SCIENCES COGNITIVES
Médecine
& enfance
La dyslexie développementale est
une maladie neuropsychiatrique
fréquente (touchant entre 6 et
8 % des enfants français en population
scolaire), définie par une difficulté du-
rable d’apprentissage de la lecture et
d’acquisition de son automatisme, chez
des enfants intelligents, normalement
scolarisés, indemnes de troubles senso-
riels et de troubles psychologiques pré-
existants.
Mieux connaître la maladie pourrait
donc être d’importance cruciale pour
mieux en préciser le pronostic et définir
des bases thérapeutiques adaptées. Res-
te qu’il existe dans la littérature une
multitude de théories explicatives de la
dyslexie, diversité autant liée au fait
que la dyslexie a sans doute plusieurs
causes distinctes qu’à l’hétérogénéité
symptomatologique de la maladie, qui
inclut de nombreux symptômes autres
que le trouble de lecture, en particulier
des troubles de type phonologique, au-
ditif, visuo-spatial ou moteur. Dans cet
article, nous proposons de répertorier et
de critiquer les principales théories ex-
plicatives de la dyslexie, avant de pré-
senter une vue intégrative de ces diffé-
rentes hypothèses.
FORMES CLINIQUES
ET PRINCIPAUX
SYMPTÔMES
DE LA DYSLEXIE
D’après le modèle dit double-voie, les
lecteurs experts utilisent deux procé-
dures pour lire : la voie lexicale (ou
d’adressage) et la voie sublexicale (ou
d’assemblage) [1]. La procédure lexicale
implique la récupération d’une repré-
sentation phonologique associée à un
mot écrit dans le lexique mental. En re-
vanche, la voie sublexicale utilise les
règles de conversion graphèmes-pho-
nèmes permettant la correspondance
entre unités orthographiques et phono-
logiques (voir encadré).
Deux types de dyslexie sont ainsi classi-
quement distingués [2]. La dyslexie pho-
nologique se définit par un trouble de la
voie d’assemblage, qui a pour conséquen-
ce des difficultés dans l’apprentissage des
règles de conversion graphèmes-pho-
nèmes. Les enfants présentant une dys-
lexie phonologique parviennent à lire les
mots familiers, mais ont d’importantes
difficultés pour les pseudo-mots (des
La dyslexie est une maladie neuropsychiatrique fréquente, définie par une diffi-
culté durable d’apprentissage de la lecture et d’acquisition de son automa -
tisme, chez des enfants intelligents, normalement scolarisés, indemnes de
troubles sensoriels et de troubles psychologiques préexistants. Trouver la ou
les causes de la dyslexie est crucial pour créer les meilleurs programmes d’in-
tervention. Ici, nous passons en revue les principales théories de la dyslexie,
en particulier celles postulant un déficit des représentations phonologiques, de
l’attention visuo-spatiale ou des fonctions cérébelleuses. Chacune de ces
hypo thèses n’explique que partiellement les multiples symptômes constatés.
Nous terminerons par une vision intégrative de ces différentes hypothèses,
suggérant que les troubles multiples dont souffre l’enfant dyslexique pour-
raient être secondaires à un déficit général dans l’anticipation de la survenue
des événements fréquents de l’environnement.
Rubrique dirigée par T. Gliga, Centre for Brain
and Cognitive Development, Londres
Dyslexie développementale :
principales théories
G. Barbalat, Institute of Cognitive Neuroscience
Developmental Group, Londres
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mots qui n’existent pas et qu’on leur de-
mande de lire comme ils se prononcent).
Ils présentent des déficits en conscience
phonologique, c’est-à-dire pour manipu-
ler et segmenter les phonèmes.
Les dyslexiques de surface montrent
quant à eux une détérioration de la voie
lexicale. Ils sont capables de lire les
mots réguliers ou les pseudo-mots, mais
présentent de grandes difficultés pour
les mots irréguliers (des mots qui ne se
lisent pas comme ils se prononcent,
comme « femme » ou « monsieur »). Ils
souffrent d’une forte dysorthographie,
accompagnée, à l’inverse des dys-
lexiques phonologiques, de nombreuses
erreurs phonologiquement plausibles
(ils écrivent les mots comme ils se pro-
noncent). Souvent, leurs troubles sont
interprétés comme des déficits d’allure
visuo-attentionnelle.
