitude à percevoir et se repré-
senter la langue orale comme une séquence d’unités ou de segments tels que la syllabe, la rime, le phonème (définition issue du laboratoire Cogni-sciences et apprentissages, IUFM de
Grenoble). Elle est évaluée par des tests tels que suppression de phonèmes initiaux (enlever
le premier son d’un mot et dire ce qu’il reste ; ex. « marteau » donne « arteau »), suppression
de phonèmes finaux (enlever le dernier son d’un mot et dire ce qu’il reste ; ex. « marteau »
donne « marte »), acronymies (ou test de fusion de phonèmes : prendre le premier son de
deux mots et les fusionner comme dans « bonne année », ce qui donne « ba ») ou test de rimes
(est-ce que « bateau » et « chiot » riment ?).
Mémoire à court terme phonologique : elle correspond à la rétention temporaire de l’information auditive en cours de traitement. Sa fonction est de permettre un stockage temporel
et en même temps d’effectuer un certain nombre de traitements dits on-line (on parle alors
de mémoire de travail). La mémoire à court terme est évaluée par la répétition de suites de
chiffres à l’endroit (mémoire à court terme) ou à l’envers, cette dernière impliquant des capacités de manipulation en plus de capacités de rétention (mémoire de travail).
Accès au lexique oral : il se mesure par des tests de dénomination automatique rapide ; on
montre par exemple une planche contenant des objets (chapeaux, ciseaux…) et on demande
au sujet de nommer ces objets le plus rapidement possible mais sans faire d’erreurs.
der des mots rares ou des mots qui
n’existent pas (des pseudo-mots), c’està-dire dans les deux cas lorsqu’il lui est
impossible d’utiliser la voie lexicale.
Plus spécifiquement, l’hypothèse phonologique relie les difficultés de lecture
des enfants dyslexiques à des troubles
de la conscience phonologique et de la
mémoire à court terme phonologique
(voir encadré), perturbations qui sont le
témoin d’un trouble de la voie d’assemblage. Dans la lecture, la conscience
phonologique est en effet mise en jeu
lors de la mise en correspondance des
graphèmes avec les phonèmes, tandis
que la mémoire de travail phonologique
est mise en jeu lors de l’assemblage des
unités résultant de cette conversion,
permettant ultérieurement l’accès aux
mots. Ces deux processus interviennent
donc en interaction. Selon l’hypothèse
phonologique, pour lire le mot « chapeau », il faut ainsi identifier les différents phonèmes (/ch/ /a/ /p/ /o/) et
les garder en mémoire avant de les assembler pour que le mot puisse être entièrement lu. Un troisième déficit a enfin été plus récemment constaté chez le
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dyslexique, celui de l’accès au lexique
oral (voir encadré), qui explique par luimême une part unique de la variance en
lecture.
La théorie phonologique est particulièrement robuste : les capacités phonologiques expliquent non seulement les
performances en lecture des dyslexiques [3], mais encore prédisent l’apparition de la maladie chez l’enfant plus
jeune (c’est-à-dire avant la scolarisation), ce qui a été mis en évidence par
des études longitudinales [4] . Par
ailleurs, ce déficit a été également observé chez des enfants dyslexiques appariés à des enfants plus jeunes mais de
même niveau de lecture, ce qui souligne
l’origine développementale du trouble
phonologique [5].
