MÉDECINE ET ARMÉES Revue du Service de santé des armées T. 37 - n° 4 - Octobre 2009 SOMMAIRE Pages PRATIQUE MÉDICO-MILITAIRE Direction centrale du Service de santé des armées Médecine et Armées 1, Place Alphonse Laveran, 75230 Paris Cedex 05. 291 • Hydrazine : un risque chimique d’actualité. Cas d’une fuite impliquant un aéronef de type F-16. C. MILLET, C. RENARD, E. STRAT, P. BURNAT. DIRECTEUR DE LA PUBLICATION MGI J. MARIONNET 297 • Dépistage urinaire d’une consommation de drogues illicites (cannabis, cocaïne et opiacés) : bilan de l’année 2007 pour le personnel navigant. C. RENARD, J.-F. PARIS, D. DELAUNE, B. HUART, J.-F. OLIVIEZ, D. CHIANEA, PH. VEST. RÉDACTEUR EN CHEF MG F. FLOCARD – Tél. : 01 40 51 47 01 RÉDACTEURS EN CHEF ADJOINTS MCS J.-D. CAVALLO. SECRÉTARIAT DE RÉDACTION Mme M. SCHERZI Tél. : 01 40 51 47 44 Fax : 01 40 51 51 76 Email : [email protected] TRADUCTION MC M. AUDET-LAPOINTE COMITÉ DE RÉDACTION CDC A. BENMANSOUR – MCS A.-X. BIGARD – PCS P. BURNAT – MCS J.-D. CAVALLO – MCS J.-M- ROUSSEAU – VECS PH. ULMER – MCS D. VALLET. 303 • Apport de l’échographie portable au diagnostic des thromboses veineuses en situation isolée. C. VERGEZ-LARROUGET, P. MAY, J.-M. LE BORGNE, F. ARLES, P. PRECLOUX, M. PUIDUPIN. 307 • Le prothésiste dentaire : un allié indispensable du vétérinaire des armées pour la reconstitution prothétique des crocs chez le chien de travail. B. PENIGUEL, T. LAMOUR, J.-M. POULET, F. CICHY, PH. ULMER. 313 • Impact opérationnel et prise en charge des pathologies bucco-dentaires dans le cadre des opérations extérieures. M. GUINEPIN, F. DERACHE. 319 • Évolution du statut réglementaire des médicaments fabriqués par la Pharmacie centrale des armées de 2000 à 2006. Perspectives actuelles. I. BESSE-BARDOT, P. CLAIR, S. GRAFFEUIL. COMITÉ SCIENTIFIQUE MG P. BONNET – PGI J.-F. CHAULET – MGI É. DAL – MG T. DEBORD – MGA P. JEANDEL – MGI D. LAGARDE – MGI G. LAURENT – MG J.L. MOREL – MGI M. MORILLON – MG J.-L. PERRET– GB C. TILLOY – MGI J.E. TOUZE – MGI M. VERGOS. 325 • Décès chez les militaires français 2002-2005. Données issues de la Caisse nationale militaire de sécurité sociale. G. DESJEUX, C. BALAIRE, V. THÉVENIN-GARRON. CONSEILLERS HONORAIRES MGI P H . ALLARD – MGI M. BAZOT – MGI B. BRISOU – MCS A. CHAGNON – MGI L. COURT – MGI J.-P. DALY – MGA J.DE SAINT JULIEN – MGI CL. GIUDICELLI – MGI J. GUELAIN – MGI J. KERMAREC – MGI CH. LAVERDANT – MGI P. LEFEBVRE – PGI LECARPENTIER – VEGI R. LUIGI – VGI C L . MILHAUD – MGI J. MINÉ – MCS C L . MOLINIÉ – MCS J.-L. PAILLER – MGI P. QUEGUINER – MGI J.-M. VEILLARD – MGI J. VIRET – MGI R. WEY. 341 • Fauconnerie dans l’armées de l’Air, un domaine d’action original des vétérinaires des armées. F. DULIEU, É. LEROY, P. BRIAND, C. PERRAUDIN. ÉDITION Délégué à l'information et à la communication de la Défense (DICoD) - BP 33, 00450 Armées. Tél. : 01 44 42 30 11 ABONNEMENT (5 NUMÉROS PAR AN) ECPAD/Service abonnements, 2 à 8 route du Fort, 94205 IVRY-SUR-SEINE Cedex. Tél. : 01 49 60 52 44 - Fax : 01 49 60 59 92. Tarif des abonnements/1 an : • Métropole : 36,50 € • DOM-TOM par avion : 59,70 € • Étranger par avion : 70,00 € • Militaires et - 25 ans Métropole : 25,00 € • Militaires et - 25 ans DOM-TOM : 48,00 € Prix du numéro : 7,50 € Les chèques sont à libeller à l’ordre de l’agent comptable de l’ ECPAD. IMPRIMEUR ET ROUTAGE Pôle graphique de Tulle – BP 290 –19007 Tulle Cedex. Tél. : 05 55 93 61 00 Commission paritaire N° 0306 B 05721 Dépôt légal : décembre 2008 ISSN : 0300-4937 COUVERTURE Ghislaine PLOUGASTEL [email protected] 331 • De l’utilité pour les forces armées françaises d’avoir des médecins légistes militaires. C. AGOSTINI, Y. SCHULLIAR. MISE AU POINT 351 • Les cataractes radio-induites. Regard sur de nouvelles données. S. WASSILIEFF. 357 • Neuro-ophtalmologie : savoir penser à la borréliose de Lyme. R. MACAREZ, S. BAZIN, X. BURELLE, B. CHAUDIER, B. SOULLIÉ, M. VANIMSCHOOT, C. DOT, P. OCAMICA, J.-L. KOVALSKI, J.-M. PUYHARDY, D. LAGAUCHE, F. MAY. 368 • Quel est votre diagnostic ? A. CIRODDE, F. JANVIER, M. BORNE, J.-L. DABAN, C. SABY, E. BATJOM, L. BRINQUIN. ÉPIDÉMIOLOGIE 373 • Toxi-infection alimentaire collective à Clostridium prefringens chez les sapeurs pompiers de Paris : intérêt d’une investigation même en cas de faible effectif. A. MAYET, N. CHAI, C. BOUGHERRA, V. ROUS, G. LAGATHU, S. DURON, C. VERRET, J.-B. MEYNARD, É. NICAND, R. MIGLIANI. MÉMOIRE 377 • Déficits hormonaux des traumatisés crâniens : résultatas de l’étude DETRAC. L. BORDIER, F. CEPPA, P. AZOUVY, F. GENET, F. DE SOULTRAIT, O. GOASGUEN, P. HUGEUX, J. LE GUILLOUX, MC. GOUPY, F. PETIT, D. ROGES, R. LAFAYE DE MICHEAUX, E. LAPEYRE, C. KIEFER, O. DUPUY, H. MAYAUDON, B. BAUDUCEAU. FAIT CLINIQUE 381 • une morsure de vipère à cornes au niveau du pouce compliquée d’une ischémie aiguë d’un membre inférieur. K. MOUNIR, A. BELHAJ, M. MEZIANE, S.-J. ELALAOUI, M. BAITE, L. SAFI, M. ATMANI. 289 CONTENTS Pages MEDICO-MILITARY PRACTICE 291 • Hydrazine: a topical cheminal hazard. A case of leakage from an F-16 plane. C._MILLET, C. RENARD, E. STRAT, P. BURNAT. 297 • Urinary drug screening (cannabis, cocaine and opiates): results of the flight personnel in 2007. C. RENARD, J.-F. PARIS, D. DELAUNE, B. HUART, J.-F. OLIVIEZ, D. CHIANEA, PH. VEST. 303 • Usefulness of hand help ultrasonography in vein thrombosis diagnosis for isolated physicians. C. VERGEZ-LARROUGET, P. MAY, J.-M. LE BORGNE, F. ARLES, P. PRECLOUX, M. PUIDUPIN. 307 • Dental prosthetist: an essential ally for the military veterinarian for the working dog’s prosthetic reconstitution of the fangs. B. PENIGUEL, T. LAMOUR, J.-M. POULET, F. CICHY, PH. ULMER. 313 • Operational impact and taking over of dental diseases during overseas deployments. M. GUINEPIN, F. DERACHE. 319 • Developing regulations statutes of the medicines made by the “Pharmacie centrale des armées” between 2000 and 2006. New outlooks for the French armed forces. I. BESSE-BARDOT, P. CLAIR, S. GRAFFEUIL. 325 • Deaths in french army (2002-2005). Data from « Caisse nationale militaire de sécurité sociale ». G. DESJEUX, C. BALAIRE, V. THÉVENIN-GARRON. 331 • How useful are military forensic surgeons for the French armed forces. C. AGOSTINI, Y. SCHULLIAR. 341 • Falconry in the air forcen an original operation for armed forces’ veterinary surgeons. F. DULIEU, É. LEROY, P. BRIAND, C. PERRAUDIN. PROGRESS CASE REPORT 351 • Radiation-induced cataracts. Glance at some new data. S. WASSILIEFF. 357 • Neuro-ophtalmology: how to bear lyme borreliosis in mind. R. MACAREZ, S. BAZIN, X. BURELLE, B. CHAUDIER, B. SOULLIÉ, M. VANIMSCHOOT, C. DOT, P. OCAMICA, J.-L. KOVALSKI, J.-M. PUYHARDY, D. LAGAUCHE, F. MAY. EPIDEMIOLOGY 373 • Clostridium prefringens related food poisoning outbreak among fire soldiers in Paris: investigation is suitable despite a low population size. A. MAYET, N. CHAI, C. BOUGHERRA, V. ROUS, G. LAGATHU, S. DURON, C. VERRET, J.-B. MEYNARD, É. NICAND, R. MIGLIANI. MEMORY 377 • Pituitary deficiencies after traumatic brain injury: the results of DETRAC study. L. BORDIER, F. CEPPA, P. AZOUVY, F. GENET, F. DE SOULTRAIT, O. GOASGUEN, P. HUGEUX, J. LE GUILLOUX, MC. GOUPY, F. PETIT, D. ROGES, R. LAFAYE DE MICHEAUX, E. LAPEYRE, C. KIEFER, O. DUPUY, H. MAYAUDON, B. BAUDUCEAU. CLINICAL CASE REPORT 1re de couverture : Morphée © MC Borne. 4e de couverture avec l’aimable autorisation de la société Martineau. 290 381 • A Saharan horned viper bite on the right thumb complicated by a leg acute ischemia. K. MOUNIR, A. BELHAJ, M. MEZIANE, S.-J. ELALAOUI, M. BAITE, L. SAFI, M. ATMANI. Pratique médico-militaire Hydrazine : un risque chimique d’actualité. Cas d’une fuite impliquant un aéronef de type F-16. C. Millet a, C. Renard b, E. Strat c, P. Burnat d. a Service médical, Base Aérienne 102, BP 90 102 – 21093 Dijon Cedex 9. b Service de biochimie toxicologie clinique, HIA PERCY, BP 406 – 92 141 Clamart Cedex. c Escadron de sécurité incendie et de sauvetage, Base aérienne 102, BP 90102 – 21093 Dijon Cedex 9. d Service de biochimie toxicologie clinique, HIA BÉGIN, 69 avenue de Paris – Saint Mandé Cedex. Article reçu le 1er décembre 2008, accepté le 14 juin 2009. Résumé L’exposition à l’hydrazine ou à ses dérivés est un problème de santé publique car ces produits très réactifs sont particulièrement toxiques. Ils sont utilisés dans différents domaines comme la chimie organique, l’aéronautique (avion de chasse F16…) et l’aérospatial (fusée Ariane, navette spatiale américaine, satellites…). La contamination surtout aérienne et cutanée conduit à des brûlures, des troubles respiratoires, rénaux, hépatiques et neurologiques. Le traitement, après une décontamination rapide, est principalement basé sur l’administration de pyridoxine (vitamine B6) et d’un traitement symptomatique. Après avoir décrit un incident aérien impliquant un avion de chasse de type F-16 conduisant à un risque chimique par l’hydrazine, nous rappellerons les propriétés et la toxicité de ce produit, les mesures de protection à mettre en œuvre et les traitements préconisés qui doivent être connus du personnel médical militaire. Mots-clés : Aéronautique. Aérospatial. F16. Hydrazine. Méthyle hydrazine. Toxicologie. HYDRAZINE : A TOPICAL CHEMINAL HAZARD. A CASE OF LEAKAGE FROM AN F-16 PLANE. Abstract Exposure to hydrazine or its by-products is a public health concern because of the particular toxicity of these very reactive agents. They are commonly used in various fields such as organic chemistry, aeronautics and even aerospace (Ariane rocket, US rocketship, satellites…). Airway and skin are the most frequent sites concerned by the contamination, determining burns and severe functional disorders (respiratory, renal, liver and neurological functions). After a quick decontamination, treatment is mainly based on pyridoxine in addition to the symptomatic treatment. In the light of an air incident implying an F16 fighter leading to a chemical threat due to hydrazine, we will recall the properties and toxicity of this agent as well as protective actions to carry out and recommended therapy strategy which the whole medical military staff should know. Keywords: Aeronautics. Aerospace. F16. Hydrazine. Methyl hydrazine. Toxicology. Introduction L’hydrazine et son dérivé méthylé sont des substances chimiques très réactives. Elles sont utilisées en particulier comme carburants dans le milieu aéronautique et spatial mais aussi lors de synthèses chimiques dans l’industrie. Ainsi, ils appartiennent à la liste des 21 produits reconnus C. MILLET, médecin principal, C. RENARD, pharmacien en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce. E STRAT, sergent chef, pompier de l’armée de l’Air. P. BURNAT, pharmacien chef des services, professeur agrégé du Val-de-Grâce. Correspondance : C. MILLET, service médical, Base Aérienne 102, BP 90 102 – 21093 Dijon Cedex 9 médecine et armées, 2009, 37, 4, 291-296 par l’Amed P6 (Allied Medical Publications) comme toxiques chimiques industriels (1). Il est donc indispensable que le personnel du service de santé des armées connaisse la toxicité de ces substances ainsi que les contres-mesures médicales à mettre en œuvre. Celles-ci seront décrites après avoir relaté un incident aérien survenu sur la base aérienne 102 capitaine Guynemer de Dijon Longvic (BA 102). Incident aérien du 7 juin 2006 Le 7 juin 2006 à 16 h 42, les moyens de secours de la BA 102 sont mis en alerte pour un avion de chasse de la Force aérienne Belge de type F-16 qui présente un 291 problème technique en vol nécessitant le déclenchement de son Emergency Power Unit (EPU). Le risque chimique est immédiatement pris en compte car l’EPU fonctionne grâce au mélange H70 (solution aqueuse d’hydrazine à 70 %) (fig. 1, 2). L’avion une fois posé, est dirigé vers une aire de parking prédéfinie dans les consignes de sécurité (emplacement le plus éloigné de la zone vie et de la zone technique de la base aérienne). Il est suivi par l’ensemble des secours aéronautiques qui se positionnent à 35 mètres, vent dans le dos. Le périmètre de sécurité pour le personnel non habilité est de 100 mètres minimum. Le chef des secours et le chef d’agrès, équipés de combinaisons de protection chimique et d’appareils respiratoires isolants (ARI) calent l’avion et l’inspectent. Ils constatent (fig. 3) : – l’utilisation de l’EPU grâce au témoin de fonctionnement (noir et gris argenté) ; – l’absence de fuite d’H70 dans le fuselage grâce au témoin de fuite interne (pastille orange). Avec l’accord du pilote, la goupille de sécurité est insérée dans son logement afin de neutraliser l’EPU. Le chef des secours demande la coupure du moteur au pilote pour procéder au test de vapeur d’H70 au niveau de l’échappement de l’EPU. Ce test s’effectue à l’aide d’une pompe à main de marque Dräger utilisée avec des tubes réactifs colorés spécifiques de l’hydrazine. Le test se révèle positif : il existe un risque de contamination du pilote lors de sa sortie du cockpit par ce toxique. Le pilote en est informé par l’intermédiaire d’un panneau de couleur rouge. Il reste à bord sous oxygène 100 % grâce à une réserve située dans une bouteille à droite du siège éjectable et annonce alors une heure d’autonomie. Un quart d’heure plus tard un deuxième test est effectué, toujours positif. Le pilote, ne supportant plus la chaleur Figure 1. Configuration de l’avion F16 et de son armement. Figure 2. Avion F-16, localisation du générateur de secours. 292 c. millet Utilisations de l’hydrazine Les dérivés les plus utilisés sont l’hydrazine, l’hydrate de méthylhydrazine et l’Aérozine 50 (mélange à parties égales d’hydrazine et de 1, 1- diméthyl hydrazine). Aéronautique et spatial Figure 3. Description schématique de la procédure de secours mise en œuvre. dans le cockpit, sort à sa demande de l’avion, à l’aide d’un masque branché sur un appareil respiratoire isolant (ARI) d’un sauveteur. Le pilote est ensuite pris en charge par le service médical de la base. L’interrogatoire ne retrouve aucun signe d’exposition et l’examen clinique est strictement normal. Le pilote n’ayant été contaminé ni par les vapeurs, ni par le liquide, il est décidé de ne pas pratiquer de bilan complémentaire. Trois autres tests seront réalisés tous les quarts d’heure. Le cinquième test étant négatif, l’avion est tracté en zone dégagée du parking militaire. À 18 h 42, un périmètre de sécurité est mis en place autour de l’avion : l’intervention est terminée. Proprietés physicochimiques L’hydrazine anhydre (H2N-NH2) est un liquide incolore, hygroscopique, fumant à l’air et présentant une odeur aminée ou ammoniacale avec un seuil olfactif à 3,7 ppm (parties par million). Son point de fusion est de 2 °C et d’ébullition à la pression atmosphérique de 113,5 °C. La température d’auto-inflammation est de 270 °C. A partir de 23 °C l’hydrazine se décompose sous l’action de la chaleur et des UV en azote, ammoniac et hydrogène. Cette température peut être abaissée par la présence, surtout lorsqu’ils sont à l’état pulvérulent, de catalyseurs comme le platine, le fer, le nickel, le cuivre, le cobalt, le molybdène et leur oxydes (2). Avec l’eau, l’hydrazine à 70 % forme l’hydrazine monohydratée qui est un liquide alcalin. C’est une base légèrement plus faible que l’ammoniaque qui forme avec les acides, des sels dont certains sont explosifs (nitrates, chlorates, perchlorates, etc.). L’hydrazine possède un puissant pouvoir réducteur, particulièrement en milieu alcalin, et s’oxyde à l’air à température ambiante. La majorité des oxydants (acide nitrique, peroxyde d’hydrogène, chlorates, permanganates, etc.) réagissent avec elle de manière brutale avec des risques d’explosion. Cette très forte réactivité fait que l’hydrazine doit être conservée à l’abri de l’air sous azote dans des récipients très propres exempts de catalyseurs métalliques potentiels (acier inoxydable à faible teneur en molybdène, aluminium, titane, etc.). L’hydrazine produit lors de sa décomposition une réaction très exothermique avec dégagement d’une quantité très importante de gaz utilisé pour la propulsion. Cette réaction est particulièrement rapide et puissante mais facilement modulable sur les engins spéciaux. C’est un monergol qui a la propriété de ne pas nécessiter de comburant. En aéronautique l’hydrazine est retrouvée dès 1944 dans le premier avion-fusée allemand, le Messerschmitt Me163B ou Komet. L’hydrazine sous le nom de B-Stoff, est associée au méthanol et au peroxyde d’hydrogène T-Stoff dans une fusée Walter HWK 509A-2 à 1 700 kg de combustible liquide. Le caractère très instable du système de propulsion s’est traduit par de très nombreux accidents et une utilisation opérationnelle limitée. Aujourd’hui l’hydrazine sert de carburant pour les générateurs de secours (EPU) des avions de chasse F-16. Ce générateur permet de maintenir l’avion en vol en cas de défaillance du circuit électrique, hydraulique ou en cas d’arrêt du moteur. Le pilote bénéficie ainsi d’une petite autonomie lui permettant de regagner une piste d’atterrissage. En dehors des États-Unis (vol initial en 1974) cet avion a été vendu à de nombreuses armées de l’air dans le monde (une vingtaine de pays) dont en Europe : Belgique, Italie, Danemark, Grèce, Norvège, Pays-Bas, Roumanie et Portugal. Cet avion construit en très grand nombre, verra le 5 000 e exemplaire sortir prochainement d’usine. Sur la dernière décennie, on compte une moyenne de deux crashs par mois dans le monde, et d’une intervention par semaine sur un F-16 effectuée par les moyens de secours. Dans le domaine spatial européen, l’étage à propergols stockables de la fusée Ariane 5 contient 3,5 tonnes de monométhylhydrazine (MMH) [(CH3)-NH-NH2] pour la satellisation de la charge utile. La navette spatiale américaine utilise, après la première phase qui permet l’arrivée dans l’espace, des moteurs localisés près de la dérive. Ils fonctionnent avec un mélange d’hydrazine et de peroxyde d'azote. Son principal avantage est sa fiabilité car il brûle spontanément dès qu'il est injecté dans la chambre de combustion. L’hydrazine est aussi utilisée dans les moteurs auxiliaires de la navette spatiale américaine pour assurer les petites corrections orbitales. Cette présence d’hydrazine conduit notamment à des précautions particulières et préventives lors des atterrissages sur le site de secours en France. L’hydrazine équipait les capsules Apollo, le module lunaire et équipe aujourd'hui les satellites dans les moteurs à faible poussée pour permettre leur positionnement. Il n’y a pas besoin de mise à feu car l’hydrazine est un monergol : elle réagit d’elle-même et la réaction dure aussi longtemps que le produit est libéré et s’arrête dès la f in de l’émission ce qui permet des hydrazine : un risque chimique d’actualité. cas d’une fuite impliquant un aéronef de type f-16 293 corrections fines de trajectoires. La présence d’hydrazine (450 kg) dans un satellite espion qui devait s’abattre sur terre, a donné l’occasion à la marine américaine de le détruire dans l’espace le 21 février 2008, avec un missile de type SM-3 tactique, en donnant comme raison officielle, le caractère très dangereux de l’hydrazine. Autres utilisations Le fort pouvoir réducteur de l’hydrazine est mis à profit dans deux circonstances : – en chimie organique en particulier dans la réaction de Wolff-Kishner qui permet de réduire les cétones. Ainsi l’hydrazine et ses dérivés sont largement utilisés dans l’industrie pharmaceutique mais aussi dans celle des matières plastiques, des colorants, des insecticides, des fongicides, etc. Le risque industriel lors d’accident ou d’attentat terroriste doit donc être pris en considération du fait de l’extrême dangerosité du produit et des nombreuses industries en cause ; – comme agent anticorrosion, car il réagit avec l’oxygène. Il est encore utilisé dans les circuits hydrauliques, surtout dans les systèmes de chaudière à vapeur, les centrales thermiques à vapeur, le chauffage urbain et les circuits d’eau chaude (3). Sa concentration peut alors atteindre 25 mg.L-1 dans certains circuits d’eau. Enfin, nos futures voitures rouleront peut être avec de l’hydrazine puisque le constructeur automobile Daihatsu a proposé en 2007 une pile à combustible utilisant une solution aqueuse à 5 % ! Toxicologie Données générales Le cas le plus fréquent d’intoxication en aéronautique est l’inhalation de vapeurs ou un contact avec la peau, beaucoup plus rarement une ingestion accidentelle. Nous limiterons nos propos à sa toxicité aiguë et le risque évoqué sera celui d’une intoxication des sauveteurs ou du pilote après un crash d’aéronef utilisant de l’hydrazine, ou des opérateurs lors de la réparation ou de l’alimentation des réservoirs. L’hydrazine est facilement et rapidement absorbée à travers la peau, par inhalation ou par ingestion (1). L’hydrazine est toxique quelle que soit la voie d’intoxication. Par voie orale, la dose létale 50 % est de 60 mg.kg-1 chez la souris ou le rat. Par voie percutanée elle passe à 93 mg.kg-1 chez le cobaye. Par inhalation pour une exposition de 4 heures la concentration létale 50 % est de 250 ppm (328 mg.m-3) chez la souris et 570 ppm (747 mg.m -3 ) chez le rat. Les données expérimentales animales ont permis d’extrapoler à l’homme et de déf inir, en cas d’exposition par voie aérienne, des seuils d’effets létaux et des seuils d’effets réversibles (fig. 4) (4). Mécanisme d’action Le mécanisme d’action toxique de l’hydrazine et de ses dérivés est connu grâce à la toxicité des champignons responsables du syndrome gyromitrien ou helvellien et à 294 Figure 4. Seuils de toxicité aiguë de l’hydrazine par inhalation pour un temps d’exposition de 1, 10, 20, 30 et 60 minutes (facteur de conversion 1 ppm = 1,31 mg.m-3) (4). celle d’un médicament antituberculeux l’isoniazide qui est une hydrazide de l’acide isonicotinique. La gyromitrine, retrouvée dans les gyromitres (fausse morille…) et les helvelles (mitre d’évêque), est une hydrazone toxique par l’un de ses métabolites : la monométhylhydrazine (MMH). La MMH est ensuite métabolisée par acétylation hépatique. Sa toxicité est liée à l’inactivation de la vitamine B6 (pyridoxine) ce qui conduit à une inactivation des enzymes dépendantes de ce facteur vitaminique. Ainsi, l’inhibition de la décarboxylase de l’acide glutamique conduit à une diminution du taux d’acide gammaamino-butyrique (GABA) intracérébral responsable d’une hyperexcitabilité et de convulsions. D’autre part, une activation métabolique hépatique conduit à la formation de diazonium générateurs de radicaux libres très réactifs. Cette toxicité est majorée chez les acétyleurs lents qui possèdent un génotype déterminé de la NAT2 (N-acétyltransférase) (3). Sa toxicité chronique se traduit par des effets cancérigènes possibles, des risques d’hypotension et de dépression cardiaque. Elle est également hémolysante avec un risque de nécrose tubulaire aiguë (5, 6). Manifestations cliniques Elles sont liées au fait que l’hydrazine est un fort irritant de la peau, des yeux et de l’appareil respiratoire. 1. Inhalation de vapeurs L’exposition aux vapeurs provoque une sensation d’étouffement, des difficultés respiratoires, des nausées et vomissements (7). L’inhalation se traduit directement par une atteinte respiratoire dyspnée et/ou œdème aigu des poumons. L’exposition de deux hommes à l’Aérozine 50 avec des masques à gaz défectueux conduit chez le premier à des céphalées, des nausées et des tremblements avec une sensation de brûlure de la face. Le second est dyspnéique, tremblant et présente un état de faiblesse. Les deux ont des troubles neurologiques incluant des reflexes hyperactifs. Tous ces signes ont disparu après le traitement à la pyridoxine. L’œdème aigu des poumons apparu ultérieurement chez les deux victimes a été traité avec succès (8, 9). c. millet 2. Contamination cutanée L’absorption cutanée est très rapide : les données animales (chien) montrent que l’hydrazine est détectée au bout de 30 secondes dans le plasma et que la concentration maximale est atteinte 1 à 3 heures après application. Un cas de contamination cutanée lors d’une explosion en milieu industriel s’est traduit par une brûlure à 22 % associée à une probable inhalation. Lors de l’admission à l’hôpital, l’état neurologique du patient est normal mais 14 heures après l’exposition la victime devient comateuse et son coma persiste 60 heures Après un traitement par la pyridoxine les désordres neurologiques disparaissent dans les 12heures Les autres anomalies sont une élévation de la glycémie, une hématurie, et des diff icultés respiratoires. Des signes d’hépatotoxicité apparaissent dans les trois jours puis disparaissent dans les cinq semaines (9, 10). Lors d’un accident chez des ouvriers allemands remplissant le circuit d’eau chaude d’un système de chauffage central la contamination a été essentiellement cutanée car les vêtements étaient largement imprégnés par le liquide toxique. La biopsie hépatique de l’un deux a montré des dépôts de graisse centrolobulaires, des hépatocytes œdématiés, des nécrose isolées, des inclusions de glycogène et des cellules de Kuppfer granuleuses (11). 3. Atteinte oculaire L’exposition aux vapeurs d’hydrazine peut provoquer une conjonctivite importante et pour des concentrations élevées de vapeurs la possibilité d’une cécité temporaire (11). 4. Contamination par ingestion Un technicien de laboratoire ayant avalé par accident 20-30 ml d’une solution aqueuse d’hydrazine à 6 % a immédiatement vomi. Quatre heures plus tard sont apparues : une sensation de faiblesse, une somnolence et une arythmie. Une leucocytose légère mais persistante, une baisse de l’albuminémie et un accroissement des globulines ont également été notés. Deux jours après l’exposition une augmentation de la température corporelle et une hématurie a été mise en évidence avec une respiration irrégulière. Cinq jours après le patient ne présentait plus de signes (9, 12). Un autre cas d’absorption d’une gorgée d’hydrazine a conduit à un état de confusion, une léthargie et de l’agitation. À l’admission le profil biochimique était normal mais trois à quatre jours plus tard, des signes d’hépatotoxicité sont mis en évidence avec une élévation de l’activité des transaminases, des LDH et de la bilirubine. Le patient est traité par de la pyridoxine et se rétablit après cinq jours. Une neuropathie périphérique s’est développée plus tardivement et a disparu dans les six mois. La neuropathie a été attribuée en fait aux fortes doses de pyridoxine (9, 13). Signes biologiques de toxicité La cytolyse hépatique se traduit par une augmentation de l’activité plasmatique des transaminases, des LDH et des GGT (11). L’atteinte métabolique conduit à une acidose et à une hypoglycémie. L’anémie hémolytique est mise en évidence par une augmentation des bilirubines totale et libre et une haptoglobine effondrée. Si elle est grave, une baisse de l’hématocrite et plus tardivement du VGM est notée. Enfin, si la vitamine B6 était dosée, elle serait abaissée. Contres-mesures médicales mesures préventives et Conduite à tenir en cas d’exposition L’État-major de l’armée de l’Air a demandé à la Direction centrale du Service de santé des armées de constituer un « nécessaire d’urgence hydrazine » et d’établir un protocole de conduite à tenir (14). Cette prise en charge médicale en urgence est mise en place après la décontamination des victimes. Les véhicules d’intervention des services médicaux d’unité impliqués doivent détenir le « kit hydrazine » qui contient l’antidote et une fiche reflexe. Le « kit hydrazine » est constitué de la façon suivante : 2 nécessaires à lavage oculaire, 4 étuis d’ampoules injectables de vitamine B6 ou pyridoxine (BECILAN® 250 mg/5 ml), 4 seringues de 10 ml, 2 aiguilles IV, 2 aiguilles IM, 1 savon ordinaire, 2 serviettes, et 1 fiche « conduite à tenir en cas d’exposition à l’hydrazine et ses dérivés ». La vitamine B6 est considérée comme l’antidote des intoxications par l’hydrazine même si elle est administrée plusieurs jours après l’intoxication. La posologie est de 25 mg.kg-1 (soit une ampoule pour 10 kg de poids) en intraveineuse de 30 minutes (15). Cette dose peut être répétée si nécessaire sans dépasser 15 g par jour à cause du risque de neuropathie périphérique engendré par de fortes doses de vitamine B6 (6). La fiche reflexe peut se décliner selon le protocole suivant : éloigner rapidement, transporter les victimes à distances de la zone contaminée et débuter une décontamination. En cas de projection sur les vêtements : enlever rapidement les textiles contaminés, les emballer pour éviter tout risque de transfert de contamination et de libération de vapeurs toxiques. En cas de projection sur la peau : après un savonnage soigneux, laver à grande eau pendant vingt minutes les surfaces cutanées exposées. En cas de projection oculaire : laver l’œil à l’eau courante, front sous l’eau avec l’œil ouvert, ou rincer abondamment l’œil par flux continu de sérum physiologique pendant vingt minutes. En cas d’ingestion, il faut donner une quantité importante d’eau pour diluer le toxique puis réaliser un lavage gastrique (7, 15) ou à défaut faire vomir. L’administration de charbon actif est aussi envisageable. En cas d’atteinte respiratoire une oxygénothérapie sera mise en place. En cas de convulsions des benzodiazépines seront administrées. hydrazine : un risque chimique d’actualité. cas d’une fuite impliquant un aéronef de type f-16 295 Mesures préventives Les données toxicologiques sur ce produit ont donc amené à prendre des précautions drastiques concernant son utilisation. Un étiquetage réglementaire est obligatoire et doit apparaître sur tous les produits contenant de l’hydrazine (fig. 5). De plus, il existe en France des valeurs limites d’exposition professionnelle, la valeur limite de moyenne d’exposition (8 heures par jour et 40 heures par semaine) est de 0,1 ppm ou 0,13 mg.m-3. Quant à l’IDLH (immediately dangerous for life and health) définie par les américains, elle est de 50 ppm (66 mg.m-3) pour une exposition de 30 minutes. Les secours qui vont intervenir en zone contaminée doivent porter une protection des voies respiratoires soit par un appareil respiratoire isolant, soit par un masque à cartouche (filtre de type K efficace contre l’ammoniac et les dérivés aminés). Le port de tenue de protection est également nécessaire avec en particulier le port de gants. En cas d’incendie, l’agent d’extinction préconisé est l’eau si possible sous forme pulvérisée. Ces mesures préventives doivent être en place sur les bases aériennes mais aussi sur le site de Kourou où des militaires français réalisent diverses missions. Ils pourraient être en contact avec l’hydrazine après un accident sur la fusée Ariane qui disperserait le toxique dans l’environnement. Que ce soit lors d’une explosion en vol ou de la récupération des morceaux d’épave (16). Pour sa mise en évidence dans les atmosphères, la société Dräger commercialise des tubes réactifs utilisables avec une pompe à main qui permettent sa détection à partir de 0,1 ppm. Des procédures écrites doivent donc être rédigées et connues de l’ensemble des personnels concernant la manipulation de l’hydrazine et la conduite à tenir en cas d’incident. R 10 : inflammable R 23/24/24 : toxique par inhalation, par contact avec la peau et par ingestion R 34 : provoque des brûlures R 43 : peut entraîner une sensibilisation par contact avec la peau R 45 : peut occasionner un cancer S 45 : en cas d’accident ou de malaise consulter immédiatement un médecin S 53 : éviter l’exposition et se procurer des instructions spéciales avant utilisation Figure 5. Étiquetage réglementaire de l’hydrazine. Conclusion Cet incident survenu sur un F16 rappelle que les risques chimiques liés à l’hydrazine sont toujours d’actualité. Ce produit, très largement utilisé dans l’industrie chimique et aéronautique, a une place très particulière du fait de sa très forte réactivité chimique et de sa toxicité touchant de nombreux organes. Toutes deux nécessitent des procédures parfaitement connues et une connaissance des risques. La prise en charge médicale en urgence doit être maîtrisée et si besoin, mise en place après la décontamination des victimes. Les véhicules d’intervention des services médicaux d’unité impliqués doivent détenir un « nécessaire d’urgence hydrazine » qui contient l’antidote et un protocole de prise en charge. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. AmedP-6 (B) Part III Chemical. Manuel OTAN sur les aspects médicaux des opérations de défense NBC. OTAN. Bruxelles, 1996. 2. Hydrazine, hydrate d’hydrazine et solution aqueuses. 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Méd Arm 1995 ; 23 : 557-63. c. millet Épidémiologie Dépistage urinaire d’une consommation de drogues illicites (cannabis, cocaïne et opiacés) : bilan de l’année 2007 pour le personnel navigant. C. Renard a, J.-F. Paris b, D. Delaune c, B. Huart d, J.-F. Oliviez b, D. Chianea a, Ph. Vest a. a Service biochimie toxicologie clinique, HIA Percy, BP 406 – 92 141 Clamart Cedex. b Centre principal d’expertise médicale du personnel navigant, BP 406 – 92 141 Clamart Cedex. c HIA Bégin, 69 avenue de Paris – 94 163 Saint Mandé Cedex. d IRBA, antenne de Brétigny sur Orge, BP 73 – 91 223 Brétigny sur Orge Cedex. Article reçu le 29 septembre 2008, accepté le 26 février 2009. Résumé Des textes réglementaires récents ont modifié le dépistage des consommations de drogues dans l’armée française. Ainsi, depuis le premier septembre 2008 une harmonisation du seuil de dépistage urinaire du cannabis, entre les différentes catégories de personnels navigants, a été instaurée à 50 μg.L-1 et le dépistage des opiacés a été arrêté. Par contre, la recherche de l’ecstasy a été mise en place pour les militaires. Nous présentons dans ce travail les résultats obtenus en 2007 au Centre principal d’expertise médicale du personnel navigant de l’îlot Percy. Pour 5 863 dépistages urinaires réalisés 17 ont permis de mettre en évidence une consommation de substances illicites. Il s’agit à une exception près (cocaïne) de consommations de cannabis. Ces résultats sont ensuite discutés. Mots-clés : Armée. Cannabis. Cocaïne. Dépistage de drogues. Opiacés. URINARY DRUG SCREENING (CANNABIS, COCAINE AND OPIATES): RESULTS OF THE FLIGHT PERSONNEL IN 2007. Abstract New statutory texts have modified urinary drug screening in the French army. Since the first of September 2008, the cutoff value for cannabis has been harmonized between military and civilian personnel. Concerning the drugs panel, the screening for opiates has been discontinued and replaced by a screening for ecstasy (but for military personnel only). This article describes the results of 5 863 urinary drug screenings at the Percy “Centre principal d’expertise médicale du personnel navigant” in 2007. Only 17 urines were positive: one for cocaine and 16 for cannabis. Finally we comment these results. Keywords: Army. Cannabis. Cocaïne. Drug screening. Opiates. Introduction Différents textes du ministère de la Défense et du Service de santé des armées (SSA) ont fait récemment le point sur le dépistage de la toxicomanie dans les armées (1-3). Il est ainsi rappelé que l’ensemble des militaires C. RENARD, pharmacien en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce. J-F. PARIS, médecin chef des services, spécialiste du SSA, D. DELAUNE, médecin lieutenant, interne des HA, B. HUART, pharmacien en chef (TA), spécialiste du SSA, J.-F. OLIVIEZ, médecin principal. D. CHIANEA, pharmacien en chef spécialiste du SSA. Ph. VEST, pharmacien en chef spécialiste du SSA. Correspondance : C. RENARD, Fédération des laboratoires, HIA Percy, BP 406 – 92 141 Clamart Cedex. médecine et armées, 2009, 37, 4, 297-302 peut être soumis, en tout temps et en tout lieu, au dépistage des consommations de stupéfiants et de médicaments détournés de leur usage ainsi que des abus d’alcool. Ce dépistage peut ainsi être réalisé dans deux cadres distincts : – celui effectué par l’autorité militaire, susceptible d’entraîner des sanctions disciplinaires ; – celui effectué par le SSA, susceptible d’entraîner une inaptitude médicale. Dans tous les cas, les substances qui peuvent être recherchées en dehors de l’alcool, sont celles mentionnées à l’article L. 3 421-1 du Code de la santé publique et notamment le cannabis, les opiacés, les amphétamines et leurs dérivés, la cocaïne et ses dérivés, l’acide lysergique 297 diéthylamide (LSD) et l’acide gamma hydroxybutyrique (GHB ou gamma-OH). Si le dépistage est réalisé par le SSA, le sujet est au préalable informé de l’incompatibilité des conduites addictives à l’alcool ou aux stupéfiants avec la fonction militaire. L’information reçue, au moins un mois avant sa mise en œuvre pour tout candidat à l’engagement, sera attestée par un document signé. Le dépistage organisé par le SSA peut ainsi se décliner sous trois modes différents : – le dépistage systématique comme celui défini dans l’instruction N° 800 du 20 février 2008 relative à l’aptitude médicale aux emplois du personnel navigant des forces armées ; – le dépistage ciblé pour une affectation temporaire nécessitant une surveillance accrue ou devant un comportement suscitant un doute quant à l’emploi de substances illicites ; – le dépistage aléatoire, essentiellement dissuasif, organisé par le SSA à la demande de l’autorité militaire en effectuant un tirage au sort par strate (par exemple 10 % des officiers, des sous-officiers et des militaires du rang). Les résultats, couverts par le secret professionnel, ne peuvent être communiqués à l’autorité militaire que sous la forme d’une appréciation globale et anonyme, en termes d’aptitude ou d’inaptitude. La note de mise en application précise que le dépistage urinaire doit être la méthode de choix pour la détermination d’une aptitude médicale et que le dépistage salivaire peut être retenu pour le dépistage disciplinaire (2). Tout résultat positif doit être conf irmé par une technique de confirmation dans des laboratoires agréés : l’institut de médecine aérospatiale du service de santé des armées (IMASSA à Brétigny sur Orge) ou l’institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN à Rosny sous Bois). En ce qui concerne le personnel navigant de l’armée de l’Air et des compagnies aériennes civiles le dépistage d’une prise de drogue illicite était réalisé, jusqu’au 1er septembre 2008, pour le cannabis, la cocaïne et les opiacés. Depuis, une uniformisation des seuils de détection pour le cannabis entre civils et militaires est effective avec l’arrêt de la recherche des opiacés et la recherche pour les militaires de l’ecstasy ou méthylènedioxyméthamphétamine (MDMA). À partir des résultats obtenus pour l’année 2007 au prof it du centre principal d’expertise médicale du personnel navigant (CPEMPN de l’îlot Percy) nous discuterons des avantages et des limites du dépistage urinaire ainsi que de son évolution depuis le 1er septembre 2008. Matériels et méthodes parties aliquotes, une est adressée immédiatement au laboratoire de l’hôpital pour le dépistage et les deux autres, conditionnées en flacon inviolable, sont adressées à l’IMASSA uniquement si le dépistage est positif pour au moins une des trois drogues recherchées (une pour confirmation et une conservée congelée à des fins de contre-expertise). Techniques analytiques Les techniques utilisées à l’HIA Percy sont basées sur l’interaction cinétique de microparticules en solution (KIMS ou kinetic interaction of microparticle in solution) mises en œuvre sur l’analyseur Cobas Integra 800 ® (Roche Diagnostics). Il s’agit d’une technique où la drogue (antigène : Ag) présente dans l’urine entre en compétition avec l’Ag du réactif, f ixé sur des microparticules, vis-à-vis d’anticorps (Ac) spécif iques. L’absorption de la lumière émise par la lampe du spectrophotomètre est d’autant plus importante qu’il y a agrégation des microparticules. L’absorbance mesurée est donc inversement proportionnelle à la concentration de la drogue recherchée dans l’urine. Les Ac monoclonaux de souris sont dirigés contre la morphine pour les opiacés, la benzoylecgonine pour la cocaïne et l’acide 11-nor-Δ-9tétrahydrocanabinol-carboxylique (THC-COOH) pour le cannabis. Les résultats sont exprimés de façon semi-quantitative en morphine, en benzoylecgonine et en THC-COOH puis déclarés positif ou négatif après comparaison aux seuils ou « cut-off » (tab. I). Tous les dépistages positifs conduisent à la mise en œuvre, par le laboratoire de l’IMASSA, d’une technique de confirmation considérée par les sociétés scientifiques comme la méthode de référence qui est la chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse. Elle associe la chromatographie en phase gazeuse (CPG) qui assure la séparation des constituants urinaires à une méthode d’identification par spectrométrie de masse (SM). Ceci permet de confirmer ou non la présence des molécules dépistées. Tableau I. Seuils de positivité utilisés pour le personnel navigant. DROGUE Avant Après 1er septembre 2008 1er septembre 2008 Cannabis 20 μg.L-1 pour les 50 μg.L-1 pour militaires militaires et civils 50 μg.L-1 pour les civils Cocaïne 300 μg.L-1 300 μg.L-1 Opiacés 300 μg.L-1 Sans objet Ecstasy (MDMA) Sans objet 500 μg.L-1 militaires uniquement Spécimens biologiques Les prélèvements biologiques utilisés sont des échantillons d’urine adressés par le CPEMPN dans le cadre des visites d’aptitude du personnel navigant civil (visite d’admission) et militaire (visite d’admission et de révision). L’échantillon recueilli est réparti en trois 298 c. renard Résultats 25,3 ans (extrêmes : 19 - 42 ans) avec 65 % ≤ 25 ans et 35 % > 25 ans (fig. 1). Dépistage Au total 5 863 dépistages urinaires ont été réalisés au profit du CPEMPN en 2007 (fig. 1). Ceci représente 77 dépistages positifs et 75 personnes positives puisqu’une personne était doublement positive en cannabis et en opiacés (non confirmé par l’IMASSA) et une autre a été conf irmée deux fois positive en cannabis à un mois d’intervalle. Le taux de positivité global est donc de 1,3 % (1,2 % chez les hommes et 2,0 % chez les femmes). Pour les deux sexes, les opiacés sont le plus souvent retrouvés (0,7 % chez les hommes et 1,4 % chez les femmes) devant le cannabis (0,5 % chez les hommes et 0,6 % chez les femmes). La cocaïne n’a été retrouvée que chez un seul personnel masculin civil. Confirmation Pour les opiacés sur 48 positifs ; 2/3 étaient des militaires (8 admissions) et 1/3 des civils. Dans 96 % des cas l’IMASSA a confirmé qu’il y avait eu effectivement prise d’opiacés. Cependant, aucune consommation d’héroïne n’a pu être mise en évidence. La conclusion est donc qu’il s’agissait à chaque fois de la prise d’antalgiques ou d’antitussifs contenant des opiacés (codéine, pholcodine…). Nous avons retrouvé 11 positifs en hiver, 14 positifs en automne, 8 au printemps et 13 en été. Pour le cannabis 12 (43 %) des 28 dépistages positifs sont non confirmés par l’IMASSA donc des faux positifs (11 militaires et 1 civil). Les 16 confirmés (11 hommes et 5 femmes) comprenaient 10 civils et 6 militaires. Le seul dépistage positif en cocaïne a été confirmé par l’IMASSA, notons que sa concentration estimée lors du dépistage était proche du seuil (305 μg.L-1). Au final les 17 confirmations de consommation de drogues illicites (16 pour le cannabis et 1 pour la cocaïne) représentent 0,3 % des urines testées, l’âge moyen est de Discussion Nous articulerons notre discussion en deux parties tout d’abord sur le plan analytique puis sur le plan épidémiologique. Analytique L’analyse globale des résultats des tests de dépistage démontre que les techniques utilisées ne sont pas assez spécif iques puisque seulement 22 % des dépistages positifs ont été confirmés comme des consommations de produits illicites. Les limites bien connues des tests de dépistage justifient pleinement l’usage d’une technique de confirmation comme la CPG/SM afin de pouvoir décider de l’aptitude médicale. Pour les opiacés, test de dépistage le plus souvent positif, aucune confirmation de consommation d’héroïne n’a pu être apportée. La raison est liée à la nature des Ac utilisés qui sont dirigés contre le noyau morphinane de la morphine commun à de nombreuses molécules à usage thérapeutique comme la codéine, la pholcodine et la codéthyline (4). Toutes ces molécules vont positiver les tests urinaires par le biais de réactions croisées (223 μg.L-1 de codéine donnent un résultat positif avec la technique KIMS) et par le fait que la morphine est un métabolite commun des opiacés. Notons que la buprénorphine et la méthadone utilisées comme traitements de substitution dans la dépendance aux opiacés n’entraînent pas, aux doses thérapeutiques, des tests positifs. La décision d’aptitude ne peut donc être prononcée qu’après mise en œuvre de la technique de conf irmation qui permet de rechercher la 6monoacétylmorphine (6-MAM) métabolite spécifique de l’héroïne. La durée de détection dans les urines après une prise d’héroïne n’est que de 7 heures; par contre elle est métabolisée en morphine au niveau hépatique qui elle 5 863 dépistages dépistages + = 1,3 % Age moyen 31,9 ans (ET = 9,3) HOMMES 4915 (83,8 %) dépistages + = 1,2 % Age moyen 33,1 ans (ET = 9,4) Dépistage opiacés + 35 (0,71 %) - 26 militaires - 9 civils Confirmation* 0 Dépistage cannabis + 22 (0,45 %) - 16 militaires - 6 civils FEMMES 948 (16,2 %) dépistages + = 2,0 % Age moyen 25,9 ans (ET = 6,3) Dépistage cocaïne + 1 (0,02 %) - 1 civil Confirmation 11 (0,22 %) - 5 militaires - 6 civils Confirmation 1 (0,02 %) - 1 civil Dépistage opiacés + 13 (1,37 %) - 6 militaires - 7 civils Confirmation* 0 Dépistage cannabis + 6 (0,63 %) - 1 militaire - 5 civils Confirmation 5 (0,52 %) - 1 militaire - 4 civils Dépistage cocaïne + 0 Confirmation* 0 ET : écart type; * : d’une toxicomanie à l’héroïne. Figure I. Résultats obtenus pour l’année 2007. dépistage urinaire d’une consommation de drogues illicites (cannabis, cocaïne et opiacés) : bilan de l’année 2007 pour le personnel navigant 299 sera présente pendant 48 heures. Chez les héroïnomanes il est fréquent de retrouver également de la codéine qui provient des impuretés de fabrication et/ou de la consommation concomitante de médicaments opiacés comme le Néo-Codion®. Aucune toxicomanie à l’héroïne n’a été détectée depuis la mise en place du dépistage urinaire au CPEMPN. On ne peut cependant pas associer ce résultat uniquement à la faible durée de détection dans les urines car la forte dépendance liée à la prise d’héroïne conduirait probablement le toxicomane à une prise dans des délais < 48 heures. Le nombre important de faux positifs pour le cannabis chez les militaires est en partie lié au seuil utilisé pour cette catégorie de personnels et à la technique mise en œuvre. En effet, pour les militaires il était à 20 μg.L-1 alors qu’il était à 50 μg.L-1 pour les civils (tab. I). Les performances de la technique sont moins bonnes à 20 μg.L-1 car c'est une concentration proche de la limite de détection pour la technique de dépistage. De plus, les substances interférentes par réaction croisée vont simuler des concentrations plutôt faibles et donc majorer le risque de faux positifs avec un seuil bas. Ainsi, 11 des 12 faux positifs avaient une concentration estimée en THCCOOH comprise entre 20 et 30μg.L-1. Parmi les molécules à l’origine de faux positifs nous pouvons citer plusieurs anti-inflammatoires : l’acide niflumique (Nifluril ® gélule) et le norniflumate (Nifluril® suppositoire) ainsi que l’ibuprofène présent dans de nombreuses spécialités (5, 6). Ces interférences sont d’autant plus inattendues qu’il n’y a pas d’analogie structurale entre ces molécules et le THC-COOH et que selon les coffrets l’interférence n’est pas toujours retrouvée. Quant aux performances analytiques du test utilisé (KIMS) Lu et Taylor (7) l’ont comparé avec un autre très répandu dans les laboratoires pour 10 drogues dont celles recherchées pour le CPEMPN. En cas de discordance une conf irmation avec quantification par CPG/SM était réalisée. La recherche de cannabis est celle qui conduit le plus souvent à des discordances puisque dans 2,6 % des cas la technique KIMS est positive alors que l’autre est négative avec comme seuil de positivité 50 μg.L-1. Le choix du réactif, conditionné par l’équipement de chaque laboratoire, conduira donc à un nombre de faux positifs variable. Le commentaire de ces résultats permet de répondre à deux interrogations récurrentes sur les tests de dépistage du cannabis. Le tabagisme passif peut-il conduire à un test de dépistage positif ? La polémique vient d’une publication réalisée dans des conditions expérimentales qui ne correspondent absolument pas à la réalité (local de 16 m2 dans lequel les sujets étaient exposés à la fumée de 16 cigarettes, l’atmosphère était tellement chargée qu’il fallait porter des lunettes de plongée !) (8, 9). Ainsi, on estime que la concentration maximale pouvant être retrouvée chez un fumeur passif est bien inférieure aux seuils utilisés (10). La deuxième interrogation porte sur la durée de détection dans les urines après consommation ? Pour répondre à cette question il est nécessaire de faire un rappel sur le métabolisme complexe du cannabis et sur sa vitesse d’élimination qui est extrêmement variable selon les sujets (10, 11). Aux premiers rangs des facteurs susceptibles de la modif ier, f igurent la fréquence de consommation et les doses utilisées. Ainsi, 300 la demi-vie terminale d’élimination montre de grandes amplitudes : de un à quatre jours chez le consommateur occasionnel, elle peut atteindre trois à treize jours chez le consommateur régulier. En raison de sa très forte séquestration dans les graisses, de l’ordre de 20 %, la quantité fixée dans les tissus a une demi-vie de deux à trois mois. Il faut également mentionner l’existence d’un cycle entéro-hépatique ainsi qu’une réabsorption rénale qui constituent autant de freins à l’élimination. Au final l’élimination urinaire de THC-COOH représente 15 à 30 % de la dose qui a pénétré dans l’organisme car 55 à 65 % de la dose est éliminée par voie digestive. L’analyse des urines de sujets ayant fumé tous les jours pendant deux semaines un « joint » contenant 1,75 % ou 3,55 % de « principe actif » révèle une demi-vie d’élimination comprise entre 44 et 60 heures (10). Chez des grands consommateurs réguliers on estime qu’au seuil de 25 μg.L-1 le dépistage urinaire est toujours négatif après un mois d’abstinence. Les candidats à l’admission seront donc toujours négatifs s’ils arrêtent leur consommation au moment où ils reçoivent leur convocation. Par contre, la fenêtre de détection longue permettra de dépister ceux qui ne respectent pas cette abstinence. Cependant, le nouveau seuil fixé à 50 μg.L-1 va normalement limiter la durée de détection depuis la dernière prise. L’objectif est totalement différent de celui recherché par l’emploi d’un test salivaire qui permet de détecter une consommation de cannabis pendant uniquement six à neuf heures par contamination de la cavité buccale par la fumée. Qu’elle sera l’incidence d’harmoniser le seuil de détection à 50 μg.L -1 pour les civils et les différentes catégories de militaires ? Le nombre de dépistages rendus positifs serait de 13 avec seulement 1 faux positif. Cependant, il est important de constater que l’emploi de ce nouveau seuil conduirait à l’existence de trois consommateurs non dépistés (faux négatifs) parmi les militaires (1 visite d’admission et 2 visites de révision pour la même personne) ; en effet, ils avaient respectivement des concentrations estimées en THCCOOH de 40, 45 et 27 μg.L-1 qui ont été confirmées par l’IMASSA. Dans l’avenir le nombre de faux positifs deviendra négligeable mais il y aura d’avantage de faux négatifs. Le nombre de faux négatifs n’est pas évalué actuellement, mais pour les militaires nous pouvons penser qu’avec le seuil à 20 μg.L-1 il était négligeable puisqu’un seul vrai positif a été retrouvé dans la zone de concentration 20 - 30μg.L-1. Par contre pour les personnels civils nous avons déjà actuellement des résultats compris entre 20 et 50 μg.L-1 que nous rendons négatif (fréquence non estimée) ; à l’instar des résultats obtenus pour les militaires nous pouvons penser que ceux qui ont une concentration estimée en THC-COOH entre 40 et 50 μg.L -1 seraient pour leur majorité conf irmés par l’IMASSA. Même si la consommation de cannabis est répréhensible, ces techniques de dépistage permettent uniquement de donner un résultat qualitatif par rapport à un seuil et non pas de dépister tous les consommateurs. Les américains utilisent des seuils déf inis par le SAMSHA (Substance abuse and mental health services administration) qui sont actuellement : 50 μg.L-1 pour le cannabis, 300 μg.L-1 pour la cocaïne et 2 000 μg.L-1 pour les opiacés. Nous sommes donc en phase avec ces seuils c. renard depuis le 1 er septembre 2008. Pour les opiacés il est intéressant de noter qu’il était initialement de 300 μg.L-1 et qu’il a été augmenté en 1997 à cause du nombre important de faux positifs lié en particulier à l’ingestion de graines de pavot d’origine alimentaire (13). Quant au MDMA, désormais recherché pour les militaires, il est détectable dans les urines jusqu’à 72heures après son absorption (11). Sa parenté structurale avec l’amphétamine et surtout la méthamphétamine conduit à des réactions croisées variables selon les techniques de dépistage. Des réactions croisées sont également possibles avec d’autres drogues qualifiées d’entactogènes (qui favorise le contact avec son propre intérieur) car ecstasy est un terme générique très souvent utilisé pour d’autres composés ou des mélanges de ces drogues. Épidémiologique Le nombre important d’hommes dans notre série s’explique par le fait que le personnel navigant militaire est constitué d’une population majoritairement masculine. Les militaires ont des dépistages urinaires à l’admission et à chaque visite de révision ce qui explique aussi la moyenne d’âge plus élevée chez les hommes. Le dépistage urinaire de la cocaïne et surtout du cannabis a permis de mettre en évidence des prises de drogues illicites mais pour les opiacés aucune consommation d’héroïne n’a été retrouvée. La période allant du 20 septembre au 20 mars regroupe 54 % des résultats trouvés positifs en opiacés, il ne ressort donc pas d’effet saisonnier évident. La prise d’antalgiques, à la différence de celles d’antitussifs, n’est pas rythmée par les saisons. À une époque où le rapport coût/bénéfice doit être pris en compte dans tout acte médical, l’abandon de cette recherche semble justifié car elle n’a jamais permis depuis sa mise en place de confirmer un prise d’héroïne. De plus, si l’héroïne est injectée l’examen clinique permettra éventuellement de dépister le toxicomane (hématomes ou traces d’injections) et la consommation concomitante d’autres drogues est fréquente. Ainsi, depuis le 1er septembre 2008 le dépistage des opiacés est abandonné et remplacé uniquement pour les militaires par la recherche de l’ecstasy (tab. I). Deux études nationales publiées récemment permettent également de discuter nos résultats. Le système d’observation des usages de drogues en population générale, mis en place par l’observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), repose sur plusieurs enquêtes transversales dont les enquêtes Escapad (Enquête sur la santé et les consommations lors de la journée d’appel de préparation à la défense) (14). En 2005, 1 jeune de 17 ans sur 2 dit avoir déjà fumé du cannabis, plus d’un quart au cours du mois, 1 sur 10 régulièrement (au moins 10 fois par mois) et 1 sur 20 quotidiennement. Le sexe ratio (homme/femme) passe de 1,2 pour l’expérimentation et l’usage au cours des 12 derniers mois à 2,4 pour l’usage régulier et l’usage quotidien. À 17 ans, la consommation quotidienne de cannabis est en revanche beaucoup plus répandue que celle de l’alcool (5,2 % versus 1,2 %). Pour les autres drogues recherchées au CPEMPN l’expérimentation à 17 ans est par ordre décroissant de 3,5 % pour l’ecstasy (sexe ratio 1,5), de 2,5 % pour la cocaïne (sexe ratio 1,5), de 0,7 % pour le crack (sexe ratio 1,4) et de 0,7 % pour l’héroïne (sexe ratio 1,2). Entre 2000 et 2005, il est observé une augmentation des consommateurs réguliers de cannabis, d’ecstasy et de cocaïne alors que ceux d’héroïne sont stables (tab. II). Une autre étude réalisée par auto-questionnaire entre 2003 et 2004, chez des étudiants parisiens de première et deuxième année en médecine, pharmacie, droit, psychologie et sociologie porte sur une population plus proche de celle que nous avons en visite d’admission (15). Seul le cannabis était concerné et il en ressort que son expérimentation concerne 47,6 % des étudiants (55,2 % des hommes et 45,7 % des femmes), qu’elle est de 39 % pour les titulaires du bac S versus 63 à 72 % des bacs professionnels et qu’elle est d’autant plus faible que le bac a été obtenu jeune (37 % à 17 ans et 58 % si âge ≥ 19 ans). Enfin, le classement selon les disciplines est le suivant : pharmacie (25,9 %), médecine (37,3 %), droit (41 %), psychologie (65,2 %) et sociologie (72 %). Quant à la fréquence d’usage 31 % ont consommé dans l’année, 16,3 % sur le mois précédant l’enquête, 7,9 % de façon occasionnelle, 4 % régulièrement et 4,4 % quotidiennement. Toutes ces études, uniquement basées sur des questionnaires, montrent que le cannabis est la substance la plus consommée et que l’utilisation des autres drogues reste marginale même si celles de cocaïne et d’ecstasy augmentent (tab. II). Ces résultats sont en accord avec ceux présentés car le cannabis est quasiment la seule drogue retrouvée au CPEMPN. Pour 2008 aucun dépistage de cocaïne n’a été positif et un taux de positivité voisin de celui de la cocaïne est attendu pour le dépistage de l’ecstasy (deux faux positifs à ce jour). Quant à la fréquence de positivité, elle est très faible par rapport aux enquêtes nationales et pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les candidats à l’admission n’appartiennent pas tous à des milieux sociaux favorisés, mais ils sont en situation de réussite scolaire et universitaire donc dans la catégorie la « moins touchée » par la toxicomanie. Le fait de prévenir qu’il y aura un dépistage, au moins un mois avant la date de la visite, ne permettrait de dépister que les Tableau II. Usage de certaines drogues entre 18 et 25 ans en 2000 et 2005 (14). 