Médecine & enfance Dyslexie développementale : principales théories SCIENCES COGNITIVES G. Barbalat, Institute of Cognitive Neuroscience Developmental Group, Londres La dyslexie est une maladie neuropsychiatrique fréquente, définie par une difficulté durable d’apprentissage de la lecture et d’acquisition de son automatisme, chez des enfants intelligents, normalement scolarisés, indemnes de troubles sensoriels et de troubles psychologiques préexistants. Trouver la ou les causes de la dyslexie est crucial pour créer les meilleurs programmes d’intervention. Ici, nous passons en revue les principales théories de la dyslexie, en particulier celles postulant un déficit des représentations phonologiques, de l’attention visuo-spatiale ou des fonctions cérébelleuses. Chacune de ces hypothèses n’explique que partiellement les multiples symptômes constatés. Nous terminerons par une vision intégrative de ces différentes hypothèses, suggérant que les troubles multiples dont souffre l’enfant dyslexique pourraient être secondaires à un déficit général dans l’anticipation de la survenue des événements fréquents de l’environnement. Rubrique dirigée par T. Gliga, Centre for Brain and Cognitive Development, Londres a dyslexie développementale est une maladie neuropsychiatrique fréquente (touchant entre 6 et 8 % des enfants français en population scolaire), définie par une difficulté durable d’apprentissage de la lecture et d’acquisition de son automatisme, chez des enfants intelligents, normalement scolarisés, indemnes de troubles sensoriels et de troubles psychologiques préexistants. Mieux connaître la maladie pourrait donc être d’importance cruciale pour mieux en préciser le pronostic et définir des bases thérapeutiques adaptées. Reste qu’il existe dans la littérature une multitude de théories explicatives de la dyslexie, diversité autant liée au fait que la dyslexie a sans doute plusieurs causes distinctes qu’à l’hétérogénéité symptomatologique de la maladie, qui inclut de nombreux symptômes autres que le trouble de lecture, en particulier des troubles de type phonologique, auditif, visuo-spatial ou moteur. Dans cet article, nous proposons de répertorier et de critiquer les principales théories explicatives de la dyslexie, avant de présenter une vue intégrative de ces différentes hypothèses. L septembre 2010 page 349 FORMES CLINIQUES ET PRINCIPAUX SYMPTÔMES DE LA DYSLEXIE D’après le modèle dit double-voie, les lecteurs experts utilisent deux procédures pour lire : la voie lexicale (ou d’adressage) et la voie sublexicale (ou d’assemblage) [1]. La procédure lexicale implique la récupération d’une représentation phonologique associée à un mot écrit dans le lexique mental. En revanche, la voie sublexicale utilise les règles de conversion graphèmes-phonèmes permettant la correspondance entre unités orthographiques et phonologiques (voir encadré). Deux types de dyslexie sont ainsi classiquement distingués [2]. La dyslexie phonologique se définit par un trouble de la voie d’assemblage, qui a pour conséquence des difficultés dans l’apprentissage des règles de conversion graphèmes-phonèmes. Les enfants présentant une dyslexie phonologique parviennent à lire les mots familiers, mais ont d’importantes difficultés pour les pseudo-mots (des Médecine & enfance mots qui n’existent pas et qu’on leur demande de lire comme ils se prononcent). Ils présentent des déficits en conscience phonologique, c’est-à-dire pour manipuler et segmenter les phonèmes. Les dyslexiques de surface montrent quant à eux une détérioration de la voie lexicale. Ils sont capables de lire les mots réguliers ou les pseudo-mots, mais présentent de grandes difficultés pour les mots irréguliers (des mots qui ne se lisent pas comme ils se prononcent, comme « femme » ou « monsieur »). Ils souffrent d’une forte dysorthographie, accompagnée, à l’inverse des dyslexiques phonologiques, de nombreuses erreurs phonologiquement plausibles (ils écrivent les mots comme ils se prononcent). Souvent, leurs troubles sont interprétés comme des déficits d’allure visuo-attentionnelle. Enfin, il faut noter que le modèle