Les aires cérébrales dysfonctionnelles en
rapport avec le trouble phonologique
chez le dyslexique sont principalement
situées au niveau de la jonction temporo-occipitale gauche (qui serait impliquée dans le déchiffrage des mots
écrits), la jonction temporo-pariétale
gauche (qui serait impliquée dans le processus de conversion graphème-phonè-
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Activations cérébrales (hémisphère gauche) chez des enfants sains (à gauche) et
dyslexiques (à droite) en train de réaliser une tâche phonologique (jugement de rimes,
voir [27]). Rouge : régions périsylviennes. Bleu : jonction temporo-pariétale. Ces deux
régions sont hypoactivées dans la dyslexie (tiré de [28])
me) et l’aire de Broca (impliquée dans la
production du langage, même si une hyperactivation de cette région a été parfois constatée chez les patients, pouvant
signer une compensation des hypoactivations des régions plus postérieures)
(voir figure). Des mécanismes de compensation ont aussi été invoqués devant des
hyperactivations au niveau du cortex périsylvien droit [6]. Il est par ailleurs intéressant de noter qu’après dissection du
cortex cérébral de sujets atteints de dyslexie, il a été principalement observé des
anomalies micro-structurales (ectopies
et dysplasies) du cortex périsylvien, suggérant des perturbations de la migration
et de la maturation neuronale dans des
aires cérébrales cruciales pour un traitement adéquat des représentations phonologiques [7]. De même, les principaux
gènes candidats pour la dyslexie sont
précisément impliqués dans la migration
des neurones au cours du développement cérébral [8].
Cependant, si bon nombre d’auteurs
s’accordent à dire qu’un déficit de nature phonologique peut expliquer le
trouble de lecture, il reste encore à savoir si ce déficit phonologique est primaire ou secondaire à d’autres déficits,
sensoriels, moteurs ou cognitifs. Nous
exposerons deux hypothèses susceptibles de rendre compte, à un niveau
plus distal, de l’hypothèse phonologique : l’hypothèse du traitement audi-
tif temporel et celle de la discrimination
des phonèmes.
L’hypothèse auditive postule que le déficit phonologique serait le résultat d’un
trouble dans le traitement des stimulus
brefs et de transition temporelle rapide
dans la modalité auditive, deux caractéristiques qui sont précisément observées dans les sons produits par la parole
humaine [9]. Ce déficit pourrait ainsi expliquer la confusion souvent réalisée
par les dyslexiques entre des phonèmes
acoustiquement proches, en particulier
les paires telles que [t-d] ou [ch-j]. Cependant, cette hypothèse a été très largement critiquée, d’abord parce que de
tels troubles n’ont été retrouvés que
chez une faible proportion de sujets
dyslexiques, ensuite parce que ces
troubles ne semblent pas uniquement
liés à la rapidité de la succession des stimulus (mais aussi par exemple à leur
nature, des déficits n’étant pas observés
lorsque les paires de phonèmes sont
plus faciles à discriminer), enfin parce
qu’ils n’expliquent qu’une très faible
partie de la variance des troubles de lecture des dyslexiques [3].
Une autre hypothèse permettant d’expliquer le déficit phonologique du dyslexique serait qu’il présenterait des difficultés dans la discrimination des phonèmes [10]. Le répertoire des phonèmes
diffère d’une langue à l’autre (on parle
de catégorisation phonémique) ; ainsi,
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/b/ et /v/ sont deux phonèmes différents en français, qui permettent de distinguer « bol » de « vol », mais pas en espagnol (exemples issus de [11]). Il a été
observé que les frontières catégorielles
sont beaucoup plus floues chez les dyslexiques, ce qui pourrait rendre compte
de leurs difficultés à la fois dans le processus de conversion graphème-phonème et dans l’accès au lexique [10]. En revanche, /r/ simple et /r/ roulé sont
deux phonèmes différents en espagnol –
permettant de distinguer « pero »
(« mais ») de « perro » (« chien ») – alors
qu’en français, ces deux /r/ ne sont que
des variantes dialectales, dont la différenciation catégorielle est inutile pour
traiter la langue (exemples issus de [11]).
