Actualités sur la MÉDECINE PERSONNALISÉE Comment gérer la masse des données accessibles aux patients ? How to manage the mass of data available to patients? A. Touré* L’ * Laboratoire d’éthique médicale et de médecine légale du Pr C. Hervé, Paris. une des questions juridiques majeures que va poser l’émergence de la médecine personnalisée concerne l’information du patient. Au regard de la complexité technique de cette nouvelle approche de la médecine, de ses implications sur la transmission d’informations dites sensibles car touchant au génome humain, potentiellement prédictives, et ayant de ce fait des retombées personnelles, familiales ou sociales, la gestion par le patient de l’information délivrée revêt une importance capitale qui ne peut laisser le juriste indifférent. Pour l’heure, l’individualisation des traitements promise par la médecine personnalisée passe principalement par les essais cliniques ; de fait, l’information donnée au patient concerne naturellement le cadre de la recherche, dont le périmètre est encore mal défini. Cette médecine d’avenir n’en étant qu’à ses balbutiements, l’on s’interroge alors tant sur le contenu de l’information préalable à l’intégration dans un tel programme de recherche que sur l’intelligibilité de celle-ci, afin que soit préservée l’exigence légale du consentement libre et éclairé du patient (1). Comment le patient va-t-il recevoir et intégrer cette information aux différents stades de sa prise en charge ? Sera-t-il capable, avant d’intégrer la recherche, d’en mesurer toutes les conséquences, du point de vue personnel mais aussi dans ses rapports aux autres ? En effet, la problématique de la gestion de l’information par le patient surpasse celle du cadre formel de la recherche, car cette dernière va entraîner, dans un second temps, la révélation d’informations d’une nature particulière, susceptibles d’intéresser non seulement le patient (état de santé actuel et futur, éligibilité à un traitement 416 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXII - n° 10 - novembre 2013 ou adaptation de ce dernier), mais aussi des tiers, principalement en raison du caractère prédictif de certaines informations. Une protection juridique stricte s’impose, afin de préserver la volonté et l’intimité génétique du patient, de délimiter le partage de l’information et de prévenir tout risque de mésusage des résultats des tests génétiques (2, 3). À la croisée de 2 domaines, celui de la recherche et celui du soin, l’encadrement de la médecine personnalisée repose sur l’application coordonnée des dispositions qui régissent l’examen des caractéristiques génétiques et de celles relatives à la recherche médicale, les premières s’appliquant, aux termes de la loi, sans préjudice des secondes (1). La délivrance de l’information et ses implications pour le patient au stade de la recherche Que ce soit dans le cadre du soin ou dans celui de la recherche, la loi pose le principe du consentement libre et éclairé du patient ; celui-ci suppose toutefois, au préalable, le respect du principe général et fondamental du droit à l’information du patient, fondement de l’expression de sa liberté à accepter ou à refuser toute intervention sur son corps. Par conséquent, le malade doit disposer d’une information claire, loyale et appropriée, destinée à éclairer son consentement, de manière à prendre une décision en toute connaissance de cause. En la matière, la problématique n’est pas tant celle des textes, l’article Résumé Mots-clés Si elle n’en est encore qu’à ses balbutiements, la médecine personnalisée pose d’ores et déjà des questions d’ordre juridique, parmi lesquelles figure celle de l’information délivrée au patient. Cette approche médicale innovante s’exprimant aujourd’hui principalement dans le cadre de la recherche, cette problématique touche en premier lieu l’information donnée préalablement à l’intégration dans un protocole, tant du point de vue de son contenu que de son accessibilité. Elle concerne en second lieu l’ensemble des informations révélées par l’examen des caractéristiques génétiques, qui, par nature, vont avoir des implications particulières pour le malade, sa famille et les tiers. Le respect d’un encadrement juridique strict est alors nécessaire, en raison du caractère sensible de l’information génétique. Information du patient Consentement éclairé Transmission de l’information à la parentèle Protection légale contre les discriminations L. 1122-1 du Code de la santé publique régissant très précisément le contenu de l’information en matière de recherche, et l’article R. 1131-4, celui de l’information préalable au consentement à un examen des caractéristiques génétiques. Elle réside plutôt dans l’assurance d’une bonne compréhension et d’une bonne assimilation