P. Rozenberg* P oser une telle question semble a priori provocateur, voire blasphématoire. Et pourtant, à y voir de plus près, à raisonner sans préjugés, et à accepter d’oublier ses convictions, il pourrait être raisonnable non seulement d’entendre cette question mais également d’y répondre positivement. Reformulons maintenant cette question un peu différemment en la décomposant en deux questions : quel seuil de risque maternel contre-indique une césarienne et quel seuil de risque fœtal justifie une césarienne ? Répondre à ces deux questions permet virtuellement de connaître le taux idéal de césariennes. Évaluation de la mortalité maternelle liée à la césarienne programmée La mort maternelle, bien que de plus en plus rare dans les pays développés, reste le risque majeur de la césarienne. Les obstétriciens ont longtemps cru que la césarienne augmentait considérablement le risque de mort maternelle et il existe de nombreuses données pour soutenir cette croyance. La mortalité induite par la césarienne a été estimée à plusieurs fois celle associée à l’accouchement par voie basse (1-3). Aussi importantes que soient ces données, elles n’en restent pas moins d’interprétation très délicate. Tout d’abord, le plus souvent, la césarienne programmée n’a pas été clairement différenciée de la césarienne non programmée (2, 3). Or, il s’agit d’un biais de classification majeur car la mortalité maternelle consécutive à une césarienne réalisée en cours de travail doit être imputée à l’intention de voie basse et non pas à la césarienne per se. Il est donc indispensable de raisonner en intention de traitement comparant la mortalité de la césarienne programmée (première stratégie thérapeutique) à celle de l’intention de voie basse (deuxième stratégie thérapeutique), qui comporte elle* Département de gynécologie obstétrique, hôpital Poissy-Saint-Germain, université Versailles-Saint-Quentin, rue du Champ-Gaillard, 78303 Poissy Cedex. 6 | La Lettre du Gynécologue • n° 350 - mars 2010 CONTRO Faut-il césariser toutes les femmes ? Oui ! VERSE CONTROVERSE même trois sous-groupes : la voie basse spontanée, les extractions instrumentales et les césariennes réalisées en cours de travail. Or, si une césarienne est nécessaire en cours de travail, la femme sera exposée à un risque relatif (RR) de mortalité environ 3 fois plus élevé qu’en cas de césarienne programmée. Ensuite, comme la mort maternelle est devenue un événement exceptionnel, les données utilisées pour regarder les tendances remontent fréquemment à de nombreuses années, souvent suffisamment loin en arrière pour inclure des femmes qui ont reçu des soins selon des normes devenues obsolètes (1, 4). Dans les pays développés, les risques liés à la chirurgie ont diminué avec le temps, et cela semble être particulièrement vrai pour la césarienne programmée. Les données de la GrandeBretagne illustrent ce risque décroissant : entre 1988 et 1990, les femmes accouchant par césarienne programmée présentaient un RR de mortalité plus de 8 fois supérieur à celui des femmes accouchant par voie basse ; de 1994 à 1996, ce RR était approximativement 3 fois supérieur ; et de 1997 à 1999, il a encore diminué à un peu plus de 2 (5). Dans une enquête britannique récente, une nouvelle classification des césariennes (6) a permis d’évaluer le risque des femmes ayant une césarienne programmée : ces femmes ont présenté une mortalité inférieure à celles ayant accouché par voie basse, avec seulement une mort maternelle parmi 78 000 femmes ayant eu une césarienne programmée. De même, des données israéliennes récentes ont montré que la mortalité liée à la césarienne programmée était inférieure à celle associée à l’accouchement par voie basse (7). Enfin, une étude particulièrement intéressante de Clark et al. publiée récemment (8) a examiné l’étiologie et l’évitabilité des morts maternelles ainsi que le lien de cause à effet entre le