doublevoie s’applique bien au lecteur expert, qui utilise vraisemblablement de manière prédominante la voie lexicale pour lire, alors que la voie sublexicale lui est utile pour déchiffrer des mots qu’il ne connaît pas (lors de l’apprentissage d’une nouvelle langue par exemple). En revanche, bien que toujours très utilisé en France pour catégoriser les deux types de dyslexie sus-cités, ce modèle est relativement moins pertinent chez l’enfant encore en phase d’apprentissage de la lecture (chez qui les deux voies de lecture se développent vraisemblablement en interaction). De fait, peu d’enfants dyslexiques entrent dans le cadre décrit ci-dessus : les formes mixtes représentent plus de 60 % des cas. LA THÉORIE PHONOLOGIQUE Le fondement de la théorie phonologique est que la lecture est une activité qui concerne principalement le langage et que la langue écrite dépend crucialement du langage oral. La théorie phonologique repose sur le fait que les performances en lecture du dyslexique chutent drastiquement par rapport à la population générale lorsqu’il doit déco- DÉFINITIONS Phonème : la plus petite unité phonétique dans une langue susceptible de donner un sens différent aux mots. Par exemple, /ch/ dans le mot chien versus /b/ dans le mot bien. Graphème : analogue écrit du phonème. Il s’agit de la ou des lettres susceptibles de repré- senter graphiquement un phonème. Conscience phonologique : elle peut être définie comme l’aptitude à percevoir et se repré- senter la langue orale comme une séquence d’unités ou de segments tels que la syllabe, la rime, le phonème (définition issue du laboratoire Cogni-sciences et apprentissages, IUFM de Grenoble). Elle est évaluée par des tests tels que suppression de phonèmes initiaux (enlever le premier son d’un mot et dire ce qu’il reste ; ex. « marteau » donne « arteau »), suppression de phonèmes finaux (enlever le dernier son d’un mot et dire ce qu’il reste ; ex. « marteau » donne « marte »), acronymies (ou test de fusion de phonèmes : prendre le premier son de deux mots et les fusionner comme dans « bonne année », ce qui donne « ba ») ou test de rimes (est-ce que « bateau » et « chiot » riment ?). Mémoire à court terme phonologique : elle correspond à la rétention temporaire de l’information auditive en cours de traitement. Sa fonction est de permettre un stockage temporel et en même temps d’effectuer un certain nombre de traitements dits on-line (on parle alors de mémoire de travail). La mémoire à court terme est évaluée par la répétition de suites de chiffres à l’endroit (mémoire à court terme) ou à l’envers, cette dernière impliquant des capacités de manipulation en plus de capacités de rétention (mémoire de travail). Accès au lexique oral : il se mesure par des tests de dénomination automatique rapide ; on montre par exemple une planche contenant des objets (chapeaux, ciseaux…) et on demande au sujet de nommer ces objets le plus rapidement possible mais sans faire d’erreurs. der des mots rares ou des mots qui n’existent pas (des pseudo-mots), c’està-dire dans les deux cas lorsqu’il lui est impossible d’utiliser la voie lexicale. Plus spécifiquement, l’hypothèse phonologique relie les difficultés de lecture des enfants dyslexiques à des troubles de la conscience phonologique et de la mémoire à court terme phonologique (voir encadré), perturbations qui sont le témoin d’un trouble de la voie d’assemblage. Dans la lecture, la conscience phonologique est en effet mise en jeu lors de la mise en correspondance des graphèmes avec les phonèmes, tandis que la mémoire de travail phonologique est mise en jeu lors de l’assemblage des unités résultant de cette conversion, permettant ultérieurement l’accès aux mots. Ces deux processus interviennent donc en interaction. Selon l’hypothèse phonologique, pour lire le mot « chapeau », il faut ainsi identifier les différents phonèmes (/ch/ /a/ /p/ /o/) et les garder en mémoire avant de les assembler pour que le mot puisse être entièrement lu. Un troisième déficit a enfin été plus récemment constaté chez le septembre 2010 page 350 dyslexique, celui de l’accès au lexique