DOSSIER Hormone et cancer du sein Modulateurs sélectifs du récepteur de la progestérone et cancer du sein SPRM and Breast cancer N. Chabbert-Buffet* L * Centre de suivi des femmes à risque de cancer du sein et de l’ovaire, service de gynécologie du Pr Uzan, hôpital Tenon, AP-HP, 4, rue de la Chine, 75020 Paris. a famille des ligands modulateurs sélectifs du récepteur de la progestérone (SPRM ou Selective Progesterone Receptors Modulators) comporte des composés à activité agoniste/antagoniste, selon le tissu ou le type cellulaire étudié, la dose administrée et la présence ou non d’une imprégnation progestative parallèle (1). La polémique sur l’impact des progestatifs au niveau mammaire a été particulièrement importante à partir de 2002 avec la publication des résultats de l’étude WHI (2), qui montrait un risque accru de cancer du sein dans le groupe des femmes recevant des estrogènes conjugués équins et des progestatifs de synthèse, par rapport au groupe des femmes hystérectomisées ne recevant que des estrogènes. La question de l’apport des SPRM se pose donc, notamment celle de leurs effets mammaires. cofacteurs Gène cible Cytoplasme Ligand stéroïdien Noyau Récepteur de la progestérone, PR-A ou PR-B Figure 1. Mécanisme d’action de la progestérone et des ligands du récepteur de la progestérone (PR-A ou PR-B). Ainsi, les mécanismes d’action de ces ligands, leurs effets potentiels sur les cellules tumorales mammaires in vitro, in vivo et en clinique sont abordés ici pour tenter d’apporter des éléments de réponse. Les effets extra-mammaires, également indispensables à connaître dans ce cadre, seront résumés. Mécanisme d’action des SPRM Ce mécanisme d’action est complexe et n’est encore que partiellement connu (3-5). La progestérone, les progestatifs et les SPRM agissent en se fixant sur des récepteurs nucléaires (PR), qui sont des facteurs de transcription. En présence de progestérone (figure 1), il se produit une série d’événements intracellulaires : activation du récepteur, homodimérisation du récepteur et interaction au niveau de sites spécifiques de la chromatine. Cette interaction permet au récepteur lié à la progestérone de moduler la transcription des gènes cibles de celle-ci (6). Il existe 2 isoformes principales du récepteur de la progestérone : PR-A et PR-B, codées par le même gène. Leur localisation tissulaire et leurs fonctions ne sont pas identiques (7) : PR-B est activateur de la transcription, alors que PR-A peut réprimer non seulement l’activité transcriptionnelle du récepteur B mais également celle des récepteurs des estrogènes, des androgènes, des minéralocorticoïdes et des glucocorticoïdes (8). Par ailleurs, les gènes cibles des 2 isoformes diffèrent, et les gènes régulés par PR-A sont distincts de ceux régulés par PR-B dans des cellules tumorales mammaires (9). Le rôle spécifique des 2 isoformes de PR dans le sein a pu être étudié chez les souris invalidées pour ce récepteur (isoformes A et B invalidées [PRKO], 16 | La Lettre du Gynécologue • n° 363 - juin 2011 LG 2011-06.indd 16 07/06/11 09:45 Points forts Mots-clés »» Les modulateurs sélectifs du récepteur de la progestérone sont en cours d'évaluation dans le traitement du cancer du sein. »» Ils réduisent la prolifération mammaire dans le sein humain normal. »» Dans un modèle murin de mutation de BRCA1, ils préviennent le développement tumoral mammaire. »» Les SPRM sont bien tolérés, leurs effets endométriaux doivent être clarifiés avant que leur utilisation au long cours soit possible. Récepteur de la progestérone Prolifération Cancer du sein SPRM BRCA isoforme A invalidée [PRAKO], isoforme B invalidée [PRBKO]). Les souris PRKO (10) n’ont pas de prolifération ductale ni de différenciation lobuloalvéolaire durant la gestation, malgré une morphogenèse normale des glandes mammaires. L’activation sélective de PR-A chez les souris PRBKO résulte en une réduction de développement des glandes mammaires. Au contraire, chez les souris PRAKO, la réponse des glandes mammaires à la progestérone est normale (11). Ainsi, chez la souris, PR-B semble être l’isoforme