Ces variantes catégorielles d’un même
phonème non pertinentes pour la
langue sont appelées allophones. Dans
ce registre, il a été observé que les dyslexiques présentaient une meilleure perception allophonique que les sujets
sains. Leurs difficultés en mémoire de
travail phonologique pourraient ainsi
être expliquées par cet élargissement du
répertoire phonologique, qui aurait une
incidence sur la charge en mémoire de
travail [10]. Un tel trouble dans la discrimination des phonèmes pourrait donc
rendre compte de l’intégralité des
troubles phonologiques constatés chez
le dyslexique, sous-entendant que le déficit primaire pourrait se situer dans la
qualité des représentations phonologiques. Cependant, pour séduisante
qu’elle soit, cette hypothèse a été invalidée par une récente étude montrant que
le déficit phonologique du dyslexique
n’était observé que dans certaines conditions expérimentales, mettant en jeu par
exemple la charge en mémoire de travail ou un certain nombre de contraintes
temporelles [12]. Il n’est ainsi généralement pas problématique pour un dyslexique de répéter des non-mots uni- ou
bi-syllabiques, alors qu’un trouble apparaît pour des mots tri- ou quadri-syllabiques, c’est-à-dire dans les plus rares
conditions où la charge en mémoire de
travail est plus importante. De fait, les
dyslexiques pourraient ne pas souffrir
d’un déficit qualitatif de leurs représen-
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tations phonologiques (sinon la répétition de pseudo-mots aurait été affectée
pour les pseudo-mots uni-syllabiques),
mais plutôt d’un trouble dans l’accès ou
la récupération des représentations phonologiques, qui sont nécessairement davantage mis en jeu lorsque la tâche est
contraignante.
LES THÉORIES
VISUO-ATTENTIONNELLES
Puisque la lecture est une activité visuelle, il est logique que certains chercheurs aient fait l’hypothèse que des
perturbations d’ordre visuel soient à
l’origine des troubles dyslexiques. De
fait, les enfants dyslexiques se plaignent
souvent de voir les lettres des mots se
chevaucher et s’inverser lorsqu’ils lisent. Principalement, deux hypothèses
ont été explorées.
Tout d’abord, parce que certaines
études ont démontré que les dyslexiques souffraient d’un trouble de la
sensibilité aux faibles fréquences spatiales
et aux hautes fréquences temporelles ainsi que d’une sensibilité réduite aux
points en mouvement, il a été évoqué
qu’une atteinte du système visuel magnocellulaire (situé au niveau du corps
genouillé latéral du thalamus) pouvait
être à l’origine des troubles dyslexiques
[13]. Cette hypothèse s’est d’ailleurs élargie au système auditif (trouble amodal
des systèmes magnocellulaires), le déficit auditif magnocellulaire rejoignant le
trouble auditif temporel décrit dans le
chapitre précédent [14]. Cependant, cette théorie n’a pas été vérifiée par
d’autres études. Le trouble magnocellulaire pourrait en fait ne se manifester
que pour certains dyslexiques et dans
des conditions expérimentales particulières, par exemple lorsque les demandes en attention visuelle sont importantes (cela en dehors de tout déficit
attentionnel généralisé comme chez le
patient atteint d’un trouble de déficit de
l’attention avec hyperactivité) [15].
Il a ainsi été évoqué que des difficultés
de focalisation attentionnelle et de
désengagement attentionnel, ou encore
des problèmes de mini-négligence
gauche pouvaient être observés chez le
dyslexique [16]. Le principal écueil de
ces études est que ces troubles ont été
constatés en plus du déficit phonologique et qu’ils ne sauraient totalement
rendre compte du trouble de lecture [3].
De manière plus convaincante, d’autres
auteurs ont observé un déficit de l’empan
visuo-attentionnel (le nombre de lettres
pouvant être traitées simultanément au
sein d’une séquence de mot) en dehors
de toute atteinte phonologique, déficit
qui pourrait être responsable des
troubles de lecture de mots irréguliers et
serait de fait susceptible de rendre
compte de la dyslexie de surface [17]. Des
dysfonctions au niveau du cortex pariétal pourraient être à l’origine de ces
troubles de l’attention visuelle spatiale
[15]. Il semblerait enfin que les performances dans les tâches visuo-attentionnelles puissent être de bons indices du
niveau de lecture du sujet, que les enfants ayant des troubles du registre visuo-attentionnel avant l’apprentissage
de la lecture soient davantage à risque
d’être dyslexiques, et enfin qu’un entraînement intensif à des tâches de saccades
visuelles améliore les habiletés en lecture [15]. Le déficit primaire de la maladie
pourrait même être, selon certains auteurs, d’ordre visuo-attentionnel plutôt
que phonologique, les troubles phonologiques n’étant dans ce cas que la conséquence de mauvais inputs orthographiques au sein des régions cérébrales
en charge des correspondances graphèmes-phonèmes [15]. D’autres études
devront toutefois être menées afin de
confirmer cette hypothèse prometteuse.