oral (voir encadré), qui explique par luimême une part unique de la variance en lecture. La théorie phonologique est particulièrement robuste : les capacités phonologiques expliquent non seulement les performances en lecture des dyslexiques [3], mais encore prédisent l’apparition de la maladie chez l’enfant plus jeune (c’est-à-dire avant la scolarisation), ce qui a été mis en évidence par des études longitudinales [4] . Par ailleurs, ce déficit a été également observé chez des enfants dyslexiques appariés à des enfants plus jeunes mais de même niveau de lecture, ce qui souligne l’origine développementale du trouble phonologique [5]. Les aires cérébrales dysfonctionnelles en rapport avec le trouble phonologique chez le dyslexique sont principalement situées au niveau de la jonction temporo-occipitale gauche (qui serait impliquée dans le déchiffrage des mots écrits), la jonction temporo-pariétale gauche (qui serait impliquée dans le processus de conversion graphème-phonè- Médecine & enfance Activations cérébrales (hémisphère gauche) chez des enfants sains (à gauche) et dyslexiques (à droite) en train de réaliser une tâche phonologique (jugement de rimes, voir [27]). Rouge : régions périsylviennes. Bleu : jonction temporo-pariétale. Ces deux régions sont hypoactivées dans la dyslexie (tiré de [28]) me) et l’aire de Broca (impliquée dans la production du langage, même si une hyperactivation de cette région a été parfois constatée chez les patients, pouvant signer une compensation des hypoactivations des régions plus postérieures) (voir figure). Des mécanismes de compensation ont aussi été invoqués devant des hyperactivations au niveau du cortex périsylvien droit [6]. Il est par ailleurs intéressant de noter qu’après dissection du cortex cérébral de sujets atteints de dyslexie, il a été principalement observé des anomalies micro-structurales (ectopies et dysplasies) du cortex périsylvien, suggérant des perturbations de la migration et de la maturation neuronale dans des aires cérébrales cruciales pour un traitement adéquat des représentations phonologiques [7]. De même, les principaux gènes candidats pour la dyslexie sont précisément impliqués dans la migration des neurones au cours du développement cérébral [8]. Cependant, si bon nombre d’auteurs s’accordent à dire qu’un déficit de nature phonologique peut expliquer le trouble de lecture, il reste encore à savoir si ce déficit phonologique est primaire ou secondaire à d’autres déficits, sensoriels, moteurs ou cognitifs. Nous exposerons deux hypothèses susceptibles de rendre compte, à un niveau plus distal, de l’hypothèse phonologique : l’hypothèse du traitement audi- tif temporel et celle de la discrimination des phonèmes. L’hypothèse auditive postule que le déficit phonologique serait le résultat d’un trouble dans le traitement des stimulus brefs et de transition temporelle rapide dans la modalité auditive, deux caractéristiques qui sont précisément observées dans les sons produits par la parole humaine [9]. Ce déficit pourrait ainsi expliquer la confusion souvent réalisée par les dyslexiques entre des phonèmes acoustiquement proches, en particulier les paires telles que [t-d] ou [ch-j]. Cependant, cette hypothèse a été très largement critiquée, d’abord parce que de tels troubles n’ont été retrouvés que chez une faible proportion de sujets dyslexiques, ensuite parce que ces troubles ne semblent pas uniquement liés à la rapidité de la succession des stimulus (mais aussi par exemple à leur nature, des déficits n’étant pas observés lorsque les paires de phonèmes sont plus faciles à discriminer), enfin parce qu’ils n’expliquent qu’une très faible partie de la variance des troubles de lecture des dyslexiques [3]. Une autre hypothèse permettant d’expliquer le déficit phonologique du dyslexique serait qu’il présenterait des difficultés dans la discrimination des phonèmes [10]. Le répertoire des phonèmes diffère d’une langue à l’autre (on parle de catégorisation phonémique) ; ainsi, septembre 2010 page 351 /b/ et /v/ sont deux phonèmes différents en français, qui permettent de distinguer « bol » de « vol », mais pas en espagnol (exemples issus de [11]). Il a été observé que les frontières catégorielles sont beaucoup plus floues chez les dyslexiques, ce qui pourrait rendre compte de leurs difficultés à la fois dans le processus de conversion graphème-phonème et dans l’accès au lexique [10]. En revanche, /r/ simple et /r/ roulé sont deux phonèmes différents en espagnol – permettant de distinguer « pero » (« mais ») de « perro » (« chien ») – alors qu’en français, ces deux /r/ ne sont que des variantes dialectales, dont la différenciation catégorielle est inutile pour traiter la langue (exemples issus de [11]). Ces variantes catégorielles d’un même phonème non pertinentes pour la langue sont appelées allophones. Dans ce registre, il a été observé que les dyslexiques présentaient une meilleure perception allophonique que les sujets sains. Leurs difficultés en mémoire de travail phonologique pourraient ainsi être expliquées par cet élargissement du répertoire phonologique, qui aurait une incidence sur la charge en mémoire de travail [10]. Un tel trouble dans la discrimination des phonèmes pourrait donc rendre compte de l’intégralité des troubles phonologiques constatés chez le dyslexique, sous-entendant que le déficit primaire pourrait se situer dans la qualité des représentations phonologiques. Cependant, pour séduisante qu’elle soit, cette hypothèse a été invalidée par une récente étude montrant que le déficit phonologique du dyslexique n’était observé que dans certaines conditions expérimentales, mettant en jeu par exemple la charge en mémoire de travail ou un certain nombre de contraintes temporelles [12]. Il n’est ainsi généralement pas problématique pour un dyslexique de répéter des non-mots uni- ou bi-syllabiques, alors qu’un trouble apparaît pour des mots tri- ou quadri-syllabiques, c’est-à-dire dans les plus rares conditions où la charge en mémoire de travail est plus importante. De fait, les dyslexiques pourraient ne pas souffrir d’un déficit qualitatif de leurs représen- Médecine & enfance tations phonologiques (sinon la répétition de pseudo-mots aurait été affectée pour les pseudo-mots uni-syllabiques), mais plutôt d’un trouble dans l’accès ou la récupération des représentations phonologiques, qui sont nécessairement davantage mis en jeu lorsque la tâche est contraignante. LES THÉORIES VISUO-ATTENTIONNELLES Puisque la lecture est une activité visuelle, il est logique que certains chercheurs aient fait l’hypothèse que des perturbations d’ordre visuel soient à l’origine des troubles dyslexiques. De fait, les enfants dyslexiques se plaignent souvent de voir les lettres des mots se chevaucher et s’inverser lorsqu’ils lisent. Principalement, deux hypothèses ont été explorées. Tout d’abord, parce que certaines études ont démontré que les dyslexiques souffraient d’un trouble de la sensibilité aux faibles fréquences spatiales et aux hautes fréquences temporelles ainsi que d’une sensibilité réduite aux points en mouvement, il a été évoqué qu’une atteinte du système visuel magnocellulaire (situé au niveau du corps genouillé latéral du thalamus) pouvait être à l’origine des troubles dyslexiques [13]. Cette hypothèse s’est d’ailleurs élargie au système auditif (trouble amodal des systèmes magnocellulaires), le déficit auditif magnocellulaire rejoignant le trouble auditif temporel décrit dans le chapitre précédent [14]. Cependant, cette théorie n’a pas été vérifiée par d’autres études. Le trouble magnocellulaire pourrait en fait ne se manifester que pour certains dyslexiques et dans des conditions expérimentales particulières, par exemple lorsque les demandes en attention visuelle sont importantes (cela en dehors de tout déficit attentionnel généralisé comme chez le patient atteint d’un trouble de déficit de l’attention avec hyperactivité) [15]. Il a ainsi été évoqué que des difficultés de focalisation attentionnelle et de désengagement attentionnel, ou encore des problèmes de mini-négligence gauche pouvaient être observés chez le dyslexique [16]. Le principal écueil de ces études est que ces troubles ont été constatés en plus du déficit