Anthropologie de l`Afrique subsaharienne – Pierre Petit

publicité
Anthropologie de l’Afrique subsaharienne – Pierre Petit
(permanences : mardi 10-12h, S12-117, [email protected])
Remarque : ces notes prises durant le cours de 2007 (et corrigées dans
leurs grands lignes par le titulaire) ne constituent pas un syllabus.
Elles demeurent un simple support à l’examen et doivent être
complétées par des notes personnelles.
Table des matières
I.
II.
III.
IV.
V.
Les paradigmes de l’Afrique
Tableaux d’histoire africaine
L’ethnicité
Le pouvoir
Anthropologie urbaine de Lubumbashi
Examen écrit (3 questions, restitution/réflexion), sur le cours + les deux
articles à lire :
-
Moore, Henrietta L. et Todd Sanders, 2001. « An
introduction », in Henrietta L. Moore et Todd Sanders (éds.),
Magical Interpretations, Material Realities. Modernity,
witchcraft and the occult in postcolonial Africa, pp. 1-27.
Londres et New York: Routledge.
-
Blundo, Giorgio et Jean-Pierre Olivier de Sardan, 2001. « La
corruption quotidienne en Afrique de l’Ouest », Politique
africaine, 83, pp. 8-37.
1
Chapitre I. Les paradigmes de l’Afrique
1.1 Généalogie de la perception de l’Afrique par l’Occident
« Personne ne parle de nulle part »
Michel DE CERTEAU
Point de convergence de nombreux préjugés, l'Afrique subsaharienne véhicule dans l'esprit
occidental l'image négative d'un continent marqué par le « manque » (de structures politiques stables,
etc.). Nous sommes redevables de traditions, d’idées que nous pensons et formulons de manière
intuitive et non réflexive. D’où viennent ces idées sur l’Afrique ? Lorsque l’on fait le bilan des idées
reçues à propos d’autres continents, le résultat est ambigu : ex. : Asie du Sud-est, ou orientale. On
pense
« grande
civilisation »
(et
non
tribu
ou
société)
d’écriture,
d’architecture,
d’empire,…Maintenant, bien point de vue économique, religieux.
EX. : Pop. Amérindienne ; ambigu ; + /- positif, développement d’une philosophie avec la
nature (ex : chamanisme). Complexe de culpabilité car guerre/génocide contre eux.
Mais pour l’Afrique noire : représentations négatives, idée d’un continent fait de républiques
folles, enfants sorciers, Rwanda, Soudan...Etat économique négatif.
Afrique au-dessus du Sahara = 11% de la pop. mondiale mais 1% commerce mondial si on retire
l’Afrique du Sud.
Problèmes pour les représentations de l’Afrique :
Pour bon nombre d'Occidentaux, l'Afrique reste une terre stérile dépourvue d'héritage historique, un
monde "arriéré" qui ne peut s'enorgueillir d'avoir connu l'émergence d'une civilisation brillante au
même titre que l'Europe, l'Asie ou l'Amérique. L’héritage africain n’évoque pas grand-chose, son
histoire commencerait avec la colonisation. L’Afrique ne semble pas capable de rivaliser avec ses
contemporains. Ou alors on a une idée de manque, d’inachèvement avec des discours paternalistes,
critique, accusateurs, militants,…Il y a aussi des discours hédonistes : les personnes seraient bien dans
leur peau, cool. Les discours sont un peu plus positifs mais toujours paternalistes.
1.1.1
De l’Antiquité aux Grandes Découvertes :
L’auteur congolais MUDIMBE a écrit un livre (The idea of Africa) sur les différentes
représentations des auteurs classiques,…Le prof reprend ici ses idées.
Auteurs classiques : Contrairement aux idées préconçues qui gouvernent notre vision
contemporaine de l'Afrique, le monde antique a toujours écarté tout traitement stigmatisant à l'égard
des populations africaines. L’image est positive, on voit les Africains à la base des civilisations, des
religions (gens pieux). On parle ici de l’Afrique du Nord, de la Nubie et de la corne de l’Afrique mais
2
au-delà, les terres sont inconnues et on y considère alors les gens comme « monstrueux », gens sans
tête, on pense que c’est le chaos et ce, au même titre que l’Asie ou l’Europe inconnue.
Moyen Age : ne compte pas d’idées nouvelles car l’Occident est coupé des populations
africaines par l'expansion de l'Islam dans la région méditerranéenne.
15ème siècle : fin de la Reconquista (mouvement d’expansion politique) entreprise par les Rois
Catholiques espagnols/portugais plusieurs siècles auparavant. Les Portugais et les Espagnols
continuent de s'étendre sur les côtes de l’Atlantique. Ils s'implantent dès 1440 sur les côtes de la
Mauritanie, puis en quelques années ils atteindront le Cap de Bonne Espérance (Vasco de Gama en
1497). Les nouvelles voies maritimes s'ouvrant sur l'océan Indien permettent à présent l'accès au
Proche/Moyen/Extrême Orient.
Pourquoi une expansion territoriale dans cette partie du monde ? Pour des facteurs économiques
(esclavage) et politique. Il faut faire attention à la dimension religieuse aussi (si l'on se réfère à une
bulle papale de 1493, la bonne nouvelle se doit d'être diffusée; il faut conduire les nations barbares
vers la bonne voie).
Principe de la terre de personne (Terra nullius) = Ce principe permet aux Chrétiens de
s'établir sur une terre définie comme n'appartenant à personne, d'en prendre possession et de faire
abstraction des droits des peuples qui y vivent. Lors de conquêtes, on ne reconnaît pas les droits des
gens contrôlant le territoire jusqu’alors. C’est donc un espace vide, il faut ériger quelque chose telle
qu’une église (c’est l’acte de fondation par les explorateurs), enseigner la foi chrétienne, on fait une
messe,… on passe alors dans un territoire conquis.
Les premières implantations européennes prennent la forme de comptoirs, d'agglomérations
portuaires. L’Afrique est un continent non colonisé de l’intérieur avant fin 19ème siècle. Le commerce
se fait surtout sur esclaves. Entre le 15ème et le 19ème siècle, il y a eu entre 12 et 15 millions d’esclaves
victime de la traite sur l’océan Atlantique. L’esclavagisme influence la perception de l’Afrique : « noir
= esclave ».
1.1.2
La malédiction divine et la genèse des christianismes africains:
Cette idée d’une malédiction tient aux lenteurs et à la résistance de l’Afrique à l’implantation
du christianisme à l’inverse du nouveau monde (pionniers répandant le christianisme). L’Afrique est
réfractaire = le continent non chrétien.
L’idée de la malédiction sur ce continent vient d’un passage de la bible « La malédiction de
Canaan » : Noé enivré s’endort dénudé devant ses enfants ; Japhet et Sem le couvrent mais Cham se
moque. A son réveil Noé jette une malédiction sur Canaan (la descendance de Cham) : qu’il soit
l’esclave. Au départ il n’y a pas d’idée de race mais par la suite on associe à chacun des fils une race
Canaan = Afrique.
3
Il y a une généalogie d’idée sur l’Afrique en tant que malédiction. L’Afrique est sous
l’emprise des forces du mal. Les missionnaires (langage utilisant la référence à Satan) vont faire
violence aux anciens cultes ; brûler les fétiches, les rites barbares, profanation de lieux,… Ce qui
change, c’est que dans ce cas ces comportement sont quasi-contemporain (19 et 20ème siècle).
Il y a eu une réappropriation de cette image de la malédiction dans les religions africaines
elles-mêmes. Rencontre le christianisme durant le dernier quart du 19ème siècle. Il y eu 3 vagues :
1) Les Eglises chrétiennes métropolitaines : ces Eglises ont finalement suscité mécontentement car les
blancs dirigeaient les églises. Le discours est ambigu car d’une part il exprime un discours de
libération mais d’une autre les africains ne peuvent monter dans la hiérarchie.
2) Eglises indépendantes africaines (plus de tutelle coloniale). Elles étaient souvent prophétiques, càd
que les leaders étaient des prophètes (ex : le prophète Kimbangu au Congo. En 1921, il prophétise et
annonce la fin des injustices, la guérison des gens malades. Il prévoit la fin de la mainmise des blancs
sur la société africaine. L’autorité coloniale belge l’a arrêté et condamné à mort. C’est étonnant car il
ne s’agissait pas d’une lutte contre les colons. Pour finir, il sera gracié et mourra en prison). Ces
Eglises ont été combattues dans un premier temps. Ce sont des Eglises de type syncrétique : formes
anciennes préchrétiennes bricolées avec le christianisme moderne. De plus, on assiste à une
africanisation des structures religieuses.
3) Eglises pentecôtistes (années 80) : Esprit Saint parmi les hommes. Réapparait le discours sur Satan,
le discours dichotomiste (on fait le choix entre le bien et le mal). On demande aux personnes de se
convertir et de renoncer à Satan (baptême). Stigmatisation des cultes préchrétiens. Théologie de la
prospérité (« si Dieu t’aime, tu seras riche »), contact individuel avec Dieu.
1.1.3
Les complexités de l’idéologie missionnaire :
Relativisons ce qui vient d’être dit sur la religion. Le paradoxe du missionnaire
(SALVAING) : les missionnaires sont persuadés qu’on ne pourra sauver l’Afrique qu’avec un mode
de vie moderne mais ils réprouvent certaines caractéristiques de la vie occidentale telles que le
libéralisme, le syndicalisme, la perte de l’enchantement, le matérialisme, l’athéisme,… Ils proposent
d’être eux-mêmes ceux qui vont implanter la vie occidentale purifiée. Etant donné que les villes sont
déjà corrompues, la volonté des missionnaires est de pouvoir régenter des régions campagnardes, voire
d’implanter des états, des empires. Ils veulent recréer une forme de royaume chrétien au cœur de
l’Afrique (cf. Comaroff, Of Revelation and Revolution qui traite de la complexité de l'entreprise
missionnaire).
Un autre aspect important est la différence qui existe entre les Catholiques et les Protestants.
Le catholicisme développe une capacité d'accommodement, basé sur le concept d'inculturation (cf.
Concile de Vatican II dans les années 1960) : Dieu se retrouve un peu partout même où la Bible n’a
pas été implantée. Le Divin peut donc se manifester, d'une certaine manière, dans les certains éléments
4
de la culture traditionnelle. Le Protestantisme, au contraire, considère le passé comme étant lié à la
notion de péché originel. Il est donc plus marqué par l'idée d'une "rupture", et rejette la présence de la
tradition dans le culte chrétien. L’idée du péché originel continue de marquer le rapport à la religion et
s’oppose davantage à tout processus syncrétique, sur le plan des discours tout au moins.
1.1.4
Déterminisme climatique, racisme scientifique et racisme
populaire :
Exemple de référence au climat défini par la chaleur et l’humidité (Ibn KHALDUN) : les
esprits sont plus échauffés, les Africains éprouvent plus facilement joie, gaîté, … légèreté.
Il existe des manuels d’hygiène coloniaux car on imagine que c’est un continent porteur de
« folie». Selon CONRAD (Au cœur des ténèbres), l’Afrique est un continent aliénant.
La race (concept scientifique du 19ème siècle) ->base d’infériorité. Idée d'une infériorité
physique chez l'Africain (capacité de la boite crânienne, par exemple). De nombreux textes qui
paraissent dans les revues scientifiques sont porteurs de messages racistes. On renvoie l’Africain à
l’homme de la nature, à l’animalité. Il y a une opposition entre le monde de la civilisation et celui de la
forêt. Il faut faire attention au danger du passage, de la transgression de la barrière noir/blanc qui
caractérise l’ordre colonial (voir l’article de journal : noirs portant les mêmes vêtements que nous,…).
« Police » des mœurs au quotidien (ex : consommer de l’alcool), système colonial se base là dessus
(ségrégation). Ambiguïté marquée vis-à-vis des Africains qui s’approprient des aspects de la société
occidentale.
STENGERS « La colonisation n’est ni Auschwitz ni St François d’assise ».
