bactéries ? bactéries ?

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Santé des plantes
Doit-on avoir peur des
bactéries ?
Texte de Monique Lemattre
Les événements, largement commentés par la presse
d’hier et d’aujourd’hui, sur les épidémies d’origine bactérienne, dans le monde animal comme dans le monde
végétal, inclinent à imaginer des scénarios catastrophes,
avec des organismes dont l’extrême variabilité et la faculté d’adaptation sont maintenant bien connues. Mais
que penser à la lumière des connaissances actuelles de
l’incidence des bactéries sur la santé des cultures et celle
de leurs consommateurs ?
INRA
C
ar, dans ce domaine, se côtoient le
mal et le bien : des microorganismes
meurtriers de l’homme et des plantes, mais également des antagonistes régulateurs de populations pathogènes, des
germes améliorant les sols, ou symbiotes
des plantes pour fixer l’azote atmosphérique, sans compter les bactéries qui participent aux fermentations dans la fabrication de produits qui font la notoriété de la
France.
INRA
La “morve jaune” de la jacinthe (Xanthomonas
hyacinthi) sur bulbe en forçage.
Des relations longtemps
controversées
Anthuriumatteint de la bactériose à Xanthomonas
axonopodis pv. dieffenbachiae.
Depuis le XIXe siècle, la démonstration de
l’origine bactérienne de certaines maladies des végétaux est indiscutablement
démontrée, bien que ces découvertes
aient donné lieu en leur temps à des
controverses entre spécialistes sur les relations entre la présence de bactéries et
l’infection observée. On reconnaît actuellement 350 bactéries (espèces, sousespèces ou pathovar* appartenant à 21
genres), capables de provoquer des maladies chez les végétaux des principales
familles botaniques. Certaines bactéries
sont largement répandues à travers le
monde végétal et constituent de véritables
fléaux, étant à l’origine de maladies incurables.
Les plantes, comme l’homme et les animaux, sont atteintes par des épidémies
d’origine bactérienne, et si les récits qui
en ont été faits n’éveillent pas la peur,
au même titre que ceux relatifs à la
peste, au choléra ou à la tuberculose, ils
témoignent cependant d’incidences parfois catastrophiques sur l’alimentation
des populations et l’économie des pays
concernés.
Moins nombreuses que les infections cryptogamiques et virales, les bactérioses des
plantes ont cependant un impact socio-économique incontestable. Le dépérissement
bactérien du pêcher dû à Pseudomonas
syringae pv. persicae, apparu en France
en 1970, a fait disparaître 1 500 ha de
vergers de pêchers dans le nord de
l’Ardèche, et les frais d’indemnisation d’arrachage et de prospection ont coûté sur
10 ans près de 16 millions de francs de
l’époque. Les épidémies répétées de feu
bactérien dues à Erwinia amylovora ont
rendu les productions de poires confidentielles en Amérique du Nord. Contenu pendant un temps en Europe du Nord pour
des raisons qu’on estimait à tort d’ordre
climatique, le feu bactérien s’est introduit
dans le sud-ouest de la France en 1978,
entraînant, par application du principe de
précaution, l’arrachage de la variété de
poire ‘Passe-Crassane’.
*Pathovar : division infra-spécifique, s’ajoutant à la sous-espèce et résultant de la spécificité de certaines bactéries pour leur hôte végétal.
NOVEMBRE 2006 • JARDINS DE FRANCE •
31
Des incidences économiques
importantes
INRA
Lésions sur feuille de pois, infecté par Pseudomonas pisi.
INRA
Brunissement et dessèchement des fleurs de
cotonéaster, après transmission du feu bactérien au cours de la pollinisation par les abeilles.
INRA
Pourriture à Erwinia sur chicons d’endive forcés
en salle.
Au milieu du XXe siècle, plusieurs épidémies
ont touché très gravement les productions
ornementales, conduisant à un appauvrissement considérable de la diversité génétique des espèces infectées. Le Pelargonium X hortorum s’est trouvé décimé en
Europe et aux USA par le Xanthomonas
hortorum pv. pelargonii, et 10 ans plus
tard, la culture d’Anthurium en Amérique
du Sud et aux Antilles était à son tour menacée par Xanthomonas axonopodis pv.
dieffenbaciae. Cet appauvrissement de la
diversité génétique par l’impossibilité
d’utiliser les génotypes trop sensibles, peut
être largement illustré : interdiction en Italie
de la variété de prunier ‘Calita’, pour cause
de forte sensibilité à Xanthomonas arboricola pv. pruni , ou disparition en France
de la variété ‘Fertile de Coutard’, décimée
par Xanthomonas arboricola pv. corylina.
