120 | La Lettre du Pharmacologue Vol. 26 - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2012
DOSSIER THÉMATIQUE
Nouveaux anticoagulants :
études cliniques
Anticoagulants en prévention
et insuffisance rénale
New anticoagulants and renal impairment in prevention
E. Oger*, S. Laporte**
* Centre régional de pharmacovigi-
lance, de pharmacoépidémiologie
et d’information sur le médicament,
hôpital de Pontchaillou, CHU de
Rennes.
** Unité de recherche clinique, inno-
vation, pharmacologie, hôpital Nord,
Saint-Étienne.
P
armi les patients bénéficiant d’une prévention
de la maladie thromboembolique veineuse
(MTEV), près de 1/3 ont plus de 75 ans et
présentent une fonction rénale altérée, et environ
5 % ont une insuffisance rénale sévère (1). La parti-
cularité de l’insuffisance rénale est qu’elle est à la
fois un facteur de risque hémorragique et un facteur
de risque de thrombose. Le choix du traitement et
de la dose devient alors complexe.
Fondaparinux
Même s'il ne fait pas partie au sens strict des
nouveaux anticoagulants, le fondaparinux est une
molécule récente et les données concernant le
patient insuffisant rénal sont intéressantes.
Intérêt pharmacologique chez le patient
insuffisant rénal
Le fondaparinux, pentasaccharide synthétique, a une
activité anti-Xa exclusive indirecte par le biais de l’ac-
tion inhibitrice de l’antithrombine. L’excrétion rénale
est sa principale voie d’élimination, et l’on considère
qu’il est activement sécrété par le rein. Sa demi-vie
terminale varie entre 13 et 21 heures. La clairance
plasmatique décroît avec le poids, mais la fonction
rénale est le principal élément qui affecte la clairance.
Prévention en chirurgie orthopédique
majeure
Dans les essais de phase III en chirurgie orthopédique
majeure ayant comparé le fondaparinux 2,5 mg à
l’énoxaparine (EPHESUS, PENTATHLON 2000,
PENTHIFRA, PENTAMAKS), seules des données
relatives aux patients insuffisants rénaux modérés
sont disponibles. L’impact du degré d’insuffisance
rénale sur la quantité d’effet n’a pas été publié,
mais il semblerait qu’il n’y ait pas d’interaction avec
l’âge (2). En revanche, la fréquence des hémorra-
gies majeures augmente lorsque la clairance de la
créatinine diminue. La concomitance de facteurs
de risque a permis de distinguer une population
de sujets “fragiles” (âgés de 75 ans ou plus, pesant
moins de 50 kg et ayant une clairance de la créatinine
inférieure à 50 ml/mn) pour lesquels la fréquence
des hémorragies majeures était de 2,8 %, sachant
que le strict respect de l’heure de la première injec-
tion après l'opération ramenait la fréquence des
hémorragies majeures au même niveau que celui
des sujets “non fragiles” (1,9 %). En prophylaxie
prolongée après une fracture de la hanche, l'étude
PENTHIFRA PLUS, dans laquelle 62 % des patients
étaient âgés de plus de 75 ans, retrouve la même
tendance : 3,6 % d’hémorragies majeures lorsque
la clairance est inférieure à 30 ml/mn et 1,5 %
lorsqu'elle est supérieure ou égale à 80 ml/mn (3).
Outre le dosage à 2,5 mg, une autorisation de mise
sur le marché (AMM) a été octroyée en 2003, sur la
base d’un dossier pharmacocinétique, au dosage à
1,5 mg dans la prévention de la MTEV. Un modèle
de population simulant 20 000 patients, dont 3 457
avec une insuffisance rénale modérée, recevant du
fondaparinux pendant 28 jours, a été développé à
partir des données obtenues en doses répétées chez
756 patients inclus dans les études cliniques randomi-
sées PENTATHLON 2000, PENTHIFRA, PENTATHLON,
soit 3 413 concentrations plasmatiques de fondapa-
rinux. Cette modélisation montre que la posologie
de 1,5 mg/j chez le patient insuffisant rénal modéré
permet d’obtenir des concentrations similaires à celles
obtenues avec une posologie de 2,5 mg/j chez le sujet
La Lettre du Pharmacologue Vol. 26 - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2012 | 121
Points forts
»
Plus de 30 % des patients qui reçoivent un traitement anticoagulant en prévention des événements
thromboemboliques veineux sont âgés de plus de 75ans ; leur fonction rénale est souvent altérée.
»L’insuffisance rénale étant à la fois un facteur de risque thrombotique et hémorragique, l’estimation
précise du rapport bénéfice/risque des nouveaux anticoagulants dans cette population est essentielle.
