DOSSIER THÉMATIQUE Grossesse et cancer du sein Prise en charge du cancer du sein pendant la grossesse Breast cancer management in pregnancy C. Cuvier*, F. Ledoux*, F. Coussy*, M. Espié* L es cancers diagnostiqués pendant la grossesse ou dans l’année après l’accouchement sont considérés comme cancers du sein associés à la grossesse. Ces cancers poseront 2 problèmes essentiels, l’un diagnostique et l’autre thérapeutique, notamment en raison d’un risque de toxicité fœtale. D’un point de vue épidémiologique, on estime qu’il y a environ 1 cancer du sein pour 3 000 grossesses, ce qui représenterait 200 à 300 cas par an en France. L’âge moyen au diagnostic est entre 33 et 36 ans et l’âge gestationnel médian au diagnostic est d’environ 23 semaines. On estime que 7 à 14 % des cancers du sein qui surviennent avant 45 ans coïncident avec une grossesse ou avec la période d’allaitement. Il faut noter que la fréquence de l’association cancer du sein et grossesse simultanée est en augmentation en raison d’un âge plus élevé des femmes enceintes et d’une augmentation faible mais certaine de l’incidence du cancer du sein, y compris avant la ménopause. Diagnostic du cancer du sein * Centre des maladies du sein, hôpital Saint-Louis, Paris. Le diagnostic du cancer du sein pendant la grossesse est souvent tardif. On estime qu’il existe un délai de 2 à 15 mois. En effet, l’examen clinique est plus difficile, la glande mammaire est richement composée de tissu glandulaire, dense et les nodules sont plus compliqués à individualiser. L’examen des aires ganglionnaires est essentiel, car il peut favoriser la mise en évidence d’une adénopathie suspecte alors qu’il n’y a aucune anomalie clinique décelable au niveau des seins. Il faut noter que cet examen clinique n’est pas 12 | La Lettre du Sénologue ̐ n° 55 - janvier-février-mars 2012 toujours effectué pendant la grossesse et que médecins, sages-femmes et patientes ont tendance à occulter la possibilité de ce diagnostic. Les hésitations sont d’ailleurs fréquentes sur la conduite à tenir. Dans cette situation, un retard au diagnostic et au choix thérapeutique multiplie par 2,5 le risque de diagnostiquer le cancer du sein à un stade avancé. Au niveau de l’imagerie, la mammographie, moins sensible pendant la grossesse, est parallèle à l’examen clinique, plus difficile et très lié à l’expérience de l’examinateur. La mammographie est cependant utile et possible avec une protection abdominale en plomb. L’échographie est très utile mais également opérateurdépendante. La cytoponction et la microbiopsie sont fondamentales et l’IRM est envisageable. L’échographie va montrer des masses hypoéchogènes pouvant parfois faire hésiter pour des images kystiques dont les contours sont mal limités. Il peut y avoir également des masses hypoéchogènes avec des contours bien limités mais lobulés pouvant faire évoquer à tort un adénofibrome comme dans les cancers triple négatifs ou les cancers canalaires infiltrants de haut grade. En 1998, la série de Dawson et al. (1), incluant 68 patientes de moins de 35 ans avec une lésion suspecte, a montré que l’examen clinique et la mammographie évoquaient un cancer chez 45 d’entre elles (66 %) et un adénofibrome ou une autre lésion bénigne chez les 23 autres (34 %). Et c’est en fait la cytoponction qui a évoqué la malignité dans 86 % des cas. Elle a été classée atypique dans 12 % des cas et négative dans 1,4 % des cas. Elle a donc permis de redresser les diagnostics pour 22 des 23 patientes dont la lésion avait été étiquetée bénigne par l’imagerie. Points forts Mots-clés » L’association entre le cancer du sein et la grossesse n’est pas exceptionnelle. Elle pose de nombreux problèmes diagnostiques, thérapeutiques et psychologiques. Le diagnostic clinique et radiologique est plus difficile, la microbiopsie est très importante. À stade et à âge égal, le pronostic ne semble pas différent de celui d’une femme