responsable de la prolifération normale et de la différenciation de l’épithélium mammaire en réponse à la progestérone (12). Un premier niveau possible de modulation de l'effet de la progestérone dans les tissus cibles est donc potentiellement fonction du rapport des 2 isoformes de PR, de manière "tissu-sélective". Cependant, le même complexe récepteur-ligand n’agit pas de la même manière dans des cellules différentes et peut fonctionner comme agoniste dans certaines conditions et comme antagoniste dans d’autres (13, 14). La réponse de la cellule dépend en fait de 3 facteurs significatifs (15) : le ratio de PR A et B, la modification de structure de PR selon la nature du ligand avec lequel il interagit (14), et le type de cofacteurs avec lesquels le complexe récepteur-ligand lié à l’ADN interagit. Ces cofacteurs permettent de moduler l’activité transcriptionnelle des récepteurs nucléaires : les coactivateurs augmentent l’activité transcriptionnelle de PR alors que les corépresseurs la diminuent (16-18). Leur capacité à interagir avec PR est réglée en partie par la conformation du récepteur lié à son ligand et par l’isoforme de PR impliquée, mais la modulation du ratio d'expression dans la cellule des coactivateurs et des corépresseurs peut également modifier l'effet agoniste ou antagoniste des ligands (3, 4). Certains corégulateurs ont été identifiés comme spécifiquement associés à l’activité mixte agoniste-antagoniste des SPRM (19). Certains cofacteurs sont spécifiques d’une isoforme de PR (20). Enfin, il faut ajouter à cela les interrelations entre le système décrit ci-dessus et les très nombreuses voies de signalisation intracellulaire des facteurs de croissance de régulation du cycle cellulaire, de l’apoptose, etc. (21), et les actions extranucléaires de la progestérone. Spectre d'activité et molécules en développement Le premier antagoniste des récepteurs de la progestérone, la mifépristone (RU 486), a été mis au point au début des années 1980 (22). La plupart des composés en cours de développement sont des dérivés stéroïdiens. Ils ont subi des modifications, avec notamment substitution de type 19-nortestostérone ou 19-norprogestérone, qui les apparentent aux progestatifs, et adjonction de radicaux complexes (également retrouvés dans certains antiestrogènes triphényl-éthyléniques) en position C11, qui confère leur effet "antiprogestérone" (figure 2). Différents composés stéroïdiens sont actuellement en phase de développement clinique (tableau) : la mifépristone (Mifégyne®) et l’acétate d’ulipristal (EllaOne®) sont déjà commercialisés, l’asoprisnil et le Proellex® sont en phase de développement. Des composés non stéroïdiens sont également à l’étude à un stade préclinique. Ils sont caractérisés par une grande sélectivité vis-à-vis du récepteur de la progestérone, ce qui devrait permettre de réduire les effets secondaires liés aux interactions avec d’autres récepteurs stéroïdiens. Effets mammaires des antiprogestérones L’importance du contexte cellulaire décrit plus haut rend les différentes modèles disponibles parfois complexes à réconcilier et à extrapoler. Substituant encombrant en C11 CH3 N H3C Substituant C 19 H3C OH CH3 Mifépristone Figure 2. Structure des antiprogestérones stéroïdiens (ici la mifépristone). Keywords Progesterone receptor Proliferation Breast cancer SPRM BRCA Références bibliographiques 1. Spitz IM, Robbins A. 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Composé Laboratoire Applications cliniques (phase d’étude) TAP (États-Unis) Léiomyomes (phase II-III) [suspendu] HRA Pharma (France), Preglem (Suisse) Contraception d’urgence Léiomyomes (phase II) Org 47322 Organon (Pays-Bas) Contraception (phase II) RU 486 (mifépristone, Mifégyne®) Exelgyn (France) Danco (États-Unis) Interruption de grossesse Contraception (phase II), Cancer du sein (phase II-III) Proellex® (CDB 4124) Zonagen (États-Unis) Léiomyomes (phase II-III) Endométriose (phase II-III) [arrêt temporaire, cytolyse hépatique à forte dose] J867 (asoprisnil) CDB/VA 2914 (acétate d'ulipristal, EllaOne®) Références bibliographiques Modèles cellulaires 10. Lydon JP, DeMayo FJ, Funk CR et al. Mice lacking progesterone receptor exhibit pleiotropic reproductive abnormalities. Genes Dev 1995;9:2266-78. 