2000 (en %) 2005 (en %) Cannabis : expérimentation consommation dans l’année écoulée consommation régulière 45,0 25,2 7,2 47,6 22,3 8,7 Ecstasy 2,8 4,0 Cocaïne 2,2 3,2 Héroïne 0,9 0,9 dépistage urinaire d’une consommation de drogues illicites (cannabis, cocaïne et opiacés) : bilan de l’année 2007 pour le personnel navigant 301 consommateurs réguliers et quotidiens donc finalement 8,8 % des étudiants d’après Simmat-Durand (15). Ces derniers peuvent d’ailleurs suspendre voire arrêter leur consommation afin d’obtenir leur aptitude. Pour les visites de révision il s’agit de personnes qui ont déjà passé le barrage de l’admission et qui évoluent dans un milieu professionnel peu propice au développement d’une toxicomanie, deux consommations de cannabis ont cependant été confirmées, dont une qui ne serait plus positive avec le seuil actuel (< 50 μg.L-1). Les données récentes concernant le milieu militaire sont peu nombreuses. Vautier (16) a étudié sur dossier médical et sur questionnaire les consommations de tabac, d’alcool et de cannabis dans un régiment de l’armée de terre en 2002. La tranche d’âge 18-25 ans est celle où la consommation est la plus importante, puis elle diminue considérablement. Nous avons aussi trouvé que dans 65 % des cas il s’agissait de jeunes ≤ 25 ans. Quant au nombre de consommateurs, il est estimé à 9 % par l’examen des dossiers médicaux et à 5,6 % par questionnaire. Les résultats sont supérieurs aux nôtres mais le régiment est composé d’environ 2/3 de militaires du rang et d’1/3 de sous-officiers et officiers. La comparaison de nos résultats à ceux des officiers et sous-officiers serait certainement plus intéressante mais ils ne sont pas disponibles dans l’article. Conclusion Les résultats obtenus confirment les limites des tests de dépistage urinaires pour le cannabis, la cocaïne et les opiacés. L’emploi d’une technique de confirmation en cas de dépistage positif reste donc indispensable pour toute décision médicale ou disciplinaire. Seulement 0,3 % des urines testées sont réellement positives (16 positifs en cannabis et 1 positif en cocaïne). Comme pour les études réalisées dans la population générale le cannabis est la drogue la plus souvent consommée. Le dépistage de cocaïne reste exceptionnel et celui d’héroïne inexistant chez le personnel navigant. Ceci justifie la suppression de la recherche des opiacés depuis le 1 er septembre 2008 remplacée, pour les militaires, par la recherche d’ecstasy une drogue dont la consommation augmente en France. Enfin, le seuil de positivité utilisé pour le dépistage du cannabis est passé de 20 μg.L -1 à 50 μg.L -1 pour le personnel navigant militaire afin de l’harmoniser avec celui des civils et des autres catégories de militaires. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. 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Puiduipin d. a Antenne Lanvéoc du centre médical en base de défense de Brest, B CRM CC600 – 29240 Brest Cedex 9. b Bâtiment de commandement ravitailleur VAR – 00388 Armées. c Service de pathologie cardio-vasculaire, HIA Clermont-Tonnerre CCC41 – 29240 Brest Cedex 9. d Service anesthésie réanimation, HIA Desgenettes, 108 boulevard Pinel – 69275 Lyon Cedex 03. Article reçu le 21 juin 2008, accepté le 10 février 2009. Résumé Les thromboses veineuses sont des affections graves dont le diagnostic est difficile particulièrement pour le médecin militaire en situation isolé qui ne disposerait que de la seule clinique. Nous relatons l’observation d’un patient porteur d’une thrombose de la veine poplitée gauche dont le diagnostic a été porté grâce à un appareil d’échographie portable mis en œuvre par du personnel non spécialisé après une formation courte et orientée. Après une courte revue de la littérature rappelant la stratégie diagnostique, ce nouveau concept d’échographie d’urgence embarqué sur les bâtiments de la marine nationale est ici analysé. Mots-clés : Échographie portable. Médecin isolé. Thrombose veineuse profonde. USEFULNESS OF HAND HELD ULTRASONOGRAPHY IN VEIN THROMBOSIS DIAGNOSIS FOR ISOLATED PHYSICIANS. Abstract Acute deep venous thrombosis is a pathology facing military clinicians particularly in an isolated situation. We report the clinical observation of a sailor with poplitea deep venous thrombosis diagnosed by use of a hand held ultrasound device performed by medical personal with a brief focused training in echography. After a short review of the medical literature of this diagnosis algorithm, we assess that ultrasonography usefully has its place on board French navy ships medical departments. Keywords: Deep venous thrombosis. Hand-held echography. Isolated physician. Introduction Le diagnostic des thromboses veineuses profondes est difficile en pratique, particulièrement pour le médecin d’unité en situation isolée (OPEX ou embarqué) (fig. 1) qui ne dispose le plus souvent que de la seule clinique : interrogatoire, examen et analyse de l’environnement thrombogène parfois très évocateur (1). Les ultrasons constituent un examen de choix pour le diagnostic des thromboses veineuses profondes (TVP) toutefois la conjonction d’un praticien formé aux techniques de base de l’échographie et d’un appareil portable embarqué sur un bâtiment de la Marine nationale en situation isolée est relativement récente (2, 3). Au travers d’un cas clinique nous envisagerons l’intérêt et les modalités d’utilisation de ce type d’appareil pour le médecin d’unité. Observation C. VERGEZ-LARROUGET, médecin en chef, praticien confirmé. P. MAY médecin principal réserviste, chirurgien. J.-M. LE BORGNE, médecin principal. F. ARLES, médecin en chef, praticien certifié. P. PRECLOUX, médecin principal, praticien certifié, M. PUIDUIPIN, médecin en chef, praticien certifié. Correspondance : C.VERGEZ-LARROUGET, Antenne médicale Lanvéoc, École navale – 29 160 Lanvéoc. Email : [email protected] médecine et armées, 2009, 37, 4, 303-306 Données cliniques M. K… H, officier marinier, âgé de 51 ans, se présente à la consultation du matin pour une douleur du mollet gauche à type de crampe irradiant dans le creux poplité et gênant la marche depuis 24 heures. Dans ses antécédents 303 Examens paracliniques Figure 1. Le porte-hélicoptères Jeanne d’Arc et la frégate Georges Leygues à la mer (MP Le Ny - Marine nationale). personnels on note une hypercholestérolémie mixte modérée stabilisée en limite de normalité par un régime seul et un tabagisme à 25 années – tabac, récemment stoppé (traitement par varénicline en cours). Il existe des antécédents de phlébite chez la mère. Il y a deux jours le patient a participé à une cérémonie sur le pont d’envol avec station assise prolongée en ambiance chaude (29 °C, 83 % d’hygrométrie). Chez ce patient en légère surcharge pondérale (81 kg pour 1,73 m), l’examen clinique retrouve une diminution du ballant, une augmentation du périmètre du mollet gauche de 1 cm, le signe de Homans est négatif mais la flexion du genou entraîne des paresthésies dans tout le membre inférieur. Le malade est apyrétique, pouls 74c/mm TA : 125/79 mm. Au total le score clinique de Wells (tab. 1) évoque donc une faible probabilité de diagnostic de thrombose veineuse profonde en raison d’une lésion musculaire ou ostéoarticulaire probable (4) Devant ce tableau atypique, une prise de sang est réalisée et une recherche des D-dimères par méthode rapide d’agglutination de particules de Latex est entreprise par le technicien de laboratoire embarqué pour la campagne ; le résultat positif (>8 micro grammes/ml) sera connu dans l’heure augmentant fortement la probabilité du diagnostic de phlébite surale gauche. (3) Parallèlement un examen écho-doppler est pratiqué à la suite de l’examen clinique ; il montre des axes vasculaires artériels et veineux perméables au membre inférieur droit. Au niveau du creux poplité gauche, si l’artère est perméable une veine présente un thrombus intra luminal sur environ deux centimètres. L’obstruction de la lumière veineuse semble complète et celle-ci n’est pas dépressible par l’action de la sonde, l’image se situe en regard du point douloureux initial sans anomalie des autres troncs (fig. 2). L’électrocardiogramme ne montre pas d’anomalie significative. Figure 2. Échographie à bord du PH Jeanne d’Arc (photo SMU). Tableau I. Diagnostic de thrombose veineuse profonde par l’intermédiaire du score clinique de Wells (4). Mise en place du traitement et suites Clinique Score Cancer évolutif connu (traitement en cours ou dans les 6 mois ou palliatif) 1 Paralysie, parésie ou immobilisation plâtrée récente des membres inférieurs 1 Alitement récent supérieur à 3 jours, ou chirurgie inférieure à 4 semaines 1 Sensibilité le long du trajet veineux profond 1 Œdème généralisé du membre inférieur 1 Discussion Œdème du mollet de plus de 3 cm par rapport au côté controlatéral (mesuré 10 cm sous la tubérosité tibiale antérieure) 1 Œdème prenant le godet 1 Développement d’une circulation collatérale superficielle (veines non variqueuses) 1 Diagnostic différentiel de TVP au moins aussi probable que celui de TVP -2 Le porte-hélicoptères Jeanne d’Arc reste à ce jour l’un des bâtiments les plus emblématiques de la Marine nationale ; il se caractérise par son ancienneté (1964), son équipage important (620 marins soit le deuxième après le porte-avions Charles de Gaule), sa mission de formation des off iciers de Marine entraînant un déploiement lointain en situation isolée de longue durée (5 à 6 mois). Le service médical d’unité est formé de deux médecins et de quatre infirmiers ; il est renforcé durant la campagne de GEAOM par un chirurgien, un dentiste, un infirmier anesthésiste et un technicien de laboratoire. Score élevé (>3) : prévalence TVP 75 %, IC 95 % (63-84) Score intermédiaire (1 ou 2) : prévalence TVP 17 %, IC 95 % (12-23) Score faible (<0) : prévalence TVP 3 %, IC 95 % (1,7-5,9) TVP : thrombose veineuse profonde ; IC : indice de confiance 304 Le port de bas de contention de classe 2 est institué associé à un traitement anticoagulant à dose curative par énoxaparine 0,8ml, deux injections quotidiennes. Le relais par les anti-vitamines K sera débuté au troisième jour. Ce patient bénéficiera d’un rapatriement sanitaire, huit jours plus tard lors de l’escale suivante en Amérique du sud ; il est alors décoagulé de manière efficace avec un INR stable à 2,9. c. vergez-larrouget Ses équipements médicaux ont récemment été modernisés par le renouvellement de la dotation spécialisée de bloc opératoire (DS2 type 05), de radiologie (DS3 : appareil mobile associé à un numériseur) et de laboratoire (DS4) lui permettant d’assurer un soutien de rôle 2 OTAN. C’est dans ce cadre qu’un appareil d’échographie a été embarqué en novembre 2006, l’échographe SONOSITE ® TITAN qui a permis outre l’examen de notre patient, d’infirmer plusieurs autres hypothèses diagnostiques durant la mission et d’éviter ainsi la demande d’examens extérieurs en escale voire une évacuation sanitaire souvent synonyme de déroutement (5). Actuellement un échographe portable est embarqué à bord des bâtiments susceptibles d’héberger une structure sanitaire de rôle 2 de l’OTAN: bâtiments de projection et de commandement Mistral et Tonnerre, porte-avions Charles de Gaulle et sous marins nucléaires lanceurs d’engins en raison de leur isolement extrême. Une thrombose veineuse profonde est une affection rare chez un militaire en activité particulièrement au sein d’un personnel apte à la mer exempt à priori de facteurs de risque de maladie thromboembolique. L'algorithme diagnostique chez les patients vus en externe repose sur des données cliniques (interrogatoire, examen, recherche du contexte thrombogène) permettant l’élaboration d’un score clinique dont le plus courant est celui de Wells (4) et sur le dosage des D-dimères (sensibles mais peu spécif iques) diminuant ainsi de risque de thromboses veineuses non diagnostiquées de 12 % lorsque seule la clinique est prise en compte chez un patient à faible risque de TVP (score de Wells inférieur ou égal à zéro) à 2,9 % pour l’association clinique + D-dimères. (6, 7) En cas de faible probabilité clinique ces études réservent l’utilisation des ultrasons aux seuls patients dont les D-dimères sont positifs. Le contexte particulier (bâtiment à la mer loin des côtes, patient unique, disponibilité des moyens) nous a conduit à adapter cette démarche et pratiquer dans le même temps un examen écho doppler afin d'éviter une anticoagulation indue et son risque de thrombopénie. En effet notre formation nous a incité à considérer l’utilisation de l’échographe non pas comme un examen para clinique, mais comme la suite logique de l’examen clinique d’autant qu’il est mis en œuvre par le même praticien et dans le temps même de la consultation par un personnel par définition non spécialisé. (3, 8) L’efficacité des ultrasons (sensibilité et spécificité supérieures à 95 %) a permis l’obtention d’images particulièrement évocatrices (3). L’image écho-doppler (fig. 3) obtenue de notre patient reproduit en effet les cinq critères échographiques de thrombose veineuse communément admis et énumérés au cours de la formation (2) : – image hyperéchogène intraluminale ; – incompressibilité de la veine ; – diminution ou abolition du signal doppler ; – pas de couleur (remplissage partiel ou absence) ; – épreuve de chasse négative. L’échographe TITAN comporte une carte mémoire de stockage des images obtenues et est par ailleurs livré Figure 3. L’image de thrombose en Doppler couleur (photo SMU). avec le logiciel SiteLink® d’archivage et de visualisation des examens sur ordinateur type PC (fig 4). Les images obtenues ont une taille de 900 Ko et peuvent aisément être compressées par les logiciels courants jusqu’à 120 Ko permettant ainsi l’envoi d’une série d’images fixes par Internet. Dans le cadre d’explorations vasculaires l’obtention et l’envoi d’un film de l’examen serait préférable mais actuellement limité par les performances du matériel. Le porte-hélicoptères Jeanne d’Arc étant équipé d’une liaison V SAT (128 Ko), l’envoi du dossier par Internet à un spécialiste des hôpitaux des armées de l’HIA Brest préalablement alerté par téléphone, son examen et la confirmation du diagnostic par e-mail n’a nécessité que cinq heures. En effet ces images obtenues par du personnel non spécialisé (médecin major et chirurgien réserviste) nécessitent une interprétation par un spécialiste référent (9). Une étude récente montre que sur 185 patients suspectés de thrombose veineuse profonde du membre inférieur ayant bénéficié d’un examen écho doppler réalisé par un groupe de 56 internes et médecins urgentistes sommairement formés (1h de formation Figure 4. L’échographe portable SONOSITE « TITAN » (photo SMU). apport de l’échographie portable au diagnostic des thromboses veineuses en situation isolée 305 théorique et 2h de pratique centrée sur la physiologie du réseau veineux du membre inférieur), 19 examens positifs ont été confirmés par un radiologue référent pour un total de 27 cas de TV. La sensibilité de l’examen pratiqué par ce personnel « non spécialisé » est évaluée à 70 % et sa spécificité à 89 % (9). Depuis 2001, l’American College of emergency Physicians (ACEP) a émis des recommandations concernant la formation théorique et pratique des médecins urgentistes : 16 heures de cours initiaux complétés par une formation continue diplomante d’un minimum de 25 examens dans chaque domaine d’application des ultrasons (traumatologie, échocardiographie…) validés par un superviseur non radiologue. (10) Alors quelle formation pour le médecin des armées non spécialiste ? En France plusieurs formations universitaires coexistent ; comme plusieurs dizaines de médecins d’unité depuis 2006, le médecin major a bénéficié de la « formation à l’échographie d’urgence pour médecin en poste isolé » dispensée durant une semaine au CITERA de Lyon. À coté des bases théoriques (environ 9 heures réparties avant l’étude de chaque site) les objectifs du stage sont avant tout pratiques et orientés vers la manipulation en urgence et la réalisation de coupes standardisées (FAST : Focused Assessment with Sonography for Trauma) permettant au médecin isolé l’obtention d’images de base pour une éventuelle utilisation en télé médecine ; cette formation spécifiquement adaptée au praticiens des armées embarqués ou en OPEX, prend aussi en compte d’autres indications non traumatiques (exploration cardiaque, voies urinaires, vasculaire) des ultrasons. Un deuxième module correspondant à la validation d’un carnet d’examens à réaliser en HIA (10 examens par site) a par ailleurs été mis en place. Plus récemment, le concept du FAST a été retenu par l'OTAN comme la méthodologie de référence pour l’échographie d’urgence (11). Conclusion Si l'utilisation de l’échographie est maintenant courante dans les services urgences-accueil des Hôpitaux des armées et des groupements médico-chirurgicaux déployés en opération extérieure où elle a été évaluée comme outil de triage au cours d'un afflux massif de blessés, son extension au médecin d’unité en situation isolée permet après une formation initiale rapide et à la condition expresse d’un entretien régulier des connaissances (en HIA idéalement mais aussi lors des VSA) de proposer des réponses binaires à des questions simples, bien ciblées, systématiquement ré évaluées par un référent grâce aux possibilités de la télé transmission. (12-14). Sous toutes ces réserves elle est le prolongement naturel et valorisant de l’examen clinique du médecin d’unité en situation isolée. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Fortin JL, Arvis A.M, Domanski L, Lepogam A, Ruttman M, Kowalski JJ. Syndrome de la classe économique, à propos d’une observation pré hospitalière. 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Poulet a, F. Cichy a, Ph. Ulmer c a Service d’odontologie, HIA Legouest, BP 90 001 – 57077 Metz Cedex 3. b Secteur vétérinaire interamées École d’application Infanterie, 160 rue Lepic – 34274 Montpellier Cedex 3. c Bureau vétérinaire DCSSA, Fort Neuf de Vincennes, cours des Maréchaux – 75614 Paris Cedex 12. Article reçu le 31 octobre 2008, accepté le 26 janvier 2009. Résumé Les chiens militaires victimes d’une fracture de croc sont susceptibles d’être réformés pour inaptitude au mordant. Pour l’éviter, le vétérinaire des armées peut effectuer, grâce à la participation du prothésiste dentaire, la reconstitution prothétique des crocs fracturés. Les différentes étapes de cette reconstitution sont : l’anesthésie, la préparation de la dent (traitement endodontique, élongation coronaire et préparation du moignon), la prise d’empreinte, la confection puis la pose d’une prothèse définitive. Forts d’une collaboration de près de vingt ans, ces deux acteurs de la chirurgie dentaire canine ont pu énoncer un véritable concept de reconstitution prothétique chez le chien de défense. Mots-clés : Chien. Dent. Prothèse. Prothésiste. Vétérinaire. DENTAL PROSTHETIST: AN ESSENTIAL ALLY FOR THE MILITARY VETERINARIAN FOR THE WORKING DOG’S PROSTHETIC RECONSTITUTION OF THE FANGS. Abstract Military dogs victim of a fang's fracture may be reformed for biting inaptitude. To avoid it, the military veterinarian, with the help of the prosthodontist, can make the prosthetic rehabilitation of these dogs. The various stages of this rehabilitation are: anaesthesia, preparation of the tooth (endodontic treatment, crown lengthing and preparation of the tooth stump), tooth impression taking, preparation then installation of a definitive prosthesis. After nearly twenty years of collaboration, both actors of military canine dentistry can express a real concept of prosthetic reconstitution. Keywords: Dog. Prosthesis. Prosthetist. Tooth. Veterinarian. Introduction Depuis le début des années 80, le besoin s’est fait sentir dans les armées de prendre en compte précocement les fractures dentaires chez les chiens militaires. En effet, lors des exercices d’entraînement, qui comportent des B. PENIGUEL, chirurgien-dentiste en chef, praticien confirmé de médecine d’armée. T. LAMOUR, vétérinaire en chef, praticien certifié. J.-M. POULET, prothésiste dentaire. F. CICHY, prothésiste dentaire. Ph. ULMER, vétérinaire en chef, praticien professeur agrégé. Correspondance : B. PENIGUEL, Hôpital d’Instruction des Armées « Legouest » BP 90 001 – 57077 Metz Cedex 3. médecine et armées, 2009, 37, 4, 307-312 morsures de chiens, lancés sur une certaine distance, dans une manchette ou un costume d’attaque ou encore en raison du comportement pathologique de certains animaux qui les pousse à mordre toute sorte d’objets divers (pica), les crocs des chiens militaires sont soumis à des contraintes importantes qui peuvent entraîner leur fracture. (1). Par la suite, en l’absence de reconstitution prothétique, les forces de traction se répartissent sur les autres dents et les crocs se fracturent les uns après les autres par une sorte d’effet « dominos » (2). Ces chiens sont alors susceptibles d’être réformés pour inaptitude au mordant. 307 La chirurgie dentaire canine est un domaine exclusif des vétérinaires mais, pour la partie prothétique, elle ne peut s’effectuer qu’avec la participation d’un laboratoire de prothèses dentaires compétent. Au sein du ministère de la Défense, les vétérinaires des armées du 132e Bataillon cynophile de l’armée de Terre (132 e BCAT) ont été les premiers à tester une adaptation des techniques de prothèses dentaires humaines pour effectuer la reconstitution prothétique de crocs fracturés sur des chiens des armées. Pour ce faire, une étroite collaboration s’est établie entre le laboratoire de prothèses dentaires de l’Hôpital d’instruction des armées (HIA) Legouest de Metz et le Service vétérinaire du 132e BCAT. Faisant suite à près de 20 ans de travaux, il est possible aujourd’hui d’énoncer une doctrine de reconstitution prothétique des fractures de croc des chiens militaires. Indications – Contre-indications Premières réalisations – Facteurs de sélection Au début des essais de réparation prothétique des fractures de crocs, qui ont eu lieu dès 1993 (1), il a été convenu de sélectionner au maximum les chiens amenés à bénéficier de ce type de traitement afin d’être en parfaite adéquation avec les indications théoriques pour les prothèses dentaires humaines. Seuls les chiens présentant des crocs à fracture simple, coronaire, avec une faible perte de substance (moins de 50 % de la couronne) étaient retenus pour recevoir une prothèse (2-4). D’autre part, les chiens qui présentaient un comportement de pica étaient évités pour plusieurs raisons (4) : – risque de nombreuses micros fractures fragilisant le moignon restant ; – risque d’usure du moignon taillé entre la prise d’empreinte et la pose de la prothèse ; – risque accru de descellement lors de « pica » avec la prothèse en place. Aujourd’hui Depuis le début des années 2000, l’objectif de la reconstitution prothétique des crocs dans le contexte militaire est la correction d’un déséquilibre important entre la hauteur des différents crocs, indemnes ou fracturés, dans la gueule du chien. Une réparation prothétique est indiquée lorsqu’il existe une différence importante (plus de 50 %) entre la hauteur de couronne fracturée et la hauteur de la couronne du croc sain controlatéral, quelle que soit la hauteur de couronne résiduelle du croc fracturé. Les contre-indications sont au nombre de deux : l’équilibre des hauteurs des couronnes des différents crocs, sains ou fracturés, (aucune nécessité de reconstitution prothétique dans ce cas) et la présence d’une maladie périodontale sévère qui affecte l’apex de la dent (5). 308 Évolution de l’objectif recherché Les débuts de la prothèse dentaire chez les chiens militaires Les techniques n’étant pas complètement maîtrisées par les opérateurs, le but recherché était de consolider le moignon de dent, tout en lui redonnant un petit peu plus de hauteur. Différentes techniques sont alors tentées entre 1993 et 1999 : prothèse clavettée, prothèse avec tenon intra-radiculaire en carbone, puis prothèse Richemond et pour finir prothèse de type Richemond adaptée avec tenon intra-radiculaire monobloc : technique développée au paragraphe « Concept actuel… »(2-4). Le prothésiste dentaire a dû, lui aussi, se familiariser avec la gueule du chien, qui ne ressemble en rien à la bouche de l’homme. Pour ce faire, différentes pièces anatomiques et différentes empreintes lui ont été fournies. Actuellement L’objectif de la mise en place d’une prothèse est de maintenir l’aptitude du chien militaire à pratiquer un exercice de mordant intensif (5, 6). La reconstitution prothétique doit donc permettre de rétablir au mieux et au plus vite (dès la première fracture dentaire) l’équilibre des forces exercées sur les dents lors des exercices de mordant, afin de préserver l’intégrité des crocs sains controlatéraux. De ce fait, la technique utilisée doit impérativement redonner à la couronne fracturée une hauteur identique à celle de la couronne du croc controlatéral (5). Il est donc devenu classique d’utiliser un inlay-core pour redonner de la hauteur au moignon, au dessus duquel est scellée une coiffe simple. Pour aider le travail du prothésiste, qui doit réaliser les deux pièces dans le même temps af in de ne pas multiplier les anesthésies générales de l’animal, le vétérinaire lui fournit des photographies numériques de différentes vues du moignon des dents préparées. De plus, afin de visualiser la hauteur précise du croc controlatéral, le prothésiste réalise un moulage en plâtre au moyen d’une empreinte de l’articulé (les deux mâchoires fermées sur la même prise d’empreinte) qui lui est fournie par le vétérinaire. Anesthésie Toute intervention dentaire sur un chien nécessite une anesthésie générale. Pour plus de confort et de sécurité, l’anesthésie gazeuse est, en général, préférée. L’inconvénient majeur de cette méthode est la présence de la sonde d’intubation, qui peut être encombrante dans la bouche de l’animal, surtout dans les étapes de prise d’empreintes (4). Afin d’augmenter le confort de travail, la tête du chien peut être bloquée dans un coussin à dépression, ce qui permet par la suite de travailler sur un support très stable. Avant de placer l’animal en position de travail, des moyens d’investigation supplémentaires sont utilisés af in d’éliminer les dents présentant des fractures avec trait de refend (4) : b. peniguel – coloration à l’éosine du moignon coronaire qui permet de visualiser des fissures dentaires qui pourraient passer inaperçues autrement, – radiographie rétro alvéolaire « profil » des crocs et de leurs racines qui permettent de détecter les fractures radiculaires et les lyses alvéolaires trop importantes qui sont des contre-indications à la pose de la prothèse. Lorsque l’indication de la prothèse est correctement confirmée, l’animal est mis en décubitus latéral de telle manière que le canal dentaire de la dent concernée soit très facilement accessible. taille du moignon s’effectue à l’aide d’une fraise diamantée f ine, conique, montée sur turbine, sous irrigation. La taille est minimale, n’ayant pour but que de supprimer les contre-dépouilles. La forme finale du moignon de dent doit être la plus cylindrique possible, en particulier à sa base. Un léger congé est effectué à ce niveau (fig. 1). Une rainure de guidage verticale, élément de stabilité supplémentaire pour la future prothèse, peut être faite sur la face vestibulaire du moignon parallèlement à l’axe de progression de la prothèse à l’aide d’une fraise diamantée. Intervention du vétérinaire Traitement endodontique La tête étant bloquée dans le coussin à dépression, un écarteur de mâchoires (« pas d’âne ») est mis en place. La sonde endotrachéale est fixée à la mâchoire opposée. Dans un premier temps, à l’aide d’un contre-angle et d’une fraise boule adaptée, la voie d’accès endodontique est préparée par élargissement du canal de manière à permettre l’utilisation des tire-nerfs. Tout le travail se fait bien sûr sous irrigation. Des tire-nerfs de 60 mm de longueur (Vetinox, Maillefer®) sont ensuite passés plusieurs fois dans le canal dentaire af in d’extirper toute la pulpe. Ensuite, des limes de diamètre croissant sont utilisées afin de nettoyer et d’élargir le canal dentaire. La dentine de mauvaise qualité (jaune et friable) est ainsi éliminée. Suit alors un rinçage à l’eau oxygénée sous pression modérée à l’aide d’une seringue et de son aiguille de type 21G afin d’évacuer tous les débris présents dans le canal. Celui-ci est ensuite asséché à l’aide de cônes de papier. Puis l’obturation du canal est effectuée avec un produit d’obturation canalaire (type endométhasone) et par condensation à chaud de cônes de Gutta Percha (4). Un cliché radiographique permet de vérif ier que le traitement endodontique est complet jusqu’à l’apex de la racine. Élongation coronaire La rétention des prothèses passe par une surface de contact maximale entre le moignon et la prothèse. Pour augmenter cette surface, une technique simple a été mise en œuvre : l’élongation coronaire. Celle-ci est réalisée par une incision de la gencive à la lame blanche de façon circulaire sur l’ensemble des différentes faces de la dent fracturée. Cette incision doit laisser un minimum de 5 mm de gencive dite attachée. Une gingivectomie est alors effectuée à l’aide de la lame blanche. Une ostéotomie totale de toute la partie d’os alvéolaire mise à nu est ensuite réalisée à l’aide d’une fraise diamantée montée sur turbine. Au f inal, une incision nette et franche doit être visualisable sur tout le pourtour du moignon de la dent (2). Préparation du moignon La rétention de la prothèse sera en grande partie dépendante de la qualité de la préparation de la dent. La Figure 1. Taille minimale du moignon de la dent pour éliminer les contre-dépouilles. À l’aide de forets calibrés (Mooser® n °1 ou 2), le canal est alésé aux diamètres des tenons Mooser® (4). Une radiographie est réalisée avec un tenon préformé en place. Elle permet de visualiser la position parfaite de l’emplacement du futur tenon dans le prolongement et en continuité parfaite avec le canal obturé (5). Prise d’empreinte Le moignon et son canal doivent être nettoyés et séchés avant de faire la prise d’empreinte. Celle-ci est réalisée avec des matériaux d’empreinte en silicone de haute et de basse viscosité. La technique consiste à prendre une première empreinte dite « grossière » avec du silicone haute viscosité (Coltène Président putty ® ), un tenon préformé en inox étant préalablement placé dans le canal. Cette empreinte est rebasée par application d’un silicone basse viscosité (Coltène Président jet plus light body®) : à l’aide d’une seringue de 5 ml et d’une aiguille de gros diamètre (21G), le produit à empreinte est injecté dans le canal dentaire. L’empreinte « grossière » du moignon est également enduite de silicone et remise en position sur la le prothésiste dentaire : un allié indispensable du vétérinaire des armées pour la reconstitution prothétique des crocs chez le chien de travail 309 mâchoire (fig. 2). Après durcissement, l’empreinte est précautionneusement retirée. L’empreinte est de meilleure qualité si elle est de taille réduite (variations moindres) : en pratique, la prise d’empreinte se fait de la pince (X01) à la deuxième prémolaire (X06) (4). mis en place des pin’s (qui permettront au prothésiste de travailler son empreinte en différents tronçons, tout en conservant les positions initiales). Il obtient un support global en plâtre. Par la suite, le moulage du moignon de dent est désolidarisé de son support. Un espaceur matérialisant l’épaisseur de ciment de scellement est mis en place sur le moignon en plâtre. Réalisation de la prothèse La prothèse est d’abord réalisée en cire. C’est à ce niveau que l’art du prothésiste prend toute sa signification. En effet, il doit recréer parfaitement la couronne du croc initial en s’aidant des photographies, de l’image du croc controlatéral, et de l’empreinte du « mordu ». Toute erreur à ce niveau ramène à néant le travail du vétérinaire. Seule une parfaite coaptation entre la prothèse et le moignon de dent peut garantir une réussite de la technique. Cette préforme en cire est ensuite mise en revêtement selon la technique dite de la « cire perdue », c’est-à-dire rattachée à une tige de coulée, afin de la placer dans un cylindre allant au four. La température de 1 000° est atteinte en deux heures. Le métal, mélange de nickel et de chrome, est coulé avec la fronde. Il obtient alors un brut de coulée qui doit être sablé et poli (fig. 3). Figure 2. Prise d’empreinte du moignon par la technique en deux temps dite « wash technique ». Une empreinte de la mâchoire antagoniste (« mordu » ou articulé dentaire) est également effectuée avec un silicone haute viscosité af in d’avoir les rapports d’occlusion (5). L’animal réveillé est ensuite rendu à son maître. Une antibiothérapie de sept jours à base de spiramycine/métronidazole (Stomorgyl ND) est prescrite de façon systématique du fait de l’agressivité de l’acte dentaire sur le parodonte. Les empreintes réalisées et des photographies du chien à traiter sont ensuite envoyées au laboratoire de prothèses dentaires de l’HIA « Legouest ». Action du prothésiste dentaire Le prothésiste responsable du laboratoire de prothèses dentaires de l’HIA « Legouest » de Metz, Monsieur Poulet, a été le premier à s’intéresser à ce travail très particulier dans le métier. Actuellement, c’est le seul prothésiste du Service de santé des armées qualif ié à pouvoir confectionner correctement les prothèses de crocs pour les chiens militaires. De sa collaboration étroite avec les vétérinaires des armées du 132 e BCAT est né un véritable concept de réparation prothétique des fractures de crocs pour les chiens militaires. Figure 3. Inlay-core en place après polissage. Dans le cas des reconstitutions complexes, le prothésiste doit réaliser deux pièces séparées : l’inlaycore et la couronne. De l’espaceur est enduit sur l’inlay-core positionné sur son support, afin de préparer la couronne en cire. Pour f inir, il effectue la mise en revêtement, coule la coiffe (en nickel chrome), la sable et enfin la polit (fig. 4). Moulage en plâtre Pose de la prothèse Le prothésiste doit préparer un modèle, qui lui servira ensuite de base de travail pour confectionner la prothèse. Sur l’empreinte en silicone, il coule du plâtre après avoir Le vétérinaire des armées effectue la pose de la prothèse sous anesthésie fixe (4-6). L’inlay-core, et la couronne qui représente le croc définitif, sont essayés. 310 b. peniguel Figure 4. La couronne finale sur son support en plâtre. La coaptation doit être parfaite. Si ce n’est pas le cas, le moignon est retaillé en ayant à l’esprit que plus on modif ie la taille d’origine, plus le risque de descellement augmente (4). Après un séchage précautionneux, un ciment de scellement à base de verre ionomère (GC Fuji plus®) est appliqué dans le canal et sur le tenon de l’inlay-core. Ce dernier est ensuite positionné et une pression est exercée dessus (6). Après quelques minutes de séchage, du ciment de scellement est mis sur le moignon et l’inlay-core ainsi que dans la couronne. Le croc est alors mis en place (f ig. 5), une forte pression étant appliquée grâce à un tasseau de bois que l’on appuie contre la couronne pendant 5 à 6 minutes. Les rapports d’occlusion sont ensuite vérifiés. Le travail s’achève classiquement par un détartrage et un polissage de l’ensemble de la denture du chien (5). Concept actuel de reconstitution prothétique des crocs de chiens militaires Dans cette pratique spécif ique de l’art dentaire vétérinaire au sein des armées, deux contraintes techniques s’opposent. Figure 5. Résultat final après scellement de la couronne en bouche. D’une part, le but de la réparation prothétique est de recréer un croc de même dimension que celui initial, afin de rétablir parfaitement l’égalité des forces de traction dans la gueule du chien lors des séances de mordant. L’objectif est bien de protéger les autres crocs d’une fracture par effet « dominos ». D’autre part, la théorie habituelle de l’art dentaire vétérinaire contre-indique la reconstitution prothétique dès lors que la fracture atteint la racine de la dent et que le support n’est pas suff isant. En effet, en dentisterie humaine, la technique d’élongation coronaire permet d’effectuer des réhabilitations prothétiques y compris lorsque la fracture atteint la racine, dès lors que le rapport couronne-racine est favorable. Or, les fractures des crocs des chiens militaires sont pour la plupart coronoradiculaires avec une perte de plus de 50 % de la couronne. De plus, contrairement à ce qui se produit chez l’homme, les forces de traction exercées sur les crocs du chien sont horizontales, c’est-à-dire des forces d’arrachement. Au final, sur un faible support, il faut mettre en place une prothèse très haute et qui supporte des forces d’arrachement horizontales très importantes. Pour ce faire, une morphologie type des prothèses canines a été établie en collaboration entre le vétérinaire des armées et le prothésiste : la forme générale est conique à base large puis plutôt cylindrique avec une pointe arrondie. Pour les crocs mandibulaires, la base sera plus large en partie mésiale alors que pour les crocs maxillaires, la base sera plus large en partie distale (4). Lorsque la fracture est simple, uniquement coronaire, et qu’il reste plus de 50 % de la couronne en bouche, il est possible d’envisager une prothèse de type Richemond, c’est-à-dire avec tenon intra-radiculaire monobloc (4, 5). Dans le cas des fractures corono-radiculaires complexes avec perte de plus de 50 % de couronne dentaire, les forces de rétention de la couronne sont augmentées par la mise en place préalable d’un inlaycore. Ce dernier reconstitue de la hauteur au moignon. Ses forces de rétention sont augmentées par la présence d’un tenon intra-radiculaire monobloc. La prothèse est donc une simple coiffe qui recouvre la totalité de l’inlay-core et la base du moignon de la dent (6). L’ensemble assure une parfaite stabilité puisque les axes d’insertion des deux éléments forment un angle et que de ce fait, le montage ne peut se desceller sans fracturer une partie du support. Il est très difficile de pouvoir comparer les résultats obtenus au fil du temps car les techniques ont évolué et les praticiens également. En tenant compte uniquement des prothèses posées après une seule intervention (très souvent après un arrachement de la première prothèse, il est possible de tenter une seconde voire une troisième reconstitution), et toujours en place sur la période de suivi d’au moins un an, les chiffres du Service vétérinaire du 132e BCAT sont (6) : – entre 1997 et 1999 : 24 prothèses de type Richemond (VEC Richard) avec 67 % de réussite ; – entre 1995 et 2000 : 19 prothèses de type Richemond (VEC Ulmer) avec 84 % de réussite ; – entre 2000 et 2003 : 49 prothèses de type Richemond (VEC Lamour) avec 57 % de réussite ; le prothésiste dentaire : un allié indispensable du vétérinaire des armées pour la reconstitution prothétique des crocs chez le chien de travail 311 – entre 2001 et 2007 : 91 prothèses avec inlay-core (VEC Lamour) avec 68 % de réussite. Ces chiffres sont ceux annoncés par les auteurs euxmêmes, au titre du suivi sanitaire des chiens militaires : est considéré comme une réussite, une prothèse encore en place dans la gueule du chien resté militaire, un an après la pose des prothèses. À contrario, une prothèse descellée durant une activité de mordant est considérée comme un échec. D’autre part, l’objectif de protection des autres crocs non fracturés est assuré pour plus de 95 % des cas, puisque seuls trois chiens ont été revus depuis 2001 pour la fracture d’un second croc alors que la première prothèse était encore en place. Conclusion La reconstitution prothétique des crocs fracturés des chiens militaires permet d’éviter qu’un certain nombre de chiens de valeur soient réformés pour inaptitude au mordant. Cette pratique, devenue courante au sein des armées, est le fruit d’une étroite collaboration, longue de près de vingt ans, entre les vétérinaires des armées du Service vétérinaire du 132 e Bataillon cynophile de l’armée de Terre situé à Suippes (51) et le prothésiste du laboratoire de prothèses dentaires de l’HIA « Legouest » de Metz. Elle a permis d’établir un concept de réparation prothétique des crocs chez le chien de défense. Ce concept précise les indications et les contre indications à cet acte de chirurgie dentaire. Il précise l’utilisation de différents types de prothèses adaptées des techniques de prothèse dentaire humaine, telles que la couronne avec tenon intra-radiculaire de type « Richemond » et la couronne scellée sur inlay-core. Cette collaboration, en faisant évoluer les techniques utilisées, a réussi à élargir les indications de mise en place de prothèses de crocs et à améliorer les résultats obtenus, dans le but de maintenir l’aptitude au mordant chez les chiens militaires et d’éviter leur réforme précoce. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Schaeffer D. Contribution à l’étude des prothèses de croc chez le chien de défense : pose de couronne « clavetées ». Thèse de médecine vétérinaire, Nantes, 1996. 2. Fauqueux F. Contribution à l’étude des prothèses de croc chez le chien : prothèse de type « Richemond ». Thèse de médecine vétérinaire, Toulouse, 1997. 3. Richard S, Ulmer P, Fauqueux F, Mercier A, Lamour T. Essai d’une technique de reconstitution prothétique de crocs chez le chien de travail. Bull. Soc. Vét. Prat. De France 1997 ; 81, 7 : 295-311. 312 4. Fauqueux F, Richard S, Ulmer P. Prothèses de croc sur chiens de ring : prothèse de type Richemond. Prat Méd Chir Anim Comp 1998 ; 33 (6) : 483-90. 5. Lamour T, Ginesta J, Magnan S, Quain C, Ulmer P. Dentisterie vétérinaire chez le chien militaire. Revue internationale des Services de santé des forces armées 2004 ; 77 (3) : 166-85. 