»
Pour les nouveaux anticoagulants oraux à élimination rénale non exclusive, les analyses par sous-
groupes sont rassurantes, bien que les effectifs soient faibles, et elles ne montrent pas la nécessité de
modifier la dose en présence d’une insuffisance rénale modérée (clairance de la créatinine comprise entre
30 et 50 ml/mn).
Mots-clés
Insuffisance rénale
Fondaparinux
Rivaroxaban
Apixaban
Dabigatran
Highlights
»
More than 30% of patients
receiving a prophylactic dose of
anticoagulant in prevention of
venous thromboembolism are
older than 75and suffer from
renal impairment
»
Renal impairment is associ-
ated with an increased risk of
thromboembolic events as well
as an increased risk of major
bleeding. In this way, a precise
estimation of the benefit/risk
ratio of all new anticoagu-
lants is needed compared to
the reference treatment in the
prevention of venous thrombo-
embolism, i.e. low-molecular-
weight heparin.
»
For new oral anticoagulants,
based on subgroup analyses of
randomized clinical trials, the
benefit-to-risk ratio remains
favorable in renal-impaired
patients at the standard dose
(creatinine clearance<50 ml/
mn). However, the number of
renal impaired patients being
low in these trials, cautious
prescription is recommended.
Keywords
Renal impairment
Fondaparinux
Rivaroxaban
Apixaban
Dabigatran
normorénal (4). Dans l’indication de la prévention
après une chirurgie orthopédique majeure, une
cohorte prospective post-AMM (étude PROPICE) a
été réalisée chez 442 patients présentant une clai-
rance de la créatinine située entre 20 et 50 ml/ mn,
avec l’objectif de décrire le risque hémorragique et
la fréquence des événements thrombotiques sous
fondaparinux 1,5 mg (5). Il s’agissait d’une population
“fragile” tout à fait représentative de la population
cible, puisque la moyenne d’âge était de 81 ans et que
39 % des sujets recevaient un traitement antithrom-
botique avant l'opération. À J10, la fréquence des
événements thromboemboliques (ETE) veineux symp-
tomatiques était de 0,5 % (0,05 à 1,62 %), et celle des
hémorragies majeures, de 4,5 % (2,8 à 6,9 %). Même
s'il s’agit de comparaisons indirectes de données
observationnelles et de données issues d’essais
randomisés, le risque d’accident hémorragique majeur
mis en évidence dans l’étude PROPICE est du même
ordre de grandeur que celui observé sous fondapa-
rinux 2,5 mg/j (4,1 %) et sous énoxaparine 40 mg/j
(3,0 %) dans la population des patients ayant une
clairance de la créatinine inférieure à 50 ml/mn inclus
dans le programme de développement de phase III.
Prévention en milieu médical
Dans l’essai ARTEMIS, qui a comparé le fondaparinux
2,5 mg au placebo chez un peu plus de 600 patients
en prévention d’une MTEV au décours d’une hospi-
talisation pour un traitement médical, près de
250 patients avaient une clairance de la créatinine
inférieure à 50 ml/mn (6). Les données disponibles
sur l’efficacité ne révèlent pas d’interaction avec le
niveau de la fonction rénale.
Rivaroxaban
Intérêt pharmacologique chez le patient
insuffisant rénal
Le rivaroxaban est un inhibiteur direct, puissant et
sélectif du facteur Xa. Il subit une métabolisation
oxydative au niveau hépatique. Il est éliminé, pour
un tiers, par la voie rénale et, pour le reste, par la
voie biliaire, sous forme inchangée (impliquant une
sécrétion active par le biais de protéines membra-
naires d’efflux : glycoprotéine P et BCRP). La demi-vie
d’élimination terminale est de 7 à 11 heures. L’aire
sous la courbe (ASC) augmente chez les sujets âgés
et en cas d’insuffisance rénale.
Prévention en chirurgie orthopédique
majeure
Le rivaroxaban (10 mg/j) a été évalué dans la préven-
tion des ETE veineux après une chirurgie orthopédique
de la hanche ou du genou (études RECORD I à IV). Si
on s’intéresse aux 2 études européennes – les études
américaines présentent des résultats similaires –, les
résultats sont disponibles pour plusieurs sous-groupes,
notamment chez les patients ayant une insuffisance
rénale modérée (7). Concernant l’efficacité évaluée par
les événements symptomatiques veineux ajoutés aux
décès toutes causes, et les hémorragies majeures et
cliniquement significatives, l’interaction avec la fonc-
tion rénale nest pas significative (tableau I, p. 122). Il
est regrettable de ne pas disposer des résultats concer-
nant le critère principal d’efficacité et le critère prin-
cipal de sécurité (hémorragies majeures uniquement).