Idée générale : Africains = société située sur un échelon inférieur de l’évolution humaine.
1.1.5
L’histoire :
L’histoire est LA science humaine se développant au 19ème siècle, mais l’Afrique n’en fait pas
partie. Car il n’y a pas de méthodes pour arriver à une connaissance historique (pas de sources écrites)
mais surtout, il n’y a pas de matière à histoire (rien ne semblait histoire; pas de mouvement,…).
L’histoire de l’Afrique commencerait avec la colonisation !
La seule histoire = celle de la colonisation héroïque (malgré les guerres, les maladies… les tribus
africaines !).
On ne voit pas la population africaine comme acteurs. L’Afrique est l’élément passif de l’histoire.
La situation change après la deuxième guerre mondiale : remise en cause des blancs et
meilleure reconnaissance du passé africain. Jan VANSINA (« De la tradition orale » en 1961), dit qu’il
faut prendre au sérieux le domaine de l’oralité et lui appliquer la critique historique. Cela colle avec
les faits politiques car les Etats africains devenant indépendant ont besoin d’un passé prestigieux. Dans
5
les années d’indépendance (60-70), on recueille les traditions orales pour dresser un portrait profond
de 2, 3 4 siècles. Cela jusqu’aux années 80, ensuite le passé pré colonial n’a plus la cote. On
s’intéresse aux années coloniales.
Maintenant, peu d’historiens s’intéressent à cette période précoloniale. Les traditions orales
sont conservées en mettant en avant la légitimité de telle ou telle famille royale. . Il est vrai que les
récits véhiculés par la tradition orale sont en grande partie des témoignages subjectifs ayant pour
objectif la légitimation du pouvoir de tel ou tel souverain. Ils ont un caractère essentiellement
idéologique.
Le deuxième ouvrage de VANSINA (1991, Sur les sentiers du passé en forêt) amène
un bousculement, on s’intéresse à une série de sociétés acéphales (qui ne s’articulent pas autour d’un
pouvoir centralisé) dans la forêt équatoriale, dans la région située entre le Gabon, le Congo Brazzaville
et la République Démocratique du Congo. Il ne s’agit plus d’une histoire « classique » politique, mais
d’une histoire marquée par le social. On s’intéresse aux structures de parenté, à l’évolution du
commerce, aux technologies,… On se sert moins des sources orales que archéologiques. On
s’intéresse à la linguistique historique. Le matériau linguistique permet de reconstituer différentes
filières de transmission.
1.1.6
L’anthropologie :
Quelle a été la place de l’anthropologie dans la colonisation ? Les anthropologues ont travaillé
avant les historiens en Afrique car on considérait qu’il n’y avait pas d’histoire : c’était donc le terrain
des anthropologues. Il est vrai que, pour l'anthropologue, l'Afrique représentait le terrain idéal pour
l'étude des tribus et des différentes caractéristiques des peuples ethniques présents en grand nombre
sur le territoire.
Dans les années 20-30, l’anthropologie africaniste s’institutionnalise, de grands centres de
recherche se forment dans nos pays et en Afrique du Sud. Les Britanniques avaient une longueur
d’avance car pour les Français cela se passe en 1930.
Quels furent les liens entre l’anthropologie et la colonisation ? Pour rappel, les anthropologues
sont arrivés après la colonisation, qui n’a pas eu besoin d’eux ! Les liens institutionnels entre
l'anthropologie
et
l'establishment
colonial
furent
relativement
peu
nombreux.
Quelques
anthropologues furent engagés pas les administrations coloniales mais il s’agissait d’une minorité.
Mais ils ne s’opposaient pas non plus au colonialisme. L’anthropologue apparaît le plus souvent sous
la figure de l’ « ethnographe libéral » : personne positive à propos des traditions africaines, il essaie
de montrer la qualité et la profondeur des traditions. C’est une position romantique et nostalgique par
rapport à la colonisation. Ce n’est pas du militantisme politique mais ils s’opposent à l’idéologie
dépréciative des sociétés africaines.
6
Un exemple de ce type d’ethnographe libéral : Marcel GRIAULE (1898-1956), le premier
Français ethnographe de terrain à long terme qui ait marqué durablement l’anthropologie française. Il a
fait la mission Dakar-Djibouti (1931-3) sillonnant 15 pays en 2-3ans dans un but muséographique.
C’est la base de la collection du Musée de l’Homme. Il agissait de manière militaire (photos aériennes
des maisons de culte), stratégique conformément au modèle colonial. Cette approche documentaire lui
a permis de rencontrer les Dogons de Mali. Métamorphose pour Griaule, il délaisse l’approche
documentaire et s’aidera d’un informateur privilégié. Ils vont lui transmettre des fragments du mythe
cosmogonique (origine de l’univers) des Dogons. C’est la première fois qu’on met en avant la
complexité de l’esprit africain. Célébrité de Griaule devenant le promoteur d’une image
traditionnaliste de l’Afrique éternelle. Essentialisation des traditions avec Griaule. C’est l’Afrique telle
qu’elle n’a pas été modifiée par les autres civilisations. Ce courant se retrouve dans toutes les
approches faites à ce moment : mise en avant des choses les plus spécifiques, les moins touchées. On
fonctionnait « à la monographie ». Une des principales critiques émises à son égard est sa tendance à
faire abstraction du contexte, des influences (Islam), des échanges, et des réseaux internationaux qui
existaient à ce moment.
Dès 1930, des courants beaucoup plus axés sur les dynamiques sociales se font jour. RhodesLivingstone Institute, créé dans l'ex Rhodésie anglaise (le Zimbabwe actuel), est un des instituts
répondant à cette mise trop en avant de la tradition. On crée une perspective d’anthropologie en phase
avec les problèmes sociaux, économiques, on s’intéresse à l’urbanisation, à l’industrialisation
Nouvelles formes d’associations, de socialisation. On s’intéresse à l’ethnicité, phénomène proprement
urbain (villes : gens venant d’origine différentes).
BALLANDIER, dans les années 50, (français, Sociologie des Brazzavilles noires) est intéressé par
l’étude de ces ruptures sociales et reconstitutions sociales caractérisant les villes africaines coloniales.
Il met l’accent sur les dynamiques sociales, les modes de relation rural/urbain.
1.2 Révisions afrocentristes
Afrocentrisme : théories donnant un rôle central à l’Afrique dans l’évolution mondiale, dans
la construction du monde.
L’afrocentrisme ne s’est pas développé sur le continent africain mais dans le Nouveau Monde.
La fin de l’esclavage a lieu plus tôt dans le nouveau monde qu’en Afrique. (Ex : USA : 1865). Les
populations africaines du Nouveau Monde ont bénéficié d’une plus grande marge de manœuvre au
point de vue de la liberté religieuse, politique, de pensée… Niveau d’éducation dès lors. Sont ici repris
trois figures importantes de ce courant, à titre d’exemples :
7
1.2.1
Edward Blyden (1832-1912)
BLYDEN, originaire des Antilles, est un représentant caractéristique de cette génération
d’émancipation. En 1850, il se rend au Libéria ; premier pays africain indépendant, 1847, dans le cadre
d’un accord avec les Etats-Unis, pour recueillir les anciens esclaves africains d’Amérique voulant
rentrer en Afrique. Il faut faire attention au rôle politique et intellectuel de Blyden dans ce pays. Il
souligne l’importance du patrimoine culturel égyptien dans le cadre africain. L’Afrique doit renouer
avec son passé prestigieux : celui des grands royaumes du Sud Sahara et aussi de l’Egypte ancienne.
C’est un discours de réhabilitation. Malgré son discours Blyden était favorable au colonialisme
britannique, qui devait permettre aux populations africaines de se développer.
1.2.2
Marcus Garvey (1887-1940)
Nouveau concept : Panafricanisme (origine : première réunion panafricaine en 1900, à
Londres) : contenu philosophique et politique ; lutter pour le droit des Africains où qu’ils soient
(Nouveau Monde ou Afrique), c’est une revendication de liberté. Pan = entier, grand. Se débarrasser
du colonialisme pour constituer un ensemble politique intégré de dimension continentale.
Marcus GARVEY, jamaïcain naît dans cette internalisation et fera l’esentiel de sa carrière de
militant aux Etats-Unis. Il crée en 1914 UNIA (universel negro improvment association) dont le but
est de combattre pour l’émancipation des Noirs. L’Afrique doit être dirigée par les Africains. Il crée
une république africaine virtuelle dont il sera élu président. Il avait une compagnie maritime pour faire
rentrer les Africains chez eux. C’est un militantisme politique allant de pair avec une émancipation
religieuse. Mouvement religieux débouchant sur le rastfarisme (connu avec Bob Marley). Lien marqué
entre le monde politique et religieux.
1.2.3
Cheikh Anta Diop (1923-1986)
Il n’est pas historien mais physicien nucléaire. Il est à la base de la plus radicale révision de
l’histoire afrocentriste. Etudie à Paris (années 1940-50), participe aux mouvements vs colonisation
dans milieu étudiant. Dimension politique (fondera son propre parti au Sénégal après indépendance). Il
est connu pour sa vision de l’histoire ; selon lui l’Egypte pharaonique était une civilisation « nègre »
dans tous les sens du terme notamment sur le plan racial (génétique). Elle ne se serait métissée que très
tardivement avec l’homme blanc devenant ainsi une civilisation abâtardie. Lien de continuité, de
consubstantialité entre l’Egypte pharaonique (depuis 3000 avant J.C.) et les héritiers lointains
(Dogons,…). L’Egypte serait la base des civilisations nègres. Pourtant, on ne retrouve pas vraiment de
preuve structurelle ou systémique de cela. On ne retrouve que des preuves très vagues. L’Egypte serait
à la base de la société gréco-romaine, selon Cheikh Anta Diop, et aurait ainsi marqué durablement
l’Occident.
8
Ce n’est pas une théorie neuve. Pendant cette période, certains courants diffusionnistes
(traditions se diffusent par les contacts) affirmaient que l’ensemble des civilisations mondiales se
rattachent à l’Egypte pharaonique selon le postulat de l’unité du croissant fertile (à partir duquel se
serait produit la diffusion). Selon Cheikh Anta Diop, c’est l’Afrique noire le moteur de la diffusion.
Cheikh AD est le premier à avoir systématisé ces idées (Afrique comme moteur). Il était conscient des
enjeux politiques du savoir. En fait, Anta Diop est parfaitement conscient que pour arriver à construire
et établir une république panafricaine, il faut que celle-ci puisse s'ancrer dans un passé historique afin
de pouvoir marquer et légitimer son émancipation. Il considère, entre autre, que les nations coloniales
se sont servies d'un certain type d’histoire, et ce dans le but d'asservir l'Afrique. La connaissance c’est
la liberté selon lui. L’histoire est à la fois politique et morale.
Toujours selon lui il y aurait deux mondes ; d’un côté il y a le monde « aryen » (Europe +
Proche et Moyen Orient) qui est nomade et de l’autre il y a l’Afrique, l’Egypte, l’Ethiopie,… qui sont
sédentaires. Les civilisations égyptiennes auraient civilisé le Nord mais le fond guerrier « aryen »
aurait servi contre les civilisations pacifiques du Sud en les aliénant. Le nord serait borné, cruel,…et
l’aboutissement serait le nazisme. Le Sud quant à lui, serait ouvert, pacifique,…
CAD a subi de nombreuses critiques concernant sa manière de procéder (mais il faut le
remettre en perspective). La sélection des sources lui est reprochée (uniquement du 19ème siècle pour
pouvoir les combattre plus facilement et s’en servir pour appuyer sa théorie : ce sont les auteurs les
plus caricaturaux). Pourquoi s’est-il autant focalisé sur les races ? Il n’était pas raciste mais avait un
discours racialiste, déterminisme de la transmission génétique (phénotype des Egyptiens). Obsession
pour distinguer noirs et blancs. Attachement à la notion d’un « substrat culturel » -> on trouve un
fondement égyptien qui traverse 5 millénaires ! Pensée contre le métissage or maintenant on pense
que l’origine pure est une quête vaine.