6. Ulmer P, Lamour T, Magnan S, Quain C, Ginesta J. Reconstitution prothétique de crocs fracturés chez le chien militaire. Bulletin de l’académie vétérinaire de France 2005 ; 158 (2) : 111-24. b. peniguel Pratique médico-militaire Impact opérationnel et prise en charge des pathologies bucco-dentaires dans le cadre des opérations extérieures. M. Gunepin b, F. Derache a. b École d’application de l’Artillerie, Secteur Dentaire interarmées de Draguignan, quartier Bonaparte, BP400 – 83 007 Draguignan Cedex. a Service de Chirurgie maxillo-faciale et stomatologie de l’HIA Sainte-Anne de Toulon, BP 20 545 – 83041 Toulon Cedex 9. Article reçu le 18 décembre 2007 ; accepté le 6 mai 2009. Résumé Les pathologies bucco-dentaires sont à l’origine d’une part importante des urgences médicales rencontrées par les militaires en opérations. Afin d’évaluer l’impact de ces pathologies sur l’activité opérationnelle des unités, il est nécessaire de mettre en place des outils de mesure. Dans ce contexte, le nombre des évacuations sanitaires pour des raisons dentaires n’est en aucun cas un indicateur de l’importance des problèmes bucco-dentaires durant les projections. Il faut raisonner en terme de disponibilité du personnel et de mise à disposition des matériels pour percevoir l’impact du domaine dentaire sur les activités opérationnelles. Afin de réduire cet impact opérationnel, le Service de Santé des Armées doit s’appuyer sur les chirurgiens-dentistes militaires. En effet, en tant que praticiens et militaires, les chirurgiens-dentistes des armées présents sur les théâtres d’opérations extérieures sont des acteurs essentiels du maintien des capacités opérationnelles des forces. Mots clés : Capacité opérationnelle. Chirurgiens-dentistes des Armées. Opérations extérieures. Urgences dentaires. OPERATIONAL IMPACT AND TAKING OVER OF DENTAL DISEASES DURING OVERSEAS DEPLOYMENTS. Abstract Dental pathologies account for a great deal of the medical emergencies met by the deployed military. In order to assess the impact of these pathologies on the operational activity of units it is necessary to provide measurements tools. Against this backdrop the number of casevacs on dental grounds is irrelevant to assess the importance of dental problems during deployments. A better way to assess the situation is to take into account the availability of personnel and equipment so as to get a better insight into the repercussions of dental problems on operations. In order to diminish this impact on operations, the Armed Forces Health Service should rely on the military dental surgeons. Indeed, owing to their knowledge in dentistry as well as their expertise in the military field, military dental surgeons prove to be indispensable actors contributing to the maintaining of the operational capabilities of the Forces. Keywords: Dental emergencies. Military dental surgeons. Operational capability. Overseas deployments. Introduction La création d’un corps de chirurgiens-dentistes au sein de l’armée française date de 2001. Les récentes modifications de la maquette de ce corps ont permis une évolution de la répartition géographique des postes de chirurgiens-dentistes mais également du nombre de ces M. GUNEPIN, chirurgien-dentiste des armées. F. DERACHE, chirurgiendentiste des armées. Correspondance : M GUNEPIN, Secteur dentaire interarmées de Draguignan, BP 400 – 83007Draguigna Cedex. E-mail : [email protected] médecine et armées, 2009, 37, 4, 313-318 postes avec un passage de 58 à 47 praticiens (1, 2). À partir de là et après avoir porté nos réflexions dans un précédent travail sur le rôle du corps des chirurgiens-dentistes des armées et de ses praticiens dans l’optimisation de la mise en condition dentaire des forces (3), il nous semblait opportun de rappeler l’importance de la présence des chirurgiens-dentistes militaires sur les théâtres d’opérations extérieures. L’existence du corps des chirurgiens-dentistes des armées est intimement liée à sa mission principale et primordiale à savoir optimiser la mise en condition dentaire des militaires afin de garantir leur capacité 313 opérationnelle. Dans le cadre de ce travail, nous nous intéresserons au maintien de cette capacité opérationnelle durant les opérations extérieures car, comme nous le verrons, les pathologies bucco-dentaires peuvent avoir des conséquences délétères sur le potentiel des unités. À l’heure actuelle, le maintien de la capacité opérationnelle des forces se mesure et se chiffre au sein des armées anglo-saxonnes et notamment de l’Australian Defence Force (ADF) qui a fait le choix de conserver des odontologistes militaires sur la base de l’analyse de tels chiffres (4). C’est cette démarche que nous allons suivre en nous posant plusieurs questions : – quel est le taux de consultations dentaires en opérations auquel nous devrons faire face ? – à mise en condition dentaire équivalente, quels sont les paramètres susceptibles de faire varier le taux de consultations dentaires en urgence ? – ce taux de consultations dentaires en urgence impacte-t-il la capacité opérationnelle des militaires ? – quel est le rôle des chirurgiens-dentistes des armées dans l’amélioration de la capacité opérationnelle des militaires sur les théâtres d’opérations extérieures ? – le traitement des pathologies bucco-dentaires sur le terrain peut-il être réalisé par des personnels médicaux non chirurgiens-dentistes ? Les questions qui se posent Quel sera le taux de consultations dentaires en urgence durant la mission ? La mise en place d’un indice de survenue d’urgences dentaires lors de projections se traduit dans la plupart des pays de l’OTAN par le nombre d’urgences dentaires rapporté à 1 000 hommes et à une période d’un an (nombre d’urgences/1 000 hommes/an). Ce taux est également utilisé par l’armée australienne, il prend alors le nom de Annualised Incidence Rate (AIR) (5). Les études les plus récentes portant sur les conflits passés, les opérations de maintien de la paix et les manœuvres permettent d’établir des normes en matière de taux de consultations dentaires en urgence en fonction de l’état bucco-dentaire des personnels (6) (tab. I). Il est intéressant de noter que Tableau I. Taux moyens de consultations dentaires en fonction des personnels projetés (6). Type de personnels projetés taux Personnels d’active bien préparés 150-200 Personnels de réserve 150-260 Personnels non préparés 750 314 ces normes sont partagées par l’ensemble des auteurs (américains, canadiens, anglais, australiens…) (7). À titre d’exemple, en 1999, l’ADF avait dirigé une force multinationale sous l’égide de l’ONU au Timor Oriental (4). Ce déploiement a connu deux phases distinctes. La première phase, nommée « Opération Warden », avait pour objectif de stabiliser la situation dans le Timor Oriental. Ce fut la plus importante projection de l’ADF depuis la Seconde Guerre mondiale (4 500 personnels). La seconde phase, dénommée « Opération Tanager », était une opération de maintien de la paix et impliquait entre 1 500 et 2 000 personnels. Sur la base d’une étude de la littérature, l’ADF a estimé que le taux de consultations dentaires en urgence serait de 150 à 260/1000h/an. Or pour l’ « Opération Warden » le taux fut de 453, de 269 pour la première année de «l’Opération Tanager» (2000) et de 265 pour la deuxième année (2001). Alors que le taux de consultations dentaires en urgence est à la limite supérieure de la fourchette pour « l’Opération Tanager », il approche le double de cette limite lors de la première phase. Ceci s’explique par plusieurs facteurs : – population militaire hétérogène sur le théâtre avec la présence de personnel d’active mais également de réservistes dont l’état bucco-dentaire était peu satisfaisant (8, 9) ; – problèmes inhérents au système de détermination des aptitudes dentaires : il y avait une réelle autonomie des praticiens dans la détermination de l’aptitude dentaire des militaires et donc des aptitudes dentaires praticiendépendant ; – présence sur le théâtre d’opérations de personnels inaptes dentaires projetés sur décision du commandement pour des raisons opérationnelles. Les résultats de « l’Opération Warden » suggèrent qu’il serait plus prudent de prévoir pour les projections à court préavis impliquant des réservistes un taux de consultations dentaires en urgence de 260 à 450/1000h/an. Les conclusions de l’armée australienne sont extrêmement intéressantes car elles nous permettent de comprendre que les normes peuvent être, et souvent sont, différentes en fonction des pays, et au sein d’un même pays différentes en fonction des armées (Terre, Air…). Ceci indique la nécessité de mener à bien nos propres études et de formuler nos propres standards à partir de l’expérience de nos troupes en opérations. Quels sont les paramètres susceptibles d’impacter le taux de consultations dentaires en urgence ? Au-delà du taux « normal » de consultations dentaires en urgence sur les théâtres d’opérations extérieures (150 à 200/1000h/an) définit par les armées anglo-saxonnes (6), la fourchette du taux effectivement constaté durant les missions varie selon les études de 120 à plus de 750/1000h/an (5, 10-21). Il ne s’agit pas de comparer l’efficacité des mises en condition dentaire que nous avons décrites dans un travail précédent (3). Mais, à mise en condition équivalente, le taux de consultations dentaires peut varier considérablement d’une mission à l’autre du fait de nombreux facteurs : m. gunepin – la durée de projection : lors de projections longues, une augmentation du taux de consultations dentaires est à prévoir (22, 23) et donc à prendre en compte par la réalisation d’actions de prévention sur le terrain (visites systématiques, rappels de conseils d’hygiène bucco-dentaire…) ; – la durée du préavis de projection : le déploiement à court préavis augmente la probabilité de projection de personnels dont l’état bucco-dentaire est incompatible avec la mission ; – le type de projection : les missions de combat entraînent une augmentation des blessures maxillofaciales (24) ; – les facteurs propres au théâtre : les conditions de vie des personnels sur le théâtre d’opération (modif ications de l’alimentation, des conditions climatiques, des habitudes de vie…) impactent directement le taux de consultations dentaires en urgence (22, 25-27). Les variations inhérentes à ces nombreux facteurs se traduisent au cours d’une projection par un taux de consultations dentaires en urgence extrêmement variable d’une semaine à l’autre (fig. 1) (4). Figure 1. Évolution au cours des semaines du taux de consultations dentaires en urgence en opération extérieure (4, 24). Nous comprenons qu’il n’existe pas de dogme inébranlable du taux de consultations dentaires en urgence en opérations. Les études épidémiologiques réalisées à travers le monde nous donnent une base de travail avec un taux moyen de consultations dentaires en fonction de l’état bucco-dentaire des militaires projetés. À partir de là, il faut prendre en compte de nombreux facteurs af in d’arriver à une estimation la plus en adéquation possible avec la réalité. Cette estimation est primordiale afin d’adapter les moyens mis en œuvre à chaque projection qui est par essence unique. Ce taux de consultations dentaires en urgence impacte-t-il la capacité opérationnelle des militaires ? Afin d’adapter au mieux notre travail à celui effectué par nos collègues anglo-saxons, nous emploierons le terme de perte dentaire, traduction littérale de « dental casualty » qui correspond aux personnels victimes de problèmes dentaires notamment sur les théâtres d’opérations. Ces blessés dentaires sont le pendant de toutes les autres pertes « santé », victimes auxquels les services de santé vont être confrontés en opérations. Plusieurs études ont examiné la relation entre les pertes dentaires et la capacité opérationnelle des militaires. Une étude américaine de 1992 a par exemple mis en évidence que les urgences dentaires entraînaient chaque année une perte d’environ 18 720 jours de disponibilité de ses personnels par division (soit 10 000 hommes) (28, 29). Les publications internationales indiquent que les urgences dentaires représentent de 10 à 22 % de l’ensemble des urgences médicales (6, 30-33). De plus, une pathologie bucco-dentaire sur un théâtre d’opérations est à l’origine, en moyenne, de cinq jours d’indisponibilité pour le patient (28). Ces cinq journées ne sont pas forcément consécutives, ainsi certaines pathologies bucco-dentaires nécessitent une prise en charge en plusieurs séances de traitement, ce qui est le cas pour 54 % des urgences dentaires (34). Ces séances peuvent parfois être séparées par des délais incompressibles (nécessité d’attendre une cicatrisation par exemple). Ludwig et al. dans leur étude portant sur les urgences dentaires de personnel de la Marine américaine et de Marines au cours de la guerre du Vietnam (35), ont aussi mis en exergue le fait que les urgences dentaires conduisaient à une diminution significative du temps de travail et donc à une réduction de l’activité opérationnelle des militaires et de leurs Unités. Il est par contre évident que cette perte est difficile à quantifier. Bishop et Donnely insistent sur le fait que même des douleurs de faible intensité peuvent perturber la concentration, le sommeil et les performances individuelles (36). Avec la sophistication des armes utilisées dans les conflits modernes et la spécialisation des militaires, une performance individuelle altérée peut mettre en péril le caractère opérationnel de l’unité et de ce fait entraver la bonne marche de toute la mission (37). En ce qui concerne l’ADF, une étude fut conduite sur le lien existant entre la performance au travail et les urgences dentaires (38). Ce travail concernait des personnels de l’armée de Terre et de l’armée de l’Air australienne : – 35 % des blessés dentaires éprouvaient une douleur suffisante pour affecter leurs performances au travail ; – sur le reste des blessés dentaires, 30 % indiquaient avoir modifié leur style de vie (manger que d’un côté, dormir la tête surélevée, éviter le chaud, le froid…) du fait de leur problème dentaire, ce qui pouvait affecter leur performance au travail. impact opérationnel et prise en charge des pathologies bucco-dentairess dans le cadre des opérations extérieures 315 À partir de là, si l’on se base sur la prévision d’un taux de consultations dentaires en urgence de 260 à 450/1000h/an pour une projection de six mois, Mahoney indique qu’il faut s’attendre à ce que 8,4 % à 14,6 % des militaires aient, à certains moments, une diminution de leur performance au travail (4, 38). Ceci correspond d’ailleurs tout à fait aux constations faites par l’armée anglaise durant la première guerre du Golfe (34). Clairement, les pathologies bucco-dentaires compromettent les performances opérationnelles des militaires (37) et surviennent à un tel taux, une telle fréquence qu’elles peuvent dégrader la capacité opérationnelle de forces déployées sur un théâtre d'opérations. Quel est le rôle des chirurgiens-dentistes des armées dans le maintien de la capacité opérationnelle des militaires sur les théâtres d’opérations extérieures ? L’objectif des chirurgiens-dentistes militaires est, par leurs traitements, de permettre aux blessés dentaires de rejoindre leur poste dans les meilleurs délais. Si ce retour au travail se fait à des postes à faible soutien dentaire (plus le personnel est proche de la ligne de combat, plus l’accès à des structures de soins dentaires est limité) alors les obligations d’efficacité et d’efficience des traitements dentaires réalisés sont augmentées. Sur un théâtre d’opérations, les chirurgiens-dentistes militaires sont à même de traiter et de renvoyer à leur activité opérationnelle la quasi-totalité des personnels qu’ils reçoivent en urgence. Une des plus grandes diff icultés, décrite par l’ensemble de nos confrères anglo-saxons, reste le traitement des péricoronarites associées aux dents de sagesse. L’armée australienne indique ainsi que : « dans le passé, les péricoronarites étaient un problème majeur et la raison d’un grand nombre d’évacuations aéromédicales » (24). Or, il a été démontré par l’armée anglaise en 2005, que le développement de pathologies inhérentes aux dents de sagesse sur les théâtres d’opérations était lié à une diminution des défenses immunitaires des individus (21) due à des modifications du comportement de vie des militaires en opérations (stress, altération du sommeil, modif ication du régime alimentaire…). À partir de cette constatation, le Service de santé de l’ADF a formulé une doctrine de prise en charge des dents de sagesse (Health Policy Directive N° 404 (39)) qui a conduit à une diminution significative de la prévalence des péricoronarites. Ceci fut démontré par la diminution de la prévalence des pathologies parodontales (les péricoronarites représentant la grande majorité des pathologies parodontales) au cours des « Opérations Tanager » et « Warden » par rapport à celle constatée lors d’une étude portant sur des garnisons de l’ADF mais aussi durant certaines opérations extérieures américaines (fig. 2). Pour « l’Opération Warden », il était estimé, sur la base d’études épidémiologiques, que les Forces de 316 Figure 2. Pathologies bucco-dentaires rencontrées lors des projections. l’ADF déployées connaîtraient 90 à 100 personnels victimes de péricoronarites. En fait, grâce à l’application du Health Policy Directive N° 404, il n’y eu que huit cas et donc une préservation de l’efficacité opérationnelle des soldats avec moins de jours d’indisponibilité et moins d’évacuations sanitaires (4). Le traitement des pathologies buccodentaires sur le terrain peut-il être réalisé par des personnels médicaux non chirurgiensdentistes ? Les Australian National Antarctic Research Expeditions déploient des personnels dans un environnement isolé comparable à celui des opérations militaires. En Antarctique, les médecins qui gèrent les problèmes dentaires sont « formés » à la dentisterie avant le départ. Du fait de la très stricte préparation médicale et dentaire des personnels envoyés dans ces contrées, la charge de travail dentaire de ces médecins est relativement limitée (41). L’expérience de l’Antarctique montre qu’il est possible de former des personnels non dentistes (médecins ou non) à des gestes dentaires de base. Dans le cadre militaire, ceci présente un intérêt évident pour les militaires disposant d’un accès limité aux structures de soins dentaires. Il est d’ailleurs à noter que nos confrères anglo-saxons ont mis en place des « kits d’urgence dentaire » à destination des Unités au plus proche des combats. Cependant, les indications d’utilisation de ces kits sont si limitées que les traitements dentaires réalisés dans ces conditions extrêmes restent exceptionnels (42-44). En fait, la réalisation de tels soins dentaires par des praticiens autres que des chirurgiens-dentistes aboutit à une baisse des standards de qualité des soins dentaires et conduit quasi systématiquement à une évacuation du blessé dentaire vers des structures idoines où il pourra être pris en charge par un chirurgien-dentiste. La projection de chirurgiens-dentistes permet la réalisation de diagnostics et de traitements plus m. gunepin pertinents, mais également un travail de prévention af in de pallier une augmentation des problèmes dentaires au cours de la projection. Commentaires La prise en compte exclusive du nombre des évacuations sanitaires pour raisons dentaires comme indicateur de l’impact des pathologies bucco-dentaires en opérations n’est pas satisfaisante. En effet, le nombre de ces évacuations est anecdotique comparé au nombre total des évacuations sanitaires et surtout au nombre de militaires présents sur les théâtres d’opérations. Si nous prenons l’exemple de l’armée américaine, durant les premiers mois de la deuxième guerre du Golfe (du 19 mars 2003 au 30 octobre 2003), 6 861 militaires ont été évacués pour des raisons médicales vers les États-Unis ou l’Allemagne. Sur ces 6 861 évacuations, seules 37 (soit 0,5 %) l’étaient pour des raisons dentaires (45). La seule question qu’il faut se poser est celle des conséquences des problèmes dentaires sur la capacité opérationnelle des individus et de leur unité. Si l’impact est évident pour le blessé dentaire (perte de sommeil, diminution de la concentration, perte d’appétit…), d’autres répercussions doivent être prises en compte : dans le cadre de l’opération « Iraqi Freedom » en cours actuellement, mais également au cours de toutes les missions de combat de forte intensité, le fait de transporter un personnel du front jusqu’à une structure de soins dentaires représente un danger pour le blessé dentaire mais également pour son escorte (accident de la circulation, engins explosifs improvisés, embuscade…) (21, 46). De plus, à l’indisponibilité du blessé pour une autre mission, il faut ajouter celle des personnels de l’escorte (dont les effectifs sont d’autant plus pléthoriques que les conditions de la mission sont extrêmes) et des véhicules (moyens terrestres, aériens…) dont le nombre varie également avec le contexte de la mission. Le cas des dents de sagesse est extrêmement intéressant. Pourquoi de nombreuses armées (47-49) insistent tant sur les problèmes liés aux péricoronarites associées à des dents de sagesse ? Tout d’abord parce que les symptômes liés à ces péricoronarites peuvent être très handicapants. Dans le cas d’une péricoronarite aiguë suppurée, le patient se plaint de douleurs intenses qui deviennent insomniantes avec otalgies violentes. Cette pathologie peut s’accompagner d’un trismus, d’une dysphagie, d’une gêne à la mastication voire d’une fébricule (50). L’extraction de cette dent de sagesse ne pourra être réalisée qu’à froid après traitement antibiotique. Une fois l’avulsion effectuée et en fonction de l’intervention, le militaire ne pourra pas reprendre immédiatement son poste. Le risque d’alvéolite post-extractionnelle de type « dry socket » existe d’autant plus que les conditions sur le terrain ne sont pas toujours favorables à une bonne hygiène buccodentaire. Une telle alvéolite nécessite le suivi du patient au jour le jour… Nous pouvons dire que l’utilité opérationnelle d’un tel personnel sur le théâtre d’opération extérieure est plus que limitée. Cet exemple des dents de sagesse doit faire comprendre que le nombre d’évacuations sanitaires n’est pas un indice satisfaisant d’évaluation de l’impact opérationnel des problèmes dentaires. Il est beaucoup plus pertinent d’évaluer l’impact opérationnel des pathologies bucco-dentaires sur les personnels et donc les unités en terme quantitatif (nombre de jours d’indisponibilité des personnels) et qualitatif (modification des activités de l’unité, de ses missions du fait de l’indisponibilité de personnels, de véhicules…). Cet impact des pathologies bucco-dentaires sur les capacités opérationnelles des personnels et des unités doit pousser les chirurgiens-dentistes militaires à tendre vers une obligation de résultat lors des mises en condition dentaire mais aussi et surtout lors de la prise en charge globale des blessés dentaires sur le terrain, l’objectif étant d’adapter les soins aux contraintes opérationnelles des militaires (choix des thérapeutiques, nombre de séances pour un traitement). Conclusion Au total, il est primordial de comprendre que des pathologies bucco-dentaires surviennent toujours au cours des opérations extérieures même au sein des unités les mieux préparées. L’impact opérationnel de ces pathologies mesuré uniquement sur la base des évacuations sanitaires est totalement décalé de la réalité et surtout sous-évalué, car les conséquences de ces pathologies sont telles pour le militaire que ses performances en sont largement réduites. Du fait de la spécialisation des militaires, la diminution voire la perte de capacités opérationnelles individuelles peuvent retentir sur l’ensemble de l’unité et compromettre la mission. Praticien de l’art dentaire mais aussi militaire, le chirurgien dentiste des armées doit intégrer ces deux composantes en fournissant à ses patients des soins en adéquation avec les règles de l’art mais aussi en adaptant sa pratique aux contraintes opérationnelles du théâtre. Le chirurgien dentiste militaire devient alors un acteur essentiel du maintien de la capacité opérationnelle des militaires projetés sur les théâtres d’opération extérieure. impact opérationnel et prise en charge des pathologies bucco-dentairess dans le cadre des opérations extérieures 317 RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Lettre N° 7591/DEF/DCSSA/OSP/ORG du 22 décembre 2006 relative à la réorganisation du soutien dentaire dans les armées. 2. Note N° 5962/DEF/DCSSA/OSP/ORG du 17 octobre 2007 relative à l’actualisation du soutien dentaire dans les armées. 3. Gunepin M, Derache F. Approche militaire américaine de l’optimisation de la mise en condition dentaire des Forces. Médecine et Armées 2008 ; 36 (4) : 323-32. 4. Mahoney GD. The operational dental officer in the ADF. ADF Health 2003 ; 4 : 40-4. 5. Deutsh WM, Simecek JW. Dental emergencies among marines in Operations Desert Shield/storm. Mil Med 1996 ; 161 : 200-3. 6. Mahoney GD, Coombs M. A literature review of dental casualty rates. 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Excluant dans un premier temps les médicaments spécifiques aux besoins des armées, cette stratégie s’est progressivement étendue à des médicaments qui sont devenus, dans le contexte d’actualité, potentiellement nécessaires à l’ensemble de la population française. Les médicaments non spécifiques ont par ailleurs été développés sous procédure d’Autorisation de mise sur le marché (AMM) ainsi que certains médicaments spécifiques, réservés aux seuls besoins des armées. Actuellement, les médicaments sont fabriqués à la PCA sous deux statuts : les spécialités sous AMM et les préparations hospitalières. Ces deux types de médicaments sont désormais déclarés ou autorisés par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé et se retrouvent dans les activités de la PCA, qui bénéficie du statut d’établissement pharmaceutique et de celui de pharmacie à usage intérieur. Une adaptation de la stratégie de production de cet établissement pourrait être envisagée afin de l’ajuster aux évolutions des besoins du Service de santé des armées et plus largement à ceux de l’État français. Mots clés : Médicament. Pharmacie centrale des armées. Positionnement réglementaire. DEVELOPING REGULATIONS STATUTES OF THE MEDICINES MADE BY THE “PHARMACIE CENTRALE DES ARMEES” BETWEEN 2000 AND 2006. NEW OUTLOOKS FOR THE FRENCH ARMED FORCES. Abstract Since 2000 the Pharmacie Centrale des Armées (PCA) has applied the Strategy of the French Healthcare Servive while marketing the medicines it makes. In a first move drugs specific for the needs of the Armed Forces have been left aside then this strategy progressively has been implemented to drugs which have become potentially necessary to the whole French people in the present context. Non-specific drugs have been developed aiming at been marketable as well as some specific drugs for only Armed Forces needs. The PCA now has produced medicines under two statutes: Specialities under marketing authorization and hospital preparations. From now on, both these kinds of medicines have been registered at the «Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé». Both statutes are superimposed with those of the PCA as for operations, being the latter one submitted to the statute of a Pharmaceutical Entity and of Domestic Chemistry. Adapting its Strategy might be envisaged so as the needs of the Armed Forces Healthcare Service and more generally those of the French State match the current changes. Since 2000 the strategy includes authorization for non specific products. In the first time without the army specifics medicines, this strategy increased medicines which Keywords: Drugst. Pharmacie centrale des armées. Statutes. Introduction La Pharmacie centrale des armées (PCA), établissement industriel de production pharmaceutique I. BESSE BARDOT, pharmacien principal. P. CLAIR, pharmacien chef des services, praticien professeur agrégé du Val-de-Grâce. S. GRAFFEUIL, pharmacien en chef, praticien certifié de pharmacie hospitalière. Correspondance : I. BESSE BARDOT, Pharmacie centrale des armées, site militaire de Chanteau, route départementale 97 – 45 400 Fleury les Aubrais. E-mail : [email protected] médecine et armées, 2009, 37, 4, 319-324 du ministère de la Défense, a acquis le statut d’établissement pharmaceutique pour le secteur des formes comprimés et gélules, par une décision du directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSaPS) en date du 23 janvier 1997. Cette autorisation a été étendue à toutes ses activités de fabrication, dont les médicaments injectables et les formes lyophilisées, le 6 juin 2002. Parallèlement, la PCA dispose, depuis les années 90, du statut de Pharmacie à usage intérieur (PUI) dont les 319 modalités de fonctionnement n’ont été précisées que fin 2000, puis à nouveau en 2007 (1-3). Cette évolution du statut réglementaire a exigé la mise en place d’une véritable stratégie de développement pour le positionnement réglementaire des médicaments fabriqués, du fait de la mise sous contrôle de l’activité pharmaceutique par l’AFSSaPS. Évolution du statut pharmaceutique de la Pharmacie centrale des armées Jusqu’en 1994, la PCA est un établissement pharmaceutique militaire subordonné à la Direction des approvisionnements et établissements centraux (DAEC) et spécialisé dans la fabrication de médicaments et produits pharmaceutiques courants ou spécifiques du Service de santé des armées (SSA) (4). En 1994, une loi (1) insère l’article L. 5 124-8 du Code de la santé publique (CSP) relatif au ravitaillement sanitaire des armées : elle reconnaît à la PCA le statut d’établissement pharmaceutique. Les dispositions des articles L. 5 124-1 et L. 5 124-2 (sauf le dernier alinéa), qui déf inissent les établissements pharmaceutiques, s’appliquent dès lors à la PCA et aux établissements de ravitaillement du SSA. Les médicaments fabriqués à la PCA, mentionnés à l’article L. 4 211-1 qui définit le monopole pharmaceutique, sont désormais soumis aux dispositions de l’article L. 5 121-8 relatif à l’obligation d’AMM. Les textes précisent toutefois que n’y sont pas soumis les médicaments nécessaires aux besoins spécifiques des armées destinés à pallier l’absence de spécialités pharmaceutiques disponibles ou adaptées. Par ailleurs, cette même loi complète l’article L. 5 1265 du CSP relatif aux pharmacies à usage intérieur (PUI) en précisant que les dispositions relatives à la gérance de ce type d’établissement s’appliquent à la PCA. Ces dispositions s’exercent dans le cadre des préparations nécessaires aux besoins spécif iques des armées en l’absence de spécialités disponibles ou adaptées citées au 2e (préparations hospitalières) et 4e (produits officinaux divisés) de l’article L. 5 121-1 du CSP. Cette loi reconnaît donc explicitement à la PCA le statut de pharmacie à usage intérieur (PUI). En 2000, puis en 2007, les missions des PUI sont précisées dans l’article R. 5 126-92 du CSP (2, 3). La PUI de la PCA approvisionne les hôpitaux des armées ainsi que les services médicaux des armées et de la Gendarmerie nationale en préparations hospitalières et en produits officinaux divisés, notamment les gaz à usage médical, réalisés afin de répondre aux besoins spécifiques des armées en l’absence de spécialité pharmaceutique disponible ou adaptée. Les articles R. 5 121-93 à R. 5 126101 du CSP précisent les règles spécif iques qui s’appliquent à la PCA en matière d’installation et de fonctionnement de la PUI. Parallèlement aux évolutions réglementaires initiées dès 1994 (1), la PCA reste bien évidemment subordonnée à la DAEC devenue en août 2007, la Direction des approvisionnements en produits de santé (DAPS) (5). 320 Application de la stratégie du SSA en matière d’AMM à la PCA : années 2000 à 2006 Définitions des médicaments à statuts particuliers et sous AMM – Produits officinaux divisés. L’article L. 5 121-1, alinéa 4, du CSP donne leur définition. Il s’agit de toute drogue simple, tout produit chimique ou toute préparation stable décrite par la Pharmacopée, désormais Européenne, préparés à l’avance par un établissement pharmaceutique et divisés soit par lui, soit par la pharmacie d’officine qui les met en vente, soit par une PUI. Leur liste est fixée par un arrêté de 1965 (6). – Préparations hospitalières L’article L. 5 121-1, alinéa 2, du CSP indique qu’il s’agit d’un médicament préparé selon la Pharmacopée en conformité avec les bonnes pratiques de préparations hospitalières (7), en raison de l’absence de spécialité disponible ou adaptée. Les préparations hospitalières sont préparées dans une PUI autorisée et elles sont dispensées sur prescription médicale à un ou plusieurs patients par la PUI de l’établissement et déclarées à l’ AFSSaPS (8). – Spécialités pharmaceutiques L’article 5111-2 du CSP déf init la spécialité pharmaceutique comme tout médicament préparé à l’avance présenté dans un conditionnement particulier et caractérisé par une dénomination spéciale (nom de fantaisie, dénomination commune ou scientifique et signe distinctif de marque ou nom du fabricant). Par ailleurs, le CSP précise, dans son article L. 5 121-8, que toute spécialité pharmaceutique ou tout autre médicament fabriqué industriellement ou selon une méthode dans laquelle intervient un processus industriel doit faire l’objet, avant sa mise sur le marché ou sa distribution à titre gratuit, d’AMM délivrée par l’ AFSSaPS. La mise en place d’activités autorisées versus statut des médicaments À travers les déf initions réglementaires des médicaments rappelées ci dessus, nous pouvons dégager deux aspects pour les productions réalisées à la PCA : – la PCA a le double statut d’établissement pharmaceutique et de PUI, dont les activités s’exercent dans les mêmes locaux ; – le statut des médicaments fabriqués, qu’il s’agisse de spécialités pharmaceutiques soumises à l’AMM, de préparations hospitalières ou de produits officinaux divisés, est par conséquent étroitement lié au statut de la structure de fabrication concernée, établissement pharmaceutique ou PUI. Le décret précisant les missions et le fonctionnement des PUI prévu dans le CSP dès 1994, n’est paru qu’en décembre 2000 (2) et a été récemment modifié en 2007 (3). La pharmacie à usage intérieur de la PCA n’a été ouverte officiellement dans les nouveaux locaux de la PCA qu’en janvier 2005 postérieurement à l’ouverture de l’établissement pharmaceutique qui date de 2003. Mais i. besse bardot dès 2000, la superposition des activités et des statuts de la PCA a constitué le socle des outils réglementaires permettant d’engager une réflexion sur la stratégie à adopter pour le positionnement réglementaire des médicaments produits par la PCA. La mise en application de la politique d’AMM pour les médicaments fabriqués entre 2000 et 2006 En 2000, un département des affaires réglementaires a été créé à la Pharmacie centrale des armées af in de prendre en charge, sous l’impulsion du Directeur des approvisionnements, une mission de développement de l’activité réglementaire liée aux évolutions récentes de l’établissement pharmaceutique. Jusqu’en 2000, une seule autorisation de mise sur le marché était détenue par la PCA pour la spécialité « Iodure de potassium Pharmacie Centrale des Armées 130 mg, comprimé sécable ». La PCA fabriquait déjà ce médicament pour les forces armées depuis longtemps en tant qu’établissement pharmaceutique militaire. L’AMM a été obtenue en 1997 en même temps que le premier statut d’établissement pharmaceutique, sur demande des autorités de santé, afin de disposer de moyens de protection de la population française en cas de risque nucléaire. La démarche réglementaire s’appuie alors sur le statut d’établissement pharmaceutique et sur l’obligation de détenir une AMM pour les spécialités pharmaceutiques conformément aux articles L.5 121-1 et L.5 121-8 du CSP. De 2000 à 2002 Un dossier de demande d’autorisation d’activité pharmaceutique est rédigé et déposé auprès de l’agence en février 2001. Le nouvel établissement pharmaceutique de la PCA est alors ouvert officiellement le 4 juillet 2003, sur décision du ministre de la Défense, après instruction du dossier et autorisation d’ouverture par le directeur de l’AFSSaPS délivrée le 6 juin 2002 pour toutes les formes pharmaceutiques. La même année, la PCA propose à la Direction des approvisionnements et des établissements centraux une stratégie de développement des AMM basée sur la conception du nouvel établissement pharmaceutique en construction. Il semble utile, voire indispensable, de pouvoir disposer d’un médicament sous AMM par ligne de fabrication pour les médicaments non spécifiques : poches de soluté massif, ampoules injectables, sirops, comprimés, gélules. Cette démarche s’appuie alors sur la superposition des statuts et des activités, rendue possible par la parution du décret de décembre 2000 relatif aux pharmacies à usage intérieur (2). La démarche réglementaire retenue à cette époque et validée par la DAEC est présentée dans le tableau I. Dans cette logique, une réunion se tient le 3 juillet 2001 à la Direction centrale de Service de santé des armées (DCSSA) en présence des experts des risques Biologique (B) et Chimique (C) et de représentants des sous directions Action scientifique et technique (AST), Hôpitaux (HOP), Étude planification et gestion (EPG) et Organisation logistique (OL), pour définir le positionnement réglementaire des médicaments non spécifiques. La stratégie des AMM est définie sur la base Tableau I. Démarche réglementaire proposée par la PCA et retenue par la DAEC en matière d’AMM en 2000. Activité industrielle pour les médicaments non spécifiques (par extension disponibles sur le marché sous une forme adaptée) à développer vers l’AMM. Activité de PUI pour les besoins spécifiques aux armées (avec des destinataires explicitement cités dans le CSP, hôpitaux des armées ainsi que services médicaux des armées et de la Gendarmerie nationale) en l’absence de spécialités disponibles ou adaptées pour des préparations hospitalières et des produits officinaux divisés. d’une répartition en quatre classes de médicaments, présentées dans le tableau II. Ainsi, de 2001 à 2002, l’AMM « NOPALU, gélule » associant, pour la chimioprophylaxie antipalustre, la chloroquine et le proguanil est obtenue ; l’AMM DEXTUSSIL sirop antitussif (dextrométhorphane) en unidoses et en flacons est déposée, puis le choix d’acquérir des AMM pour les solutions injectables pour perfusion (poches PVC) et la morphine 10 mg/mL en ampoules est fait. L’ensemble de ces médicaments entre dans la catégorie 1 du tableau II définie par la DCSSA. La réalisation d’un « calendrier glissant » des AMM mis à jour annuellement est décidée. Ce calendrier proposé par la PCA sera transmis chaque année à la DAEC au cours de la période 2000 à 2006. De 2002 à 2006 Suite aux événements survenus aux États Unis le 11 septembre 2001, la menace terroriste est placée au centre des préoccupations. Le Service de santé des armées participant à la préparation des plans Tableau II. Stratégie définie et retenue par la DCSSA en matière d’AMM en 2001. Classe Situation Position vis à vis de l’AMM 1 Médicament fabriqué par la PCA identique L’AMM doit au produit commercial et utilisé dans être demandée l’indication AMM (ex : solutés massifs, par la PCA ampoules injectables de morphine…) 2 Médicament fabriqué par la PCA, identique au produit commercialisé ou médicament acheté dans le commerce utilisés par les armées dans une indication hors AMM (ex : doxycycline risque B charbon) Procédure à définir * 3 Médicament fabriqué par la PCA différent du produit commercialisé (galénique modifiée pour des raisons spécifiques) et utilisé dans l’indication de l’AMM (ex : doxycycline paludisme) L’AMM doit être demandée par la PCA 4 Médicament fabriqué par la PCA différent du produit commercialisé (galénique modifiée pour des raisons spécifiques) utilisé par les armées dans une indication hors AMM (ex : pyridostigmine en prétraitement du risque C) Pas d’AMM à demander *: « procédure à définir » : cette procédure est restée non définie par la suite, car cette catégorie ne concernait que la doxycycline pour le risque biologique du charbon. Cette indication a été autorisée par l’agence pour tous les génériques présents sur le marché en 2004. évolution du statut réglementaire des médiacaments fabriqués par la pharmacie des armées de 2000 à 2006 321 gouvernementaux en matière de prévention du risque Nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC), les autorités de santé publique lui demandent de pouvoir éventuellement mettre à disposition de la population civile les antidotes fabriqués par les armées pour faire face au risque NRBC. Une réorientation de la stratégie des AMM du SSA s’avère donc nécessaire. Pour cela, la DCSSA sollicite auprès de l’agence une réunion, qui se tient le 13 septembre 2002, af in de « définir le statut et les exigences en vue de l’obtention de l’AMM pour un certain nombre de produits ». Il s’agit d’antidotes contre les risques chimique et nucléaire fabriqués par la PCA et susceptibles, pour la plupart, d’être utilisés par la population civile. Des brochures techniques à destination de l’agence sont rédigées pour chaque produit : calcium trisodium pentetate ou CaDTPA (sous forme injectable ou aérosol), Bleu DI (pour Décontamination interne), comprimés de pyridostigmine à 30 mg, solution injectable d’atropine 2 mg/mL. En parallèle et comme envisagé par la DCSSA dès 2001, une prise de contact avec l’agence est demandée par la PCA afin de présenter l’autoinjecteur de nouvelle génération, en cours de développement pour le traitement d’urgence des intoxications par les neurotoxiques organophosphorés : l’AIBC. Une brochure technique et un plan de développement sont donc proposés par la PCA, validés par la DAECSSA, la DCSSA et les référents du risque C, puis accepté par l’AFSSaPS. Ce plan de développement définit particulièrement le contenu des études de toxicologie animale et les essais cliniques à mettre en place afin de fournir des données adaptées pour le futur dossier d’AMM. Ainsi, en 2002, la superposition des activités et des statuts, dans le contexte d’actualité internationale particulièrement chargé, permet de définir le nouvel axe de développement des AMM présenté dans le tableau III. En complément des projets réglementaires initiés et validés par la DCSSA en 2001 pour les médicaments non spécif iques, de nouveaux projets d’AMM avec développements complets sont donc mis en route fin 2002 pour cinq médicaments antidotes. Ces projets sont présentés dans le tableau IV. Tableau III. Stratégie définie et retenue par la DCSSA en matière d’AMM à partir de 2002. Ces démarches aboutiront au printemps 2006 avec le dépôt d’AMM pour trois spécialités sur cinq : AIBC, dont le nom commercial proposé est INEUROPE, comprimés de Pyridostigmine et Ca-DTPA, sous forme injectable. Pour les autres médicaments, les contraintes scientifiques et pharmaceutiques liées au développement suspendent, actuellement, la possibilité de déposer un dossier d’AMM. Le Bleu DI a fait l’objet d’une étude d’expérimentation animale afin de préciser son intérêt thérapeutique par rapport au bleu de Prusse disponible dans d’autres pays européens. Les résultats obtenus doivent être précisés et complétés avant d’envisager le dépôt d’un dossier. L’atropine 2 mg/mL en flacons de 500ml a été remplacée par des ampoules bouteilles dans la nouvelle unité de production ; les premiers lots ont été produits en 2003. Un nouvel objectif d’AMM devrait être fixé pour 2009, puisque ce médicament est susceptible d’intéresser également la sécurité civile. Le Ca-DTPA, poudre pour inhalation, a fait l’objet d’une publication récente mettant en doute l’efficacité thérapeutique de la forme actuellement fabriquée par la PCA (9). Un nouveau développement pharmaceutique est en cours. Parallèlement, les développements vers l’AMM pour les médicaments non spécifiques ont été poursuivis. Des dossiers d’AMM pour la doxycycline (comprimés dosés à 100 mg), dans toutes ses indications, dont l’indication antipaludique, ainsi que le sirop expectorant à la carbocistéine sont actuellement en cours de rédaction. Ces développements devraient aboutir à l’horizon 2009/2010 afin de poursuivre la stratégie initiée en 2000 pour ce type de médicament. Tableau IV. Démarches initiées vers l’AMM pour des médicaments spécifiques à partir de 2002. Dénomination du médicament Dénomination Commune Motivation de Internationale la décision Bleu DI 500 mg, gélule Contexte Ferrocyanure de cobalt et d’emploi civil de potassium si risque N - Ca-DTPA 250 mg/ml, solution injectable et - Ca-DTPA 40 mg, poudre pour inhalation en gélule Trisodium calcium diéthylènetriamine penta acétate Contexte d’emploi civil si risque N Pyridostigmine 30 mg, comprimé Bromure de pyridostigmine Spécificité militaire « importante » Atropine sulfate 2 mg/ml, solution injectable Atropine sulfate Contexte d’emploi civil si risque C INEUROPE, poudre et solvant pour solution injectable Avizafone chlorhydrate, atropine sulfate, méthylsulfate de pralidoxime Contexte d’emploi civil si risque C Auto-injecteur nouvelle génération du SSA (AIBC) Dans la continuité Activité industrielle pour les médicaments non spécifiques : AMM ; Activité de PUI pour les médicaments (qui restent) spécifiques aux armées : préparations hospitalières ou POD. Nouvelle catégorie de médicaments Activité industrielle pour des médicaments spécifiques afin de les rendre disponibles pour la population française : AMM ; À cette catégorie doivent être ajoutés les médicaments jugés comme importants par le SSA qui devront également faire l’objet d’une AMM (exemple : pyridostigmine exclusivement réservée à l’usage militaire en pré-médication contre les intoxications aux neurotoxiques organophosphorés). 322 i. besse bardot Bilan actuel, perspectives et évolution Le contexte de pandémie de grippe aviaire, très prégnant en 2005, a introduit une nouvelle catégorie de médicament pour la PCA. Il s’agit des médicaments dont les développements répondent exclusivement à des besoins de Santé publique. L’exemple le plus marquant est l’OseltamivirPG 30 mg, comprimé sécable, qui a été développé par la PCA sur demande de la Direction générale de la santé af in de compléter les stocks disponibles de TAMIFLU. Ce médicament fait l’objet d’une AMM dite dérogatoire depuis juillet 2006. Dans le cadre de cette AMM, l’utilisation du médicament en cas de pandémie de grippe aviaire s’appuierait sur la loi de santé publique de 2004 qui prévoit l’utilisation de certains médicaments en cas de menace sanitaire grave (10). Par ailleurs, une nouvelle forme de comprimé dosé à 65 mg d’iodure de potassium a été demandée par les autorités sanitaires dès 2005 et a fait l’objet d’un dépôt d’AMM en décembre 2007. Ce dosage permet de répondre aux besoins pédiatriques (dosage pour nourrissons), d’harmoniser les dosages disponibles entre les différents pays frontaliers en Europe et d’améliorer la sécabilité du médicament. Aux termes de ces deux expériences, il est possible d’envisager à l’avenir que la PCA soit plus largement impliquée dans des démarches globales de production au bénéfice de la Santé Publique dans le cadre de la mission duale du SSA telle qu’elle a été déf inie dans le plan stratégique du SSA (11). Le tableau V synthétise l’ensemble des dossiers d’AMM déposés et obtenus par la PCA dans le cadre des stratégies successives définies par le Service de Santé des Armées. En outre, dans le cadre de la refonte du ravitaillement sanitaire initiée en 2005, la lettre de cadrage de la DCSSA à l’attention du Directeur de la DAEC, conf irme en janvier 2006, les objectifs en matière d’AMM pour les médicaments non spécifiques et pour les médicaments spécifiques « condition essentielle pour la recherche de débouchés commerciaux vers des parties prenantes extérieures aux armées ». Si les missions confiées à la PCA, qui doit demeurer un outil réactif et opérationnel, peuvent évoluer, les statuts des médicaments produits doivent toujours entrer dans le cadre réglementaire désormais bien fixé. Ils doivent être envisagés sous l’angle de la spécificité et de l’activité liée au statut de PUI. Qu’est-ce que la spécificité en 2006 ? Les médicaments dont la spécif icité repose sur l’absence de spécialité équivalente ou disponible sur le marché français et fabriqués exclusivement par la PCA dans un cadre d’emploi militaire, sont produits sous le statut de PUI, comme préparations hospitalières. Pour les médicaments « génériques » largement présents sur le marché et dénués de spécificité, la spécificité peut être néanmoins discutée à trois niveaux : – la non disponibilité ponctuelle d’une spécialité pour les besoins spécifiques aux armées ; le cas a été rencontré avec les comprimés de doxycycline 100 mg, suite à un appel d’offre qui s’était avéré infructueux. Dans ce cas, le caractère temporaire de la spécificité doit être prouvé et confère également au médicament un statut temporaire de préparations hospitalières. Néanmoins, ce statut ne peut être justifié dans le temps qu’au coup par coup si la non disponibilité reste avérée ; – la spécificité de présentation : elle peut être discutée à travers deux exemples, celui du sirop expectorant en unidoses (carbocistéine) et celui de la solution injectable de morphine (1 mg/mL). Le premier est spécifique par sa présentation en unidoses. Pour cette spécialité il n’existe pas de présentation en unidose sur le marché, alors que cela existe pour d’autres sirops, en particulier le sirop antitussif à base de dextrométhorphane (DEXTUSSIL) dont la PCA a développé et obtenu l’AMM. Le second est spécifique par son volume de 10 ml, contre un volume de 1 ml présent sur le marché dans le même dosage. Ces deux Tableau V. Stratégie du SSA et AMM déposées à l’AFSSaPS entre 2000 et 2006. Dépôt du dossier à l’AFSSaPS Date d’obtention de l’AMM Juillet 2000 27 décembre 2001 2000 non spécifique Mai 2003 22 octobre 2004 DEXTUSSIL 2000 30 mg/15 ml, sirop en non spécifique unidose Mai 2003 22 octobre 2004 Dénomination de la spécialité Stratégie NOPALU, gélule (chlorhydrate de 2000 proguanil, sulfate de non spécifique chloroquine) DEXTUSSIL 0,2 %, sirop en flacon Solution pour perfusion en poches PVC : Chlorure de sodium 2000 Glucose 5 % non spécifique Glucose 10 % Polyionique G5 Polyionique G10 Ringer lactate Octobre Octobre Octobre Octobre Octobre 2001 24 avril 2002 2001 19 avril 2002 2001 6 septembre 2002 2001 26 septembre 2002 2001 24 avril 2002 Morphine 10 mg/ml, 2000 Octobre 2001 26 décembre 2003 solution injectable non spécifique Ca-DTPA 250 mg/ml, 2000 solution injectable non spécifique Mars 2006 12 février 2008 Pyridostigmine 30 mg, 2000 non spécifique comprimé Mars 2006 29 janvier 2008 INEUROPE, poudre et 2002 solvant pour solution non spécifique injectable Juin 2006 5 mars 2008 Oseltamivir PG 30 mg, 2002 comprimé sécable non spécifique Juin 2006 26 juin 2006 (AMM dérogatoire) évolution du statut réglementaire des médiacaments fabriqués par la pharmacie des armées de 2000 à 2006 323 spécif icités doivent être justif iées par un intérêt thérapeutique pour les patients ; – la population visée conditionne également la spécificité : il s’agit bien telle que définie dans le CSP, d’une spécif icité pour les besoins des armées et en l’absence de spécialité disponible ou adaptée. Les deux conditions ne s’excluent pas l’une l’autre, mais se complètent. Dès lors qu’on revendique ce type de spécif icité, il faut veiller à ce qu’il s’agisse de médicaments réservés au cadre prévu par la loi que sont les hôpitaux des armées ainsi que les services médicaux des armées et la Gendarmerie nationale. Quel développement pour la PUI par rapport à l’établissement pharmaceutique ? L’activité de la PUI de la PCA telle que prévue par les textes, avec des locaux déportés dans les Établissement de ravitaillement sanitaire (ERS) n’existe pas encore aujourd’hui. Cette activité pourrait être envisagée, par exemple, sous l’angle particulier du déconditionnement des spécialités pharmaceutiques réalisé actuellement par le SSA sur les sites des établissements pharmaceutiques de distribution en gros. Il s’agit d’un déconditionnement tel qu’il est pratiqué dans la PUI d’un hôpital : « le déconditionnement y est apprécié…, par des contraintes locales (délais, personnels, matériel…) qui participent pleinement de la réflexion sur la maîtrise des risques » pourrait être rattaché à cette activité de PUI déportée (12). CONCLUSION La stratégie adoptée progressivement par le SSA, réévaluée en tant que de besoin et mise en œuvre par la PCA en matière de statut réglementaire des médicaments produits, permet désormais à celle-ci de disposer d’un cadre réglementaire spécifique et précis pour chaque produit fabriqué. Les 16 spécialités autorisées sous AMM en 2009 et les préparations hospitalières déclarées au fur et à mesure des productions depuis mars 2007, font l’objet d’un contrôle pharmaceutique par l’AFSSaPS. Cette garantie de qualité, sécurité et efficacité permet à la PCA de produire dans un cadre réglementaire analogue à celui des autres établissements contribuant au système de santé et ayant une activité de fabrication ou de préparation de médicaments, tels que les PUI d’hôpital ou les laboratoires pharmaceutiques. Cette démarche n’est sans doute pas figée et pourra encore évoluer afin de prendre en compte les éventuelles contraintes conjoncturelles et opérationnelles auxquelles le SSA et la PCA se trouveraient confrontées. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Loi N° 94-43 du 18 janvier 1994, relative à la Santé publique et à la protection sociale. www.legifrance.gouv.fr. Journal officiel de la République française N° 15 du 19 janvier 1994. 2. Décret N° 2000-1 316 du 26 décembre 2000, relatif aux pharmacies à usage intérieur et modifiant le Code de la santé publique (deuxième partie : Décrets en Conseil d’État). www.legifrance.gouv. fr. Journal officiel de la République française N° 302 du 30 décembre 2000. 