Prévention en milieu médical
Le rivaroxaban a été évalué dans la prévention de
la MTEV chez les patients hospitalisés pour une
affection médicale aiguë (étude MAGELLAN [8]).
Les résultats chez les patients insuffisants rénaux
modérés de cet essai randomisé en double aveugle
comparant le rivaroxaban 10 mg/j pendant 35 jours
à l’énoxaparine 40 mg/j pendant 10 jours ne sont
pas encore disponibles.
Apixaban
Intérêt pharmacologique chez le patient
insuffisant rénal
L’apixaban est un inhibiteur direct réversible du
facteur Xa ; c’est une molécule proche du riva-
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Anticoagulants en prévention et insuffisance rénale
DOSSIER THÉMATIQUE
Nouveaux anticoagulants :
études cliniques
roxaban. Sa demi-vie terminale est d’environ
12 heures. Lélimination de l’apixaban se fait à 75 %
par le métabolisme hépatobiliaire et l’excrétion
intestinale, et seulement à 25 % par la voie rénale.
L’influence de la fonction rénale devrait donc être
réduite.
Prévention en chirurgie orthopédique
majeure
Trois essais ont été conduits en chirurgie ortho-
pédique majeure pour comparer l’apixaban
2,5 mg × 2/j à l’énoxaparine (ADVANCE I à III). Les
résultats sont globalement favorables en termes
d’efficacité et de sécurité, mais les résultats par
sous-groupes ne sont pas disponibles.
Prévention en milieu médical
Dans l’essai ADOPT, qui a comparé l’apixaban
2,5 mg × 2/j pendant 30 jours à l’énoxaparine
pendant 14 jours chez 6 528 patients médicaux
hospitalisés, la prophylaxie prolongée avec l’apixaban
ne s’est pas révélée supérieure (9). En revanche, un
surcroît d’hémorragies majeures significatif a été
observé. Mais les données chez l’insuffisant rénal
ne sont pas encore disponibles.
Dabigatran
Intérêt pharmacologique chez le patient
insuffisant rénal
Le dabigatran est un inhibiteur direct, compétitif
et réversible de la thrombine libre ou fixée à
la fibrine. L’élimination est rénale pour 80 %
sous forme inchangée, et pour 20 % sous forme
glucuro conjuguée. Par rapport à une fonction
rénale normale, on observe une augmentation de
l’ASC de 1,5 en présence d’une insuffisance rénale
légère, de 3,2 en présence d’une insuffisance rénale
modérée et de 6,3 en présence d’une insuffisance
rénale sévère. La demi-vie d’élimination terminale
était doublée chez les sujets en insuffisance rénale
sévère (10).
Prévention en chirurgie orthopédique
majeure
Le bénéfice clinique du dabigatran étexilate (220
et 150 mg/j) en prévention de la MTEV après une
chirurgie orthopédique pour une prothèse de la
hanche ou du genou a été évalué dans 3 études
cliniques de phase III, par rapport à l’énoxa parine,
avec 2 études européennes (RE-NOVATE et
RE-MODEL) et 2 études américaines (RE- MOBILIZE
Tableau I. Rivaroxaban et prévention des événements thromboemboliques veineux en chirurgie orthopédique majeure.
Fréquence des événements symptomatiques (thromboses veineuses profondes, embolies pulmonaires et décès de toutes
causes) et des hémorragies majeures et cliniquement significatives – programme RECORD (7).
Nombre
depatients
Rivaroxaban
10 mg (%)
Énoxaparine
40 mg (%)
HR
(IC95)
Événements thromboemboliques veineux symptomatiques
ClCr (ml/mn)
> 80 7 215 0,4 1,2 0,38 (0,21-0,67)
50 à 80 4 207 0,8 1,3 0,57 (0,31-1,05)
< 50 846 0,7 2,5 0,29 (0,08-1,03)
Hémorragies majeures et cliniquement significatives
ClCr (ml/mn)
> 80 7 215 3,2 2,1 1,50 (1,12-2,00)
50 à 80 4 207 3,2 3,2 0,99 (0,70-1,39)
< 50 846 3,2 3,2 0,98 (0,46-2,08)
ClCr : clairance de la créatinine.
