partie de la richesse créée quitte le territoire. En rupture avec cette vision, les réflexions développées par le mouvement
BALLE, et d’autres comme American Independent Business Alliance (AMIBA) ou l’Institute for Local Self-Reliance (ILSR)
montrent que la prospérité économique, sociale et écologique des territoires est, en réalité, liée à l’ancrage local du
capital des entreprises et au couple production-consommation.
Qu’entend-on ici par « entreprise locale » et pourquoi jouent-elles un rôle important dans le développement
économique du territoire ?
Pour BALLE, une entreprise n’est « locale » que si son capital est majoritairement détenu par des personnes ou
organisations résidant dans la région où opère principalement l’entreprise, mais aussi si ses dirigeants y vivent et
travaillent. Pour la pensée économique dominante, savoir qui détient la propriété des entreprises n’a aucune importance
: toutes contribuent à la création de richesses et d’emplois, paient des impôts, etc. Or, rien n’est moins vrai ! Les études
conduites par Shuman, BALLE, l’Institute for Local Self-Reliance et plusieurs universités ont montré que les entreprises
locales contribuent beaucoup plus au développement économique du territoire que ne le font les firmes non locales. La
part du chiffre d’affaires d’une entreprise locale qui est réinjectée dans l’économie du territoire est, en moyenne, trois fois
supérieure à celle des grandes chaînes nationales et internationales. En effet, par unité de chiffre d’affaires ou d’actifs,
les entreprises locales créent davantage d’emplois, offrent de meilleurs salaires, s’approvisionnent davantage
localement, génèrent plus de retombées pour le monde associatif et de rentrées fiscales pour les collectivités. On peut
ajouter que le dynamisme des entreprises locales ne contribue pas seulement à la prospérité économique des territoires,
il favorise aussi leur cohésion et leur résilience. En effet, quand les entrepreneurs vivent dans la communauté où se
déploie leur activité, ils sont plus sensibles aux impacts - positifs ou négatifs - que peuvent avoir leurs décisions sur la
communauté. De même, lorsque les chaînes d’approvisionnement privilégient les ressources et les savoir-faire de
proximité, la communauté est davantage encline à préserver ces derniers et se trouve du même coup moins affectée par
les chocs extérieurs.
Ainsi, selon Michael Shuman, les communautés locales les plus prospères sont celles qui maximisent leur autonomie
dans la satisfaction de leurs besoins. Il constate que les communautés locales disposent d’un réel pouvoir d’agir, à
travers l’entrepreneuriat et la consommation. D’un côté, l’entrepreneuriat local permet de diversifier l’offre de biens et de
services. De l’autre, chacun peut faire le choix d’acheter et d’investir en priorité dans les entreprises du territoire.
Face à la mondialisation, l’autarcie ?
Non, ce n’est clairement pas l’état d’esprit des membres de BALLE ! Promouvoir la relocalisation de l’économie n’est pas
remettre en cause le principe d’ouverture économique et les échanges qu’il permet. Il s’agit plutôt de repenser, en la
rééquilibrant, notre conception de la mondialisation. Aujourd’hui, l’une des erreurs des politiques conventionnelles de
développement économique est de se focaliser trop exclusivement sur les marchés mondiaux, sous-estimant ou ignorant
les opportunités et enjeux locaux. Leur hypothèse est que si vous êtes compétitifs sur les marchés mondiaux, la
prospérité locale suivra mécaniquement. D’autre part, certains pourraient penser qu’aller vers davantage d’autonomie
des communautés locales se traduirait par un recul des échanges et donc de la richesse. Selon Michael Shuman, ce
raisonnement est erroné. En effet, même si cela peut paraitre contre-intuitif, la relocalisation de l’économie pourrait au
contraire stimuler le commerce. D’une part, si l’on peut amener les territoires à un niveau d’autonomie optimale – et non
totale, comme dans le cas de l’autarcie– ils libèreront plus de moyens pour acquérir sur le marché mondial les produits et
services qui ne peuvent être produits de façon performante à proximité. D’autre part, stimuler l’offre locale par la
demande locale permettra d’atteindre un seuil de maturité du tissu économique local grâce auquel certaines entreprises
du cru émergeront pour se tourner vers les marchés nationaux et mondiaux. Au final, on peut même penser que, parce
qu’elles seront d’abord et avant tout ancrées sur leur marché régional, donc moins dépendantes du marché mondialisé
pour leur survie, les entreprises accepteront davantage de partager leurs techniques et savoir-faire avec les acteurs
d’autres économies locales.
Du reste, le mouvement de relocalisation de l’économie paraît aujourd’hui amorcé. La montée du prix du pétrole, la
fiscalisation croissante des externalités négatives, la demande des consommateurs pour des produits du cru, de
multiples facteurs poussent les acteurs économiques à réorganiser les chaînes de valeur. Contrairement aux échanges
d’informations et de connaissances, qui devraient aller en se globalisant, les transports de matière et d’énergie sont
appelés à se développer sur des échelles progressivement plus réduites.
Cependant, les entreprises locales sont généralement de plus petite taille. N’est-ce pas un handicap pour
proposer des biens et services de qualité et au meilleur coût ?
Pour Shuman, il s’agit là aussi d’une erreur de raisonnement. Tout d’abord, lorsque l’on parle d’économie d’échelle, on
utilise souvent une extrapolation faussée de la théorie. Car cette dernière nous dit qu’il existe, quelque part, un seuil
optimal sur l’échelle de la performance, et que si la taille de l’entreprise s’éloigne de ce seuil -en diminuant ou en
augmentant-, son efficacité se réduit. Le niveau optimal, le plus performant, n’est donc pas le « toujours plus grand »!
D’ailleurs, on ne compte plus les études américaines montrant que les entreprises les plus dynamiques en termes
d’innovation ne sont pas les plus grosses. Les grands groupes ne se développent-ils pas, pour une bonne part, par
croissance externe, c’est-à-dire par agrégation d’entreprises plus petites et plus performantes ? Ils rachètent la meilleure
capacité d’innovation des start-up. Et puis, comme le soutient Michael Shuman, les économies d’échelle liées à la taille