3. Décret N° 2007-1 428 du 3 octobre 2007, relatif aux pharmacies à usage intérieur et modifiant le Code de la santé publique (dispositions réglementaires). www.legifrance.gouv.fr. Journal officiel de la République française N° 231 du 5 octobre 2007. 4. Instruction ministérielle N° 1300/DEF/DCSSA/OL du 27 octobre 1987, relative aux attributions, à l’organisation et au fonctionnement de la Direction des approvisionnements et des établissements centraux du Service de santé des armées (article 15). Bulletin officiel des armées N° 51 du 14 décembre 1987. 5. Arrêté du 25 juillet 2007 modifiant l’arrêté du 9 juillet 2003, portant organisation du Service de santé des armées. www.legifrance.gouv.fr. Journal officiel de la République française N° 184 du 10 août 2007. 6. Arrêté du 23 juillet 1965 relatif à la liste des produits officinaux divisés. www.legifrance.gouv.fr. Journal officiel de la République 324 française N° 191 du 19 août 1965. 7. Bonnes pratiques de préparation – Bulletin officiel N° 2007/7 bis de janvier 2008. Fascicule spécial, du ministère de la Santé, de la Jeunesse et des Sports. 8. Arrêté du 29 décembre 2003, fixant le contenu du dossier de déclaration des préparations hospitalières prévues à l’article L.5 121-1 du Code de la santé publique. www.legifrance.gouv.fr. Journal officiel de la République française N° 20 du 24 janvier 2004. 9. Gervelas C, Serandour AL. Direct lung delivery of a dry power formulation of DTPA with improved aerozilation properties: effect on lung and systemic decorporation of plutonium. Journal of controled release 2007 ; 118 : 78-86. 10 Loi N° 2004-806 du 9 août 2004, relative à la politique de santé publique. www.legifrance.gouv.fr. Journal officiel de la République française N° 185 du 11.08.2004 11. Brochure d’information sur le Plan stratégique du Service de santé des armées, Bureau de l’Information et de la communication du Service de santé des armées, septembre 2006. 12. Mergelin F. Comment interpréter « l’absence de spécialité disponible ou adaptée » dans le droit français des préparations à l’hôpital ? J. Pharm Clin 2006 ; 25 : 17-21. i. besse bardot Mise au point Décès chez les militaires français 2002-2005. Données issues de la Caisse nationale militaire de sécurité sociale. G. Desjeux a, C. Balaire a, V. Thevenin-Garron a. a Caisse nationale militaire de sécurité sociale DSM/VEP, 247 avenue Jacques Cartier – 83090 Toulon Cedex 09. Article reçu le 26 juin 2007 ; accepté le 10 décembre 2008. Résumé L'objectif de cette étude est de connaître les taux de mortalité selon les caractéristiques démographiques des militaires et leur mise en affection longue durée, afin d'identifier des priorités de santé. Méthode : l'ensemble des décès des militaires en activité entre 2002 et 2005, ainsi que leurs affections longue durée, ont été recueillis par interrogation du Système d’information de l’assurance maladie des services médicaux de la Caisse nationale militaire de sécurité Sociale. Les taux de mortalité ont été calculés par tranche d'âge, par sexe, par année et selon la présence d’une affection longue durée. Résultats : pour les quatre années étudiées, le nombre de décès est de 1 592 personnes, il s'agit principalement d'hommes (95,5 %). La présence d'une affection longue durée (ALD) a été notée chez 494 militaires (31 %). Le taux de mortalité en présence d'une ALD est de 7 500 p 100 000 personne-année. Le risque relatif (RR) de mortalité est de 21,5 en cas d'ALD, il est significativement plus important chez les hommes (RR = 2,53) et augmente avec l'âge (RR = 1,01). Conclusion : le suivi de la mortalité peut être réalisé à partir d'une base médico-administrative. Il peut être un complément de la surveillance épidémiologique dans les armées mais trouverait utilement sa place lors de la constitution d'un registre ou d'un suivi de cohorte. Mots-clés : Affections longue durée. Décès. Militaire. DEATHS IN FRENCH ARMY (2002-2005). DATA FROM “CAISSE NATIONALE MILITAIRE DE SECURITE SOCIALE”. Abstract The aim of this survey is to identify health priorities by analysing the mortality rates depending on working militaries demographic characteristics and their put in and their registration as having a long terme disease. Methods: By questioning the Health Fund database of the CNMSS’ Medical Department, all working militaries’ death between 2002 and 2 005 were collected. The gross mortality rates were calculated by age bracket, sex and year and according to the presence of a long-term disease. Results: For the four years studied, the number of deaths was 1 592 people and mainly men (95.5 %). We noticed a long-term disease for 494 military people (31 %). When there is a long-term disease, the mortality rate is of 7 500 out of 100 000 per people a year and its relative risk (RR) is 21.5. It’s significantly more important for men (RR = 2.53) and increases with age (RR = 1.01). Conclusion: Death rate follow up can be realised from a medico-administrative base. It can be a useful complement of the epidemiological watch of the armies but would usefully find its place in the creation of a register or a cohort follow up. Keywords: Death. Long-term disease. Military personnel. Introduction L'ensemble des militaires d’active bénéficie d'une assurance maladie obligatoire par la Caisse nationale G. DESJEUX, médecin en chef, praticien certifié du SSA. C. BALAIRE, médecin en chef. V. THEVENIN-GARRON, médecin en chef. Correspondance : G. Desjeux, Caisse nationale militaire de sécurité sociale, DSM/UESP 247 av. Jacques Cartier – 83090 Toulon Cedex 09. Email : [email protected] médecine et armées, 2009, 37, 4, 325-330 militaire de sécurité sociale (CNMSS) régime spécial de l'Assurance maladie. À ce titre, les militaires sont exonérés du ticket modérateur lorsqu'ils sont atteints d'une affection comportant un traitement prolongé ou une thérapeutique particulièrement coûteuse appartenant à la liste définie par l'article L322-3 du Code de la sécurité sociale. Les critères de prise en charge par l'Assurance maladie du ticket modérateur pour ces affections font l'objet actuellement de recommandations de la part de la 325 Haute Autorité de Santé (loi du 13 août 2004) et de dispositions réglementaires récentes prenant en compte les critères de gravité. L'ouverture des droits à cette exonération est soumise à l'avis des médecins conseils des services médicaux de la CNMSS. Le suivi des affections longues durées (ALD) permet d'élaborer des politiques de régulation des dépenses de santé (1). Les conséquences médicales et sociales des ALD sont au cœur des préoccupations de la santé publique. Un des indicateurs de gravité d'une maladie est sa létalité, décès causé par la maladie. En cas d’affection chronique, le décès peut être favorisé par cette affection, sans qu’elle en soit la cause. Ainsi, la relation de cause à effet entre une maladie et le décès n'est pas toujours établie. Seule, l'exploitation des certificats médicaux de décès peut fournir des indications chiffrées sur cette relation. En France, le CépiDc est l'organisme chargé de la statistique médicale des décès dans la population française, malheureusement, il ne collecte pas l'appartenance à un statut professionnel particulier. Pour les armées, le suivi des causes médicales est effectué par la surveillance épidémiologique dans les armées. Mais, le caractère uniquement réglementaire et non pas légal de ce recueil et son organisation reposant exclusivement sur le praticien militaire en limitent l’exhaustivité. Il en résulte des diff icultés pour l'évaluation de la relation de cause à effet entre la maladie et le décès au sein des armées. Hormis la relation causale, les états morbides peuvent être des facteurs favorisants des décès. De même, la survenue d'un décès peut être considérée comme un facteur de gravité de la maladie sans que l'on établisse un lien direct entre le décès et la maladie. L'analyse des taux de mortalité selon la composition des armées en âge et en sexe mais également en fonction de la présence ou non d'une affection chronique et coûteuse, peut aider les décideurs à arbitrer entre différents programmes de santé à mettre en place. Le système d’information de l’assurance maladie répertorie l’ensemble des décès chez ses affiliés, cet évènement est traduit entre autres par la cessation des droits à l’affiliation au régime d’assurance maladie. Il est également informé des changements de régime assurantiel du militaire : ouverture des droits, droits à la retraite, maintien de droits après la cessation d’activité, mise en invalidité. Il recense de plus les mises en ALD de l’ensemble des militaires. Les circonstances du décès ne sont pas connues. L'objectif de cette étude est de décrire l'évolution entre 2002 et 2005 des taux de mortalité pour les militaires d'active en fonction de la présence d'une affection longue durée, à partir des données de la Caisse nationale militaire de sécurité sociale. Matériel et méthodes Tous les décès survenus entre le 1er janvier 2002 et le 31 décembre 2005 chez les militaires d'active affiliés à la CNMSS pendant cette période, ont été pris en compte. Les personnes agées de plus de 60 ans ont été exclues, car le changement de situation entre activité et retraite n'est pas toujours précisément connu. Les 326 données concernant les effectifs par tranche d'âge de 5 ans, par sexe ainsi que les dates de décès et les dates d'affiliation en tant que militaire d'active ont été fournies par requête sur le système d’information de l'Assurance maladie de la CNMSS. La présence d'une affection longue durée provient du logiciel « Hippocrate », système de recueil des services médicaux de la CNMSS. Cette affection longue durée a été prise en compte si l'assuré était exonéré du ticket modérateur entre le 1er janvier 2002 et le 31 décembre 2005. Seules les affections appartenant à la liste des 30 affections (article L322-3 du Code de la sécurité sociale) ont été prises en compte. Dans un premier temps, une description univariée et une analyse bivariée des variables recueillies ont été pratiquées. Le décès étant une variable de type dénombrement et un évènement rare : l’espérance mathématique du nombre de décès est égale à la moyenne. Un modèle de type Poisson a été d’abord utilisé pour les analyses multivariées. Cependant en raison d’une surdispersion (variance supérieure à la moyenne) l’utilisation d’une régression binomiale négative a été préférée pour le calcul des risques relatifs bruts. Les différents modèles, du modèle complet faisant intervenir toutes les variables recueillies au modèle le plus simple ne comportant que la constante, ont été comparés en prenant en compte le rapport de vraisemblance de deux modèles emboîtés. Pour les variables catégorielles, la variable de référence est celle ayant le plus petit taux brut de mortalité. Les interactions d’ordre 1, 2 et 3 ont été testées. Le seuil de significativité des différents tests employés a été fixé à 5 %, les données ont été exploitées avec le logiciel stata version 6. La durée d’exposition des militaires, qui est le concept de personne-année (PA), permet de calculer le dénominateur du taux de mortalité. Pour les militaires en ALD, elle était considérée comme la durée exacte du bénéfice de l’ALD, pendant la période d’activité du militaire, qui était bornée soit par l’âge de 60 ans, soit par le 1er janvier 2006, soit par la date de cessation d’activité ou la date du décès. L’unité statistique était le militaire, lorsque celui-ci bénéficiait de plusieurs ALD. Pour les militaires sans ALD, elle était approximée en utilisant la population moyenne entre le début et la f in de chaque année, par sexe et par classe d’âge des militaires d’active aff iliés à la CNMSS. Pour améliorer l’exactitude de cette approximation, à cette durée d’exposition a été retranchée la durée d’exposition des militaires ayant une ALD, pour chaque année, pour chaque sexe et pour chaque catégorie d’âge. L'âge pris en compte dans l’étude a été déf ini comme étant celui de l’assuré à la f in de l'étude. Il s’agit donc de l'âge au moment du décès, de l’âge lorsque l'assuré quitte le service actif, de l’âge lorsqu'il atteint son 60 e anniversaire ou de l’âge au 1er janvier 2006. Dans un deuxième temps, l'ensemble des taux de décès par type d'ALD, selon l'âge et le sexe a été étudié, afin d'avoir une description plus médicalisée des facteurs favorisant le décès. Il a été décidé de procéder à la séparation de certaines ALD, en entités cliniques plus g. desjeux appropriées. Ainsi, l'hémochromatose a été séparée de l'ALD n° 17 (Maladies métaboliques héréditaires nécessitant un traitement prolongé spécialisé), les affections liées aux Virus de l'immunodéf icience humaine (VIH) de l'ALD n° 7 (Déf icit immunitaire primitif grave nécessitant un traitement prolongé et infection par le VIH), la tuberculose de l'ALD n° 29 (Tuberculose active et lèpre), et l'épilepsie de l'ALD n° 9 (Formes graves des affections neurologiques et musculaires (dont Myopathie), Épilepsie grave). L'artériopathie chronique avec manifestations ischémiques (ALD n° 3) a été séparée en trois entités : les maladies cérébrovasculaires, l'athérosclérose et les anévrismes et autres maladies vasculaires périphériques. L'ALD n° 30 (Tumeur maligne, affection maligne du tissu lymphatique ou hématopoïétique) a été séparée selon les sous chapitres de la Classification Internationale des Maladies dans sa 10e version. Chacune des demandes d’ALD a été considérée indépendamment des autres même si elles étaient attribuées pour un même militaire. s’élevait chez les hommes à 7 800 p 100 000 PA. Le taux brut de mortalité chez les personnes sans ALD était de 284 p 100 000. Pour la classe d'âge des 18-24 ans il atteignait 322 p 100 000 PA, il diminuait par la suite dans la classe d'âge des 30-34 ans (214 p 100 000 PA), puis il augmentait régulièrement jusqu'à la dernière classe d'âge où il atteignait 773 p 100 000 PA. Le taux brut de mortalité sans ALD était de 314 p 100 000 PA chez les hommes et de 83 p 100 000 PA chez les femmes. Au cours des quatre années de l’étude, le taux brut de mortalité s’élevait de 107 p 100 000 PA en 2002 à 110 p 100 000 PA en 2003, avant de diminuer les deux années suivantes et se maintenir à 94 p 100 000 PA. La régression binomiale négative (tab. III) montrait que le risque relatif brut de décès lorsque l’on avait une ALD était de 25,4 avec un intervalle de confiance à 95 % (IC 95 %) entre 20 et 32,4. Ce risque était de 2,35 (IC 95 % : 1,18-4,69) lorsque l'on était un homme. L’ajustement du modèle montrait que les individus ayant une ALD avait un risque relatif très important de décès, en tenant compte des autres variables. Après ajustement, Résultats Pendant la période de l'étude, 1 592 personnes étaient décédées (tab. I). Il s'agissait principalement d'hommes (95,5 %). L'âge moyen au moment du décès (37,4 ± 11,8 ans) n'était pas différent selon le sexe (p = 0,06) et l'année (p = 0,50). La présence d'une affection longue durée au moment du décès était notée chez 494 militaires (31 %). Les militaires décédés avec une ALD étaient essentiellement des hommes (93,9 %). L'âge moyen des militaires en ALD au moment du décès était de 46,3 ± 8,5 ans, il n'était pas différent selon le sexe (p = 0,053) ou l'année (0,38). Le taux brut global de mortalité était de 405 p 100 000 PA. Le taux brut de mortalité était chez les personnes en ALD de 7 500 p 100 000 PA. En fonction de la classe d’âge, le taux brut de mortalité variait pour ces sujets entre 12 414 p 100 000 PA dans la classe d'âge 18-24 ans et 3 811 p 100 000 PA dans la classe d’âge des 35-39 ans (tab. II). Chez les femmes ayant une ALD, le taux de mortalité était de 5 100 p 100 000 PA, le taux Tableau II. Taux de mortalité chez les militaires en fonction de la présence d'une Affection longue durée (2002-2005). Intervalle de confiance à 95 % p 100 000 Pa Nombre de décès Taux d’incidence p 100 000 Pa Inférieur à 25 ans 335 322 289 359 De 25 à 29 ans 180 215 185 249 De 30 à 34 ans 140 214 180 253 De 35 à 39 ans 119 245 203 294 De 40 à 44 ans 106 278 228 337 De 45 à 49 ans 113 398 328 479 De 50 à 54 ans 88 554 444 682 De 55 à 59 ans 17 773 450 Classe d’âge Militaire sans ALD Tableau I. Données générales des décès chez les militaires d'active (2002-2005). Homme Femme Total Année de décès 2002 396 12 408 2003 410 21 431 2004 349 23 372 1 237 Militaire ayant une ALD Inférieur à 25 ans 18 12 414 7 359 19 619 De 25 à 29 ans 16 4 507 2 577 7 319 De 30 à 34 ans 28 4 991 3 317 7 213 De 35 à 39 ans 29 3 811 2 553 5 473 De 40 à 44 ans 57 5 429 4 112 7 033 De 45 à 49 ans 150 10 381 8 786 12 181 2 005 366 15 381 Age moyen (± SD) 37,5 ± 11,8 34,8 ± 11,7 37,4 ± 11,8 De 50 à 54 ans 163 9 988 8 513 11 644 Présence d'une ALD 464 30 494 De 55 à 59 ans 33 5 340 3 677 7 499 décès chez les militaires français 2002-2005. données issues de la caisse nationale militaire de sécurité sociale 327 Tableau III. Aanalyse multivariée des facteurs de décès chez les militaires (2002-2005). Facteurs Modèle brut Modèle ajusté RR Brut IC 95 % du RR brut p RR ajusté IC 95 % du RR ajusté p Moins de 25 ans 1,43 0,54 - 3,79 0,47 25-29 ans 0,46 0,18 – 1,23 0,12 0,64 0,54 – 0,76 < 0,001 30-34 ans 0,61 0,24 – 1,55 0,30 0,62 0,52 – 0,75 < 0,001 35-39 ans 0,64 0,25 – 1,66 0,36 0,65 0,54 – 0,79 < 0,001 40-44 ans 0,73 0,30 – 1,76 0,48 0,77 0,64 – 0,92 < 0,001 45-49 ans 1, 41 0,61 – 3,28 0,42 1,26 1,07 – 1,49 < 0,001 50-54 ans 2,17 0,91 – 5,18 0,08 1,42 1,20 – 1,68 < 0,001 Plus de 55 ans 0,91 0,35 – 2,40 0,85 Année du décès 0,97 0,74 – 1,28 0,84 Présence d'une ALD 25,4 20,0 – 32,4 < 0,001 19,25 17,1 – 21,7 < 0,001 Sexe (Masculin) 2,35 1,18 – 4,69 0,01 Femme en ALD 0,02 0,01 – 0,04 < 0,001 0,27 0,20 – 0,37 < 0,001 Homme*âge 1,07 0,99 – 1,14 0,076 Age RR : risque relatif, IC 95 % : intervalle de confiance à 95 %, ALD : affection longue durée, p : significativité du test Test du Rapport de vraisemblance (modèle ajusté vs modèle supérieur) : 3,88 à 1 ddl l’âge n’a pas une relation linéaire avec le décès : le risque relatif était important et s’élevait avec l’âge pour les individus de 45 à 54 ans, alors que ce risque relatif était plus faible pour les tranches d’âge de 25 à 39 ans. En outre, il existait une interaction entre le sexe et la présence d’une ALD : le risque relatif de décès était moins important chez les femmes ayant une ALD. Les pourcentages de décès par affection (tab. IV) ne prenaient pas en compte le lien physiopathologique éventuel entre une ou plusieurs exonérations. Ainsi, la prise en charge d’une athérosclérose peut entraîner le bénéfice de plusieurs ALD selon les manifestations cliniques (Accident vasculaire, artériopathie chronique des membres inférieurs, infarctus du myocarde). L’ensemble des personnes ayant une ALD pour affections tumorales avait une fréquence de décès de 15,1 %. Selon le codage de la localisation, cette fréquence variait : les tumeurs de l'appareil respiratoire avaient le plus lourd tribut en matière de décès, en contrepartie, les tumeurs de « la thyroïde et des autres glandes endocrines » ou les tumeurs des « organes génitaux externes de l'homme » avaient un faible pourcentage de décès, respectivement 1,5 % et 1,2 %. Hormis les affections tumorales, les deux plus forts pourcentages de décès étaient les ALD n° 9 modifiées « Formes graves des affections neurologiques et musculaires (dont Myopathie) exceptée les épilepsies graves » et les ALD n° 6 « Maladies chroniques actives du foie et cirrhoses » respectivement 8,1 % et 4,5 %. Pour les militaires décédés avant 25 ans (n = 353), on dénombrait 18 décès chez les personnes en ALD ; il s'agissait principalement de personnes ayant une tumeur (n = 15) dont quatre affections tumorales hématologiques. Pour les sujets, âgés de plus de 328 50 ans, parmi les 301 personnes décédées, 196 étaient exonérées pour une affection longue durée dont 155 pour une affection tumorale. Discussion Cette étude a montré que la présence d’une ALD est liée à un risque relatif de décès plus important. Ce risque varie avec l'âge, ce qui peut être dû à l'effet du travailleur sain (2). Ce phénomène est la traduction de la sélection par l'employeur de personnes en bonne santé pour accomplir leur profession. Ainsi pour les armées, il peut s'agir du non renouvellement de contrats chez les plus jeunes. Cependant, il pourrait aussi y avoir un phénomène paradoxal de sujets restant dans les armées en raison d'affections invalidantes ne leur permettant pas de retrouver un autre emploi ; il s'agirait peut-être dans ce cas de sujets plus âgés et militaires de carrière. Par ailleurs, cette étude a montré que chez les plus jeunes, âgés de moins de 25 ans, la présence d'une ALD entraîne un risque relatif élevé de décès par rapport aux individus âgés de 25 à 35 ans. Des études complémentaires devraient être entreprises pour qualifier le lien entre l'ALD et le décès ainsi que la particulière gravité de l'affection chez les jeunes militaires. De plus, le délai entre l'incorporation au sein des armées et l'attribution d'une ALD serait un indicateur intéressant pour le suivi à la fois de la qualité de la sélection et de l'attribution de l'ALD. La pathologie respiratoire tumorale maligne est l'ALD la plus représentée en pourcentage de décès. Il s'agit au niveau national de la principale cause de décès évitable (3). Le renforcement des actions de lutte contre le tabagisme au niveau national tend à supprimer l'un des g. desjeux Tableau IV. Pourcentage de décès entre 2002 et 2005 par demande d'affections longue durée chez les militaires. Libellé de l'affection longue durée (ALD) TM organes respiratoires et intrathoraciquesgraves TM de sièges mal définis, secondaires et non précisées TM oeil, cerveau et autres parties du système nerveux central TM organes digestifs TM lèvre, cavité buccale et pharynx TM tissu mésothélial et tissus mous TM voies urinaires TM des tissus lymphoïdes hématopoïétiques et apparentés TM os et cartilage articulaire TM organes génitaux de la femme Formes graves des affections neurologiques et musculaires TM peau TM sein TM autre Maladies chroniques actives du foie et cirrhoses Insuffisance cardiaque grave, troubles du rythme graves, cardiopathies valvulaires graves, cardiopathies congénitales graves Épilepsie grave Autres ALD Insuffisance respiratoire chronique grave Anévrismes et autres maladies vasculaires périphériques Affections psychiatriques de longue durée Accident vasculaire cérébral invalidant Hémophilie et affections constitutionnelles de l'hémostase graves Maladie coronaire Périartérite noueuse, Lupus érythémateux aigu disséminé, Sclérodermie généralisée évolutive Affections à Virus de l’Immunodéficience Humaine Polyarthrite rhumatoïde évolutive grave Paraplégie TM Thyroïde et autres glandes endocrines Hypertension artérielle sévère Diabète de type 1 et diabète de type 2 Athérosclérose TM organes génitaux de l'homme Néphropathie chronique grave et syndrome néphrotique primitif Hémochromatose Sclérose en plaques Spondylarthrite ankylosante grave Maladie de Crohn et Rectocolite hémorragique évolutives Tuberculose active Tuberculose active n % Intervalle de confiance à 95 % 118 9 25 74 34 9 22 40 3 3 10 11 11 8 16 18 3 5 5 2 29 7 1 27 1 3 1 3 13 25 4 7 1 1 1 1 1 1 0 0 44,7 34,6 23,4 23,1 21,1 17,3 11,2 9,4 8,6 8,1 8,1 7,0 6,4 5,8 4,5 4,2 3,7 3,4 3,3 3,1 2,7 2,7 2,1 1,9 1,9 1,8 1,8 1,6 1,5 1,5 1,5 1,3 1,2 0,8 0,7 0,5 0,3 0,2 0,0 0,0 [38,6 - 50,9] [38,6 - 50,9] [15,7 - 32,5] [18,6 - 28,1] [15,1 - 28,2] [8,2 - 30,3] [7,1 - 16,4] [6,8 - 12,5] [1,8 - 23,1] [1,7 - 21,9] [3,9 - 14,3] [3,5 - 12,1] [3,3 - 11,2] [2,5 - 11,0] [2,6 - 7,3] [2,5 - 6,6] [0,8 - 10,4] [1,1 - 7,8] [1,1 - 7,5] [0,4 - 10,7] [1,8 - 3,8] [1,1 - 5,4] [0,1 - 11,3] [1,3 - 2,7] [0,0 - 10,1] [0,7 - 3,7] [0,4 - 5,2] [0,0 - 8,7] [0,3 - 4,4] [0,8 - 2,6] [1,0 - 2,2] [0,4 - 3,3] [0,5 - 2,4] [0,0 - 4,1] [0,0 - 3,9] [0,0 - 2,8] [0,0 - 1,8] [0,0 - 0,9] [0,0 - 7,3] [0,0 - 6,8] TM : tumeur maligne facteurs causals essentiels de cette affection. Conjointement, la CNMSS développe des actions de sevrage tabagique dans le cadre de son action de prévention et de la participation à la campagne nationale. Le fait que la « pathologie tumorale non précisée » soit très représentée en termes de décès, est certainement lié au délai de déclaration et à la gravité de la pathologie. Le médecin déclare une ALD sans avoir tous les éléments diagnostiques, le codage est alors peu précis ; l'évolution rapide de l'affection ne modifiant pas la prise en charge f inancière, le médecin conseil ne demande pas de précision complémentaire. La comparaison avec les données de la surveillance épidémiologique dans les armées (4,5) montre une différence de 100 décès annuels environ, avec une sous déclaration probable de la surveillance épidémiologique dans les armées et une sur déclaration probable de la CNMSS, liée à l'absence exhaustive du changement de catégorie entre le service actif et la retraite dans la base de données de la CNMSS et à la prise en compte de situations particulière de certains militaires d’active. Pour les armées, l'ensemble des pathologies tumorales était la première cause de décès par maladie. Ceci est conforté par l'étude conduite qui a montré que les pathologies tumorales ont les taux de mortalité les plus élevées. La CNMSS ne recueille pas les circonstances du décès : les suicides, accidents de la circulation et autres morts traumatiques ne sont pas prises en compte. La part relative de certaines affections est ainsi surestimée. Cependant, la certification d'un décès étant un problème complexe (6,7), la surveillance épidémiologique des armées ne peut être également totalement garante de la qualité de l’information médicale. En outre, cette surveillance est seulement réglementaire (elle n’a aucune conséquence administrative pour le militaire) et repose sur les praticiens militaires qui ne sont pas forcément les rédacteurs du certif icat de décès. Le délai entre la déclaration d'une ALD et le début de la maladie peut être long pour certaines affections chroniques, d’autant plus qu’elles sont peu génératrices de soins coûteux au départ. C’est pourquoi la causalité du décès sera plus facilement établie par le médecin certificateur, dès la connaissance du début de l'affection, alors que la demande d’ALD n’aura pas été encore formulée par le médecin traitant. De même, certaines affections graves, entraînant un décès rapide avec une consommation de soins importante mais décès chez les militaires français 2002-2005. données issues de la caisse nationale militaire de sécurité sociale 329 sur une courte durée, n'impliquent pas une demande systématique d'admission en ALD. Dans cette étude, lorsque l'analyse s'intéresse à la description médicale des ALD et de leur lien avec le décès, plusieurs difficultés apparaissent. Tout d'abord, plusieurs demandes peuvent survenir chez un même assuré : du fait de l'évolution de la maladie (cirrhose du foie et cancer), d’un facteur de risque associé fréquent (Hypertension artérielle et diabète de type 2) ou d’une complication (insuffisance cardiaque et insuffisance respiratoire chronique). Ainsi certaines affections longue durée sont le plus souvent associées à d’autres, sans que ce type d'association soit systématisé. Ensuite, avant 2006, une ALD pouvait être accordée sans date d'expiration, ce qui avait pour effet de couvrir une grande partie des frais médicaux et n'obligeait pas le médecin à formuler une nouvelle demande d'ALD en cas de modifications de l'état de santé ouvrant droit à une autre exonération du ticket modérateur. Ainsi, la mise à jour de l’ALD survenait lors d’une rencontre entre le patient et le médecin consécutive à la survenue d'un événement non couvert par l'exonération déjà enregistrée ou nécessitant des biens de santé spécifiques. C’est pourquoi l'évolution de l'affection clinique n'a que peu de lien temporel avec la demande de prise en charge financière de cette affection. L'utilisation de base de données administratives connaît un regain d'attention actuellement (8, 9). Leurs attraits principaux sont leur exhaustivité quant à leurs éléments constitutifs parce qu'elles sont le plus souvent à caractère financier et que les événements les constituant sont réglementés avec des contentieux possibles. Pour la recherche en épidémiologie, ces bases de données, comportant plusieurs millions d’enregistrements, sont principalement utilisées pour cibler des personnes répondant à certains critères en vue de compléter des registres (10) ou des cohortes (11) afin d'en améliorer la qualité. Conclusion Afin de pouvoir répondre à des questions portant sur des phénomènes perçus d'excès de mortalité (12), sur des phénomènes comme les cancers liés à des expositions professionnelles (13,14), ou de pouvoir quantifier les conséquences médico-sociales des cardiopathies (15), seules la constitution de registres ou le suivi de cohortes permettent dans un milieu professionnel d'aider les décideurs à lancer des programmes de protection de leurs ressortissants ou de pouvoir répondre à des interrogations du public ou de leurs employés. L'interrogation des bases médico-administratives de la CNMSS, permet de mettre en évidence d'éventuels problèmes de santé liés à l'activité professionnelle, mais elle devient peu performante pour répondre à d'autres problématiques entrant dans le cadre de la veille sanitaire (16). RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Weill A, Vallier N, Salanave B, Bourrel R, Cayla M, Suarez C et al. Fréquence des trente affections de longue durée pour les bénéficiaires du Régime général de l'Assurance maladie en 2004. Prat Organ Soins 2006 ; 37 (3) : 173-88. 2. Siebert U, Rothenbacher D, Daniel U, Brenner H. Demonstration of the healthy worker survivor effect in a cohort of workers in the construction industry. Occup Environ Med 2001 ; 58 : 774-9. 3. Pequignot F, Le Toullec A, Bovet M, Jougla E. La mortalité « évitable » liée aux comportements à risque, une priorité de santé publique en France. BEH 2003 ; 30-31 : 139-41. 4. Haus-Cheymol R, Verret C, Richard V, Decam C, Boussaud M, Balaire C et al. Décès dans les armées. Résultats de la surveillance épidémiologique 2002-2004. Rapport n° 769/EDVG/DESPN du 26 octobre 2005. 5. Haus-Cheymol R, Mayet A, Berger F, Deparis X, Romand O, Todesco A et al. Décès dans les armées. Résultats de la surveillance épidémiologique 2003-2005. Rapport n° 332/EDVG/DESPN du 13 juin 2006. 6. Pavillon G, Laurent F. Certification et codification des causes médicales de décès. BEH 2003 ; 30-31 : 134-8. 7. Marchand JL, Imbernon E, Goldberg M. Causes de décès dans une cohorte de travailleurs EDF-GDF: comparaison des données de la médecine du travail et de la statistique nationale. Rev Épidemiol Sante Pub 2003 ; 51 : 469-80. 8. Goldberg M. Les bases de données d'origine administrative peuventelles être utiles pour l'épidémiologie. Rev Epidemiol Sante Pub 2006 ; 54 : 297-303. 9. Desjeux G, Matton T, Galoisy-Guibal L. Utilisation du PMSI à des 330 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. fins épidémiologiques dans les armées. Médecine et Armées 2004 ; 32 (4) : 353-9. Geoffroy-Perez B, Imbernon E, Gilg Soit Ilg A, Goldberg M. Confrontation des données du Programme national de surveillance du mésothéliome et du Programme de Médicalisation du Système d'Information. Rev Epidemiol Sante Pub 2006 ; 54 : 475-83. Marchand JL, Imbernon E, Goldberg M. 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L’armée américaine dispose du système de médecine légale militaire le plus développé au monde avec de nombreuses ramifications à partir du socle de base qu’est l’Armed Forces Institute of Pathology (AFIP). En France, c’est l’Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale (IRCGN) qui constitue déjà un socle militaire avec ses personnels, ses laboratoires et ses activités. Les champs d’application sont vastes : médecine légale clinique et thanatologique au profit des personnels civils et militaires, amélioration de la certification de la mort, recherches pour la défense etc. Les auteurs évoquent la possibilité de créer un réseau médico-légal militaire plus vaste, en partant du socle de l’IRCGN et en l’étendant aux hôpitaux militaires. Intégrant les médecins légistes d’active et de réserve et les médecins militaires qualifiés en réparation juridique du dommage corporel. Cet ensemble permettrait de lancer de façon fiable et solide la médecine légale aux armées tout en ayant une collaboration étroite avec les réseaux civils au sein d’un contrat Armée-Nation. Les armées contribueraient également à l’effort nécessaire pour dynamiser la discipline médico-légale en France. Mots-clés: Fédération de médecine légale militaire. Forces armées. Investigations des décès dans les armées. Médecine légale. HOW USEFUL ARE MILITARY FORENSIC SURGEONS FOR THE FRENCH ARMED FORCES. Abstract A cross discipline, linking medicine and law, forensic medicine has mastered various fields. This article aims at studying the possibilities it could offer within the French military institution if developed. The American Armed Forces has the worldwide most developed military system of Forensic medicine with many ramifications starting from the base i.e. the Armed Forces Institute of Pathology (AFIP). In France the Criminal Research Institute of the Gendarmerie (IRCGN) constitutes already a military base with its staff its laboratories and activities. The applications are extensive: clinical and lethal forensic medicine for the benefit of the civilian and military personnel, enhancing death certifications, defense research etc. The authors bring up the possibility of creating a wider forensic military system on the basis of the IRCGN and extending it to the military hospitals integrating the regular and reserve military physicians and the military physicians qualified in lawful body damage compensation. This entity would enable Forensic medicine in the Armed Forces to be launched in a solid and reliable way, while having a close collaboration with the civilian networks within an Armed Forces-Nation contract. The Armied Forces would also contribute to the required effort to boost the Forensic discipline in France. Keywords: Armed Forces. Investigation of Death. Legal Medicine. Military Forensic Medicine Federation. C. AGOSTINI, médecin en chef, médecin légiste, médecin chef de la Région de Gendarmerie Champagne-Ardenne. Y. SCHULIAR, médecin en chef, sous-directeur scientifique de l’Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale, praticien certifié du Service de santé des armées, médecin légiste, expert national. Correspondance : C. AGOSTINI, Centre médical principal de la région de Gendarmerie de Champagne-Ardenne, BP 1008, 51 022 Chalons en Champagne Cedex. Email : [email protected] médecine et armées, 2009, 37, 4, 331-339 « Il faut faire parler les silences de l’histoire, ces terribles points d’orgue, où elle ne dit plus rien et qui sont justement ses accents les plus tragiques. Alors seulement les morts se résignent au sépulcre. » Jules Michelet (Citation extraite d’une étude littéraire sur la Grande Guerre, la grande guerre mort et écriture (PUF, 2001). 331 Introduction Les forces armées sont, par essence, familiarisées avec la violence. L’armée française a été, à de nombreuses reprises, engagée dans des opérations de guerre, de maintien de la paix ou de rétablissement de l’ordre qui l’ont confrontée avec des formes variées et souvent atroces de violences. Nous avons voulu réfléchir, dans ce travail, à la manière dont la médecine légale, médecine de la violence, pourrait améliorer sa place dans l’institution militaire française. Il ne fait aucun doute que de disposer d’un ensemble de personnels travaillant sur ces questions serait un atout majeur pour les différents commandements et pour les systèmes judiciaires civils ou militaires. Bref historique C’est lors des campagnes napoléoniennes que l’on retrouve un des premiers témoignages médico-légal militaire (1). En 1813 eurent lieu les batailles de Lützen et Bautzen lors de la campagne de Saxe. Parmi les nombreux blessés, une grande proportion se serait automutilée pour échapper au service. On fit regrouper dans un camp situé à l’extérieur de la ville plus de 2000 de ces blessés. C’est Dominique Larrey qui fut chargé avec d’autres confrères de l’expertise médico-légale de ces blessés. Pendant la grande guerre, l’armée française disposait de centres médico-légaux. Ils étaient implantés au sein des grands quartiers généraux. Leur tâche consistait à expertiser et à mener des recherches dans le domaine de lésions d’un nouveau genre pour l’époque : les lésions par armes chimiques, et ils réalisaient les expertises médicolégales nécessaires pour les forces armées engagées sur les fronts (2). Rappelons aussi que l’École du Val-deGrâce disposait d’une chair d’enseignement de la discipline médico-légale (3). La prise en compte des problèmes médico-légaux dans les armées L’exemple de l’armée américaine Les États-Unis possèdent certainement le système médico-légal militaire le plus abouti. Depuis 1862 existe l’Armed forces institute of pathology (AFIP) (4), organisation civilo-militaire aux multiples missions. Cet institut reçoit toutes les demandes d’avis sur des problèmes anatomopathologiques civils ou militaires. C’est une gigantesque base de données pour les pathologistes et une source d’éducation considérable qui possède une collection de tissus qui est probablement la plus vaste au monde. L’AFIP a développé depuis 1988 l’Armed forces medical examiner system (AFMES) (5) qui est un organisme du département de la défense s’occupant des investigations médico-légales. L’AFME a autorité pour demander des investigations médico-légales au sein des armées lorsque les circonstances sont suspectes, inexpliquées, inattendues : – morts non naturelles ou violentes ; 332 – mort directement ou apparemment en relation avec le travail ou la fonction du défunt ; – mort en relation avec un accident de transport ; – mort inattendue, non causée par un processus pathologique connu ; – mort en relation avec une pathologie qui pourrait constituer un problème de santé publique ; – mort en détention ; – mort d’un membre d’équipage d’aéronef ou de navire ; – quand le chef de service d’une structure de soins militaire le sollicite ; – quand l’investigation médicolégale est rendue nécessaire par des raisons de sécurité nationale ou de sécurité des forces armées. Tous les cas bénéficient d’un certificat de décès qui sera la référence pour la certification de la mort. L’armée française La seule unité médico-légale militaire française en activité se trouve au sein de l’Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale (IRCGN) qui a été créé au début des années 90. Ses activités sont connues nous ne les développerons pas ici. Rôle et importance des investigations médico-légales de la mort dans le milieu militaire Qu’il soit civil ou militaire, le médecin légiste exécute son travail conformément aux textes législatifs et réglementaires en vigueur : Code de procédure pénale, Code pénal, code civil, Code de la santé publique auxquels on peut ajouter dans certaines circonstances le Code de la justice militaire. Il n’existe pas de textes spécif iques à l’autopsie. Il faut se tourner vers une recommandation du Conseil de l’Europe R 99 (3) du 2 février 1999 (6) pour avoir un texte de référence sur le sujet. Celui ci énonce des règles de bonnes pratiques qui devraient être suivies par les médecins légistes et les autorités requérantes dans l’union européenne pour les morts apparemment non-naturelles. Ainsi, en cas de décès qui pourrait être dû à une cause non naturelle, l’autorité compétente, accompagnée d’un ou de plusieurs médecins légistes, devrait procéder à l’examen des lieux et du cadavre, et décider si une autopsie s’avère nécessaire. Les autopsies devraient être réalisées dans tous les cas de mort non naturelle évidente ou suspectée, quel que soit le délai entre l’événement responsable de la mort et la mort elle-même, en particulier dans les cas suivants : homicide ou suspicion ; mort subite inattendue ; violation des droits de l’homme ; suicide ou suspicion de suicide ; suspicion de faute médicale ; accident de transport, de travail ou domestique ; maladie professionnelle ; catastrophe naturelle ou technologique ; décès en détention ou associé à des actions de police ou militaires ; corps non identifié ou restes squelettiques. c. agostini Accidents de transport (aérien et maritime) Domaine aérien. La France a déploré sur la période 2002 à 2006, 24 décès par accidents aériens en service. Le facteur humain est souvent cité comme la cause principale. Le médecin légiste pourra fournir des informations dans différents domaines : – l’identif ication : elle pourra se faire grâce à l’utilisation de plusieurs techniques : génétique, odontologie, empreintes digitales, radiographies, autopsies, examens anthropologiques. C’est un travail pluridisciplinaire ; – les causes et les circonstances du décès : cette question là revêt plusieurs aspects et concerne essentiellement l’équipage ; – aspect toxicologique : toute autopsie doit permettre les prélèvements de l’ensemble des substrats pour effectuer l’expertise toxicologique. Dans le cas des accidents aériens le but est de rechercher une substance qui aurait pu modifier l’état physique ou mental du pilote ou de préciser si la victime a subi un incendie ayant entrainé son décès (7) ; – aspect lésionnel : L’analyse lésionnelle va permettre d’aider à la compréhension des phases de l’accident en apportant des éléments fondamentaux aux enquêteurs. L’équipage se trouve en relation avec un environnement de travail sur lequel il agit pour piloter l’aéronef et, en cas d’accident cet environnement va agir sur l’équipage et entrainer des lésions particulières qui peuvent être d’un grand intérêt à condition qu’elles soient interprétées en parallèle avec les autres éléments de l’enquête. L’autopsie va s’attacher à rechercher également toutes les lésions traumatiques liées au crash (explosion, projection de débris), et va permettre de préciser les causes possibles de mort associées : plaies par projectile d’arme à feu, incendie, noyade, hypo ou hyperthermie, incident de décompression, hypoxie (asphyxie) ; – antériorité : L’autopsie doit tenter de préciser si le pilote avait une pathologie qui aurait décompensé au moment du vol et ainsi entrainé l’accident, en particulier les pathologies cardiaques (8). Domaine maritime. Les accidents maritimes posent le problème des investigations médico-légales avec une dimension toute particulière, le milieu marin étant un milieu hostile d’exploration difficile. Le 9 février 2001 une collision en mer eut lieu au large d’Hawaï, entre un bateau de pêche japonais l’Ehime Maru et l’USS Greenville, un sous-marin d’attaque américain. L’Ehime Maru avait à son bord 35 personnes (9). La collision était due à une manœuvre de remontée rapide du sous-marin US. Dans cette affaire, les autorités japonaises exigèrent la récupération des corps des victimes. Les restes humains furent retrouvés sur une période de 20 jours à compter d’octobre 2001, ils furent identif iés uniquement grâce à l’odontologie. Il est intéressant de savoir que de l’utilité pour les forces armées françaises d’avoir des médecins légistes militaires les évolutions post-mortem étaient variables en fonction du site de découverte des corps (cabines, local machine etc…). Il a pu être déterminé, pour un premier groupe de corps, que le mécanisme de mort avait été la noyade mais il n’a pas été possible de le préciser pour une autre partie du fait de la squelettisation des restes. Collision, explosion d’armement, terrorisme (comme l’USS Cole) sont autant de situations qui amènent à poser des questions auxquelles il faut répondre avec une efficacité qui ne souffre pas d’approximations. Il existe un bureau enquêtes accidents mer, civil et des protocoles existent entre la gendarmerie et ce dernier. Il serait intéressant de développer une démarche identique avec la Marine nationale. Le médecin légiste et la guerre En situation de guerre, les décès peuvent être liés au combat ou non. Il est important de pouvoir expertiser correctement ces décès lorsqu’ils surviennent car leur analyse permet de tirer de riches enseignements. Ce sont les armées américaines et israéliennes qui détiennent une des meilleures expériences de ces morts au combat et à la périphérie des combats. Une étude sur les causes de mort des forces spéciales américaines sur une période allant de 2001 à 2004 a été réalisée (10). Les médecins légistes de l’AFME en association avec des urgentistes et des chirurgiens militaires ont revu l’ensemble des documents médicaux (rapports médicaux de prise en charge des victimes, rapports autopsiques) des membres des forces spéciales décédés sur l’ensemble des théâtres militaires à travers le monde. Tous les soldats américains morts au combat (et retrouvés) ont été transportés sur la base américaine de Dover où ils ont été systématiquement autopsiés. Sur les 77 décès constatés, 19 ne sont pas liés aux opérations de combat, 58 sont liés aux combats. Suite à cette étude, des propositions ont été faites pour mettre en place une stratégie visant à l’amélioration de l’équipement des soldats, de leur entrainement ainsi que de la chaîne de prise en charge du blessé de guerre. Nous ne sommes pas ici dans un processus de raisonnement judiciaire, les investigations sur la mort doivent permettre d’aider le commandement dans la compréhension des événements ayant entrainé le décès de ses soldats. À la fin de la guerre du Golfe en 1990, les autorités américaines considérèrent l’opération comme un succès du fait du nombre relativement faible de pertes humaines : au total 271 décès. L’office AFME a travaillé durant cette période et a réalisé les autopsies de ces militaires de janvier à avril 1991 (11). Sur les 271 décès : 54 % étaient liés directement aux combats et 46 % étaient dues à des causes en dehors du combat. Sur les circonstances de la mort, on retrouve 83 % d’accidents, 4 % de suicides, 3 % d’homicides, 8 % de morts naturelles, 2 % restent indéterminées. Malgré la guerre, des investigations médico-légales sont systématiquement réalisées par l’armée américaine. L’identification des soldats décédés, l’analyse lésionnelle, l’étude balistique pour les projectiles d’arme 333 à feu ou les explosions d’engins, voilà autant d’intérêts pour les forces armées sur lesquels le travail du médecin légiste militaire va apporter un éclairage tout à fait intéressant. Catastrophes, désastres de masse Le 23 octobre 1983 fut un terrible jour pour les forces françaises et américaines engagées au Liban pour une opération de maintien de la paix (12) : un total de 58 décès côté français et 241 côté américain furent déplorés suite à cet attentat majeur. Des événements comme celui-ci entraînent une investigation médico-légale de grande ampleur nécessitant des personnels compétents et nombreux pour travailler en pluridisciplinarité. Restes squelettiques non identifiés et anthropologie médico-légale appliquée aux armées Il peut arriver qu’un ancien champ de bataille ne soit pas accessible pendant de longues périodes (cas du Vietnam par exemple). Des soldats peuvent y avoir été portés disparus. C’est sans nul doute le domaine où les techniques anthropologiques vont permettre d’identifier les victimes. Stewart, en 1948, a répondu aux sollicitations de l’armée américaine, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (13). Cet anthropologue a contribué à former des anthropologues militaires comme Kerley (14) qui a monté le laboratoire militaire d’identif ication d’Hawaï : L’US Army central identification laboratory (CILHI). La plus grande expérience en anthropologie médico-légale militaire résulte des travaux de ce laboratoire. L’armée américaine et les pouvoirs politiques américains ont entrepris d’identifier l’ensemble des morts sur les différentes zones de guerre où les USA ont été engagés. Warren (15) en 1978 au Vietnam a travaillé sur un groupe de 23 squelettes de pilotes américains renvoyés par les autorités vietnamiennes suite à leurs décès dans des camps de prisonniers près de Hanoi. L’étude anthropologique a permis de mieux comprendre les mécanismes et circonstances des décès. Pour les armées françaises, le mémento de l’état civil en opération extérieure du 14 mai 2008 prévoit la conduite à tenir lors des combats de haute intensité af in de réaliser les inhumations d’urgence ou le transport de corps. Les procédures qui y sont décrites visent à permettre une identif ication facilitée des victimes ou de groupes de victimes. L’anthropologie médico-légale serait une aide précieuse en la matière. Il serait intéressant de développer un partenariat avec le service historique de la Défense, car ce dernier est amené à travailler sur les sépultures et l’identification administrative de soldats tombés au champ d’honneur. Ils gèrent des demandes de familles dans ce sens. Des missions d’identif ication pourraient naître d’une collaboration entre services médico-légaux militaires et ce service de l’armée française. Chaque année, l’IRCGN effectue 200 expertises en anthropologie médico-légale. 