N Cancers gynécologiques : rétrospective 2011 RÉTROSPECTIVE 2011

Figure 1. Valeur pronostique des cellules tumorales circulantes (CTC) dans le cancer de l’ovaire avancé (3).
P. Cottu
100 100
Survie sans progression (%)
Survie globale (%)
Mois Mois
À l’inclusion
Favorable
Défavorable
À l’inclusion
Favorable
Défavorable
60 60
80 80
40 40
20 20
0 0
0 05 1510 10520 2015 30 352525
16 | La Lettre du Cancérologue Vol. XXI - n° 1 - janvier 2012
RÉTROSPECTIVE 2011
Cancers gynécologiques :
rétrospective 2011
Gynecological cancers: the year 2011 in review
P. Cottu*
* Département d’oncologie médicale,
institut Curie, Paris.
N
ous revoyons ici les principaux essais publiés
ou présentés dans les cancers gynéco-
logiques en 2011.
Cancers de l’ovaire
Aspects biologiques
Le projet The Cancer Genome Atlas (TCGA) a enfin
publié ses données pour les carcinomes ovariens (1).
Pas moins de 297 coauteurs ont décrit le cata-
logue des altérations moléculaires rencontrées
à partir d’une série de 489 tumeurs séreuses de
haut grade, et en associant plusieurs techniques
d’analyse ADN et ARN. Ces cancers de haut grade
se caractérisent par une présence quasi constante
de la mutation p53 et d’un certain nombre de
mutations récurrentes (BRCA1, BRCA2, RB1, etc.).
Plusieurs sous-types sont identifiables selon les
signatures d’expression, miARN, épigénomique,
avec un impact pronostique possible. Plusieurs
voies de signalisation potentiellement ciblables
sont aussi identifiées. De manière plus spécifique, il
a été montré que les tumeurs de haut grade accu-
mulant le miR200a et présentant une signature de
stress oxydatif avaient probablement un meilleur
pronostic (2).
Les premières données de qualité sur la valeur
pronostique des cellules tumorales circulantes (CTC)
ont été rapportées, à partir de l’étude pivotale sur
la trabectédine (3). Chez plus de 200 patientes
atteintes de cancer de l’ovaire avancé et traitées
par trabectédine + doxorubicine liposomale, un taux
de CTC supérieur à 1 avant tout traitement est un
facteur pronostique défavorable indépendant pour
la progression et le décès (figure 1). Ces résultats
devraient faire date et contribuer à relancer les
études relatives aux CTC dans les cancers ovariens,
y compris à des stades précoces.
La Lettre du Cancérologue Vol. XXI - n° 1 - janvier 2012 | 17
Points forts
»
Le catalogue des altérations moléculaires des carcinomes séreux de haut grade a été publié par le
consortium
The Cancer Genome Atlas
(TCGA).
»Le traitement de maintenance par bévacizumab ou olaparib est efficace dans les formes avancées de
cancer de l’ovaire.
»Le ciblage de la voie mTOR est prometteur dans les cancers de l’endomètre.
Mots-clés
Bévacizumab
Olaparib
mTOR
The Cancer Genome
Atlas
Highlights
»
The catalogue of molecular
alterations of high grade serous
ovarian carcinoma has been
published by the TCGA project.
»
Maintenance therapy with
bevacizumab or olaparib is
beneficial in advanced ovarian
cancer.
»
mTOR pathway targeting
is promising in endometrial
carcinoma.
Keywords
Bevacizumab
Olaparib
mTOR
The Cancer Genome Atlas
Aspects cliniques et thérapeutiques
Le dépistage du cancer de l’ovaire reste un champ
ouvert. Lessai PLCO a été rapporté, avec évaluation
de l’effet du dépistage du cancer de l’ovaire sur la
mortalité (4). Chez plus de 78 000 femmes rando-
misées, 212 et 176 cancers ont été diagnostiqués
dans les groupes dépistage et surveillance, respecti-
vement. Aucun impact en mortalité n’a été observé :
le risque relatif est de 1,01 (IC
95
: 0,96-1,06). Le dépis-
tage reste cependant un enjeu majeur, le pronostic
restant de manière constante lié au stade, et en
particulier à la localisation abdominopéritonéale
de la maladie. Une revue rétrospective du Gyne-
cologic Oncology Group (GOG) a montré que les
patientes ayant une tumeur de stade III avaient un
pronostic d’autant plus péjoratif que le résidu post-
opératoire se situait dans l’abdomen supérieur (5).