L’HYPOTHÈSE
CÉRÉBELLEUSE
Cette hypothèse est née de la constatation de certains troubles de nature séquentielle et temporelle chez les dyslexiques (dire l’heure, se rappeler les
mois de l’année), ainsi que de troubles
de la coordination motrice et de l’équilibre, ces troubles évoquant de fait une
dysfonction du cervelet [18]. Une étude
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récente a d’ailleurs démontré que des
lésions au sein du cortex cérébelleux
droit seraient le meilleur biomarqueur
de la dyslexie, malgré un pattern de régions cérébrales particulièrement varié
selon les différents phénotypes de la
maladie [19].
Le cervelet pourrait donc affecter la lecture de deux manières. Il pourrait
d’abord être impliqué dans les phénomènes d’automatisation des tâches procédurales. Les sujets dyslexiques seraient ainsi incapables d’extraire la
structure probabiliste (ou grammaire)
de l’environnement sensoriel afin de faciliter et accélérer leurs prises de décision perceptuelles et, de fait, d’automatiser la lecture. Des études d’imagerie
fonctionnelle ont d’ailleurs démontré
des hypoactivations de cette région du
cerveau non seulement lors de tâches
purement motrices (apprentissage
d’une série de mouvements de doigts),
mais encore lors de tâches d’apprentissage implicite de régularités (où l’on
mesure les capacités du sujet à retrouver implicitement des séquences de stimulus) [20, 21].
D’autre part, le cervelet pourrait influer
sur les capacités de lecture via les habiletés motrices d’articulation qu’il confère aux sujets, relié en cela à la théorie
phonologique de la dyslexie [18]. Cependant, l’hypothèse cérébelleuse est aujourd’hui largement critiquée : beaucoup de dyslexiques n’ont pas de
troubles moteurs ou d’automatisation
pouvant refléter des perturbations du
cervelet, et il a même été évoqué que
ces troubles puissent aussi bien être reliés à la comorbidité avec l’hyperactivité
ou la dyspraxie [22]. Cela étant, les arguments sont suffisamment nombreux
pour inclure le cervelet dans les aires
cérébrales susceptibles d’être dysfonctionnelles dans la dyslexie.
VISION INTÉGRATIVE
DES DIFFÉRENTES
HYPOTHÈSES
Il est aujourd’hui largement admis
qu’au moins un certain nombre d’en-
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fants dyslexiques souffrent d’un déficit
cognitif spécifique relié à la phonologie.
Cependant, la théorie phonologique ne
peut a priori pas rendre compte des manifestations comorbides dans les modalités visuelles, auditives ou motrices, inconstantes et subtiles, qui ont aussi été
rapportées dans le tableau clinique de
la maladie. Deux approches ont alors
tenté de modéliser parcimonieusement
l’ensemble des symptômes observés.
Une première approche a consisté à intégrer ces anomalies diverses des processus sensorimoteurs dans la physiopathologie même du trouble, remettant en
cause la théorie phonologique comme
primum movens de la dyslexie. Ainsi, la
théorie du traitement auditif temporel a
fait l’hypothèse d’un déficit sélectif de la
discrimination des événements brefs
dans la modalité auditive [9], alors que
les théories visuelles ont présumé qu’un
déficit des traitements visuels en dehors
de toute atteinte sensorielle (atteinte de
la voie magnocellulaire du thalamus,
par exemple [14]) pouvait être à l’origine
des troubles de lecture, et la théorie cérébelleuse a postulé un défaut d’automatisation des procédures d’apprentissage [18]. Malheureusement, aucune de
ces théories n’a pu être validée par l’expérience. En effet, les troubles visuels,
auditifs ou cérébelleux, lorsqu’ils sont
présents, n’expliquent en pratique ni le
trouble phonologique, ni le trouble de
lecture, et ne pourraient donc pas être
responsables de la dyslexie [3].