mode d’accouchement et la mortalité maternelle entre 2000 et 2006. Parmi les 1 461 270 accouchements étudiés, 458 097 césariennes programmées ont été réalisées et seuls 4 cas de mort maternelle ont été directement imputés à la pratique de la césarienne programmée (3 primi-césariennes et 1 césarienne itérative), soit 0,08 mort pour 10 000 CONTROVERSE césariennes. La qualité de cette étude tient à sa rigueur méthodologique et à sa puissance. Évaluation de la mortalité néonatale liée à la tentative de voie basse De façon apparemment surprenante, les études évaluant la mortalité néonatale parmi les grossesses uniques à terme pendant le travail ou dans la période néonatale sont très rares, alors que celles évaluant la mortalité néonatale dans des groupes à risque (grossesse gémellaire, présentation du siège, antécédent de césarienne…) sont bien plus fréquentes. En effet, les études évaluant la mortalité néonatale à terme en population générale posent des problèmes méthodologiques difficiles : elles doivent concilier à la fois des études de cohortes incluant de très nombreux cas (au moins plusieurs centaines de milliers), compte tenu de la faible prévalence de la mortalité néonatale à terme dans une population à faible risque, et la possibilité de recueil des issues de grossesse par des registres fiables, exhaustifs ou quasi exhaustifs, avec contrôles de qualité réguliers de ces bases de données. De plus, ces études doivent éviter de nombreux biais, notamment celui de pouvoir exclure la mortalité anténatale pour la distinguer de la mortalité périnatale (pour ne pas surestimer la mortalité du nouveau-né liée à l’accouchement) ou celui de pouvoir exclure les morts liées à des anomalies congénitales, qui représentent une fraction importante de la mortalité à terme. Quelques pays ont remarquablement réussi à mettre en place de tels registres, dont l’Écosse. Ainsi, Pasupathy et al. (9) viennent de publier les données concernant l’évolution de la mortalité périnatale à terme parmi les grossesses uniques en présentation céphalique, pendant le travail ou dans la période néonatale en Écosse entre 1988 et 2007. Cette étude a inclus 1 012 266 naissances et a pu exclure les morts périnatales liées à des anomalies congénitales et les morts ante-partum. En 2007, le risque de mortalité périnatale liée à l’accouchement a été de 5,5 pour 10 000 naissances et le risque de mortalité attribué à l’anoxie intra-partum a été de 3,0 pour 10 000 naissances. Au final, à la lumière de ces données épidémiologiques, on peut dire que le risque de mortalité maternelle liée à la réalisation d’une césarienne programmée est d’environ 0,08 pour 10 000 césariennes programmées et que le risque de mortalité fœtale ou néonatale par anoxie intra-partum est de 3,0 pour 10 000 tentatives de voie basse. Cela revient à dire que le risque de mortalité fœtale ou néonatale liée à l’intention de voie basse est environ 37 fois plus élevé que le risque de mortalité maternelle liée à la réalisation d’une césarienne programmée. Ce type de comparaison peut paraître fallacieux. Pourtant, ce mode de raisonnement est appliqué quotidiennement par les obstétriciens pour justifier aux futures mères le principe du dépistage de la trisomie 21. Les risques de fausse couche liée à la réalisation systématique des prélèvements invasifs (biopsie de trophoblaste ou amniocentèse) sont comparés aux risques de faux négatifs du dépistage de la trisomie 21 liés à la mesure de la clarté nucale et/ou aux marqueurs sériques. À la question princeps (faut-il césariser toutes les femmes ?), j’avais proposé de répondre par deux autres questions : quel seuil de risque maternel contre-indique une césarienne et quel seuil de risque fœtal justifie une césarienne ? Il ne fait aucun doute que la réponse à ces deux questions est quasi insoluble. Alors, posons maintenant deux autres questions : – Sachant que le risque de