Enfin, il faut noter que le modèle double-
voie s’applique bien au lecteur expert,
qui utilise vraisemblablement de maniè-
re prédominante la voie lexicale pour li-
re, alors que la voie sublexicale lui est
utile pour déchiffrer des mots qu’il ne
connaît pas (lors de l’apprentissage
d’une nouvelle langue par exemple). En
revanche, bien que toujours très utilisé
en France pour catégoriser les deux
types de dyslexie sus-cités, ce modèle est
relativement moins pertinent chez l’en-
fant encore en phase d’apprentissage de
la lecture (chez qui les deux voies de lec-
ture se développent vraisemblablement
en interaction). De fait, peu d’enfants
dyslexiques entrent dans le cadre décrit
ci-dessus : les formes mixtes représen-
tent plus de 60 % des cas.
LA THÉORIE
PHONOLOGIQUE
Le fondement de la théorie phonolo-
gique est que la lecture est une activité
qui concerne principalement le langage
et que la langue écrite dépend cruciale-
ment du langage oral. La théorie pho-
nologique repose sur le fait que les per-
formances en lecture du dyslexique
chutent drastiquement par rapport à la
population générale lorsqu’il doit déco-
der des mots rares ou des mots qui
n’existent pas (des pseudo-mots), c’est-
à-dire dans les deux cas lorsqu’il lui est
impossible d’utiliser la voie lexicale.
Plus spécifiquement, l’hypothèse pho-
nologique relie les difficultés de lecture
des enfants dyslexiques à des troubles
de la conscience phonologique et de la
mémoire à court terme phonologique
(voir encadré), perturbations qui sont le
témoin d’un trouble de la voie d’assem-
blage. Dans la lecture, la conscience
phonologique est en effet mise en jeu
lors de la mise en correspondance des
graphèmes avec les phonèmes, tandis
que la mémoire de travail phonologique
est mise en jeu lors de l’assemblage des
unités résultant de cette conversion,
permettant ultérieurement l’accès aux
mots. Ces deux processus interviennent
donc en interaction. Selon l’hypothèse
phonologique, pour lire le mot « cha-
peau », il faut ainsi identifier les diffé-
rents phonèmes (/ch/ /a/ /p/ /o/) et
les garder en mémoire avant de les as-
sembler pour que le mot puisse être en-
tièrement lu. Un troisième déficit a en-
fin été plus récemment constaté chez le
dyslexique, celui de l’accès au lexique
oral (voir encadré), qui explique par lui-
même une part unique de la variance en
lecture.
La théorie phonologique est particuliè-
rement robuste : les capacités phonolo-
giques expliquent non seulement les
performances en lecture des dys-
lexiques [3], mais encore prédisent l’ap-
parition de la maladie chez l’enfant plus
jeune (c’est-à-dire avant la scolarisa-
tion), ce qui a été mis en évidence par
des études longitudinales [4]. Par
ailleurs, ce déficit a été également ob-
servé chez des enfants dyslexiques ap-
pariés à des enfants plus jeunes mais de
même niveau de lecture, ce qui souligne
l’origine développementale du trouble
phonologique [5].
Les aires cérébrales dysfonctionnelles en
rapport avec le trouble phonologique
chez le dyslexique sont principalement
situées au niveau de la jonction tempo-
ro-occipitale gauche (qui serait impli-
quée dans le déchiffrage des mots
écrits), la jonction temporo-pariétale
gauche (qui serait impliquée dans le pro-
cessus de conversion graphème-phonè-
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DÉFINITIONS
Phonème :
la plus petite unité phonétique dans une langue susceptible de donner un sens
différent aux mots. Par exemple, /ch/ dans le mot chien versus /b/ dans le mot bien.
Graphème :
analogue écrit du phonème. Il s’agit de la ou des lettres susceptibles de repré-
senter graphiquement un phonème.