phonologique et qu’ils ne sauraient totalement rendre compte du trouble de lecture [3]. De manière plus convaincante, d’autres auteurs ont observé un déficit de l’empan visuo-attentionnel (le nombre de lettres pouvant être traitées simultanément au sein d’une séquence de mot) en dehors de toute atteinte phonologique, déficit qui pourrait être responsable des troubles de lecture de mots irréguliers et serait de fait susceptible de rendre compte de la dyslexie de surface [17]. Des dysfonctions au niveau du cortex pariétal pourraient être à l’origine de ces troubles de l’attention visuelle spatiale [15]. Il semblerait enfin que les performances dans les tâches visuo-attentionnelles puissent être de bons indices du niveau de lecture du sujet, que les enfants ayant des troubles du registre visuo-attentionnel avant l’apprentissage de la lecture soient davantage à risque d’être dyslexiques, et enfin qu’un entraînement intensif à des tâches de saccades visuelles améliore les habiletés en lecture [15]. Le déficit primaire de la maladie pourrait même être, selon certains auteurs, d’ordre visuo-attentionnel plutôt que phonologique, les troubles phonologiques n’étant dans ce cas que la conséquence de mauvais inputs orthographiques au sein des régions cérébrales en charge des correspondances graphèmes-phonèmes [15]. D’autres études devront toutefois être menées afin de confirmer cette hypothèse prometteuse. L’HYPOTHÈSE CÉRÉBELLEUSE Cette hypothèse est née de la constatation de certains troubles de nature séquentielle et temporelle chez les dyslexiques (dire l’heure, se rappeler les mois de l’année), ainsi que de troubles de la coordination motrice et de l’équilibre, ces troubles évoquant de fait une dysfonction du cervelet [18]. Une étude septembre 2010 page 352 récente a d’ailleurs démontré que des lésions au sein du cortex cérébelleux droit seraient le meilleur biomarqueur de la dyslexie, malgré un pattern de régions cérébrales particulièrement varié selon les différents phénotypes de la maladie [19]. Le cervelet pourrait donc affecter la lecture de deux manières. Il pourrait d’abord être impliqué dans les phénomènes d’automatisation des tâches procédurales. Les sujets dyslexiques seraient ainsi incapables d’extraire la structure probabiliste (ou grammaire) de l’environnement sensoriel afin de faciliter et accélérer leurs prises de décision perceptuelles et, de fait, d’automatiser la lecture. Des études d’imagerie fonctionnelle ont d’ailleurs démontré des hypoactivations de cette région du cerveau non seulement lors de tâches purement motrices (apprentissage d’une série de mouvements de doigts), mais encore lors de tâches d’apprentissage implicite de régularités (où l’on mesure les capacités du sujet à retrouver implicitement des séquences de stimulus) [20, 21]. D’autre part, le cervelet pourrait influer sur les capacités de lecture via les habiletés motrices d’articulation qu’il confère aux sujets, relié en cela à la théorie phonologique de la dyslexie [18]. Cependant, l’hypothèse cérébelleuse est aujourd’hui largement critiquée : beaucoup de dyslexiques n’ont pas de troubles moteurs ou d’automatisation pouvant refléter des perturbations du cervelet, et il a même été évoqué que ces troubles puissent aussi bien être reliés à la comorbidité avec l’hyperactivité ou la dyspraxie [22]. Cela étant, les arguments sont suffisamment nombreux pour inclure le cervelet dans les aires cérébrales susceptibles d’être dysfonctionnelles dans la dyslexie. VISION INTÉGRATIVE DES DIFFÉRENTES HYPOTHÈSES Il est aujourd’hui largement admis qu’au moins un certain nombre d’en- Médecine & enfance fants dyslexiques souffrent d’un déficit cognitif spécifique relié à la phonologie. Cependant, la théorie phonologique ne peut a priori pas rendre compte des manifestations comorbides dans les modalités visuelles, auditives ou motrices, inconstantes et subtiles, qui ont aussi été rapportées dans le tableau clinique de la maladie. Deux approches ont alors tenté de modéliser parcimonieusement l’ensemble des symptômes observés. Une première approche a consisté à intégrer ces anomalies