ÉDITORIAL Que penser du CAPI ? What do we think about CAPI? Y. Juillière*, F. Claudot** N ouvel acronyme dans le panorama de l’Assurance maladie, le CAPI (Contrat d’amélioration des pratiques individuelles) est l’innovation administrative la plus récente pour contrôler les dépenses de santé. Issu d’une décision du 9 mars 2009 (1), le CAPI est une proposition de contrat type entre médecins libéraux conventionnés et la CPAM avec un triple but d’amélioration de la prévention, d’amélioration de la prise en charge des patients atteints de pathologie chronique, et de promotion de prescriptions moins onéreuses à efficacité comparable. L’engouement des médecins généralistes pour le CAPI a dépassé les espérances de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM), plus de 15 000 CAPI ayant été signés en décembre 2009. Certes, on ne peut qu’être en accord avec les objectifs de santé publique que le médecin se propose de tenir en signant un CAPI. Mais le recours à un contrat pour les atteindre pose des questions de responsabilité et, plus largement, des questions éthiques. Le CAPI est un moyen d’aliéner l’indépendance des professionnels de santé au nom de la rationalisation des dépenses. C’est une entrée dans la fonctionnarisation des médecins conventionnés. Ils deviennent en partie des techniciens de santé soumis à l’application rémunératrice de protocoles standardisés. La démarche de soins du médecin devient une démarche administrative et calculatrice qui, grâce au gain financier octroyé, permet à l’UNCAM un retour gagnant aux anciennes références médicales opposables, qui avaient eu si peu de succès. Les objectifs des contrats sont fixés conformément aux avis et référentiels émis par la Haute Autorité de santé (HAS). Or, la HAS n’est pas éditrice de droit, et ses recommandations ne sont que des données parmi d’autres, notamment celles des sociétés savantes. Le médecin sera alors en grande difficulté en cas de contradiction. Les données acquises de la science peuvent également évoluer et l’UNCAM peut alors décider d’un avenant au contrat pour les prendre en * Département de cardiologie, CHU de Nancy-Brabois, Vandœuvre-lès-Nancy. ** Médecine légale, faculté de médecine de Nancy. 4 | La Lettre du Cardiologue • n° 434 - avril 2010 compte, décision malheureusement unilatérale, sans aucun échange avec le médecin signataire. En revanche, la responsabilité du médecin risque d’être engagée en cas de mise à jour tardive. D’autre part, le choix laissé au médecin de signer ou non un CAPI pourrait suggérer que ceux qui ne le font pas n’ont pas envie d’améliorer leurs pratiques, ce qui serait alors contraire à la loi du 4 mars 2002, qui institue un devoir de soins de qualité aux patients. Le problème de la responsabilité du médecin, qui pourrait se voir reprocher son non-respect des données de la science, pourrait alors se poser devant l’Assurance maladie ou même devant les tribunaux. Le CAPI (état de l’art au tarif le moins cher ?) pourrait devenir, pour le juge, un élément d’appréciation de la responsabilité du médecin. Le format du CAPI est d’ailleurs imposé, puisque les contrats qui ne respecteraient pas les dispositions décrites ou le modèle type national sont déclarés nuls. En cela, le CAPI ressemble plus à une souscription qu’à un véritable contrat. Un des objectifs concerne la promotion de prescriptions moins onéreuses à efficacité comparable. L’UNCAM récupère ainsi la main en matière de prescription de génériques, que les médecins continuaient à bouder (2). Ainsi, le CAPI devient aux médecins ce que le droit de substitution est aux pharmaciens : une rémunération indirecte sur la prescription de génériques. Les patients ne sont pas associés à la démarche par une information systématique, alors qu’ils le devraient. Le médecin devant afficher dans sa salle d’attente les informations relatives à ses honoraires, on se demande dans quelle mesure il ne devrait pas afficher qu’il a signé un CAPI. Quelle perception peuvent avoir les patients de la démarche de leur médecin référent qui, par contrat, s’engage à limiter le coût de la santé par des actions certes en théorie favorables pour eux mais toutefois sans leur assentiment, et pour un intéressement financier personnel ? Le manque de transparence pour la tierce partie, sur le dos de laquelle l’économie de santé est faite par les deux seuls contractants intéressés financièrement, met en péril la relation de confiance médecin-patient. Ainsi, le patient qui demanderait à bénéficier de soins appropriés mais coûteux pourrait se voir opposer le CAPI par l’Assurance maladie. ÉDITORIAL Le CAPI représente une étape de plus dans la fonctionnarisation de la médecine. Peut-être est-ce nécessaire pour sortir l’Assurance maladie du gouffre financier dans lequel elle se trouve. Mais les médecins qui adhèrent au CAPI en raison de leur seul intérêt personnel doivent bien comprendre dans quelle situation future cela risque de placer la profession tout entière. Et dans ce contexte de participation “active” à l’économie de santé, pourquoi un “bon” patient qui se prêterait volontairement à cette démarche ne pourrait-il pas, finalement, être lui aussi intéressé financièrement par une réduction du taux de ses cotisations sociales ? Ce ne serait qu’un juste retour des choses. ■ Références bibliographiques 1. Décision du 9 mars 2009 de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie relative à la création d’un contrat type d’amélioration des pratiques à destination des médecins libéraux conventionnés. JORF n°0093 du 21 avril 2009:6839. 2. Juillière Y, Claudot F. Les génériques en cardiologie : le point de vue du cardiologue. Lettre du Cardiologue 2009;430:28-31. Services Internet www.edimark.fr 1 abonnement papier = plus de 20 revues accessibles (10 ans d’archive) Copyright gracieux Comptes-rendus de congrès internationaux en temps réel envoyés sur votre e-mail (sur simple demande) Vidéos en ligne… La Lettre du Cardiologue • n° 434 - avril 2010 | 5