De même, la plantation des espèces de
Crataegus a été proscrite réglementairement, du fait de leur sensibilité au feu bactérien et du risque de propagation de la
maladie aux cultures de rosacées à pépins, fruitières et ornementales.
Actuellement, de nombreuses bactérioses
limitent encore des productions alimentaires. En régions tropicales, par exemple les
cultures de manioc attaquées par Xanthomonas axonopodis pv. manihotis, mais
aussi sous nos climats, si l’on se réfère aux
attaques de Pseudomonas pisi, observées
ces dernières années sur pois de plein
champ, ou aux dégâts causés par Acidovorax
valerianellae sur la mâche nantaise depuis
1991.
Si les bactérioses des plantes ont un impact socio-économique incontestable, elles
n’ont en revanche aucun effet connu sur la
santé de l’homme et de l’animal, même si
les bactéries en cause peuvent nous inquiéter du fait de leur appartenance à des
groupes comprenant des germes pathogènes de l’homme et des animaux.
Qu’est-ce qu’une bactérie ?
INRA
Pourriture du rhizome d’iris infecté par Erwinia
carotovora.
32 • JARDINS DE FRANCE • NOVEMBRE 2006
Les bactéries qui infectent les plantes, dénommées phytopathogènes, sont des organismes vivants, constitués d’une seule
cellule en forme de bâtonnet, d’environ
1 micron de long (1 000 bactéries bout à
bout font un millimètre). Elles sont autonomes et vivent en milieu aqueux, où elles se
déplacent, s’alimentent et se reproduisent.
Dans la plante, elles colonisent les espaces
entre les cellules et les tissus conducteurs.
Les informations nécessaires à leur fonctionnement et à leur multiplication sont codées par des gènes, constitués d’acides
désoxyribonucléiques (ADN). Une bactérie en possède environ un millier, réunis
sur un chromosome circulaire unique. En
dehors du chromosome qui assure la stabilité des caractères de l’espèce, les plasmides, constitués de molécules d’ADN plus
petites, portent une centaine de gènes.
Ces gènes ne sont pas indispensables au
fonctionnement de la cellule, mais lui
confèrent des avantages sélectifs dans les
milieux hostiles ou inhabituels, par exemple la résistance aux antibiotiques ou la
production de toxines.
La cellule bactérienne est délimitée par une
membrane cellulaire semi-perméable, qui
lui permet d’assurer ses échanges avec le
milieu extérieur et de maintenir constante
sa concentration en sels minéraux et en
métabolites. La membrane est doublée, à
l’extérieur, par une paroi rigide, glycoprotéique pour les bactéries Gram positives, ou phospholipidique pour les Gram
négatives, et par la capsule ou la couche muqueuse qui participe également à
la protection de la bactérie.
Un grand pouvoir d’adaptation
Les bactéries se reproduisent par division
binaire : elles s’allongent, puis se scindent
en deux cellules, qui à leur tour feront de
même. Ce phénomène s’apparente à la
multiplication végétative par scissiparité.
En conditions favorables de nutrition, de
température et d’oxygénation, il faut de
1 à 3 heures pour obtenir une génération,
et en 48 heures, la population issue de la
cellule-mère avoisine le milliard de bactéries. Le chromosome est recopié à chaque
division. En revanche, les plasmides peuvent être perdus ou échangés avec d’autres bactéries.
La conjugaison, phénomène qui s’apparente à la sexualité, est également connue
chez les bactéries : sous l’effet d’un facteur F
codé par un plasmide, une cellule don-
neuse s’associe à une cellule réceptrice et
lui cède tout ou partie de son chromosome. La variabilité qui résulte de la transmission, en une seule fois, de tout un lot
d’informations génétiques constitue, pour
les populations bactériennes, un formidable outil d’adaptation. Elle s’ajoute à la
variabilité résultant des mutations qui,
elles, sont ponctuelles et n’entraînent que
de légères modifications phénotypiques.
Enfin, le parasitisme par des virus appelés phages, s’il ne détruit pas la bactérie
infectée, peut modifier son comportement.
En outre, des fragments d’ADN, libérés
par la mort d’une bactérie, peuvent s’introduire dans une autre et s’intégrer à
son chromosome : c’est la transformation,
qui porte rarement sur plus d’un caractère.
Les bactéries phytopathogènes n’ont pas
de spore, forme de résistance que l’on
trouve par exemple chez les Bacillus, dont
certains sont agents de pathologies animales (charbon du mouton).
En conditions défavorables, froid ou sécheresse, elles peuvent rester en survie, à
condition d’être protégées par un peu de
matière organique. Elles sont tuées en chaleur humide au-delà de 60 °C.
Reconnaître une infection
bactérienne
Les symptômes exprimés par les plantes atteintes de bactériose sont assez peu typiques, et de multiples convergences viennent troubler le diagnostic lorsque la plante
est sujette à plusieurs maladies, ce qui est
la règle dans la plupart des cas.