diverses des processus sensorimoteurs dans la physiopathologie même du trouble, remettant en cause la théorie phonologique comme primum movens de la dyslexie. Ainsi, la théorie du traitement auditif temporel a fait l’hypothèse d’un déficit sélectif de la discrimination des événements brefs dans la modalité auditive [9], alors que les théories visuelles ont présumé qu’un déficit des traitements visuels en dehors de toute atteinte sensorielle (atteinte de la voie magnocellulaire du thalamus, par exemple [14]) pouvait être à l’origine des troubles de lecture, et la théorie cérébelleuse a postulé un défaut d’automatisation des procédures d’apprentissage [18]. Malheureusement, aucune de ces théories n’a pu être validée par l’expérience. En effet, les troubles visuels, auditifs ou cérébelleux, lorsqu’ils sont présents, n’expliquent en pratique ni le trouble phonologique, ni le trouble de lecture, et ne pourraient donc pas être responsables de la dyslexie [3]. Plus récemment, une autre approche a proposé que ces troubles divers des habiletés sensorimotrices soient considérés comme satellites du trouble phonologique. Lors de la vie intra-utérine, les anomalies périsylviennes gauches responsables du trouble phonologique pourraient s’accompagner, sous la dépendance de facteurs environnementaux (conditions hormonales particulières par exemple), d’anomalies au niveau des régions thalamiques, responsables en aval de dysfonctionnements du cortex pariétal postérieur et du cervelet. Ce modèle pourrait donc expliquer la présence chez certains sujets de troubles sensorimoteurs et attention- nels en plus du déficit de lecture [23]. Cependant, à ce jour, ce modèle n’a encore jamais été testé expérimentalement et reste donc non vérifié. Par ailleurs, les troubles phonologiques ne pourraient être constatés que chez une partie seulement des sujets dyslexiques. Là encore, deux possibilités sont à entrevoir. Soit les tests phonologiques ne sont pas assez puissants pour démasquer des troubles phonologiques chez des enfants porteurs de troubles de lecture. Soit il existe, en dehors de toute atteinte phonologique, un autre déficit à l’origine du trouble de lecture (comme un déficit de l’empan visuo-attentionnel), déficit qui pourrait rendre compte d’une autre forme clinique de la dyslexie : la dyslexie de surface [17]. A ce jour, les recherches vont plutôt dans le sens de cette hypothèse, même si cette question est encore largement débattue. Au total, aucune hypothèse n’a pu rendre compte de l’intégralité des symptômes de la dyslexie, chacune n’expliquant que partiellement les tableaux cliniques constatés et s’appuyant sur des observations dans des conditions expérimentales très spécifiques ou dans des populations d’enfants dyslexiques hétérogènes mal identifiées. Un modèle précis justifiant des liens entre les déficits neurosensoriels et le trouble de lecture n’a donc jamais été clairement démontré. Des études récentes suggèrent cependant que l’ensemble des manifestations de la dyslexie pourrait être la conséquence d’un trouble de perception catégorielle des stimulus lorsque ceux-ci surviennent séquentiellement [24] : 첸 dans le domaine phonologique, le dyslexique serait incapable de s’appuyer sur la distribution des unités du discours pour prédire la combinaison phonémique des mots qu’il lit, d’où un apprentissage de la lecture difficile [25] ; 첸 dans les domaines visuels et auditifs, des expériences suggèrent que, plutôt qu’un dysfonctionnement spécifique du système magnocellulaire, les difficultés rencontrées par le dyslexique pourraient être secondaires à son incapacité à améliorer la perception catégorielle des siseptembre 2010 page 353 gnaux lorsque ceux-ci sont présentés au sein d’un environnement bruité [26] ; 첸 enfin, comme énoncé dans le passage sur la théorie cérébelleuse, les troubles moteurs constatés dans la dyslexie pourraient dépendre directement de difficultés dans l’apprentissage implicite de séquences motrices, l’automatisation de tâches procédurales étant ainsi rendue impossible [21]. Ces constatations ont récemment amené certains auteurs à