des informations par le patient. Or, en raison de la complexité des protocoles, de l’incertitude des résultats – dont la pertinence pourra varier en fonction de l’évolution des techniques ou de découvertes ultérieures – et donc de la masse d’éléments auxquels le patient doit consentir (stockage et analyse clinique des données, possibilité d’être recontacté pour des essais cliniques, etc.), la question qui se pose est celle non seulement du contenu, mais aussi et surtout de la lisibilité de l’information, voire de sa temporalité, qualité essentielle d’une information claire et appropriée qui conditionne la qualité du consentement. En outre, et cela est spécifique à l’examen des caractéristiques génétiques et aux tâtonnements qui distinguent les recherches en matière de médecine personnalisée, il convient de soulever la possibilité de découvrir fortuitement d’autres informations que celles recherchées ; dans cette hypothèse, quelle doit être l’information délivrée, aussi bien avant qu’après la découverte ? Rappelons que le droit à l’information a pour corollaire le droit de ne pas être informé, garanti au niveau national mais aussi européen (2). En matière de recherche, le dispositif législatif prévoit que, à titre exceptionnel, lorsque dans l’intérêt d’une personne malade le diagnostic de sa maladie n’a pu lui être révélé, l’investigateur peut, dans le respect de sa confiance, réserver certaines informations liées à ce diagnostic (4), règle qui n’est autre qu’une application d’un principe plus général par lequel le médecin peut, dans l’intérêt du malade et pour des raisons légitimes qu’il apprécie en conscience, le tenir dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic graves (5). Pour trouver la réponse à cette interrogation, il faut nous intéresser au récent arrêté du 27 mai 2013 définissant les règles de bonnes pratiques applicables à l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne à des fins médicales. Après avoir rappelé que “le droit en vigueur, pour protéger le patient d’informations inutiles, angoissantes ou dont la révélation n’est pas désirée, n’est pas en faveur de la transmission d’informations autres que celle initialement recherchée et pour laquelle le patient a consenti à la réalisation de l’examen”, il affirme qu’“il appartient au médecin de déterminer au cas par cas et dans le cadre du colloque singulier avec son patient la conduite à tenir”, conseillant au praticien de contacter un médecin œuvrant au sein d’une équipe pluridisciplinaire rassemblant des compétences cliniques et génétiques. Il termine en déclarant que, “en tout état de cause, la délivrance d’une telle information ne pourra se faire qu’avec le consentement exprès du patient” (6). Ce texte devrait trouver son application dans le cadre des recherches dans le domaine de la médecine personnalisée, compte tenu des probabilités de découvertes fortuites, car il convient d’associer pleinement le patient à la gestion de telles informations. Sans la réunion de ces conditions, à savoir une information complète et le respect de la volonté du patient, dès la proposition d’implication dans une recherche, le consentement donné ne pourra valablement être considéré comme éclairé. La transmission de l’information apportée par la recherche et la protection de l’intimité génétique Summary Personalized medicine is still in its infancy; however, this innovative approach in medicine raises legal issues such as the delivery of information to the patient. Personalized medicine is mostly practiced in research. This is the reason why the issue of information both concerns content and comprehension before participation in any clinical trial. Furthermore, elements revealed by the examination of the genetic characteristics, because of their nature, may have singular consequences for patients, their families and third parties. Due to the sensitivity of genetic information, respect of a sound legal framework is necessary. Keywords Patient information Informed consent Disclosure to relatives Legal protection against discrimination Par principe, les informations relatives à la santé d’un patient sont soumises à la plus stricte confidentialité et au respect du secret professionnel ; s’agissant d’informations à caractère génétique, qui peuvent avoir une valeur prédictive et affecter la parentèle du patient, se pose néanmoins la question de leur transmission. Une fois que le profil ou les susceptibilités génétiques seront accessibles au patient, comment gérera-t-il ces informations ? Va-t-il lui incomber une obligation d’en partager la connaissance ? Au regard des répercussions familiales, mais aussi du potentiel stigmatisant de l’information génétique, la nécessité d’une prise en compte de l’intimité génétique par le droit se