Critiques positives : On le lit encore beaucoup. Il a joué un rôle dans la décolonisation des
consciences, l’histoire de l’Afrique est une histoire légitime. C’est le premier à avoir restitué si
vigoureusement l’Egypte en Afrique (à juste titre !). Il fut un moment prévisible de la révision de
l’histoire du continent. Mais il ne faut pas le transformer en Saint comme si c’était le premier à faire
cette réflexion sur la place de l’Afrique dans le monde : d’autre ont eu leur rôle dans ce processus.
1.2.4
L’afrocentrisme contemporain
L'afrocentrisme reste un mouvement encore très présent, surtout aux Etats-Unis. De nouveaux
courants afrocentristes sont en plein essor, focalisant leur intérêt sur les filiations du sud de l'Inde ou
de la Papouasie Nouvelle Guinée avec l’Afrique, ou l'idée d'un peuplement du Nouveau Monde à
partir du Mali, de l’Egypte. Beaucoup d’auteurs ont réalisé des travaux sur des bases non solides. Cela
rencontre un grand succès aux Etats-Unis parmi African-Americans. Durant la 2ème moitié du 20ème
siècle, coexistent des figures contrastées. Par exemple, celles associées aux droits civiques telles que
9
Martin LUTHER KING : Mouvement progressiste à caractère social, militant pour des droits égaux.
C’est un mouvement incluant des blancs. Dans les années 70-80 : le mouvement s'étiole au profit
d'autres idées à charge du Président Reggan qui met un terme à tout ce mouvement de réformes
sociales. Fin du modèle social : cela pousse les mouvements d'émancipation non plus tant vers le
militantisme des droits civiques que vers le multiculturalisme (en termes de multiculturalisme, il faut
entendre une reconnaissance de la spécificité ; reconnaissance de droits distincts). Malcom X illustre
parfaitement cette tendance en voulant séparer ces communautés. De même, Molefi ASANTE, un
américain qui a repris un nom d'origine africains, reste très en vue dans le domaine de l'afrocentrisme.
ASANTE développait une métaphore (mission essentialiste des identités) : aiglon tombant dans un
poulailler et élevé avec les poules, il se prend pour une poule. Un aigle viendra lui dire qui il est
réellement et il réapprendra à voler. ÆLes identités sont essentielles, imprimées, selon eux. On n’a pas
le poids de l’histoire, des socialisations.
10
Chapitre II. Tableaux d’histoire africaine
Tableaux portant sur différents phénomènes montrant que l’Afrique n’est pas enclavée mais
est en lien avec le reste du monde.
2.1 Les contacts transsahariens
Ce sont les contacts entre l’Afrique du Nord et l’Afrique sahélienne (juste au sud du Sahara).
2.1.1 Aspects économiques et politiques
Dès le 1e millénaire a.C, le Sahara est déjà traversé par de nombreuses routes
commerciales, comme en témoignent les peintures et les gravures rupestres figurant des chars, des
mules, etc. Ces routes descendent du Nord du Sahara {colonies grecques et phéniciennes (Carthage)}
vers les pays du Sud (bande sahélienne). Différents produits s’échangeaient ; produits manufacturés
(tissus, métal), chevaux,… Au Sud, c’est le commerce de l’or, des esclaves. Il y avait aussi des
produits vivriers : commerce de peaux, monnaie, sel. Le commerce ne se limitait pas à ces deux
partenaires. Un second réseau commercial s’ouvrait vers les forêts tropicales (Guinée et Côte d’ivoire)
pour les noix de kola,…au départ des villes sahéliennes. Il y a donc deux axes importants: le réseau
nord/sud et le réseau sud/forêts. Le mot réseau est très important pour qualifier ce commerce. Les
routes appartenaient à certaines familles et étaient empruntées de génération en génération. Il y avait
des foires commerciales dans les oasis,…Les liens au sein de ces réseaux commerciaux sont forts
marqués par la religion, des confréries religieuses se mettent en place pour unir les partenaires
économiques. Il y avait des mariages pour assurer ces liens.
Ce sont des réseaux basés sur des entités politiques majeures, les états de princes marchands
ont un rôle structurant dans l'ensemble des réseaux commerciaux. Seuls les souverains pouvaient
organiser le commerce de l'or, par exemple. Ils avaient le pouvoir étatique et militaire, ainsi que le
contrôle économique. Le plus ancien connu est le royaume de Ghana situé entre la Mauritanie et le
Mali (différent de l’actuel Ghana) dont on a traces dès 8ème siècle de notre ère. On commence à avoir
des sources écrites. Jusqu’au 16ème siècle il y en aura d’autres, par ex l’empire du Mali succède au
royaume de Ghana entre le 13ème et 16ème siècle. On mentionne également la présence d'un ensemble
politique qui existait au 10e siècle à proximité du lac Tchad: le Royaume de Kanem (prédation
militaire pour avoir des esclaves). A partir du 16e siècle, l'Empire Songhay englobe l'Empire du Mali.
C’est à cette époque également que la polarité du commerce extérieur se tourne vers les côtes
atlantiques, délaissant peu à peu le réseau saharien (établissement des comptoirs commerciaux côtiers,
construction des voies de chemins de fer). Après le 16e siècle, il n’y aura plus d’Etat aussi étendu que
l’Empire de Mali ou Songhay dans l’Afrique sahélienne.
11
2.1.2 Aspects religieux
Processus d’implantation progressive de l’Islam dès le début du 11ème siècle au Sud du Sahara.
Les souverains de Kanem et de Ghana se convertissent dès cette période ainsi que d’autres royaumes.
L’influence de l’Islam ne se limite pas seulement aux seules personnes converties mais va plus loin.
Les Dogons, les Bambara (étudiés par Griaule),… ont souvent été présentés comme une
société dont le système religieux, la métaphysique,…n’ont pas été influencés par l’extérieur (ni
Egypte, ni Europe,…). Réhabilitation de l’Afrique ‘traditionnelle’. Or, ces systèmes doivent être
replacés dans les réseaux internationaux, et être mis en relation avec les systèmes de pensées issus
(notamment) de l’Islam Ces systèmes ont dû définir leur système de pensée au moins par référence à
celui de l’Islam. On voit donc des syncrétismes, voire des opposition.
Par exemple, les Dogons utilisent la référence aux quatre grands éléments (eau, feu, air, terre).
On suppose qu’ils les ont puisés dans l’Islam. Autre ex, monde placé sous voute céleste composée de
7 cieux superposés. Il existe des parallèles entre ces deux systèmes de pensée. On peut donc penser
que c’est une influence directe de l’Islam mais on pourrait penser aussi que c’était indirect. On est face
à deux scénarios, soit l’influence serait transmise de l’Islam, soit influence antérieure à l’Islam. Cf
article de Tal Tamari. La théorie des signes est représentative de cela: tradition à propos de l’origine
du monde, tradition abstraite. Création se fait à travers des signes qui prendront consistance, qui
s’incarneront par la suite. Ce mode abstrait de la création pourrait être né de l’influence hellénistique
ou d’un héritage islamique. Ce qui est sûr c’est la transmission, le bricolage ÆProcessus de
syncrétisation.
.
Syncrétisme = mélange de deux éléments originels. Suppose l’idée de deux fonds différents se
réunissant, ce qui suppose l’idée de fonds purs avant le « mélange ». Syncrétisation : renvoie plutôt
aux processus concrets de « bricolage », phénomène permanent. On emploie ce mot pour se référer
aux courants religieux, mélange des idées qui se réalise en réinterprétant, réagençant, tenant compte
des contraintes symboliques liées aux matériaux transmis (dont le sens est connu en partie de ceux qui
empruntent : on ne peut donc réagencer n’importe comment !).
2.2 Axum
Région sur la côte Est de l’Afrique, à la limite de l’Erythrée et de l’Ethiopie (mer Rouge). Les
contacts y étaient plus précoces que pour l’océan Atlantique. Axum est une civilisation peu connue qui
a été le moteur d’une sorte de globalisation. Ses sources d’influence sont le Yémen, l’Egypte, les
Gréco-romains,… Elle a des relations commerciales avec l’intérieur de l’Afrique et la Méditerranée,
avec Chypre…. C’est une globalisation avant la lettre. Commerce avec l’Inde et l’Extrême-Orient par
étapes (cf. cartes). Elle a été un des berceaux du christianisme en Afrique : au 3ième siècle après J-C,
Axum devient chrétien et devient le ferment du Christianisme de cette région d’Ethiopie et d’Erythrée.
12
Entre le 7ième et le 10ième siècle, il y a un déclin puis une disparition de cette puissance commerciale et
politique. Le christianisme restera après la fin d’Axum, et sera un fondement important des identités et
des Etats de cette région dans le second millénaire (empire éthiopien).
2.3 Les Swahili
En lien avec Axum. La civilisation Swahili se trouve sur l’Océan indien (du Sud Somalie à
Nord du Mozambique). Ils sont à l’origine des civilisations bantoues dont certaines populations ont
migré vers la côte de l’océan Indien. Les bantous se spécialisent dans les activités maritimes (pèche ou
navigation) et colonisent une série d’îles (Zanzibar, les Comores,…). Se mettent alors en place des
embryons de villes qui naissent de la spécialisation du travail. Commerce non plus uniquement sur les
plages mais aussi dans les villes. Au 8ème siècle, ces villes se développent (avant l’arrivée de l’Islam).
Ce commerce bénéficiait des moussons (=vents irréguliers) : vent dans hémisphère Nord amenait les
commerçants sur les côtes des Swahili et pendant les vents d’été ils rentraient dans leurs pays (golfe
Persique, Perse, Inde). C’est un commerce spécialisé qui amène une spécialisation de villes swahilies
dans ce commerce. Il fallait approvisionner ces commerçants venus d’Asie, donc il fallait développer
réseaux à l’intérieur du continent.
Zimbabwe: pays dont le nom provient d’un site archéologique constituant les vestiges d’un
ancien Etat dont l’apogée se situe aux 13-14èmes siècles et ayant réussi grâce au commerce de l’or qui
était destiné, ultimement, au réseau swahili. C’est déjà un réseau commercial important. Conséquences
des Swahili dans le continent.
Dès le 11ième siècle, une islamisation de ces populations se met en place. La situation tourne
mal pour les Swahilis quand les Portugais arrivent (fin 15e) et qu’ils réussissent à imposer leur
leadership sur la côte de l’océan Indien. Ils imposent aux Swahili un tribut en échange de la promesse
de ne pas les dévaster. C’est le début d’un premier déclin des Swahilis.
La civilisation swahili renaîtra de ses cendres plus tard sous l’emprise du sultanat d’Oman (dans la
péninsule arabique, sur golfe Persique). Constitution d’une puissance économique de 1700 à 1900.
Cela redevient un grand centre commercial sur l’Océan et dans le continent. Ils approfondissent les
réseaux commerciaux qu’il avait à l’intérieur du continent. Cette puissance était la principale rivale
des Occidentaux en Afrique. Pénétration des réseaux dans l’intérieur du continent s’est faite en
plusieurs décennies dans le 19ième siècle. Dans un premier temps, on avait des petits comptoirs
commerciaux pour assurer le ravitaillement des commerçants. On y cherche de l’ivoire et des esclaves.
Vers 1870, cela se passe à travers la constitution des grands Etats : le plus grand est celui de Maniema,
empire fondé par un commerçant swahili dans l’est du Congo : Tippo Tip. Il a créé un état avec un
système judiciaire, un système religieux (l’Islam), des taxes… . {Donne lieu à un islam un peu
insulaire à l’Est du Congo}. Cela prend fin en 1890 car c’est la période du colonialisme européen
13
triomphant (en 20 ans fait basculer l’ensemble du continent africain sous leur tutelle). Les Swahilis
n’étaient pas assez puissants pour faire face.
2.4
Le Royaume de Kongo aux 15ème-16ème siècles
(Royaume de Kongo : à ne pas confondre avec les deux Etats contemporains portant ce
nom !).