faire l’hypothèse d’un trouble dans la dynamique perceptuelle des stimulus dans la dyslexie [24]. Plus spécifiquement, chez les sujets non atteints, il existerait une certaine habileté à « s’ancrer » rapidement et automatiquement aux stimulations de l’environnement afin d’anticiper leur prochaine survenue. Après une première confrontation à un phonème, son identification lors d’une apparition ultérieure serait ainsi plus aisée. Ainsi, un phonème pertinent pour l’enfant (c’est-à-dire apparaissant fréquemment dans sa langue) sera d’autant plus facilement reconnu. Par extension, tous les phonèmes pertinents, c’est-à-dire tous les phonèmes utiles à la lecture, seront aussi plus facilement reconnus par l’enfant, ce qui de fait facilitera naturellement l’automatisation de la lecture. En revanche, les individus souffrant de dyslexie seraient dans l’impossibilité de bénéficier de l’effet de ces répétitions, ce qui aurait pour résultat une incapacité à restreindre le champ des phonèmes pertinents pour la lecture et par conséquent un défaut de son automatisation. Un tel déficit, généralisé à d’autres domaines, pourrait aussi expliquer certains troubles sensorimoteurs ou attentionnels constatés chez le dyslexique, qui tiendraient donc à son impossibilité à diminuer l’influence des stimulus non pertinents (c’est-à-dire l’influence du bruit) pour faciliter ses prises de décision perceptuelles. 첸 Références [1] COLTHEART M., RASTLE K., PERRY C., LANGDON R., ZIEGLER J. : « Drc : a dual route cascaded model of visual word recognition and reading aloud », Psychol. Rev., 2001 ; 108 : 204-56. [2] CASTLES A., COLTHEART M. : « Varieties of developmental dyslexia », Cognition, 1993 ; 47 : 149-80. 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Le but de la formation est de faire émerger des pratiques innovantes de coordination entre soins de ville, prévention en milieu scolaire, prise en charge hospitalière, protection maternelle et infantile, promotion de la santé… Il se décline en trois objectifs complémentaires : • appréhender la transversalité des problématiques de santé par des apports pluridisciplinaires (démographie, sociologie, épidémiologie, droit, cognisciences…) ; • analyser les situations rencontrées et la diversité des pratiques afin de repérer les mises en synergie possibles entre les différents modes d’exercice ; • repérer et analyser les logiques des acteurs et des institutions concernés afin de situer sa propre fonction de soins et/ou de prévention dans une vision plus globale de la politique de santé. Organisation • Formation continue : formation agréée DPC/FMC, n° 100 240. • 10 modules, soit 2 jours par mois à Paris ou Rennes, de septembre 2010 à juin 2011. • Responsable pédagogique : Josiane Carvalho, médecin de santé publique, chargée de mission EHESP. • Modalités pédagogiques : conférences de haut niveau, tables rondes, ateliers d’analyse des pratiques, documents préparatoires… • Validation du DE : suivi des 10 modules, rédaction et soutenance d’une étude professionnelle. Comité de pilotage scientifique du DE Claire Brisset, première défenseure des enfants, médiatrice à la Ville de Paris ; Claire Maitrot, médecin conseiller, académie de Rennes, chargée d’enseignement à l’EHESP ; Michel Manciaux, professeur émérite de santé publique et de pédiatrie sociale, Nancy ; Danièle Sommelet, professeur de pédiatrie, ex-présidente de la Société française de pédiatrie, Nancy. Experts associés : Brigitte Feuillet, professeure de droit, université de Rennes 1, membre de l’Institut universitaire de France ; Philippe Jeammet, pédopsychiatre, professeur de psychiatrie, Paris VI, Institut mutualiste Montsouris ; Pierre Le Coz, philosophe, vice-président du Comité consultatif national d’éthique. Public concerné Médecin libéral, praticien hospitalier, médecin territorial, de l’Education nationale, conseiller Jeunesse et sport, médecin de prévention des CPAM, des CRES et CODES, médecin en établissements sociaux et médico-sociaux, en milieu carcéral… Dates et programme des modules sur http://formation-continue.ehesp.fr/ certificat/37 septembre 2010 page 354