334 Mort inattendue Les morts inattendues surviennent dans les armées françaises notamment lors des activités physiques de toutes sortes qui sont pratiquées. Ce type de mort mériterait d’être systématiquement exploré par l’autopsie afin de mettre en évidence : une anomalie qui pourra par la suite être recherchée sur un autre membre de la famille, une maladie (ou anomalie) passée inaperçue, une prise de toxique et/ou des dysfonctionnements dans les méthodes d’entraînement physique ou d’exercice militaire. Selon la surveillance épidémiologique, l’armée française déplore en moyenne 18 décès pendant une activité physique en service et 14 hors service. Les médecins légistes plaident pour une autopsie systématique des morts inattendues de l’adulte, en particulier dans les milieux sportifs. Il nous paraît important de systématiser cet examen dans le milieu militaire, au vu entre autres des conditions d’entrainement parfois difficiles et de l’importance du dépistage d’anomalies ou de pathologies cardiaques. Accident du travail, maladie professionnelle, pensions militaires Plusieurs instructions ministérielles et circulaires rappellent, pour les chefs d’établissements militaires, les conduites à tenir et procédures à engager en cas d’accidents de travail ou de maladies professionnelles. Tout y est décrit, y compris le recours à l’autopsie dans l’article 20 de l’instruction N° 98-01/DEF/DFP/ SPA/SDC du 30 novembre 1998 pour la recherche de l’imputabilité au service. Les accidents dans le cadre du travail du militaire- peuvent revêtir différents aspects. Pour les transports terrestres, l’armée française a déploré entre 2002 et 2006, 93 décès par AVP en service. Pour les accidents de la route comme pour les accidents aériens ou maritimes vus plus haut, le médecin légiste pourra très souvent apporter des éclairages aux enquêteurs sur : la position des passagers et du pilote en fonction des lésions observées, les lésions létales, les facteurs toxicologiques associés, le niveau d’énergie cinétique ayant occasionné les lésions. Le lieu de travail pour un militaire pourra être, aussi bien le terrain de manœuvres pour le fantassin, l’atelier de réparations pour le mécanicien, une phase d’arrestation pour un gendarme etc. La surveillance épidémiologique aux armées dénombre sur la période 2002 à 2006, 42 morts classés en « autres accidents » sans qu’il soit précisé la nature ou les circonstances de ces accidents, 9 morts suite à un accident par projectile d’arme à feu. Il serait intéressant d’améliorer les modalités de décompte de ces accidents survenus au travail. Dans le même esprit que pour les accidents de transport, le médecin légiste va tenter de donner quelques explications quant aux modalités de survenue de l’accident mortel. Il devra, par ses constatations, voir si le bilan lésionnel est compatible avec les éléments de l’enquête. De plus, ces accidents peuvent être soumis à une demande d’investigations complémentaires par les ayants-droits c. agostini comme le signifie l’article L 441-4 du Code de la sécurité sociale, voire à une procédure judiciaire. Le militaire peut être exposé à de nombreux risques liés aux environnements dans lesquels il évolue. Des affections peuvent se manifester pendant qu’il est en activité, mais certains risques peuvent se révéler des années après avoir quitté le service actif. En situation de guerre, les impacts sur l’environnement sont accrus (utilisation d’armes nucléaires ou radioactives, utilisation d’aérosols chimiques ou biologiques). Dans certaines parties du globe sévissent des risques pathologiques endémiques et le combattant vit, travaille et combat dans ces environnements. Il existe aussi la possibilité qu’un risque pour l’homme soit connu ou repéré plusieurs années après la fin de l’exposition à la zone à risque. Sans attendre les procédures judiciaires éventuelles, il semble intéressant de développer encore de telles surveillances, qui sont pour l’essentiel clinique mais dont l’autopsie peut s’avérer nécessaire dans certaines circonstances pour confirmer ou infirmer des hypothèses dans des cas douteux. Homicides ou suspicions d’homicides, suicides ou suspicions de suicides La recommandation européenne 99 (3) précise que toutes les suspicions de suicide ou d’homicides doivent être conf iées au médecin légiste pour informations complémentaires. Selon la surveillance épidémiologique, sur la période 2002 à 2006 il y a eu aux armées, 48 suicides en service et 233 hors-service. Il n’est pas possible de donner les chiffres sur les homicides dans les armées françaises uniquement par cette source. Nous avons pris attache avec le procureur aux armées et les procureurs de la république en France afin de connaître les statistiques concernant les infractions pénales militaires et les actes médico-légaux éventuellement demandés dans ce cadre. Sur les 37 TGI contactés, 11 ont pu fournir des réponses sur les infractions concernant les infractions pénales militaires prévues au livre III du code de la justice militaire, et les actes médico-légaux éventuellement demandés dans ce cadre. Instaurer une réflexion conjointe entre Défense et Justice pour développer un outil de mesure plus précis de ces infractions et de leurs conséquences médico-légales nous paraît pertinent. Autres champs d’activité de la médecine légale dans les armées La médecine légale clinique À côté de la médecine légale thanatologique, la médecine légale clinique prend une part de plus en plus importante dans les procédures judiciaires en France. Il semble, au vu des domaines différents d’activités des forces armées, que le volet clinique de la médecine légale peut trouver des champs d’applications variés : L’évaluation des coups et blessures, la lutte contre les addictions, la médecine légale dans le cadre des de l’utilité pour les forces armées françaises d’avoir des médecins légistes militaires conventions de Genève, la réparation juridique du dommage corporel. Le Code de la justice militaire (CJM) possède des articles relatifs à des infractions propres aux armées : Violences ou insultes à sentinelle (L 323-15 à L 323-16 du CJM), mutilation volontaire (L 321-22 à L321-24 du CJM), voies de fait et outrages envers un supérieur hiérarchique (L 323-9 à L 323-14 du CJM), voies de fait et outrages envers un subordonné (L 323-19 à L 323-21 du CJM). Confronté à ce type de problème, le médecin légiste devra agir comme pour les examens de victimes de violences classiques. Son but va être d’apporter un éclairage scientif ique sur les circonstances et les conséquences des violences, au magistrat ou à l’autorité militaire compétente en fonction du contexte : évaluation de l’ITT pénale, description des lésions, confrontation des éléments cliniques avec les données de l’enquête (faisabilité, concordance etc…), évaluation du retentissement psychologique des actes violents. Les investigations médico-légales de la mort au profit de civils Lorsque les événements sont de grande ampleur, la société civile se tourne souvent vers les armées pour coopérer dans les différentes tâches qui découlent de ces catastrophes. Les armées disposent de la logistique conséquente (humaine et matérielle) pour travailler. Serait-il normal que les forces armées ne disposent pas de l’ensemble des moyens humains nécessaires et des compétences pour traiter l’ensemble des problèmes qui se font jour lors de tels désastres ? Deux domaines sont importants. Les crimes de guerre Pour le médecin légiste, travailler sur ce type d’événement n’est pas chose aisée et les complications de tous ordres ne manquent pas (16). C’est un médecin légiste de l’armée britannique : Keith Mant, qui fut le premier à systématiquement répertorier tous les abus perpétrés par les nazis sur des êtres humains (cf. procès de Nuremberg). Des médecins légistes travaillent actuellement dans plus de 30 pays à travers le monde pour des faits de ce type. L’ex-Yougoslavie est un terrain malheureusement récent d’expérience en la matière. Le 16 novembre 1996, l’acte d’accusation IT-95-18-I fut émis par le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (ICTY) pour génocide, crimes contre l’humanité et violation des lois et coutumes de la guerre qui survinrent à la suite du drame de Srebrenica. En juillet 1996, le site de Cerska fut le premier charnier exploré par une équipe médico-légale travaillant sous les auspices de l’ICTY (17). Ce sont les troupes de l’IFOR qui les premières arrivèrent sur le site à partir de mai 1996, à la suite de témoignages. Les troupes sécurisèrent une large zone autour et sur le site afin de permettre le travail des équipes médico-légales mandatées. Les forces armées mirent en place l’ensemble de la logistique : moyens de transport, containers réfrigérés pour stockage des corps et des 335 indices, matériels nécessaires aux exhumations. Une équipe multidisciplinaire constituée d’archéologues, anthropologues, médecins légistes, photographes, officiers de scène de crime, logisticiens et conducteurs, travailla à des exhumations. Le premier travail a permis une mise en évidence des corps sur le site, afin de montrer l’enchevêtrement et avoir une idée précise de leur localisation par marquage et mise en place sur une cartographie. Une fois ce travail réalisé, les 150 corps furent transportés pour autopsie sur un site improvisé en morgue temporaire. La contribution des investigations médico-légales a eu pour but de permettre de : Déterminer le nombre d’individus présents sur la scène, leurs caractéristiques démographiques et leur origine civile ou militaire ; Estimer le temps de présence des corps sur le site ; Evaluer la malnutrition, les coups et blessures ou actes de tortures présents avant la mort ; Lister les différents types de blessures relevés ; Mettre en évidence les éléments balistiques ; Mettre en évidence les éléments communs aux individus composant ce groupe de victimes. Les investigations sur les crimes de guerre constituent des travaux complexes réalisés dans les conditions particulières des zones de conflits. Les événements passés comme le Rwanda, l’ex-Yougoslavie et récemment l’Iraq montrent comment les forces armées qui interviennent sous mandat peuvent être confrontées à ces scènes. Catastrophes : accidents de transports civils, catastrophes naturelles En ce qui concerne les catastrophes, qu’elles soient naturelles ou de transport, les situations sont moins complexes que pour les crimes de guerre, non pas au plan technique, mais au plan juridique. Les armées ont été amenées à travailler sur bon nombre de catastrophes à travers le monde. La gendarmerie nationale en créant l’IRCGN a développé en son sein une Unité d’Identification des Victimes de Catastrophe (UGIVC) qui a succédé à la cellule d’identification de l’EMMIR. Elle est intervenue, depuis sa création en 1992, sur plus de 30 affaires. Épidémiologie et médecine légale Analyse et identification des causes de mort chez les militaires Le travail du médecin légiste permet d’aider à la manifestation de la vérité dans la procédure judiciaire, il aide aussi à la compréhension épidémiologique des phénomènes violents et à l’amélioration de la certification des décès. Nous nous sommes intéressés aux décès déclarés dans les armées entre2002 et2006. On recense un nombre total de 1 771 décès. Les décès hors service sont au nombre de 1 006 et les décès en service sont de 295. Il existe 470 décès dont il n’est pas précisé la survenue en service ou non. La fiche de déclaration des décès, que doit remplir le médecin d’unité, comporte une question sur la réalisation ou non d’une autopsie et sur la disponibilité des résultats. Sur cette population, nous avons voulu voir 336 dans quels cas les autopsies avaient été réalisée (tab. I). Les autopsies réalisées sont donc au nombre de 221 pour 1 301 décès. Les résultats sont peu accessibles : 37 résultats disponibles sur 221 autopsies réalisées. Il existe un défaut d’information, avec des circonstances ou causes de décès inconnues dans 36 cas. Les Tableau I : Résultats de la surveillance épidémiologique des décès aux armées, période 2002 à 2006. Décès survenus hors service 140 autopsies sur 1 006 décès Circonstances Cas Autopsies Causes décès (1) Suicides 233 75 Causes de mort : 5 intoxications médicamenteuses, 2 phlébotomies, 28 plaies par projectile d'arme à feu, 20 pendaisons, 1 précipitation d'une hauteur, 1 saut sous un train 17 cas non précisés. Sport autre que natation 14 1 Résultats non disponibles Maladies 422 19 1 méningite à méningocoque, 1 embolie pulmonaire, 1 insuffisance hépatique, causes inconnues dans 2 cas. AVP 263 15 Résultats non disponibles, le mécanisme accidentologique est précisé pour un cas. Autres types d'accidents 57 18 Le résultat d'autopsie est disponible pour un cas : 1 intoxication alcool et médicaments. Autres 2 2 2 homicides et résultats non disponibles. 4 2 Résultats non disponibles 1 Pas de résultat ni précision accidentologique Accident par armes à feu Accident aériens 4 Décès survenus en service 81 autopsies sur 295 décès Circonstances Cas Autopsies (2) Causes décès Les causes évoquées sont : 3 pendaisons, 14 plaies par PAF et 1 cause inconnue. Un seul résultat est disponible : 1 trouble du rythme cardiaque. Les causes évoquées pour d’autres : 1 hyperthermie maligne, 1 saut en parachute. Suicides 48 18 Sport autre que natation 18 6 Noyades 5 2 Non disponibles. Maladies 41 6 Les causes évoquées sont : 1 mort subite, 1 pneumopathie avec septicémie, 1 trouble du rythme, 1 rupture d'anévrisme, 2 inconnues. AVP 93 8 Pour 1 cas est évoquée l’alcoolisation, les mécanismes accidentologiques sont non précisés. Autres types d'accidents 42 13 Les causes évoquées sont : 6 incendies, 2 chutes, 1 hyperthermie maligne 1 accident de plongée, 1 explosion de gaz, 2 inconnues. Accident par armes à feu 9 5 Les causes évoquées sont : 1 blast par explosion d'une munition, 2 plaies transthoracique par PAF, 1 rafale de FAMAS, 1 inconnu. Accident aériens 24 20 Aucune précision accidentologique. (1) Il existe également 7 autopsies qui apparaissent où l’ensemble des caractéristiques sont inconnues. (2) Il existe également 3 autopsies qui apparaissent où l’ensemble des caractéristiques sont inconnues. c. agostini caractéristiques accidentologiques des accidents de transport ne sont que rarement précisées. Trop souvent, on retrouve le classique et inexploitable « arrêt cardiorespiratoire » comme cause de mort. Il semblerait qu’une organisation autre du dénombrement des cas serait souhaitable à condition que les circonstances générales, les circonstances précises, les causes initiales, les causes immédiates, les rapports d’autopsies puissent être systématiquement obtenus et analysés. L’armée américaine dispose, à ce sujet, du Departement of defense medical mortality registry (DOD-MMR) (18), il est implanté au sein de l’AFME, il permet une surveillance des décès aux armées par le DOD. Ce registre permet de connaître l’ensemble des informations médicales et circonstancielles des militaires décédés et de mener plus facilement des surveillances médicales et des recherches en matière de prévention. Il est alimenté systématiquement par les rapports médicaux, les rapports d’autopsies, les témoignages des personnels ayant vu les événements concernés et les rapports d’enquêtes. Il synthétise et valide, pour chaque décès, les données médicales, circonstancielles et les informations sur les facteurs de risques. Ces informations nous semblent vitales pour l’œuvre de défense, car comprendre au plus juste les mécanismes de mort en fonction des circonstances devrait faciliter la recherche sur la prévention. Constitution de Bases de Données pour la prévention et la surveillance de pathologies après des opérations militaires L’AFIP (19) a travaillé sur les vétérans, dans le cadre du « syndrome de la guerre du Golfe ». De retour de cette guerre, beaucoup de vétérans se sont plaints de symptômes ne pouvant être associés à une pathologie particulière. Des hypothèses de cause ont été rapportées : infections endémiques, expositions environnementales (pesticides, fumée des puits de pétrole incendiés, les vents de sable), vaccins, agents militaires chimiques ou bactériologiques et stress psychologique. La variabilité des symptômes évoqués n’a pu permettre de les rattacher à une cause précise. L’AFIP a constitué une banque de tissus collectés lors d’autopsies de vétérans de la guerre du Golfe (264 vétérans), des échantillons ont été analysés en anatomopathologie. Ces tissus sont enregistrés dans le « KUWAIT REGISTRY ». La surveillance clinique et thanatologique est mise en place pour surveiller l’émergence d’une problématique à distance d’une exposition. Autopsies scientifiques La question a déjà été posée par Pasquier (20) l’autopsie scientifique est-elle un luxe ou une nécessité ? Malgré le niveau élevé de performance diagnostique auquel nous sommes parvenus, notamment par l’imagerie médicale, l’incertitude et la faillibilité médicale demeurent. L’autopsie vient infirmer ou compléter les hypothèses cliniques, aide à mieux comprendre les mécanismes de la mort, à mettre en évidence les processus extensifs de l’utilité pour les forces armées françaises d’avoir des médecins légistes militaires tumoraux, les effets thérapeutiques et les pathologies iatrogènes, aide aux enquêtes épidémiologiques tant pour l’incidence que pour l’amélioration de la détermination des causes, aide à l’apprentissage des jeunes médecins. Pour Claude Got (rapport sur les autopsies médico-scientifiques en 1997), la baisse de l’activité autopsique en France constitue une véritable catastrophe, car pour lui : « une société qui organise l’abandon des autopsies, élimine une forme de sécurité sanitaire ». Cela constitue en soi un véritable problème de santé publique. Les armées peuvent contribuer à cette renaissance là, d’autant qu’elles évoluent dans des environnements à risque. Discussion-perspectives et propositions La médecine légale est une discipline vaste et complexe. Elle présente un intérêt certain pour les armées. La reconnaissance de la discipline médico-légale dans le monde de la santé n’est pas évidente. Comme le déplorent Olivier Jardé (21) en 2004 ou le rapport de la mission interministérielle de 2006, cette discipline va mal en France. Elle est délaissée par les médecins en général ; mais aussi, se situant à la frontière entre la médecine et la justice, la responsabilité de son financement est sujette à discussion. Le seul intérêt qui est bien perçu dans les armées, pour le moment, c’est son utilité pour l’identif ication des victimes de catastrophe. Cette discipline riche en possibilités doit-elle se borner uniquement à cela, surtout dans un milieu ou le risque de confrontation à la mort et à la violence est majeur et peut revêtir des formes variées et complexes ? L’exemple de l’armée américaine nous montre que non. Des améliorations seraient aussi possibles en France. Quelle évolution pour la médecine légale au sein des armées françaises ? Il existe déjà un socle doté de moyens d’expertise en France, ce socle c’est l’IRCGN. Il a été créé pour regrouper en un seul lieu des moyens d’expertise criminalistique et de médecine légale pour que les services de gendarmerie puissent répondre de façon eff icace aux demandes de la justice. Une partie de ses missions s’exerce donc au prof it de l’œuvre de justice et vise à aider à la manifestation de la vérité par les différentes techniques qu’offrent les sciences forensiques. Un développement de la médecine légale dans les armées pourrait s’appuyer sur ce socle. Le réseau hospitalier militaire pourrait compléter le dispositif, et les médecins légistes militaires ne devraient pas être acteurs de soins pour respecter la notion d’indépendance. Comme tout projet, il doit s’appuyer sur des moyens : financiers, humains et matériels. Il doit se concevoir dans un réseau spécifique. 1. Moyens f inanciers : l’activité médico-légale militaire doit se réaliser en des lieux et en des champs juridiques différents, liés aux contextes de déploiement des forces armées. Elle intéresserait trois ministères : l’intérieur, la justice et la défense qui pourraient coopérer ; 337 2. Moyens humains : Il faut que cette activité puisse se réaliser avec deux catégories de personnels : active et réserve, le tout regroupé dans une fédération de médecine légale militaire. Au sein des hôpitaux militaires il serait possible de mettre en place un service de consultation médicolégale où serait affecté un, voire deux médecins qualif iés en médecine légale. Au sein de ce service se réaliseraient les activités de médecine légale du vivant et du mort, complétées par une participation aux activités thanatologiques et cliniques réalisées par les instituts médico-légaux locaux civils ou les services d’urgences médico-judiciaires (participation à des gardes médico-légales) dans un partenariat armée-nation qui pourrait s’avérer d’autant plus utile que les diff icultés actuelles de la médecine légale en France sont grandes. Ils seraient également de véritables représentants de l’IRCGN localement et pourraient devenir les référents médico-légaux régionaux des forces rattachées à ces hôpitaux. Ils participeraient, si besoin, aux interventions de l’IRCGN. Ils pourraient être représentés par des praticiens généralistes ou spécialistes ayant reçus une qualification en médecine légale. Il existe également, à l’heure actuelle, un certain nombre de chirurgiens dentistes militaires formés en odontologie médicolégale, ils font partie du réseau interventionnel de l’IRCGN et pourraient être liés également aux centres médico-légaux militaires. À côté de ce réseau hospitalier, le réseau de médecins qualif iés en réparation juridique du dommage corporel et en victimologie devrait entrer utilement dans cette fédération de médecine légale militaire. Ce sont des observateurs privilégiés de certaines violences et ils peuvent faire remonter des informations à la fédération de médecine légale militaire (fig. 1). pour améliorer la connaissance des phénomènes violents aux armées. 3. En ce qui concerne la réserve, l’IRCGN a développé des contrats de médecins ou dentistes légistes qui viennent prêter main forte en cas de catastrophe majeure (22). Ces réservistes constituent une aide précieuse sur des événements de grande ampleur qui nécessitent des interventions de longue durée. La plupart d’entre eux travaillent au sein des instituts médico-légaux civils. Ils doivent donc devenir les référents du partenariat armée-nation que nous évoquions plus haut. Figure 1. Proposition d’organisation de la Fédération de médecine mégale militaire. 338 c. agostini On l’a vu, la médecine légale moderne s’entend au niveau clinique et au niveau thanatologique. Elle comporte également différentes sciences criminalistiques (toxicologie, accidentologie, balistique etc…) et des sciences médicales comme la réparation juridique du dommage corporel ou la victimologie. Une fédération de médecine légale militaire pourrait se concevoir selon le schéma suivant. Elle aurait à sa tête une cellule de coordination de l’activité médico-légale aux armées : véritable référence nationale de la spécialité chargée de coordonner les différentes activités médicolégales (interventions, expertises), de diriger les programmes d’enseignement et de recherche et de diriger un observatoire de la violence aux armées. Cet observatoire de la violence aux armées serait un outil statistique qui permettrait de collecter toutes les données fournies par les expertises médicales du vivant, les autopsies, les rapports d’enquêtes (judiciaires et administratives) et les témoignages de personnes ayant assisté aux événements violents. Cela permettrait d’avoir un outil pertinent pour fournir des données statistiques sur les différentes infractions constatées, de donner aux états-majors des renseignements concernant les différentes morts survenues aux armées et de fournir aux épidémiologistes militaires une source de données supplémentaires. Conclusion Ce travail nous a permis de faire un tour d’horizon et d’explorer les champs possibles pour l’investigation médico-légale aux armées. Les différents domaines évoqués nous sont apparus comme fondamentaux, pour avoir une compréhension, la plus f ine possible, des enjeux. Certains domaines sont délicats et sensibles, mais ne peuvent être occultés. « Faire parler les silences… » par ces simples mots, Jules Michelet résume parfaitement, à notre sens, ce qu’est l’esprit du médecin légiste. Cette médecine de la violence doit d’avantage trouver sa place au sein des armées, car les enjeux de défense évoluent sans cesse. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Hassenforder J. L'affaire des mutilations de Lutzen et de Bautzen en 1813. Un cas remarquable de chirurgie légale militaire rapporté par D Larrey. Bulletin mensuel de la société de médecine militaire française ; 1955 ; 49 (3) : 57-60. 2. Note du 4 juin 1917 sur l’organisation et le fonctionnement des centres médico-légaux.Carton 18N426 du service historique de la défense (terre). 3. Camelin, professeur agrégé du Val-de-Grâce. Les médecins militaires et l’enseignement de la médecine légale. Cours de l’école du VDG ; 1950. 4. Wilson ML. The proposed closing of the armed forces institute of pathology. Clinical infectious disease 2005 ; 41 : 1 003-4. 5. Clark MA. The armed forces medical examiner system : a change for the better. Aviation, space and environmental medicine 1989 ; 60 (7suppl : A1-A3. 6. Recommandation R99 (3) du conseil de l’Europe sur l’harmonisation des pratiques en matière d’autopsie. 7. Klette K. Toxicological findings in military aircraft fatalities from 1986-1990. Forensic science international 1992 ; 53 : 143-8. 8. Mason JK. Previous disease in aircrew killed in flying accidents. Aviation, space, and environmental medicine 1977, 48 (10) : 944-8. 9. Lewis, JA. Recovery and identification of the victims of the Ehime Maru/USS Greenville collision at sea. Journal of forensic sciences 2004 , 49 (3) : 539-42. 10. Holcomb JB. Causes of death in US Special Operations Forces in the Global War on Terrorism. Annals of Surgery 2007 ; 245 (6) : 986-91. 11. Reiber KB. The medical examiner in war. Journal of forensic sciences de l’utilité pour les forces armées françaises d’avoir des médecins légistes militaires 1995 ; 40 (2) : 197-200. 12. Gillepsie TH. Dental identification of remains from the 23 october 1983 bombing of the US Marine headquarters, Beirut, Lebanon. Military medicine 1985 ; 150 (12) : 635-9. 13. Ubelaker, DH. The forensic anthropology legacy of T.Dale Stewart (1901-1997). Journal of forensic sciences 2000 ; 45 (2) : 245-52. 14. Hinkes MJ. 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Rapport au premier ministre sur la médecine légale ; 2004 ; remis au garde des sceaux et publié par voie électronique sur le site internet : www. justice.gouv.fr 22. Schuliar Y. Identification des victimes du tsunami en Thailande. Médecine et Armées 2005 ; 33 (4) : 293-301. 339 VIENT DE PARAÎTRE WAR SURGERYWORKING WITH LIMITED RESOURCES IN ARMEDCONFLICT AND OTHER SITUATIONS OF VIOLENCE Organisation impartiale, neutre et indépendante, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a la mission exclusivement humanitaire de protéger la vie et la dignité des victimes de la guerre et de la violence interne, et de leur porter assistance. Un des principaux domaines d’activité du CICR est la prise en charge des blessés de guerre. Nous avons l’honneur de vous présenter le premier volume de : «_War Surgery: working with limited resources in armed conflict and other situations of violence_», (la traduction en français, espagnol et russe est en voie de réalisation.). À partir de nombreuses années d’expérience sur le terrain en temps de conflit armé, cette nouvelle publication décrit l’approche du CICR, approche basée sur une proposition simple : la chirurgie de guerre a lieu dans un environnement austère et souvent dans des circonstances précaires et ce qui est approprié à un contexte ne l’est pas forcément dans un autre. La clef du succès opérationnel est de définir la réponse qui convient le mieux à une situation donnée. Les moyens diagnostiques et thérapeutiques disponibles auprès des Services de santé diffèrent d’un pays à un autre, et même parmi les régions d’un même pays. Parfois, le niveau de technologie est élevé et le personnel formé nombreux. Ailleurs, en situation précaire, souvent le cas où travail le CICR et d’autres organisations humanitaires, il faut s’arranger avec des ressources limitées. On peut facilement apprécier la différence de la disponibilité des ressources entre les services sanitaires militaires d’un pays industrialisé et les hôpitaux publics d’un pays pauvre en état de guerre civile et dont les moyens sont mis à mal même en temps de paix. Cette nouvelle publication ne prétend être à l’avant-garde des dernières découvertes et techniques de pointe ce ne serait ni pratique ni pertinent dans des contextes où manquent des soins pré hospitaliers minimaux, et dans des hôpitaux où ventilateurs mécaniques et composants sanguins font défaut. Les protocoles cliniques et les techniques opératoires décrits sont au niveau des connaissances et d’expertise d’un chirurgien généraliste travaillant dans un hôpital de district d’un pays à faible revenu. Lors de maints conflits armés contemporains ce sont ces chirurgiens qui souvent sont les premiers à accueillir les blessés, et ceci dans des circonstances où le transfert vers des hôpitaux disposant de moyens plus sophistiqués et des sous spécialisations chirurgicales – dans une lointaine capitale – n’est pas possible. Ils sont obligés de « tout faire » eux-mêmes. L’expérience du CICR démontre qu’on peut faire beaucoup pour la prise en charge des blessés de guerre en utilisant des moyens simples, mais adéquates et appropriés en se basant sur une bonne connaissance scientifique. Cette approche a fait ses preuves et s’est montrée efficace au niveau du coût – bénéfice ; fait particulièrement important dans un pays aux ressources financières limitées où toute dépense en soins curatifs se fait au détriment de mesures préventives. Comité international de la Croix-Rouge 19, avenue de la Paix, 1202 Genève, Suisse – Tél. : +41 22 734 6001 – Fax : +41 22 733 2057. Contact : Marco Baldan (++41 22730 29 97 ; [email protected]) – www.cicr.org 340 Pratique médico-militaire Fauconnerie dans l’armée de l’Air, un domaine d’action original des vétérinaires des armées. F. Dulieu a, É. Leroy b, P. Briand a, C. Perraudin c. a Secteur vétérinaire, quartier la Malmaison – 02 151 SISSONNE Cedex. b BCRM Brest, CC5 – 29240 Brest Cedex 09. c Direction régionale du Service de santé des armées, Site de la Villeneuve – 29820 Guilers. Article reçu le 5 septembre 2008, accepté le 7 aout 2009. Résumé En France, l’art de la fauconnerie après avoir connu son apogée au XVIIe siècle était tombé en désuétude. Utilisés par l’armée de l’Air depuis 1980, les rapaces participent à la lutte contre le péril aviaire sur les plates-formes aériennes. À nouvelle espèce, nouvelles missions pour les vétérinaires des armées. Mots-clés : Bien-être animal. Fauconnerie. Mission vétérinaire. Péril aviaire. FALCONRY IN THE AIR FORCE, AN ORIGINAL OPERATION FOR ARMED FORCES’ VETERINARY SURGEONS. Abstract In France after knowing its apogee during the XVII th century the art of Falconry had become obsolete. Used by the Air Force since 1980, the raptors take part in the fight against the avian danger on airports. With new species here are new missions for the armed Forces’veterinary surgeons. Keywords: Animal welfare. Avian danger. Falconry. Veterinary surgeon’s field of action. Introduction Une première fauconnerie a été créée dans l’armée de l’Air en 1980 afin d’effaroucher les oiseaux pour éviter les collisions avec les aéronefs (le péril aviaire). Si la chasse au vol a quasiment disparue de nos jours, l’effarouchement par la fauconnerie s’est développé dans le domaine de l’aviation et en particulier au sein de l’armée de l’Air. Cette activité est soumise aux réglementations élaborées tant par le ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de l’Aménagement du territoire que par le ministère de l’Agriculture et de la Pêche ; les aspects relatif au respect du bien-être animal, au statut des espèces protégées et à la prévention des maladies infectieuses F. DULIEU, vétérinaire. É. LEROY, vétérinaire. P. BRIAND, vétérinaire en chef. C. PERRAUDIN, vétérinaire en chef, praticien certifié. Correspondance : F. DULIEU, Secteur vétérinaire, quartier la Malmaison – 02 151 SISSONNE Cedex. Email : [email protected] médecine et armées, 2009, 37, 4, 341-349 étant essentiels. Les faucons comme les autres animaux employés au sein des armées relèvent du domaine des compétences vétérinaires en matière de surveillance sanitaire et de protection animale. La fauconnerie en France : de la Chasse au vol à la lutte contre le péril aviaire Historique de la chasse au vol L’utilisation de rapaces pour la chasse est mentionnée dans des textes datant de 35 siècles ; la fauconnerie semble trouver son origine sur les hauts plateaux d'Asie Centrale, où se rencontre la plus grande concentration naturelle d'oiseaux de proie aptes à être affaités. Les Kirghizes, nomades et chasseurs, pourraient avoir été les premiers fauconniers. 341 En Europe, le monde antique a eu connaissance de cet art sans le pratiquer. La fauconnerie est apparue chez les Celtes et les Gaulois à la suite des grandes invasions des Germains. C'est au Moyen-âge qu’elle s’est développée dans tous les pays d'Europe et notamment en France où les rois ont toujours eu des équipages de vol. Charles VI a séparé les services de la vénerie et de la fauconnerie en créant, en 1406, la charge de grand fauconnier de France qui a subsisté jusqu'à la Révolution (1). C’est sous Louis XIII que cet art a connu son apogée, la fauconnerie française était alors la première dans le monde tant par l'éclat de ses équipages que par sa technique. En 1616, la fauconnerie du roi comporte 300 oiseaux subdivisés en six équipages spécialisés sur des gibiers différents tels que le héron, le milan, la corneille, la perdrix (2). Puis au XVIIIe siècle, la fauconnerie est passée de mode avec le développement des armes à feu et de la vénerie. Napoléon a créé les services impériaux de vénerie et de fauconnerie surtout dans un souci de prestige, en fait la chasse au vol sera officiellement inexistante au XIXe siècle puisque ne figurant pas parmi les modes de chasse autorisés. Durant la première moitié du XXe siècle, les fauconniers se sont groupés en associations afin d’établir des règles de conduite et d'éthique et de protéger les rapaces alors persécutés. La fauconnerie française a connu un renouveau à la fin de la Seconde Guerre mondiale grâce au périgourdin Abel Boyer qui fonde l'association nationale des fauconniers et autoursiers français et obtient la reconnaissance légale de ce mode de chasse en 1954 (3). Si chaque région géographique du globe, connaît une fauconnerie spécif ique, on peut cependant reconnaître deux grandes catégories de chasse au vol dans le monde (3) : – la méthode traditionnelle transmise de génération en génération, avec une multitude de types de chasses et d'oiseaux utilisés en fonction des proies, depuis l'utilisation de l'épervier pour le « vol de la caille », c’està-dire la chasse de la caille, en Tunisie jusqu’à celle de l'aigle royal au Kazakhstan pour « voler le loup » ; – la méthode contemporaine retrouvée dans des pays sans grand passé historique en matière de chasse au vol comme les États-Unis où se pratique une fauconnerie en perpétuelle évolution que ce soit dans les méthodes de dressage, d'entraînement, de détention, d’utilisation ou de reproduction des oiseaux. Figure 1. Autour des palombes juvénile (à gauche) et adulte (à droite). (©Eaton E.H. Birds of New York (NY State Museum, Memoir 12), Albany : University of the State of NY ; 1914 ; Domaine public.). Le haut vol On nomme ainsi le vol d'un oiseau déjà dans les airs lors du départ du gibier. L'oiseau est ainsi habitué à monter à la verticale de son fauconnier et de son chien à l'arrêt. Il fond à très grande vitesse sur sa proie dès qu'elle décolle. On utilise pour ce vol différentes espèces de faucons : faucon pèlerins Falco peregrinus (fig. 3), gerfauts Falco rusticolu, etc. (4). Les proies d'un oiseau de haut vol sont des proies en vol : en effet, la très grande vitesse de l'attaque et de l'impact rendent extrêmement dangereux la proximité du sol ou d'un obstacle. Techniques employées Le bas vol On nomme ainsi le vol du poing : l'oiseau est légèrement retenu sur le poing du fauconnier et s’élance au départ du gibier à la poursuite de sa proie. On utilise pour le bas vol différents rapaces tels l’autour des palombes (Accipiter gentilis) (f ig. 1), l’épervier d’Europe (Accipiter nisus), la buse de Harris (Parabuteo unicinctus) (fig. 2) ou la buse à queue rousse (Buteo jamaïcensis). Ces oiseaux ont en principe des ailes courtes et arrondies et une queue importante leur permettant de brusques changements de direction. Les proies d'un oiseau de bas vol sont multiples, du passereau au chevreuil (4). 342 Figure 2. Buse de Harris. (© Demaur A. ; Belgique ; 2007). f. dulieu et de décollage (80 %), à une hauteur inférieure à 50 pieds, c'est-à-dire sur les aérodromes (5). Oiseaux en cause dans le péril aviaire Les statistiques établies en France entre 2005 et 2007 (fig. 4) sur environ 1 000 rencontres d'oiseaux montrent que les rapaces diurnes sont à l'origine du plus grand nombre de collisions avec les avions (33 % des cas). Le taux de collision avec ces oiseaux a doublé au cours des dix dernières années. Les impacts de mouettes et goélands viennent en deuxième position avec 19 % des cas et sont en diminution par rapport aux années antérieures du fait de la mise en place d’actions d'effarouchement bien adaptées aux laridés. Si la proportion de rencontres avec les hirondelles et les martinets reste élevée (13 % des cas), ces incidents n'entraînent le plus souvent aucun dommage significatif sur les avions compte tenu de leur faible masse. Par contre, les collisions avec les pigeons, les perdrix, et les faisans occasionnent une fois sur trois des dommages sérieux sur les appareils. Les corvidés ne représentent que 3 % des impacts, qui ont lieu surtout en juillet et en août, au moment de l'envol des jeunes et par temps de brouillard (6). Méthodes de lutte contre le péril aviaire Figure 3. Faucon pèlerin. (© Elle J.; Château de Lordat; 2007; Domaine public). En amont de la lutte contre le péril aviaire les constructeurs de moteurs d’avions doivent fournir la preuve que les réacteurs qu’ils produisent sont capables d’ « avaler » des oiseaux sans en souffrir, l’indicateur de base étant le goéland. Depuis juillet 1989, la lutte contre le risque aviaire est réglementée en France par un arrêté ministériel (7). Tous les aérodromes d'intérêt national, ont fait l'objet d'études spécifiques ; ils ont été dotés d'un service de prévention du risque aviaire. Différentes méthodes existent pour lutter contre le péril aviaire (8, 9) : Lutte contre le péril aviaire Le péril aviaire La lutte contre le péril aviaire est la gestion, quelle que soit la méthode, des populations d’oiseaux vivant à proximité d’un aéroport et pouvant entrer en collision avec un avion lors des phases d’atterrissage ou de décollage. Les pistes de décollage constituent en effet un biotope propice aux animaux qui y trouvent tranquillité et nourriture. Le premier décès causé par un impact d'oiseau a été enregistré en 1912. Depuis 1960, ce sont 79 avions civils qui ont été perdus dans le monde, faisant plus de 210 victimes. Aujourd'hui, 700 collisions avec des oiseaux sont enregistrées en France chaque année par l'aviation civile. À peu près 15 % d'entre elles sont classées « signif icatives » c'est-à-dire qu'elles donnent lieu à des retards de traf ic (arrêts, atterrissages de prudence, endoscopie des moteurs à l'escale) ou à des dommages (bords d'attaque des ailes enfoncés, antennes arrachées, verrières opacif iées, moteurs plus ou moins endommagés…). La plupart des collisions ont lieu pendant les phases d'atterrissage Figure 4. Taux de répartition des oiseaux en cause dans des collisions avec des aéronefs en France entre 2005 et 2007 (6). fauconnerie dans l’armée de l’air, un domaine d’action original des vétérinaires des armées 343 – la maîtrise de l’environnement. La présence d'oiseaux ou d’autres animaux sur les aérodromes est souvent due à une source attractive. Des observations permettent de comprendre pourquoi les oiseaux viennent sur l'aérodrome. On s’attache ensuite à supprimer dans cet environnement, tout ce qui peut favoriser la présence des oiseaux dangereux pour la navigation aérienne : diminution du nombre de proies par épandage de grains empoisonnés près des pistes, gestion des surfaces en herbe (techniques de l’herbe haute et fauchage tardif), assèchement ou protection par des f ilets des points d’eau, réglementation de l'ouverture de décharges publiques dans le voisinage des aérodromes ; – la destruction d'espèces. Des quotas de destruction par tir sélectif avec des fusils de chasse et des cartouches à plomb sont fixés par arrêté préfectoral (pour les espèces autorisées par le ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire) ; – l’effarouchement. Il s’agit du fait de faire fuir des populations animales présentes en nombre trop important ou engendrant des nuisances. Il en existe deux types : - l’effarouchement acoustique : les oiseaux étant particulièrement sensibles aux stimuli visuels et acoustiques de nombreuses méthodes ont été envisagées, depuis la diffusion de cris de détresse spécif iques à partir d'un véhicule équipé de matériels électro-acoustiques jusqu’à l’utilisation de moyens pyrotechniques (tir de fusées crépitantes et de fusées à longue portée), – l’effarouchement par la fauconnerie : cette dernière méthode, inspirée de l’exemple de la Grande-Bretagne, a été expérimentée dans les années 1980. Les résultats obtenus avec les moyens traditionnels ont ainsi été comparés à ceux de la fauconnerie expérimentée à Toulouse-Blagnac pendant une période de six mois et à Paris-Charles de Gaulle pendant un an. Ils ont été sensiblement identiques en termes de diminution du nombre d'impacts avec des oiseaux chassés par les fauconniers ou par les équipes utilisant des moyens traditionnels. Du fait de ses contraintes jugées trop importantes(coût, nécessité d’avoir du personnel qualifié, environnement, législation…), l’aviation civile a délaissé cette technique d’effarouchement. Les faucons au sein des armées Historique Les archives britanniques font mention de la création lors de la Seconde Guerre mondiale d’un escadron de faucons pèlerins qui avait pour mission de neutraliser les pigeons voyageurs utilisés par les espions du Troisième Reich en Grande-Bretagne. Cet escadron de faucons n’a pas atteint un taux de réussite élevé étant donnée l’étendue du territoire à surveiller mais a effectivement tué deux pigeons porteurs de messages (10). À côté de cette mission anecdotique, la fauconnerie a connu un renouveau, du fait de l’essor de l’aviation militaire après 1945, avec la prévention du péril 344 aviaire (fig. 4). Cette technique présente des avantages indéniables. En effet, l’effarouchement par des rapaces a un effet plus durable sur l’avifaune sédentaire car la menace d’un prédateur naturel toujours présent sur un territoire donné pousse les oiseaux à éviter cette zone. La décharge de poudre au contraire, fait fuir dans un premier temps les oiseaux mais ceux-ci vont plus ou moins rapidement s’habituer à un bruit non associé à un réel danger. De plus, l’emploi de personnes spécialisées et motivées préserve de la lassitude. C’est pourquoi, s’inspirant de l’expérience de la Base aérienne (BA) de Torrejon en Espagne, les BA 125 d’Istres et BA 124 de Strasbourg seront les premières à utiliser, en parallèle des moyens acoustiques et pyrotechniques, la fauconnerie pour lutter contre le péril aviaire en 1980 (8). Les fauconneries de l’armée de l’Air Déploiement territorial L’essai réalisé à la BA 125 ayant provoqué une diminution du nombre moyen annuel d’accidents de 79 %, l’état major de l’armée de l’Air adopte l’effarouchement par des rapaces comme technique de lutte contre le péril aviaire (8). Pour répondre aux besoins de l’armée de l’Air, deux fauconneries importantes sont initialement créées en 1982 : celle de la BA 125 d’Istres pour le sud de la France et celle de la BA 107 de Villacoublay pour le nord. Mais face aux déplacements de plus en plus long et nombreux des fauconniers et de leurs oiseaux, l’état-major de l’armée de l’Air révise sa stratégie de découpe du territoire en créant de nouvelles fauconneries comme celles de la BA 113 de Saint-Dizier en 2005, de la BA 103 de Cambrai en 2006 et de la BA 118 de Mont-de-Marsan en 2007. Rapaces utilisés Toutes les espèces de rapaces sont des espèces protégées et relèvent d’une réglementation particulière (11, 12). Selon les bases aériennes, l’effectif en rapaces est varie de quelques unités à une vingtaine. Les rapaces utilisés couramment pour l’effarouchement sont des rapaces diurnes falconiformes comme l’autour des palombes (Accippiter gentilis), l’épervier d’Europe (Accipiter nisus), la buse de Harris (Parabuteo unicinctus), la buse à queue rousse (Buteo jamaïcensis), le faucon gerfaut (Falco rusticolus), le faucon pèlerin (Falco peregrinus), le faucon Laggar (Falco jugger) et des hybrides. Missions La mission essentielle des fauconniers est l’effarouchement. Deux sites pratiquent la reproduction de leurs rapaces, la fauconnerie de la BA 125 par insémination artif icielle tandis que la BA 107 tente de développer la reproduction naturelle des couples qu’elle détient. f. dulieu Les prescriptions réglementaires applicables aux fauconneries Protection des espèces protégées Origine et nature des rapaces Les rapaces figurent sur la liste des espèces d’oiseaux protégées par arrêté ministériel et leur détention est soumise à autorisation. Les oiseaux doivent être nés en captivité, sauf pour les autours des palombes et les éperviers pour lesquels le désairage est fortement réglementé mais autorisé. Le fauconnier doit posséder et renseigner un registre d’entrées-sorties des animaux (11-13). Seules certaines espèces sont autorisées pour la pratique de la chasse au vol (14) : – les rapaces diurnes falconiformes : autours et éperviers (Accipiter spp.), buses (Buteogallus spp., Parabuteo spp., Buteo spp.), aigles (Aquila spp., Hieraaetus spp.), spizaètes (Spizaetus spp.), faucons (Falco spp.) ; – les rapaces nocturnes strigiformes : hibou grand duc (Bubo bubo). Marquage des rapaces Les oiseaux doivent posséder un marquage individuel et permanent accompagné d’une déclaration de marquage, établie par la personne habilitée qui l’a réalisé. Cette déclaration suit l’animal tout au long de sa vie. De plus les oiseaux utilisés pour la chasse au vol doivent bénéficier d’une carte d’identification, délivrée par l’office national de la chasse et de la faune sauvage, qui comporte les indications relatives à l’identification de l’oiseau (noms scientifique et français de l’espèce, date de naissance et origine de l’oiseau, numéro de la marque, signes distinctifs de l’individu) et à son détenteur (13). Aspects réglementaires de la détention d’animaux d’espèces non domestiques En fonction de certains critères (effectifs détenus, activités mises en œuvre, espèces détenues) deux catégories d’établissements détenant des animaux d’espèces non domestiques sont définis : les élevages d’agrément (amateurs) et les établissements d’élevage (amateurs ou professionnels) (15). Les fauconniers travaillant au profit des bases aériennes sont des professionnels, il en résulte que les fauconneries militaires répondent à la définition d’établissement d’élevage ce qui a pour conséquence de les assujettir aux autorisations prévues aux articles L. 413-2 (certificat de capacité) et L. 413-3 (autorisation d’ouverture) du code de l’environnement. Certificat de capacité Il est délivré par le préfet après instruction d’un dossier et entretien du demandeur avec, en particulier, les agents de la direction départementale des services vétérinaires (DDSV). Ce certificat sanctionne l’évaluation (16) : – des compétences du demandeur : ses connaissances de la biologie et de la zootechnie des espèces considérées, son implication dans le domaine de l’élevage, son expérience dans l’élevage des animaux ; – de l’établissement : les infrastructures, le fonctionnement (alimentation, surveillance sanitaire, prophylaxie…). Autorisation d’ouverture Elle est délivrée par le Préfet après instruction d’un dossier par la DDSV permettant notamment d’apprécier les installations, la nature des espèces et leur densité, les garanties apportées vis-à-vis du bien-être animal et de l’environnement. Exercice de l’effarouchement à l’aide de rapaces L’effarouchement par la fauconnerie fait appel à la peur instinctive du prédateur et permet la régulation, le déplacement ou la destruction des espèces indésirables. Cette technique n’a pas pour finalité la capture du gibier mais est en partie assimilable en ce qui concerne la réglementation de son exercice à la chasse au vol (un des trois modes de chasse légaux en France avec la chasse à tir et la chasse à courre). Il s’agit de l’art de prendre un gibier sauvage dans son milieu naturel avec un oiseau de proie affaité (i.e. éduqué) avec ou sans l’aide d’un chien. Outre la possession d’un permis de chasser, des autorisations sont nécessaires : certaines spécifiques à la pratique de la chasse au vol, d’autres à la lutte contre le péril aviaire. Autorisation d’utilisation des rapaces pour l’exercice de la chasse au vol Les rapaces peuvent être détenus et utilisés pour la chasse au vol dans : – les élevages d’agrément sous couvert d’une « autorisation préfectorale de détention, de transport et d’utilisation des rapaces pour l’exercice de la chasse au vol » ; – les établissements d’élevage sans autre formalité que l’autorisation d’ouverture si celle-ci le prévoit explicitement. Ces autorisations permettent la chasse pendant le temps où elle est ouverte et la mise en condition sur du gibier marqué du 1er juillet à la date d’ouverture de la chasse. Elles permettent en outre le transport des oiseaux pour toutes les activités nécessaires à leur entretien et en vue de participer occasionnellement et de manière non lucrative à des manifestations à caractère cynégétique (14). Autorisation individuelle préfectorale pour la régulation des espèces nuisibles Dans chaque département, le préfet f ixe chaque année la liste des espèces d’animaux classées nuisibles parmi les espèces visées par l’arrêté ministériel du 30 septembre 1988, un arrêté préfectoral qui doit être publié avant le 1er décembre de l’année précédente. fauconnerie dans l’armée de l’air, un domaine d’action original des vétérinaires des armées 345 L’autorisation de détention, de transport et d’utilisation des rapaces pour l’exercice de la chasse au vol et l’autorisation d’ouverture autorisent la mise en condition des rapaces sur des animaux classés nuisibles dans le département tout au long de l’année. Ces autorisations sont nominatives, ainsi dans les fauconneries où exercent plusieurs fauconniers (cas des fauconneries militaires) seul le responsable de la structure est autorisé de facto à réguler les animaux classés nuisibles sans restriction de temps. Les autres fauconniers doivent être titulaires d’une autorisation individuelle préfectorale pour la régulation des espèces nuisibles qui permet la mise en condition sur des animaux classés nuisibles dans le département toute l’année (14). Dérogation préfectorale de destruction des espèces protégées La sécurité aérienne peut nécessiter la destruction d’espèces protégées au sens de l’article L. 411-2 du Code de l’environnement. Si une (des) espèce(s) de la liste des espèces animales non domestiques protégées de l’arrêté ministériel modifié du 17 avril 1981 est (sont) présente(s) dans la zone de compétence de la fauconnerie et/ou en cas de doute sur cette présence, une dérogation à la protection de certaines espèces doit être demandée au préfet en application de l’article R 411-6 du Code de l’environnement. Cette dérogation est incessible, attribuée pour une durée limitée (elle est renouvelée sur demande du bénéficiaire) et peut être suspendue ou retirée (9). Bien-être animal Infrastructures et équipements nécessaires Les infrastructures d’élevage et le matériel utilisé doivent garantir le bien-être des animaux, à savoir leurs besoins biologiques et l’expression de leurs comportements naturels : trois locaux sont au minimum nécessaires : une aire intérieure (pour la nuit), une aire extérieure (pour la journée) et un local d’isolement (17). Ces aires doivent en particulier être d’un volume suffisant pour que les oiseaux ne puissent se toucher les ailes déployées. De plus, les animaux sauvages ne doivent pas pouvoir détériorer les clôtures. L’aire intérieure doit être munie d’un éclairage naturel et de baignoires individuelles, celle extérieure doit disposer d’abris contre les effets climatiques. Les oiseaux doivent disposer d’un perchoir et la longe empêchant le rapace de s’échapper doit permettre l’accès au bassin et à l’abri. Afin d’éviter leur emmêlement, un émerillon est obligatoire entre le jet et la longe (17). Fonctionnement Les animaux nouvellement arrivés doivent pouvoir s’adapter progressivement à leur nouvel environnement sans compromettre leur bien-être ni la sécurité des personnes ou des autres animaux. L’abreuvement est assuré par une eau saine, fréquemment renouvelée, protégée du gel et constamment tenue à la