non enceinte. La chirurgie est toujours possible, la chimiothérapie peut s’envisager après le premier trimestre, la radiothérapie doit être différée après l’accouchement, le tamoxifène est contre-indiqué. Il n’y a pas de raison de contre-indiquer l’allaitement Cancer du sein Grossesse Traitement du cancer du sein Pronostic Allaitement La cytoponction ou la microbiopsie sont donc des gestes indispensables au moindre doute. Il existe cependant des faux positifs plus fréquents en cytologie avec une hypercellularité et des atypies plus souvent observées pendant la grossesse. La sensibilité est d’environ 90 % (2). Là encore, en cas de doute, il faudra effectuer des microbiopsies. Caractéristiques tumorales La grande majorité des cancers du sein associés à la grossesse sont des cancers classiques, de type canalaire infiltrant. Dans 1,5 à 5 % des cas, les cancers sont inflammatoires. On constate souvent un envahissement ganglionnaire colligé dans certaines séries, entre 56 et 89 % contre 38 à 54 % en dehors de la grossesse. La taille tumorale est aussi plus importante (3,5 cm en moyenne contre 2 cm en dehors de la grossesse). On note davantage de tumeurs de grade 3 (69 à 85 % des cas), d’emboles vasculaires (50 à 88 % des cas), de récepteurs hormonaux négatifs (50 à 70 % contre 40 % chez les femmes jeunes en dehors de la grossesse). Il existe une surexpression de HER2 plus fréquente (25 à 40 %) ainsi qu’un KI 67 élevé dans 60 % des cas. Enfin, dans 10 % des cas, on observe des formes métastatiques d’emblée (3-6). Bilan du cancer du sein On peut pratiquer un bilan biologique conventionnel et le dosage des marqueurs tumoraux tout en sachant qu’il peut y avoir une petite élévation du CA 15-3 au cours de la grossesse. La radiographie thoracique est possible avec une protection plombée abdominale. Il n’y a aucun problème pour effectuer une échographie abdominale et pelvienne. Il est envisageable d’effectuer une IRM vertébrale, éventuellement sans injection, notamment pour les grosses tumeurs de mauvais pronostic T3-T4 ou N1-N2. En revanche, il est nécessaire d’effectuer un bilan de la grossesse pour déterminer l’âge fœtal et la croissance et pour évaluer de manière aussi précise que possible la date du terme. Pronostic Highlights Pour la mère Il y a des discordances à ce sujet. L'absence de différence pronostique à âge égal, à taille tumorale égale et à extension ganglionnaire égale était classiquement admise. On a généralement le même pronostic pour les petites tumeurs, mais il semble souvent moins bon pour les tumeurs plus évoluées, avec un retard au diagnostic qui est souvent de l’ordre de 6 mois. Comme nous l’avons déjà écrit, il y a davantage de formes métastatiques d’emblée et la survie à 5 ans est estimée entre 40 et 70 %. En reprenant une série de 99 patientes traitées entre 1992 et 2007, dont 36 ont été diagnostiquées pendant la grossesse et 63 dans l’année suivant l’accouchement, Murphy et al. (7) confirment que ces données sur le pronostic sont identiques. Ces patientes ont été comparées à des témoins (1 patiente comparée à 2 témoins). Davantage de tumeurs RE– (59 % versus 31 % ; p < 0,0001) et RP– (72 % versus 40 % ; p < 0,0001), de stades avancés (p = 0,0271), de N+ (p = 0,0104), de grade élevé (p = 0,0115) ont été observées. Avec une médiane de suivi de 6,3 ans, il n’a cependant pas été mis en évidence de différence de survie (p = 0,0787). En analyse multivariée, ce n’est pas le diagnostic pendant la grossesse, mais les tumeurs RE et N qui sont significatives. A contrario, Mathelin et al. (8), comparant 40 patientes (18 diagnostiquées pendant la grossesse et 22 dans l’année qui suit) à 61 témoins a trouvé, à caractéristiques égales, une plus mauvaise survie des patientes diagnostiquées pendant la grossesse (p = 0,017). Les patientes enceintes se sont vues moins souvent proposées une hormonothérapie ou n'ont pas souhaité la prendre (p < 