Premiers contacts entre Occident et le royaume du Kongo ; c’est la « coopération » culturelle
et religieuse la plus longue avec les Européens. En 1483, le navigateur portugais (Diogo Cao) arrive au
Sud de l’embouchure du fleuve Congo. C’est une phase exploratoire pour les Portugais, donc ils
appliquent le principe de « terra nullius », on érige une colonne de pierre et on transforme en terre
chrétienne. Son équipage reste longtemps et entend parler d’un grand royaume dans les terres : le
royaume de Kongo (entre l’actuel Congo-Brazzaville, la RDC et surtout l’Angola). Un rapport de
force aurait pu se faire mais au contraire cela se passe bien. Il fera des échanges avec la population
locale ; il laisse de ses hommes là-bas et amène des gens du royaume au Portugal. Cela permet d’avoir
des interprètes des deux côtés. Il y aura plusieurs voyages comme cela. Sorte d’Erasmus avant
l’heure ! (Lecture texte sur réception de dignitaires kongo à la cour portugaise) Diogo Cao se rendra
finalement à la cour du royaume de Kongo en 1491 : les Portugais reviennent pour un programme de
coopération technique et religieuse. La capitale changera de nom, elle passe de Mbanza Kongo à Sao
Salvador. Commence alors un processus d’acculturation. Il y a un lien fort entre le roi du Portugal et
celui du Kongo. Le roi se fait baptiser : reçoit nom de Joao I. Æ Plusieurs siècles d’histoire chrétienne
commencent dans ce royaume. Ces changements se manifestent notamment avec le changement de
nom. On y transpose une hiérarchie européenne avec des comtes, des barons… . Des rites européens et
chrétiens sont instaurés notamment lors de la prestation de serment où l’on jure sur la Bible. Les
Kongo semblent suivre avec enthousiasme ce mouvement. Les autres rois prendront eux aussi des
noms chrétiens, le suivant sera Afonso I qui voudra détruire la « grande maison des fétiches ». Ce
programme d’acculturation a été mis sur papier (Regimento) avec un programme représentant les
phases par lesquelles le royaume devait passer pour devenir chrétien. Afonso 1er était partisan de cela,
il a créé des églises, des assemblées de discussions sur le christianisme. Les enfants du roi sont même
allés au Portugal. Climat d’intercompréhension.
Selon McGaffey c’est une sorte de « dialogue de sourds » car chacun supposait comprendre
l’autre et pensait que les autres pensaient comme eux. Tout passait par des grilles d’analyse qui ne
signifiaient pas la même chose pour les deux parties. Il y avait deux systèmes d’appréhension de ces
phénomènes mais cela marchait (on communiquait) ! Il propose d’envisager les choses à travers une
grille cosmogonique. Il faut savoir que pour les Kongo tout tourne autour d’une sorte de frontière.
D’un côté, il y a le monde des hommes, de l’autre celui des morts (les forces viennent de celui-ci).
L’eau est la surface où se passe cette jonction. Le monde des morts est marqué par la couleur blanche.
14
Les initiations consistent en un passage vers le monde des morts sous forme d’une exclusion : les
récipiendaires sont tenus à l’écart dans un lieu fermé dont ils vont sortir avec les traces de leur passage
dans le monde des morts : ils parlent la langue des esprit (glossolalie), ils sont recouverts d’une poudre
blanche, ils apportent de nouvelles connaissances… .
Quand les Portugais arrivent, ils viennent de l’océan et on les appelle Mundele (désigne à
l’origine une sorte de cétacé), on les apparente ensuite aux Bisimbi (esprits territoriaux). Leur terre
d’origine se trouverait sous la mer. De plus, ils sont blancs et sont prêts à ramener des personnes d’où
ils viennent un peu conformément au système de l’initiation : ils partent vers ce monde et reviennent
avec une autre langue, d’autres manières religieuses (le christianisme). Æ Cela fait qu’on pense que
les Portugais reviennent de leur rite initiatique auprès des esprits, des morts qui sont dans l’eau.
Les rois vont essayer de garder un monopole sur les pratiques religieuses liées à ces Portugais,
vont essayer que le « baptême » (apparaît comme une nouvelle source de pouvoir religieux) reste le
monopole de la famille royale en y envoyant leurs enfants. Le premier geste du roi baptisé sera de
partir en guerre afin de tester les forces acquises.
On peut étudier cela aussi selon la grille de lecture des Portugais (voient des fétiches,…)
2.5 La traite esclavagiste atlantique en Afrique centrale
Quand les Portugais arrivent et proposent le regimento (càd les processus d’acculturation), les
Kongo vont être amenés à donner contreparties : cuivre, or… mais très peu. On se dirigera alors vers
la traite des esclaves au départ du Kongo dès les années 1500, elle sera dense et précoce. Au départ,
c’est un monopole royal : le roi du Kongo et du Portugal gère la traite. Ce monopole connaît vite une
crise et explose car des commerçants indépendants vont prendre le pas. Ils s’établissent dans les
premières colonisations de peuplement.
Angola : colonie s’étant créée sur la côte. Sao Tomé : île au large du Gabon. Les commerçants
vont s’y installer. Il va y avoir un commerce triangulaire : Europe (produits manufacturés) - Afrique
(esclaves) - Amérique du Nord, du Sud et centrale. MILLER suit le commerce sur les différentes
pointes du triangle ÆLogique capitaliste : bénéfices énormes pour l’Europe (rendement de 3000%).
Mais pour l’Afrique, quelles sont les logiques ?
15
2.5.1 L’économie politique de la traite
La logique africaine est une logique non monétaire. L’organisation économique est un
système complexe fonctionnant à travers des liens de
dépendance. Les dépendances sont diverses : pouvoir d’un
souverain sur ses sujets, d’un père sur ses enfants... On accorde
une grande importance au capital social. C’est un système basé
sur une hiérarchie Æ Transferts de biens. Les liens entre
individus sont rendus obligatoires à travers la circulation des
biens.
Le roi est le grand dispensateur au sommet de la hiérarchie, il redistribue les biens, confère les signes
de notabilité,… Les biens sont censés, sur le plan idéologique, venir du dessus. Ils créent dépendance
qui justifient redevabilité de la base (tribut au souverain…), qui fait que les personnes sont les
« obligés » de celles au-dessus d’elles. La traite se greffe sur ce système. Les Portugais créent un
afflux massif de biens et cela passe par le roi (se retrouvant dépositaire et s’assurant de nouveaux
droits sur des personnes, ce sont des biens de sujétion). Les Portugais demanderont des esclaves contre
cette dette. Les produits circulant dans ce réseau sont composés à 50% de tissus ; dans cette économie,
les biens de prestiges sont très importants car le paraître prime. Ces produits d’origine
européenne/indienne permettent, tant qu’ils restent rares, d’établir une distinction sociale entre les
gens, seuls les riches peuvent se payer ces tissus. Ces biens ont donc un pouvoir de distinction
important par rapport aux biens locaux. 20% d’alcool (pour la bienséance : pour accueillir ses sujets,
ses amis, c’es une obligation sociale), 10% d’armes à feu pas de la plus haute technologie car les
Portugais gardent l’avantage, les personnes combattant à l’arme blanche restaient les plus importantes
dans les armées africaines car les armes à feu étaient surtout un bien de prestige (tirer lors d’une
naissance,…) et le moyen de développement de la chasse à l’éléphant.
Dans un premier temps, il y a donc eu les biens matériels du Kongo vers le Portugal puis il y
eut les esclaves. Pour le roi, au sommet, quand il n’y a plus de biens à offrir aux Portugais, chercha des
prisonniers, des ennemis politiques puis il devra envoyer des gens à qui il n’a rien à reprocher. La
perte des ‘obligés’ dont il se défait ainsi est largement compensée par les réseaux sociaux (et la
redevabilité de ses sujets) qu’il crée avec les biens reçus des Portugais.
16
2.5.2 Processus d’extension de la traite
Dans un premier temps, on prend les esclaves les plus proches,
puis on mène des guerres d’agression contre ses voisins pour capturer des
esclaves (Æ) processus de militarisation des seigneurs aux frontières,
sorte d’émancipation sociale pour eux suivie petit à petit d’une
émancipation commerciale (on ne passe plus par le roi). Le monopole
royal de l’esclavage passe aux mains des seigneurs locaux. La traite se
dirigera de plus en plus vers l’Est (Afrique centrale). Il y a alors des régions dévastées par les razzias
pour se procurer des esclaves. Dans ces lieux, on voit apparaître des chefs/seigneurs de guerre pour
protéger les populations, il se recrée un équilibre social, ainsi que des formes politiques et des
systèmes technologiques pour se défendre. Ensuite, interviennent les Etats des princes marchands : ce
sont des Etats puissants pouvant se défendre contre les raids mais qui eux-mêmes participent à la traite
soit en lançant des raids plus à l’Est car ce n’est pas encore une région touchée par les raids ni pénétrée
par les Portugais. Les produits de la traite ne sont pas encore arrivés, ils ont donc une grande valeur et
il est facile de les échanger. Les Etats des princes marchands ont favorisé la traite à la fois en portant le
commerce/les razzias vers l’Est et en institutionnalisant l’esclavage en interne (système juridique
s’adapte : lorsqu’il y a des accusations les coupables peuvent être vendus comme esclaves).
.
Cette progression de la frontière continue jusqu’au milieu du 19ème siècle, puis à cette époque
ils rentrent en contact avec la traite venant de l’océan Indien, la dynamique des mouvements est
arrêtée. De plus il ya la pression des philosophes (des lumières), idée des droits de l’homme + pensée
des économes libéraux selon qui, dès le début du 19ème siècle, l’esclavagisme est une forme
économique archaïque. Il y a donc une condamnation morale et économico morale. Déclin : ex. : En
Angola, en 1850 c’est la fin des exportations d’esclaves mais il reste une forme résiduelle d’esclavage
jusqu’au début du 20ème siècle pour l’économie domestique sur les côtes (usage interne).
1830-1910 : Fin des grandes traites.
2.4.3 Les conséquences de la traite
Dépeuplement ? Traite atlantique : entre 10 et 15 millions de victimes de la traite.
Au départ du Sahara : entre 4 et 9 millions de personnes en 2000 ans.
Au départ de l’océan Indien : 5 millions de personnes.
Les victimes ont été nombreuses mais cela a eu lieu sur de longues années. Pas de diminution de la
population de l’Afrique en termes absolus (pas de dépeuplement sinon local) mais bien termes
relatifs : retard démographique.
Ce changement démographique touche différemment les régions d’exportation de ces esclaves.
Traite concernant le Sahara + côte orientale de l’Afrique : traite fournissant des eunuques, des soldats
pour des tâches domestiques individuelles, pas des grandes communautés comme dans le Nouveau
17
Monde (effectifs plus important) dans les plantations ; économie domaniale, axée sur les grandes
cultures, ont pu se reproduire et transmettre une identité. Création de diaspora (dispersion d’une
communauté + son résultat).
Transformation du monde africain : le système politique passe d’un système structuré à
travers les relations liées à dons/prestations à une déstructuration pour une nouvelle forme d’Etat basée
sur violence/esclavage.
Représentations du monde, de l’univers,… : stress permanent. La traite sème le chaos,
disloque les familles. On peut parler d’une attitude de parano justifiée. Au départ, on constate un bon
accueil des étrangers vis-à-vis des blancs puis rumeurs sur les blancs, on dit des Portugais qu’ils sont
cannibales (les esclaves se font manger, les os sont pour la poudre à canon, le sang serait le vin,…).
Métaphoriquement ce n’est pas faux, leurs corps sont « marchandisés ». Ce stress sera relayé par
d’autres formes de prédation des systèmes coloniaux. Durant la colonisation, il y aura une peur
panique. L’exemple de la rumeur des Batumbula le montre. Dans les années 20 au Congo belge les
Batumbula seraient une société secrète de blancs accompagnés de leurs complices africains faisant la
chasse à l’homme. Ils attrapent leurs victimes, les cachent dans les sous-sols, les engraissent puis les
mangent durant leur banquet (nouvel an, noël…). Mouvement se mettant en place sur le long terme.
