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Les Perses
poluchrusos (tout en or). Pourtant, « le tourment / point le
cœur de mon cœur » (• v. 10-11) ; son cœur est un
« prophète de malheur » (kakomantis thumos) qui lui ins-
pire de noires inquiétudes et qui assombrit l’éclat de l’or.
Il a beau énumérer ensuite la formidable puissance de
l’armée « dorée » partie avec Xerxès, il trouve le temps
long et les messagers lents.
Le chœur, une fois en place (• v. 65), entonne son
Ier chant : on l’appelle la parodos, le chant d’entrée du
chœur, qui suppose danse et psalmodie. Pour autant, le
chœur n’est pas un élément décoratif ; il participe à
l’action, il est intéressé à l’avenir obscur. Ces vieillards
ont peur, pour eux-mêmes, pour leurs enfants absents ;
mais ils expriment aussi l’angoisse de tout un peuple, des
« femmes perses, de douleurs / prostrées » dont « les lits
sont tout pleins de larmes » (• v. 133-135). Ils élargissent
ainsi les propos alarmistes du coryphée. Toutefois, eux
aussi essaient de se rassurer : l’armée a déjà franchi l’Hel-
lespont (le Bosphore) qui sépare les deux continents… Le
« troupeau merveilleux » conduit par Xerxès est comme
« la mer / qui déferle, irrésistible » (• v. 74 et 90). Mais le
cœur n’y est pas, les vieillards sont, plus que d’autres,
sujets à l’angoisse 1. Ces vieillards paralysés par l’âge et
l’anxiété sont donc la voix même du tragique, offerts aux
coups du destin sans moyen de défense. D’où l’impor-
tance du chœur dans les tout débuts du genre tragique, au
point qu’on a pu dire que « la tragédie est née du chœur
tragique, à l’origine elle fut le chœur et rien que le
chœur 2 ». Les Perses gardent bien des traits de ces ori-
gines, dans la mesure où le texte ressemble encore à un
« poème tragique », sans beaucoup d’action, tout en
« plaintes dolentes » (• v. 1077).
Après la parodos viennent les épisodes, les parties com-
prises entre deux chants du chœur, et tandis que les épi-
1. Cf. J. de Romilly : « Le chœur doit être à la fois plus intéressé que qui-
conque à l’issue des événements, et partout incapable d’y jouer lui-
même aucun rôle. Il est par définition impuissant. Aussi est-il le plus
souvent formé de femmes ou de vieillards, trop vieux pour aller se
battre. » La Tragédie grecque, PUF, 1970, p. 28.
2. Nietzsche, Naissance de la tragédie (1871), Gonthier, p. 47.