De plus, la question du traitement de maintenance
par paclitaxel hebdomadaire après chimiothérapie
(CT) conventionnelle adjuvante courte pour les petits
stades (IA-II) a été abordée par un essai du GOG (6).
Chez 571 patientes randomisées, 24 semaines de
paclitaxel hebdomadaire à la dose modeste de
40 mg/m2/sem. n’apportent aucun bénéfice, que
ce soit en survie sans récidive à 5 ans (80 versus
77 %) ou en survie globale (SG) à 5 ans (85,4 versus
86,2 %). Le taux de neuropathie est, en revanche,
significativement plus élevé.
Les progrès principaux ont été réalisés dans les
cancers avancés et/ou en récidive. La notion d’en-
tretien, non validée au stade précoce, a trouvé sa
pleine valeur à la phase avancée, avec 2 approches
différentes. L’actualisation des essais GOG 218 et
ICON7 (rapportée à l’ASCO® 2011 et publiée le
29 décembre dans le New England Journal of Medi-
cine [7, 8]) a confirmé le bénéfice de la maintenance
par bévacizumab après CT conventionnelle. Le béva-
cizumab a obtenu son autorisation de mise sur le
marché (AMM) européenne dans cette indication en
décembre. À la phase de rechute, l’étude OCEANS
a randomisé 484 patientes en rechute mesurable,
platino sensible, d’un cancer ovarien, tubaire ou
péritonéal primitif entre une CT par carboplatine
(ASC 4) à J1 + gemcitabine (1 000 mg/m2 à J1 et J8)
tous les 21 jours (6 à 10 cycles) ± bévacizumab
(15 mg/ kg/21 jours) [9]. Le critère de jugement
principal était la survie sans progression (SSP), revue
par un comité indépendant, avec pour objectif statis-
tique une amélioration de 8,6 à 11,8 mois. Le nombre
médian de cycles de CT délivrés dans les 2 groupes a
été de 6. Il a été retrouvé une amélioration significa-
tive de la SSP : 12,4 mois dans le bras bévacizumab
(11,4-12,7 mois), versus 8,4 mois (8,3-9,7 mois ; HR
stratifié = 0,451 ; IC95 : 0,351-0,580) [figure 2, p. 18].
Il n’a pas été retrouvé de différence lors de l’analyse
en sous-groupes. Le taux de réponse est également
significativement plus élevé – 78,5 versus 57,4 %
(p < 0,0001) –, ainsi que la médiane de durée de
réponse (10,4 versus 7,4 mois). La tolérance a été
acceptable. Il faut noter l’absence de perforation
digestive. Les données en termes de SG ne sont pas
matures. Pour les auteurs, ce traitement pourrait
représenter une nouvelle option thérapeutique dans
les cancers de l’ovaire en récidive platinosensible.
Lolaparib (AZD2281) est un inhibiteur oral de poly
(ADP-ribose) polymérase (PARP) qui a montré une
activité antitumorale chez des patientes présentant
un cancer séreux de l’ovaire de haut grade avec ou
sans mutation de BRCA1/BRCA2 (10). Une étude de
phase II randomisée (82 sites, 16 pays), en double
aveugle contre placebo et multicentrique a évalué un
traitement d’entretien avec l’olaparib (400 mg × 2/j)
chez des patientes présentant un cancer séreux de
l’ovaire de haut grade, ayant reçu plus de 2 lignes
antérieures de CT à base de platine et en réponse
complète ou partielle après leur dernière CT conte-
nant du platine (11). Le critère de jugement principal
était la SSP selon les critères RECIST ; les critères
secondaires étaient le temps jusqu’à progression
(TTP) biologique avec le CA125 (critères GCIG ou
RECIST), la SG et la tolérance. Deux cent soixante-
cinq patientes ont été randomisées (136 dans le bras
olaparib, 129 dans le bras placebo). La médiane de
SSP selon RECIST est significativement allongée dans
le bras olaparib (8,4 versus 4,8 mois ; HR = 0,35 ;
IC
95
: 0,25-0,49 ; p < 0,00001), de même que la
médiane de TTP (8,3 versus 3,7 mois ; HR = 0,35 ;
IC
95
: 0,25-0,47 ; p < 0,00001) [figure 3, p. 18].