justifie. La gestion de l’information dans les rapports familiaux a été prévue par le législateur de 2011. La Lettre du Cancérologue • Vol. XXII - n° 10 - novembre 2013 | 417 Actualités sur la MÉDECINE PERSONNALISÉE A. Touré n’a pas précisé ses éventuels liens d’intérêts. Comment gérer la masse des données accessibles aux patients ? La loi de bioéthique a introduit un mécanisme original, dont les modalités doivent être préparées avant l’examen des caractéristiques génétiques par le patient, de concert avec le médecin prescripteur. S’il met à la charge du patient une obligation d’information des membres de la famille potentiellement concernés, ce mécanisme préserve toutefois le droit de ne pas savoir, ainsi que l’intimité du patient : ce dernier peut faire le choix d’informer lui-même ses proches, ou demander au médecin prescripteur de procéder à cette information, notamment dans le cas où il souhaite être tenu dans l’ignorance du diagnostic. Le médecin doit alors inviter les proches à se rendre à une consultation de génétique, sans dévoiler ni le nom de la personne ayant fait l’objet de l’examen, ni l’anomalie génétique, ni les risques qui lui sont associés (7). Il convient toutefois de souligner que le texte circonscrit cette obligation de prévoir les modalités de transmission de l’information aux proches à l’existence, au profit des membres de la famille, “de mesures de prévention ou de soins (qui) peuvent leur être proposées”. Dans le cadre de la médecine personnalisée ne peut être exclue l’hypothèse de la révélation d’une non-éligibilité à un traitement. Dans ces conditions, cette obligation d’information demeurera-t-elle ? Cette condition légale est-elle légitime ? Enfin, qu’en est-il de la gestion de l’information par le patient dans ses rapports avec les tiers ? Ces informations génétiques vont-elles pouvoir être utilisées au détriment du patient ? Alors que les caractéristiques génétiques ont rejoint la liste des facteurs qui ne peuvent fonder une “distinction entre les personnes”, constitutive du délit de discrimination, et que le Code civil dispose que “nul ne peut faire l’objet de discriminations en raison de ses caractéristiques génétiques” (8), des craintes légitimes voient le jour, notamment avec les progrès de la médecine prédictive, fondées sur l’idée selon laquelle la révélation de l’information génétique peut faire apparaître des risques nouveaux de discrimination et d’atteintes aux droits de la personne. Notre droit positif est-il, en la matière, suffisamment protecteur, notamment pour les personnes présentant un profil génétique à “haut risque” ou dont la probabilité de réponse à un traitement est faible ? Pour l’heure, l’arsenal législatif, tant national qu’européen, semble nous préserver de telles dérives. La loi prévoit de manière générale que “l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne ne peut être entrepris qu’à des fins médicales ou de recherche scientifique” (9). De manière plus particulière, des sanctions pénales sont prévues en matière d’assurance (10, 11), mais aussi d’emploi (12-14), dès lors que les résultats de l’examen des caractéristiques génétiques ont fondé un traitement discriminatoire, et ce même s’ils ont été volontairement transmis par la personne concernée. Le législateur a donc clairement répondu par la négative concernant l’utilisation des caractéristiques génétiques au détriment du malade, y compris lorsqu’elles sont prédictives d’un risque de santé. Reste cependant en suspens la question de la discrimination dans l’accès à la prévention ou aux soins. Cette voie prometteuse ouverte par la médecine personnalisée, en cancérologie mais aussi pour d’autres pathologies, va-t-elle profiter à tout un chacun ? Au regard des enjeux économiques qu’elle soulève, ne va-t-elle pas se manifester, à terme, par une médecine privatisée ? ■ Références bibliographiques 1. Code de la santé publique, art. L1131-1. 2. Code de la santé publique, art. L. 1111-2. 3. Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine, art. 10-2. 4. Code de la santé publique, art. L. 1122-1, al. 5. 5. Code de la santé publique, art. R. 4127-35, al. 2. 6. Arrêté du 27 mai 2013 définissant les règles de bonnes pratiques applicables à l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne à des fins médicales. Annexe, §B 7.1. Journal officiel de la République française no 0130 du 7 juin 2013, p. 9469, texte no 14. 7. Code de la santé publique, art. L.1131-1-2. 8. Code civil, art. 16-3. 418 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXII - n° 10 - novembre 2013 9. Code civil, art. 16-10. 10. Code pénal, art.225-3. 11. Code de la santé publique, art. L. 1141-1. 12. Code pénal, art. 225-2. 13. Code pénal, art. 225-3. 14. Code de la santé publique, art. L.1132-1.