L’ Comment gérer la masse des données accessibles aux patients ?

416 | La Lettre du Cancérologue Vol. XXII - n° 10 - novembre 2013
Comment gérer la masse
des données accessibles
aux patients ?
How to manage the mass of data available to patients?
A. Touré*
* Laboratoire d’éthique médicale et de
médecine légale du Pr C. Hervé, Paris.
L’
une des questions juridiques majeures que va
poser l’émergence de la médecine personna-
lisée concerne l’information du patient. Au
regard de la complexité technique de cette nouvelle
approche de la médecine, de ses implications sur
la transmission d’informations dites sensibles car
touchant au génome humain, potentiellement
prédictives, et ayant de ce fait des retombées person-
nelles, familiales ou sociales, la gestion par le patient
de l’information délivrée revêt une importance capi-
tale qui ne peut laisser le juriste indifférent. Pour
l’heure, l’individualisation des traitements promise
par la médecine personnalisée passe principalement
par les essais cliniques ; de fait, l’information donnée
au patient concerne naturellement le cadre de la
recherche, dont le périmètre est encore mal défi ni.
Cette médecine d’avenir nen étant qu’à ses balbu-
tiements, l’on s’interroge alors tant sur le contenu
de l’information préalable à l’intégration dans un
tel programme de recherche que sur l’intelligibi-
lité de celle-ci, afi n que soit préservée l’exigence
légale du consentement libre et éclairé du patient (1).
Comment le patient va-t-il recevoir et intégrer
cette information aux différents stades de sa prise
en charge ? Sera-t-il capable, avant d’intégrer la
recherche, d’en mesurer toutes les conséquences, du
point de vue personnel mais aussi dans ses rapports
aux autres ? En effet, la problématique de la gestion
de l’information par le patient surpasse celle du
cadre formel de la recherche, car cette dernière
va entraîner, dans un second temps, la révélation
d’informations d’une nature particulière, suscep-
tibles d’intéresser non seulement le patient (état
de santé actuel et futur, éligibilité à un traitement
ou adaptation de ce dernier), mais aussi des tiers,
principalement en raison du caractère prédictif de
certaines informations. Une protection juridique
stricte s’impose, afi n de préserver la volonté et l’inti-
mité génétique du patient, de délimiter le partage de
l’information et de prévenir tout risque de mésusage
des résultats des tests génétiques (2, 3).
À la croisée de 2 domaines, celui de la recherche et
celui du soin, l’encadrement de la médecine person-
nalisée repose sur l’application coordonnée des
dispositions qui régissent l’examen des caractéris-
tiques génétiques et de celles relatives à la recherche
médicale, les premières s’appliquant, aux termes de
la loi, sans préjudice des secondes (1).
La délivrance de l’information
et ses implications
pour le patient au stade
de la recherche
Que ce soit dans le cadre du soin ou dans celui de la
recherche, la loi pose le principe du consentement
libre et éclairé du patient ; celui-ci suppose toute-
fois, au préalable, le respect du principe général et
fondamental du droit à l’information du patient,
fondement de l’expression de sa liberté à accepter ou
à refuser toute intervention sur son corps. Par consé-
quent, le malade doit disposer d’une information
claire, loyale et appropriée, destinée à éclairer son
consentement, de manière à prendre une décision
en toute connaissance de cause. En la matière, la
problématique nest pas tant celle des textes, l’article
Actualités sur
la MÉDECINE
PERSONNALISÉE
La Lettre du Cancérologue Vol. XXII - n° 10 - novembre 2013 | 417
Résumé
Si elle n’en est encore qu’à ses balbutiements, la médecine personnalisée pose d’ores et déjà des questions
d’ordre juridique, parmi lesquelles figure celle de l’information délivrée au patient. Cette approche médicale
innovante s’exprimant aujourd’hui principalement dans le cadre de la recherche, cette problématique touche
en premier lieu l’information donnée préalablement à l’intégration dans un protocole, tant du point de vue
de son contenu que de son accessibilité. Elle concerne en second lieu l’ensemble des informations révélées
par l’examen des caractéristiques génétiques, qui, par nature, vont avoir des implications particulières
pour le malade, sa famille et les tiers. Le respect d’un encadrement juridique strict est alors nécessaire,
enraison du caractère sensible de l’information génétique.
Mots-clés
Information
dupatient
Consentement éclairé
Transmission
del’information
àlaparentèle
Protection
légale contre
lesdiscriminations
Summary
Personalized medicine is still in
its infancy; however, this inno-
vative approach in medicine
raises legal issues such as the
delivery of information to the
patient. Personalized medicine
is mostly practiced in research.
