Thérapie génique et réparation médullaire Docteur Jacques MALLET Génétique Moléculaire de la Neurotransmission et des Processus Neurodégénératifs, Centre National de la Recherche Scientifique, UMR C9923, Hôpital de la Salpétrière, Paris Par leur prévalence élevée et l'absence de traitements pour la majorité d'entre elles, les maladies du système nerveux. constituent un grave problème de santé publique. L'importance de ces maladies de nature, en général, dégénérative s'accroît dans nos sociétés du fait, en particulier, de l'allongement de l'espérance de vie. En Europe, elles représentent un tiers des dépenses de santé. A côté des affections telles que la maladie de Parkinson, la maladie d'Alzheimer, maladie d'Huntington ou encore les dégénérescences de la rétine, les maladies de la moelle épinière représentent un volet important du chapitre des maladies neurologiques. Citons la sclérose latérale amyotrophique (SLA) et les traumatismes médullaires. La SLA est caractérisée par une dégénérescence progressive et sélective de motoneurones du tronc cérébral et de la moelle épinière, qui conduit à une paralysie ascendante de pronostic dramatique. Les traumatismes médullaires résultent d'un choc violent qui peut entraîner un déplacement des vertèbres et provoquer un écrasement ou un cisaillement de la moelle épinière. La conséquence en sera l'interruption de la conduction des messages nerveux vers les membres, c'est-à-dire la paralysie. Notre cerveau commande l'activité de nos muscles par l'intermédiaire de chaînes de cellules nerveuses qui comprennent principalement les gros neurones pyramidaux du cortex moteur et les motoneurones de la moelle épinière. Les longs prolongements (axones) des premiers se projettent aux différents niveaux de la moelle (ces neurones sont plus précisément dénommés "cortico-spinaux" en raison de leur trajet où ils entrent en contact direct ou indirect, avec les seconds. Les axones des motoneurones cheminent dans les nerfs périphériques et établissent une liaison directe avec les muscles dont ils commandent la contraction. Toute lésion touchant en un point quelconque ces chaînes interrompt la transmission de la commande motrice. volontaire, paralysant ipso facto les muscles qu'elles commandent normalement. Les lésions traumatiques touchant les voies motrices au niveau de la moelle épinière (paraplégie, tétraplégie, arrachements radiculaires) revêtent cependant un caractère d'exceptionnelle gravité en raison de leur totale irréversibilité. Toute réparation spontanée s'avère en effet impossible pour deux raisons majeurs : d'une part, de puissants facteurs inhibiteurs produits notamment par les "compagnons naturels" des neurones, les cellules gliales s'opposent à la repousse des axones sectionnés et, de là, au rétablissement des connections fonctionnelles d'origine; d'autre part, les neurones détruits ne sont pas remplacés. Les affections neurologiques sont dans une véritable impasse sur le plan thérapeutique. Toutefois, une meilleure connaissance des mécanismes physiopathologiques a permis d'identifier des agents thérapeutiques potentiels tels que des facteurs de croissance, des enzymes de détoxification des radicaux libres ou de synthèse, des neurotransmetteurs ou encore des cytokines. L'idée serait soit d'apporter le neurotransmetteur déficient (stratégie de restauration) soit de protéger les neurones par des facteurs qui interviennent dans leur intégrité et leur survie (stratégie de neuroprotection), Par ailleurs, la possibilité de repousse axonale est maintenant bien établie et différentes stratégies peuvent être envisagées pour limiter la cicatrice gliale. La repousse doit cependant être stimulée et des facteurs trophiques ont un intérêt potentiel démontré. Toutefois, l'application de ces découvertes en clinique a été rendue difficile du. fait de l'absence d'un mode d'administration efficace de ces agents dans le système nerveux central (SNC) qui est protégé par la barrière hémato-encéphalique L'ouverture dans ce domaine est venue de la thérapie génique dont les potentialités résultent des progrès conjoints de la biologie moléculaire, de la biologie cellulaire et de la virologie. Dans la thérapie génique, l'ADN est ainsi utilisable comme un médicament. Introduit au sein de noyaux de cellules particulières, il permet de fabriquer, en utilisant la machinerie cellulaire endogène, des protéines thérapeutiques. Pour tout essai de thérapie génique, quelle que soit la maladie, les composantes suivantes doivent être prises en. compte et maîtrisées afin de parvenir à une efficacité thérapeutique: 0. 1. 2. 3. 