disposition des animaux. Une alimentation 346 suff isamment abondante, équilibrée et de qualité répondant aux besoins de l’espèce doit être fournie aux animaux, avec accessoirement une complémentation en vitamines et en oligoéléments en période de mue. Les caractéristiques du fonctionnement doivent permettre de prévenir l’évasion des animaux hébergés afin d’éviter d’éventuels dangers biologiques pour les espèces indigènes. Les portes des enclos ne doivent pouvoir être ouvertes que par des personnes autorisées et doivent s’opposer à la fuite des animaux. Un équipement télémétrique est indispensable sur les hybrides, il s’agit d’un appareillage électrique constitué d’un émetteur fixé au rapace et d’un récepteur que garde le fauconnier et qui sert à localiser le rapace ou à déterminer la distance entre ce dernier et le fauconnier (17). Prophylaxie des maladies infectieuses Prophylaxie matérielle Les installations doivent permettre de prévenir l’apparition des maladies, en particulier contagieuses, et le cas échéant d’en limiter la propagation. Il est donc nécessaire de prévoir, pour un animal au moins, un local d’isolement d’un volume suffisant avec un perchoir spécifique. Ce local, comme l’aire intérieure, doit être pourvu d’un éclairage naturel, ventilé, relié à un réseau d’évacuation, facilement nettoyable, alimenté en eau courante potable, en électricité et dépourvu de possibilité d’entrée de nuisibles (14). Il est recommandé d’avoir des locaux spécifiques pour le stockage du matériel de fauconnerie, le personnel (vestiaires et sanitaires) et pour l’alimentation et les soins, locaux équipés d’un congélateur-réfrigérateur, d’un évier et d’un plan de travail, d’une balance et d’une armoire à pharmacie. Prophylaxie fonctionnelle Le fonctionnement doit permettre de prévenir l’apparition des maladies strictement animales et des zoonoses et le cas échéant d’en limiter la propagation (14). Il faut en particulier veiller aux points suivants : – un nettoyage et une désinfection réguliers : bimensuels pour les perchoirs et les cages de transport, semestriels pour les aires ; – une surveillance de l’état de santé des animaux avec en particulier une pesée bimensuelle ; – la mise en œuvre de mesures de prophylaxie (cf. infra) ; – l’enregistrement des informations relatives aux interventions pratiquées à titre préventif et curatif (tenue d’un registre sanitaire). Rôle du vétérinaire fauconneries militaires dans les Les activités des vétérinaires militaires au profit des fauconneries relèvent de trois processus distincts définis dans l’instruction N° 2115/DEF/DCSSA/AST/VET du 26 juillet 2005 relative aux missions des vétérinaires des armées exerçant sous l’autorité d’un Directeur régional f. dulieu du Service de santé des armées ou assurant un soutien vétérinaire hors métropole : le processus « de police sanitaire », le processus « contrôle off iciel » et le processus « médecine vétérinaire ». Tableau I. Critères contribuant à la définition des niveaux de risque épizootique (23). Critères de définition du niveau de risque épizootique Niveau de risque épizootique Absence de cas dans les zones de départ et dans les couloirs migratoires des oiseaux sauvages arrivant ou transitant en France et absence de cas en France. Négligeable 1 Présence avérée ou possible de cas dans les zones de départ, absence de cas dans les couloirs migratoires des oiseaux sauvages transitant en France et absence de cas en France. Négligeable 2 Présence de cas dans les couloirs migratoires des oiseaux sauvages transitant en France, ou présence de cas dans des pays non voisins de la France métropolitaine et absence de cas en France. Faible Présence d’au moins un cas dans un pays voisin de la France métropolitaine et absence de cas en France. Modéré Présence de quelques cas isolés en France ou cas groupés dans une unité écologique (la notion d’unité écologique infectée correspond à la détermination d’un périmètre écologiquement homogène en termes de fréquentation par l’avifaune sauvage, considéré comme infecté dès lors que plus de deux oiseaux sauvages infectés y sont identifiés). Élevé Présence de plusieurs cas isolés en France ou cas groupés dans deux unités écologiques ou plus. Très élevé Processus « police sanitaire » À l’heure de l’influenza aviaire, la détention de rapaces soulève quelques interrogations. Il est en effet, primordial que les fauconneries suivent les prescriptions réglementaires pour limiter le risque de contamination tout en assurant le bien-être des oiseaux détenus. Si un cas d’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) venait à être suspecté ou conf irmé chez des animaux sauvages ou en captivité, les mesures techniques et administratives de lutte à appliquer seraient celles prescrites par l’arrêté du 18 janvier 2008. En l’absence de suspicion ou de conf irmation, les dispositifs de surveillance et de prévention de l’IAHP chez les oiseaux détenus en captivité sont déf inis dans l’arrêté du 24 janvier 2008 et varient en fonction de divers éléments (23) : – le type d’oiseau considéré (les rapaces des fauconneries qui n’ont pas d’activité de reproduction sont définis comme étant des oiseaux d’agrément) ; – le niveau de risque épizootique déf ini par arrêté du ministre de l’agriculture en fonction des données épidémiologiques : il existe six niveaux de risque allant de négligeable 1 à très élevé (tab. I) ; – la zone où se trouvent les oiseaux : au sein du territoire métropolitain sont délimitées des zones écologiques appelées zones à risque particulier, dans lesquelles la probabilité de l’infection de la faune sauvage par un virus est jugée plus élevée. Dispositif d’épidémiosurveillance Le dispositif d’épidémiosurveillance repose sur une double surveillance de la mortalité des oiseaux sauvages et des suspicions d’influenza aviaire chez les oiseaux en captivité : – la note de service DGAL/SDSPA N° 2007-8 056 du 28 février 2007 précise les modalités de mise en œuvre de la surveillance de la mortalité des oiseaux sauvages en fonction de l’espèce et du nombre d’oiseaux morts (à partir de cinq oiseaux morts ou dès le premier s’il s’agit d’un cygne, d’une oie ou d’un canard), de la superficie sur laquelle les cadavres sont retrouvés (cercle de 500 m de rayon) et du délai entre la première et la dernière découverte (cinq jours) ; – toute suspicion d’influenza aviaire chez des oiseaux en captivité doit être déclarée à la DDSV (23). Lorsque le niveau du risque épizootique en raison de l’infection de la faune sauvage par un virus de l’influenza aviaire à caractère hautement pathogène est qualifié d’élevé ou plus, une visite de la fauconnerie par un vétérinaire du secteur vétérinaire (SV) territorialement compétent doit être effectuée dans le mois suivant la publication de l’arrêté. Le fauconnier doit également se mettre en rapport avec le SV territorialement compétent si la consommation en aliment et/ou en eau chute significativement (50 %) brutalement (23). Mesures de prévention Le dispositif de prévention comprend : – des mesures de biosécurité dont l’application dépend du niveau du risque épizootique et de la localisation de l’élevage. La sortie des rapaces utilisés dans la lutte contre le péril aviaire reste autorisée sous la supervision directe de leur détenteur. Tout déplacement est soumis à l’autorisation préalable du SV territorialement compétent (23) ; – des mesures de vaccination préventive : à ce jour, la vaccination des oiseaux de fauconnerie en prévention de l’influenza aviaire n'est pas autorisée. Néanmoins, cette réglementation est susceptible d'évoluer. En tout état de cause, la décision de vaccination doit résulter d'une analyse des risques et prendre en compte les avantages (protection accrue des oiseaux) et les inconvénients (stress, accidents possibles de vaccination, protection forcément imparfaite…). Une décision de vaccination ne semble opportune que lorsque le niveau d'infection de l'avifaune sauvage est significatif (24). fauconnerie dans l’armée de l’air, un domaine d’action original des vétérinaires des armées 347 oiseaux étant utilisés pour la chasse, les traumatismes sont fréquents (21). Processus « contrôle officiel » Dossier de demande d’autorisation d’ouverture Lors de la mise en place d’une fauconnerie sur une base aérienne militaire, le vétérinaire des armées intervient au niveau de la constitution du dossier de demande d’autorisation d’ouverture. Il informe l’unité des prescriptions à suivre, il vérifie le dossier et l’adresse au bureau vétérinaire de la direction régionale du service de santé des armées qui émet un avis technique avant la transmission de cette demande par l’unité à la DDSV. Après délivrance de cette autorisation, toute modification de la fauconnerie (locaux, personnel, animaux…) devra être communiquée par la base au SV territorialement compétent et à la DDSV (18, 19). Contrôle de la santé et de la bien-traitance des animaux Ces contrôles des fauconneries sont régulièrement réalisés (une fois par an en moyenne, la périodicité peut être modifiée en fonction des circonstances, en particulier le risque d’influenza aviaire. Il convient alors de vérifier la mise en place d’actions préventives et ainsi d’apprécier la dynamique générale de la structure. Le vétérinaire réalise l’évaluation sanitaire, accompagné d’un personnel de la fauconnerie, signale les écarts constatés et oriente vers les actions prioritaires à mener (20). Processus « médecine vétérinaire » Soins aux animaux L’examen clinique d’un rapace est souvent délicat. Les signes cliniques sont généralement frustes et d’apparition tardive. De plus, les soins aux rapaces sont très spécifiques du fait de l’anatomie et de la physiologie propres à ces oiseaux. Les rapaces travaillant en fauconnerie sont en « poids de vol » c’est-à-dire qu’ils ont un poids assez faible et oscillant dans une fourchette restreinte. Ils sont donc relativement sensibles aux infections et toute baisse de forme ou de poids doit être prise en compte afin de traiter rapidement une éventuelle affection. Par ailleurs, les Prophylaxie médicale Vermifugation Les rapaces sont en contact avec l’environnement naturel et sont de ce fait susceptibles d’être porteurs de nombreux parasites. Des vermifugations doivent donc être régulièrement réalisées (22) : – trimestriellement contre la trichomonose, maladie due à un protozoaire (Trichomonas columbae) potentiellement mortelle en l’absence de traitement rapide dont la majorité des pigeons sauvages sont porteurs, avec par exemple du ronidazol PO à la dose de 10mg.j-1 pendant trois jours (hors AMM) ; – semestriellement contre la coccidiose, maladie due à un protozoaire de la famille des eimeridés provoquant des diarrhées et éventuellement la mort du rapace, avec par exemple du clazuril PO à la dose de 5mg.kg-1 deux fois trois jours à deux jours d’intervalle (hors AMM). Vaccination Il n’est pas entrepris de vaccination systématique dans les fauconneries en France. La maladie de Newcastle (un paramyxovirus) qui provoque de nombreuses pertes dans les fauconneries du Moyen-Orient ne semble pas avoir atteint la France et rend la vaccination actuellement inutile. Conclusion L’utilisation de rapaces se développe sur les bases aériennes militaires françaises pour lutter contre le péril aviaire. Elle constitue une alternative aux autres méthodes d’effarouchement mais l’emploi de ces oiseaux impose de respecter les prescriptions réglementaires liées au statut de ces animaux appartenant à des espèces non domestiques, aux modalités de leur emploi et à la prévention des maladies infectieuses. Pour les vétérinaires des armées, les fauconneries constituent un domaine d’activité original où ils apportent leur expertise lors de l’établissement des dossiers d’autorisation ainsi qu’en matière de suivi sanitaire. Ils assurent aussi leurs missions de contrôle officiel à travers l’évaluation du respect des règlements de la police sanitaire. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Van Den Abeele B. La fauconnerie au Moyen-Age. Paris : Klincksieck 994 : 334p. 2. D'Arcussia de Caprée C. La Conférence des Fauconniers. Rouen : Vaultier et Besonge ; 1664 : 173p. 3. Association nationale des fauconniers et autoursiers français. Site internet : http://www.anfa.net/index.htm 4. Chenu JC, Œillet des Murs AP. La fauconnerie ancienne et moderne. Paris : Hachette ; 1862 : 176p. 5. Cité des sciences. Site internet : http://www.cite-sciences.fr 6. Direction générale de l’aviation civile. Site internet : http://www.dgac.fr 348 7. Arrêté ministériel du 24 juillet 1989 relatif à la prévention du péril aviaire sur les aérodromes dont l’affectataire principal est le ministre chargé de l’aviation civile. Journal officiel de la République française du 19 août 1989 : 10 426. 8. Maréchal L. Les rapaces, leur utilisation dans la lutte aviaire sur les aéroports. Thèse de doctorat vétérinaire, Créteil ; 1988 : 126p. 9. Arrêté du 10 avril 2007 relatif à la prévention du péril animalier sur les aérodromes. J Journal officiel de la République française du 10 mai 2007 : texte 52. 10. Anonyme. Pigeons nazis chassés par les faucons britanniques. L’action vétérinaire, 1990 ; 1473 : 4. f. dulieu 11. Décret N° 78-959 du 30 août 1978 portant publication de la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvage menacées d’extinction, ensemble de 4 annexes, ouverte à la signature à Washington jusqu’au 30 avril 1973, puis à Berne jusqu’au 31 décembre 1974 ; Journal officiel de la République française du 17 septembre 1978 : 3 300-6. 12. Règlement rectifié N° 338/97 du Conseil du 9 décembre 1996 relatif à la protection des espèces de faune et de flore sauvage par le contrôle de leur commerce. Journal officiel de la communauté européenne L 61 du 3 mars 1997 : 1-19. 13. Arrêté du 10 août 2004 modifié fixant les conditions d’autorisation de détention d’animaux de certaines espèces non domestiques dans les établissements d’élevage, de vente, de location, de transit ou de présentation au public d’animaux d’espèces non domestiques. Journal officiel de la République française du 30 septembre 2004 : texte 36. 14. Circulaire DNP/CFF n° 2005-03 rectifiée du 17 mai 2005 relative à la détention, le transport, l’utilisation des rapaces pour la chasse au vol ; au désairage des éperviers d’Europe et des autours des palombes pour la chasse au vol. 15. Circulaire DNP/CFF n° 2005-02 rectifiée du 17 mai 2005 relative aux règles précisant la détention d’animaux d’espèces non domestiques. 16. Arrêté du 12 décembre 2000 modifié, fixant les diplômes et les conditions d’expérience professionnelle requis pour la délivrance du certificat de capacité. Journal officiel de la République française du 11 février 2001 : texte 9. 17. Office national de la chasse et de la faune sauvage : conseil juridique de décembre 2004. Site internet : http://www.oncfs.gouv. fr/events/droit_jurisprudence/2005/chasse_vol.pdf 18. Dulieu F, Leroy E, Perraudin C. Référentiel infrastructure et fonctionnement des fauconneries militaires. Direction régionale du Service de santé des armées de Saint-Germain-en-Laye ; 2007 : 99p. 19. Dulieu F, Leroy E, Perraudin C. Procédure de mise en place d’une fauconnerie sur une base aérienne militaire. Direction régionale du Service de santé des armées de Saint-Germain-en-Laye ; version N° 1 du 28 juin 2007 : 2p. 20. Dulieu F, Leroy E, Perraudin C. Procédure d’évaluation sanitaire d’une fauconnerie. Direction régionale du Service de santé des armées de Saint-Germain-en-Laye ; version N° 1 du 2 novembre 2006 : 2p. 21. Kerdelhué B. Abrégé de zootechnie et de pathologie des rapaces – documentation technique du SSA – Corps des vétérinaires biologistes ; 1993 : 57p. 22. Arrêté du 19 septembre 2007 modifié relatif à l’application des dispositions législatives et réglementaires du code rural relatives à la santé publique vétérinaire et à la sécurité sanitaire des aliments au sein des établissements et organismes relevant du ministère de la Défense. Journal officiel de la République française du 10 octobre 2007 : texte 25. 23. Arrêté ministériel modifié du 24 janvier 2008 relatif aux niveaux du risque épizootique en raison de l’infection de la faune sauvage par un virus de l’influenza aviaire à caractère hautement pathogène et au dispositif de surveillance et de prévention chez les oiseaux détenus en captivité. Journal officiel de la République française du 26 janvier 2008 : texte 27. 24. Recommandations relatives à la surveillance et à la prévention de l'influenza aviaire dans les emprises relevant du ministère de la Défense – Groupe de travail en épidémiologie animale du Service de santé des armées – Zoodoc N° 4 version N° 1 du 12 février 2007. fauconnerie dans l’armée de l’air, un domaine d’action original des vétérinaires des armées 349 VIENT DE PARAÎTRE GRAND DICTIONNAIRE ILLUSTRÉ DE PARASITOLOGIE MÉDICALE ET VÉTÉRINAIRE. Jacques EUZEBY Le domaine de la parasitologie, intrinsèquement immense, s’est encore agrandi du fait de la colonisation de son territoire traditionnel par l’immunologie, la biochimie et surtout la biologie moléculaire. La quasitotalité des revues de parasitologie modernes de celles de physiopathologie et même de clinique abonde en termes et expressions très spécialises qui peuvent sembler obscurs à beaucoup de lecteurs. Ce Grand dictionnaire illustre de parasitologie médicale et vétérinaire présente en 6 600 définitions : toute la parasitologie « essentielle » : – parasitologie générale et physiopathologie générale ; – mycologie médicale et mycoses ; – protozoologie médicale et protozooses ; – helminthologie médicale et helminthoses ; – entomologie et entomoses, avec précisions d’ordre taxinomique, biologique physiopathologique et immunologique, et évocation des méthodes d’étude les plus performantes, donc les plus utilisées. Les disciplines connexes, en précisant notamment les termes relatifs aux : – cycles biologiques (cycles évolutifs, vecteurs, hôtes...) – voies de recherches pour la définition de candidats vaccins précisées pour la majorité des parasitoses – techniques de diagnostic biologique PCR, RFLP, ELISA, MLST, immuno-chromatographie, etc. – méthodes de lutte chimique, physique et biologique contre les parasites ou leurs vecteurs ; – néologismes parasitologiques. La thérapeutique des parasitoses, domaine en perpétuelle évolution. Une iconographie riche de plus de 500 illustrations vient utilement compléter cet ensemble en décrivant les caractères des grands taxons, dont les variations sont à la base de la systématique, ainsi que les cycles biologique complexes de certains parasites et les aspects cliniques et anatomo-pathologiques spécifiques de nombreuses parasitoses. Cette information complète et immédiatement disponible est du plus grand intérêt pour : les médecins cliniciens, les zoologistes et vétérinaires, les pharmacien, biologistes et techniciens d’analyses, les services administratifs chargés de la sécurité alimentaire ou environnementale. L’auteur : Jacques EUZÉBY docteur vétérinaire, est professeur honoraire de parasitologie et maladies parasitaires à l’École nationale de Lyon. Docteur honoris causa des universitaires de Turin (Italie) et de Timisoara (Roumanie), il est membre de l’Académie nationale de médecine, de l’Académie vétérinaire de France et de l’Académie royale des sciences vétérinaires d’Espagne. ISBN : 9782743010447, format : 22x27,5 cm , pages : 816 , pris 290€, Éditions Tec et Doc-Lavoisier, Librairie Lavoisier, 11 rue Lavoisier 75008 Paris, 14 rue de Progny 94236 Cachan Cedex , Tél. : 33(0)1 42 65 39 95, www.lavoisier.fr 350 Mise au point Les cataractes radio-induites. Regard sur de nouvelles données. S. Wassilieff. École des applications militaires de l’énergie atomique. Bureau courrier régional Marine Cherbourg, CC 19 – 50 115 Cherbourg-Octeville Cedex. Article reçu le 25 mars 2009, accepté le 1er septembre 2009. Résumé La cataracte radio-induite était considérée, jusqu’à nos jours, comme une pathologie assez peu fréquente, nécessitant de fortes doses de rayonnement, (dépassant un seuil élevé, de l’ordre de 2 Grays au cristallin) et se réduisant principalement aux cataractes radiques des patients de radiothérapie. Plusieurs études récentes portant sur des populations aussi diverses que les astronautes, les survivants d’Hiroshima – Nagasaki, les patients ayant subi un scanner céphalique, les « liquidateurs » de Tchernobyl ainsi que quelques expérimentations animales nous amènent à reconsidérer la question : le seuil d’apparition au moins des opacités détectables et probablement aussi des cataractes symptomatiques paraît plus bas qu’actuellement estimé. L’existence même d’un seuil n’est plus tout à fait une certitude dans la mesure où la pathogénie de la cataracte radio-induite serait moins de type déterministe (dommage tissulaire direct tuant ou endommageant gravement une population cellulaire donnée) comme on le pensait, mais d’avantage de type stochastique (altération du génome des cellules cibles, perturbation de la division cellulaire, trouble de la différenciation cellulaire des cellules filles). De manière plus pratique, ces observations sont de nature à nous faire reconsidérer la protection des populations spécifiquement exposées : patients et travailleurs principalement. S’agissant des travailleurs, et si ces nouvelles données étaient confirmées, la limite actuelle de dose équivalente au cristallin du code du travail de 150mSv sur 12 mois consécutifs pourrait, à terme, être revue à la baisse. Mots-clés : Cataracte. Dose-seuil. Radioprotection. Rayonnements ionisants. RADIATION-INDUCED CATARACTS. GLANCE AT SOME NEW DATA. Abstract The radiation-induced cataract has been up to now considered as a quite rare pathology, needing high-dose radiations (beyond a dose threshold roughly estimated at 2 Grays to the lens) consisting mainly in head tumour radiotherapy complications. Several new studies on different exposed populations such as astronauts, Japanese atomic bomb survivors, people undergoing X-ray examinations, Chernobyl accident « liquidators » as well as data from animal experiments, suggest that dose threshold for detectable opacities as well as for clinical posterior subcapsular cataract occurring, might be far lower than those previously assumed. Even the existence of a dose threshold is no longer an absolute certitude insofar as radiation-induced cataract pathogeny might consist not really in a deterministic effect (direct tissue harmful effect, killing or seriously injuring a critical population of cells) as believed until now, but rather in a stochastic effect (genomic damage in target-cells, altered cell division, abnormal lens fibre cell differentiation). More practically, these new data may lead us to reconsider radioprotection of specifically exposed populations : mainly patients and workers. Regarding workers, labour legislation (lens equivalent dose limit of 150 mSv during 12 consecutive months) might be, in the medium term, reassessed downwards. Keywords: Cataract. Ionizing radiations. Radioprotection. Threshold dose. Introduction La cataracte se définit comme une opacification du cristallin entraînant une baisse d’acuité visuelle. S. WASSILIEFF, médecin en chef, praticien confirmé. Correspondance : École des applications militaires de l’énergie atomique. Bureau courrier régional Marine Cherbourg, CC 19 – 50 115 Cherbourg-Octeville Cedex. médecine et armées, 2009, 37, 4, 351-356 Parmi les étiologies de la cataracte, l’action des rayonnements ionisants, connue depuis un siècle, constitue une entité originale. Un certain nombre d’études récemment publiées semblant être à même de remettre en cause quelques notions établies concernant ces cataractes radioinduites, cet article se propose de faire le point de la question. 351 Rappels Le cristallin : rappel anatomique et physiologique Le cristallin est une lentille biconvexe transparente et avasculaire suspendue au corps ciliaire par les fibres de la zonule ; ses rapports se font avec l’iris et l’humeur aqueuse en avant et le corps vitré en arrière (fig. 1). Il joue un rôle optique important car c’est un dioptre de 21 dioptries ; de plus, de façon optimale chez le sujet jeune, sa plasticité est telle que l’action des muscles ciliaires peut modifier ses rayons de courbure permettant ainsi le phénomène d’accommodation. Le cristallin est donc un organe avasculaire dont tous les échanges s’effectuent par diffusion à travers sa capsule ou cristalloïde, membrane conjonctive fine et transparente dans laquelle il est totalement ensaché. D’un diamètre frontal de 9 mm et de 4 mm d’épaisseur, cette lentille présente une structure en bulbe d’oignon constituée de couches concentriques s’enroulant les unes autour des autres et ce, tout au long de la vie. Ces différentes couches résultent de la prolifération de l’épithélium antérieur : couche unicellulaire directement au contact de la capsule antérieure dont les cellules se multiplient puis migrent, s’étirent au niveau de l’équateur cristallinien, et perdent progressivement leur noyau (différenciation) pour former des fibres (ou cellules fibreuses). Cette zone germinative, située à l’avant du cristallin, est active tout au long de la vie faisant « grossir » le cristallin ; les plus jeunes des f ibres ainsi créées refoulant vers le centre les fibres plus anciennes. L’examen à la lampe à fente (ou biomicroscopie) permet une excellente analyse des différents noyaux constituant le cristallin, noyau embryonnaire en son centre entouré par le noyau fœtal puis adulte et la zone corticale répondant immédiatement à la cristalloïde. Figure 1. Coupe sagittale du cristallin. (d’après Merriam – 1983). GZ = Zone germinative. Brèves notions sur les rayonnements ionisants On distingue les rayonnements électromagnétiques (« flux d’énergie » sans masse) gamma et X, et les rayonnements corpusculaires : alpha, bêta, neutrons et noyaux lourds. 352 La dose absorbée par un matériau (vivant ou inerte) représente l’énergie qui y est déposée rapportée à sa masse ; l’unité est le Gray (Gy) qui est égal à un Joule/kilogramme. En radioprotection, pour quantifier un effet causé à un tissu vivant, on calcule la dose équivalente qui est le produit de la dose absorbée (en règle faible) par le facteur de pondération radiologique « W R » caractéristique de la nocivité du rayonnement en cause. L’unité est le Sievert (Sv). Le WR des X, des gammas et des bêtas étant égal à 1, le Gray et le Sievert sont souvent employés l’un pour l’autre dans les publications. En radiobiologie (doses possiblement fortes), on prend en compte l’Efficacité biologique relative (EBR) des divers rayonnements dont le W R est une valeur particulière moyenne pour les faibles doses. Physiopathologie de la cataracte radioinduite (1, 2) Les cellules épithéliales de la zone germinative (région sous capsulaire antérieure paramédiane du cristallin) vont constituer les cibles spécif iques des rayonnements ionisants (fig. 1). L’irradiation va d’abord être suivie d’une inhibition, de durée variable, de l’activité mitotique de ces cellules. Quand la mitose reprend, et au cours des semaines suivant l’irradiation, les cellules f illes des cellules irradiées vont migrer vers les « couches équatoriales » du cristallin où un premier aspect pathologique est constitué par une désorganisation de l’agencement normalement très régulier de ces cellules à cet endroit, premier signe d’une altération de la différenciation cellulaire. Par la suite, la migration se poursuivant, des cellules f ibreuses dysmorphiques encore nucléées, vont commencer à s’accumuler dans la région sous-capsulaire postérieure. Ces cellules, qui vont prendre une forme arrondie avec un aspect « en vessie », présentent souvent un noyau pycnotique (annonçant leur mort prochaine) et se nomment cellules de Wedl. Ces cellules de Wedl vont ensuite se rompre, déverser leur contenu éosinophile et répandre des débris cellulaires parmi d’autres cellules apparemment intactes. Le cristallin étant avasculaire et totalement enclos dans sa capsule, ces débris cellulaires ne peuvent être évacués. Pendant que se produisent ces phénomènes dans le cortex périphérique postérieur, les fibres plus internes semblent garder une morphologie normale. Des cellules dysmorphiques peuvent aussi commencer à apparaître dans le cortex antérieur, f inissant éventuellement par occuper le pourtour du cortex. Ces modifications cyto-architecturales sont à la base de l’altération de la transparence du cristallin. Rappelons que dès 1906, Bergonié et Tribondeau avaient formulé la loi classique : « la radiosensibilité des cellules est d’autant plus grande que leur activité mitotique est importante et que leur morphologie et leurs fonctions sont moins définitivement fixées. » Cette loi s’applique particulièrement bien aux cellules de la zone germinative du cristallin. s. wassilief Aspects historique, clinique, pathogénique et réglementaire de la cataracte radio- induite Toutefois des expériences postérieures sur des rats albinos aff inaient cette donnée en montrant que cette radiosensibilité spécifique augmentait avec la dose (7). Dès 1897, Chalupecky suggérait que les rayons X, récemment découverts, pouvaient provoquer une cataracte (3). En 1930, Rohrschneider en publie la première description clinique : opacités de la région souscapsulaire postérieure constituant une sorte de plaque comportant des granulations et des vacuoles, de teinte parfois jaunâtre et d’aspect « en cuivre battu » (4) (fig. 2). Par la suite le développement de la radiothérapie va voir apparaître les cataractes radiques, pathologie iatrogène des traitements des tumeurs de la face (exemple : paupières) ou de l’orbite (métastases choroïdiennes) notamment. Influence de la nature des rayonnements Comme on l’a vu, on sait qu’à dose absorbée égale les différents rayonnements ne produisent pas les mêmes effets biologiques : chaque rayonnement possède sa propre EBR, pour un effet donné et par rapport à un rayonnement de référence. S’agissant de la cataractogénicité, des expériences sur des cristallins de rats ne retrouvent pas de différence entre l’action des γ du Cobalt 60 et celle des rayons X d’énergie (maximale) 200 keV (8). Par contre, les expériences sur cristallins de souris montrent que les neutrons semblent 4 à10 fois plus cataractogènes que les rayons X (9). Aspects réglementaires Figure 2. Aspect de cataracte radio-induite (sous-capsulaire postérieure) à la lampe à fente (d’après Merriam – 1983). Dose minimale susceptible de provoquer une cataracte radio-induite En 1950, Merriam et Worgul proposaient une fourchette entre 5 et 15 Grays (1). En 1957, Merriam et Focht, se servant d’un mannequin anthropomorphique (crâne de squelette humain recouvert de cire et possédant un cristallin artificiel muni d’un dispositif dosimétrique dans l’orbite), pouvaient réaliser une dosimétrie comparative relativement précise des doses délivrées au cristallin des porteurs de diverses tumeurs de la face : ils proposaient un seuil de 2 Gy en dose unique et de 4 Gy en dose fractionnée et/ou étalée dans le temps (5). Délai d’apparition Il est inversement proportionnel à la dose et allongé par le fractionnement des doses. Il peut varier entre 6 mois et 35 ans ; la moyenne serait environ de 2 à 3 ans (1). Influence de l’âge Dès 1907, des expériences animales suggéraient que les jeunes cristallins étaient plus radiosensibles (6). les cataractes radio-induites. regard sur de nouvelles données La Commission internationale de protection radiologique (CIPR) considère la cataracte radio-induite comme un effet DETERMINISTE des rayonnements ionisants c’est-à-dire comme un dommage tissulaire direct, de gravité proportionnelle à la dose reçue et n’apparaissant qu’à partir d’un certain taux de cellules tuées ou gravement altérées fonctionnellement (10). La dose nécessaire pour atteindre ce nombre minimal de cellules tuées ou gravement endommagées au sein du tissu constituant le SEUIL de l’effet en question. Une dose inférieure à ce seuil n’entraîne pas d’effet visible ; une dose supérieure déclenche l’effet à coup sûr. L’ordre de grandeur du seuil de la cataracte radioinduite est estimé, à ce jour, à environ 2 Grays. En réalité ce seuil varie selon plusieurs paramètres qui sont principalement le type de rayonnement, le débit de dose, la prise en compte de la simple constatation d’opacités visibles à la lampe à fente ou la prise en compte des altérations de la fonction visuelle (cataracte « clinique » ou symptomatique). Plus précisément, la CIPR dans sa publication n° 103 donne comme seuils (11) : – pour les opacités détectables : - 0,5 à 2 Gy en exposition brève unique, - 5 Gy en dose cumulée pour des expositions très fractionnées ou étalées ; – pour les altérations de la fonction : - 5 Gy pour les expositions uniques, - > 8Gy pour les expositions cumulées. Du point de vue de la réglementation en radioprotection, le code du travail stipule que : « pour le cristallin, l’exposition reçue au cours de douze mois consécutifs ne peut dépasser 150 mSv » (12). Dans les armées, l’instruction de référence prévoit, lors de la visite médicale d’aptitude initiale des personnels affectés à des travaux sous rayonnements ionisants « un examen ophtalmologique de référence pour le personnel de catégorie A devant être soumis de façon prolongée à une exposition externe. Cet examen comporte l’examen des milieux transparents en vue de mettre en évidence d’éventuelles opacités cristalliniennes » (13). 353 Cet examen initial sera suivi, dans les cas où il existerait une exposition particulière, par d’autres examens ophtalmologiques réguliers prescrits par le médecin chargé de la surveillance médicoradiobiologique. Les données récentes de la littérature Les survivants de la bombe atomique (Hiroshima-Nagasaki : HN) Une étude cas-témoins de 2004 portant sur des personnes exposées alors qu’elles avaient moins de 13 ans et examinées entre 2000 et 2002 montre, pour une dose estimée au cristallin de 1 Sv, une augmentation de 12 % du taux de cataracte nucléaire (Odds ratio (OR) = 1,12), de 29 % pour les cataractes corticales et de 41 % pour les cataractes sous capsulaires postérieures (CSCP) (14). En 2006, une autre étude cas-témoins japonaise retrouve un taux très proche (OR/Sv = 1,44 avec 1,19 < intervalle de confiance (IC) à 95 % < 1,73) pour les CSCP. La même étude s’intéresse au seuil d’apparition qu’elle estime à 700 mGy pour les CSCP, l’intervalle de conf iance à 90 % incluant le 0 ce qui rendrait possible l’hypothèse d’une absence de seuil (15). Les cosmonautes Une étude de la NASA portant sur 295 astronautes répartis en deux groupes a établi une augmentation significative de l’incidence des cataractes d’apparition précoce dans le groupe ayant reçu une dose estimée au cristallin supérieure à 8 mSv (16). Une étude cas-témoins allemande comparant 21 anciens astronautes et cosmonautes avec 395 témoins d’âge comparable montre une augmentation du taux de cataractes corticales postérieures et sous-capsulaires postérieures chez les premiers (17). Tchernobyl Une étude de cohorte ukraino-américaine (UACOS) est menée depuis 1996 sur les cristallins des « liquidateurs » de Tchernobyl. Il s’agit des personnes ayant travaillé à la décontamination du site durant les mois et les années qui ont suivi l’accident de 1986 (18). Une des récentes publications de cette étude porte sur 8 607 liquidateurs pour lesquels une cataracte a été recherchée 12 et 14 ans après l’exposition (19). La prévalence de cataractes d’allure sénile (cataracte nucléaire) est faible (3,9 %) ce qui correspond à l’âge moyen de la cohorte (90 % avait moins de 55 ans au premier examen ophtalmologique). Par contre une cataracte sous-capsulaire postérieure ou corticale, d’allure radio-induite, était retrouvée chez 25 % des sujets examinés. La même étude établit que, s’agissant de la dose-seuil, elle serait, dans tous les cas, inférieure à 700 mGy et vraisemblablement inférieure à 350 mGy pour les CSCP de stade 1 (opacités n’altérant pas la fonction visuelle). Il est à remarquer que ces chiffres sont très nettement inférieurs à ceux de la CIPR 60 qui donne un seuil de dose 354 équivalente cumulée au cristallin pour les expositions étalées dans le temps de 5 Gy pour les opacités détectables. Cataractes iatrogènes Déjà en 1993, une étude américaine portant sur l’examen du cristallin de 4 926 sujets établissait une association significative entre la présence d’opacités sous-capsulaires postérieures et le fait d’avoir subi dans sa vie un scanner de l’encéphale (20). Ceci est intéressant si on regarde l’ordre de grandeur de la dose délivrée au cristallin par un tel examen : Gambini donne 43.4 mGy quand le plan de coupe passe par les orbites (cas le plus irradiant) (21). En 1999, une étude cas-témoins suédoise portait sur 16 500 personnes traitées avant l’âge de 18 mois entre 1920 et 1959 par radiothérapie pour des angiomes cutanés : pour une dose de 1 Gy au cristallin, l’augmentation du risque d’apparition d’une opacité sous-capsulaire postérieure est estimée à 50 % (OR = 1,5 ; 1,10 < IC95 < 2,05) et à 35 % pour des opacités corticales (22). Une récente étude de cohorte américaine a suivi 35 705 électro manipulateurs en radiologie médicale, âgés de 24 à 44 ans et aux cristallins sains au début de l’étude, de 1983 à 2004 (23). Deux types d’exposition ont été simultanément étudiés : – une exposition médicale : le fait d’avoir subi euxmêmes 3 ou plus examens radiologiques de la face et/ou du cou était corrélé avec un Risque relatif (RR) de 1,25 d’apparition d’une cataracte (1,06 < IC95 < 1,47) soit une augmentation de 25 %. ; – une exposition professionnelle : deux groupes ont été définis ; l’un ayant reçu en moyenne 60 mGy au cristallin, l’autre 5 mGy. Un RR de 1,18 (0,99 < IC95 < 1,4) soit un excès de risque relatif de 18 % d’apparition d’une cataracte était retrouvé dans le groupe le plus exposé. Expérimentations animales Outre les expériences citées plus haut, citons les études réalisées au BEVALAC (accélérateur d’ions lourds en Californie) : des rats de quatre semaines ont été irradiés au niveau de la tête par des faisceaux d’ions d’Argon 40, particules lourdes de très haute énergie (de l’ordre de 22 Gigaélectronvolts) et de très fort transfert linéique d’énergie (TLE) ; un autre groupe de rats ayant reçu des rayons X (faible TLE). Les ions lourds ont paru de 3,5 à 100 fois plus cataractogènes que les rayons X (24). Cette observation est à rapprochée du fait que nombre d’astronautes (notamment ceux d’Apollo 11) ont rapporté avoir vu des éclairs et des traits lumineux pendant leur vol. Ces perceptions lumineuses étant probablement dues à des particules lourdes de très haute énergie frappant la rétine. Une expérimentation plus récente montre qu’une dose de 100 mGy de rayons X est cataractogène pour la souris (25). s. wassilief Discussion Que conclure de ces nouvelles données ? S’agissant des seuils d’apparition, il semble bien qu’ils soient inférieurs à ceux retenus jusqu’à présent aussi bien pour les opacités asymptomatiques que pour les cataractes sous-capsulaires postérieures constituées. S’agissant du caractère déterministe des cataractes radio-induites, celui-ci pourrait même être remis en question dans la mesure où : – l’existence même d’un seuil n’est plus tout à fait certaine ; – l’importance des atteintes génomiques (présence de nombreux micronoyaux) des cellules de l’épithélium antérieur semble prépondérante par rapport aux atteintes cellulaires directes (effet de mort cellulaire) (26). Ce dommage génotoxique, avec altération de la division cellulaire, semble bien être transmis aux cellules filles qui voient leur différenciation perturbée. Ceci rapproche ce mode pathogénique de celui des effets stochastiques. En effet la CIPR 60 définit l’effet stochastique comme le résultat du « développement d’un clone à partir d’une cellule modifiée ». Cela signifie qu’une cellule dont l’ADN a été endommagé par une radiation et mal réparé va transmettre aux cellules de sa lignée une altération viable et transmissible de son génome (mutation) qui pourra à terme se manifester par divers dysfonctionnements cellulaires et tissulaires ; (le plus redouté étant un processus de cancérisation qui ne nous concerne pas ici). Ces effets n’ont théoriquement pas de seuil et l’augmentation de la dose augmente non pas la gravité de l’effet (comme c’est le cas pour les effets déterministes) mais la probabilité de survenue de l’effet. On voit donc que la cataracte radio-induite, par sa pathogénie originale, possède à la fois : – certaines spécif icités des effets déterministes : présence probable (mais non plus certaine) d’un seuil, une certaine proportionnalité de la gravité de l’effet avec la dose ; – certaines spécif icités des effets stochastiques : dommage génomique initial qui ne tue ni ne lèse gravement la cellule cible mais qui va être transmis aux cellules de la lignée. Tous ces éléments sont de nature à nous faire reconsidérer la stratégie actuelle de la prévention du risque cataracte. Il semble qu’on ne puisse plus se contenter de respecter des limites de dose équivalente choisies en dessous des seuils d’apparition, comme on le fait légitimement pour les effets déterministes classiques type « brûlure radiologique », d’autant plus que ces seuils semblent avoir été sous-évalués. L’application du principe d’optimisation de la protection et la surveillance des populations spécifiquement exposées à ce risque retrouvent là toute leur valeur. Conclusion Sous réserve de confirmation par des études ultérieures, les cataractes radio-induites, à la lumière des récentes publications, paraissent devoir être considérées désormais comme une pathologie plus fréquente qu’on ne le pensait. En particulier les seuils d’apparition prévisible méritent probablement d’être réévalués. En conséquence, la protection et la surveillance des populations exposées à ces risques spécif iques (essentiellement patients et travailleurs) devront être, le cas échéant, renforcées. S’agissant des travailleurs, il n’est pas impossible que la limite réglementaire actuelle de 150 mSv de dose équivalente au cristallin sur douze mois consécutifs, soit, à terme, revue à la baisse. L’auteur remercie le MC Kovalski et le MP Lecorvaisier pour leur aide précieuse. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. 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Worgul BV, David J, Odrich S, Merriam GR Jr, Medvedovsky C, Merriam JC, Trokel SL, Geard CR. Evidence of genotoxic damage in cataractous lenses. Mutagenesis 1991 ; vol. 6, N° 6 : 495-9. s. wassilief Mise au point Neuro-ophtalmologie : savoir penser à la borréliose de Lyme. R. Macarez a, S. Bazin b, X. Burelle c, B. Chaudier d, B. Soullié e, M. Vanimschoot a, C. Dot f, P. Ocamica a, J.-L. Kovalski a, J.-M. Puyhardy g, D. Lagauche h, F. May i. a Service ophtalmologie, HIA Clermont-Tonnerre, rue du colonel Fonferrier, CC 41 – 29240 Brest Cedex 9. b Service ophtalmologie, HIA R. Picqué, 351 route de Toulouse, CS 80 002 – 33 882 Villenave d’Ornon Cedex. c Service d’ophtalmologie ; HIA Legouest, 27 avenue de Plantière – 57070 Metz. d Service de rhumatologie, HIA Laveran BP 60 149 – 13 384 Marseilles Cedex 13. e Service biologie, HIA R. Picqué, 351 route de Toulouse, CS 80 002 – 33 882 Villenave d’Ornon Cedex. f Service ophtalmologie, HIA Desgenettes, 108 boulevard Pinel – 69275 Lyon Cedex 03. g Service biologie, HIA Legouest, 27 avenue de Plantière – 57070 Metz. h Service de médecine physique et de réadaptation, HIA Legouest, 27 avenue de Plantière – 57070 Metz. i Service ophtalmologie, HIA du Val-de-Grâce, 74 boulevard de Port Royal – 75230 Paris Cedex 05 Article reçu le 2 juillet 2006, accepté le 1er juillet 2009. Résumé La borréliose de Lyme, affection transmise par les tiques la plus fréquemment observée dans l’hémisphère nord, est causée par un spirochète : Borrelia burgdorferi. La manifestation inaugurale de la maladie est rarement composée d’un tableau clinique complet associant 2 à 3 semaines après un antécédent connu de piqûre de tique, un érythème migrant suivi d’une atteinte multisystémique pouvant être neurologique, articulaire et/ou cardiaque. Les manifestations ophtalmologiques constituent un mode d’expression rare de la maladie. Elles peuvent intéresser toutes les structures oculaires et être observées à chaque stade de l’affection, mais surtout à la phase secondaire où peut survenir une atteinte neurologique, ou neuroborréliose, dans laquelle l’atteinte oculaire s’exprime sur un mode neuro-ophtalmologique. Ainsi, devant la multiplicité des tableaux cliniques possibles, tant généraux qu’oculaires, seul l’érythème migrant constitue une manifestation clinique qui, bien que non pathognomonique, possède une forte valeur d’orientation vers une maladie de Lyme. Ceci souligne l’importance lorsque celui-ci fait défaut, d’une enquête étiologique rigoureuse. Nous rapportons quatre observations : trois neuropathies optiques rétrobulbaires et une paralysie oculomotrice, qui illustrent cette difficulté. Mots-clés : Borréliose. Maladie de Lyme. Neuropathie optique. Paralysie oculomotrice. NEURO-OPHTHALMOLOGY : HOW TO BEAR LYME BORRELIOSIS IN MIND. Abstract Lyme borreliosis is the most common tick-transmitted disease in the Northern hemisphere and is caused by spirochaetes of the Borrelia burgdorferi species complex. The inaugural demonstration of the disease is seldom made up of a complete clinical presentation in which a tick bite leads to a skin lesion after a 2 to 3 weeks period, followed by multisystemic involvement of the nervous system as well us joints and heart. Ocular manifestations of Lyme borreliosis remain a rare feature of the disease. All ocular structures can be involved at any phase of the affection. However, it can mainly be observed in the secondary stage where can occur neurological and ocular manifestations expressed in a neuroophthalmological way. Among the various possible clinical presentations of borreliosis, an erythema migrans skin lesion is the only sign that enables a reliable clinical diagnosis of Lyme disease altough being not pathognomonic. When this sign is lacking, this underlines the importance of a rigourous etiologic investigation. We describe four cases of ocular manifestations, three retrobulbar optic neuropathies and one oculomotor nerve palsy, to illustrate this problem. Keywords: Borreliosis. Lyme disease. Optic neuropathy. Oculomotor nerve palsy. R. MACAREZ, médecin en chef, praticien certifié. S. BAZIN, médecin en chef, praticien certifié. X. BURELLE, praticien confirmé. B. CHAUDIER, médecin en chef, praticien certifié. B. SOULLIÉ, médecin en chef, praticien certifié. M. VANIMSCHOOT, médecin lieutenant, interne. C. DOT, médecin en chef, praticien certifié. P. OCAMICA, médecin en chef, praticien certifié. J.L. KOVALSKI, médecin en chef, praticien certifié. J.-M. PUYHARDY, médecin en chef, praticien certifié. D. LAGAUCHE, médecin en chef, praticien professeur agrégé. F. MAY, médecin en chef, praticien professeur agrégé. Correspondance: R. MACAREZ, service d’ophtalmologie, HIA Clermont-Tonnerre, rue Colonel Fonferrier, CC 41, 29240 Brest Cedex 9. E-mail: [email protected] médecine et armées, 2009, 37, 4, 357-367 Introduction La maladie de Lyme est due à une Borrelia transmise à l'homme par la piqûre d'une tique du genre Ixodes. Il s'agit d'une zoonose endémique dont le réservoir est constitué par la faune sauvage des forêts à climat tempéré (rongeurs, cerfs) (1). 357 Les borrelia sont des bactéries Gram négatif de l'ordre des Spirochètes comme les tréponèmes et les leptospires. Il s'agit de bactéries toujours extra-cellulaires. En France, l’incidence de la borréliose de Lyme est d’environ 5 500 cas par an. La prévalence est plus forte dans les régions comportant de vieux massifs (Nord-Est, Massif Armoricain, Massif central). Une augmentation de l'incidence des pathologies vectorielles à tiques est observée depuis le milieu des années 90. Celle-ci semble liée à la conjonction de plusieurs facteurs tels que l’augmentation de la population des grands mammifères (sangliers, chevreuils, cerfs), la recrudescence des activités de loisirs en pleine nature augmentant les risques de contacts homme-tique, enf in et surtout une modification de l'écosystème favorisant la prolifération des tiques. Cette modif ication est pour partie liée à l’activité humaine (recul de l’agriculture au profit de la forêt), mais relève également de modif ications climatiques (augmentation des températures propice à l’incubation des agents pathogènes au sein des vecteurs) (2-4). De même, la collectivité militaire par l’exercice même de son métier constitue une population tout particulièrement exposée qui doit donc être sensibilisée à ce risque et à sa prévention (5). La borréliose de Lyme peut se manifester par une grande variété de signes cliniques : neurologiques, rhumatologiques, cardiologiques mais aussi dégénératifs, témoignant de la diffusion systémique des spirochètes. Cliniquement, la maladie de Lyme peut être décomposée en trois phases selon le délai d’apparition des symptômes par rapport à la piqûre de la tique. La phase primaire correspond à une infection localisée précoce au niveau du site de piqûre de tique pouvant réaliser un érythème chronique migrant retrouvé dans 30 % des cas, une phase secondaire quelques jours ou semaines après la piqûre correspondant à une infection à distance par dissémination hématogène ou lymphatique du spirochète. À cette phase, on peut observer des manifestations cardiaques (troubles de la conduction auriculo-ventriculaire essentiellement), mais aussi neurologiques périphériques (atteinte radiculaire des nerfs) ou centrales (méningo-encéphalites). Enfin, une phase tertiaire, rare, pouvant survenir plusieurs mois ou années après l'infection initiale et caractérisée par des manifestations dermatologiques (acrodermatite chronique atrophiante, lymphocytome cutané), articulaire (oligoarthrite), ou neurologique (encéphalopathie chronique) (6). Les manifestations neurologiques constituent le mode de révélation le plus fréquent de la borréliose de Lyme en France. Ainsi, la neuroborréliose de Lyme se définit comme l’atteinte neurologique observée au cours de l’infection systémique par Borrelia burgdorferi. Sa pathogénie semble procéder d’une invasion du système nerveux central (SNC) et périphérique par le spirochète, responsable d’une inflammation modérée de l’espace sous-arachnoïdien et du tissu périneural. Cependant, l’hypothèse d’une toxicité neurologique satellite d’une infection en dehors du système nerveux n’a pu être éliminée (7). 