Anthropologie de l`Afrique subsaharienne – Pierre Petit

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Anthropologie de l’Afrique subsaharienne – Pierre Petit
(permanences : mardi 10-12h, S12-117, [email protected])
Remarque : ces notes prises durant le cours de 2007 (et corrigées dans
leurs grands lignes par le titulaire) ne constituent pas un syllabus.
Elles demeurent un simple support à l’examen et doivent être
complétées par des notes personnelles.
Table des matières
I. Les paradigmes de l’Afrique
II. Tableaux d’histoire africaine
III. L’ethnicité
IV. Le pouvoir
V. Anthropologie urbaine de Lubumbashi
Examen écrit (3 questions, restitution/réflexion), sur le cours + les deux
articles à lire :
- Moore, Henrietta L. et Todd Sanders, 2001. « An
introduction », in Henrietta L. Moore et Todd Sanders (éds.),
Magical Interpretations, Material Realities. Modernity,
witchcraft and the occult in postcolonial Africa, pp. 1-27.
Londres et New York: Routledge.
- Blundo, Giorgio et Jean-Pierre Olivier de Sardan, 2001. « La
corruption quotidienne en Afrique de l’Ouest », Politique
africaine, 83, pp. 8-37.
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Chapitre I. Les paradigmes de l’Afrique
1.1 Généalogie de la perception de l’Afrique par l’Occident
« Personne ne parle de nulle part »
Michel DE CERTEAU
Point de convergence de nombreux préjugés, l'Afrique subsaharienne véhicule dans l'esprit
occidental l'image négative d'un continent marqué par le « manque » (de structures politiques stables,
etc.). Nous sommes redevables de traditions, d’idées que nous pensons et formulons de manière
intuitive et non réflexive. D’où viennent ces idées sur l’Afrique ? Lorsque l’on fait le bilan des idées
reçues à propos d’autres continents, le résultat est ambigu : ex. : Asie du Sud-est, ou orientale. On
pense « grande civilisation » (et non tribu ou société) d’écriture, d’architecture,
d’empire,…Maintenant, bien point de vue économique, religieux.
EX. : Pop. Amérindienne ; ambigu ; + /- positif, développement d’une philosophie avec la
nature (ex : chamanisme). Complexe de culpabilité car guerre/génocide contre eux.
Mais pour l’Afrique noire : représentations négatives, idée d’un continent fait de républiques
folles, enfants sorciers, Rwanda, Soudan...Etat économique négatif.
Afrique au-dessus du Sahara = 11% de la pop. mondiale mais 1% commerce mondial si on retire
l’Afrique du Sud.
Problèmes pour les représentations de l’Afrique :
Pour bon nombre d'Occidentaux, l'Afrique reste une terre stérile dépourvue d'héritage historique, un
monde "arriéré" qui ne peut s'enorgueillir d'avoir connu l'émergence d'une civilisation brillante au
même titre que l'Europe, l'Asie ou l'Amérique. L’héritage africain n’évoque pas grand-chose, son
histoire commencerait avec la colonisation. L’Afrique ne semble pas capable de rivaliser avec ses
contemporains. Ou alors on a une idée de manque, d’inachèvement avec des discours paternalistes,
critique, accusateurs, militants,…Il y a aussi des discours hédonistes : les personnes seraient bien dans
leur peau, cool. Les discours sont un peu plus positifs mais toujours paternalistes.
1.1.1 De l’Antiquité aux Grandes Découvertes :
L’auteur congolais MUDIMBE a écrit un livre (The idea of Africa) sur les différentes
représentations des auteurs classiques,…Le prof reprend ici ses idées.
Auteurs classiques : Contrairement aux idées préconçues qui gouvernent notre vision
contemporaine de l'Afrique, le monde antique a toujours écarté tout traitement stigmatisant à l'égard
des populations africaines. L’image est positive, on voit les Africains à la base des civilisations, des
religions (gens pieux). On parle ici de l’Afrique du Nord, de la Nubie et de la corne de l’Afrique mais
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au-delà, les terres sont inconnues et on y considère alors les gens comme « monstrueux », gens sans
tête, on pense que c’est le chaos et ce, au même titre que l’Asie ou l’Europe inconnue.
Moyen Age : ne compte pas d’idées nouvelles car l’Occident est coupé des populations
africaines par l'expansion de l'Islam dans la région méditerranéenne.
