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Tabac : pour un positionnement clair
des professionnels
E. Larinier-Haas*
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interdiction de fumer dans les lieux collectifs n’est
désormais plus contestée. S’il y a bien, çà et là,
quelques résistances, elles sont rares. Pour autant,
le problème de la dépendance tabagique est loin d’être
réglé, notamment en ce qui concerne les connaissances et
les pratiques des professionnels de santé, lorsqu’ils sont
confrontés aux questionnements des patients fumeurs.
À leurs demandes ou non-demandes d’arrêter de fumer.
L’expérience personnelle n’est pas le modèle
D’une part, une transmission du savoir reconnu et admis par
la communauté tabacologique internationale mérite la mobilisation des énergies. D’autre part, une partie de l’exercice en
addictologie en général, et en tabacologie en particulier, nécessite, pour que ce savoir soit utilisé efficacement, une rigueur de
positionnement face au produit et à l’utilisation que la personne
fumeuse en fait et à la personne elle-même. Cette dimension
est beaucoup plus présente en ce qui concerne le tabagisme,
puisque, très souvent, les médecins et les autres intervenants
dans le champ de la santé sont ou ont été eux-mêmes des
fumeurs. Il est en effet tentant pour un professionnel de s’appuyer sur son expérience personnelle pour apporter une aide
aux patients fumeurs, ce qui implique un inconvénient essentiel : la possibilité d’une disqualification de ceux des professionnels de santé qui, eux, n’ont pas cette expérience.
La légitimité professionnelle face au tabagisme repose sur
l’absolue nécessité de respecter, voire de promouvoir, la liberté
de décision de la personne face à sa dépendance. Face aux
personnes fumeuses atteintes de pathologies liées à leur tabagisme, l’habitude est de “prescrire” l’arrêt du tabac. Or, à ce
moment-là, la personne a surtout besoin de comprendre en
quoi son tabagisme est en cause dans la pathologie dont elle
souffre. Dans le cas de la bronchite chronique, par exemple,
© Le Courrier des addictions 2010;4:22-3.
* CSAPA, association LYADE-C2A (Lyon) et Tabac info-service.
il est un fait qui, justement, peut l’empêcher de comprendre la
pertinence de l’arrêt du tabac : sa première cigarette… qui lui
fait cesser de tousser le matin ! Elle a donc besoin d’éléments
qui vont lui permettre de trouver une cohérence parmi des
informations qui lui apparaissent comme contradictoires. Le
“il faut arrêter de fumer” entendu dans ces circonstances va
donc renforcer la résistance à l’arrêt.
La plupart des professionnels exerçant actuellement n’ont
pas bénéficié pendant leurs études d’un enseignement spécifique sur les comportements de consommation de substances
psychoactives. À l’occasion des formations organisées par les
structures hospitalières pour la formation continue de leurs
salariés, on observe que les professionnels présents se positionnent personnellement face au tabagisme des personnes qu’elles
soignent et tirent leurs connaissances de leur expérience. Ce
positionnement personnel peut devenir un obstacle, collectivement parce que fumeurs et non-fumeurs considèrent, pour
des raisons différentes, qu’ils sont incompétents. Les fumeurs
se sentent incompétents pour prodiguer des conseils qu’ils ne
savent pas suivre, les non-fumeurs aussi car ils ne connaissent
ni ne comprennent le comportement tabagique. L’expérience
personnelle peut donc être un obstacle individuel puisque, dans
ces conditions, la connaissance personnelle de l’arrêt du tabac
risque d’être la seule valide pour venir en aide aux fumeurs.
Comment cet arrêt s’est-il passé ? Comme une expérience facile,
renarcissisante, faisant de l’ex-fumeur une personne pleine de
volonté, dont il convient de suivre l’exemple ? Un parcours du
combattant, difficile, semé d’embûches, dans lequel il ne faut
s’engager que si l’on est sûr de réussir ? L’expérience personnelle
ne peut pas être le modèle du sevrage par lequel tout fumeur
doit passer. Elle ne peut pas être ce qui légitime une intervention
de soins dispensée par un professionnel.
La dépendance est un trouble du fonctionnement cérébral que
la personne dépendante a souvent du mal à dépasser seule.
Cette aide a des bases scientifiques validées. La pratique
a enseigné des savoir-faire et la transmission de ces notions
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permet une aide efficace à ceux des fumeurs qui ne réussissent
pas à changer leurs comportements.
La bonne distance
Un positionnement professionnel devrait être en premier
lieu celui qui ne dramatise ni ne banalise (1). Il est souvent
difficile de comprendre ce qui fait qu’une personne fumeuse
atteinte d’une pathologie liée à son tabagisme ne modifie
pas automatiquement son comportement, dès le diagnostic
de la pathologie posé. Dans le but de peser sur la décision du
patient, les professionnels peuvent être alors tentés de “noircir
le tableau”. Face à cette dramatisation et pour se protéger,
la personne en difficulté avec son comportement résiste et
banalise les risques qu’elle encourt. C’est ainsi que le discours
préventif en vient à brandir des menaces qui ne sont jamais
entendues de ceux à qui elles sont destinées. Ne pas changer,
lorsque l’on connaît les risques de son comportement ou si l’on
souffre personnellement des conséquences, est précisément
l’un des signes de dépendance (2).
Ensuite, recourir aux postures de toute-puissance, c’est
prendre le risque du désengagement et de l’impuissance.
L’exercice médical repose classiquement sur la triade symptômes-diagnostic-traitement. Dans le cadre des addictions,
celle-ci n’est pas valide et le médecin ne détient ni le sens à
donner aux difficultés ressenties par la personne ni des solutions magiques. La personne mise en échec par son comportement espère pourtant cette solution magique et son attente
implicite risque d’imposer au médecin un positionnement
auquel il est habitué : celui d’une toute-puissance espérée.