mortalité fœtale ou néonatale liée à l’intention de voie basse est environ 37 fois plus élevé que le risque de mortalité maternelle liée à la réalisation d’une césarienne programmée, quel choix ferait une future mère si on osait lui communiquer ces données ? – Et quand cette future mère pose la question : “Quelle est le mode d’accouchement le moins dangereux pour mon enfant ?”, que lui répondre ? À ces deux questions, la réponse est univoque et ne laisse aucun doute : la césarienne. La démonstration pourrait s’arrêter là. Toutefois, les esprits réfractaires à cette réponse et les plus avisés pourraient soumettre une objection subtile : bien que le taux de césariennes ait très significativement augmenté dans les pays industrialisés, il est cependant peu clair que cette augmentation soit corrélée à une diminution de la mortalité périnatale associée aux complications du travail. En fait, une telle objection ne tient pas à la lecture attentive des rares données de la littérature qui se sont focalisées sur ce débat. Évolution de la mortalité néonatale selon le taux de césariennes Après avoir examiné la relation entre les taux de césariennes et les mortalités maternelle et périnatale dans différents pays, la World Health Organization a conclu qu’il n’y avait aucun bénéfice supplémentaire au-delà d’un taux de césariennes compris entre 10 % et 15 % (10). Pourtant, ces recommandations ont été publiées en 1985 : les considérer comme encore valides revient à admettre que les données obstétricales n’ont pas changé depuis 25 ans ! Surtout, l’utilisation de taux bruts de mortalité périnatale peut masquer un éventuel bénéfice associé à la césarienne, dans la mesure où les principaux contributeurs à la mortalité périnatale sont les malformations létales et les enfants de faible poids de naissance. Or, la mortalité périnatale liée à ces pathologies est peu susceptible d’être modifiée par la césarienne (11, 12). La Lettre du Gynécologue • n° 350 -mars 2010 | 7 8 | La Lettre du Gynécologue • n° 350 - mars 2010 Tableau I. Relation entre le taux de césariennes et la mortalité périnatale (d’après 13). Hôpital A Hôpital B Hôpital C Total 1979-2000 NN < 2 500 g Mortalité Taux de césariennes 123 936 2,4 ‰ 14,4 % 141 331 2,72 ‰ 11,1 % 155 310 3,83 ‰ 8,0 % 420 577 3,07 ‰ 11,2 % 1995-2000 NN < 2 500 g Mortalité Taux de césariennes 34 188 1,43 ‰ 22,9 % 38 769 1,86 ‰ 15,1 % 42 781 3,3 ‰ 12,0 % 115 738 2,26 ‰ 16,7 % CONTRO Matthews et al. (13) ont donc examiné la relation entre le taux de césariennes et la mortalité périnatale parmi les enfants non malformés et pesant au moins 2 500 g dans trois grandes maternités de Dublin (5 000 à 9 000 naissances par an dans chacune d’elles) au cours d’une période de 22 ans (1979-2000). Chaque hôpital publie un rapport annuel, qui constitue l’audit de son activité, indiquant notamment le taux global de césariennes, de déclenchements, d’enfants de petit poids de naissance (≥ 500 g et < 2 500 g), et de mortalité périnatale. Durant la période d’étude, un total de 420 577 enfants pesant au moins 2 500 g sont nés dans ces trois hôpitaux. Il y a eu 1 291 (3,07 ‰) enfants morts non malformés et pesant au moins 2 500 g. Les auteurs ont montré une relation significative dans le temps entre l’élévation globale du taux de césariennes et la réduction de la mortalité périnatale (tableau I). Malgré des différences importantes portant sur les taux de césariennes des trois hôpitaux pendant la durée de l’étude, l’analyse individuelle des données de chaque hôpital a également montré une baisse similaire de la mortalité avec l’augmentation du taux de césariennes : plus le taux de césariennes est élevé, plus la mortalité périnatale diminue (tableau I). Cette différence dans la mortalité périnatale a persisté au cours de l’étude et était toujours présent pendant les six dernières années (1995-2000). La comparaison des taux de césariennes et la mortalité