ESCHYLE, LES PERSES SYNTHESES Propositions de plans *** LES CAUSES DE LA VICTOIRE D'ATHENES DANS LES PERSES La victoire d'Athènes face à la puissante armée perse lors de la bataille de Salamine était difficilement prévisible ; la pièce d'Eschyle contribue-t-elle à expliquer cette histoire facétieuse ? I DES CAUSES MULTIPLES 1. L'orgueil des Perses, puni par les dieux L'orgueil du peuple perse, considérant leurs rois comme des dieux (cf. propos du choeur à propos de Xerxès : « lui, cet homme / égal des dieux, et dont la race est née de l'or ! », v.79-80) ; le caractère désordonné de l'armée perse cernée par les Grecs (v. 413-418) ; l'impiété dont les Perses font preuve en terre grecque (v. 809-812). L'orgueil de Xerxès, dont l'excès de confiance en la puissance de son armée le conduit à faire une série de mauvais choix : vider l'empire de ses hommes, franchir l'Hellespont (v. 744-750), croire trop vite les propos du faux traître (v. 361). Ces différents avatars de l'hybris des Perses expliquent que les dieux leurs soient, tout au long des opérations, défavorables (v. 345, 373, 472, 496, 515-516 (Le Coryphée : « O daïmon implacable ! Avec quel poids, / de tes pieds joints, tu as foulé la race perse ! »)), etc. 2. La puissance athénienne Athènes est forte d'une armée expérimentée (v. 236), équipée d'épées, de cuirasses, de boucliers (v. 240) et, surtout, soudée par un objectif partagé: délivrer la patrie menacée (v. 400-405). La puissance d'Athènes se manifeste par le contrôle qu'elle manifeste à l'égard des éléments : l'eau (contrôle de la mer grâce à des navires adaptés au théâtre des combats), la terre (les Athéniens possèdent, avec les mines d'argent du Laurion, « un trésor enfoui dans la terre » (v. 238), qu'ils sauront exploiter pour construire leurs navires de guerre) ; et l'image de l'épervier vainqueur de l'aigle qui préfigure, dans le songe d'Atossa, la défaite perse, montre les Athéniens symboliquement maîtres de l'air. Les Athéniens savent aussi utiliser la ruse pour arriver à leurs fins, lorsqu'ils envoient le faux traître parler à Xerxès. La puissance athénienne bénéficie, enfin, de l'aide des dieux, tout au long des opérations : cf. ce qui a été dit plus haut à propos des Perses ; « Le dieu donna aux Grecs le prestige naval » (v. 455). II UNE PLURALITE D'EXPLICATIONS AU SERVICE DE LA PEINTURE D'UNE MONDE COMPLEXE 1. L'exaltation du patriotisme athénien Tous les éléments mentionnés ci-dessus paraissent s'associer pour faire, à l'unisson, l'apologie de la démocratie naissante, victorieuse contre contre la tyrannie perse. 2. L'invitation à l'humilité La victoire des Grecs, c'est celle de ceux qui savent tirer parti des atouts de la nature sans dénaturer le monde contre ceux qui se rendent coupable d'hybris en transgressant les lois de la nature. Mais la leçon d'humilité délivrée par cette victoire athénienne tient aussi à la difficulté de faire l'exacte part des responsabilités de chacun dans l'issue du combat (cf. l'ambiguïté des propos de Darios au v. 742 : « Mais qui se hâte vers sa perte, il trouve un dieu pour l'assister ! » ; cf. les propos d'Atossa au v. 753 qui nuancent la responsabilité du seul Xerxès). Les Grecs ne sauraient donc 1 revendiquer trop vite tout le mérite de la victoire... 3. La conscience tragique de l'opacité du monde Le fait que la pièce ne fournisse pas d'explication unique à la victoire athénienne mais superpose les lectures possibles de la bataille de Salamine rappelle avant tout au public de l'époque – et peut-être, par delà les âges, au lecteur du vingt-et-unième siècle – que le monde est trop complexe pour être saisi par la raison humaine ; ce que le messager évoque en premier lieu, du reste, pour expliquer la défaite, c'est l'intervention d'un « daïmon pervers, surgi on ne sait d'où » (v. 354). On est précisément là au cœur du tragique eschylien : « Une fois posées les questions, il n'est plus pour la conscience tragique de réponse qui puisse pleinement la satisfaire et clore son interrogation. » (Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet, Mythe et tragédie en Grèce ancienne, 1972). * INDIVIDU ET GROUPE FACE A LA GUERRE En quoi les choix dramaturgiques d'Eschyle rendent-ils particulièrement sensible le fait qu'une guerre unifie les destins individuels et les destins collectifs ? I LA MISE EN SCENE DE L'INDIVIDU : SOUFFRANCE ET SOLITUDE 1. Atossa Apparaît sur scène délaissée, abandonnée de son peuple et sans nouvelle de son fils. Sa solitude angoissée apparaît d'autant plus nettement qu'elle est face au choeur, ce personnage collectif à qui elle vient, au début de la pièce, demander conseil. 