Or cette dernière ne peut que conduire le professionnel à une
déception qui va se traduire par le sentiment d’être démuni
face au tabagisme. De là, il va se désengager et ne plus intervenir du tout. Aucune de ces attitudes n’est juste ni “aidante”
pour les personnes en difficulté avec leur comportement.
Enfin, l’injonction à arrêter de fumer comme le conseil implicite
ou explicite de continuer ne sont pas pertinents. Les fumeurs
fument pour vivre et non pour mourir. Ils en tirent des avantages certains et immédiats. Les inconvénients brandis comme
des menaces ne sont que des probabilités… pour demain !
Prescrire à un fumeur d’arrêter de fumer revient à le conduire
à se protéger de l’intervention du soignant, à renforcer la liste
souvent longue des avantages qu’il trouve à fumer. Et si le
praticien découvre tout le malheur que la vie réserve à certains
d’entre nous, alors la tentation est grande de compatir et de
trouver que fumer est finalement un moindre mal !
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Ne pas se laisser disqualifier
Le professionnalisme en tabacologie (au sujet de la dépendance au tabac et non de sa toxicité) est encore en construction et les confusions sont encore fréquentes. Ainsi, la question
est souvent posée par les personnes qui consultent : “Et vous,
Docteur, est-ce que vous fumez ?” Répondre “oui”, c’est
prendre le risque que le patient se demande ce que vous
faites là à tenter de combattre avec elle un fléau contre lequel
vous ne savez pas lutter. Répondre “non”, c’est prendre celui
de passer pour quelqu’un qui ne sait pas ce qu’est la dépendance parce qu’il ne l’a pas vécue. Répondre que vous avez
arrêté, c’est prendre celui, enfin, de voir votre comportement
personnel occuper une place centrale dans l’échange avec le
patient, sans lui être d’aucune utilité. Bref, répondre directement à cette question, c’est risquer de ne jamais savoir ce
que la personne exprime à travers sa question : la peur de
ne pas être comprise, d’être rejetée si elle ne parvient pas à
arrêter de fumer, ou l’incompréhension de voir un médecin
s’intéresser et pratiquer une discipline rébarbative réputée
conduire plus souvent à l’échec qu’à la réussite.
Or, la personne en difficulté avec son comportement a besoin
de réponse à sa question cachée. Cette apparente non-réponse
n’est pas une fuite, ni une démission face à elle, mais une
occasion de plus au cœur de la relation thérapeutique.
Pour un cadre thérapeutique sécurisant
Elle a, en effet, besoin d’un soutien inconditionnel. Ce qui ne
veut pas dire que le professionnel doit tout accepter d’elle.
C’est bien le cadre thérapeutique qui va protéger le fumeur
et le soignant des dérives qui les guettent. Cela implique
d’installer une alliance thérapeutique, d’être disponible
et bienveillant. Sans complaisance. Et aussi de proposer les
traitements disponibles et évalués, en sachant que ceux-ci
permettent ou facilitent l’apprentissage de la vie sans tabac,
sans remplacer cet apprentissage. Le soignant se doit d’approfondir ses savoir-faire pour accompagner cet apprentissage.
En se concentrant sur cet objectif, le soignant permettra
au fumeur de s’emparer de l’objectif d’arrêt du tabac, et
ainsi éviter le positionnement de sauveteur tel que le décrit
Karpman (3) dans le triangle dramatique qui porte son nom :
Sauveteur
Persécuteur
Victime
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Adopter une position de sauveteur, c’est entrer dans ce triangle
et se retrouver tôt ou tard dans la position de la victime ou
du persécuteur. Prescrire l’abstinence sans tenir compte des
fonctions du tabac dans la vie du fumeur revient à adopter la
position de persécuteur. Encore une fois, les fumeurs fument
pour vivre et non pour mourir !
Dans le travail que leur propose le tabacologue, ils accèdent
eux-mêmes à la certitude que fumer pour vivre est une
décision inadaptée, choisie faute de mieux, parce qu’elle
est la plus simple et que sur le plan psychique, elle ne leur
coûte rien dans l’immédiat. Ils ne seront en mesure de
considérer le tabagisme de cette façon que si le soignant
qui les accompagne accepte que le tabac leur offre un
avantage réel.
La position professionnelle permet l’empathie, c’est-à-dire
être avec la personne qui souffre, témoin de sa souffrance,
sans souffrir soi-même. C’est de cette “place” qu’il est possible
d’exercer durablement. Sans s’épuiser.
■
Références bibliographiques
1. Cette réflexion rejoint celle d’autres professions telle
qu’on peut la retrouver dans les ouvrages suivants :
“Regards pluriels sur la maltraitance des enfants”,
Yves-Hiram Haesevoets ; “Évaluation de programme
en prévention du suicide”, Brian L. Mishara, François
Chagnon ; “Éducation thérapeutique : prévention et
maladies chroniques”, Dominique Simon, Pierre-Yves
Traynard, François Bourdillon, Rémi Gagnayr.
3. Karpman SB. Fairy tales and script drama analysis.
Transactional Analysis Bulletin 1968;7,26:39-43.
2. DSM-IV : l’utilisation de la substance est poursuivie malgré
l’existence d’un problème physique ou psychologique persistant ou récurrent déterminé ou exacerbé par la substance.
4. Miller WR, Rollnick S. L’entretien motivationnel.
Aider la personne à engager le changement. InterÉditions.
Objectif oncologie thoracique
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