LAffiche rouge
Adam Rayski
Cet ouvrage est issu d’un texte écrit par Adam Rayski peu de temps avant sa mort.
La ville de Paris tient à saluer sa mémoire et à remercier sa famille qui a permis cette réédition.
LAffiche rouge
Adam Rayski
2009 - Comité d’Histoire de la Ville de Paris - Tous droits réservés pour tous pays.
Paris n’oubliera jamais l’Affiche rouge. Ses noms et ses visages, que l’oppres-
sion nazie et la collaboration de Vichy voulaient condamner à l’infamie, incar-
neront devant l’Histoire les valeurs de résistance, de courage et d’héroïsme.
Les FTP-MOI menés par Missak Manouchian ont sauvé, par la plus sacrée des
révoltes, non seulement l’honneur de notre pays mais aussi la conscience de
l’Humanité.
Patriotes face à ceux qui trahissaient la République, ces partisans devinrent
Français par le plus beau sacrifice – le combat pour la liberté et la dignité de
l’Homme –, et méritent la reconnaissance et l’admiration éternelles de notre
nation et de notre Ville. Par cette brochure, Paris veut contribuer à l’indispen-
sable travail de mémoire et rendre hommage à ceux qui se sont dressés face à
la barbarie, au prix de leur existence. Je veux saluer avec respect et affection,
en mon nom personnel et au nom de Paris, le souvenir de son auteur,
Adam Rayski, grand résistant et dirigeant de la FTP-MOI disparu en 2008 et
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qui, avec ce témoignage aussi précis qu’émouvant, a offert en partage aux nou-
velles générations le bien le plus précieux : la vérité de l’Histoire. L’oppresseur
voulait frapper de sa main criminelle « l’Arménien », « le Juif hongrois » ou
« polonais », « le communiste italien » et « l’Espagnol rouge ». Ne reste dans
nos cœurs que la figure magnifique d'hommes libres, dont la voix résonne à
travers les ténèbres par le chant d’Aragon :
«Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant ».
Bertrand Delanoë
Maire de Paris
Légion
Si j’ai le droit de dire en français aujourd’hui
Ma peine et mon espoir, ma colère et ma joie
Si rien ne s’est voilé définitivement
De notre rêve immense et de notre sagesse
C’est que des étrangers comme on les nomme encore
Croyaient à la justice ici bas et concrète
Ils avaient dans leur sang le sang de leurs semblables
Ces étrangers savaient quelle était leur patrie
La liberté d’un peuple oriente tous les peuples
Un innocent aux fers enchaîne tous les hommes
Et qui se refuse à son cœur sait sa loi
Il faut vaincre le gouffre et vaincre la vermine
Ces étrangers d’ici qui choisirent le feu
Leurs portraits sur les murs sont vivants pour toujours
Un soleil de mémoire éclaire leur beauté
Ils ont tué pour vivre ils ont crié vengeance
Leur vie tuait la mort au coeur d’un miroir fixe
Le seul voeu de justice a pour écho la vie
Et lorsqu’on n’entendra que cette voix sur terre
Lorsqu’on ne tuera plus ils seront bien vengés.
Et ce sera justice.
Paul Éluard
Paul Éluard, Œuvre poétique, tome V,
Aux éditions du club de l’honnête homme, 1986, p. 260.
Groupe Manouchian
Vous n’avez réclamé la gloire ni les larmes
Ni l’orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servi simplement de vos armes
La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans
Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L’affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants
Nul ne semblait vous voir français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos
MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
À la fin février pour vos derniers moments
Et c’est alors que l’un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand
Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan
Un grand soleil d’hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le coeur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant
Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant.
Louis Aragon
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Groupe Manouchian a été publié dans L’Humanité du 5 mars 1955. Ce poème a été repris dans le recueil Le Roman
inachevé, Éditions Gallimard, 5 novembre 1956, sous le titre Strophes pour se souvenir. Il fut mis en musique et
interprété par Léo Ferré en 1961 (disques Barclay) sous le titre L’Affiche rouge, ce qui a largement contribué à le
populariser.
En juin 1985, ce poème fut cité dans plusieurs articles de presse consacrés au film d’Alain Mosco, Des terroristes à
la retraite, projeté à la télévision le 2 juillet. L’hommage d’Aragon à Missak Manouchian et ses vingt-deux
camarades fusillés le 21 février 1944, lui fut imputé à charge parce que tardif. Certains crurent voir dans le vers Onze
ans déjà que cela passe vite onze ans l’accent du repentir. Ces directeurs de conscience omirent seulement d’indiquer
que ce poème fut écrit par Aragon à l’occasion de l’inauguration d’une rue Groupe-Manouchian à Paris le 6 mars
1955. Inauguration à laquelle L’Humanité conviait les Parisiens à se rendre. À l’exception de ce journal, nul autre ne
rendit compte de cet événement.
police française. Là il joua un rôle-clé dans la création du Conseil représentatif des
israélites de France (CRIF) né, donc, dans et de la clandestinité.