2. Xerxès Il entre en scène seul et dépouillé de ses armes ; il incarne la figure du héros déchu. Sa solitude apparaît également d'autant plus cruelle qu'il est lui aussi confronté au choeur qui fait ici office de véritable tribunal de la conscience du chef orgueilleux et défait. II LA FORCE ET LA COHESION DU GROUPE VICTORIEUX 1. La bataille de Salamine : la victoire d'un groupe soudé autour d'un objectif noble (la défense de la patrie menacée) contre Xerxès, l'individu orgueilleux ; une histoire porteuse d'un idéal démocratique. La figure de Thémistocle (le général qui a conçu le piège de Salamine) est significativement évacuée de la pièce d'Eschyle : il s'agit de mieux louer la cité athénienne en tant que telle. Le caractère unifié de l'armée grecque est évoqué par le messager : « En un instant tous sont apparus, bien en vue ; ce fut pour commencer l'aile droite, conduite en bon ordre ; la flotte, ensuite, tout entière s'avançait, et de toutes parts l'on entendait ce cri nombreux : « Allez, fils des Grecs ! délivrez Votre patrie, délivrez vos fils et vos femmes, les autels des dieux de vos pères, les tombeaux de vos aïeux ! C'est pour eux tous qu'il faut se battre ! » (v. 398-405). 2. Le théâtre eschylien, au cœur de la cité, réitère, en traitant de la bataille de Salamine, ce que cette dernière a engendré de sentiment civique renforcé chez les Athéniens. III LE CARACTERE A LA FOIS PERSONNEL ET COLLECTIF DE L'EXPERIENCE DE LA 2 GUERRE 1. Des responsabilités à la fois individuelles et collectives L'exemple de Xerxès, coupable individuellement d'ambition démesurée... mais aussi, selon Atossa (v. 753), mal conseillé. L'exemple du faux traître qui induit Xerxès en erreur : le rôle de ce Grec est décisif, mais il agit au nom de l'armée athénienne tout entière. 2. Les victimes de la guerre : une foule d'individus Cf. énumérations des noms des Perses tombés à Salamine). 3. Des douleurs à la fois individuelles et partagées La pièce d'Eschyle met en scène ou évoque des douleurs individuelles dans leurs modalités, leurs manifestations (les inquiétudes d'une mère, les remords d'un roi coupable, les larmes des femmes abandonnées...) mais qui sont celle de tout un peuple ; la présence du choeur, qui vient sans cesse relayer les cris et les lamentations des protagonistes, contribue à conférer à la douleur sa dimension collective – et, ainsi, à l'amplifier. * LA MISE EN SCENE DE LA DEFAITE DANS LES PERSES En quoi le traitement que la pièce d'Eschyle réserve à la défaite perse lors de la bataille de Salamine est-il particulièrement à même de susciter l'émotion du spectateur – et partant de servir l'objectif cathartique de la pièce ? I LES PROCEDES D'AMPLIFICATION UTILISES POUR EVOQUER ET METTRE EN SCENE LA DEFAITE PERSE 1. Le caractère fédérateur de la douleur de la défaite Une angoisse constante, croissante, jamais résolue. Aucun personnage de la pièce n'est épargné par la douleur. 2. Hyperboles (« l'armée tout entière a péri », v. 255) et énumérations (cf. listes des noms des Perses tombés à Salamine). 3. Des jeux d'opposition L' évocation du départ de l'armée perse au début de la pièce, la présentation du Grand Roi, maître du continent au sommet de sa gloire, rendent l'annonce de la chute de l'empire perse d'autant plus brutale. 4. Des images expressives Quelques exemples : Le Choeur, v. 274-277 : « Hou la la la ! Ainsi, les nôtres, corps ballottés, corps engloutis, inertes dans leurs grands manteaux, s'en vont à la dérive, au fil de l'eau ! » Le messager, v. 314-316 : « Matallos de de Chryse, commandant de dix mille, mort ; son menton couvert de barbe, il l'aura teint en roux dans un bain empourpré. » 3 5. Des gestes de douleur Déchirer ses vêtements (coutume courante l'orient antique, en signe de deuil), arracher ses cheveux, pleurer, crier, gémir. 6. Plaintes et exclamations Traduites par « Hou la la » ou « aïe ! Aïe ! » ; tous les profèrent, et elles semblent même parfois être prononcées à l'unisson par le choeur et Xerxès (v. 1043, 1051). 7. Le recours à l'indicible pour mieux suggérer l'ampleur du désastre Cf. les propos du messager (v. 429-432) : « Cette foule de maux, quand je parlerais même dix journées d'affilée, je n'en pourrais venir à bout : sache-le bien, jamais en un seul jour n'aura péri une aussi grande foule d'hommes. » II LE PARADOXE D'UNE DEFAITE EVACUEE DE LA SCENE DU THEÂTRE 1. Dans la mesure où le théâtre grec ne montre pas de scène de combat, le spectateur des Perses n'assiste pas directement à la défaite de Salamine. 2. Cette défaite est d'abord redoutée et pressentie (songe d'Atossa) au début de la pièce. 3. Elle est ensuite racontée, après coup, par le messager, puis abondamment commentée tout au long de la pièce. Le fait que cette défaite soit plus suggérée que mise en scène, loin d'en atténuer la portée, ne fait qu'en intensifier davantage l'expression. III LES EFFETS PRODUITS PAR CE TRAITEMENT THEÂTRAL DE LA DEFAITE 1. Emouvoir Le public ne peut qu'être touché par le spectacle de la douleur du peuple perse, fût-il le peuple ennemi. 2. Délivrer un enseignement Les émotions suscitées par la mise en scène de la défaite se font support d'une leçon d'humilité : spectacle de l'ambition de Xerxès châtié ; refus de céder à la facilité du chant de triomphe. 3. La visée cathartique de la pièce (NB : Cathartique : qui apaise les passions en les libérant). Les Perses illustrent parfaitement ces propos d'Hélène Frappat (La Violence, 2000) : « La guerre possède un effet cathartique : à l'instar de tout conflit, elle oblige les individus à prendre conscience des enjeux de leur existence. La violence de la guerre [est] un spectacle révélateur du sens de l'existence ». * * * 4 5