11. Mulac-Jericevic B, Mullinax RA, DeMayo FJ, Lydon JP, Conneely OM. Subgroup of reproductive functions of progesterone mediated by progesterone receptor-B isoform. 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Dans des cellules MCF7 résistantes au tamoxifène, la mifépristone seule ou associée au tamoxifène permet d’induire l’apoptose et d’arrêter la prolifération cellulaire. Des données plus récentes retrouvent l’effet antiprolifératif d’un SPRM en cours de développement sur les cellules T47D (25). Modèles animaux Le traitement par antiprogestérones (mifépristone et onapristone) permet la réduction des nodules souscutanés et des métastases ganglionnaires dans un modèle expérimental de greffe de tumeur mammaire ductale C7-2-HI (26, 27). D’autres modèles ont montré des effets similaires. Récemment, le groupe de Poole (28) a montré, dans un modèle de souris invalidées pour BRCA1, que la mifépristone pouvait prévenir la survenue de tumeurs mammaires dans 100 % des cas à 12 mois, alors que 100 % des souris non traitées étaient atteintes à 3,7 mois en absence de traitement. Cette donnée est très intéressante, car les cancers observés en cas de mutation BRCA1 chez la femme sont moins efficacement prévenus par le tamoxifène (29). La potentialité d’une stratégie alternative d’hormonoprévention est donc du plus grand intérêt. Études cliniques des SPRM dans le cancer du sein Les molécules qui ont été testées en clinique dans le traitement du cancer du sein sont la mifépristone (RU 486) et l'onapristone (ZK 98299). Cette dernière a été arrêtée dans son développement du fait d'une toxicité hépatique. Un taux de réponse a été observé avec la mifépristone dans des tumeurs aux récepteurs à la progestérone positifs. Les applications potentielles de la mifépristone ont été testées de façon limitée, éventuellement en association aux hormonothérapies plus conventionnelles telles que le tamoxifène et les inhibiteurs de l’aromatase (30, 31). Cette molécule constitue donc une piste intéressante chez les patientes devenues résistantes aux thérapies hormonales conventionnelles. Les nouvelles molécules PRM, notamment celles qui n’ont pas d’effet antiglucocorticoïdes, pourraient être plus intéressantes encore. Une étude évaluant un composé SPRM (ZK 211231) dans le traitement du cancer du sein métastatique est en cours. SPRM en hormonoprévention ? Les patientes porteuses de mutations des gènes BRCA1 et BRCA2 sont de bonnes candidates à une hormono-prévention compte tenu de leur risque très élevé, et pourraient ainsi disposer d’une alternative à la mastectomie bilatérale prophylactique. Les premiers essais portent sur la suppression de la production d'estradiol ou l’usage d’antagonistes des récepteurs de l’estradiol. Cette stratégie semble avoir une efficacité plus marquée chez les femmes porteuses d’une mutation BRCA2 (29). Les données exposées plus haut obtenues chez la souris invalidée pour BRCA1 avec la mifépristone ouvrent de nouvelles perspectives. Les éléments en thérapeutique sont encore réduits et ne permettent pas d’envisager une telle hormono-prévention. Enfin, les données actuelles de biologie moléculaire, suggérant que les protéines BRCA seraient des cofacteurs du récepteur de la progestérone (32), nécessitent que les effets des SPRM soient étudiés dans ce contexte spécifique. Le groupe de Poole évoque la possibilité d’une association de la mutation BRCA1 avec une augmentation de l’isoforme A du récepteur de la progestérone (également surexprimée dans les cancers de mauvais pronostic survenant chez les femmes non mutées [33] et dans le tissu mammaire juxta-tumoral chez les femmes mutées pour BRCA1 et porteuses d’un cancer [34]) et l’éventualité de l’utilisation de mifépristone pour 18 | La Lettre du Gynécologue • n° 363 - juin 2011 LG 2011-06.indd 18 07/06/11 09:45 DOSSIER réduire le risque de cancer du sein. Encore une fois, ces données doivent cependant être confirmées