2.6 Colonisation et décolonisation
Début des années 1880, voir la carte politique de l’Afrique, colonisation sur les côtes (des
Anglais, Français, Ottomans). Avant le congrès de Berlin, cela ne se passe que sur les côtes excepté
pour l’Algérie et l’Afrique du Sud. En 15 ans il va y avoir une transformation radicale de cette
colonisation : le sort de tout l’intérieur du continent est réglé. Cependant, contre l’idée d’une
dichotomie absolue entre Afrique précoloniale et coloniale, la période coloniale n’est qu’une
transformation de plus dans ce qui est engagé depuis des années. Ce n’est pas le point de départ de
l’insertion de l’Afrique dans les réseaux mondiaux commerciaux : elle y était déjà avant.
Quels sont les facteurs favorisant la colonisation ? Tout d’abord, il y a la croyance en la
supériorité du monde européen, courant idéologique favorable à la colonisation. Devoir d’y aller, de
« civiliser » le reste du monde, c’est le « fardeau de l’homme blanc ». De plus en 1880 : récession
économique en Europe. Engouement impérialiste pour diriger les surplus vers les pays sous tutelle
coloniale. Ces pays deviennent des enclaves commerciales. Ainsi que des innovations
technologiques : On répand la quinine au 19ème siècle pouvant guérir de la malaria, il y a un
raccourcissement des distances (télégraphes, bateaux,…), militaire (règle tout conflit à l’avantage des
européens grâce aux fusils-mitrailleurs).
Les acteurs sont des groupes de pression, sociétés savantes, les Eglises, les lobbies (extraction
minière,…).
18
Conférence de Berlin (1884-1885) : On y parle commerce : on demande la liberté de
commerce sur les grands fleuves pour ne pas être coincé par des frontières de futures colonies, accords
commerciaux mais on ne divise pas l’Afrique à ce moment là. Les frontières se feront après ou avant,
à travers accords bilatéraux entre grandes puissances. Ex. : frontières Mozambique entre Allemagne et
Portugal,… A ce moment se met en place l’Etat Indépendant du Congo qui deviendra ensuite le Congo
belge. Cet état indépendant du Congo est une fiction juridique créée par Léopold II, roi des Belges,
afin d’avoir toutes les initiatives et ne pas être redevable à la Belgique, c’est son domaine personnel.
Economie coloniale : Les états occidentaux ont dû s’allier avec de grands conglomérats
marchands pour trouver des crédits pour les systèmes de transport, pour l’administration, … Ils
s’associent à des compagnies à charte, elles reçoivent la responsabilité sur une région et avaient la
charge de la gestion (installer l’administration, organiser le territoire) avec certains privilèges définis
(produits miniers, coton,…). Ensuite, au 20ème siècle, les Etats coloniaux voudront l’ensemble des ces
prérogatives. Ce rapport de force sera défavorable pour les populations locales : travaux obligatoires :
un village devait fournir autant d’hommes travaillant autant d’heures par an + cultures obligatoires.
L’économie de l’Afrique n’était pas assez centrée sur l’exportation (c’était une économie
d’autosubsistance) et les Etats coloniaux vont imposer des cultures (acquises à bas pris par les
compagnies de coton,…) après leur avoir appris à cultiver cela. On crée les conditions d’une
dépendance avec des cultures axées sur l’économie capitaliste mondiale.
De ce fait les villes se créent : fin 19ème, début 20ème siècle. A présent, mégalopoles de millions
d’habitants (les 3 plus grosses sont Lagos, Johannesburg, Kinshasa). Ce sont des lieux d’innovation
culturelle, lieu d’un brassage culturel, vecteur de formes modernes d’ethnicité, nouveaux modes
familiaux, mouvements musicaux,…, nouvelle culture. Lieu où se réalise l’apparition d’une catégorie
d’élite : ex au Congo : les « évolués ». Ce sont des Africains s’acculturant au mode de vie des
occidentaux, c’est une catégorie emic, ils s’appellent comme ça eux-mêmes ; diplômés, imaginaire de
la modernité.… Les Occidentaux y voient à la fois le résultat de leur « œuvre coloniale » mais
ressentent aussi énormément de méfiance envers eux, craignant des formes de résistance. Pour les
Africains c’est un nouvel idéal ; habits impeccables, chaussures cirées,… Double identification : par la
population mais aussi catégorie administrative dans le Congo belge. On donnait des matricules à ces
Africains méritants (droit de vote,…) pour cela on contrôlait leurs manières, comment ils
mangeaient…
Système politique : en rapport avec les autorités traditionnelles. Les systèmes coloniaux ont
évolué entre indirect rule (gouvernance indirecte, conservait des droits aux chefs traditionnels) et
direct rule (retirer les pouvoirs aux anciennes autorités pour les confier aux administrateurs coloniaux
africains ou européens). Dans les deux cas, les chefs traditionnels ont perdu la plupart de leurs droits
(il n’y a plus les tributs, plus les fondements (représentations) sacrés de leur autorité,…). De nouvelles
figures représentant l’autorité apparaissent telles que les séminaristes, les évolués, les abbés,…
19
Il y a des mouvements d’insurrection (un roi luba a pris le maquis 9 ans) mais ces oppositions
se règlent dans le sang ; des grèves ; des résistances religieuses (Eglises indépendantes africaines (cf.
début du cours) ayant un discours anti colonialiste).
Les deux principaux pays colonisateurs sont la France et la Grande Bretagne, ensuite il y a
l’Allemagne, l’empire ottoman (perdront leurs colonies après la 1ère G.M.), le Portugal, la Belgique,
l’Italie (perdra ses parts durant la 2ème G.M.) et l’Espagne.
Décolonisation : La première guerre mondiale n’a pas de conséquence, on se partage juste les
parts de l’Allemagne et de l’empire ottoman. Durant la deuxième guerre mondiale la grande perdante
est l’Europe donc les puissances coloniales (France, Grande Bretagne ne sont plus des superpuissances), ça va être les Etats-Unis et l’URSS. Cette émancipation des populations africaines a lieu
durant la guerre froide. Les Etats-Unis s’en sortent le mieux pour s’attirer les anciennes colonies
africaines dans leur orbite politique.
Vu la croissance éco de l’Europe (50-60), on n’imagine pas d’impact négatif de la
décolonisation. Première pensée néo colonialiste : perte du lien politique n’entamera pas les bénéfices
économiques. Années 50-60 : Les Africains sont passés par de grandes universités et peuvent donc
mener la contestation selon les questions des droits de l’homme, droits politiques, liens avec d’autres
grandes puissances ex : URSS. De plus, la lutte pour la libération était dans l’air du temps (les Indiens,
guerre d’Indochine…) ancien monde colonial mis en cause. De plus, on sort de la seconde guerre
mondiale, les certitudes d’autrefois sont ébranlées et certaines franges de la population européenne
sont très défavorables à l’idée de mener la guerre contre les populations africaines sur la voie de
l’indépendance : la colonisation est questionnée de l’intérieur. De fait, la décolonisation n’a, pour la
plupart des pays africains (sauf dans les ex colonies de peuplement !), pas entraîné de conflit militaire
important.
La décolonisation comporte quatre phases :
Période I : Afrique du Nord et corne de l’Afrique dans les années 50 sauf l’Algérie (1962).
On se trouve devant d’anciens systèmes politiques d’origine arabe, ottoman qui ont une tradition
étatique importante.
Période II : L’Afrique sub-saharienne sera décolonisée entre 1957 et 66. 1960 est l’année-pic
des indépendances. Congo belge devient République démocratique du Congo.
Période III : Les derniers reliquats de la colonisation se libèrent. Ce sont les colonies
portugaises : Angola, Mozambique, Guinée-Bissau, Sao Tome et Principe, Cap-Vert. Elles sont
décolonisées au cours du processus de disparition du salazarisme (1974): régime dictatorial qui avait
besoin des colonies pour son économie de type plutôt féodale.
Période IV : Emancipation des états africains du Sud, décolonisation interne. Zimbabwe,
Afrique du Sud, Namibie étaient toujours dominés par une minorité blanche. En 1994 : premières
élections multiraciales et fin de l’apartheid en RSA.
20
2.7 Histoire et mémoire en Afrique du Sud
Pays très important pour le futur (+ fort, point de vue économique, que tout le reste).
2.7.1 Histoire politique et sociale jusqu’en 1994
Premier témoignage date de la fin du 15ème siècle avec Vasco de Gama en phase d’exploration.
. En 1497, il découvre le Cap de Bonne Espérance, ouvrant ainsi la route vers les Indes.
1652 : Premier établissement permanent de colons de Hollande au Cap. Compagnie
hollandaise des Indes Orientales cherchant un nouveau comptoir. Implantation des Boers (paysans). Ils
progressent à l’intérieur des terres : on les appelle les Afrikaners et ils sont en conflit avec les
populations de l’intérieur.
. La colonie du Cap va passer sous contrôle britannique début du 19ème siècle, cela se passe
mal, les Afrikaners ont développé une langue (l’afrikaans) et sont calvinistes, ils se sentent investis
d’un destin au sein de ces populations africaines. Or les Anglais imposent des réformes (fin de
l’esclavage,…).Commence alors un processus : Le grand trek (caravane) : les Afrikaners pénètrent
plus en profondeur à l’intérieur des terres dans des régions se révélant riches. Ils feront des
« Républiques boers » où on trouve de l’or, des diamants. Cela va attirer des rivalités entre Anglais et
Afrikaners (moins nombreux) : Guerre des Boers (les Afrikaners s’appelaient comme ça, cela signifie
paysans).
En 1902 : Fin de la guerre. Toute l’Afrique du Sud est britannique. Minorisation politique des
Afrikaners mais ils vont revenir !
En 1910 : Statut de dominion (semi indépendance) : sud africains blancs peuvent choisir leur
gouvernement.
Les Afrikaners se regroupent dans le Parti National (des boers), ils composent la plus grande
composante du peuple blanc. Ce parti est animé par un esprit de revanche teinté de mysticisme
protestant calviniste à l’égard des Anglais. A la même époque, il y a l’apparition d’un mouvement
d’opposition de la majorité noire (vexation liée à l’ordre raciste implanté + pour des questions de
travail, d’accès aux terres,…). Les guerres mondiales ont été l’occasion pour les populations africaines
de prendre des postes vacants,…Il y a donc une promotion professionnelle. Mise en place, à la fin de
la guerre, de dispositifs pour contrer cela avec une série de mesures touchant le travail, l’accès aux
terres (il existe même des mesures plus intimes ex : loi d’immortalité en 1927 : pas de rapports sexuels
en dehors du mariage entre Européens et Africains. Autre ex : toilettes pour Africains d’autres pour
Européens). Système débouchant en 1949 sur l’apartheid, devenu idéologie nationale reconnue (les
bases étaient déjà connues avant mais à cette date c’est proclamé). L'apartheid peut être considéré
comme une sanctification de la différence culturelle. Il y a un ordre hiérarchisé ; les Afrikaners, au
sommet, commandent l’ensemble de l’Afrique du Sud et considèrent que chaque peuple à son génie.
Interdiction des mariages mixtes. On a reconnu un droit territorial pour les populations africaines (les
21
Bantoustans) sur lesquels ils devaient arriver un jour à se développer en Etat nation – mais c’était de
simples « réserves de main d’œuvre », on expulsait là-bas le surplus de main d’œuvre et on allait en
chercher quand on en avait besoin. Autonomie accordée à certains de ces Bantoustans, pas reconnue
par la communauté internationale...
Il y aura des résistances de la part de la frange libérale des blancs (peu nombreux) et de l’ANC
(African National Congress, pas que composé de populations africaines) qui organisera modes de
désobéissance civile. Il y a d’abord des appels aux grèves ensuite des actions militaires. Nelson
MANDELA entrera dans cette résistance armée et sera en 1962 emprisonné à vie. La lutte contre
l’apartheid jouit de soutiens de la communauté internationale mais la guerre froide fait que le régime
de la RSA sera soutenu quand même comme rempart contre le communisme.