L’infection peut se traduire par l’apparition
de pourritures molles, de taches huileuses
entourées d’un halo jaune, ou encore de
nécroses sèches. Si elles colonisent le système vasculaire en le rendant impropre à la
circulation de la sève, elles provoquent des
flétrissements de pousses et de rameaux,
et des dépérissements généralisés. Tel est le
cas des maladies dites vasculaires, quelles
que soient leurs origines, bactériennes ou
non. C’est le cas de Ralstonia solanacearum sur diverses solanacées. Certaines peuvent induire des tumeurs, des galles ou des
chancres sur les divers organes du végétal. Il en est ainsi de Pseudomonas savastonoi pv. nerii sur les feuilles et
les inflorescences du laurier-rose, et de
Rhodococcus fascians sur diverses plantes,
dont le pélargonium.
Les Xanthomonas provoquent généralement des symptômes de flétrissement, mais
également des taches nécrotiques au niveau du feuillage. Le chancre bactérien
des agrumes (Xanthomonas axonopodis
pv. citri) s’exprime en outre par des éruptions de tissus spongieux et liégeux au niveau de l’écorce des fruits.
Dans certaines maladies, en condition de
forte hygrométrie, des gouttelettes contenant les bactéries exsudent des tissus, ce
qui a valu à la bactériose à Xanthomonas
de la jacinthe son appellation commune
de “morve”.
Le spectre d’hôte d’une bactérie peut être
limité à une seule espèce végétale, comme
il peut couvrir plusieurs familles botaniques :
c’est le cas du crown-gall, où la bactérie
(Agrobacterium tumefaciens) infecte aussi
bien le rosier que le pélargonium ou le
chrysanthème.
La transmission des maladies
Contrairement à certains champignons qui,
grâce à la production d’enzymes – les chitinases – peuvent forcer la paroi des cellules végétales, les bactéries doivent
se contenter de pénétrer par les ouvertures
naturelles : stomates des feuilles, lenticelles
des tiges, nectaires des fleurs, cicatrices
foliaires et insertions racinaires. Les ouvertures accidentelles, comme les blessures causées par les pratiques culturales et
les événements climatiques (poils cassés et
lésions provoquées par le gel) sont largement utilisées. Certaines peuvent rester à
la surface des feuilles ou des tiges avant
de pénétrer : c’est la phase épiphyte, où
aucun signe de réaction de la plante n’éveille l’attention. Une bouture ou une graine
porteuse d’un germe pathogène donnera
une plante malade.
Les bactéries sont transmises par le sol, le
vent et l’eau – pluie mais aussi arrosage et
brumisation – les insectes, en particulier
au moment de la pollinisation, les oiseaux
et l’homme. Les opérations culturales ouvrent des voies de pénétration privilégiée :
au moment de la taille, du bouturage et
du greffage, les bactéries qui infectent le
végétal sont disséminées par le greffoir et
la main du manipulateur. Lors de ces tra-
vaux, les outils et les machines utilisés favorisent la dissémination des maladies en
général. Il faut donc veiller à une grande
hygiène et bien contrôler les facteurs en
cause.
Comment agissent les bactéries phytopathogènes ?
Elles ont sélectionné, au cours de l’évolution, des outils adaptés à leurs stratégies
d’infection et d’invasion des tissus végétaux vivants, afin de survivre et de se protéger des compétitions microbiennes. Mais
l’établissement de la maladie résultera de
la compatibilité entre la bactérie et la
plante-hôte. Pour beaucoup d’entre elles,
la compatibilité bactérie-plante s’établit à
la suite de la sécrétion de protéines par le
microorganisme.
Une fois pénétrée dans la plante, la bactérie va se multiplier entre les cellules, provoquant de proche en proche leur mort,
conférant cet aspect translucide désigné
par le terme de “graisse”. La production
de toxines par certains germes est associée à l’apparition de nécroses et de flétrissement. Les déséquilibres en phytohormones se traduisent par l’apparition de
tumeurs et de modifications, associées à
des proliférations désordonnées des cellules végétales (on parle d’hyperplasie),
dans les pathologies à Agrobacterium en
particulier, mais également dans des maladies provoquées par d’autres germes,
par exemple Rhodococcus fascians. Les
INRA
Vue en microscopie électronique de balayage
de bactéries pénétrant au niveau de la lésion
produite par l’extrusion d’une racine.
NOVEMBRE 2006 • JARDINS DE FRANCE •
33
Pour en savoir plus
• J.-P. Paulin et al., C.R. Acad. Sci.
Paris, Sciences de la Vie, 324 (2001)
905-914.
• C. Boucher et al., C.R. Acad. Sci.
Paris, Sciences de la Vie, 324, (2001)
915-922.