dans le contexte cellulaire humain. Dans le sein normal, une étude a montré la diminution des marqueurs de prolifération chez des femmes traitées par mifépristone (35). Effets extra-mammaires des PRM Chez les femmes non ménopausées, les PRM en administration continue inhibent l’ovulation sans bloquer le développement folliculaire préovulatoire (5). Ils entraînent une sécrétion d’estradiol physiologique dans les valeurs de phase folliculaire – ce qui, bien sûr, doit être pris en compte si on envisage leur utilisation dans le traitement du cancer du sein – et limitera peut-être leur indication aux seules femmes ménopausées (ou traitées par analogues de la GnRH). Chez les femmes ménopausées, la mifépristone (24), qui a des effets antiglucocorticoïdes, induit une élévation des androgènes surrénaliens, euxmêmes aromatisés en estrogènes. Ce point doit être connu, car, dans le cadre de la prise en charge des femmes atteintes de cancer du sein, il est préférable de choisir des antiprogestérones sans effets antiglucocorticoïdes, ou encore de leur adjoindre un traitement permettant de contrôler cette élévation des estrogènes de type inhibiteur de l’aromatase. Les effets endométriaux des SPRM sont également complexes. Dans la grande majorité des études cliniques, le principal effet se traduit en pratique par une aménorrhée chez les femmes non ménopausées (36). Des aspects histologiques évocateurs d’hyperplasie endométriale ont été décrits (37) chez des femmes traitées pour fibrome. Les données histologiques endométriales des études cliniques disponibles ont été réévaluées par un consensus d’experts. Cela a permis de créer une nouvelle classification des aspects observés, baptisés PAECS (SPRM Associated Endometrial Changes), qui ne peuvent être décrits dans les termes de la classification OMS en vigueur. L’aspect observé, distinct de l’hyperplasie, associe une dilatation kystique des glandes, réversible à l’arrêt du traitement, et un aspect dit "sécrétoire non physiologique" où l’on observe de manière concomitante des aspects normaux mais habituellement asynchrones. Ainsi, dans des glandes d’aspect sécrétoire apparaissent des figures d’apoptose et des figures de mitose. Le stroma adjacent peut être dense, alors qu’il est habituellement œdémateux en phase sécrétoire. Une meilleure connaissance de ces aspects lors de l’utilisation au long cours des composés est nécessaire avant leur emploi prolongé. Toutefois, dans le domaine du traitement du cancer du sein, leur utilisation sous surveillance endométriale éventuelle pourrait être envisagée au même titre que le tamoxifène. Sur le plan systémique, les SPRM sont bien tolérés (38). Des cas d’élévation des enzymes hépatiques ont été rapportés, à forte dose uniquement. Une élévation modérée de la prolactinémie a été notée, de manière non reproductible. Enfin, des kystes ovariens asymptomatiques et réversibles ont été observés. Conclusion Les progrès réalisés dans la prise en charge des femmes atteintes de cancer du sein nous conduisent à chercher en permanence de nouvelles thérapeutiques pour alléger les traitements actuels ou pour les compléter lorsqu’ils deviennent inefficaces. Il existe plusieurs arguments biologiques et cliniques pour proposer l’utilisation des antiprogestérones dans ce cadre, mais un grand nombre de questions restent posées, qui concernent notamment les effets extra-mammaires de tels composés. Le développement de molécules plus spécifiques du récepteur de la progestérone et, éventuellement, de ses isoformes pourrait représenter une avancée significative. ■ Références bibliographiques controlled by a novel hinge domain-binding coactivator L7/SPA and the corepressors N-CoR or SMRT. Mol Endocrinol 1997;11:693-705. 19. Wardell SE, Edwards DP. Mechanisms controlling agonist and antagonist potential of selective progesterone receptor modulators (SPRMs). Semin Reprod Med 2005;23:9-21. 20. Georgiakaki M, Chabbert-Buffet N, Dasen B et al. 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La Lettre du Gynécologue • LG 2011-06.indd 19 n° 363 - juin 2011 | 19 07/06/11 09:45