Conscience phonologique :
elle peut être définie comme l’aptitude à percevoir et se repré-
senter la langue orale comme une séquence d’unités ou de segments tels que la syllabe, la ri-
me, le phonème (définition issue du laboratoire Cogni-sciences et apprentissages, IUFM de
Grenoble). Elle est évaluée par des tests tels que suppression de phonèmes initiaux (enlever
le premier son d’un mot et dire ce qu’il reste ; ex. « marteau » donne « arteau »), suppression
de phonèmes finaux (enlever le dernier son d’un mot et dire ce qu’il reste ; ex. « marteau »
donne « marte »), acronymies (ou test de fusion de phonèmes : prendre le premier son de
deux mots et les fusionner comme dans « bonne année », ce qui donne « ba ») ou test de rimes
(est-ce que « bateau » et « chiot » riment ?).
Mémoire à court terme phonologique :
elle correspond à la rétention temporaire de l’in-
formation auditive en cours de traitement. Sa fonction est de permettre un stockage temporel
et en même temps d’effectuer un certain nombre de traitements dits on-line (on parle alors
de mémoire de travail). La mémoire à court terme est évaluée par la répétition de suites de
chiffres à l’endroit (mémoire à court terme) ou à l’envers, cette dernière impliquant des capa-
cités de manipulation en plus de capacités de rétention (mémoire de travail).
Accès au lexique oral :
il se mesure par des tests de dénomination automatique rapide ; on
montre par exemple une planche contenant des objets (chapeaux, ciseaux…) et on demande
au sujet de nommer ces objets le plus rapidement possible mais sans faire d’erreurs.
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me) et l’aire de Broca (impliquée dans la
production du langage, même si une hy-
peractivation de cette région a été par-
fois constatée chez les patients, pouvant
signer une compensation des hypoacti-
vations des régions plus postérieures)
(voir figure). Des mécanismes de compen-
sation ont aussi été invoqués devant des
hyperactivations au niveau du cortex pé-
risylvien droit [6]. Il est par ailleurs inté-
ressant de noter qu’après dissection du
cortex cérébral de sujets atteints de dys-
lexie, il a été principalement observé des
anomalies micro-structurales (ectopies
et dysplasies) du cortex périsylvien, sug-
gérant des perturbations de la migration
et de la maturation neuronale dans des
aires cérébrales cruciales pour un traite-
ment adéquat des représentations pho-
nologiques [7]. De même, les principaux
gènes candidats pour la dyslexie sont
précisément impliqués dans la migration
des neurones au cours du développe-
ment cérébral [8].
Cependant, si bon nombre d’auteurs
s’accordent à dire qu’un déficit de natu-
re phonologique peut expliquer le
trouble de lecture, il reste encore à sa-
voir si ce déficit phonologique est pri-
maire ou secondaire à d’autres déficits,
sensoriels, moteurs ou cognitifs. Nous
exposerons deux hypothèses suscep-
tibles de rendre compte, à un niveau
plus distal, de l’hypothèse phonolo-
gique : l’hypothèse du traitement audi-
tif temporel et celle de la discrimination
des phonèmes.
L’hypothèse auditive postule que le dé-
ficit phonologique serait le résultat d’un
trouble dans le traitement des stimulus
brefs et de transition temporelle rapide
dans la modalité auditive, deux caracté-
ristiques qui sont précisément obser-
vées dans les sons produits par la parole
humaine [9]. Ce déficit pourrait ainsi ex-
pliquer la confusion souvent réalisée
par les dyslexiques entre des phonèmes
acoustiquement proches, en particulier
les paires telles que [t-d] ou [ch-j]. Ce-
pendant, cette hypothèse a été très lar-
gement critiquée, d’abord parce que de
tels troubles n’ont été retrouvés que
chez une faible proportion de sujets
dyslexiques, ensuite parce que ces
troubles ne semblent pas uniquement
liés à la rapidité de la succession des sti-
mulus (mais aussi par exemple à leur
nature, des déficits n’étant pas observés
lorsque les paires de phonèmes sont
plus faciles à discriminer), enfin parce
qu’ils n’expliquent qu’une très faible
partie de la variance des troubles de lec-
ture des dyslexiques [3].