périnatale entre ces trois hôpitaux retrouve la même relation significative (tableau I). La maternité ayant le taux le plus élevé de césariennes a présenté la mortalité périnatale la plus faible, celle ayant le taux le plus faible de césariennes a eu la mortalité périnatale la plus élevée, et la maternité ayant le taux intermédiaire de césariennes a eu une mortalité périnatale intermédiaire. Cette étude souligne également la nécessité d’une augmentation très importante du taux de césariennes pour voir apparaître un bénéfice sur la mortalité périnatale. Ainsi, dans l’hôpital A, une augmentation de 61 % du taux de césariennes (passant de 14,4 % à 22,9 %) a été associée à une réduction de la mortalité périnatale de 42 %, soit, en valeur absolue, seulement 1 ‰ (de 2,4 ‰ à 1,43 ‰). Cette association démontrée entre l’élévation du taux de césariennes et la diminution de la mortalité périnatale restera valide tant que ne seront pas publiées des séries incluant des taux faibles de césariennes (< 15 %) et une mortalité périnatale inférieure à 1,5 ‰ parmi des enfants eutrophiques et non malformés. De plus, l’étude de Pasupathy et al. (9) confirme les conclusions de Matthews et al. (13). Cette étude, réalisée en Écosse au cours des 20 dernières années à partir de deux registres (Scottish Morbidity Record 02 et Scottish Stillbirth and Infant Death Survey), a observé Tableau II. Comparaison de la morbidité de la césarienne élective et de l’épreuve du travail (d’après 14). Césarienne élective (n = 721) Épreuve du travail (17 714) RR (IC95) Transfusion (%) 0,3 0,4 0,7 (0,2-2,7) Infection paroi (%) 1,5 0,9 1,7 (0,9-3,2) Fièvre puerpérale (%) 1,1 0,5 2,2 (1,1-4,5) Évacuation hématome (%) 0,1 0,1 1,0 (0,1-7,6) Hémorragie de la délivrance (%) 3,8 6,2 0,6 (0,4-0,9) Trauma peropératoire (%) 0,1 0,3 0,5 (0,1-3,5) Morbidité totale (%) 7,0 8,4 0,8 (0,6-1,1) l’évolution de la mortalité périnatale à terme parmi les grossesses uniques en présentation céphalique pendant le travail ou dans la période néonatale. Durant la période d’étude, le risque de mortalité périnatale liée à l’accouchement a diminué de 8,8 à 5,5 pour 10 000 naissances. L’analyse rapportée à la cause de mortalité a montré une diminution significative du risque de mortalité attribuée à l’anoxie intra-partum (5,7 à 3,0 pour 10 000 naissances). Cette réduction a porté de façon similaire sur la mortalité intrapartum (2,6 à 1,1 pour 10 000 naissances) et sur la mortalité néonatale (3,1 à 1,9 pour 10 000 naissances). Cette étude est d’autant plus valide qu’elle a évité deux biais : le manque de puissance, car elle a porté sur 1 012 266 naissances, et le biais de classification, car les auteurs ont pu exclure les morts périnatales liées à des anomalies congénitales et les morts ante-partum. Ces études montrent donc une association solide entre l’élévation du taux de césariennes et la diminution de la mortalité périnatale. Surtout, elles démontrent qu’une augmentation très importante du taux de césariennes est nécessaire pour obtenir un bénéfice modeste sur la réduction de la mortalité périnatale. C’est le principe de prévention du “mort marginal”. La réduction la plus spectaculaire de la mortalité périnatale liée à l’élévation du taux de césariennes a été obtenue durant les années 1970. Ce bénéfice a été tel qu’il faut désormais accepter une augmentation VERSE CONTROVERSE CONTROVERSE considérable de ce taux pour avoir un effet cliniquement signifiant. Mais quelle mère ne serait pas favorable à cette prévention du “mort marginal” qui ne peut être assurée que par la césarienne programmée ? Tout cette démonstration est fondée sur la mortalité maternelle, car il s’agit du critère de jugement le plus important, le plus robuste et le plus signifiant pour une patiente. Toutefois, les esprits malins m’accuseront de cacher la forêt de la morbidité derrière l’arbre de la mortalité. En fait, la même démonstration