0,0004) en raison d’un diagnostic d’hormonosensibilité en immunohistochimie possiblement erroné. Azim et al. (9) retrouvent également une survie sans rechute moins bonne chez les patientes enceintes lors du diagnostic (p = 0,01) et évoquent la possibilité d’un rôle spécifique de la GH (Growth Hormone) et de l’IGF1 (Insulin-like Growth Factor 1), ou d’interactions particulières avec le stroma ou de l’utilisation d’une chimiothérapie infra-optimale. It is not exceptional that breast cancer and pregnancy should occur at the same time. This raises a number of therapeutic, psychological and diagnostic problems. The clinical and radiological diagnosis is more difficult, and microbiopsy is very important. For the same stage and age, the prognosis does not seem to be different from that of a non pregnant woman. Surgery is always possible, chemotherapy can be considered at the end of the first term, radiotherapy must be postponed until after delivery, tamoxifen is contra-indicated. There is no reason for contraindicating breast-feeding. Keywords Breast cancer Pregnancy Breast cancer treatment Prognosis Breast feeding La Lettre du Sénologue ̐ n° 55 - janvier-février-mars 2012 | 13 DOSSIER THÉMATIQUE Grossesse et cancer du sein Lyons et al. (10) concluent que le diagnostic est plus mauvais essentiellement pour les patientes qui développent un cancer du sein pendant le post-partum et non pendant la grossesse, car la période d’involution de la glande mammaire stimulerait l’action de facteurs de croissance, l’action d’enzymes et, en modifiant l’immunité, elle favoriserait la prolifération tumorale. Pour le fœtus Pour le fœtus, les risques principaux sont la malformation, la prématurité, le plus souvent iatrogène, et l’hypotrophie expliquée par la prématurité mais aussi par l’altération de l’état général maternel. Traitement Les enjeux du traitement seront de pondérer le souhait de préserver la grossesse en informant la patiente des risques pour elle et le fœtus. Il faudra respecter au mieux les 2 vies et proposer un traitement optimal pour la mère tout en évitant au maximum les risques pour le fœtus, notamment les risques de malformation. Il est nécessaire de délivrer une information aussi exhaustive que possible à la patiente et au couple tout en comprenant bien le retentissement psychologique majeur de cette situation. Au final, c’est à la patiente et au couple de décider s’ils souhaitent ou non poursuivre la grossesse. Nous discuterons bien sûr en réunion de concertation pluridisciplinaire élargie des modalités de la prise en charge thérapeutique. Interruption de grossesse L’interruption de grossesse n’est pas une procédure thérapeutique. Elle n’améliore en rien le pronostic des patientes. Par ailleurs, on n’observe pas de transmission du cancer du sein au fœtus. Soixante cas de métastases placentaires ont cependant été décrits sans conséquence fœtale, et ce en l’absence de chimiothérapie (11). On peut cependant être amené à proposer une interruption thérapeutique de grossesse uniquement si la grossesse compromet l’instauration du traitement et cette interruption thérapeutique sera effectuée dans la plupart des cas lorsque les diagnostics de cancer du sein et de grossesse sont concomitants (6). 14 | La Lettre du Sénologue ̐ n° 55 - janvier-février-mars 2012 Chirurgie La chirurgie est toujours possible mais est souvent plus hémorragique qu’en dehors de la grossesse. On pose généralement les mêmes indications qu’en dehors de la grossesse sauf parfois au premier trimestre. En effet, la radiothérapie ne peut pas être effectuée pendant la grossesse et il faut donc pouvoir reporter la radiothérapie au post-partum, ce qui entraîne parfois des délais qui peuvent être jugés trop importants. Lors de l’anesthésie générale, une surveillance fœtale est bien sûr nécessaire, car il a été décrit plus de fausses couches et d’accouchements prématurés. Il est enfin