Celui qui, dans la dernière partie de sa vie, se consacra à l’histoire des Juifs dans la
France des années noires avait donc été aussi l’un de ses principaux acteurs. Le défi
n’est jamais simple et rares sont ceux qui, comme Daniel Cordier ou Jean-Louis
Crémieux-Brilhac et donc comme lui, réussirent à le relever. On le devina dès les
mémoires qu’il publia en 1985 (Nos illusions perdues, Balland). Je peux en attester
dans le collectif consacré à cette question ô combien majeure, Qui savait quoi ?
(La Découverte, 1987) ou dans le livre intitulé Le Sang de l’étranger. Les immigrés de la
MOI dans la Résistance (Fayard, 1989). Poursuivant notre travail commun, il avait
récolté encore d’autres documents, en particulier dans les archives allemandes, et avait
pu nourrir la brochure éditée par la Mairie de Paris en 2003 et rééditée aujourd’hui.
Bien sûr d’autres sources ont permis d’en savoir plus sur la traque de « l’Affiche rouge »,
surtout dès lors que s’ouvrirent enfin, et largement, les Archives de la Préfecture de
police de Paris. Mais cela ne vint pas remettre en cause les analyses d’Adam Rayski et
l’objet de son travail. Il montre la place centrale que jouèrent les étrangers dans la lutte
armée à Paris. Les débuts ne furent pas simples, comme pour tous les militants com-
munistes. Le pacte germano-soviétique avait gelé la stratégie communiste dans un
rejet parallèle des protagonistes de la guerre, une guerre dite « impérialiste » où la
classe ouvrière n’avait rien à gagner. Il fallut attendre mars 1941 pour voir affirmé le
primat de la revendication de libération nationale, puis la rupture du pacte pour que
d’ « impérialiste » la guerre devienne « juste ». Et l’été 1941 pour que le PCF s’engage à
Paris dans la lutte armée. Dans ce combat, les étrangers tinrent une place centrale. Ce
que nous rappelle Adam Rayski, c’est qu’il ne faut pas s’imaginer que ce combat ultime
fut le fait de masses innombrables. À son paroxysme, quand furent réalisées les actions
les plus spectaculaires, on comptait soixante-cinq combattants des FTP-MOI en région
parisienne. Il montre cependant, et tel est le fil rouge de son analyse, que le combat
militaire ne pet être dissocié du combat politique. Il est bien placé pour savoir que les
deux furent étroitement liés. Nous le suivons pleinement en précisant qu’il ne faut pas
chercher dans l’effet militaire, au demeurant limité, l’essentiel de ce combat : il fut
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Introduction
Denis Peschanski
Directeur de recherche au CNRS
Ce devait être en 1986. Nous avions décidé, Stéphane Courtois, Adam Rayski et moi-
même de consacrer un ouvrage aux résistants étrangers de la MOI. Je lui apportais
le résultat de premières explorations, décisives, dans les archives judiciaires puisque
s’y trouvait le compte rendu des trois filatures policières qui, se succédant tout au
long de l’année 1943, aboutirent au démantèlement de la MOI et de son bras armé,
les FTP-MOI, dans la région parisienne. Les quelques dizaines de pages rendant
compte de la deuxième filature, visant le groupe juif, montraient à Rayski qu’il était
alors effectivement repéré et qu’il avait échappé de justesse à l’arrestation.
Instant d’intense émotion évidemment, quarante ans après les faits, mais aussi illus-
tration du parcours si original de l’auteur de cette plaquette judicieusement réédi-
tée. En nous limitant à la période qui nous occupe, rappelons qu’Adam Rajgrodski,
dit Rayski, est né en 1914 à Byalistok, en Pologne, et qu’il a rejoint la France en 1922.
Son engagement communiste qui fut déjà à l’origine de son exil le conduisit, en
France, dans les milieux de la main-d’œuvre immigrée (MOI), structure mise en place
par le parti communiste. Son intérêt pour la presse explique son travail au sein de la
presse juive communiste. Nous reviendrons sur les répercussions du pacte germano-
soviétique mais, responsable clandestin, mobilisé, il resta fidèle à son engagement
communiste et juif. Comme il le résumera bien plus tard dans une formule que je ne
suis pas le seul à lui emprunter pour rendre compte de la spécificité de la Solution
finale : « Sur l’horloge de l’Histoire, les aiguilles avançaient plus vite pour les Juifs
que pour les autres populations de l’Europe occupée. Le temps des autres n’était pas
exactement le nôtre ». Il comprit que la bataille de l’information était décisive et ce
terrain politique qu’il privilégia, à Paris à la tête de la section juive ou, après la chute
du 2edétachement (juif) des FTP-MOI et d’une partie de la section en juillet 1943,
ou en zone sud où il put se replier à temps avec ceux qui avaient pu échapper à la
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