Dans les années 70, les régime s’essouffle (à cause des boycotts…), problèmes au niveau de la
violence. La seule légitimité que pouvait encore avoir l'Afrique du Sud résidait dans le fait qu'elle ne
rejoignait pas le camp communiste. A la chute du mur de Berlin, elle perd toute sa légitimité, son seul
rempart (menace rouge sur le continent) s'écroule. Alors processus (1989) de disparition de l’apartheid
avec la présidence d’un Afrikaner (DE KLERK). Il fait libérer Mandela (1990) et organise le
démantèlement des principes de l’apartheid. En 1994 : premières élections multiraciales : Mandela
sera le président et De Klerk sera son premier ministre.
2.7.2 Mémoire et écriture de l’histoire
Comment vivre ensemble ? Les nouveaux hommes politiques auront une bonne capacité à
réintégrer grâce à des mesures politiques, économiques…Mais ils ont aussi veillé à donner de
nouvelles attaches dans un passé « recomposé ».
1990 et 1994 : deux piliers idéologiques de la nouvelle Afrique.
1990 : Mandela était une personnalité charismatique, messianique, et en sortant de 27 ans
d’emprisonnement il n’avait pas d’esprit de vengeance. On le voyait comme un « vieux sage », comme
l’ « homme providentiel » afin de sortir en douceur de l’apartheid. La mise à l’écart de Mandela fera
craindre aux Européens,…
1994 : Elections : image diffusée par les médias des files d’électeurs relevant de toute les origines
ethniques, raciales Æ Diversité, nation « arc-en-ciel » (image biblique aussi, espoir après l’orage).
[Par la suite : phase d’hyper violence car Africains parqués dans certains endroits en villes,
chômeurs}. L’ethnicité est mise en avant dans les événements sportifs (équipe nationale multiraciale
gagne coupe mondiale de rugby,…). Hymne national dans les différentes langues du pays…
Comment gérer le passé de l’apartheid ?
Dans la seconde moitié des années 90, mise sur pied de la TRC (Truth and Reconciliation
Commission) : séances diffusées sur l’ensemble de la République. Tout le monde peut témoigner
(victimes de l’apartheid ou tortionnaires) avec l’idée que les gens du côté des tortionnaires bénéficient
22
d’une exonération de leur peine s’ils témoignent. On peut penser : sorte d’économie chrétienne du
pardon.
Se met en place un mécanisme pour « recycler » des épisodes plus anciens (19ème siècle) pour
réconcilier les différentes communautés. On prend une qualité abstraite de moments passés, ex : le
grand trek est repris par le nouveau régime : on dit que les pionniers sont à la recherche d’un monde
meilleur mais on passe sous silence les tensions raciales. Autre ex : guerres des Boers (Britanniques
contre Afrikaners) met en avant l’image du petit victime du grand (numériquement,…) or les premiers
camps de concentration se font à ce moment là pour les Afrikaners et Africains alliés avec eux. On
essaie de montrer l’homologie de destin entre les Boers durant cette guerre et les Africains durant
l’apartheid, on renomme ces guerres (avant : Anglo-Boer wars, maintenant : Anglo-Boer South
African wars). On essaie de monter le traumatisme générique à l’ensemble de la population et
seulement aux Anglais-Boers.
On met en avant le passé séculaire de l'Afrique: mariage traditionnel de Mandela, rites
d’investiture traditionnels dans son village après qu’il soit devenu président. On met en avant
références aux Boschiman et Hottentot (les premières populations ayant vécu en Afrique du Sud). Les
Boschimans sont des chasseurs tandis que les Hottentot sont pasteurs. Ils ont quasi disparu de la
République mais le nouveau régime les remet en avant (nouvelles armoiries, blasons avec gravue
bochimane,….). Pourquoi se focaliser sur eux ? Peut-être parce qu’ils ne sont plus là, plus facile de
parler des personnes absentes ! Chacun peut donner un sens, s’y retrouver,… Il s'agit de ce que l'on
appelle un "signifiant flottant".
L’Afrique du Sud a bien réussi à repenser son passé (ce n’est pas le paradis pour autant), on
n’efface pas son passé (comme au Congo ou on change les noms de rue dès qu’un président change
ex : avenue Kabila remplace avenue Mobutu,…). Un travail se fait pour essayer de vivre ensemble.
23
Chapitre III. L’ethnicité
3.1 Le fantasme de l’Afrique ethnique
On pense l’Afrique comme un continent tribal, on y voit différentes ethnies, tribus – relevant
de l’anthropologie, alors que les « sociétés » relèveraient de l’histoire et de la socio.
Selon les diverses définitions du terme "ethnie" que l'on peut rencontrer dans les dictionnaires,
l'idée d'ethnie est souvent associée à l'aspect primitif, rural et communautaire dans une perspective qui
tend, sinon au dénigrement, du moins au rabais. On donne la définition selon laquelle dans une ethnie on
a une culture, un territoire, une histoire, une race, une religion, la structure familiale…en commun. Au
départ le concept d'ethnie est peu questionné par les anthropologues, il n'y a pas vraiment de remise en
question de ce thème. La colonisation, comme on le sait, reste une grande productrice de clichés.
Recensement par ethnies dans les régimes coloniaux pour avoir un état des lieux,…
La manière dont on pratiquait l’anthropologie auparavant pouvait valider ce « grand partage ».
L'essentiel des publications consiste en des monographies dans une volonté d'avoir une vision
panoptique sur l'ensemble d'un territoire. L'anthropologue passe son temps à étudier les formes les plus
spécifiques d'une société. Par ses monographies, il devient le porte-parole d'une ethnie devant la science.
En focalisant sur les aspects spécifiques d'un groupe humain et en appliquant les conclusions sur
l'ensemble d'un territoire jugé homogène ethniquement : généralisation abusive. Le portrait que l'on peut
tirer via l'étude d'un groupe ethnique ne s'applique pas forcément à l'ensemble des individus vivant sur le
territoire étudié. Certaines caractéristiques d'un groupe étant appliquées à l'ensemble du groupe, on
risque très vite de voir disparaître les spécificités qui apparaissent lors du contact avec d'autres groupes
vivant dans des régions limitrophes. Associer le concept d'ethnie à la culture reste donc discutable.
L'ethnie était vue comme stable, isolée et homogène, ce postulat n’était pas questionné. On ne mettait
pas en avant les dynamiques, les contacts, les phénomènes de modernisation,… Une ethnie était une
culture formant un système en équilibre interne, potentiellement mis en danger par l’extérieur (on voit
ça encore récemment ex : que sais-je 1992 sur les ethnies). Idée que les frontières ethniques, culturelles,
politiques, sociales se recoupaient, délimitant des fragments homogènes d’humanité : les ethnies. Or, il
est patent que les normes culturelles ne recoupent jamais exactement les frontières des appelations
ethniques.
Aspect contextuel des identités (groupe se faisant appeler différemment selon contexte).
EthnonymeÆ chevauchement, se revendiquent de différents groupes à la fois. Une ethnie = une
culture, ne tient pas debout. Ex : Luba du Katanga du Nord : à l’Est matrilinéaire et à l’ouest
patrilinéaire. Avec des critères culturels, on ne peut reconstruire ces cartes ethniques.
24
3.2
Benedict Anderson et l’imaginaire national
Anderson est un politologue américain, étudie l’idée de nation. Depuis le 19e siècle, le concept
"nation" est projeté sur le continent africain. La nation est un concept moderne qui renvoie dans
l’imaginaire à un passé lointain. Or le nationalisme a deux siècles tout au plus. La nation est de fait
une entité historiquement contingente, non le fruit d’une essence transhistorique. Mais les politiques
nationalistes ont cherché des continuités. Grèce conçoit ses racines dans la Grèce antique classique en
mettant en parenthèse quand ils sont occupés,… Construction rétrospective du passé = nation, trouver
une espèce d’essence. Avant, selon Anderson, on s’identifiait aux niveaux locaux (enterrés dans son
village natal), on faisait appel à des identités locales, référence par rapport au monde proche. OU
identités politiques sous forme d’empire dynastique (Empire de Charles-Quint). OU identité religieuse
peut dépasser de loin l'idée d'une "nation".
Le prise de consistance de l’idée de nation tient à deux éléments selon Anderson : le
capitalisme de l’imprimé : standardiser les langues pour en faire des langues nationales (facilite
l’appartenance à une communauté linguistique par exemple). Diffusion de doc écrits crée une
communauté imaginée de lecteurs.
Itinéraire des fonctionnaires d’Etat : identité à travers référence territoriale.
Peut être est-ce à l’origine de l’ethnie. On projette des identités simples (on est français ou on
ne l’est pas).
Il y a un besoin colonial de classer, de recenser, de créer des groupes. Il y a une volonté de
collectivisation des groupes ethniques. Il y a une projection d’un mode de pensée européen du 19ième
siècle, qui rêvait d’avoir de tels groupes ethniques. L’ordre colonial a ainsi durci les identités. Cela a
abouti à la création de groupes ethniques parfois ; dont un exemple est celui des Bété de Côte d’Ivoire.
3.3 Etude de cas : les Bété de Côte d’Ivoire (Dozon)
!!Attention aux noms des ethnies pour l’examen !!
Les Bété se trouvent au Sud Ouest de la Côte d’Ivoire. DOZON : à la fin du 19ème siècle
personne ne se réclamait Bété (le mot existait peut-être mais personne ne se serait identifié comme
cela). Ethnonyme Bété est arrivé pendant la colonisation. Colonisée tardivement par la France, en
1910 la région dite des Bété était une série de petits villages vivant principalement de la chasse,
souvent en guerre, et qui n'offraient pas l'image d'une communauté culturelle unie. Pas de ferment
culturel en commun. C’est un ethnonyme vide de sens. Comment alors en 1985, 300 000 personnes se
disent Bété ?
Les Français en arrivant pacifient les Bété (par la guerre !) et créent des cercles administratifs,
les Bété auront un nom. Trois grosses agglomérations du pays Bété sont reliés par des routes et on
force ceux en dehors de venir s’établir sur les routes (facilités pour taxation,…).
25
L’identité Bété ne se crée pas à ce moment. Première appropriation de cette appellation dans le courant
des années 1910 en dehors du pays. Il y a un recrutement lors de la première guerre,… beaucoup de
jeunes fuient la conscription en se déplaçant vers le Sud Est (surtout à Abidjan). Les Bété sont les
derniers à arriver sur le marché de l’emploi, et n’ont donc pas eu le long contact avec les autorités
coloniales ni de qualifications. Ils deviendront d’abord le petit prolétariat, les (les petites mains= les
Bété). C’est donc dans un contexte économique et colonial et lorsqu’ils sont en dehors de leur région
que l’identité se crée.
Le territoire économique que les Français voulaient construire se développe en 1925 mais ils
ne peuvent fournir assez de main d’œuvre donc migration du reste de la Côte d’Ivoire + Afrique
occidentale coloniale. Les rapports avec les agriculteurs Bété seront bons, ils sont même disposés à
leur fournir des terres, et suivront deux-trois décennies pacifiques.
Années 50 : on assiste à un boom économique au niveau de la production agricole.
Intensification de la migration + immigration de BAULE (se prononce Baoulé) ; agriculteurs axés sur
les plantations, connaissant les mécanismes du commerce international, ils ont un rapport très différent
avec les Bété. Ils ne vont pas chercher à rentrer dans la relation patron/ouvrier agricole qui
caractérisait la première vague des migrations. Ils veulent acheter les terres et souvent les Français leur
accorderont raison. Baule veulent maximiser et sont en conflits fonciers avec les Bété. Via ces conflits
fonciers, ils vont détourner la main d'œuvre des Bété: les anciens ouvriers entrent dans le camp des
Baule. 1950 : Les Bété sont aussi dans les villes (1980 : quasi la moitié des Bété sont urbains), ils
changent donc de statut (universitaires, hommes politiques,…), vont se voir dans les associations
d’Originaires pour favoriser l’immigration de gens du même terroir. De plus, ils veulent devenir les
porte-parole des Bété se trouvant dans les campagnes, représentants officiels et dénonceront
l’accaparement des terres par les Baule. Les villes ont un rôle déterminant pour l’affirmation des
identités. Ils entament un discours sur l’autochtonie ; droits différenciés doivent se faire. Les Bété
veulent défendre leur droit, luttent pour l’autochtonie ils font penser à des « rebelles », des
« empêcheurs de tourner en rond ». Ils déclareront d’ailleurs une sécession et établiront une république
pendant quelques jours. Affrontement majeur lors indépendance en 1960 entre un Bété (pour les
paysans) et un Baule (Houphouët-Boigny) ce dernier deviendra président : programme pour
« bourgeoisie » de grands planteurs.