This is the reason why the issue
of information both concerns
content and comprehension
before participation in any clin-
ical trial. Furthermore, elements
revealed by the examination
of the genetic characteristics,
because of their nature, may
have singular consequences for
patients, their families and third
parties. Due to the sensitivity
of genetic information, respect
of a sound legal framework is
necessary.
Keywords
Patient information
Informed consent
Disclosure to relatives
Legal protection against
discrimination
L. 1122-1 du Code de la santé publique régissant très
précisément le contenu de l’information en matière
de recherche, et l’article R. 1131-4, celui de l’infor-
mation préalable au consentement à un examen des
caractéristiques génétiques. Elle réside plutôt dans
l’assurance d’une bonne compréhension et d’une
bonne assimilation des informations par le patient.
Or, en raison de la complexité des protocoles, de
l’incertitude des résultats – dont la pertinence pourra
varier en fonction de l’évolution des techniques ou de
découvertes ultérieures – et donc de la masse d’élé-
ments auxquels le patient doit consentir (stockage
et analyse clinique des données, possibilité d’être
recontacté pour des essais cliniques, etc.), la question
qui se pose est celle non seulement du contenu,
mais aussi et surtout de la lisibilité de l’information,
voire de sa temporalité, qualité essentielle d’une
information claire et appropriée qui conditionne la
qualité du consentement.
En outre, et cela est spécifi que à l’examen des carac-
téristiques génétiques et aux tâtonnements qui
distinguent les recherches en matière de médecine
personnalisée, il convient de soulever la possibilité
de découvrir fortuitement d’autres informations que
celles recherchées ; dans cette hypothèse, quelle
doit être l’information délivrée, aussi bien avant
qu’après la découverte ? Rappelons que le droit à
l’information a pour corollaire le droit de ne pas
être informé, garanti au niveau national mais aussi
européen (2). En matière de recherche, le dispositif
législatif prévoit que, à titre exceptionnel, lorsque
dans l’intérêt d’une personne malade le diagnostic de
sa maladie n’a pu lui être révélé, l’investigateur peut,
dans le respect de sa confi ance, réserver certaines
informations liées à ce diagnostic (4), règle qui
n’est autre qu’une application d’un principe plus
général par lequel le médecin peut, dans l’intérêt du
malade et pour des raisons légitimes qu’il apprécie en
conscience, le tenir dans l’ignorance d’un diagnostic
ou d’un pronostic graves (5).
Pour trouver la réponse à cette interrogation, il faut
nous intéresser au récent arrêté du 27 mai 2013
défi nissant les règles de bonnes pratiques appli-
cables à l’examen des caractéristiques génétiques
d’une personne à des fi ns médicales. Après avoir
rappelé que “le droit en vigueur, pour protéger le
patient d’infor mations inutiles, angoissantes ou dont
la révélation n’est pas désirée, n’est pas en faveur
de la transmission d’informations autres que celle
initialement recherchée et pour laquelle le patient
a consenti à la réalisation de l’examen”, il affi rme
qu’“il appartient au médecin de déterminer au cas
par cas et dans le cadre du colloque singulier avec
son patient la conduite à tenir”, conseillant au prati-
cien de contacter un médecin œuvrant au sein
d’une équipe pluridisciplinaire rassemblant des
compétences cliniques et génétiques. Il termine
en déclarant que, “en tout état de cause, la délivrance
d’une telle information ne pourra se faire qu’avec
le consentement exprès du patient” (6). Ce texte
devrait trouver son application dans le cadre des
recherches dans le domaine de la médecine person-
nalisée, compte tenu des probabilités de découvertes
fortuites, car il convient d’associer pleinement le
patient à la gestion de telles informations. Sans la
réunion de ces conditions, à savoir une information
complète et le respect de la volonté du patient, dès
la proposition d’implication dans une recherche, le
consentement donné ne pourra valablement être
considéré comme éclairé.
La transmission
de l’information apportée
par la recherche et la protection
de l’intimité génétique
Par principe, les informations relatives à la santé d’un
patient sont soumises à la plus stricte confi dentialité
et au respect du secret professionnel ; s’agissant
d’informations à caractère génétique, qui peuvent
avoir une valeur prédictive et affecter la parentèle du
patient, se pose néanmoins la question de leur trans-
mission. Une fois que le profi l ou les susceptibilités
génétiques seront accessibles au patient, comment
gérera-t-il ces informations ? Va-t-il lui incomber une
obligation d’en partager la connaissance ? Au regard
des répercussions familiales, mais aussi du potentiel
stigmatisant de l’information génétique, la nécessité
d’une prise en compte de l’intimité génétique par
le droit se justifi e.
La gestion de l’information dans les rapports fami-
liaux a été prévue par le législateur de 2011.