4. le gène thérapeutique ou transgène le vecteur pour assurer un transfert efficace du transgène, la cellule dans laquelle est ciblée l'expression du transgène une expression durable, tissu spécifique et régulée du transgène l'absence d'effets secondaires(cytotoxicité, inflammation, réponse immune) Ces trois derniers aspects sont essentiels et constituent actuellement les facteurs limitants du transfert de gène thérapeutique. L'expression du transgène doit être limitée au type cellulaire le plus approprié, Il est tout aussi capital de pouvoir adapter le taux de production de la protéine thérapeutique aux besoins du patient et, si nécessaire, de pouvoir éteindre l'expression du gène en cas d'effets secondaires indésirables. Enfin, l'innocuité du traitement pour le patient est à l'évidence, un point majeur. Deux catégories de thérapie génique sont développées: ● La première est l'approche ex vivo. Cette approche consiste à modifier génétiquement des cellules in vitro puis à implanter ces cellules au site désiré. Notre équipe a, dès la fin des années 80, développé des outils de thérapie génique ex vivo pour le SNC et, la première,. a démontré qu'il était possible d'introduire le gène de la tyrosine hydroxylase (TH) dans le cerveau de rats déficients en dopamine qui constitue un modèle animal de la maladie de Parkinson. ● La deuxième stratégie dite in vivo consiste à introduire directement le gène thérapeutique dans les cellules du patient en injectant localement le vecteur dans l'organe (ou la partie de l'organe) défectueux. Le développement de vecteurs permettant de transduire des cellules quiescentes a permis le développement de la thérapie in vivo.. Parmi ces vecteurs, les adénovirus tiennent une place capitale car ils sont capables d'infecter des cellules hautement différenciées qui ne se divisent pas. Par ailleurs, les adénovirus ne sont pas pathogènes et ne s'intègrent pas dans le génome de la cellule cible. Leurs propriétés ont permis d'envisager leur application au SNC. Notre laboratoire a démontré en 1993 que l'adénovirus est capable d'assurer le transfert, jusque là quasi-impossible, de gènes, directement dans les cellules nerveuses in vitro comme in vivo. Ce travail a ouvert la voie de la thérapie géniquc in vivo dans le SNC. D'autres vecteurs tels que ceux dérivés des lentivirus peuvent transduire de façon efficace les cellules nerveuses et présentent un potentiel important. Le recours à un adénovirus codant pour un facteur neurotrophique, le GDNF, a permis de prévenir la dégénérescence de neurones dopaminergiques. D'autres gènes d'intérêt, comme celui de la TH, ont été introduits grâce à ce vecteur dans des cellules nerveuses humaines in vitro, confirmant la faisabilité de cette approche chez l'homme. Nous avons démontré avec Alain Privat que l'adénovirus pouvait être transporté de manière rétrograde du site d'injection vers les corps cellulaires des neurones afférents, ce qui représente un avantage pour le ciblage de populations neuronales peu accessibles par une injection directe, comme en particulier les motoneurones de la moelle épinière. Le transport rétrograde est maintenu même en cas de lésion du nerf, Ces résultats ont stimulé l'étude de la survie des motoneurones ainsi que la repousse axonale et ouvrent d'intéressantes perspectives thérapeutiques pour les pathologies de la moelle épinière, Le transport à partir de manchons tuteurs de nerfs ou de racines ouvre des perspectives similaires au niveau du nerf périphérique. En matière de pathologies médullaires, les facteurs neurotrophiques tels que le CNTF (cillary neurotrophic factor), le BDNF (brain-derived neurotrophic factor) et l'I.GF-1 (Insulinlike growth factor) la neurotrophine-3 (NT-3) sont des candidats potentiels, qui peuvent théoriquement être transférés par thérapie génique in vivo. Cette stratégie a été appliquée avec succès dans un modèle animal de maladie dégénérative des neurones moteurs (souris pmn ) L'injection intramusculaire d'un vecteur adénoviral contenant le gène de la neurotrophinc-3 (NT-3) a induit un effet thérapeutique substantiel chez les souris mutantes traitées. Les analyses ont montré qu'il y avait production puis sécrétion du facteur NT-3 qui a stimulé la croissance de neurones moteurs. Perspectives Il est maintenant établi que les vecteurs tels que les adénovirus ou les lentivirus sont des vecteurs efficaces pour le transfert de gène dans les Cellules nerveuses. Plusieurs problèmes majeurs restent à surmonter avant d'envisager leur utilisation en thérapeutique : la durée. d'expression et la toxicité du vecteur, le ciblage de l'expression aux ce1lules neuronales et l'obtention d'une expression régulable à un niveau adéquat. Les vecteurs peuvent être utilisés aussi bien dans des stratégies ex vivo que in vivo avec un objectif de neuroprotection ou de restauration. Avec l'amélioration constante des vecteurs, on peut prévoir que la thérapie génique des maladies neurologiques et plus particulièrement des traumatismes médullaires est appelée dans les années qui viennent à tenir une place majeure dans l'arsenal thérapeutique de ces affections. Décembre2001