La cristallisation de l’identité Bété commence donc à la période coloniale et se fera dans les
villes. A terme, victoire des Bété par la présidence de GBAGBO (président Bété). Processus enclenché
dans le cadre de l’économie coloniale (dvlp d’une région agricole,…). On parle de problèmes
ethniques maintenant pour parler de cette période or c’est un processus économique, politique,
identitaire et non une résurgence d’ancienne identité.
26
3.4 Jean-Loup Amselle et les chaînes de société
Du côté francophone, Amselle a été un grand pourfendeur du concept d’ethnicité. Cf le cas des
Bété, repris dans son ouvrage « Au cœur de l’ethnie » (1985). Cf aussi l'exemple des Mongo, qui
occupent la région Nord-Ouest de la République Démocratique du Congo. Le terme "Mongo", qui
signifie "haute terre" ou "non riverain" ne trouve aucune source étymologique dans la langue des
Mongo. Il s'agit donc d'un exo-ethnonyme, qui trouve son origine chez les riverains du fleuve Congo
(guides des explorateurs) qui l'utilisaient pour désigner ceux qui occupaient les hautes terres.
Le Père Hulstaert développe une importante mission au Congo. Il y met sur pied un centre de
recherches ethnographiques et linguistiques, et restera 50 ans sur place. Il entreprend la traduction de
la Bible et pour ce faire, il lui est nécessaire de définir une langue de référence, qui deviendra le
mongo « standard » et qui participera à la création de l'identité mongo. Les élites mongo, les "évolués"
de Kinshasa (alors Léopoldville), reprennent cet imaginaire identitaire et s'approprient le programme
culturel du Père Hulstaert, rédigent poésie mongo et développent un programme politique mongo, ce
qui, peu à peu, substantialise ce programme culturel. On assiste ainsi à une "ethnogenèse" artificielle
qui s'endogénise et devient interne au groupe désigné.
Amselle dénonce la vision substantialiste de l’ethnie, fortement véhiculée par les médias
(guerre « tribale », etc.). Bien que l'ethnie semble naturelle, elle est principalement le fruit d'une
construction. Une fois "endogénisé" le nom de l'ethnie acquiert un pouvoir cognitif perçu comme tout
à fait naturel. Le concept d'ethnie est également repris par les hommes politiques car il représente une
source de pouvoir. Il est en effet possible de mobiliser le sentiment d'appartenance ethnique afin de
pouvoir désigner un ennemi. Exemple, au Rwanda et au Burundi, des Tutsi et des Hutu. Confrontés
aux deux appellations dont les frontières n'étaient pas nettes (des transferts de l'une à l'autre étaient
notamment possibles), les Belges cherchent à baliser: ils s'appuieront tantôt sur l'aristocratie locale
(tutsi), tantôt sur les autres (Hutu). Les formes dichotomiques existantes sont le fruit (notamment) de
la gestion coloniale et postcoloniale. La situation était flottante avant, elle devient plus rigide après, ce
qui concourra au génocide. Il existait déjà des identités en opposition mais la rigidité de la frontière n'a
pas facilité les choses. La forme de cette dichotomie est aussi le résultat de la littérature sur les
origines de ces deux ethnies. Le colonisateur opère donc un découpage linguistique suivi d'un
endogénisation du nom de l'ethnie.
Amselle propose des substituts à l'ethnie. Qu'est-ce qui met les groupes en réseau? Il manifeste
son intérêt pour les relations entre les groupes (mariages, liens économiques, etc.); c'est-à-dire l'inter
plutôt que l'intra. Il distingue 4 types d'espace qui constituaient des « chaînes de sociétés » avant la
colonisation:
8
Les espaces d'échange. Les réseaux commerciaux s'étendent sur des milliers de km où
s'échange une multitude de productions locales. Ex: Au Sud-est du Congo, il y a des réseaux
commerciaux de sel – produit de nécessité- dans la période précoloniale. Provenant des marais
27
salants. Ce commerce impliquait une spécialisation du travail avec des spécialistes locaux et
avait parfois la forme d’un commerce triangulaire: le sel s'échange contre le cuivre; le cuivre
contre des tissus... Des entrepreneurs commerciaux se déplaçaient sur des centaines de km.
8
Les espaces étatiques, politiques et guerriers. De grandes constructions étatiques ont vu le
jour avant l'arrivée des colons et de l'Islam: le Royaume de Ghana, Axum, la civilisation
swahili, etc. Plutôt que de reprendre la distinction classique (et implicitement évolutionniste)
des sociétés avec et sans état, Amselle propose de distinguer sociétés englobantes et
englobées. Les sociétés englobantes ont un plus grand pouvoir de détermination de l'espace
et un rôle économique/politique actif. Elles imposent des frontières, délimitent un espace
commercial et/ou social. Les sociétés qui dépendent de ces pouvoirs sont les "sociétés
englobées". Elles occupent des espaces périphériques et subissent la pression (razzias
esclavagistes) des grands Etats qui les empêchent de se développer et les forcent à occuper
une sorte de niche écologique. Pour Amselle, les sociétés englobées ont acquis des
caractéristiques (organisation lignagère segmentaire…) imposées par leur ‘minorisation’ par
les sociétés englobantes, et ne seraient donc pas ‘incapables’ de développement politique ou
autre.
Æ C’est une optique nous pousse à comprendre les deux types dans les liens qui les unissent
comme un ensemble. La colonisation a transformé cette situation, parfois au profit des
sociétés englobées puisque leurs liens de sujétions ont été cassés.
8
Les espaces linguistiques. Il s'agit d'un réseau d'échange oral, plus rarement écrit. Parfois, il
peut y avoir corrélation entre espace politique et espace linguistique. Certaines langues
émanant des chefferies, donc étendues sur un espace politique, vont se répandre sur un
territoire plus vaste. On peut constater ce phénomène en observant la diffusion des langues
des sociétés englobantes en parallèle avec leur conquête territoriale.
L'espace linguistique est aussi le fait des réseaux commerciaux. C'est ainsi que se
développe le swahili jusqu'à son extension actuelle (Afrique orientale, Kenya,
Zimbabwe, Ouganda). La sphère commerciale correspond à la sphère d'extension du
swahili même si la colonisation l'a aussi favorisée. Cependant, on ne peut pas se servir
de cartes ethnographiques pour déterminer un espace linguistique commun. Le Kiluba,
par exemple, n'est pas parlé de la même manière dans tout le Katanga. De plus, on est
très mal renseigné sur les langues unificatrices qui existaient avant la colonisation. Il y
a parfois confusion entre carte ethnique et extension linguistique.
28
8
Les espaces culturels et religieux. Au sein d'un groupe, les pratiques culturelles, cultuelles
ou rituelles peuvent varier. Ex: Mukanda : rituel de circoncision répandu en Afrique centrale
de l’ouest. Il est sorti des frontières ethniques, territoriales. C’est la diffusion des idées. Un
groupe n'est pas cantonné dans une attitude absolue par rapport à ses pratiques (liens par
communications, mariages, etc.).
Ainsi, Amselle déconstruit la notion même d'ethnicité. On ne peut pas projeter vers un passé lointain
des identités contemporaines.
Les chaines de société témoignent de la primauté des liens plutôt que des ruptures. Les individus, dans
la période précoloniale, avaient accès à de nombreux rôles qu’ils choisissaient selon le contexte : c’est
autant d’identité à revendiquer selon le contexte. (On commerce avec tel groupe, on se marie avec un
autre groupe…). Les espaces sociaux sont larges. L’Afrique est constituée de réseaux multiples, il y a
une pluralité d’espaces entre les gens avec des idées multiples et donc pas une ethnie.
3.5. Barth et les ethnies comme catégorie d'attribution.
Fr. BARTH, Ethnic Groups Boundaries. The Social Organization of Cultural Difference, 1969.
Pour Barth, la différence culturelle est organisée socialement. Avant et contrairement à
Amselle, Barth cherche à redéfinir la notion d'ethnie. Son point de vue se place dans une perspective
interactionniste. Pour lui, l'ethnie apparaît dans le cadre de contacts, grâce aux interactions. Il est
impossible de pouvoir penser l'ethnie sans prendre en considération le contact avec l'Autre. Le "nous"
ne peut se créer que par rapport à un "eux". C'est par les interactions qu'apparaît la création d'un
"nous" et d'un "eux" (Ex : les Bete ont été renforcé par leur contacts avec les Baule). Il n'y a donc pas
cette idée d'enfermement de l'ethnie, comme le proposaient les définitions précédentes. L'ethnie est,
pour lui, une catégorie d’attribution. Il s'agit d'assignations mutuelles d’identités entre groupes.
L'ethnicité n'est pas référée a priori par rapport à des cadres culturels. L'ethnie est une réalité
discursive qui se manifeste à travers l’élaboration de frontières ethniques (sociales, plutôt que
physiques). La frontière sociale est le lieu où se passe l'assignation mutuelle, où se désigne
l'appartenance à un groupe. Avant, on abordait l’ethnicité en considérant un groupe A à travers ses
caractéristiques. Barth, lui, ne comprend le groupe A que par rapport à un groupe B. Cette vision est
plus réaliste dans le sens où même si le contenu culturel évolue, on pourra toujours observer
l’expression de différences ethniques entre les groupes. L'ethnie n'est donc pas déterminée par le
contenu culturel de chaque groupe, mais par les différences manifestées entre les groupes. Avant, le
contenu culturel spécifique du groupe déterminait l'ethnie du groupe; ce qui aurait abouti à reconnaître
la disparition virtuelle de l’ethnie si certaines de ses caractéristiques évoluaient ou disparaissaient.
29
3.6. Ethnicité, modernité et urbanisation.
La question de l'ethnicité connaît aujourd'hui une importance grandissante. Auparavant, on
considérait l'ethnie dans une forme d'isolement d'un groupe dont on observait les spécificités. Pour
Barth, la notion d'ethnicité (universelle, valable à travers époques) se renforce dans la période
(post)coloniale, à travers les migrations, l'urbanisation et les regroupements administratifs c'est-à-dire
grâce à l'augmentation des occasions de contacts. Néanmoins, l'ethnicité n' pas besoin de la
colonisation pour exister (contrairement aux assertions d’Amselle qui y voyait essentiellement un
produit de la colonisation).
On assiste à une convergence au niveau culturel (tout le monde connaît Coca-Cola, le football,
etc.) et dans un même temps, il y a une exacerbation des sentiments identitaires au point de vue
ethnique.
La ville est un espace de création ethnique, où l'affirmation de l'identitaire est très marquée.
C'est le lieu des contacts et, comme vu précédemment, l'ethnie se manifeste non pas en référence à sa
culture spécifique, mais par le contact avec d'autres modes de fonctionnement (cf. les Bété à Abidjan:
constitués en catégorie spécifique déterminée par une division du travail). Ethnicité dans les milieux
ruraux subit transformations quand implantée dans les zones urbaines. L'exode rural montre que les
identités ethniques ont tendance à se constituer en identités plus larges comme on a pu le constater
avec les italiens immigrés arrivés en Belgique (ils ne revendiquent plus napolitains ou milanais, mais
comme italiens).