15ème siècle : fin de la Reconquista (mouvement d’expansion politique) entreprise par les Rois
Catholiques espagnols/portugais plusieurs siècles auparavant. Les Portugais et les Espagnols
continuent de s'étendre sur les côtes de l’Atlantique. Ils s'implantent dès 1440 sur les côtes de la
Mauritanie, puis en quelques années ils atteindront le Cap de Bonne Espérance (Vasco de Gama en
1497). Les nouvelles voies maritimes s'ouvrant sur l'océan Indien permettent à présent l'accès au
Proche/Moyen/Extrême Orient.
Pourquoi une expansion territoriale dans cette partie du monde ? Pour des facteurs économiques
(esclavage) et politique. Il faut faire attention à la dimension religieuse aussi (si l'on se réfère à une
bulle papale de 1493, la bonne nouvelle se doit d'être diffusée; il faut conduire les nations barbares
vers la bonne voie).
Principe de la terre de personne (Terra nullius) = Ce principe permet aux Chrétiens de
s'établir sur une terre définie comme n'appartenant à personne, d'en prendre possession et de faire
abstraction des droits des peuples qui y vivent. Lors de conquêtes, on ne reconnaît pas les droits des
gens contrôlant le territoire jusqu’alors. C’est donc un espace vide, il faut ériger quelque chose telle
qu’une église (c’est l’acte de fondation par les explorateurs), enseigner la foi chrétienne, on fait une
messe,… on passe alors dans un territoire conquis.
Les premières implantations européennes prennent la forme de comptoirs, d'agglomérations
portuaires. L’Afrique est un continent non colonisé de l’intérieur avant fin 19ème siècle. Le commerce
se fait surtout sur esclaves. Entre le 15ème et le 19ème siècle, il y a eu entre 12 et 15 millions d’esclaves
victime de la traite sur l’océan Atlantique. L’esclavagisme influence la perception de l’Afrique : « noir
= esclave ».
1.1.2 La malédiction divine et la genèse des christianismes africains:
Cette idée d’une malédiction tient aux lenteurs et à la résistance de l’Afrique à l’implantation
du christianisme à l’inverse du nouveau monde (pionniers répandant le christianisme). L’Afrique est
réfractaire = le continent non chrétien.
L’idée de la malédiction sur ce continent vient d’un passage de la bible « La malédiction de
Canaan » : Noé enivré s’endort dénudé devant ses enfants ; Japhet et Sem le couvrent mais Cham se
moque. A son réveil Noé jette une malédiction sur Canaan (la descendance de Cham) : qu’il soit
l’esclave. Au départ il n’y a pas d’idée de race mais par la suite on associe à chacun des fils une race
Canaan = Afrique.
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Il y a une généalogie d’idée sur l’Afrique en tant que malédiction. L’Afrique est sous
l’emprise des forces du mal. Les missionnaires (langage utilisant la référence à Satan) vont faire
violence aux anciens cultes ; brûler les fétiches, les rites barbares, profanation de lieux,… Ce qui
change, c’est que dans ce cas ces comportement sont quasi-contemporain (19 et 20ème siècle).
Il y a eu une réappropriation de cette image de la malédiction dans les religions africaines
elles-mêmes. Rencontre le christianisme durant le dernier quart du 19ème siècle. Il y eu 3 vagues :
1) Les Eglises chrétiennes métropolitaines : ces Eglises ont finalement suscité mécontentement car les
blancs dirigeaient les églises. Le discours est ambigu car d’une part il exprime un discours de
libération mais d’une autre les africains ne peuvent monter dans la hiérarchie.
2) Eglises indépendantes africaines (plus de tutelle coloniale). Elles étaient souvent prophétiques, càd
que les leaders étaient des prophètes (ex : le prophète Kimbangu au Congo. En 1921, il prophétise et
annonce la fin des injustices, la guérison des gens malades. Il prévoit la fin de la mainmise des blancs
sur la société africaine. L’autorité coloniale belge l’a arrêté et condamné à mort. C’est étonnant car il
ne s’agissait pas d’une lutte contre les colons. Pour finir, il sera gracié et mourra en prison). Ces
Eglises ont été combattues dans un premier temps. Ce sont des Eglises de type syncrétique : formes
anciennes préchrétiennes bricolées avec le christianisme moderne. De plus, on assiste à une
africanisation des structures religieuses.