nécessaire si la patiente est opérée après 25 semaines de grossesse que l’obstétricien et le pédiatre soient sur place en cas d’accouchement d’un enfant prématuré viable. Cardonick et al. (12) ont noté, en 2010, 7 % de fausses couches après une chirurgie effectuée pendant le premier trimestre de la grossesse. Le risque de fausse couche du fait de la chirurgie semble plus élevé pendant les 12 premières semaines, la chirurgie n’augmentant pas par ailleurs le risque de malformation fœtale. Peut-on pratiquer la technique du ganglion sentinelle ? On a très peu de données en cours de grossesse avec essentiellement des “case report” et on n’en connaît pas la sensibilité ni la spécificité. Les doses d’irradiation délivrées au fœtus sont très faibles (de l’ordre de 2 à 4 milligrays [Gy]). La technique du bleu semble contre-indiquée en raison des réactions anaphylactiques (15 %) et d’effets tératogènes potentiels. On a une seule modalité avec la méthode isotopique, ce qui entraîne une sensibilité moindre de la méthode. La technique du ganglion sentinelle semble donc à éviter avant 30 semaines. Il faut noter qu’il existe un taux important d’envahissement ganglionnaire pendant la grossesse et les recommandations nord-américaines du NCCN (National Comprehensive Cancer Network) conviennent qu’il n’y a finalement pas de recommandations possibles et que la décision est au cas par cas. Radiothérapie Le terme de la grossesse est fondamental dans le déterminisme de la toxicité de la radiothérapie. Avant la 2e semaine de la grossesse c’est la loi du tout ou rien (fausse couche ou pas d’anomalie). Entre la 2e et la 8e semaine, il existe un risque important de malformation et de la 8e à la 25e semaine, il existe des risques neurocarcinologiques. De la 8e à la 15e semaine, la dose délivrée au fœtus est de l’ordre de 0,1 Gy et cette dose peut entraîner DOSSIER THÉMATIQUE une chute significative du quotient intellectuel. On a observé qu’une dose fœtale de 1 Gy était à l’origine dans 40 % des cas d’un retard mental sévère (13). À plus long terme, la radiothérapie peut s’accompagner d’un risque leucémogène et cancérogène pour l’enfant. Ce risque, majoré de 40 % pour 0,01 Gy, sera de 3 à 4/1 000 contre 2 à 3/1 000. Pour une irradiation du sein ou de la paroi à 50 Gy, le fœtus recevra une dose de 0,05 à 0,15 Gy dans les 8 premières semaines et de 2 Gy en fin de grossesse. Pour toutes ces raisons, il est nécessaire de différer la radiothérapie après l’accouchement. Dans la série de Brent, publiée en 1989 (14), 25 microcéphalies et 11 arriérations mentales ont été mises en évidence chez 78 patientes irradiées avant 16 semaines de grossesse. Pour les 105 patientes irradiées après 16 semaines de radiothérapie, il a été observé 7 microcéphalies et 4 arriérations mentales. Chimiothérapie Il existe des problèmes pharmacologiques liés à l’administration de la chimiothérapie et il n’est pas certain que nous effectuions chez nos patientes des doses optimales. En effet, le liquide amniotique constitue un troisième secteur et il y a d’importantes modifications pharmacocinétiques pendant la grossesse avec cependant peu de données publiées. Il est habituel de commencer la chimiothérapie aux doses usuelles, ce qui peut éventuellement représenter un sous-dosage (15). L’état gravidique entraîne donc une augmentation du volume plasmatique, une augmentation de l’espace de dilution pour les médicaments hydrosolubles. On observe une diminution du taux d’albumine plasmatique et une augmentation des autres protéines plasmatiques. Il existe fréquemment des perturbations du métabolisme hépatique. On va observer une augmentation du flux plasmatique rénal, de la filtration glomérulaire et de la clairance de la créatinine, ce qui va entraîner une modification de la clairance des médicaments. On aura donc des modifications de paramètres pharmacologiques comme l’aire sous la courbe. Le troisième secteur