• J.-Y. Maufras et Catherine Grondeau,
Perspectives Agricoles, 224, mai 1997,
82-90.
• Régine Samson, PHM-Revue Horticole,
365, décembre 1995-janvier 1996,
21-23.
• J. Jullien, PHM-Revue Horticole,
459, juin 2004, 10-24.
• C. Vernère, Repères, Les maladies
des cultures pérennes tropicales, 231245, éd. D. Mariau – Cirad, 1997.
L'auteur remercie J.-P. Paulin pour son aide.
enzymes produites par les bactéries de
macération, comme Erwinia carotovora,
agent de la pourriture de l’iris, digèrent le
ciment, pectine et cellulose, des parois des
cellules végétales, désintégrant ainsi les tissus et les organes envahis.
Les mécanismes d’infection sont complexes
et mettent en jeux des métabolites bactériens très divers.
Des moyens de lutte contre
les bactérioses
Les bactérioses des plantes sont pratiquement incurables, contrairement à celles qui
affectent l’homme et l’animal. En effet, les
antibiotiques, dont l’usage est interdit sur
les plantes, sont par ailleurs très mal supportés par les végétaux et n’ont qu’une activité bactériostatique (qui bloque la multiplication). À l’intérieur des organes, la
bactérie devient pratiquement intouchable,
car les produits systémiques (qui circulent
dans la plante) font ici cruellement défaut.
L’intervention possible va donc se limiter à
la seule phase polluante.
Pour la désinfection externe, les bactéricides (qui tuent la bactérie), le chlore (eau
de Javel), le formol et les sels métalliques
(le cuivre dans la bouillie bordelaise), peuvent être utilisés. Les ammoniums quaternaires, préconisés en un temps pour dés34 • JARDINS DE FRANCE • NOVEMBRE 2006
INRA
Taches sur feuilles de mâche atteinte d’Acidovorax
valerianellae.
infecter les pots et les outils, sont à proscrire.
La lutte efficace se situe en amont chez le
producteur, qui doit appliquer en culture
les règles de prophylaxie (lutte préventive)
et la sélection sanitaire. Les méthodes de
dépistage et de sélection, décrites par
Josette Albouy dans son article Doit-on
avoir peur des virus ? (Jardins de France
n° 553 de janvier/février 2005), sont appliquées conjointement dans les laboratoires spécialisés, publics et privés, pour sélectionner des plantes saines. Les contrôles
sont également faits sur les semences qui,
au même titre que les boutures, transmettent ces maladies. Certaines bactérioses
sont soumises à quarantaine (par exemple
le feu bactérien) sous le contrôle du Service
de la Protection des Végétaux. Dans ce cas,
les plantes sensibles à la maladie ne peuvent être introduites et sont éradiquées en
culture. Depuis 1994, pour circuler librement à travers les pays de l’Union européenne, le matériel végétal doit être accompagné d’un passeport phytosanitaire.
pas de condamner les nouvelles plantations.
La stérilisation des sols n’est plus recommandée, car elle entraîne de nombreux inconvénients, en supprimant les antagonismes naturels. De même, la
prescription de substances stimulant les défenses naturelles des plantes, par exemple
le fosétyl d’aluminium ou Aliette, est très
modérément recommandée, bien que la
lutte par stimulation des défenses naturelles
semble très prometteuse.
Avec les changements de climat, les maladies des régions chaudes risquent d’apparaître dans nos régions. Déjà, des exemples nous en sont donnés : le Ralstonia solanacearum, agent de la maladie vasculaire
des solanacées (pomme de terre, tomate…)
en région tropicale, a été récemment signalé
en Europe sur le pélargonium.
Les bactérioses, comme les autres maladies,
donnent lieu à des épidémies lorsque les facteurs de risque sont réunis, et leur évolution
n’est pas contrôlée, malgré les énormes progrès, ces dernières années, de la connaissance en bactériologie. L’utilisation de plants
sains et de cultivars sélectionnés pour leur
résistance aux maladies, ainsi que la pratique des règles d’hygiène, restent les valeurs sûres pour se protéger et diminuer les
risques d’infection dans nos jardins. Une origine contrôlée
L’utilisateur devra donc s’enquérir, avant
tout achat, de l’origine des semences et
plants, ainsi que des variétés résistantes
commercialisées. Son rôle se limitera malheureusement à veiller à l’application des
règles d’hygiène, et à ne pas réintroduire
dans les massifs précédemment infectés les
mêmes végétaux, ou d’autres espèces également sensibles : par exemple, les nombreuses espèces sensibles au crown-gall,
car les bactéries, qui restent dans les débris végétaux et le sol, ne manqueraient
INRA
Transmission au bouturage d’Agrobacterium
tumefaciens sur chrysanthème.
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