358 Le plus souvent la neuroborréliose associe une évolution subaiguë se prolongeant plusieurs semaines ou mois après l’infection, une pléiocytose du LCR de type lyphomonocytaire et une atteinte d’un ou plusieurs nerfs crâniens, l’atteinte du nerf facial étant la plus fréquemment rapportée dans la littérature neurologique (8, 9). Certains auteurs individualisent une forme précoce et tardive de neuroborréliose (10). La première est plus inflammatoire, présente une méningo-radiculite associant une méningite lymphocytaire et une atteinte radiculaire qui concerne les nerfs crâniens dans 50 % des cas (11, 12). La seconde peut se présenter sous la forme de manifestations chroniques (encéphalopathie, neuropathie périphérique) observées plusieurs mois à plusieurs années après l’infection initiale, alors que l’étude du LCR n’objective qu’une réponse inflammatoire minime ou absente (13, 14). Les atteintes ophtalmologiques sont rares mais peuvent s’observer à toutes les phases, que ce soit à la phase primaire où une conjonctivite a été rapportée chez 11 % des patients présentant un érythème migrant (15) ou à la phase secondaire ou tertiaire. Lors de ces deux phases les atteintes sont très variées pouvant être à type de sclérite, épisclérite, inf iltrats cornéens, uvéite antérieure, intermédiaire ou postérieure, neurorétinite, neuropathie optique voire endophtalmie purulente en cas d'atteinte directe de l'œil, paralysie faciale périphérique en cas de méningo-radiculite, voire plus rarement paralysie oculomotrice (16). Nous rapportons le cas de quatre patients chez lesquels l’atteinte neuro-ophtalmologique a constitué la manifestation inaugurale de la borréliose de Lyme. Observations Observation N° 1 Un homme de race blanche, âgé de 79 ans, sans antécédent ni aucun traitement sur le plan général, consulte en raison d’une baisse d’acuité visuelle bilatérale et progressive chiffrée à 3/10 P5 aux deux yeux. Cette baisse d’acuité visuelle est mise sur le compte d’une cataracte bilatérale, en l’absence de maculopathie chez ce sujet âgé, le reste de l’examen ophtalmologique s’avérant sans anomalie. Les deux yeux sont opérés à un mois d’intervalle et les suites opératoires sont simples. Mais la récupération visuelle post-opératoire s’avère médiocre, puisque l’acuité visuelle se limite à 4/10 P4 à droite et à 5/10 P4 à gauche. Une nouvelle hospitalisation est proposée au patient, mais celui-ci échappe ensuite à tout suivi et ne revient consulter que trois ans plus tard en raison d’une baisse d’acuité visuelle majeure bilatérale et progressive, chiffrée à 2/10 P10 à droite et à Compte les doigts à 1 m à gauche. L’examen ophtalmologique retrouve une opacif ication capsulaire secondaire bilatérale, de densité modérée. À la suite de la capsulotomie au laser Yag, l’acuité ne remonte qu’à 1,6/10 P8 à droite et à 3/10 P 8 à gauche. r. macarez La pression oculaire est mesurée à 18 mm Hg aux deux yeux avec une pachymétrie normale (chiffrée à 524 mm à droite et 526 mm à gauche). Le fond d’œil est le siège d’une discrète pâleur du bord temporal de la papille prédominant à droite (fig. 1). Le reste de l’examen s’avère sans anomalie. Figure 1. Observation n° 1. Fond d’œil : pâleur du bord temporal de la papille prédominant à droite. Les pupilles sont faiblement réactives à droite comme à gauche, de façon symétrique. L’angiographie rétinienne à la fluorescéine est normale. L’examen du champ visuel en périmétrie cinétique de Goldman objective un scotome central bilatéral absolu associé à un élargissement de la tache aveugle (fig. 2). Le test 15 Hue désaturé permet de retrouver une dyschromatopsie d’axe rouge-vert bilatérale malgré l’importance de la baisse d’acuité visuelle (fig. 3). Les potentiels évoqués visuels mettent en évidence une augmentation bilatérale des temps de conduction de l’onde P100 (à 144 ms à droite et à 159 ms à gauche) associée à une diminution de son amplitude. Le diagnostic de neuropathie optique rétrobulbaire bilatérale est posé. L’interrogatoire ne retrouve aucune cause toxique individualisable. Un bilan étiologique neuroradiologique, immunologique, vasculaire, et infectieux (incluant la recherche d’une maladie de Lyme) est réalisé. En effet, ce patient réside en zone d’endémie Figure 3. Observation n° 1. Vision des couleurs (test 15 Hue désaturé) : dyschromatopsie d’axe rouge-vert bilatérale malgré l’importance de la baisse d’acuité visuelle. de maladie de Lyme : il ne possède aucun animal domestique et ne présente aucun antécédent connu de morsure de tique mais effectue souvent des promenades en forêts depuis de nombreuses années. L’IRM cérébrale est normale, permettant d’éliminer un processus expansif comprimant les voies optiques. Les bilans vasculaire et immunologique sont normaux. Sur le plan infectieux, en revanche, une maladie de Lyme est fortement suspectée (sérologie négative en ELISA et mais positive en IgG en Western Blot). La sérologie syphilitique révèle : un VDRL négatif, un TPHA et un FTA positifs en IgG mais négatifs en IgM. L'interprétation en dehors de tout contexte clinique pourrait évoquer une tréponématose tertiaire guérie, mais la négativité du Blot syphilis ainsi que le contexte clinique font conclure à une réaction croisée entre les sérologies de la maladie de Lyme et de la syphilis. Ces réactions croisées sont connues et s'expliquent par la proximité antigénique de ces deux bactéries appartenant à la famille des Spirochètes. Une ponction lombaire est réalisée : l’examen cytologique du LCR ne montre pas de cellule suspecte, la Figure 2. Observation n° 1. Champ visuel de Goldman : scotome central bilatéral associé à un élargissement de la tache aveugle. neuro-ophtalmologie : savoir penser à la borréliose de Lyme 359 protéinorachie est augmentée mais la glycorachie est normale. Les sérologies de Lyme et TPHA-VDRL sur le LCR sont négatives. Un traitement parentéral par Ceftriaxone à la dose de 2 g par jour est instauré pendant une durée de quatre semaines. À la suite de ce traitement, l’acuité visuelle à deux mois est remontée à 6/10 P5 à droite et 6/10 P 6 à gauche. Cependant, l’exploration de la vision des couleurs met en évidence une dyschromatopsie sans axe bilatérale et le champ visuel objective la persistance d’un scotome central bilatéral. Observation N° 2 Un homme de race blanche, âgé de 55 ans, ancien tabagique sevré depuis huit ans, consulte pour une baisse d'acuité visuelle de l'œil droit évoluant depuis environ quatre années, sans aucun suivi ophtalmologique durant cette période. Lors de notre examen initial, l'acuité visuelle est à 1/20 faible P14 à droite et 8/10 P2 à gauche. Il existe une discrète hypertonie droite : la PIO est à 22 mmHg à droite et 21 mmHg à gauche, valeurs sous estimées compte tenu d’une cornée mince puisque la pachymétrie centrale est chiffrée à 502 à droite et 505 à gauche. À cette hypertonie s'associe une excavation papillaire bilatérale plus importante à droite (fig. 4). Figure 4. Observation n° 2. Fond d’œil. Excavation papillaire bilatérale plus importante à droite. L'oculomotricité extrinsèque est normale. L'étude des réflexes photomoteurs permet la mise en évidence d'un déf icit pupillaire afférent relatif droit. Le test 15 Hue désaturé de Lanthony réalisé sur l'œil gauche objective une dyschromatopsie avec une ébauche d'axe bleu-jaune (fig. 5). L'étude du champ visuel en périmétrie cinétique de Goldman (fig. 6a et 6b) objective une atteinte binasale : hémianopsie à droite et quadranopsie supérieure à gauche. Ces déficits peu évocateurs d’une neuropathie optique d’origine glaucomateuse font rechercher une autre étiologie : toxique, tumorale, inflammatoire ou infectieuse (la quadranopsie centrée sur la macula évoquant plutôt une atteinte chiasmatique ou rétrochiasmatique). L’angiographie rétinienne à la fluorescéine est normale. Il n’y a plus d’intoxication, le patient ayant arrêté son tabagisme il y a huit ans et n’ayant aucun traitement médicamenteux au long cours. Un scanner cérébral complété par une IRM cérébrale et du 360 Figure 5. Observation n° 2. Vision des couleurs (test 15 Hue désaturé) : Dyschromatopsie avec ébauche d’axe bleu jaune à gauche. tronc cérébral avec injection permettent d'éliminer un processus expansif intracrânien ainsi qu'une affection démyélinisante. Le bilan d'hémostase est normal. Les sérologies VIH, CMV, et TPHA-VDRL sont négatives ; de même que la recherche des anticorps antinucléaires, anti-SSA, anti-SSB et du facteur rhumatoïde. La sérologie de la maladie de Lyme est positive en Elisa et positive par Western Blot en IgG mais négative en IgM. L’étude du LCR s’avère sans anomalie et la sérologie de Lyme dans le LCR est négative en Elisa et au Western Blot. La positivité de la sérologie de Lyme fait suspecter une borréliose, bien que ce patient vivant en zone d’endémie ne se souvienne pas de piqûre de tique ou d'érythème cutané (toutefois, il possède deux chats et un chien et effectue régulièrement des promenades en forêt). Cette positivité ainsi que l'importance de l'atteinte visuelle nous amènent à prescrire une antibiothérapie parentérale intraveineuse par ceftriaxone à la dose de 2 g/jour poursuivie pendant quatre semaines. En outre, l'hypertonie oculaire est équilibrée avec un traitement par Latanoprost collyre. Avec un recul d’un an, l'acuité visuelle des deux yeux est discrètement améliorée puisque chiffrée à 1/10 faible P14 à droite et 10/10 P2 à gauche et l'on observe une récupération partielle des atteintes périphériques du champ visuel des deux yeux (fig. 6c et 6d). Observation N° 3 Un jeune homme eurasien (né de père caucasien et de mère asiatique), âgé de 17 ans, non fumeur, est adressé pour baisse d'acuité visuelle gauche limitée à 1/10 Parinaud 14 évoluant depuis environ 1 mois. Cet œil gauche présente une amblyopie relative puisque son acuité visuelle avait été chiffrée à 6/10 lors d'une consultation chez son ophtalmologiste traitant 1 an auparavant. L'œil droit présente une acuité visuelle de 10/10 Parinaud 2. Le segment antérieur des deux yeux est sans anomalie, de même que le fond d'œil droit alors que le fond d'œil gauche présente une pâleur du bord temporal de la papille (fig. 7). r. macarez Figure 6. Observation n° 2. Champ visuel de Goldman. A et B champ visuel initial. C et D champ visuel 1 an plus tard : récupération partielle. L'angiographie a été refusée par le patient. L'oculomotricité extrinsèque est normale. L'étude des réflexes photomoteurs permet la mise en évidence d'un déficit pupillaire afférent relatif gauche évocateur d'une neuropathie optique gauche. Ceci est confirmé par l'étude du champ visuel en périmétrie cinétique de Goldman (fig. 8) qui objective un scotome caecocentral à gauche alors que le champ visuel est normal à droite. En revanche, le test 15 Hue désaturé de Lanthony objective une dyschromatopsie d'axe rouge-vert bilatérale (fig. 9). Un scanner cérébral complété par une IRM cérébrale et du tronc cérébral avec injection quelques jours plus tard permettent d'éliminer un processus expansif intracrânien ainsi qu'une affection démyélinisante. Les sérologies VIH et TPHA-VDRL sont négatives ; de même que la recherche des anticorps antinucléaires, anti-SSA et anti-SSB. Le bilan d'hémostase est normal et la recherche d’une thrombophilie est négative. En présence de cette neuropathie optique aiguë de jeune adulte, deux grandes causes restent à envisager : – une maladie de Lyme, (ceci malgré l'absence de notion récente de piqûre de tique et d'érythème Figure 7. Observation n° 3. Fond d'œil initial. Œil droit: papille d’aspect normal voire légèrement rosée. Œil gauche: pâleur du bord temporal de la papille. Figure 8. Observation n° 3. Champ visuel initial. Œil gauche : scotome centrocaecal. Œil droit : exclusion de la tache aveugle à l'isoptère I1e. neuro-ophtalmologie : savoir penser à la borréliose de Lyme 361 Figure 9. Observation n° 3. Test 15 Hue désaturé lors du bilan initial. Dyschromatopsie bilatérale. cutané chez ce patient possédant un chien et vivant en zone d'endémie) ; – une neuropathie optique héréditaire de Leber (NOHL), pour laquelle la recherche d'une mutation de l'ADN mitochondrial est réalisée, l'interrogatoire initial des parents ne retrouvant pas d'antécédent familial d'affection visuelle. La sérologie de Lyme dans le sang, d'abord douteuse en Elisa, est positive au Western Blot en IgG et en IgM. En revanche, elle est négative dans le LCR. Cette positivité ainsi que l'importance de l'atteinte visuelle nous amènent à prescrire une antibiothérapie parentérale intraveineuse par ceftriaxone à la dose de 2 g/jour poursuivie pendant quatre semaines. L'acuité visuelle est alors chiffrée à 10/10 à droite et « Compte les doigts à 1,5 m » à gauche. Alors que le traitement antibiotique se termine et qu'aucune amélioration de la fonction visuelle de l'œil gauche n'est observée, nous recevons le résultat de la recherche de mutation de l'ADN mitochondrial : la mutation G11778A est retrouvée dans les leucocytes de notre patient. La reprise de l'interrogatoire permet de retrouver un cas de NOHL déclaré à l'âge de 20 ans chez un cousin du côté de la mère qui est d'origine asiatique. La présence bilatérale lors de l’examen initial d'une dyschromatopsie d'axe rouge vert fait redouter une bilatéralisation qui survient 1 mois après l'arrêt du traitement antibiotique (soit trois mois à partir du début des troubles sur le 1er œil), l'acuité visuelle étant alors de 4/10 à droite et « Compte les doigts à 1,5 m » à gauche. La recherche de manifestations générales associées à la NOHL s’avère négative, devant la normalité de l’ECG et des examens neurologiques tant cliniques que paracliniques (IRM et LCR sans anomalie). Un traitement par ubidecarenone à la dose de 1 mg/kg/jour est instauré au long cours sous ATU. Actuellement, avec un recul de 1 an, l'acuité visuelle des deux yeux demeure stabilisée à « Compte les doigts à 3 m » pour chaque œil. L'examen du fond d'œil révèle une atrophie optique bilatérale (fig. 10) ; et le champ visuel de Figure 10. Observation n° 3. Fond d'œil 1 an plus tard. Atrophie optique bilatérale prédominant en temporal. Goldman met en évidence un scotome centrocaecal à droite et central à gauche (fig. 11). Observation N° 4 Une femme, âgée de 79 ans, consulte pour une diplopie apparue brutalement la veille, associée à des lombalgies. Elle ne présente aucun antécédent général particulier et ne prend aucun traitement médicamenteux au long cours. L’examen ophtalmologique retrouve une acuité visuelle Figure 11. Observation n° 3. Champ visuel 1 an plus tard. Œil gauche : scotome centrocaecal. Œil droit : scotome central. 362 r. macarez chiffrée à 10/10 P2 à droite et à 8/10 P2 à gauche. L’examen du segment antérieur et du fond d’œil est sans anomalie hormis la présence d’un implant de chambre postérieure chez cette patiente opérée de la cataracte des deux yeux. La tension oculaire est chiffrée à 18 mmHg pour chaque œil. Les réflexes pupillaires sont normaux. Il existe une limitation importante de l’abduction de l’œil droit avec aspect de paralysie du VI droit au Lancaster (fig. 12a). Le reste de l’examen neurologique est sans anomalie et l’IRM cérébrale est normale. L’analyse cytologique du liquide céphalo-rachidien montre une méningite lymphocytaire à liquide légèrement trouble avec une protéinorachie augmentée (albuminorachie normale et synthèse intrathécale d’IgG) et une glycorachie normale. L’examen direct du LCR après coloration de Gram est négatif, de même que la recherche d’antigènes solubles et les cultures. La recherche de mycobactéries sur le LCR est également négative. Les radiographies du rachis dorsolombaire mettent en évidence une fracture-tassement cunéiforme antérieure L1-L4 et l’IRM lombaire objective une anomalie de signal des corps vertébraux D10 et D12 pouvant correspondre à des localisations secondaires. Dès lors est réalisé un bilan général à la recherche d’une néoplasie primitive : ce bilan comprend un scanner thoraco-abdomino-pelvien et cérébral, ainsi que le dosage des anticorps antionconeuronaux, ceci dans l’hypothèse d’une origine paranéoplasique de cette méningite lymphocytaire. Ce bilan s’avère négatif. L’hémogramme, la mesure de la vitesse de sédimentation, le f ibrinogène, la protéine C réactive et l’électrophorèse des protéines sont normaux, de même que l’ensemble du bilan lipidique, hépatique, de la fonction rénale, et de la fonction thyroïdienne. Le bilan cardiovasculaire, réalisé compte tenu de la prépondérance des paralysies oculomotrices d’origine vasculaire à cet âge, ne présente également aucune anomalie. Les sérologies VIH, TPHA-VDRL, et CMV sont négatives. La sérologie de Lyme est fortement positive en Elisa et également positive au Western Blot en IgG dans le sang ainsi que dans le LCR où une synthèse intrathécale d’IgG est détectée. La reprise de l’interrogatoire retrouve un antécédent de piqûre de tique survenu deux mois auparavant, la patiente possédant un chien. Aucun érythème migrant n’a été observé dans les suites de cette piqûre. Un traitement par Ceftriaxone est instauré à la dose de 2 g par jour en intraveineux pendant quatre semaines associé à de la Calcitonine humaine de synthèse pour les tassements vertébraux. Deux mois plus tard, le test de Lancaster objective une régression partielle de la paralysie du VI, régression qui s’avère totale lors du contrôle à 4 mois (fig. 12b). Discussion La Borréliose de Lyme : un diagnostic clinique difficile Dans la pratique, la borréliose de Lyme se présente rarement sous la forme d’un tableau clinique complet dans lequel, à la suite d’une morsure de tique documentée, apparaît un érythème migrant, suivi de manifestations cardiaques, neurologiques, ou, plus à distance, une atteinte oculaire, neurologique, articulaire ou cutanée. En présence d’un tel tableau, le seul signe clinique fiable est l’érythème migrant typique rattaché à une morsure de tique identif iée comme telle. La plupart des autres atteintes, tant sur le plan général qu’ophtalmologique, n’ont que peu de valeur d’orientation étiologique, cette grande variété d’aspects cliniques conférant à la borréliose de Lyme un statut de grande simulatrice à l’instar de la syphilis (17, 18). De même, la classique détermination des phases primaire, secondaire et tertiaire de l’affection repose sur une datation par rapport à un antécédent connu de morsure de tique. En effet, le diagnostic de la maladie de Lyme est le plus souvent basé sur la notion d’une piqûre de tique survenue en zone d’endémie associée à des manifestations cliniques évocatrices. Cependant, Spach rapporte que plus de la moitié des patients infectés ne se souviennent pas avoir été piqués par une tique : chez nos quatre patients, un seul rapporte un tel antécédent (19). La tique peut transmettre l’affection quel que soit le stade de sa vie (larve, nymphe ou adulte) mais c’est aux stades de larve et Figure 12. Observation n° 4. Paralysie du VI droit (A) et sa récupération quatre mois plus tard (B). neuro-ophtalmologie : savoir penser à la borréliose de Lyme 363 de nymphe que la morsure a le plus de chances d’être méconnue du fait de la moindre taille du parasite. En pratique, en zone d’endémie et même en l'absence d’antécédent connu de morsure de tique ou d’érythème migrant, la constatation d'une manifestation clinique posant un problème de diagnostic différentiel avec une maladie de Lyme impose sa recherche dès lors que l'interrogatoire retrouve des circonstances favorisant le contact avec l'hôte vecteur (vétérinaires, forestiers, loisirs en forêts, possession d'un chien, militaires en opérations sur le terrain). En effet, elle constitue toujours un diagnostic d’exclusion après avoir éliminé les multiples étiologies possibles des atteintes neuro-ophtalmologiques observées telles les neuropathies optiques ou la paralysie oculomotrice que présentaient nos patients. Ainsi, le diagnostic de borréliose de Lyme repose sur un faisceau d’arguments anamnestiques (notion de morsure de tique, activités en forêt), cliniques (érythème migrant, manifestations neuro-ophtalmologiques), biologiques et épidémiologiques permettant d’approcher la probabilité d’exposition au spirochète de la maladie de Lyme. Parmi les manifestations oculaires de la borréliose de Lyme, l’atteinte du nerf optique est l’une des plus fréquemment rapportées que ce soit sous la forme d’une neuropathie optique oedémateuse, rétrobulbaire ou atrophique (20, 23). Ainsi, quel que soit le type d’atteinte du nerf optique, celui-ci devra faire systématiquement envisager la possibilité d’une borréliose, lorsque le patient réside en zone d’endémie. Nos trois premières observations illustrent la problématique du diagnostic étiologique d’une neuropathie optique, que ce soit du fait d’intrications pathologiques concourrant à une baisse d’acuité visuelle (cataracte et neuropathie optique comme dans notre observation n° 1), ou du fait de la sommation de pathologies aboutissant à une altération du nerf optique (neuropathie optique glaucomateuse dans notre observation n° 2 et NOHL dans notre observation n° 3, affections sur lesquelles la borréliose vient se surajouter). Dans notre observation de NOHL peut se poser la question soit d’une association fortuite, soit d’un stress métabolique surajouté par la borréliose qui a pu précipiter l'évolution, voire déclencher la NOHL. Concernant notre observation n° 4, l’altération observée est une paralysie oculomotrice, cette manifestation neuro-ophtalmologique de la borréliose de Lyme étant moins fréquemment rapportée dans la littérature que les neuropathies optiques. En reprenant les cas publiés, le VI semble plus fréquemment atteint que le III. Cette atteinte qui s’est avérée totalement régressive après un traitement antibiotique chez notre patiente, peut parfois persister imposant alors, après un recul suffisant garantissant le caractère f ixé et non évolutif de la paralysie, une chirurgie oculomotrice et/ou une prismation afin de soulager le patient d’une diplopie particulièrement invalidante dans la vie courante (24, 25). La multiplicité des atteintes oculaires possibles impose en cas de baisse d’acuité visuelle ou de signes d’uvéites antérieures intermédiaire ou postérieure, la réalisation d’un examen angiographique rétinien afin d’éliminer des 364 atteintes associées du segment postérieur telles que choroïdite, neurorétinite ou vascularite (26, 27). Chez nos deux premiers patients, l’angiographie était sans anomalie. Le patient n° 3 a refusé l’examen. Et nous ne l’avons pas réalisé dans l’observation n° 4 devant la stricte normalité de l’examen ophtalmologique de chaque œil, la patiente ne présentant sur le plan neuro-ophtalmologique qu’une paralysie isolée du VI. La Borréliose de Lyme : un diagnostic biologique difficile Parmi les huit génotypes de Borrelia burgdorferi sensu lato, trois espèces peuvent être responsables de la maladie de Lyme : Borrelia burgdorferi sensu stricto en Europe et aux Etats unis, ainsi que B. afzellii et B. garinii en Europe. Parmi les cas rapportés il existe une association préférentielle entre B. garinii et les manifestations neurologiques (28-30), alors que Borrelia burgdorferi sensu stricto est plus fréquemment mis en cause dans les atteintes articulaires (31) et B. afzellii dans les atteintes cutanées (32). Bien que le Gold Standard du diagnostic positif d’une maladie infectieuse consiste en l’isolement de l’agent pathogène, une telle confirmation est souvent difficile dans la maladie de Lyme car la bactérie, très difficilement cultivable, est en très faible quantité dans les lésions. De plus, la fiabilité des autres méthodes reste sujette à controverse (17). Le diagnostic biologique de la borréliose de Lyme, ne peut donc pas faire appel à un examen direct. En outre, les délais de culture sont de plusieurs semaines : ce qui ne répond pas aux besoins d’un diagnostic rapide en pratique clinique. Ce diagnostic est donc sérologique, fruit de la collaboration étroite entre biologiste et clinicien compte tenu des trois écueils que constituent : i/ la négativation de la sérologie en cas de traitement antibiotique précoce, adapté ou non ; ii/ le délai important avant l’ascension des anticorps qui peut varier de 6 à 8 semaines pour les IgM et 1 à 3 mois pour les IgG, avec parfois une persistance de plusieurs années rendant compte de l’importance d’un « bruit de fond sérologique » dont la prévalence varie de 3 à 5 % dans la population générale, iii/ les réactions croisées avec d'autres maladies infectieuses ou automimmunes (syphilis comme c’est le cas dans notre observation N° 1, EBV, CMV, Herpès, VIH, Toxoplasmose, facteur rhumatoïde). La technique sérologique immuno-enzymatique dite « Enzymed-Linked immunosorbent assay » (ELISA) est la plus fréquemment employée pour identif ier les anticorps contre B. burgdorferi, cependant ce test n’est pas standardisé : les résultats varient selon les réactifs utilisés et les faux négatifs (si prélevés trop précocement ou antibiothérapie prescrite) mais aussi faux positifs (réactions croisées) sont fréquents (19). Aussi, afin d’améliorer la spécificité sérologique, une approche séquentielle en deux étapes a été proposée : lorsque la sérologie avec la méthode ELISA est positive ou douteuse (voire négative en cas forte suspicion clinique), une technique de conf irmation : l’immunoréplique ou Western Blot, doit alors être réalisée sur le même échantillon de sérum afin de détecter les anticorps IgM et IgG et individualiser les génotypes de B. Burgdorferi. r. macarez Mais la sérologie n’est qu’un élément du diagnostic de la maladie et son résultat doit être interprété en fonction de l’ensemble du bilan clinique et paraclinique. Chez nos quatre patients la sérologie dans le sang était douteuse en ELISA dans un cas, positive dans deux cas et négative dans un autre. Elle est en revanche revenue positive en immunoblot permettant d'individualiser chez les quatre patients le génotype Borrelia bugdorferi garinii. Au stade chronique de l’affection, les raisons précédemment évoquées et notamment le « bruit de fond sérologique » ne permettent pas de distinguer une infection chronique évolutive d’une cicatrice sérologique, ce qui souligne l’importance du suivi évolutif ophtalmologique et général de ces patients. Ce n’est qu’en cas de doute à ce stade, que l’on pourra faire appel à la PCR, dont la négativité, comme le rappellent Kadz et al. (27) ne permettra pas d’éliminer le diagnostic, puisque la phase tardive de l’affection peut relever tout autant de phénomènes immunologiques que de la persistance de l’agent pathogène lui-même. Dans nos trois premières observations, le diagnostic positif de borréliose de Lyme ne repose que sur la positivité de la sérologie chez des patients vivant tous en zone d’endémie et effectuant fréquemment des activités en forêt. L’absence de sécrétion intrathécale d’Ig G spécifiques et de méningite lymphocytaire ne permet pas de faire rentrer ces neuropathies optiques dans les critères diagnostiques d’une neuroborréliose et plaide en faveur de formes oculaires pures de neuropathie optique borrélienne. Cependant, il nous faut rappeler que des atteintes isolées des nerfs crâniens, sans réaction lymphocytaire associée du LCR, ont été rapportées de façon exceptionnelle dans le cadre de neuroborrélioses (12, 33). Chez ces trois patients, la datation de l’infection initiale s’est avérée ici impossible en l’absence de souvenir de morsure et d’érythème migrant. Néanmoins dans ces trois observations, le recueil des données anamnestiques et des antécédents permettent d’envisager l’hypothèse d’une infection évolutive ancienne (phase tertiaire) ou tout au moins déjà active lors de la première constatation des troubles ophtalmologiques que ce soit la mauvaise récupération fonctionnelle post-opératoire 3 ans auparavant (obs n° 1), l’ancienneté de la baisse d’acuité visuelle unilatérale remontant à 4 ans aux dires du patient (obs n° 2), ou l’amblyopie controlatérale constatée 1 an auparavant par l’ophtalmologiste traitant mais non connue antérieurement aux dires des parents et au vu du carnet de santé (obs n° 3). Dans la 4e observation, en revanche, nous disposons, en dépit de l’absence d’érythème migrant, de tous les arguments nécessaires à l’établissement du diagnostic de neuroborréliose précoce. Ainsi, contrairement à notre 4 e observation où le diagnostic de borréliose de Lyme s’est avéré relativement aisé, nos trois premières observations soulignent la diff iculté à toutes les étapes, de la détermination du diagnostic d’une maladie de Lyme en ophtalmologie, et de la problématique de la datation de l’infection. neuro-ophtalmologie : savoir penser à la borréliose de Lyme Morsure de tique : possibilité de co-infection Par ailleurs, les quatre patients présentés ici résidant en Lorraine, il nous faut également souligner la possibilité d’une co-infection par l’encéphalite européenne à tiques (Tick-Borne Encephalitis des anglo-saxons, TBE), arbovirose transmise en Europe de l’Ouest par le même vecteur que la borréliose de Lyme : Ixodes ricinus, et qui possède également les mêmes hôtes réservoirs (petits mammifères, oiseaux). Endémique en Europe de l’Est, elle n’est en revanche que sporadique en Europe de l’Ouest (3). En France, une trentaine de cas ont été rapportés depuis 1968, tous localisés en Alsace et en Lorraine (34). La sérologie TBE était négative chez nos quatre patients dans le sang et le LCR. Autres maladies vectorielles à tiques Enfin, outre la borréliose de Lyme, (de loin la plus fréquente des Maladies vectorielles à tiques (MVT) dans l’hémisphère nord) et l’encéphalite européenne à tiques, Ixodes ricinus, peut également transmettre d’autres agents pathogènes à l’occasion d’une même morsure, rendant compte de l’augmentation observée au cours des deux dernières décennies de la prévalence de certaines maladies émergentes transmises par les tiques (rickettsioses, et anaplasmose granulocytaire) (3, 4). Par ailleurs, d’autres maladies émergentes (rickettsioses, erlichiose monocytaire), transmises par d’autres espèces de tiques appartenant aux genres Rhipicephalus, Dermacentor ou Hyalomma, sont apparues en zone tempérée durant la même période. Ainsi un antécédent de syndrome grippal estival devra être systématiquement recherché à l’interrogatoire d’un patient présentant une borréliose de Lyme ou un antécédent avéré de morsure de tique. De même, l’absence d’amélioration clinique après un traitement antibiotique bien conduit devra également faire suspecter une autre MVT associée. Signalons enfin que les MVT ne sont pas l’apanage d’un contact homme-tique en milieu rural ou forestier. En effet, quelques publications font état d’arboviroses transmises par des tiques de pigeons de ville ou d’oiseaux de mer (35, 36). Traitement Sur un plan thérapeutique, à la phase primaire en présence d’un érythème migrant typique, le traitement fait appel à une antibiothérapie per os par tétracyclines ou amoxicilline pendant une durée de 21 jours (27, 37). En cas d’atteinte oculaire et en l’absence de protocole consensuel disponible pour l’ophtalmologie, il convient de suivre les recommandations concernant la neuroborréliose à laquelle l’atteinte ophtalmologique peut être assimilée. Ainsi, nos quatre patients ont bénéf icié d’une antibiothérapie parentérale par ceftriaxone à la dose de 2 g/jour pendant une durée de quatre semaines (37, 38) qui constitue l’option thérapeutique recommandée en première intention. En seconde intention, une nouvelle antibiothérapie d’une durée de quatre semaines pourra être proposée soit par pénicilline G IV 18-24 millions d’unités/jour ou par doxycycline per os 200 mg/jour (12) 365 Dans notre observation n° 3, l’évolution rapide et bilatérale de la neuropathie héréditaire n’a bien sûr pas permis d’observer une quelconque amélioration fonctionnelle à la suite du traitement antibiotique. Chez nos deux premiers patients, en revanche, une amélioration a pu être observée tant au niveau de l’acuité visuelle que du champ visuel. Ces deux patients ont tété traités alors qu’il s’agissait très vraisemblablement de phase tertiaire de maladie de Lyme. Or, dans le cas de manifestations tardives de la borréliose de Lyme, la régression des troubles à la suite du traitement antibiotique est plus lente que dans les formes précoces et peut nécessiter des mois voire des années (10). Les séquelles sont exceptionnelles et intéressent surtout le SNC. Elles sont vraisemblablement corrélées au temps écoulé entre le début de la maladie et celle de l’instauration du traitement, ainsi qu’à la sévérité des altérations initiales (27). Il nous faut également rappeler que certains patients traités avec une antibiothérapie adaptée ne récupèrent que partiellement, présentant des séquelles d‘ordre neurologiques associées à une asthénie persistante. Ce syndrome appelé syndrome post-Lyme ou par excès « Maladie Chronique de Lyme » ne tire aucun bénéfice d’une antibiothérapie au long cours comme l’ont rapportés Klempner et al (39) et semble procéder de manifestations inflammatoires auto-immunes (40, 41). Dans notre observation n° 4 de paralysie oculomotrice apparue dans un contexte de neuroborréliose précoce, la régression totale de la paralysie du VI peut être mise sur le compte de l’antibiothérapie, mais peut également être le fait d’une évolution spontanée comme c’est habituellement le cas dans la majorité des paralysies du VI vasculaires du sujet âgé. Prévention Concernant la prévention de la borréliose de Lyme à titre individuel, celle-ci repose essentiellement sur le port de pantalons et de manches longues lors de tout séjour en forêt, une inspection rigoureuse du corps après exposition en insistant sur les sites à peau fine et le cuir chevelu. L’ablation des tiques doit être réalisée à l’aide d’un tire tiques dès que possible et de préférence avant un délai de 8 heures, délai au-delà duquel, selon les données expérimentales européennes, le risque de transmission d’un agent pathogène augmente, (alors que le délai rapporté dans les études américaines est de 72 heures) (42, 45). L’application d’un antiseptique sur le site de morsure est déconseillée tant que la tique est en place, puisqu’elle risque de provoquer une régurgitation de la tique et d’augmenter ainsi le quantum infectieux. Il conviendra donc de ne l’appliquer qu’après avoir procédé à l’ablation de la tique. Les jours suivants la piqûre, le site devra faire l’objet d’une surveillance particulière à la recherche d’un éventuel érythème migrant. Aucune antibioprophylaxie n’est recommandée en cas de piqûre de tique (12). En matière de prévention collective, une étude menée en Alsace a mesuré les effets positifs de la prévention primaire et notamment de l’information et de la sensibilisation des sujets exposés (46). La maladie de Lyme fait actuellement l’objet de travaux de recherche vaccinale aux États-Unis. Aucun vaccin n’est plus disponible depuis l’arrêt de commercialisation du Lymerix ® en 2002 pour des raisons de coût, d’eff icacité et de tolérance (47, 48). Enf in, concernant la collectivité militaire, certaines études au sein des armées ont prouvé l’efficacité préventive vis-à-vis des tiques de répulsifs et/ou insecticides imprégnant des vêtements de combat (49, 50). Conclusion Les borrélioses en ophtalmologie constituent des pathologies certes rares mais non exceptionnelles où l’atteinte neuro-ophtalmologique peut parfois constituer la manifestation inaugurale de l’affection comme ce fut le cas dans ces observations. Dans la forme Européenne de la borréliose de Lyme, l’érythème migrant est moins fréquemment observé que dans la forme américaine, d’où le caractère souvent inaperçu de la phase primaire de la maladie, source d’un retard diagnostique majoré par la fréquente méconnaissance de la morsure de tique. Ainsi, en zone d’endémie, une telle symptomatologie impose la recherche systématique d’une borréliose de Lyme en dépit d’un diagnostic biologique difficile. En effet, les modifications récentes de l’écosystème ainsi que la popularité croissante des activités de loisirs en forêts font que l’ensemble des maladies vectorielles à tiques constitue une menace grandissante en matière de santé publique. Ceci nous impose une vigilance toute particulière vis-à-vis de la collectivité militaire qui constitue par essence une population à risque. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Jaenson TG. The epidemiology of Lyme borreliosis. Parasitology Today, 1991 ; 7 : 39-45. 2. George JC, Chastel C. 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Brinquin c. a Service anesthésie-réanimation, HIA Bégin, 69 avenue de Paris – 94 163 Saint-Mandé Cedex. b Service de biologie, HIA Bégin, 69 avenue de Paris – 94 163 Saint-Mandé Cedex. c Service anesthésie-réanimation, HIA du Val-de-Grâce – 74 boulevard de Port Royal, 75230 Paris Cedex 05. d Service anesthésie-réanimation, HIA Percy, BP 406 – 92 141 Clamart Cedex. Article reçu le 30 juillet 2007, accepté le 30 juin 2009. QUEL EST VOTRE DIAGNOSTIC ? Un homme, âgé de 43 ans, de race noire, séropositif pour le VIH, a été évacué de République Centrafricaine pour des troubles de la conscience. À l’admission, le patient était cachectique. Il était apyrétique, avec une fréquence cardiaque à 90 battements par minute et une tension artérielle à 112/87 mmHg. Sur le plan neurologique, il présentait un score de Glasgow à 14, sans signe de localisation, mais avec une photophobie. L’examen retrouvait par ailleurs une hépatomégalie à un travers de doigt sans splénomégalie associée, des adénopathies inguinales et sus-claviculaires, une candidose buccale et une escarre sacrée. Enf in, le patient était hypoxique avec une saturation à 92 % en air ambiant, l’auscultation retrouvait des crépitants à la base gauche. L’hémogramme montrait une pancytopénie avec une lymphopénie à 304 cellules/mm3 sans neutropénie associée (3150 cellules/mm3), une anémie microcytaire à 9,2 g/dl (VGM à 75 μm 3 ) et une thrombopénie à A. CIRODDE, interne des hôpitaux des armées. F. JANVIER, médecin des armées. M. BORNE, médecin en chef. J.-L. DABAN, interne des hôpitaux des armées. C. SABY, médecin en chef. E. BATJOM, médecin principal. L. BRINQUIN, médecin chef des services. Correspondance : A. CIRODDE, service anesthésie-réanimation, HIA du Val-deGrâce, 74 boulevard Port-Royal, 75230 Paris Cedex 05. E-mail : [email protected] 368 100 000 plaquettes/mm 3 . Il existait une cytolyse hépatique (aspartates amino transférase (ASAT) : 740 UI/l, alanines amino transférases (ALAT): 416 UI/l) sans cholestase associée, des lactico-déhydrogénases (LDH) à 989 UI/l, une légère insuff isance rénale. La C réactive proteine est augmentée à 249 mg/l et des troubles de l’hémostase sont relevés avec un taux de prothrombine à 54 %, un temps de céphaline activée à 47s et un f ibrinogène à 6,1 g/l. Le ionogramme, la calcémie et la glycémie étaient sans anomalies. La recherche de paludisme était négative. La tomodensitométrie mettait en évidence de nombreuses adénomégalies médiastinales, quelques micronodules péribronchovasculaires non spécif iques des lobes supérieurs et un épanchement pleural modéré. L’imagerie par résonance magnétique cérébrale était non contributive. L’électroencéphalogramme ne montrait pas de signe d’encéphalite, ni de signes paroxystiques. Le liquide céphalorachidien (LCR) était clair, normotendu, avec un seul élément nucléé par mm 3 à l’examen direct, une hyperprotéinorachie à 0,67 g/l et une hypoglycorachie à 1,6mmol/l (glycémie = 4 ; 26mmol/l). La culture bactérienne et fongique était négative et la recherche d’antigène était négative pour Cryptococcus neoformans. À J2-J3 est apparue une défaillance multiviscérale avec passage en syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) nécessitant la mise sous ventilation mécanique, une insuff isance rénale aiguë imposant l’épuration extra-rénale, une défaillance circulatoire, une thrombopénie à 19 000 plaquettes/mm 3 , une médecine et armées, 2009, 37, 4, 368-371 cholestase ictérique, une insuffisance hépato-cellulaire et une ferritinémie élevée (21 376 μg/l) dans un contexte fébrile. Un bilan microbiologique réalisé à la recherche d’une infection parasitaire (paludisme avec examens répétés, toxoplasmose, histoplasmose, cryptococcose), virale (infection herpétique, les arboviroses) ou bactérienne (syphilis, légionnelle, Mycoplasma pneumoniae, Chlamydophila pneumoniae) était resté négatif. La recherche initiale de bacilles acido-alcoolo résistants (BAAR) dans un lavage broncho alvéolaire (LBA), des tubages gastriques et dans le LCR était négative. On retrouvait une sérologie VIH positive avec une charge virale > 500 000 copies/ml et des lymphocytes T CD4+ à 23/mm3. Un myélogramme a été réalisé montrant une moëlle osseuse riche, 40 mégacaryocytes par lame, l’absence d’anomalie au niveau des lignées et l’absence de cellules anormales. Par contre, de nombreuses images de phagocytose impliquant des celules macrophagiques étaient relevées (fig. 1). Figure 1. Myélogramme montrant un mégacaryocyte phagocytant des érythrocytes et des mégacaryocytes. QUESTIONS : Quels syndromes évoquez-vous ? quel est votre diagnostic ? Quelles étiologies recherchez-vous ? Quel traitement instaurez-vous ? 369 Syndrome d’activation macrophagique d’origine tuberculeuse chez un patient au stade sida Le diagnostic de choc septique chez un patient immunodéprimé est celui que l’on évoque en premier devant cette défaillance circulatoire aigüe responsable de désordres hémodynamiques, métaboliques et viscéraux (en rapport avec une altération d'extraction de l'oxygène, secondaire à l'invasion massive de l'organisme par un agent infectieux) associée à une hyperthermie. Cependant, le syndrome d’activation macrophagique doit être suspecté devant une f ièvre associée à une bicytopénie et une hyperferritinémie et il est confirmé si l’on retrouve des images d’hémophagocytose sur le myélogramme. Le syndrome d’activation macrophagique (SAM), encore appelé syndrome hémophagocytaire ou syndrome d’activation lymphohistiocytaire, appartient au groupe des histiocytoses réactionnelles (1). Il est la conséquence d’une production non régulée de cytokines aboutissant à une activation et une prolifération lymphocytaire et histiocytaire (2). Il s’agit d’une réponse immunitaire entraînant une hyperactivation lymphocytaire cytotoxique pure. Les cytokines (TNFα, Interleukine 2…) jouent un rôle majeur dans l’amplif ication du syndrome. La clinique est celle d’un tableau « pseudoseptique » : le début est brutal et se présente avec une f ièvre et une altération de l’état général. L’examen physique retrouve une hépatomégalie, une splénomégalie, des adénopathies représentant un syndrome tumoral lymphoïde témoignant d’une infiltration histiocytaire tissulaire. Des manifestations cutanées, pulmonaires et neurologiques peuvent également être présentes. Sur le plan biologique, on observe une pan- ou bicytopénie (anémie arégénérative et thrombopénie), une hyperferritinémie supérieure à 3 000 μg/l, une hypertriglycéridémie et des LDH augmentées. Peuvent être également présents des troubles de l’hémostase (fibrinopénie, coagulation intravasculaire disséminée rare), une cytolyse hépatique (3, 4). Le diagnostic de conf irmation est cytologique et histologique avec mise en évidence d’images d’hémophagocytose dans tout le système réticuloendothélial. Le myélogramme est l’examen clé : il est de richesse normale, la lignée mégacaryocytaire est hyperplasique, les macrophages hémophages représentent plus de 2 % des cellules nucléées et une activité phagocytaire aux dépends des cellules des différentes lignées est présente. Les étiologies sont principalement représentées par les infections et les néoplasies. Les infections les plus fréquemment en cause sont virales avec au 1er rang les infections virales à Epstein Barr Virus (EBV), suivies par celles impliquant les herpes simplex virus (HSV), le cytomégalovirus (CMV), 370 l’Adenovirus 7, les virus Para-influenzae ou le VIH. Les étiologies bactériennes concernent principalement les infections à bactéries intracellulaires qui font intervenir l’immunité cellulaire comme la tuberculose. Des infections parasitaires (histoplasmose, leishmaniose…) et fongiques sont également impliquées. Des causes néoplasiques comme les lymphomes représentent 30 % des étiologies, principalement les lymphomes non hodgkiniens (3). Dans notre observation, la seule étiologie initialement documentée était l’infection à VIH et avait conduit à l’instauration d’une trithérapie à J9. A J12, le patient avait présenté une hématémèse qui avait nécessité une f ibroscopie oeso-gastro-duodénale. Cette f ibros-copie avait retrouvé une gastrite hémorragique et les biopsies étaient en faveur d’une infection à CMV, avec un aspect également évocateur du un fond d’œil. Un traitement par foscarnet avait été débuté. A J15, les résultats de la mise en culture du tubage gastrique nous parvenaient avec présence de Mycobacterium tuberculosis. M. tuberculosis était retrouvé par la suite dans la myéloculture et dans les prélèvements pulmonaires distaux protégés. Il s’agissait donc d’une tuberculose disséminée chez un patient immunodéprimé. Une étude anglaise recensant 36 cas de SAM liés à la tuberculose avait montré que dans 83 % il s’agissait de tuberculose extrapulmonaire, la mortalité étant de 100 % en l’absence de traitement. Par contre 60 % des patients ayant reçu le traitement étiologique associé à un traitement immunomodulateur avaient guéri (5). Le traitement Devant la suspicion d’un choc septique, une antibiothérapie probabiliste doit être débutée en urgence après les prélèvements infectieux. De même pour le SAM, le traitement étiologique adapté à l’étiologie identifiée est primordial : antiviraux, antibiotiques… En l’absence de traitement étiologique les signes de SAM réapparaîtront quelques jours ou semaines après le traitement « symptomatique » (2). Mais le SAM requiert également un traitement spécif ique immunomodulateur: les immunoglobulines polyvalentes administrées par voie intra-veineuse (1 g/kg/j pendant 2 jours) sont recommandées pour les causes infectieuses (6). Elles agissent en modulant l’action des cytokines (TNFα, Interleukine 1, Interleukine 2). L’Etoposide, qui a pour cible les macrophages, a démontré sa supériorité pour le SAM lié à l’EBV (7). Notre patient avait bénéf icié de 0,5 g/kg/j d’immunoglobulines polyvalentes pendant 4 jours du fait d’une insuff isance rénale. Par la suite, l’état du patient s’est notablement amélioré, tant sur le plan clinique que biologique : on a pu noter une réascension des plaquettes quatre jours après le début du traitement immunomodulateur (fig. 2). Il a pu être extubé à J22 et a été transféré à J38 dans le service des maladies infectieuses et tropicales. a. cirrode Figure 2. Régression de la thrombopénie quatre jours après l’instauration du traitement par immunoglobulines polyvalentes (Ig). Conclusion Le tableau clinique et biologique du syndrome d’activation macrophagique est proche de celui d’un tableau infectieux systémique, ce qui nous fait probablement sous-estimer sa fréquence. Un diagnostic précoce est fondamental étant donné la sévérité de l’évolution avec une mortalité allant de 22 à 62 % selon les études. Il s’agit d’un syndrome qu’il faut savoir reconnaître et traiter en urgence, au même titre que le choc septique. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Fain O, Stinemann J. Le syndrome d’activation macrophagique. Rev Prat 2004 ; 54 : 935-9. 2. Créput C, Galicier L, Oksenhendler E, Azoulay E. Syndrome d’activation lymphohistiocytaire : revue de la littérature, implication en réanimation. Réanimation 2005 ; 14 : 604-13. 3. Swiader L, Disdier P, Harle JR, Weiller PJ. Syndrome d’activation macrophagique. In : Kahn MF, Peltier AP, Meyer O, Piette JC. Maladies dites systémiques. Paris : Flammarion Médecine, 2000. 4. Karras A, Hermine O. Syndrome d’activation macrophagique. Rev quel est votre diagnostic ? Med Interne 2002 ; 23 : 768-78. 5. Brastianos P, Swanson J, Torbenson M, Sperati J, Karakousis P. Tuberculosis-associated haemophagocytic syndrome. Lancet Infect Dis 2006 ; 6 : 447-54. 6. Larroche C, Bruneel F, André MH, Bader-Meunier B, Baruchel A, Tribout B, Genereau T et al. Les immunoglobulines intra-veineuses dans les syndromes d’activation macrophagique secondaires. Ann Med Interne 2000 ; 151 (7) : 533-9. 7. Imashuku S. Advances in the management of hemophagocytic lymphohistiocytosis. Int J Hematol 2000 ; 72 : 1-11. 371 VIENT DE PARAÎTRE LES PSY EN INTERVENTION Sous la direction de Patrick ClERVOY avec la collaboration de Yann A NDRUÉTAN , François-Xavier BROCQ, Marie-Dominique COLAS, Thierry CRUZ, Aline DELAHAYE, Maryse DEVAUX, Jean-Michel FORET, Nelly LAVILLUNIERE, Gwion LOARER, Franck De MONTLEAU, Sylvie PEREZ, Catherine PINSON, Anne-Laure SEYEUX, Paul STORAI, Virginie VAUTIER. Catastrophes, accidents, drames… Les médias annoncent : « Les victimes sont sous le choc ; des PSY ont été réquisitionnés pour les assister ». Qui sont ces PSY ? D’où viennent-ils ? De quelle expérience se prévalent-ils ? Comment procèdent-ils et comment réfléchissent-ils à leurs pratiques ? Autant de questions sur lesquelles des hommes et des femmes ont accepté de témoigner. Ils ou elles sont psychologues, médecins, psychiatres. Ils ont été conduits à intervenir en situation exceptionnelle, hors de leurs murs. Ils sont partis dans des conditions improvisées dictées par les circonstances. Ils ont fait face à des situations aussi diverses qu’inattendues, parfois dans des conditions périlleuses pour eux-mêmes, souvent en ayant à expliquer et justifier leur travail en même temps que l’urgence leur commandait de le faire. Le cadre commun de l’ensemble des témoignages qui suivent est l’institution militaire. Loin de le réduire, ce cadre donne à ces témoignages une dimension paradigmatique, c’est-à-dire de démonstration par l’exemple. Plus qu’ailleurs se pose ici la question de la pertinence et de la légitimité de l’intervention médico-psychologique : quels sont les buts de ces actions, comment en sont déterminés les acteurs, quelles sont les contraintes avec lesquelles ils doivent composer. Ce cadre est aussi paradigmatique d’une autre question sensible : au profit de qui se conduit l’intervention ? De l’individu ou du collectif ? En effet, une longue discussion peut commencer sur la question : « ça arrange qui ? » Les victimes y trouvent l’occasion d’être désignées et reconnues en tant que telles et parfois en obtenir quelques avantages. Pour ceux qui l’ont commandée, les décideurs, l’intervention médico-psychologique est l’attestation qu’ils se soucient de leurs personnels. Il peut même se dire qu’ils y trouvent une bonne conscience, que cela détourne l’attention des critiques qui mettent en cause leur éventuelle responsabilité dans la survenue de l’évènement dramatique. Et puis il peut y avoir aussi la satisfaction des PSY eux-mêmes, de faire du tourisme de crise à peu de frais et d’en obtenir des gratifications narcissiques, d’être reconnu comme le « monsieur psy des catastrophes » ou le « monsieur psy des otages », de revêtir la panoplie du héros moderne, à la fois aventurier et sauveteur. C’est la caricature de ces actions qui peut être lue dans différents ouvrages critiques qui dénoncent l’intervention médico-psychologique comme un petit théâtre où les rôles, les choses dites et les choses faites ont été préparés bien à l’avance pour attirer et endormir en même temps la conscience du citoyen à l’écoute des medias. Les témoignages qui suivent montrent qu’on est loin de cette caricature. Avec la transparence et la réserve nécessaire, les auteurs ont accepté de s’exposer, de dire leur pratique et de la soumettre à la critique de leurs pairs. L’originalité des témoignages qui suivent est l’inscription de ces différentes actions dans le même tissu institutionnel accompagné d’un échange entre chaque acteur, ce qui donne à leur travail une mise en perspective qui articule et en évalue chaque temps ; c’était l’esprit d’une première réunion des acteurs militaires du soutien psychologique qui s’est tenue à Toulon en 2008. Ces témoignages portent aussi un éclairage singulier sur ce temps où se noue, pour les victimes, leurs familles, les sauveteurs et les PSY, ce moment crucial où l’un va à la rencontre de l’autre avec en point de mire l’intense humanité qui s’en éprouve. ISBN : 978 2 7040 1275 6 – Format : 15x21 cm – Pages : 204 – Prix : 26 € – Doin Éditions – www lirairie-sante.fr 372 Épidémiologie Toxi-infection alimentaire collective à Clostridium perfringens chez les sapeurs pompiers de Paris : intérêt d’une investigation même en cas de faible effectif. A. Mayet a, N. Chai b, C. Bougherra a, V. Rous c, G. Lagathu d, S. Duron a, C. Verret a, J.