retardera l’élimination des médicaments et peut être responsable de l’augmentation de la toxicité de certains d’entre eux. Cela a été décrit pour le méthotrexate. En pratique, on peut donc avoir une augmentation de la toxicité potentielle de certains médicaments et peut-être une sous-efficacité pour d’autres. ◆ Problèmes pour le fœtus La toxicité de la chimiothérapie pour le fœtus va dépendre du terme de la grossesse, de la nature de la molécule et de son passage transplacentaire et bien sûr de la dose délivrée. Le passage transplacentaire est d’autant plus important que le poids moléculaire de la molécule est faible, que sa liposolubilité est élevée et que sa fixation en protéines plasmatiques est faible. La plupart des médicaments peuvent passer dans la circulation fœtale et être éventuellement excrétés dans le placenta et ingérés par le fœtus. La Food and Drug Administration (FDA) a classé les médicaments et leurs répercussions sur la grossesse en 4 catégories. La chimiothérapie, dans la catégorie D, mentionne qu’il existe des preuves de risques pour le fœtus, mais que l’éventuel bénéfice de l’utilisation de ces médicaments chez la femme enceinte doit cependant être envisagé en dépit de risques potentiels. ◆ Qu’en est-il en clinique ? Nous disposons en fait de données fragmentaires et de petites séries et il y a peu de données sur le passage transplacentaire des médicaments. Toxicité fœtale immédiate Au cours du premier trimestre Environ 21 % des cancers du sein pendant la grossesse surviennent lors du premier trimestre. En cas de chimiothérapie, on observe des avortements, des décès in utero, des prématurités, des hypotrophies, des malformations et des anomalies viscérales. Le type de toxicité lors de l’administration de chimiothérapie pendant le premier trimestre est lié au type de médicament et à la date d’administration. Là encore, lors de la première semaine, c’est la loi du tout ou rien avec soit une fausse couche soit un fœtus sain (16, 17). Après la première semaine, toujours lors du premier trimestre, on note des avortements, 2 sur 2 dans la série de Giacalone et al. (17), 75 sur 121 dans la série de Sutcliffe (18). On observe des malformations suivant les séries dans 7 à 17 % des cas : 7,5 % dans celle de Nicholson et Byrne (19), 11,5 % dans celle de Murray et Werner (20), 12,7 % dans celle de Schapira et Chudley (21) et 17 % dans celle de Doll et al. (16). Les produits les plus tératogènes sont les antimétabolites (méthotrexate) et les alkylants (cyclophosphamide). Il a cependant été rapporté des cas d’enfants en bonne santé après exposition au cyclophosphamide pendant le premier trimestre (16, 22). Les produits les moins tératogènes semblent être les anthracyclines, les alcaloïdes de la pervenche. On observe davantage de toxicité en cas d’utilisation La Lettre du Sénologue ̐ n° 55 - janvier-février-mars 2012 | 15 DOSSIER THÉMATIQUE Grossesse et cancer du sein d’une polychimiothérapie avec 25 % de malformations contre 6 à 15 % de malformations pour les monochimiothérapie, à l’exception de l’utilisation du méthotrexate. Au cours des deuxième et troisième trimestres Après le premier trimestre, on ne constate pas d’augmentation du risque de malformations, qui est estimé à 1,3 %, identique à ce que l’on note en dehors de la grossesse (4). En revanche, on peut observer des retards de croissance, des avortements, des accouchements prématurés dans 13 % des cas et des anomalies organiques fonctionnelles (anémie, leuconeutropénie et alopécie) [16, 23]. L’hypotrophie est fréquemment observée dans 40 % des cas, tous trimestres confondus (24). Il a été rapporté par Zemlickis et al. (25) un poids médian de 2,227 kg contre 3,519 kg. Il faut noter cependant que, pour Hahn et al. (26), le poids médian était de 2,980 kg et pour Ring et al. le poids médian était de 3 kg (4). Pour van Calsteren et al. (23), le poids était inférieur au dixième