418 | La Lettre du Cancérologue Vol. XXII - n° 10 - novembre 2013
Comment gérer lamasse des données accessibles auxpatients ?
La loi de bioéthique a introduit un mécanisme
original, dont les modalités doivent être préparées
avant l’examen des caractéristiques génétiques par
le patient, de concert avec le médecin prescripteur.
S’il met à la charge du patient une obligation d’infor-
mation des membres de la famille potentiellement
concernés, ce mécanisme préserve toutefois le droit
de ne pas savoir, ainsi que l’intimité du patient : ce
dernier peut faire le choix d’informer lui-même ses
proches, ou demander au médecin prescripteur de
procéder à cette information, notamment dans le
cas où il souhaite être tenu dans l’ignorance du diag-
nostic. Le médecin doit alors inviter les proches à
se rendre à une consultation de génétique, sans
dévoiler ni le nom de la personne ayant fait l’objet
de l’examen, ni l’anomalie génétique, ni les risques
qui lui sont associés (7). Il convient toutefois de
souligner que le texte circonscrit cette obligation de
prévoir les modalités de transmission de l’informa-
tion aux proches à l’existence, au profi t des membres
de la famille, “de mesures de prévention ou de soins
(qui) peuvent leur être proposées. Dans le cadre
de la médecine personnalisée ne peut être exclue
l’hypothèse de la révélation d’une non-éligibilité à
un traitement. Dans ces conditions, cette obligation
d’information demeurera-t-elle ? Cette condition
légale est-elle légitime ?
Enfi n, qu’en est-il de la gestion de l’information
par le patient dans ses rapports avec les tiers ? Ces
informations génétiques vont-elles pouvoir être
utilisées au détriment du patient ? Alors que les
caractéristiques génétiques ont rejoint la liste des
facteurs qui ne peuvent fonder une “distinction entre
les personnes”, constitutive du délit de discrimina-
tion, et que le Code civil dispose que “nul ne peut
faire l’objet de discriminations en raison de ses carac-
téristiques génétiques” (8), des craintes légitimes
voient le jour, notamment avec les progrès de la
médecine prédictive, fondées sur l’idée selon laquelle
la révélation de l’information génétique peut faire
apparaître des risques nouveaux de discrimination
et d’atteintes aux droits de la personne. Notre droit
positif est-il, en la matière, suffi samment protecteur,
notamment pour les personnes présentant un profi l
génétique à “haut risque” ou dont la probabilité de
réponse à un traitement est faible ? Pour l’heure,
l’arsenal législatif, tant national qu’européen, semble
nous préserver de telles dérives. La loi prévoit de
manière générale que “l’examen des caractéristiques
génétiques d’une personne ne peut être entrepris qu’à
des fi ns médicales ou de recherche scientifi que” (9).
De manière plus particulière, des sanctions pénales
sont prévues en matière d’assurance (10, 11), mais
aussi d’emploi (12-14), dès lors que les résultats
de l’examen des caractéristiques génétiques ont
fondé un traitement discriminatoire, et ce même
s’ils ont été volontairement transmis par la personne
concernée. Le législateur a donc clairement répondu
par la négative concernant l’utilisation des carac-
téristiques génétiques au détriment du malade, y
compris lorsqu’elles sont prédictives d’un risque
de santé.
Reste cependant en suspens la question de la discri-
mination dans l’accès à la prévention ou aux soins.
Cette voie prometteuse ouverte par la médecine
personnalisée, en cancérologie mais aussi pour
d’autres pathologies, va-t-elle profi ter à tout un
chacun ? Au regard des enjeux économiques qu’elle
soulève, ne va-t-elle pas se manifester, à terme, par
une médecine privatisée ?
A. Touré n’a pas précisé ses éven-
tuels liens d’intérêts.
Actualités sur
la MÉDECINE
PERSONNALISÉE
1. Code de la santé publique, art. L1131-1.
2. Code de la santé publique, art. L. 1111-2.
3. Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine,
art. 10-2.
4. Code de la santé publique, art. L. 1122-1, al. 5.
5. Code de la santé publique, art. R. 4127-35, al. 2.
6. Arrêté du 27 mai 2013 défi nissant les règles de bonnes
pratiques applicables à l’examen des caractéristiques géné-
tiques d’une personne à des ns médicales. Annexe, §B 7.1.
Journal offi ciel de la République française no 0130 du 7 juin
2013, p. 9469, texte no 14.
7. Code de la santé publique, art. L.1131-1-2.
8. Code civil, art. 16-3.
9. Code civil, art. 16-10.
10. Code pénal, art.225-3.
11. Code de la santé publique, art. L. 1141-1.
12. Code pénal, art. 225-2.
13. Code pénal, art. 225-3.
14. Code de la santé publique, art. L.1132-1.
Références bibliographiques
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