-B. Meynard a, É. Nicand d, R. Migliani a. a Département d’épidémiologie et de santé publique nord, École du Val-de-Grâce, Îlot Bégin, 69 avenue de Paris – 94 163 Saint Mandé Cedex. b Brigade des sapeurs pompiers de Paris, 3e groupement d’incendie, 12-14 rue Henri Régnault – 92400 Courbevoie. c École militaire, Secteur vétérinaire, 1 place Joffre – 75007 Paris. d HIA du Val-de-Grâce, service de biologie, 74 boulevard de Port Royal – 75230 Paris Cedex 05. Article reçu le 9 décembre 2008, accepté le 25 juin 2009. Résumé Suite à la survenue de 11 cas de diarrhée à la Brigade des sapeurs pompiers de Paris le 14 août 2008, une investigation épidémiologique et vétérinaire a été menée. L’objectif était de confirmer le caractère épidémique de l’épisode et d’identifier le plat contaminant. L’enquête alimentaire était de type cohorte rétrospective. Le taux d’attaque de l’épidémie était de 11 cas pour 42 convives. Une diarrhée liquide était rapportée par les 11 malades. La courbe épidémique était en faveur d’une durée d’incubation de 12 heures et semblait désigner le dîner du 13 août comme repas contaminant. L’enquête alimentaire retrouvait un risque relatif lié au chili con carne qui, bien que non significatif, se démarquait des autres plats consommés. Clostridium perfringens et sa toxine ont été retrouvés dans les selles de huit patients. L’analyse alimentaire a par ailleurs retrouvé le même germe dans le plat incriminé, avec un profil génétique concordant. Malgré une enquête alimentaire non significative en raison du faible effectif, l’investigation a été contributive tant sur le plan épidémiologique que vétérinaire et biologique. Des défauts liés à la préparation du plat permettaient d’expliquer le mécanisme de survenue de cette toxi-infection alimentaire collective. Les préparations à base de viande, préparées à l’avance et refroidies trop lentement, prédisposent en effet à la croissance et à la multiplication de C. perfringens. Mots-clés : Clostridium perfringens. Restauration collective. Toxi-infection alimentaire collective. CLOSTRIDIUM PERFRINGENS RELATED FOOD POISONING OUTBREAK AMONG FIRE SOLDIERS IN PARIS: INVESTIGATION IS SUITABLE DESPITE A LOW POPULATION SIZE. Abstract After 11 diarrhoea cases were reported August 14th, 2008 among fire soldiers in Paris, an epidemiological and veterinary investigation was conducted to confirm whether the outbreak was epidemic and to identify the contaminating food. A retrospective cohort study was conducted. Attack rate was 11 cases for 42 eaters. All patients reported liquid diarrhea. Epidemic curve data showing a 12 to 24-hour incubation period seemed to identify the August 13th dinner as the source of contamination. A chili con carne course was more associated with reported symptoms than other courses, despite this association was non significant. Same Clostridium perfringens bacteria and toxin were isolated in eight patients’ feces. A food analysis also has isolated the same germ in the questioned food as well as a genetic profile match. Despite a low population size, this investigation showed significant epidemiological veterinary and biological results. Faults concerning meal preparation were identified which enabled to explain the mechanism of this collective food poisoning outbreak,. Meatbased meals if early prepared and too slowly cooled actually,clearly predispose to C. perfringens growth and multiplication. Keywords: Clostridium perfringens. Collective catering. Food poisoning outbreak. A. MAYET, médecin principal, praticien confirmé. N. CHAI, médecin. C. BOUGHERRA, médecin capitaine. V. ROUS, vétérinaire principal, praticien certifié. G. LAGATHU, médecin principal, praticien certifié. S. DURON, médecin principal, praticien confirmé. C. VERRET, médecin en chef, praticien certifié. J.-B. MEYNARD, médecin en chef, praticien certifié. É. NICAND, médecin en chef, praticien certifié. R. MIGLIANI, médecin chef des services, professeur agrégé du Val-de-Grâce. Correspondance: A. MAYET, Département d’épidémiologie et de santé publique nord, École du Val-de-Grâce. Ilôt Bégin, 69 avenue de Paris – 94163 Saint Mandé Cedex. E.mail : [email protected] médecine et armées, 2009, 37, 4, 373-376 Introduction Un foyer de toxi-infection alimentaire collective (TIAC) est défini par la survenue d’au moins deux cas d’une symptomatologie similaire, en général digestive, dont on peut rapporter la cause à une même origine alimentaire (1). Le Service de santé des armées (SSA) a adopté une définition plus restrictive, correspondant aux 373 accidents les plus fréquemment observés en restauration collective : accidents aigus d’allure toxique consécutifs à l’ingestion d’aliments contaminés par des bactéries ou par les produits de leur métabolisme (2). Toute TIAC doit faire l’objet d’une déclaration à la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) ou la Direction départementale des services vétérinaires (DDSV) du lieu de survenue. En milieu militaire, tout médecin, devant une suspicion de TIAC, doit alerter en premier lieu le Département d’épidémiologie et de santé publique (DESP) de rattachement, structure appartenant au SSA, qui mène l’investigation en collaboration avec les services vétérinaires militaires, et transmet les informations obtenues à la DDASS (3). La grande majorité des foyers de TIAC déclarés en France entre 1996 et 2005 ne concernaient qu’un petit nombre de patients (médiane de 9 malades pour les foyers déclarés en restauration collective) (1). Sur les 8 514 foyers de TIAC déclarés, seul 2 667 (31 %) ont bénéficié d’une conf irmation microbiologique de l’agent responsable. Si les germes du groupe Salmonelle étaient le plus souvent retrouvés (64 % des foyers), Clostridium perfringens était impliqué dans 5,1 % des foyers. En milieu militaire, 165 foyers de TIAC ont été déclarés entre 1997 et 2007, dont 84 en métropole. Ces TIAC sont survenues au sein d’un organisme de restauration collective dans 72 % des cas. En 2007, sept TIAC sont survenues dans les armées, pour un total de 244 patients. La quasi-totalité de ces TIAC concernait un organisme de restauration collective. Le jeudi 14 août 2008 vers 13 heures, un médecin de la Brigade des sapeurs pompiers de Paris (BSPP), alertait le DESP Nord pour une suspicion de TIAC. Dans la nuit et la matinée, 11 pompiers appartenant à un même poste de secours avaient présenté des signes digestifs avec prédominance de diarrhées et de douleurs abdominales. Ces malades ont été pris en charge par le médecin du service médical du groupement, qui a alerté la Direction régionale du Service de santé des armées de Saint-Germain en Laye et le secteur vétérinaire de Paris. L’alerte auprès de la DDASS de Paris a été donnée par l’épidémiologiste du DESP Nord. L’objectif de ce travail est de présenter les résultats de l’investigation de cet épisode. Sujets et méthode Les objectifs de l’investigation épidémiologique étaient de confirmer le caractère épidémique de l’épisode et d’identifier le plat contaminant, et ceux de l’enquête vétérinaire étaient de mettre en évidence les modalités de contamination de ce plat (2, 4). L’effectif du poste de secours étant de 50 personnes, il a été décidé de mener une enquête de cohorte rétrospective. Les questionnaires alimentaires ont été administrés par le médecin du groupement. Un cas a été défini comme un pompier du poste de secours ayant présenté, entre le 13 et le 14 août 2008, au moins une diarrhée (minimum de deux selles liquides par jour). Pour chaque plat, le taux d’attaque de la maladie a été comparé chez les consommateurs et les nonconsommateurs. Le risque relatif (RR) été calculé afin de mesurer la force de l’association entre la consommation 374 du plat et la survenue de la maladie. Les données ont été analysées avec le logiciel Epi-Info version 6.04dfr. L’analyse des selles des patients a été effectuée par le laboratoire de biologie médicale de l’Hôpital d’instruction des armées du Val-de-Grâce. L’enquête auprès de l’organisme de restauration a été réalisée par un vétérinaire du secteur vétérinaire militaire de Paris, qui a prélevé les plats témoins des trois jours précédant la TIAC. La congélation de ces plats a permis d’attendre que l’enquête épidémiologique apporte les éléments nécessaires pour cibler l’analyse bactériologique sur les plats suspectés. Cette analyse a été effectuée par le laboratoire du commissariat de l’armée de Terre d’Angers. Le génotypage des souches bactériennes isolées dans les selles des patients et au niveau alimentaire a été réalisée par le Centre national de référence des bactéries anaérobies par technique d’amplif ication génique Polymerase chain reaction (PCR). Résultats Enquête épidémiologique Au moment de l’enquête, huit sujets étaient absents en raison d’une permission ou d’un repos de récupération post garde. Sur les 42 convives interrogés, 11 pouvaient être considérés comme malades. Le taux d’attaque de l’épidémie était donc de 26 %. Un des malades était une femme. La moyenne d’âge des cas était de 26 ans (extrêmes : 22 – 34 ans). Les malades, tous apyrétiques, rapportaient quatre selles liquides par jour en moyenne, cette diarrhée étant associée à des douleurs abdominales dans 82 % des cas (fig. 1). Aucune hospitalisation n’a été rapportée et les symptômes, régressifs en moins de 24 heures sous traitement symptomatique, n’ont pas occasionné d’indisponibilité chez les cas. La date de début des symptômes était connue pour dix malades. Le premier cas est survenu le 13 août vers 23 h 30 et le dernier, le 14 août vers midi. Les données de la courbe épidémique étaient en faveur d’une durée d’incubation de 12 heures et semblaient désigner le dîner du 13 août 2008 comme repas contaminant (fig. 2). Un prélèvement de selles a été réalisé chez neuf malades. Huit échantillons (89 %) sont revenus positifs à Clostridium perfringens (entre 104 et 108 unités formant colonie (UFC) par millilitre). La recherche de l’entérotoxine A de C. perfringens par PCR était positive chez ces huit patients. Un examen clinique, à la recherche d’une symptomatologie digestive et de lésions cutanées, a Figure 1. Distribution des symptômes survenus chez les 11 malades. a. mayet 1. Durée d’incubation estimée en retranchant l’heure de survenue du premier cas (23 h 30) à celle du dernier cas (12 h 00 le lendemain), ce qui donne environ 12 heures. 2. Heure du repas contaminant estimée en retranchant la durée d’incubation à l’heure de survenue du cas médian (09 h 00), ce qui donne approximativement 21 h 00, soit l’heure du dîner. Figure 2. Courbe épidémique. été effectué auprès des cuisiniers ayant préparé les aliments. Ces sujets ne présentaient aucun signe clinique particulier. Si l’enquête alimentaire devait initialement porter sur tous les repas du lundi 11 août au mercredi 13 août, les populations de malades et non-malades n’étaient comparables que pour les repas du 13 août car la majorité des pompiers du poste de secours avaient mangé à leur domicile les jours précédents. Aucun aliment n’était significativement associé à la survenue des symptômes (tab. I). Certains risques relatifs, dont celui lié au chili con carne, ne pouvaient être calculés en raison de l’absence de malades chez les non consommateurs. Le dîner du 13 août paraissant à risque d’après les données de la courbe épidémique, le risque lié au chili con carne a donc été approximé en ajoutant 0,5 à chaque catégorie d’effectif (consommateurs malades, consommateurs non malades, non consommateurs malades, non consommateurs non malades). Ce risque relatif était égal à 3,5 et, bien que non significatif (p = 0,3), semblait se démarquer nettement des risques liés à la consommation des autres aliments servis au dîner (RR inférieurs à 1). Enquête vétérinaire La recherche alimentaire de C. perfringens a concerné les denrées suivantes, servies le 13 août : rouelle de porc, chili con carne, poêlée de légumes et riz. Une recherche de Bacillus cereus a également été demandée compte tenu des symptômes classiquement induits par cette bactérie et de la nature des plats suspects (riz en particulier), compatibles avec le tableau précédemment décrit (5). Les analyses ont permis d’identif ier la présence de C. perfringens à 150 UFC/g dans le plat de chili con carne. La recherche de B. cereus s’est révélée négative dans la totalité des échantillons analysés. Les souches de C. perfringens retrouvées dans le plat et dans les selles des patients se sont révélées identiques après génotypage (présence du gène alpha et du gène de l’entérotoxine). Lors de l’inspection des cuisines, les températures des enceintes frigorif iques de stockage des matières premières ont été jugées conformes aux exigences réglementaires, mais des écarts ont été constatés dans les modalités d’élaboration du chili con carne. Ce plat avait été préparé en début d’après-midi, puis refroidi dans un simple réfrigérateur avant d’être réchauffé pour le service du soir. Ainsi, les couples temps/température associés aux phases de refroidissement et de réchauffage n’ont fait l’objet d’aucune maîtrise. Discussion Un foyer de TIAC, comportant 11 cas, est survenu à la BSPP le 14 août 2008. La symptomatologie était dominée par une diarrhée liquide et des douleurs abdominales. Ces symptômes et la structure de la courbe épidémique évoquaient une infection à C. perfringens à partir d’une source commune ponctuelle qui semblait être le dîner du 13 août (6). La consommation de chili con carne à ce repas était de plus associée à une morbidité 3,5 fois plus élevée, bien que ce risque soit non significatif. La présence de huit échantillons de selles positifs à C. perfringens chez les malades, tant sur le plan bactériologique que toxinique, confirmait l’hypothèse initiale. La grande majorité des foyers de TIAC ne concernent qu’un faible effectif (1). L’enquête épidémiologique alimentaire est dans ce cas rarement contributive en raison d’un manque de puissance statistique, d’où l’intérêt de prélever au plus vite les patients pour rechercher l’agent responsable. Les signes cliniques, fournissant des indications sur l’agent potentiellement impliqué, et la courbe épidémique, renseignant sur la cinétique de l’épidémie, permettent aussi, malgré le faible nombre de patients, d’émettre des hypothèses rapides quant au repas contaminant et à l’agent responsable, ce qui permet de cibler l’investigation vétérinaire même en l’absence de résultats d’enquête Tableau I. Résultats de l’enquête alimentaire (Plats servis le 13 août 2008). Repas Consommateurs Non consommateurs Taux d’attaque % Nb malades/Total Taux d’attaque % Nb malades/Total Risque relatif (RR) et intervalle de confiance 95 % RR IC 95 % p 1,0 Déjeuner mercredi 13 août Quiche lorraine 27 8/28 33 2/6 0,9 0,2-3,1 Rôti de porc et jardinière 30 10/33 0 0/1 1,2* - 1,0 Éclair au chocolat 31 9/29 20 1/5 1,6 0,3-10,0 1,0 35 7/20 50 2/4 0,7 0,2-2,2 0,6 Dîner mercredi 13 août Feuilleté viande Chili con carne 43 9/21 0 0/3 3,5* - 0,3 Crème dessert 21 3/14 60 6/10 0,4 0,1-1,1 0,09 *Approximation du RR estimée en ajoutant 0,5 dans chaque catégorie d’effectifs, soit RR = (10,5/33)/(0,5/1) pour le rôti de porc-jardinière, et RR = (9,5/22)/(0,5/4) pour le chili con carne. toxi-infection alimentaire collective à clostridium perfringens chez les sapeurs pompiers de paris : intérêt d’une investigation même en cas de faible effectif 375 alimentaire exploitables. Soulignons enfin l’importance de la PCR, rapide à mettre en œuvre, dans la confirmation d’une TIAC à C. perfringens (7, 8). Compte tenu des examens microbiologiques alimentaires effectués, le plat en cause à été identifié comme étant le chili con carne. Les valeurs obtenues pour le critère C. perfringens (150 UFC/g) étaient toutefois inférieures aux seuils classiquement décrits pour induire l’apparition des symptômes (10 5 UFC/g). Il n'est cependant pas certain que l'analyse de produits ayant subi une congélation, susceptible d’affecter le niveau de contamination, soit totalement représentative de l'état des produits au jour de leur consommation (9). Il est en effet recommandé que les repas témoins soient conservés au froid positif, entre 0 et 4 °C (10). L’absence de maîtrise du processus de refroidissement permet d’expliquer le mécanisme de survenue de la TIAC. En effet, C. perfringens est souvent à l’origine de toxi-infections alimentaires compte tenu de ses principales caractéristiques microbiologiques : très largement répandu dans l’environnement et souvent présent dans les matières premières en petites quantités, cet agent croît rapidement dans une plage de température comprise entre 10 et 50 °C en produisant des spores très résistantes à la chaleur. La cuisson ne détruit donc pas ces spores et favorise même les conditions d’anaérobiose propices à la germination de cette bactérie au cours du refroidissement (6, 11). Les conditions de cuisson et de conservation ultérieure des préparations culinaires sont par conséquent déterminantes sur l’évolution du niveau de contamination. Les préparations à base de viande en sauce, ainsi que les préparations à forte teneur en amidon (comme les haricots rouges) qui sont cuites en quantité importante, à l’avance et avec un refroidissement trop lent constituent des facteurs de risque déterminants. L’ingestion de grandes quantités de clostridies provoque in vivo la synthèse de l’entérotoxine que l’on peut ensuite isoler dans les selles des personnes malades. Conclusion En conclusion, un faible nombre de malades ne doit pas conduire à éluder l’investigation d’un épisode de TIAC, qui est encadrée par des textes règlementaires et reste obligatoire dans tous les cas (3, 4). Les données cliniques, épidémiologiques et biologiques peuvent, de plus, être contributives même en l’absence d’une enquête alimentaire exploitable. Dans l’épisode présent, toutes les conditions ont été réunies pour aboutir à une TIAC qui aurait facilement pu être évitée en respectant les bonnes pratiques hygiéniques et les principes de maîtrise des risques. À l’issue de l’épisode, des rappels concernant les cycles de refroidissement et de réchauffage des préparations culinaires ont donc été émises à l’attention de l’organisme de restauration collective. En ce qui concerne la liaison chaude, les préparations culinaires destinées à être conservées à la chaleur jusqu'au moment de leur consommation doivent être, dès la fin du dernier traitement thermique, maintenues à une température supérieure ou égale à +63 °C (10). C'est pour cela qu'il est indispensable de réaliser des autocontrôles réguliers et fréquents des températures, à chaque étape de préparation, depuis la cuisson jusqu'au service. En ce qui concerne la liaison froide, les préparations culinaires destinées à être conservées par le froid doivent être rapidement refroidies après le dernier stade de leur élaboration, c'est à dire que leur température à cœur ne doit pas demeurer à des valeurs comprises entre +10 °C et +63 °C pendant plus de deux heures. Après refroidissement, ces denrées doivent être conservées dans une enceinte dont la température est située entre 0 °C et +3 °C. La remise en température est opérée de telle manière que la température à cœur des préparations ne demeure pas pendant plus d'une heure à des valeurs comprises entre +10 °C et +63 °C. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Delmas G, Gallay A, Éspié E, Haeghebaert S, Pihier N, Weill FX et al. Les toxi-infections alimentaires collectives en France entre 1996 et2005. Bulletin épidémiologique hebdomadaire 2006 ; 51-52 : 418-22. 2. Buisson Y, Teyssou R. Les toxi-infections alimentaires collectives. Revue francophone des laboratoires 2002 ; 348 : 61-6. 3. Instruction ministérielle N° 1000/DEF/DCSSA/AST/TEC/2 du 8 novembre 2001 relative aux outils de la surveillance épidémiologique dans les armées. 4. Instruction ministérielle N° 1180/DEF/DCSSA/AST/TEC/1 du 16 mai 1994 relative à la prophylaxie des maladies transmissibles dans les armées. 5. Ankolekar C, Rahmati T, Labbe RG. Detection of toxigenic Bacillus cereus and Bacillus thuringiensis spores in U.S. rice. 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Garches. d Service de Neurochirurgie, HIA Percy, 101 avenue Henri Barbusse, BP 406 – 92141 Clamart Cedex. e Institution Nationale des Invalides, 6 boulevard des Invalides – 75700 Paris 07. f Service de Médecine Physique et Réadaptation. HIA Percy, 101 avenue Henri Barbusse, BP 406 – 92141 Clamart Cedex. g Service de soins et Réadaptation pour traumatismes crâniens. Hôpital Nord. Villeneuve La Garenne. Article reçu le 13 février 2009, accepté le 9 juillet 2009. Résumé Les traumatismes crâniens sont particulièrement fréquents dans la population jeune et les travaux récents montrent la forte prévalence des déficits hormonaux qui sont le plus souvent négligés ou méconnus, ce qui invite à leur dépistage systématique. L’étude DETRAC (Etude des Déficits Endocriniens chez les TRAumatisés Crâniens) repose sur le dépistage d’un déficit hypophysaire chez des traumatisés crâniens. Cette cohorte comporte 105 malades, 32 femmes et 73 hommes âgés de 40,7 ± 15,5 ans. Les dosages ont été pratiqués et centralisés à l’HIA Bégin. Comme dans les autres travaux de la littérature, les différents déficits hormonaux concernent l'ensemble des axes hypophysaires. Les plus souvent touchés sont représentés par les axes gonadotrope (39 % des cas), thyréotrope (11 %) et corticotrope (10 %). Suspecté sur des taux de base de GH et d’IGF1 effondrés dans 38 % des observations, un déficit somatotrope n’a été confirmé que dans 3 des 6 observations où des explorations dynamiques ont pu être réalisées. Ces premiers résultats confirment la grande fréquence des déficits hormonaux des traumatisés crâniens et soulignent l’intérêt de leur diagnostic puis de leur traitement. Une meilleure coordination des soins reposant sur un échange entre neurochirurgiens, médecins de médecine physique et endocrinologues est donc indispensable pour aboutir à une bonne prise en charge de ces malades. Mots-clés : Insuffisance hypophysaire. Traumatisme crânien. PITUITARY DEFICIENCIES AFTER TRAUMATIC BRAIN INJURY : THE RESULTS OF DETRAC STUDY. Abstract Traumatic brain injury frequently appears in young population and recent publications reveal the high prevalence of pituitary deficiencies often underestimated or neglected on a first time. These deficiencies must be systematically detected. The target of DETRAC study (Etude des Déficits Endocriniens chez les TRAumatisés Crâniens) was to evaluate pituitary dysfunctions after traumatic brain injury. One hundred five patients have been enrolled, 32 females and 73 males aged 40.7±15.5 years. Hormonal dosages were centralised and measured in the Biochemestry Department of Bégin Military Hospital. Like in previous published studies, pituitary deficiencies regard all axes. Gonadotropic (39 %), thyrotropic (11 %) and corticotropic (10 %) insufficiencies have been the most commonly encountered ones. A somatotropic deficiency assessed with low GH and IGF1 basic rates has been suspected in 38 %. In our study, this deficiency unfortunately has been proved in only three of the six patients who underwent stimulations dosages. Our data support the high prevalence of pituitary deficiencies subsequent to traumatic brain injuries and enhance their significant diagnosis then treatment. Neurosurgeons, rehabilitation centers medical doctors and endocrinologists have to better exchange to reach a better co-ordination so as to make these patients’ care correct. Keywords: Pituitary deficiency. Traumatic brain injury. L. BORDIER, médecin en chef. F. CEPPA pharmacien en chef. P. AZOUVY, F. GENET, F. DE SOULTRAIT, O. GOASGUEN, médecin en chef. P. HUGEUX, J. LE GUILLOUX, médecin en chef. MC GOUPY, F. PETIT, D. ROGES, R. LAFAYE DE MICHEAUX, médecin en chef. E. LAPEYRE, médecin en chef. C. KIEFEr, O. DUPUY, médecin en chef. H. MAYAUDON, médecin en chef. B. BAUDUCEAU, médecin chef des services. Correspondance : B. BAUDUCEAU, Service d’endocrinologie, Hôpital d’instruction des armées Bégin, 69 avenue de Paris – 94 163 Saint-Mandé Cedex. E. mail : [email protected] médecine et armées, 2009, 37, 4, 377-380 Introduction. Les traumatismes crâniens notamment ceux qui sont la conséquence des accidents de la voie publique sont particulièrement fréquents dans la population jeune et surtout masculine (1). Les travaux récents montrent la forte prévalence des déficits hormonaux qui sont le plus 377 souvent négligés ou méconnus ce qui invite à leur dépistage systématique (2). La population militaire, jeune et exposée aux traumatismes est particulièrement concernée par ce phénomène, aussi bien en France que lors des Opérations Extérieures. Ce fait invite à généraliser le dépistage et la prise en charge des déficits hormonaux des traumatisés crâniens. Ainsi, la détermination de la prévalence des atteintes hypophysaires et l’évaluation des conséquences des perturbations hormonales doivent aboutir à une hormonothérapie substitutive dans le but d’améliorer l’état clinique de ces victimes. C’est dans cette perspective que l’étude DETRAC (Etude des Déficits Endocriniens chez les TRAumatisés Crâniens) a été initiée. L’étude DETRAC Patients et méthodes L’étude DETRAC repose sur le dépistage des déficits hypophysaires chez 105 traumatisés crâniens recrutés de façon prospective dans des services de neurochirurgie ou de rééducation fonctionnelle qui les prennent en charge régulièrement. Cette étude a reçu l’agrément du comité d’éthique et des expérimentations de l’HIA Bégin. Les malades ont donné leur consentement écrit après avoir reçu une explication orale et une fiche d’information de ce protocole avant leur inclusion. Cette cohorte est composée de 32 femmes et 73 hommes âgés de 40,7 ± 15,5 ans. Ces sujets ont été victimes d’un traumatisme crânien de gravité moyenne à sévère, le plus souvent à l’occasion d’un accident de la voie publique dont l’ancienneté est de 3,3 ± 3,4 ans. Les centres de Rééducation et de Neurochirurgie en charge de ces malades ont complété une fiche comportant les données de la gravité du traumatisme initial et les éléments cliniques essentiels à l'évaluation de l'état du malade. Une échelle de qualité de vie a également été renseignée avant tout traitement. Un bilan hormonal complet mais facile à réaliser, a été effectué dans les différents centres : – axe somatotrope : GH et IGF1 ; – axe gonadotrope : FSH et LH, testostérone ou œstradiol ; – axe corticotrope : ACTH et cortisol ; – axe thyréotrope : TSH et T4 Libre ; – prolactine. Ces différents dosages ont été centralisés et effectués dans le service de biochimie de l'HIA Bégin. En cas d'anomalie de l’une des composantes de ce bilan de débrouillage, un traitement substitutif a été initié. Les patients qui le nécessitaient ont été explorés par des tests dynamiques lors d'une hospitalisation de jour dans le service d'endocrinologie de l'HIA Bégin. L'exploitation des données cliniques et biologiques a été assurée par le service d'endocrinologie de l'HIA Bégin. Résultats Le traumatisme crânien de ces blessés était très sévère dans 64 % des cas, responsable d’un état initial préoccupant avec un Indice de Glasgow à 7,8 ± 3,8 et une 378 durée initiale du coma de 18,9 ±25 jours. Une intervention neurochirurgicale a été réalisée dans 22 % des cas. La durée de l’amnésie post-traumatique était de 47 ± 58 jours et persistait chez 19 % des blessés. Près de la moitié des sujets conservait une fatigabilité importante mais leur état était en voie d’amélioration dans plus de 80 % des cas. Il persistait cependant d’importantes séquelles des fonctions cérébrales dans un tiers des cas et des fonctions motrices chez plus de 50 % des malades. Les différents déf icits hormonaux concernaient l'ensemble des axes hypophysaires. Seuls 28 blessés ne présentaient aucune anomalie hormonale. De façon un peu surprenante, un diabète insipide transitoire n’a été noté que dans deux observations. Plus de la moitié des malades présentait une anomalie hormonale (54 cas), 19 traumatisés (18 %) avaient un double déf icit et 4 d’entre eux (4 %) une atteinte de trois axes. Une grande partie de ces anomalies seraient passées inaperçues en l’absence du dépistage systématique réalisé au cours de l’étude DETRAC. Les perturbations les plus souvent observées touchaient les axes gonadotrope (39 % des cas), thyréotrope (11 %) et corticotrope (10 %). Suspecté sur des taux de base de GH et d’IGF1 effondrés dans 38 % des observations, un déf icit somatotrope n’a été conf irmé que dans 3 des 6 observations par les explorations dynamiques qui ont pu être réalisées. Enf in la prolactine dépassait 30 mcg/l chez 14 blessés (13 %) pouvant résulter d’un certain degré de déconnection hypothalamo-hypophysaire mais également de la prise de médicaments fréquemment utilisés dans ce contexte et susceptibles d’induire une hyperprolactinémie. La fréquence et le caractère multiple des perturbations hormonales n’étaient pas fonction de l’intensité du traumatisme initial, de la durée du coma, de l’amnésie post-traumatique ni de la nécessité d’une intervention neurochirurgicale. Le déf icits thyréotropes et corticotropes ont été systématiquement corrigés par une hormonothérapie substitutive et trois malades ont reçu un traitement par hormone de croissance avec un bon résultat fonctionnel. Toutefois, le petit nombre des malades et le faible recul n’a pas permis de quantif ier cette amélioration par l’analyse des échelles de qualité de vie. Commentaires Lors des études autopsiques menées chez les traumatisés crâniens, la prévalence des lésions hémorragiques ou nécrotiques de la région hypophysaire s’avère très élevée. Ce fait tient à la pauvreté de la vascularisation intéressant l’hypophyse ainsi qu’à la proximité et à l’étroitesse du cadre osseux. Ainsi, la glande est très sensible aux traumatismes qui vont induire une altération de la vascularisation et un œdème local pouvant conduire à une nécrose de la région. La tige pituitaire est également vulnérable et peut être rompue lors d’un choc, expliquant la fréquence des diabètes insipides initiaux. La physiopathologie de ces diabètes insipides post-traumatiques explique la cinétique d’installation du tableau et mime les l. bordier premières expériences menées chez l’animal au début du XX e siècle. L’origine de la sécrétion de l’hormone antidiurétique (ADH) se situe en effet au niveau de l’hypothalamus et cette hormone migre le long des axones vers la post-hypophyse où elle est stockée. Après un traumatisme important, la tige pituitaire peut être rompue ou contuse. La communication est ainsi interrompue entre les centres producteurs et le réservoir post-hypophysaire. Lorsque cette réserve est épuisée, au bout de quelques jours, un diabète insipide apparaît et l’hypersignal en T1 disparaît en IRM. Le caractère réversible ou non de ce diabète insipide dépend de la faculté de récupération des noyaux hypothalamiques et de la survenue possible d’une dégénérescence neuronale rétrograde à partir de la lésion de la tige. Ces constatations anatomiques expliquent la grande prévalence des anomalies hormonales observées dans les études de la littérature chez les traumatisés crâniens (3). Ainsi, 30 à 50 % des blessés présentent un déficit partiel ou transitoire mais parfois total d’un ou de plusieurs axes hormonaux (4). Ces déficits sont observés le plus souvent chez des sujets jeunes entre 11 et 29 ans et de sexe masculin dans 60 à 80 % des cas. Il s'agit le plus souvent d'accidents de la voie publique qui ont entraîné dans 90 % des cas un coma ou une perte de connaissance. Cette population s’apparente donc tout particulièrement aux militaires fréquemment soumis à ces types d’accident. L’intensité du traumatisme est variable, souvent important mais un déficit hormonal peut s’observer après un choc modéré. L’état du malade doit être évalué selon l'échelle de Glasgow dont la normalité est à 15. Un traumatisme sévère est fixé pour un Glasgow inférieur ou égal à 8, un traumatisme modéré de 9 à 12 et faible de 13 à 15. Les conséquences anatomiques du traumatisme peuvent se fonder sur la classification de Marshall qui repose sur les résultats du scanner cérébral en évaluant la diffusion et l'intensité des lésions. Le déficit hormonal peut être constaté dès les premiers mois dans les 2/3 des cas mais peut survenir de nombreuses années plus tard. Son mode d’installation peut se faire de façon très progressive et échapper à un observateur non attentif. Ce fait impose donc de rechercher la notion d’un traumatisme, même de faible intensité, chez un patient présentant un déficit hormonal hypophysaire. En réalité, ces anomalies hormonales sont souvent méconnues dans ce contexte où le maintien des fonctions vitales et la rééducation constituent une priorité. Ce fait s’avère pénalisant pour des malades déjà en grande difficulté (5). L’absence d’hormonothérapie peut s’avérer dramatique en cas de déficit corticotrope et susceptible de contribuer à l’asthénie des malades lors des déficits thyréotrope, gonadotrope ou somatotrope. L’évolution s’avère difficilement prévisible, certains déficits hormonaux peuvent en effet régresser voire disparaître et d’autres s’aggraver au cours de l’évolution (6, 7). Les déficits retrouvés peuvent concerner tous les axes hormonaux. Toutefois, les axes gonadotrope et somatotrope sont les plus fragiles (8). Comme leur traduction clinique est relativement silencieuse dans ce contexte, ces défaillances pituitaires sont souvent méconnues faute d’un dépistage. L’absence d’hormonothérapie déficits hormomaux des traumatisés crâniens : les résultats de l’étude DETRAC substitutive s’avère pénalisante pour ces malades souvent asthéniques et présentant une amyotrophie (9). En pratique, le dépistage des déf icits hormonaux s’avère facile (10). Le diagnostic de diabète insipide repose sur la simple clinique complétée en cas de doute par une épreuve de restriction hydrique afin d’éliminer une potomanie. Les dosages du cortisol et de l’ACTH suffisent pour explorer l’axe corticotrope. L’évaluation de l’axe gonadotrope repose sur la mesure de la testostérone ou de l’oestradiol, de la FSH et LH. Enfin la fonction thyroïdienne est facilement appréciée par celle de la T4 libre et de la TSH. Le déficit de l’un de ces axes est très vraisemblable devant un niveau hormonal périphérique en dessous des normes sans élévation des hormones hypophysaires. Ces anomalies ne sont pas toujours aussi caricaturales et peuvent se traduire par un taux des hormones périphériques dans la partie basse de la fourchette normale alors que les stimulines hypophysaires restent « anormalement normales ». Dans ce contexte, la réalisation des tests dynamiques, lorsque cela est techniquement possible, permet de lever toute ambiguïté. L’axe somatotrope est sans doute le plus méconnu et le plus difficile à explorer. En effet, comme l’a montré l’étude DETRAC, le dépistage par le simple dosage de l’hormone de croissance et de l’IGF1 est insuff isant pour poser le diagnostic et engager une hormonothérapie substitutive coûteuse et nécessitant une injection quotidienne. Le recours à des épreuves dynamiques est donc indispensable. En ce domaine « le gold standart » est représenté par le dosage de la GH lors d’une hypoglycémie induite par l’insuline. La situation de ces malades souvent fragiles et susceptibles de présenter des crises comitiales incite à utiliser d’autres tests comme celui de la stimulation de la GH par le glucagon et le propanolol (11). Le diagnostic de déficit somatotrope peut être retenu si le pic de GH est inférieur à la valeur seuil de 10 mUI/l. Le traitement hormonal vise à compenser le déficit hypophysaire par la prescription des hormones périphériques en adaptant les doses sur la clinique et les dosages hormonaux. Ainsi, le diabète insipide est aisément compensé par la Desmopressine par voie orale (Minirin ®) plus commode que la forme nasale. Le déf icit corticotrope nécessite l’administration d’hydrocortisone à la dose de 20 à 30 mg par jour. La surveillance biochimique est sans objet puisque la constatation d’un faible taux du cortisol témoigne simplement de la nécessité de poursuivre le traitement. En effet, la très courte durée de vie de l’hydrocortisone impose une observance journalière rigoureuse. La posologie habituelle doit être majorée comme dans tous les déf icits corticotropes lors des épisodes de stress ou des infections. Contrairement à la maladie d’Addison, il n’existe aucune perturbation de la sécrétion des minéralocorticoïdes puisque la régulation par le système rénine angiotensine n’est pas altérée. La prescription de Fludrocortisone est donc inutile. En revanche, l’information des malades doit être attentive dans le but d’éviter les accidents d’insuffisance surrénale aiguë. 379 La prescription d’hormone thyroïdienne doit être adaptée aux résultats hormonaux. Toutefois, dans ce contexte, la surveillance doit s’exercer sur le taux de T4 qui doit se situer dans le milieu de la fourchette normale et non sur celui de la TSH qui demeure effondré. La substitution du déf icit gonadotrope nécessite, chez l’homme, la prescription de Testostérone injectable à dose progressive (Androtardyl 250 ® : une ampoule par mois) ou d’un traitement oestroprogestatif chez les jeunes femmes. Un traitement par hormone de croissance mérite d’être initié en cas de déf icit authentique et en l’absence d’antécédent tumoral. Son eff icacité sera jugée sur l’amélioration de la qualité de vie marquée par une régression de l’asthénie, une amélioration de l’activité motrice et une modification de la surcharge pondérale, notamment lorsqu’elle est de type androïde (12, 13). Le traitement par hormone de croissance doit être débuté à faible dose : 0,2 mg par voie sous-cutanée chaque soir et la modif ication de la posologie doit s’effectuer au regard du taux de l’IGF1 qui doit se situer au milieu de la fourchette normale. Une évaluation clinique de l’eff icacité du traitement, portant essentiellement sur la qualité de vie, mérite d’être réalisée au 6 emois pour juger de l’opportunité de la poursuite de cette thérapeutique particulièrement coûteuse. La mise en route de ce traitement nécessite la rédaction d’un protocole de soins ouvrant droit à l’éxonération du ticket modérateur, de faire la prescription sur une ordonnance pour médicaments d’exception et de recueillir soigneusement des données destinées aux autorités de la caisse d’assurance maladie. Conclusion L’étude DETRAC conf irme la grande fréquence des déf icits hormonaux des traumatisés crâniens et souligne l’intérêt de leur diagnostic puis de leur traitement (14). Ce travail prospectif ne possède que de très rares équivalents récents en France et s'applique tout particulièrement à la population militaire constituée de sujets jeunes de sexe masculin exposés aux traumatismes crâniens. DETRAC met toutefois en exergue les difficultés de la mise en place à une grande échelle de cette évaluation hormonale qui nécessite l’implication des services qui prennent en charge ces malades. Parmi les différents tests, l’hypoglycémie insulinique qui constitue l’examen de référence pour le diagnostic d’un déficit somatotrope, est difficilement réalisable par des infirmières qui n’en maîtrisent pas la technique et paraît contre-indiquée chez les malades les plus graves en raison des risques de crise comitiale. Une meilleure coordination des soins reposant sur un échange entre neurochirurgiens, médecins de médecine physique et endocrinologues est indispensable pour aboutir à une bonne prise en charge de ces malades. L’état clinique de ces blessés, déjà lourdement handicapés par les conséquences de leur traumatisme peut en effet être amélioré par une correction des anomalies hormonales, pourvu qu’elles soient dépistées et compensées. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Benvenga S, Campenni A, Ruggeri RM, Trimarchi F. Hypopituitarism secondary to head trauma. J Clin Endocrinol Metab 2000; 85: 1353-61. 2. Bihan H., Chanson P. 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Résumé Bien que les manifestations hémorragiques soient plus caractéristiques du syndrome vipérin, les manifestations thrombotiques demeurent possibles. Nous décrivons le cas d’une ischémie du membre inférieur droit suite à une morsure par une vipère à corne au niveau du pouce non traitée par du sérum anti venin. Un traitement symptomatique et une embolectomie chirurgicale ont permis une évolution favorable. Nous discutons aussi la littérature en rapport avec cette rare complication. Mots-clés : Coagulation intra-vasculaire disséminée. Ischémie aigue. Morsure de vipère. Vipère à cornes. A SAHARAN HORNED VIPER BITE ON THE RIGHT THUMB COMPLICATED BY A LEG ACUTE ISCHEMIA Abstract Although hemorrhage is more characteristic of viperin severe envenoming thrombotic manifestations still are possible. We describe one case of right leg ischemia due to a Saharan horned viper bite on the right thumb which had not been anti-venom treated. An embolectomy and a symptomatic treatment made a favorable evolution possible. We also discuss the literature related to this rare complication. Keywords: Acute ischemia. Disseminated intravascular coagulation. Horned viper. Viper bite. Introduction Les vipères à cornes Cerastes Cerastes du Sahara de l’ouest sont très dangereuses en raison des complications graves que peut engendrer leur morsure. Les toxines et les enzymes contenues dans le venin peuvent entraîner des complications pouvant engager le pronostic vital et entraîner le décès de la victime. Nous présentons dans cet article, le cas d’un soldat admis pour ischémie aigue du membre inférieur droit secondaire à une coagulation intra-vasculaire disséminée (CIVD) suite à la morsure d’une vipère de type Cerastes cerastes. Observation Un soldat, âgé de 35 ans, sans antécédent notable a été accidentellement mordu par une vipère, au niveau du pouce de la main droite. Il était en exercice dans la région de Dakhla à 1 600 kilomètres de Rabat au Maroc. Une K. MOUNIR, lieutenant. A. BELHAJ, capitaine. M. MEZIANE, lieutenant, S.-J. ELALAOUI, lieutenant colonel. A. BAITE, lieutenant colonel. L. SAFI colonel chef du service. M. ATMANI, colonel major chef de département. Correspondance : K. MOUNIR, BP 193, 10000 Rabat – Maroc. E-mail : [email protected] médecine et armées, 2009, 37, 4, 381-384 heure après sa morsure, le patient a présenté un œdème du membre supérieur droit mais aucun traitement n’était disponible. Quatre heures plus tard, et au cours de son transport vers l’hôpital militaire régional, des paresthésies du membre inférieur droit sont apparues. Onze heures après la morsure, le patient avait reçu une sérothérapie antitétanique, une héparinothérapie mais pas de sérum antivenimeux. Un transport vers l’hôpital militaire d’instruction Mohamed V de Rabat était ensuite assuré par voie aérienne. À l’admission au service des urgences, quatorze heures après la morsure, le patient était apyrétique, conscient et stable aux niveaux hémodynamique et respiratoire. Le pouce droit était siège d’une nécrose cutanée associée au crochet de la morsure (fig. 1). À distance, le membre inférieur droit était pâle et douloureux. L’examen a mis en évidence une anesthésie totale et une absence des pouls fémoral, poplité, tibial postérieur et pédieux droits. Devant ce tableau, le patient a été immédiatement admis au bloc opératoire pour un geste de revascularisation. Le bilan d’hémostase montrait une coagulation intra-vasculaire disséminée avec une fibrinogénémie basse à 0,87 g/l, une thrombopénie à 52 000 éléments/mm3, un taux de D-dimères à 4,85 μg/ml, et un taux de prothrombine à 34 %. Une embolectomie a été réalisée sous anesthésie locale associée à une légère 381 la coagulation intra-vasculaire disséminée après 48 heures : taux de prothrombine 77 %, taux de plaquettes passant de 91 000 au deuxième jour à 223 000/mm 3 après une semaine. Discussion Figure 1. Photo montrant la nécrose cutanée sur le pouce mordu. sédation. La sonde de Fogarty a permis le retrait de matériel fibrinocruorique au niveau de l’artère fémorale droite. Le patient a été transfusé en periopératoire avec huit concentrés plaquettaires et six unités de plasma frais congelé. L’intervention a duré 40 minutes. Le patient a été transféré dans le service de réanimation chirurgicale pour complément de prise en charge. Une héparinothérapie par de l’héparine sodique à la dose de 500 unités/kg/jour a été administrée avec pour objectif un temps de céphaline activée à 2 fois le témoin. Le bilan biologique postopératoire a mis en évidence une amélioration de l’hémostase avec un taux de prothrombine à 52 %, et un taux de plaquettes à 83 000 éléments/mm 3. Une rhabdomyolyse avec un taux de créatinine phosphokinase à 1 996 UI/l a nécessité une hyperhydratation. Les examens cliniques répétés du membre ont montré une récupération de tous les pouls périphériques. Le patient n’a pas présenté d’autre complication liée à l’envenimation. Cependant, une nécrose cutanée des orteils avait déjà débuté (fig. 2), et qui a nécessité une amputation de l’avant pied à la troisième semaine. Les bilans post opératoires ont montré la régression de Figure 2. Photo montrant la nécrose cutanée des orteils du pied droit. 382 Chaque année, le nombre de morsures de serpent dépasse six millions dans le monde, dont un million en Afrique, responsables d’environ 20 000 décès et de séquelles graves chez les survivants (1, 2). La vipère à cornes sévit en Afrique du nord et au moyen Orient jusqu’en Irak, dans les déserts (3). Au Maroc, ce type de vipère est connu surtout au Sahara (fig. 3). Son venin est composé de 26 enzymes, dont 12 sont communes à tous les serpents dans le monde. Les principales enzymes connues chez la vipère à cornes sont les phospholipases A2, des hyaluronidases, des metalloprotéinases et des protéases (4, 5). La morsure de vipère a deux effets : le venin entraîne localement une inflammation avec destruction par les enzymes protéolytiques des parois vasculaires, responsable de l’œdème. Par ailleurs, des signes généraux sont possibles. Lorsque le venin est en forte concentration dans le sang, il peut entraîner un état de choc, des crampes abdominales, une coagulopathie à type de CIVD et parfois une réaction allergique (6). La toxicité du venin diminue avec l’âge du serpent alors que l’activité protéolytique augmente (7). Les venins des vipéridés sont caractérisés par le grand nombre d’enzymes et la rareté des toxines (8). Ils sont composés d’enzymes spécifiques qui agissent comme des facteurs procoagulants et hémorragipares, des protéases responsables d’une lyse cellulaire et une fibrinolyse, et des hyaluronidases agissant par lyse des tissus conjonctifs favorisant la diffusion du venin et l’extension de la nécrose (8). Les venins des vipéridés africains sont donc hémorragipares et nécrosants (9) car ils contiennent des activateurs puissants de la coagulation et/ou de la fibrinolyse (10). La CIVD peut se traduire par Figure 3. Vipère à corne Cerastes cerastes. k. mounir un syndrome hémorragique et des manifestations thrombotiques. Des thromboses multiples microcirculatoires et de vaisseaux de plus gros calibre sont responsables d’une symptomatologie ischémique diffuse pouvant atteindre plusieurs territoires. Elles peuvent être transitoires, réversibles ou entraîner des lésions définitives avec parfois des nécroses tissulaires (10). La phase d’hypercoagulabilité suite à une envenimation est de durée variable selon le venin. Elle se traduit par un syndrome de thrombose diffus pouvant favoriser certaines complications viscérales. Ce phénomène semble rare chez les vipéridés africains, mais beaucoup plus fréquent chez certains crotalidés américains (11). L’ischémie du membre inférieur droit chez notre patient, représente une traduction thrombotique inhabituelle de la CIVD secondaire à la morsure de vipère. L’originalité de cette observation réside dans l’apparition de l’ischémie aigue à distance du point de la morsure. La stratégie transfusionnelle substitutive n’est pas définie sur les seuls résultats des tests d’hémostase mais surtout par le contexte clinique et l’éventualité d’un saignement actif ou l’éventualité d’un geste invasif ou d’un acte chirurgical (12). L’efficacité des héparines dans la CIVD secondaire à la morsure de serpent n’est pas nettement prouvée (13, 14). En cas de symptomatologie thrombotique, un traitement anti thrombotique efficace est indiqué mais sa surveillance doit être particulièrement soigneuse pour rester dans un ratio bénéf ice anti thrombotique/risque hémorragique optimal (15, 16). La seule thérapeutique spécifique reste l’immunothérapie (17). La sérothérapie antivenimeuse est la seule thérapeutique capable d’inactiver les protéases inoculées par les vipéridés et de corriger les troubles de la coagulation en quelques heures (18-20). Il est surprenant d’observer l’arrêt des hémorragies plusieurs heures avant la normalisation du bilan biologique, ce qui témoigne d’une action multifocale, non seulement sur la coagulation, mais aussi sur les enzymes qui détruisent l’endothélium et les protéines qui inactivent les plaquettes (21). Le retard de la prise en charge ne doit en aucun cas être perçu comme une contre-indication à l’administration de l’immunothérapie dans les syndromes vipérins (20). La voie intraveineuse est la seule logique et efficace (18, 22, 23). Notre patient n’a pas reçu d’immunothérapie à cause de son indisponibilité. Il n’y a pas de preuve en faveur de l’utilisation des inhibiteurs de la fibrinolyse dans des études randomisées, malgré une amélioration des paramètres hémodynamiques et de la survie dans quelques études expérimentales (13). L’efficacité de la plasmaphérèse reste à définir (24). Conclusion Dans les zones intertropicales, les morsures de serpents constituent, par leur fréquence et leur gravité, un problème de santé publique. Les médecins militaires, souvent appelés à servir outre-mer, y sont régulièrement confrontés. L’envenimation par la vipère des sables comporte plusieurs risques. Les signes de gravité sont un œdème rapidement extensif et des manifestations systémiques, en particulier hémorragiques. Les séquelles sont liées à la nécrose, à la gangrène gazeuse, ou encore au syndrome thrombotique qui peut entraîner comme dans toute CIVD un infarcissement viscéral à distance de la morsure. Malgré son coût et les risques allergiques devenus rares avec les sérums actuels, l’immunothérapie demeure la seule arme eff icace contre les enzymes protéolytiques du venin. La mise à disposition du plus grand nombre de sérum anti venin serait ainsi le meilleur moyen pour prévenir ces complications. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Blettery B, Coppeaux M, Virot C, Atbe H, Chague F. Les morsures de vipère, étude épidémiologique et thérapeutique, étude rétrospective sur 6 ans. Conc Med 1984 ; 106 : 243-6. 2. Chippaux JP, Goyfon M. Épidémiologie des envenimations dans le monde. In : Mion G, Goyffon M, editors. Les envenimations graves. Paris : Arnette ; 2000 : 1-7. 3. 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