percentile dans 7,3 % des cas. En ce qui concerne les anomalies organiques, il faut noter que 2 cas de toxicité cardiaque ont été décrits après utilisation de doxorubicine, dont 1 infarctus du myocarde, ainsi que quelques cas de myélosuppression néonatale. Ces données ont été rapportées dans le cas de traitements de leucémies (27-29). Nous avons davantage de données pour les anthracyclines et les alkylants avec un risque minimal aux deuxième et troisième trimestres de la grossesse lorsque l’organogenèse est terminée. Il ne semble pas y avoir de contre-indication à l’utilisation des sétrons ni à celle des corticoïdes et des facteurs de croissance hématopoïétiques à partir du deuxième trimestre de la grossesse. Des schémas avec anthracyclines ont donc été publiés. Dans la série de Berry et al. rapportée dans le Journal of Clinical Oncology en 1999 (30) avec une chimiothérapie de type FAC (fluorouracil, doxorubicin, cyclophosphamide) [4 cures en moyenne]chez des patientes traitées après le premier trimestre, il n’y a pas eu de toxicité maternelle significative. La médiane de la délivrance a été à 38 semaines. Trois accouchements avant terme ont été observés. L’Apgar à 5 min était supérieur ou égal à 9 chez tous les nouveaunés. Aucune malformation ou hypotrophie n’ont été notées. Un enfant est né avec une leucopénie transitoire, 2 autres avec une alopécie imputée à la chimiothérapie. Avec un suivi médian de 4 à 5 ans, il n’a pas été observé d’anomalies du développement. Cette série a été actualisée pour 57 patientes par Hahn et al. (26). Le poids médian était de 2,980 kg. 16 | La Lettre du Sénologue ̐ n° 55 - janvier-février-mars 2012 Soixante pour cent des accouchements était effectués par voie basse. Aucun décès fœtal n’a été observé. On a noté une leuconeutropénie associée à une hémorragie méningée, une trisomie 21 et 2 anomalies congénitales avec un pied-bot et un reflux urétéral bilatéral. Giacalone et al. ont publié dans Cancer en 1999 (17) une compilation française de 20 patientes enceintes avec un cancer du sein ayant reçu en médiane 2 cycles de chimiothérapie 1 fois sur 2 par FEC (fluorouracil, epirubicin, cyclophosphamide). Deux patientes ont été traitées pendant le premier trimestre, ce qui a entraîné 2 avortements spontanés. Il a été observé 1 décès in utero au deuxième trimestre et 4 accouchements prématurés. On a noté 1 leuconeutropénie néonatale, 2 détresses respiratoires, 1 hypotrophie, 1 décès à 8 jours de cause non déterminée, mais pas d’anomalie congénitale. À 3 et 4 ans de suivi, tous les enfants ont eu un développement normal. Dans la série de Cardonick et al. publiée en 2010 (31), 104 patientes enceintes ont été analysées avec un âge gestationnel médian lors de la première cure de chimiothérapie de 20,4 ± 5,4 semaines. Les chimiothérapies utilisées ont été essentiellement de l’adriamycine + cyclophosphamide (AC ), du FEC ou du FAC. Quelques cas ont été traités avec un taxane. On a noté 8 cas de retard de croissance intra-utérins, 5 complications pulmonaires néonatales, 3 ictères, 2 complications placentaires, 1 maladie auto-immune avec 1 décès à 13 mois. Dans la série de Ring et al. rapportée en 2005 (4), 27 nouveau-nés de mères traitées par chimiothérapie pendant les deuxième et troisième trimestres de la grossesse ont été décrits. Ces patientes avaient été traitées dans 12 cas par cytométrie en flux et dans 15 cas avec des schémas comportant des anthracyclines. L’âge médian de la délivrance a été de 37 semaines, le poids médian de 3 kg. Il a été noté 1 retard de croissance intra-utérin, 2 dyspnées transitoires, mais aucune malformation. Dans la série d’Aviles et Neri, publiée en 2001 (32), qui portait essentiellement sur des hémopathies, 84 enfants ont été exposés in utero avec un suivi médian de 18 ans. Ce recul est important puisqu’il n’a été observé aucune malformation, ni problème cardiaque. Le développement intellectuel