Une autre hypothèse permettant d’expli-
quer le déficit phonologique du dys-
lexique serait qu’il présenterait des diffi-
cultés dans la discrimination des pho-
nèmes [10]. Le répertoire des phonèmes
diffère d’une langue à l’autre (on parle
de catégorisation phonémique) ; ainsi,
/b/ et /v/ sont deux phonèmes diffé-
rents en français, qui permettent de dis-
tinguer « bol » de « vol », mais pas en es-
pagnol (exemples issus de [11]). Il a été
observé que les frontières catégorielles
sont beaucoup plus floues chez les dys-
lexiques, ce qui pourrait rendre compte
de leurs difficultés à la fois dans le pro-
cessus de conversion graphème-phonè-
me et dans l’accès au lexique [10]. En re-
vanche, /r/ simple et /r/ roulé sont
deux phonèmes différents en espagnol –
permettant de distinguer « pero »
mais ») de « perro » (« chien ») – alors
qu’en français, ces deux /r/ ne sont que
des variantes dialectales, dont la diffé-
renciation catégorielle est inutile pour
traiter la langue (exemples issus de [11]).
Ces variantes catégorielles d’un même
phonème non pertinentes pour la
langue sont appelées allophones. Dans
ce registre, il a été observé que les dys-
lexiques présentaient une meilleure per-
ception allophonique que les sujets
sains. Leurs difficultés en mémoire de
travail phonologique pourraient ainsi
être expliquées par cet élargissement du
répertoire phonologique, qui aurait une
incidence sur la charge en mémoire de
travail [10]. Un tel trouble dans la discri-
mination des phonèmes pourrait donc
rendre compte de l’intégralité des
troubles phonologiques constatés chez
le dyslexique, sous-entendant que le dé-
ficit primaire pourrait se situer dans la
qualité des représentations phonolo-
giques. Cependant, pour séduisante
qu’elle soit, cette hypothèse a été invali-
dée par une récente étude montrant que
le déficit phonologique du dyslexique
n’était observé que dans certaines condi-
tions expérimentales, mettant en jeu par
exemple la charge en mémoire de tra-
vail ou un certain nombre de contraintes
temporelles [12]. Il n’est ainsi générale-
ment pas problématique pour un dys-
lexique de répéter des non-mots uni- ou
bi-syllabiques, alors qu’un trouble appa-
raît pour des mots tri- ou quadri-sylla-
biques, c’est-à-dire dans les plus rares
conditions où la charge en mémoire de
travail est plus importante. De fait, les
dyslexiques pourraient ne pas souffrir
d’un déficit qualitatif de leurs représen-
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Activations cérébrales (hémisphère gauche) chez des enfants sains (à gauche) et
dyslexiques (à droite) en train de réaliser une tâche phonologique (jugement de rimes,
voir [27]). Rouge : régions périsylviennes. Bleu : jonction temporo-pariétale. Ces deux
régions sont hypoactivées dans la dyslexie (tiré de [28])
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tations phonologiques (sinon la répéti-
tion de pseudo-mots aurait été affectée
pour les pseudo-mots uni-syllabiques),
mais plutôt d’un trouble dans l’accès ou
la récupération des représentations pho-
nologiques, qui sont nécessairement da-
vantage mis en jeu lorsque la tâche est
contraignante.
LES THÉORIES
VISUO-ATTENTIONNELLES
Puisque la lecture est une activité vi-
suelle, il est logique que certains cher-
cheurs aient fait l’hypothèse que des
perturbations d’ordre visuel soient à
l’origine des troubles dyslexiques. De
fait, les enfants dyslexiques se plaignent
souvent de voir les lettres des mots se
chevaucher et s’inverser lorsqu’ils li-
sent. Principalement, deux hypothèses
ont été explorées.