peut être faite en prenant un critère composite de morbidité maternelle. Évaluation de la morbidité maternelle liée à la césarienne programmée La Nova Scotia Atlee Perinatal Database est une base de données qui recueille de façon exhaustive les issues de tous les accouchements d’enfants pesant plus de 500 g en Nouvelle-Écosse depuis 1988. En utilisant cette base, Allen et al. (14) ont comparé la morbidité de la césarienne programmée réalisée à terme, à celle du travail spontané sur une cohorte de 18 435 patientes primipares, à bas risque obstétrical, ayant une grossesse unique, entre 37 et 42 semaines d’aménorrhée (SA)et ayant accouché entre 1988 et 2001. Parmi cette population, 721 patientes ont eu une césarienne programmée. Il n’y a eu aucun cas de mort maternelle ni aucun transfert en réanimation. La morbidité globale n’a pas été significativement différente parmi les patientes ayant eu une césarienne programmée et celles ayant eu une tentative de voie basse (7 % versus 8,4 % ; OR : 0,8 ; IC95 : 0,6-1,1). En cas de césarienne programmée, la fièvre puerpérale a été plus fréquente (1,1 % versus 0,5 % ; OR : 2,2 ; IC95 : 1,1-4,5) alors que l’hémorragie du post-partum immédiat a été plus rare (3,8 versus 6,2 ; OR : 0,6 ; IC95 : 0,4-0,9) [tableau II]. L’analyse par sous-groupe montre une morbidité globale similaire en cas de césaTableau III. Comparaison de la morbidité de la césarienne élective et de la voie basse spontanée (d’après 14). Césarienne élective (n = 721) Voie basse spontanée (n = 12 607) RR (IC95) Transfusion (%) 0,3 0,3 0,9 (0,2-3,8) Infection paroi (%) 1,5 0,4 3,5 (1,8-6,7) Fièvre puerpérale (%) 1,1 0,2 5,4 (2,4-11,8) Évacuation hématome (%) 0,1 0,1 1,0 (0,1-7,3) Hémorragie de la délivrance (%) 3,8 5,1 0,8 (0,5-1,1) Trauma peropératoire (%) 0,1 0,1 2,2 (0,3-17,5) Morbidité totale (%) 7,0 6,2 1,1 (0,9-1,5) rienne programmée ou d’accouchement par voie basse spontanée (tableau III), seule la fièvre puerpérale a été plus fréquente en cas de césarienne élective (1,1 % versus 0,2 % ; OR : 5,4 ; IC95 : 2,4-11,8). En revanche, l’accouchement par césarienne programmée a présenté une morbidité globale significativement réduite en comparaison des accouchements par extraction instrumentale (7 % versus 12,9 % ; OR : 0,6 ; IC95 : 0,4-0,7) ou par césarienne en cours de travail (7 % versus 16,3 % ; OR : 0.4 ; IC95 : 0,3-0,6), du fait notamment d’un effet protecteur sur le risque d’hémorragie du post-partum immédiat (tableaux IV et V). Au final, cette étude illustre une fois de plus, le biais de classification lié à la confusion entre risque lié à la voie basse et risque lié à l’intention de voie basse. En comparaison de la tentative de voie basse, la morbidité maternelle globale de la césarienne programmée n’est pas augmentée, car il existe deux situations particulièrement morbides en cas d’intention de voie basse : l’accouchement par extraction instrumentale et l’accouchement par césarienne en cours de travail. Par ailleurs, cette étude n’a pas intégré l’effet délétère spécifique de l’accouchement par voie basse sur le plancher pelvien : incontinence urinaire, prolapsus d’organe pelvien et incontinence anale. Il faut d’ailleurs noter que cette dernière complication est particulièrement invalidante, d’autant que les options thérapeutiques offrent bien moins d’espoir qu’en cas d’incontinence urinaire ou de prolapsus pelvien. Tous ces articles concluent à l’effet protecteur de la césarienne (15-22). Rappelons notamment la publication de McKenna et al. (23) , qui ont évalué, par analyse décisionnelle, le bénéfice de la césarienne élective parmi les femmes continentes mais ayant un antécédent de rupture du sphincter anal. Ils ont ainsi montré qu’il suffisait de réaliser 2,3 césariennes électives pour éviter un cas d’incontinence anale. En conclusion, je rappellerai deux publications qui méritent une réflexion particulière, car elles