a été jugé normal. Il n’est pas apparu de cancer ni d’hémopathie secondaire et pas de problème pour les enfants de la deuxième génération. Nous avons moins de données concernant les taxanes et la vinorelbine. Ce sont des molécules de bas poids moléculaire, lipophiles qui traversent DOSSIER THÉMATIQUE probablement le placenta. Elles sont cependant très liées aux protéines plasmatiques et ont donc une moindre fraction libre. Elles se fixent fortement à la glycoprotéine-P (Pgp) 170 qui est très exprimée dans le placenta. Concernant le docétaxel, ce sont essentiellement des cas cliniques rapportées qui ne décrivent pas de toxicité fœtal (33-37). Les cas cliniques concernant le paclitaxel sont également rassurants, sans avortement, ni décès in utero, ni malformation. Cependant, en raison du faible nombre de données, les taxanes ne sont généralement pas recommandées pendant la grossesse et sont réservées au post-partum. Les données sont également fragmentaires pour la vinorelbine avec laquelle peu de patientes ont été traitées pendant la grossesse, mais aucune toxicité notable n’a été notée pour les mères et leurs enfants (pas de malformation fœtale, ni leucopénie ni alopécie). À Saint-Louis (38), nous avons traité 3 patientes par une association de 5-fluorouracile et de vinorelbine et les 3 enfants avaient un Apgar à 10, à 5 minutes, une absence de dysmorphie, de leuco-neutropénie et d’alopécie. Tous les produits de chimiothérapie semblent pouvoir être utilisés pendant les 2e et 3e trimestres de la grossesse. En revanche, nous avons un recul insuffisant pour les taxanes et la vinorelbine. Il convient cependant d’envisager l’éventualité de certains risques pour le nouveau-né (neutropénie, détresse respiratoire, scepticémie, gastroentérite). Complications à distance Les complications à distance de la chimiothérapie effectuée pendant les grossesses sont mal connues. Le suivi des enfants est souvent court, inférieur à 4 ans. Il y a peu de publications. On pratique en fait des extrapolations à partir de séries de patientes traitées pour leucémie aiguë pendant la grossesse. Ces séries sont généralement rassurantes, avec cependant des retards de croissance transitoires. Les capacités intellectuelles semblent généralement normales. Existe-t-il une augmentation du risque de cancer pour l’enfant ou sa descendance avec une sensibilité éventuelle accrue des cellules germinales aux effets mutagènes de la chimiothérapie ? Mulvihill et al., en 1987 (39), ont rapporté 0,3 % de cancers chez 2 308 descendants de sujets traités pour un cancer pendant l’enfance et 0,23 % pour les descendants des frères et des sœurs non traités. Il ne semble donc pas y avoir de problème majeur. En 2011, Signorello et al. (40) ont rapporté également des données rassurantes, sans malformations plus importantes chez des enfants dont les parents avaient été traités pour des cancers. En conclusion, la chimiothérapie est le traitement souvent indiqué, mais elle est à éviter pendant le premier trimestre. Il ne semble pas exister de risque fœtal majeur aux deuxième et troisième trimestres pour des associations de type EC (épirubicine + cyclophosphamide), FEC, FAC. Il est souhaitable d’effectuer un monitoring du fœtus avant chaque cure de chimiothérapie. On propose généralement de ne pas effectuer de chimiothérapie après la trente-cinquième semaine ou dans les 3 semaines précédant l’accouchement afin d’éviter les complications hématologiques lors de la délivrance. On préfère conseiller une voie basse, qui permet moins de toxicité maternelle, moins de délais de traitement s’il est nécessaire de reprendre une chimiothérapie après l’accouchement. Il existe cependant plus de risque infectieux, dans un contexte éventuel de neutropénie. Il est souvent proposé un accouchement vers la trente-sixième semaine, période de maturité fœtale. Le déclenchement de l’accouchement n’est pas systématique. Il