Tout d’abord, parce que certaines
études ont démontré que les dys-
lexiques souffraient d’un trouble de la
sensibilité aux faibles fréquences spatiales
et aux hautes fréquences temporelles ain-
si que d’une sensibilité réduite aux
points en mouvement, il a été évoqué
qu’une atteinte du système visuel ma-
gnocellulaire (situé au niveau du corps
genouillé latéral du thalamus) pouvait
être à l’origine des troubles dyslexiques
[13]. Cette hypothèse s’est d’ailleurs élar-
gie au système auditif (trouble amodal
des systèmes magnocellulaires), le défi-
cit auditif magnocellulaire rejoignant le
trouble auditif temporel décrit dans le
chapitre précédent [14]. Cependant, cet-
te théorie n’a pas été vérifiée par
d’autres études. Le trouble magnocellu-
laire pourrait en fait ne se manifester
que pour certains dyslexiques et dans
des conditions expérimentales particu-
lières, par exemple lorsque les de-
mandes en attention visuelle sont im-
portantes (cela en dehors de tout déficit
attentionnel généralisé comme chez le
patient atteint d’un trouble de déficit de
l’attention avec hyperactivité) [15].
Il a ainsi été évoqué que des difficultés
de focalisation attentionnelle et de
désengagement attentionnel, ou encore
des problèmes de mini-négligence
gauche pouvaient être observés chez le
dyslexique [16]. Le principal écueil de
ces études est que ces troubles ont été
constatés en plus du déficit phonolo-
gique et qu’ils ne sauraient totalement
rendre compte du trouble de lecture [3].
De manière plus convaincante, d’autres
auteurs ont observé un déficit de l’empan
visuo-attentionnel (le nombre de lettres
pouvant être traitées simultanément au
sein d’une séquence de mot) en dehors
de toute atteinte phonologique, déficit
qui pourrait être responsable des
troubles de lecture de mots irréguliers et
serait de fait susceptible de rendre
compte de la dyslexie de surface [17]. Des
dysfonctions au niveau du cortex parié-
tal pourraient être à l’origine de ces
troubles de l’attention visuelle spatiale
[15]. Il semblerait enfin que les perfor-
mances dans les tâches visuo-attention-
nelles puissent être de bons indices du
niveau de lecture du sujet, que les en-
fants ayant des troubles du registre vi-
suo-attentionnel avant l’apprentissage
de la lecture soient davantage à risque
d’être dyslexiques, et enfin qu’un entraî-
nement intensif à des tâches de saccades
visuelles améliore les habiletés en lectu-
re [15]. Le déficit primaire de la maladie
pourrait même être, selon certains au-
teurs, d’ordre visuo-attentionnel plutôt
que phonologique, les troubles phonolo-
giques n’étant dans ce cas que la consé-
quence de mauvais inputs orthogra-
phiques au sein des régions cérébrales
en charge des correspondances gra-
phèmes-phonèmes [15]. D’autres études
devront toutefois être menées afin de
confirmer cette hypothèse prometteuse.
L’HYPOTHÈSE
CÉRÉBELLEUSE
Cette hypothèse est née de la constata-
tion de certains troubles de nature sé-
quentielle et temporelle chez les dys-
lexiques (dire l’heure, se rappeler les
mois de l’année), ainsi que de troubles
de la coordination motrice et de l’équi-
libre, ces troubles évoquant de fait une
dysfonction du cervelet [18]. Une étude
récente a d’ailleurs démontré que des
lésions au sein du cortex cérébelleux
droit seraient le meilleur biomarqueur
de la dyslexie, malgré un pattern de ré-
gions cérébrales particulièrement varié
selon les différents phénotypes de la
maladie [19].
Le cervelet pourrait donc affecter la lec-
ture de deux manières. Il pourrait
d’abord être impliqué dans les phéno-
mènes d’automatisation des tâches pro-
cédurales. Les sujets dyslexiques se-
raient ainsi incapables d’extraire la
structure probabiliste (ou grammaire)
de l’environnement sensoriel afin de fa-
ciliter et accélérer leurs prises de déci-
sion perceptuelles et, de fait, d’automa-
tiser la lecture. Des études d’imagerie
fonctionnelle ont d’ailleurs démontré
des hypoactivations de cette région du
cerveau non seulement lors de tâches
purement motrices (apprentissage
d’une série de mouvements de doigts),
mais encore lors de tâches d’apprentis-
sage implicite de régularités (où l’on
mesure les capacités du sujet à retrou-
ver implicitement des séquences de sti-
mulus) [20, 21].