Plus récemment, une autre approche a
proposé que ces troubles divers des habiletés sensorimotrices soient considérés comme satellites du trouble phonologique. Lors de la vie intra-utérine, les
anomalies périsylviennes gauches responsables du trouble phonologique
pourraient s’accompagner, sous la dépendance de facteurs environnementaux (conditions hormonales particulières par exemple), d’anomalies au niveau des régions thalamiques, responsables en aval de dysfonctionnements
du cortex pariétal postérieur et du cervelet. Ce modèle pourrait donc expliquer la présence chez certains sujets de
troubles sensorimoteurs et attention-
nels en plus du déficit de lecture [23].
Cependant, à ce jour, ce modèle n’a encore jamais été testé expérimentalement et reste donc non vérifié.
Par ailleurs, les troubles phonologiques
ne pourraient être constatés que chez
une partie seulement des sujets dyslexiques. Là encore, deux possibilités
sont à entrevoir. Soit les tests phonologiques ne sont pas assez puissants pour démasquer des troubles phonologiques
chez des enfants porteurs de troubles de
lecture. Soit il existe, en dehors de toute
atteinte phonologique, un autre déficit à
l’origine du trouble de lecture (comme
un déficit de l’empan visuo-attentionnel), déficit qui pourrait rendre compte
d’une autre forme clinique de la dyslexie : la dyslexie de surface [17]. A ce
jour, les recherches vont plutôt dans le
sens de cette hypothèse, même si cette
question est encore largement débattue.
Au total, aucune hypothèse n’a pu
rendre compte de l’intégralité des
symptômes de la dyslexie, chacune
n’expliquant que partiellement les tableaux cliniques constatés et s’appuyant
sur des observations dans des conditions expérimentales très spécifiques ou
dans des populations d’enfants dyslexiques hétérogènes mal identifiées.
Un modèle précis justifiant des liens
entre les déficits neurosensoriels et le
trouble de lecture n’a donc jamais été
clairement démontré.
Des études récentes suggèrent cependant que l’ensemble des manifestations
de la dyslexie pourrait être la conséquence d’un trouble de perception catégorielle des stimulus lorsque ceux-ci
surviennent séquentiellement [24] :
첸 dans le domaine phonologique, le
dyslexique serait incapable de s’appuyer sur la distribution des unités du
discours pour prédire la combinaison
phonémique des mots qu’il lit, d’où un
apprentissage de la lecture difficile [25] ;
첸 dans les domaines visuels et auditifs,
des expériences suggèrent que, plutôt
qu’un dysfonctionnement spécifique du
système magnocellulaire, les difficultés
rencontrées par le dyslexique pourraient
être secondaires à son incapacité à améliorer la perception catégorielle des siseptembre 2010
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gnaux lorsque ceux-ci sont présentés au
sein d’un environnement bruité [26] ;
첸 enfin, comme énoncé dans le passage
sur la théorie cérébelleuse, les troubles
moteurs constatés dans la dyslexie
pourraient dépendre directement de
difficultés dans l’apprentissage implicite
de séquences motrices, l’automatisation
de tâches procédurales étant ainsi rendue impossible [21].
Ces constatations ont récemment amené certains auteurs à faire l’hypothèse
d’un trouble dans la dynamique perceptuelle des stimulus dans la dyslexie [24].