peut cependant être indiqué si la patiente refuse la chimiothérapie pendant la grossesse. On essaiera de déclencher l’accouchement entre la deuxième et la trentequatrième semaine pour ne pas trop retarder la chimiothérapie. Le déclenchement sera indiqué si l’indication de chimiothérapie est posée lors du dernier mois de grossesse et bien sûr s’il y a une anomalie au niveau du développement fœtal. Il est conseillé d’effectuer une analyse histologique systématique du placenta. Trastuzumab Il existe environ 35 % des cancers du sein qui surexpriment HER2 avant 35 ans. Il s’agit donc d’une éventualité non rare pendant la grossesse. On ne connaît pas le passage transplacentaire du trastuzumab. Là encore, des cas cliniques ont été rapportés et il a été observé une association d’oligo-anhydroamnios plus fréquente lors de l’utilisation du trastuzumab (5 sur 10 cas rapportés). Cet oligo-anhydroamnios semble réversible à l’arrêt du traitement. Il n’est donc pas actuellement indiqué de traiter les patientes par trastuzumab pendant la grossesse (41). Références bibliographiques 1. Dawson AE, Mulford DK, Taylor AS, Logan-Young W. 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La Lettre du Sénologue ̐ n° 55 - janvier-février-mars 2012 | 17 DOSSIER THÉMATIQUE Grossesse et cancer du sein Tamoxifène Le tamoxifène est contre-indiqué pendant la grossesse. En effet, il a été décrit jusqu’à 20 % de malformations avec des anomalies craniofaciale, des ambiguïtés sexuelles et un syndrome de Goldenhar (42). Les analogues LH-RH ne sont également pas recommandés. Allaitement L’allaitement est contre-indiqué pendant la chimiothérapie et l’hormonothérapie, la plupart des produits passant dans le lait. L’allaitement est autorisé après le traitement. Il faut cependant noter un échec dans environ 45 % des cas (31). Conclusion En pratique, il convient de traiter la mère le plus classiquement possible en respectant la grossesse. Il existe 3 situations relativement simples : ➤ La grossesse est près du terme : dans ce cas, quel que soit le stade du cancer, le traitement classique est possible : chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie après éventuel déclenchement quand la viabilité de l’enfant est certaine. Si la maladie est limitée et qu’elle a un très bon pronostic, le traitement chirurgical est toujours possible et peut suffire s’il est radical. ➤ La décision est plus complexe si la maladie est inopérable et survient au début de la grossesse puisque le traitement optimal ne peut être appliqué sans risque pour le fœtus. L’interruption thérapeutique doit être proposée mais la décision finale revient bien sûr toujours à la mère. ➤ Le diagnostic d’un cancer du sein pendant la grossesse implique une prise en charge pluridisciplinaire. La surveillance fœtale et obstétricale doit être stricte et régulière. L’allaitement est contre-indiqué avant la chirurgie et pendant la chimiothérapie. L’association cancer du sein et grossesse entraîne des répercussions psychologiques majeures tant pour la femme enceinte, le couple que pour les équipes soignantes. Il convient de prendre en compte ces répercussions en proposant un suivi psychologique à la patiente, au couple et en permettant que la parole circule au sein des équipes. ■ Références bibliographiques 12. Cardonick E, Usmani A, Ghaffar S. Perinatal outcomes of a pregnancy complicated by cancer, including neonatal follow-up after in utero exposure to chemotherapy: results of an international registry. Am J Clin Oncol 2010;33:221-8. 13. Kal HB, Struikmans H. Radiotherapy during pregnancy: fact and fiction. Lancet Oncol 2005;6:328-33. 14. Brent RL. The effect of embryonic and fetal exposure to x-ray, microwaves, and ultrasound: counseling the pregnant and nonpregnant patient about these risks. Semin Oncol 1989;16:347-68. 15. Lycette JL, Dul CL, Munar M et al. 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