D’autre part, le cervelet pourrait influer
sur les capacités de lecture via les habi-
letés motrices d’articulation qu’il confè-
re aux sujets, relié en cela à la théorie
phonologique de la dyslexie [18]. Cepen-
dant, l’hypothèse cérébelleuse est au-
jourd’hui largement critiquée : beau-
coup de dyslexiques n’ont pas de
troubles moteurs ou d’automatisation
pouvant refléter des perturbations du
cervelet, et il a même été évoqué que
ces troubles puissent aussi bien être re-
liés à la comorbidité avec l’hyperactivité
ou la dyspraxie [22]. Cela étant, les argu-
ments sont suffisamment nombreux
pour inclure le cervelet dans les aires
cérébrales susceptibles d’être dysfonc-
tionnelles dans la dyslexie.
VISION INTÉGRATIVE
DES DIFFÉRENTES
HYPOTHÈSES
Il est aujourd’hui largement admis
qu’au moins un certain nombre d’en-
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fants dyslexiques souffrent d’un déficit
cognitif spécifique relié à la phonologie.
Cependant, la théorie phonologique ne
peut a priori pas rendre compte des ma-
nifestations comorbides dans les moda-
lités visuelles, auditives ou motrices, in-
constantes et subtiles, qui ont aussi été
rapportées dans le tableau clinique de
la maladie. Deux approches ont alors
tenté de modéliser parcimonieusement
l’ensemble des symptômes observés.
Une première approche a consisté à in-
tégrer ces anomalies diverses des pro-
cessus sensorimoteurs dans la physiopa-
thologie même du trouble, remettant en
cause la théorie phonologique comme
primum movens de la dyslexie. Ainsi, la
théorie du traitement auditif temporel a
fait l’hypothèse d’un déficit sélectif de la
discrimination des événements brefs
dans la modalité auditive [9], alors que
les théories visuelles ont présumé qu’un
déficit des traitements visuels en dehors
de toute atteinte sensorielle (atteinte de
la voie magnocellulaire du thalamus,
par exemple [14]) pouvait être à l’origine
des troubles de lecture, et la théorie cé-
rébelleuse a postulé un défaut d’auto-
matisation des procédures d’apprentis-
sage [18]. Malheureusement, aucune de
ces théories n’a pu être validée par l’ex-
périence. En effet, les troubles visuels,
auditifs ou cérébelleux, lorsqu’ils sont
présents, n’expliquent en pratique ni le
trouble phonologique, ni le trouble de
lecture, et ne pourraient donc pas être
responsables de la dyslexie [3].
Plus récemment, une autre approche a
proposé que ces troubles divers des ha-
biletés sensorimotrices soient considé-
rés comme satellites du trouble phono-
logique. Lors de la vie intra-utérine, les
anomalies périsylviennes gauches res-
ponsables du trouble phonologique
pourraient s’accompagner, sous la dé-
pendance de facteurs environnemen-
taux (conditions hormonales particu-
lières par exemple), d’anomalies au ni-
veau des régions thalamiques, respon-
sables en aval de dysfonctionnements
du cortex pariétal postérieur et du cer-
velet. Ce modèle pourrait donc expli-
quer la présence chez certains sujets de
troubles sensorimoteurs et attention-
nels en plus du déficit de lecture [23].
Cependant, à ce jour, ce modèle n’a en-
core jamais été testé expérimentale-
ment et reste donc non vérifié.
Par ailleurs, les troubles phonologiques
ne pourraient être constatés que chez
une partie seulement des sujets dys-
lexiques. Là encore, deux possibilités
sont à entrevoir. Soit les tests phonologi -
ques ne sont pas assez puissants pour dé-
masquer des troubles phonologiques
chez des enfants porteurs de troubles de
lecture. Soit il existe, en dehors de toute
atteinte phonologique, un autre déficit à
l’origine du trouble de lecture (comme
un déficit de l’empan visuo-attention-
nel), déficit qui pourrait rendre compte
d’une autre forme clinique de la dys-
lexie : la dyslexie de surface [17]. A ce
jour, les recherches vont plutôt dans le
sens de cette hypothèse, même si cette
question est encore largement débattue.
