TRIBUNE
52 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XIV - n° 2 - mars-arvil 2011
permet une aide efficace à ceux des fumeurs qui ne réussissent
pas à changer leurs comportements.
La bonne distance
Un positionnement professionnel devrait être en premier
lieu celui qui ne dramatise ni ne banalise
(1)
. Il est souvent
difficile de comprendre ce qui fait qu’une personne fumeuse
atteinte d’une pathologie liée à son tabagisme ne modifie
pas automatiquement son comportement, dès le diagnostic
de la pathologie posé. Dans le but de peser sur la décision du
patient, les professionnels peuvent être alors tentés de
“noircir
le tableau”.
Face à cette dramatisation et pour se protéger,
la personne en difficulté avec son comportement résiste et
banalise les risques qu’elle encourt. C’est ainsi que le discours
préventif en vient à brandir des menaces qui ne sont jamais
entendues de ceux à qui elles sont destinées. Ne pas changer,
lorsque l’on connaît les risques de son comportement ou si l’on
souffre personnellement des conséquences, est précisément
l’un des signes de dépendance
(2)
.
Ensuite, recourir aux postures de toute-puissance, c’est
prendre le risque du désengagement et de l’impuissance.
L’exercice médical repose classiquement sur la triade symp-
tômes-diagnostic-traitement. Dans le cadre des addictions,
celle-ci n’est pas valide et le médecin ne détient ni le sens à
donner aux difficultés ressenties par la personne ni des solu-
tions magiques. La personne mise en échec par son comporte-
ment espère pourtant cette solution magique et son attente
implicite risque d’imposer au médecin un positionnement
auquel il est habitué : celui d’une toute-puissance espérée.
Or cette dernière ne peut que conduire le professionnel à une
déception qui va se traduire par le sentiment d’être démuni
face au tabagisme. De là, il va se désengager et ne plus inter-
venir du tout. Aucune de ces attitudes n’est juste ni
“aidante”
pour les personnes en difficulté avec leur comportement.
Enfin, l’injonction à arrêter de fumer comme le conseil implicite
ou explicite de continuer ne sont pas pertinents. Les fumeurs
fument pour vivre et non pour mourir. Ils en tirent des avan-
tages certains et immédiats. Les inconvénients brandis comme
des menaces ne sont que des probabilités… pour demain !
Prescrire à un fumeur d’arrêter de fumer revient à le conduire
à se protéger de l’intervention du soignant, à renforcer la liste
souvent longue des avantages qu’il trouve à fumer. Et si le
praticien découvre tout le malheur que la vie réserve à certains
d’entre nous, alors la tentation est grande de compatir et de
trouver que fumer est finalement un moindre mal !
Ne pas se laisser disqualifier
Le professionnalisme en tabacologie (au sujet de la dépen-
dance au tabac et non de sa toxicité) est encore en construc-
tion et les confusions sont encore fréquentes. Ainsi, la question
est souvent posée par les personnes qui consultent :
“Et vous,
Docteur, est-ce que vous fumez ?”
Répondre
“oui”
, c’est
prendre le risque que le patient se demande ce que vous
faites là à tenter de combattre avec elle un fléau contre lequel
vous ne savez pas lutter. Répondre
“non”
, c’est prendre celui
de passer pour quelqu’un qui ne sait pas ce qu’est la dépen-
dance parce qu’il ne l’a pas vécue. Répondre que vous avez
arrêté, c’est prendre celui, enfin, de voir votre comportement
personnel occuper une place centrale dans l’échange avec le
patient, sans lui être d’aucune utilité. Bref, répondre direc-
tement à cette question, c’est risquer de ne jamais savoir ce
que la personne exprime à travers sa question : la peur de
ne pas être comprise, d’être rejetée si elle ne parvient pas à
arrêter de fumer, ou l’incompréhension de voir un médecin
s’intéresser et pratiquer une discipline rébarbative réputée
conduire plus souvent à l’échec qu’à la réussite.
Or, la personne en difficulté avec son comportement a besoin
de réponse à sa question cachée. Cette apparente non-réponse
n’est pas une fuite, ni une démission face à elle, mais une
occasion de plus au cœur de la relation thérapeutique.
Pour un cadre thérapeutique sécurisant
Elle a, en effet, besoin d’un soutien inconditionnel. Ce qui ne
veut pas dire que le professionnel doit tout accepter d’elle.
C’est bien le cadre thérapeutique qui va protéger le fumeur
et le soignant des dérives qui les guettent. Cela implique
d’installer une alliance thérapeutique, d’être disponible
et bienveillant. Sans complaisance. Et aussi de proposer les
traitements disponibles et évalués, en sachant que ceux-ci
permettent ou facilitent l’apprentissage de la vie sans tabac,
sans remplacer cet apprentissage. Le soignant se doit d’appro-
fondir ses savoir-faire pour accompagner cet apprentissage.
En se concentrant sur cet objectif, le soignant permettra
au fumeur de s’emparer de l’objectif d’arrêt du tabac, et
ainsi éviter le positionnement de sauveteur tel que le décrit
Karpman
(3)
dans le triangle dramatique qui porte son nom :
Sauveteur
Victime
Persécuteur