Les données ne sont pas matures en ce qui concerne
la SG. Il n’a pas été montré de différence en termes
de qualité de vie. Les principaux effets indésirables,
la majorité de grade 1 ou 2, ont été des nausées
(68 versus 38 %), des vomissements (49 versus 14 %)
Figure 3. Olaparib : étude de phase II randomisée dans le traitement d’entretien des
cancers de l’ovaire avancés (11).
100
Survie sans progression (%)
Mois
Olaparib 400 mg × 2/j
Placebo
HR = 0,35 ; IC95 : 0,25-0,49 ; p < 0,00001
60
80
40
20
00
136
129
Olaparib
Placebo
Patientes à risque (n)
3
104
72
9
23
7
6
51
23
12
6
1
0
0
15 18
0
0
Figure 2. Étude OCEANS (9).
100
Survie sans progression (%)
Mois
Carboplatine + gemcitabine + placebo
Carboplatine + gemcitabine + bévacizumab
Carboplatine + gemcitabine
+ placebo (n = 242) Carboplatine + gemcitabine
+ bévacizumab (n = 242)
Événements, n (%) 187 (77) 151 (62)
Médiane SSP (mois)
IC95
8,4
8,3-9,7 12,4
11,4-12,7
Analyse stratifiée
HR
IC95
p
(log-rank)
0,484
0,388-0,605
< 0,0001
60
80
40
20
00
242
242
Carboplatine +
gemcitabine + placebo
Carboplatine +
gemcitabine + bévacizumab
Patients à risque (n) 6
177
203
18
11
33
12
45
92
24
3
11
30
0
0
Olaparib Placebo
Événements (n) 60/136 (44,1) 93/129 (72,1)
Médiane SSP (mois) 8,4 4,8
18 | La Lettre du Cancérologue Vol. XXI - n° 1 - janvier 2012
Cancers gynécologiques : rétrospective 2011
RÉTROSPECTIVE 2011
et une anémie (17 versus 5 %). Les toxicités de grade
supérieur à 3 ont été la fatigue (9 versus 4 patientes)
et l’anémie (7 versus 4 patientes).
La CT cytotoxique classique fait également des
progrès dans les carcinomes ovariens. Le topotécan
hebdomadaire est une alternative crédible au topo-
técan classique sur 5 jours (12). La suite de l’étude
pivotale d’enregistrement de la trabectédine a été
publiée en 2 parties. La notion d’intervalle libre sans
platine peut ainsi être étendue : le bénéfice de la
combinaison trabectédine + doxorubicine liposomale
se traduit par un allongement de la période sans
changement de CT, et en particulier sans réintroduc-
tion de sels de platine (13). Dans le sous-groupe des
patientes présentant une tumeur de sensibilité inter-
médiaire (6-12 mois), l’association trabectédine +
doxorubicine liposomale réduit de 35 % le risque de
progression (versus doxorubicine liposomale seule,
p = 0,0152) et de 41 % le risque ultérieur de décès
(p = 0,0015), avec un allongement significatif de la
SG médiane (23,0 versus 17,1 mois) [14]. Ce bénéfice
se prolonge au-delà de la réintroduction des sels de
platine dans ce sous-groupe particulier.