3) Eglises pentecôtistes (années 80) : Esprit Saint parmi les hommes. Réapparait le discours sur Satan,
le discours dichotomiste (on fait le choix entre le bien et le mal). On demande aux personnes de se
convertir et de renoncer à Satan (baptême). Stigmatisation des cultes préchrétiens. Théologie de la
prospérité (« si Dieu t’aime, tu seras riche »), contact individuel avec Dieu.
1.1.3 Les complexités de l’idéologie missionnaire :
Relativisons ce qui vient d’être dit sur la religion. Le paradoxe du missionnaire
(SALVAING) : les missionnaires sont persuadés qu’on ne pourra sauver l’Afrique qu’avec un mode
de vie moderne mais ils réprouvent certaines caractéristiques de la vie occidentale telles que le
libéralisme, le syndicalisme, la perte de l’enchantement, le matérialisme, l’athéisme,… Ils proposent
d’être eux-mêmes ceux qui vont implanter la vie occidentale purifiée. Etant donné que les villes sont
déjà corrompues, la volonté des missionnaires est de pouvoir régenter des régions campagnardes, voire
d’implanter des états, des empires. Ils veulent recréer une forme de royaume chrétien au cœur de
l’Afrique (cf. Comaroff, Of Revelation and Revolution qui traite de la complexité de l'entreprise
missionnaire).
Un autre aspect important est la différence qui existe entre les Catholiques et les Protestants.
Le catholicisme développe une capacité d'accommodement, basé sur le concept d'inculturation (cf.
Concile de Vatican II dans les années 1960) : Dieu se retrouve un peu partout même où la Bible n’a
pas été implantée. Le Divin peut donc se manifester, d'une certaine manière, dans les certains éléments
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de la culture traditionnelle. Le Protestantisme, au contraire, considère le passé comme étant lié à la
notion de péché originel. Il est donc plus marqué par l'idée d'une "rupture", et rejette la présence de la
tradition dans le culte chrétien. L’idée du péché originel continue de marquer le rapport à la religion et
s’oppose davantage à tout processus syncrétique, sur le plan des discours tout au moins.
1.1.4 Déterminisme climatique, racisme scientifique et racisme
populaire :
Exemple de référence au climat défini par la chaleur et l’humidité (Ibn KHALDUN) : les
esprits sont plus échauffés, les Africains éprouvent plus facilement joie, gaîté, … légèreté.
Il existe des manuels d’hygiène coloniaux car on imagine que c’est un continent porteur de
« folie». Selon CONRAD (Au cœur des ténèbres), l’Afrique est un continent aliénant.
La race (concept scientifique du 19ème siècle) ->base d’infériorité. Idée d'une infériorité
physique chez l'Africain (capacité de la boite crânienne, par exemple). De nombreux textes qui
paraissent dans les revues scientifiques sont porteurs de messages racistes. On renvoie l’Africain à
l’homme de la nature, à l’animalité. Il y a une opposition entre le monde de la civilisation et celui de la
forêt. Il faut faire attention au danger du passage, de la transgression de la barrière noir/blanc qui
caractérise l’ordre colonial (voir l’article de journal : noirs portant les mêmes vêtements que nous,…).
« Police » des mœurs au quotidien (ex : consommer de l’alcool), système colonial se base là dessus
(ségrégation). Ambiguïté marquée vis-à-vis des Africains qui s’approprient des aspects de la société
occidentale.
STENGERS « La colonisation n’est ni Auschwitz ni St François d’assise ».
Idée générale : Africains = société située sur un échelon inférieur de l’évolution humaine.
1.1.5 L’histoire :
L’histoire est LA science humaine se développant au 19ème siècle, mais l’Afrique n’en fait pas
partie. Car il n’y a pas de méthodes pour arriver à une connaissance historique (pas de sources écrites)
mais surtout, il n’y a pas de matière à histoire (rien ne semblait histoire; pas de mouvement,…).
L’histoire de l’Afrique commencerait avec la colonisation !
La seule histoire = celle de la colonisation héroïque (malgré les guerres, les maladies… les tribus
africaines !).
On ne voit pas la population africaine comme acteurs. L’Afrique est l’élément passif de l’histoire.
La situation change après la deuxième guerre mondiale : remise en cause des blancs et
meilleure reconnaissance du passé africain. Jan VANSINA (« De la tradition orale » en 1961), dit qu’il
faut prendre au sérieux le domaine de l’oralité et lui appliquer la critique historique. Cela colle avec
les faits politiques car les Etats africains devenant indépendant ont besoin d’un passé prestigieux. Dans
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