concernent les obstétriciens : – Al-Mufti et al. (24) ont rapporté les résultats d’une enquête de préférence parmi les obstétriciennes londoniennes : 31 % d’entre elles choisissaient une césarienne de principe comme mode d’accouchement pour elles-mêmes alors que cette enquête remonte déjà à 12 ans. Or, selon le proverbe anglais : “Ce qui est bon pour le médecin est bon pour le patient”. – Aux obstétriciens masculins qui seraient peu sensibles à cet argument, je conseillerai de lire l’article de Barger et al. (25) publié en 2005 dans le New England Journal of Medicine à propos de l’effet des périodes de travail prolongées (du fait notamment des gardes) sur les risques d’accident automobile des médecins : les auteurs ont conduit une enquête nationale prospective sur La Lettre du Gynécologue • n° 350 -mars 2010 | 9 Références bibliographiques Tableau IV. Comparaison de la morbidité de la césarienne élective et des extractions instrumentales (d’après 14). Transfusion (%) Césarienne élective (n = 721) Extraction instrumentale (n = 3 613) 0,3 0,8 RR (IC95) CONTRO l’ensemble des États-Unis (via Internet) dans laquelle 2 737 internes ont complété 17 003 rapports mensuels fournissant des informations détaillées sur les heures de travail habituel, les périodes de travail prolongé (du fait notamment des gardes), les accidents automobiles documentés, les “presque-accidents” (near-miss incident) et les incidents impliquant l’endormissement involontaire. Les odds-ratios d’accidents automobiles et de presque-accidents après une période de travail prolongé, en comparaison avec des périodes de travail habituel, ont été de 2,3 (IC95 : 1,6 -3,3) et 5,9 (IC95 : 5,4-6,3) respectivement. Dans une analyse prospective, chaque période de travail prolongé programmée sur un mois a augmenté de 9,1 % le risque mensuel d’un accident automobile (IC95 : 3,4 à 14,7 %) et de 16,2 % le risque mensuel d’un accident pendant le retour du travail (IC95 : 7,8 à 24,7 %). Au cours des mois où les internes ont effectué 5 périodes de travail prolongé ou plus, les risques de s’endormir en conduisant ou pendant un arrêt du trafic ont été significativement augmentés (OR : 2,39 ; IC95 : 2,31-2,46 et 3,69 ; IC95 : 3,60-3,77, respectivement). Finalement, une stratégie du “tout-césarienne programmée” permettrait de sauver des vies non seulement parmi les fœtus et les nouveau-nés mais également parmi les obstétriciens, ou du moins leurs internes (par réduction de la pénibilité des gardes) ! Que celui qui ne s’est jamais assoupi au volant en sortant de garde me jette la première pierre… ■ 0,4 (0,1-1,6) Infection paroi (%) 1,5 2,0 0,8 (0,4-1,5) Fièvre puerpérale (%) 1,1 0,4 3,0 (1,2-7,2) Évacuation hématome (%) 0,1 0,1 1,7 (0,2-16,0) Hémorragie de la délivrance (%) 3,8 9,6 0,4 (0,3-0.6) Trauma peropératoire (%) 0,1 0,1 1,1 (0,1-9,3) Morbidité totale (%) 7,0 12,9 0,6 (0,4-0,7) Tableau V. Comparaison de la morbidité de la césarienne élective et de la césarienne en cours de travail (d’après 14). Césarienne élective (n = 721) Césarienne en cours de travail (n = 1 480) Transfusion (%) 0,3 0,5 0,5 (0,1-2,4) Infection paroi (%) 1,5 2,2 0,7 (0,4-1,4) Fièvre puerpérale (%) 1,1 3,3 0,3 (0,2-0,7) Évacuation hématome (%) 0,1 0,2 0,7 (0,1-6,6) Hémorragie de la délivrance (%) 3,8 7,5 0,5 (0,4-0,8) Trauma peropératoire (%) 0,1 2,6 0,1 (0,01-0,4) Morbidité totale (%) 7,0 16,3 0,4 (0,3-0,6) RR (IC95) 1. Lilford RJ, van Coeverden de Groot HA, Moore PJ, Bingham P. The relative risks of cesarean section (intrapartum and elective) and vaginal delivery: a detailed analysis to exclude the effects of medical disorders and other acute preexisting physiological disturbances. Br J Obstet Gynæcol 1990;97:883-92. 2. Schuitemaker N, van Roosmalen J, Dekker G, van Dongen P, van Geijn H, Gravenhorst JB. Maternal mortality after cesarean section in the Netherlands. 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