Cancers de l’endomètre
Traitements systémiques
Les cancers de l’endomètre représentent eux aussi
un ensemble hétérogène, actuellement simplifié
en cancers de type I (endométrioïdes, bas grade)
ou de type II (formes non endométrioïdes, haut
grade) [15]. Dans les adénocarcinomes endomé-
trioïdes (type I), les pertes de fonction de Phospha-
tase and TENsin homolog (PTEN) peuvent atteindre
60 %, les mutations de PI3K, 30 %, les mutations de
KRAS, 10 à 20 %, les mutations du Fibroblast Growth
Factor Receptor 2 (FGFR2), 12 à 16 %, une instabilité
des microsatellites, 20 à 45 %, une accumulation
La Lettre du Cancérologue Vol. XXI - n° 1 - janvier 2012 | 19
RÉTROSPECTIVE 2011
nucléaire de β-caténine, 18 à 47 %. Il faut noter que
les mutations de FGFR2 et de KRAS sont mutuel-
lement exclusives. Dans les carcinomes papillaires
séreux (type II), les mutations de p53 sont présentes
dans 90 % des cas, les mutations de PI3K dans 50 %
des cas, une perte de fonction de PTEN dans 25 % des
cas, et des mutations de KRAS et de FGFR2 dans 0 %
des cas. Les premiers essais de ciblage thérapeutique
se sont essentiellement adressés aux voies de l’Epi-
dermal Growth Factor Receptor (EGFR), du Vascular
Endothelial Growth Factor (Receptor) [VEGF(R)] et
PI3K/PTEN/AKT/mTOR. L’évérolimus permet, en
phase II, chez 35 patientes porteuses d’un carci-
nome de stade avancé, d’obtenir un taux de béné-
fice clinique supérieur à 20 % (16). Le temsirolimus
permet d’obtenir une stabilisation chez plus de 60 %
des patientes n’ayant jamais reçu de CT, avec une très
prometteuse durée médiane de stabilité de plus de
9 mois (17). La CT conventionnelle reste cependant
une arme importante : les doublets taxanes + sels de
platine font référence, quelle que soit la combinaison,
avec des taux de réponse de l’ordre de 50 % (18).
Traitements locorégionaux
L’actualisation à long terme de l’essai PORTEC-1 a
été rapportée (19). Rappelons que cet essai compa-
rait radiothérapie (RT) externe versus surveillance
dans les cancers de stade IB-IC, grade 1-3, et avait
montré un net bénéfice de la RT en termes de contrôle
local, sans impact sur la SG. Après un suivi médian de
13 ans, ces données sont confirmées pour la rechute
locorégionale (5,8 versus 15,5 % ; p < 0,001) et la SG
(52 versus 60 % ; p = 0,14). Les données de qualité de
vie, importantes compte tenu de l’absence d’impact à
long terme en SG, sont édifiantes. À 15 ans, il persiste
une détérioration significative, chez les patientes
ayant reçu une RT, de divers indices : limitation des
activités quotidiennes, symptômes urinaires et fécaux,
conduisant à s’interroger sur les indications et les
techniques d’irradiation des cancers de l’endomètre.
Cancers du col utérin
La principale étude randomisée consacrée au cancer
du col utérin a testé la place potentielle de la gemci-
tabine chez 515 patientes atteintes de cancer de
stade IIB-IVA. Un schéma classique (cisplatine
40 mg/ m
2
/sem. + RT externe suivis d’une curie-
thérapie) était ou non associé à la gemcitabine
125 mg/ m2/sem. + 2 cures adjuvantes de gemci-
tabine + cisplatine (20). Malgré une toxicité plus
sévère, le bras gemcitabine + CT adjuvante se révèle
supérieur en termes de SSP à 3 ans (HR = 0,68 ;
74 versus 65 % ; p = 0,029), de SG (HR = 0,68 ;
p = 0,0224) et de TTP (HR = 0,54 ; p = 0,0012).
Ces résultats méritent considération, et valident
indirectement le recours occasionnel à la gemcita-
bine hors AMM dans les cancers du col.
Ces données sont complétées par d’autres
approches de traitements combinés rapportées
à l’ASCO® 2011. Deux études présentées en
poster (21, 22) ont tenté d’associer un ciblage de
l’EGFR (cétuximab ou erlotinib) à la classique asso-
ciation cisplatine + RT dans les cancers du col utérin
localement avancés. Ces associations semblent
faisables, avec des résultats précoces très encou-
rageants, montrant jusqu’à un taux de 94 % de
réponse complète. D’autres approches ciblées du
même type ont été rapportées.
Conclusion
Le mouvement pressenti dans les cancers gynéco-
logiques depuis quelques années se confirme :
arrivée de la biologie et du ciblage thérapeutique,
progrès dans les approches locorégionales, reprise
du développement des cytotoxiques. Certaines
équipes ont même commencé à tester la faisabi-
lité des approches psychocorporelles, en particu-
lier le bénéfice potentiel de la reprise d’une activité
physique, qui permettrait d’atténuer la fatigue (23).
En un mot, bougeons !
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La Lettre du Cancérologue Vol. XXI - n° 1 - janvier 2012 | 9
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