La Lettre du Pharmacologue Vol. 26 - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2012 | 123
DOSSIER THÉMATIQUE
et RE-NOVATE2). Sur la base des résultats des
études RE-NOVATE et RE-MODEL ayant montré
la non-infériorité des 2 doses de dabigatran par
rapport à l’énoxaparine 40 mg sur les ETE totaux
(symptomatiques ou non) et les décès toutes
causes, le dabigatran a obtenu en 2008 une AMM
européenne avec une posologie recommandée
de 220 mg/j en prévention de la MTEV après une
chirurgie orthopédique.
Une méta-analyse des essais conduits en chirurgie
orthopédique avec le dabigatran a été publiée
en 2010, qui montre des résultats en faveur du
dabigatran chez les patients présentant une
insuffisance rénale modérée pour les 2 schémas
posologiques (11). Cependant, concernant les
hémorragies, même si, par rapport à l’énoxapa-
rine, les résultats sont en faveur du dabigatran pour
les 2 doses de 220 et de 150 mg/j, la plus faible
dose est particulièrement intéressante, puisque
aucun événement hémorragique n’a été enregistré
dans les études chez les 185 patients insuffisants
rénaux ayant reçu cette dose (tableau II). Ces
résultats restent des analyses par sous-groupes,
avec des effectifs réduits. LAMM européenne
précise que, chez les patients ayant une insuffi-
sance rénale modérée (clairance de la créatinine
comprise entre 30 et 50 ml/mn) et chez les sujets
âgés de plus de 75 ans, la dose recommandée est
de 150 mg/j.
Conclusion
La prévention de la MTEV s’adresse à des sujets âgés
qui présentent fréquemment une insuffisance rénale
modérée. La pharmacologie des anticoagulants
examinés ici explique une augmentation du risque
hémorragique par accumulation en cas d’insuffisance
rénale. Le tableau III présente les libellés d’AMM de
Tableau III. Recommandations AMM en présence d’une insuffisance rénale.
Clairance de la créatinine (ml/mn)
< 20 20 à 30 30 à 50 50 à 80
Fondaparinux Contre-indiqué 1,5 mg/j 2,5 mg/j
< 15 15 à 30 30 à 50 50 à 80
Rivaroxaban Contre-indiqué 10 mg/j
peu de données
cliniques,
utiliser avec
prudence
10 mg/j
Apixaban Contre-indiqué 2,5 mg × 2/j
peu de données
cliniques,
utiliser avec
prudence
2,5 mg × 2/j
Dabigatran Contre-indiqué Contre-indiqué 150 mg/j, peu de
données cliniques,
utiliser avec
prudence
220 mg/j
Tableau II. Dabigatran et prévention des événements thromboemboliques veineux en chirurgie orthopédique majeure.
Fréquence des événements thromboemboliques (thromboses veineuses profondes proximales et distales symptomatiques
et asymptomatiques, embolies pulmonaires et décès de toutes causes) et des hémorragies majeures en fonction de la
clairance de la créatinine (11).
Nombre
depatients
Dabigatran (%) Énoxaparine
(%)
RR dabigatran
220 mg/énoxaparine
RR dabigatran
150 mg/énoxaparine
220 mg 150 mg
Événements thromboemboliques majeurs
ClCr (ml/mn)
> 80 3 375 3,3 4,0 3,1 1,07 (0,67-1,72) 1,31 (0,83-2,05)
50 à 80 2 248 3,0 3,6 2,9 1,05 (0,56-1,96) 1,25 (0,71-2,21)
< 50 425 1,5 2,3 6,3 0,28 (0,06-1,36) 0,41 (0,11-1,57)
Hémorragies majeures
ClCr (ml/mn)
> 80 4 355 1,2 1,0 1,0 1,33 (0,63-2,79) 1,00 (0,46-2,18)
50 à 80 2 956 1,3 1,4 1,4 0,95 (0,41-2,16) 1,00 (0,47-2,13)
< 50 603 4,0 0,0 4,6 0,63 (0,23-1,77) 0,05 (0,00-2,60)
ClCr : clairance de la créatinine.
Anticoagulants en prévention et insuffisance rénale
DOSSIER THÉMATIQUE
Nouveaux anticoagulants :
études cliniques
ces spécialités vis-à-vis de l’insuffisance rénale. Les
données de sécurité sur le rivaroxaban (10 mg/j) dans
les essais de prévention en chirurgie ortho pédique
majeure étaient rassurantes, mais imprécises, en
raison du faible nombre de patients insuffisants
rénaux modérés inclus. Les données de sécurité
sur le dabigatran étexilate 150 mg/j conduisent à
la même conclusion.
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Références bibliographiques
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Correspondances
en Onco-Théranostic
Déjà paru
Liens d’intérêts. Silvy Laporte
déclare avoir des liens d'intérêts
avec les laboratoires Bayer et
Boehringer Ingelheim.
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