fants dyslexiques souffrent d’un déficit
cognitif spécifique relié à la phonologie.
Cependant, la théorie phonologique ne
peut a priori pas rendre compte des ma-
nifestations comorbides dans les moda-
lités visuelles, auditives ou motrices, in-
constantes et subtiles, qui ont aussi été
rapportées dans le tableau clinique de
la maladie. Deux approches ont alors
tenté de modéliser parcimonieusement
l’ensemble des symptômes observés.
Une première approche a consisté à in-
tégrer ces anomalies diverses des pro-
cessus sensorimoteurs dans la physiopa-
thologie même du trouble, remettant en
cause la théorie phonologique comme
primum movens de la dyslexie. Ainsi, la
théorie du traitement auditif temporel a
fait l’hypothèse d’un déficit sélectif de la
discrimination des événements brefs
dans la modalité auditive [9], alors que
les théories visuelles ont présumé qu’un
déficit des traitements visuels en dehors
de toute atteinte sensorielle (atteinte de
la voie magnocellulaire du thalamus,
par exemple [14]) pouvait être à l’origine
des troubles de lecture, et la théorie cé-
rébelleuse a postulé un défaut d’auto-
matisation des procédures d’apprentis-
sage [18]. Malheureusement, aucune de
ces théories n’a pu être validée par l’ex-
périence. En effet, les troubles visuels,
auditifs ou cérébelleux, lorsqu’ils sont
présents, n’expliquent en pratique ni le
trouble phonologique, ni le trouble de
lecture, et ne pourraient donc pas être
responsables de la dyslexie [3].
Plus récemment, une autre approche a
proposé que ces troubles divers des ha-
biletés sensorimotrices soient considé-
rés comme satellites du trouble phono-
logique. Lors de la vie intra-utérine, les
anomalies périsylviennes gauches res-
ponsables du trouble phonologique
pourraient s’accompagner, sous la dé-
pendance de facteurs environnemen-
taux (conditions hormonales particu-
lières par exemple), d’anomalies au ni-
veau des régions thalamiques, respon-
sables en aval de dysfonctionnements
du cortex pariétal postérieur et du cer-
velet. Ce modèle pourrait donc expli-
quer la présence chez certains sujets de
troubles sensorimoteurs et attention-
nels en plus du déficit de lecture [23].
Cependant, à ce jour, ce modèle n’a en-
core jamais été testé expérimentale-
ment et reste donc non vérifié.
Par ailleurs, les troubles phonologiques
ne pourraient être constatés que chez
une partie seulement des sujets dys-
lexiques. Là encore, deux possibilités
sont à entrevoir. Soit les tests phonologi -
ques ne sont pas assez puissants pour dé-
masquer des troubles phonologiques
chez des enfants porteurs de troubles de
lecture. Soit il existe, en dehors de toute
atteinte phonologique, un autre déficit à
l’origine du trouble de lecture (comme
un déficit de l’empan visuo-attention-
nel), déficit qui pourrait rendre compte
d’une autre forme clinique de la dys-
lexie : la dyslexie de surface [17]. A ce
jour, les recherches vont plutôt dans le
sens de cette hypothèse, même si cette
question est encore largement débattue.
Au total, aucune hypothèse n’a pu
rendre compte de l’intégralité des
symptômes de la dyslexie, chacune
n’expliquant que partiellement les ta-
bleaux cliniques constatés et s’appuyant
sur des observations dans des condi-
tions expérimentales très spécifiques ou
dans des populations d’enfants dys-
lexiques hétérogènes mal identifiées.
Un modèle précis justifiant des liens
entre les déficits neurosensoriels et le
trouble de lecture n’a donc jamais été
clairement démontré.
Des études récentes suggèrent cepen-
dant que l’ensemble des manifestations
de la dyslexie pourrait être la consé-
quence d’un trouble de perception caté-
gorielle des stimulus lorsque ceux-ci
surviennent séquentiellement [24] :
첸
dans le domaine phonologique, le
dyslexique serait incapable de s’ap-
puyer sur la distribution des unités du
discours pour prédire la combinaison
phonémique des mots qu’il lit, d’où un
apprentissage de la lecture difficile [25] ;
첸
dans les domaines visuels et auditifs,
des expériences suggèrent que, plutôt
qu’un dysfonctionnement spécifique du
système magnocellulaire, les difficultés
rencontrées par le dyslexique pourraient
être secondaires à son incapacité à amé-
liorer la perception catégorielle des si-
gnaux lorsque ceux-ci sont présentés au
sein d’un environnement bruité [26] ;
첸
enfin, comme énoncé dans le passage
sur la théorie cérébelleuse, les troubles
moteurs constatés dans la dyslexie
pourraient dépendre directement de
difficultés dans l’apprentissage implicite
de séquences motrices, l’automatisation
de tâches procédurales étant ainsi ren-
due impossible [21].
Ces constatations ont récemment ame-
né certains auteurs à faire l’hypothèse
d’un trouble dans la dynamique percep-
tuelle des stimulus dans la dyslexie [24].
Plus spécifiquement, chez les sujets non
atteints, il existerait une certaine habi-
leté à « s’ancrer » rapidement et automa-
tiquement aux stimulations de l’envi-
ronnement afin d’anticiper leur pro-
chaine survenue. Après une première
confrontation à un phonème, son iden-
tification lors d’une apparition ultérieu-
re serait ainsi plus aisée. Ainsi, un pho-
nème pertinent pour l’enfant (c’est-à-di-
re apparaissant fréquemment dans sa
langue) sera d’autant plus facilement
reconnu. Par extension, tous les pho-
nèmes pertinents, c’est-à-dire tous les
phonèmes utiles à la lecture, seront aus-
si plus facilement reconnus par l’enfant,
ce qui de fait facilitera naturellement
l’automatisation de la lecture. En re-
vanche, les individus souffrant de dys-
lexie seraient dans l’impossibilité de bé-
néficier de l’effet de ces répétitions, ce
qui aurait pour résultat une incapacité à
restreindre le champ des phonèmes per-
tinents pour la lecture et par consé-
quent un défaut de son automatisation.
Un tel déficit, généralisé à d’autres do-
maines, pourrait aussi expliquer cer-
tains troubles sensorimoteurs ou atten-
tionnels constatés chez le dyslexique,
qui tiendraient donc à son impossibilité
à diminuer l’influence des stimulus non
pertinents (c’est-à-dire l’influence du
bruit) pour faciliter ses prises de déci-
sion perceptuelles.
첸
Références
[1] COLTHEART M., RASTLE K., PERRY C., LANGDON R., ZIE-
GLER J. : « Drc : a dual route cascaded model of visual word re-
cognition and reading aloud »,
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2001 ;
108 :
204-56.
[2] CASTLES A., COLTHEART M. : « Varieties of developmental
dyslexia »,
Cognition,
1993 ;
47 :
149-80.
[3] RAMUS F., ROSEN S., DAKIN S.C., DAY B.L., CASTELLOTE
Médecine
& enfance
septembre 2010
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