Plus spécifiquement, chez les sujets non
atteints, il existerait une certaine habileté à « s’ancrer » rapidement et automatiquement aux stimulations de l’environnement afin d’anticiper leur prochaine survenue. Après une première
confrontation à un phonème, son identification lors d’une apparition ultérieure serait ainsi plus aisée. Ainsi, un phonème pertinent pour l’enfant (c’est-à-dire apparaissant fréquemment dans sa
langue) sera d’autant plus facilement
reconnu. Par extension, tous les phonèmes pertinents, c’est-à-dire tous les
phonèmes utiles à la lecture, seront aussi plus facilement reconnus par l’enfant,
ce qui de fait facilitera naturellement
l’automatisation de la lecture. En revanche, les individus souffrant de dyslexie seraient dans l’impossibilité de bénéficier de l’effet de ces répétitions, ce
qui aurait pour résultat une incapacité à
restreindre le champ des phonèmes pertinents pour la lecture et par conséquent un défaut de son automatisation.
Un tel déficit, généralisé à d’autres domaines, pourrait aussi expliquer certains troubles sensorimoteurs ou attentionnels constatés chez le dyslexique,
qui tiendraient donc à son impossibilité
à diminuer l’influence des stimulus non
pertinents (c’est-à-dire l’influence du
bruit) pour faciliter ses prises de décision perceptuelles.
첸
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DIPLÔME D’ÉTABLISSEMENT - ANNÉE 2010-2011
« Santé publique et médecine de l’enfant : droit, éthique et bonnes pratiques »
Objectifs généraux
Ce parcours a pour ambition de réunir dans un même cadre de formation médecins libéraux et médecins salariés concernés par les
problématiques de santé relevant d’une approche nécessairement transversale et globale. Le but de la formation est de faire émerger
des pratiques innovantes de coordination entre soins de ville, prévention en milieu scolaire, prise en charge hospitalière, protection
maternelle et infantile, promotion de la santé… Il se décline en trois objectifs complémentaires :
• appréhender la transversalité des problématiques de santé par des apports pluridisciplinaires (démographie, sociologie,
épidémiologie, droit, cognisciences…) ;
• analyser les situations rencontrées et la diversité des pratiques afin de repérer les mises en synergie possibles entre les différents
modes d’exercice ;
• repérer et analyser les logiques des acteurs et des institutions concernés afin de situer sa propre fonction de soins et/ou de
prévention dans une vision plus globale de la politique de santé.
Organisation
• Formation continue : formation agréée DPC/FMC, n° 100 240.
• 10 modules, soit 2 jours par mois à Paris ou Rennes, de septembre 2010 à juin 2011.
• Responsable pédagogique : Josiane Carvalho, médecin de santé publique, chargée de mission EHESP.
• Modalités pédagogiques : conférences de haut niveau, tables rondes, ateliers d’analyse des pratiques, documents préparatoires…
• Validation du DE : suivi des 10 modules, rédaction et soutenance d’une étude professionnelle.
Comité de pilotage scientifique du DE
Claire Brisset, première défenseure des enfants, médiatrice à la Ville de Paris ; Claire Maitrot, médecin conseiller, académie de Rennes,
chargée d’enseignement à l’EHESP ; Michel Manciaux, professeur émérite de santé publique et de pédiatrie sociale, Nancy ; Danièle
Sommelet, professeur de pédiatrie, ex-présidente de la Société française de pédiatrie, Nancy. Experts associés : Brigitte Feuillet,
professeure de droit, université de Rennes 1, membre de l’Institut universitaire de France ; Philippe Jeammet, pédopsychiatre,
professeur de psychiatrie, Paris VI, Institut mutualiste Montsouris ; Pierre Le Coz, philosophe, vice-président du Comité consultatif
national d’éthique.
Public concerné
Médecin libéral, praticien hospitalier, médecin territorial, de l’Education nationale, conseiller Jeunesse et sport, médecin de prévention
des CPAM, des CRES et CODES, médecin en établissements sociaux et médico-sociaux, en milieu carcéral…
Dates et programme des modules sur http://formation-continue.ehesp.fr/ certificat/37
septembre 2010
page 354
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