Au total, aucune hypothèse n’a pu
rendre compte de l’intégralité des
symptômes de la dyslexie, chacune
n’expliquant que partiellement les ta-
bleaux cliniques constatés et s’appuyant
sur des observations dans des condi-
tions expérimentales très spécifiques ou
dans des populations d’enfants dys-
lexiques hétérogènes mal identifiées.
Un modèle précis justifiant des liens
entre les déficits neurosensoriels et le
trouble de lecture n’a donc jamais été
clairement démontré.
Des études récentes suggèrent cepen-
dant que l’ensemble des manifestations
de la dyslexie pourrait être la consé-
quence d’un trouble de perception caté-
gorielle des stimulus lorsque ceux-ci
surviennent séquentiellement [24] :
dans le domaine phonologique, le
dyslexique serait incapable de s’ap-
puyer sur la distribution des unités du
discours pour prédire la combinaison
phonémique des mots qu’il lit, d’où un
apprentissage de la lecture difficile [25] ;
dans les domaines visuels et auditifs,
des expériences suggèrent que, plutôt
qu’un dysfonctionnement spécifique du
système magnocellulaire, les difficultés
rencontrées par le dyslexique pourraient
être secondaires à son incapacité à amé-
liorer la perception catégorielle des si-
gnaux lorsque ceux-ci sont présentés au
sein d’un environnement bruité [26] ;
enfin, comme énoncé dans le passage
sur la théorie cérébelleuse, les troubles
moteurs constatés dans la dyslexie
pourraient dépendre directement de
difficultés dans l’apprentissage implicite
de séquences motrices, l’automatisation
de tâches procédurales étant ainsi ren-
due impossible [21].
Ces constatations ont récemment ame-
né certains auteurs à faire l’hypothèse
d’un trouble dans la dynamique percep-
tuelle des stimulus dans la dyslexie [24].
Plus spécifiquement, chez les sujets non
atteints, il existerait une certaine habi-
leté à « s’ancrer » rapidement et automa-
tiquement aux stimulations de l’envi-
ronnement afin d’anticiper leur pro-
chaine survenue. Après une première
confrontation à un phonème, son iden-
tification lors d’une apparition ultérieu-
re serait ainsi plus aisée. Ainsi, un pho-
nème pertinent pour l’enfant (c’est-à-di-
re apparaissant fréquemment dans sa
langue) sera d’autant plus facilement
reconnu. Par extension, tous les pho-
nèmes pertinents, c’est-à-dire tous les
phonèmes utiles à la lecture, seront aus-
si plus facilement reconnus par l’enfant,
ce qui de fait facilitera naturellement
l’automatisation de la lecture. En re-
vanche, les individus souffrant de dys-
lexie seraient dans l’impossibilité de bé-
néficier de l’effet de ces répétitions, ce
qui aurait pour résultat une incapacité à
restreindre le champ des phonèmes per-
tinents pour la lecture et par consé-
quent un défaut de son automatisation.
Un tel déficit, généralisé à d’autres do-
maines, pourrait aussi expliquer cer-
tains troubles sensorimoteurs ou atten-
tionnels constatés chez le dyslexique,
qui tiendraient donc à son impossibilité
à diminuer l’influence des stimulus non
pertinents (c’est-à-dire l’influence du
bruit) pour faciliter ses prises de déci-
sion perceptuelles.
Références
[1] COLTHEART M., RASTLE K., PERRY C., LANGDON R., ZIE-
GLER J. : « Drc : a dual route cascaded model of visual word re-
cognition and reading aloud »,
Psychol. Rev.,
2001 ;
108 :
204-56.
[2] CASTLES A., COLTHEART M. : « Varieties of developmental
dyslexia »,
Cognition,
1993 ;
47 :
149-80.
[3] RAMUS F., ROSEN S., DAKIN S.C., DAY B.L., CASTELLOTE
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