Etude de cas: les Luba du Kasaï
Les Luba du Kasaï occupent le centre du Congo. Malheureusement, ils se trouvaient sur la
ligne de rencontre entre l'esclavagisme de l'océan Indien et de l'océan Atlantique. Entre 1870 et 1890,
l'avancée de l'esclavage dissout les structures politiques existantes. Les Luba du Kasaï se dirigent vers
les postes avancés de la colonisation afin de d'échapper aux razzias esclavagistes. Ils sont sous tutelle
des Belges. Paradoxalement, cette situation leur sera favorable car ils seront les premiers à bénéficier
de la culture occidentale (christianisme, alphabétisation) et seront donc favorisés par le système
colonial. Ils deviennent clercs, ouvriers de chemins de fer et l'appréciation que l'on a d'eux est positive.
Ils ne se qualifiaient pas eux-mêmes de Luba. C'est le regroupement et l'urbanisation qui va faire
apparaître l'utilisation de « Luba de Kasaï » pour les désigner. Cette identité prend donc consistance
peu à peu. Ils seront chassés, à la fin de la période coloniale et durant années 1990, d’une série de
régions où ils s’étaient implantés.
30
3.7. Dynamisme historique et statut hiérarchique des identités
ethniques
L'ethnie semble avoir cette capacité de pouvoir apparaître ou disparaître: en Europe,
aujourd'hui, plus personne ne se revendique Wisigoth ou Ostrogoth, sans qu’il y ait eu élimination
physique. Les identités sont dynamiques, elles évoluent, ne sont pas fixes. Certains découpages
ethniques ne sont pas porteurs de sens par la suite; d'autres identités viennent en remplacement. Les
contenus culturels peuvent se transmettre mais ce n’est pas toujours le cas des appellations ethniques.
L’ethnicité ne se comprend que par rapport à une histoire.
Le cas de l'identité Swahili
Le terme générique de Swahili est une appellation destinée à désigner les populations de la
côte orientale de l'Afrique. Ces populations ne se définissent pas comme telles au départ. De plus,
"swahili" est un terme simplificateur de la réalité existante en ce qui concerne les populations visées. Il
s'agit terme utilisé de façon commode pour désigner un énorme ensemble civilisationnel. D'après les
sources des voyageurs (au 19ème siècle), il y avait trois groupes distincts:
•
Les Arabes: autorité politique venant notamment du sultanat d'Oman, groupe lié à la
noblesse commerçante.
•
Les Hadimu: les autochtones
•
Les Swahili: les esclaves et descendants d'esclaves. Ils constituent la couche sociale
décriée et très mal vue (stéréotypes). Ils ne sont pas appréciés par les autres Africains
et ils sont à la base de l’échelle sociale, en dehors de tout système. Coupés de la
traditions africaine, ils travailleront au service des puissances coloniales, seront
alphabétisés et occidentalisés, et seront donc des supports de l’ordre colonial. Cela a
renforcé le sentiment de dégoût qu’ils inspiraient aux autres couches de la population.
C’est une identité auquel beaucoup ont voulu se désaffilier.
Vu le rejet qu'inspirent les Swahili, ils vont changer de nom et se rebaptiser "Arabes". On voit
donc, à Zanzibar, le nombre d'individus se désignant comme "Swahili" chuter de près de 99% (34.000
individus à 290) de 1924 à 1948. Le système administratif permet ce changement d'appartenance
identitaire : il faut juste se trouver un ancêtre arabe ou être musulman. Les Arabes, eux, en réaction à
cette nouvelle identité usurpée par les Swahili, vont se rebaptiser "Waarabu safi", les Arabes purs, par
opposition aux Arabes Swahili. A la fin de la colonisation, le terme Swahili servira d'exo-ethnonyme
pour désigner les populations non autochtones, notamment dans le cadre de petites villes nouvelles.
Vers 1950-1960, les couches de la population urbaine sont au premier rang de la lutte contre la
colonisation. Nouvelle idéologie favorisant la « modernité », la citoyenneté dans esprit de clocher…
31
Les Swahilis sont alors considérés comme la couche civilisée et européanisée par rapport aux ruraux.
Le terme swahili se repopularise et on se ré-affilie à cette identité moderne.
Nyerere, homme d'Etat tanzanien socialiste, lutte contre le tribalisme et considère qu'il faut
parler swahili. Être Swahili, c'est appartenir à la ville, par rapport aux gens de la brousse. D'un
stigmate dépréciatif, le terme "Swahili" en arrive à devenir un galon de qualité. La catégorisation
ethnique est fondamentalement liée à un système d'évaluation basé sur un classement positif ou
négatif: citadins vs. ruraux; chic vs. fruste; confrontation de systèmes économiques différents (les
Pygmées sont rabaissés par les agriculteurs selon une évaluation morale).
Cette évaluation morale est parfaitement illustrée par le regard porté sur les Lamba, un groupe
qui occupe la région cuprifère à cheval sur le Congo et la Zambie. Ce groupe a été victime de sa
position géographique. Cette population a été stigmatisée: les Lamba sont fainéants, peureux,
alcooliques, les femmes se prostituent, etc. Ils vivent dans une zone rurale, mais à proximité des
centres urbains. Les immigrés qui travaillent dans les villes (ceux de l'ex Nyassaland, le Malawi
actuel) les critiquent et les dénigrent car ils ne sont pas axés sur la « modernité ». Ainsi dévalorisés, les
Lamba voient leurs terres spoliées par les exploitants de cuivre, ils sont écartés, et les termes des
échanges leur sont défavorables. Cette stigmatisation est avalisée par les coloniaux. Du côté des
Lamba, ils considèrent les citadins comme vantards. Cependant, le stigmate "Lamba" est intégré par la
population même: si quelque chose ne va pas, c'est tout simplement dû au fait qu'on est Lamba!
Actuellement, depuis que les économies urbaines vont mal, les Lamba regardent avec ironie les
citadins qui se moquaient d’eux.
3.8. Ethnie et culture
Dès lors que l’ethnie ne peut pas se définir par un contenu culturel, quel est le lien entre ethnie
et culture ? Barth : les identités ethniques se manifestent à travers des indices culturels. Ces indices
permettent la différenciation. A travers les objets, par exemple, on crée une identité distincte par
rapport à un autre groupe. De manière générale, tout peut servir à marquer les frontières ethniques
(vêtement, religion…). A côté des aspects les plus visibles : les critères de moralité et d'excellence
(modes de comportements assignés à un groupe). Ainsi, les Luba du Kasaï sont jugés intelligents,
népotistes, rusés et malins… et sont supposés se comporter comme tels.
Un des indices peut être le vêtement. Les Kalabari, qui occupent une région très peuplée du
Sud-Est du Nigeria, sont très soucieux et conscients des détails apportés à leur tenue vestimentaire.
Les différences peuvent se marquer par de simples détails comme le nombre de boutons. Ils ont 5
types de vêtement selon leur statut et ils ont empruntés des éléments (chapeau…) aux tenues
occidentales. En effet, Calabar était un port de départ de la traite esclavagiste et beaucoup de tissus, de
chapeaux y transitaient. Ils ont repris ces éléments, réapproprié de manière sélective. Un Kalabari sur
32
quatre porte cette tenue en semaine; un sur deux lors des événements rituels. Il s'agit d'hommes
principalement. En fait, tout Kalabari qui se respecte porte cette tenue "folklorique". On peut
introduire ici le concept qui, selon Goffman, marque la surcommunication, c'est-à-dire la recherche
explicite à témoigner de l'appartenance à un groupe. Par opposition, la sous-communication consiste à
dissimuler l'élément indiciel qui pourrait laisser penser qu'une personne appartient à un groupe (cas de
peuples stigmatisés. Les Lapons, par exemple, n'utilisent leur langue que dans le cadre de la
maisonnée). D'autre part, certaines familles ont acquis un droit sur l'avoir de signes distinctifs.
Certains critères moraux marquent et définissent le comportement typique. Etude de Barth sur les
Pathan (Pachtounes) d’Afghanistan : code de l'honneur définissant l’identité ethnique.
La culture intervient donc à titre d’indice pour l’établissement des frontières. Mais ceci peut
s’appliquer aux classes sociales, aux groupes religieux… tous grands utilisateurs d’indices culturels
pour maquer l’appartenance. Quelle est donc la spécificité de l’identité ethnique parmi les autres ?
3.9. Ethnie et histoire
Il semblerait que l'ethnie puisse plus spécifiquement se définir en fonction de la manière dont on
conçoit les origines, sorte d'obsession du passé. Weber considère que l'ethnie est le partage de l'idée
d'une ascendance commune. Jenkins cherche à renverser le sens communément admis. Dans
Rethinking Ethnicity, il considère que croire que l'on a un ancêtre commun est une conséquence (et
non une cause) d’un destin politique partagé ou du fait de vivre ensemble. La croyance en une
ascendance commune est une construction rétrospective; c'est-à-dire que l'identité commune n'existe
pas avant de vivre ensemble mais le fait de vivre ensemble nous amène à nous projeter dans un passé
et à construire une identité commune. L'ethnie semble alors être une espèce « naturelle », une forme
d'identification essentielle dans l'esprit des gens, une idée d'être de la même descendance, de la même
famille. Une identité dont on a l’impression qu’elle ne peut pas changer pour un individu donné.
Cependant, dans les faits, il est fréquent qu'un individu puisse changer d'affiliation ethnique.
Barth a lui-même n’a pas soulevé cette question du rapport à l’histoire, car, dans une
perspective de construction sociale des identités il cherchait précisément à combattre tout
essentialisme. Mais de fait, si le passé historique commun de l’ethnie est objectivement un leurre, les
membres de l’ethnie se représentent le passé comme partagé.
3.10. Les ethnicités transnationalisées
Cette approche de la problématique de l'ethnie prend place dans le contexte des espaces de
communication et de la diaspora. Les nouvelles formes de communication permettent
d’envisager l’ethnicité dans les réseaux internationaux.
Ex: Les Yorubas, qui occupent une région étendue à travers le Nigeria, le Bénin et le Togo. A
l’origine, l’ethnonyme s’applique aux habitants d'une petite cité état, Oyo, en pays Yoruba (le Nigeria
33
n'était pas encore colonisé à l'époque). Leur identité se développe principalement dans la première
moitié du 19e siècle. Après un interdit sur la traite des esclaves en 1817, les Britanniques vont
détourner les victimes des négriers vers une autre colonie, le Sierra Leone : regroupés à Freetown, on
leur permet le droit d'association. Eduqués, convertis au Christianisme, ils deviendront une sorte d'élite
dans les colonies. En 1860, Lagos devient l'avant-poste de la colonisation britannique du futur Nigeria.
C'est à ce moment que les Britanniques font appel aux « Yoruba » du Sierra Leone, afin de leur
conférer des charges administratives. Se met en place un phénomène d'osmose, d'adaptation mutuelle
et de transmission de l'identité Yoruba développée au Sierra Leone, avec les populations restées au
Nigeria. Le Yoruba devient une langue standard grâce à la traduction de la Bible et à sa diffusion.
D'une certaine manière, l'identification Yoruba se fera via la référence biblique. Les Yoruba
constitueront un avant-poste de la christianisation, et éditeront des monographies ethnographiques et
historiques de leur groupe, constitueront premières sociétés savantes africaines. Blyden y sera invité
en tant que conférencier. En fait, les Yorubas plaident pour une retraditionnalisation de leur culture.
Entre le 19e et le 20e siècle, ils joueront un rôle important dans la colonisation du centre du pays
Yoruba. Ils apportent leur aide car ils souhaitent réunifier le pays et mettre fin aux guerres fratricides
entre les différents royaumes yoruba. Ils deviennent ainsi le relais de l'administration centrale dans
cette région du monde.
On retrouve l'identité Yoruba aux Etats-Unis où la diaspora des Yorubas monopolise la sphère
intellectuelle Afro-américaine. Ils se portent comme porte-parole de l'Afrique noire. Pourquoi? Au
Brésil, terre de prédilection des traites négrières, les populations d'origine africaine se sont regroupées
autour de certains cultes religieux. Parmi eux, le candomblé, mouvement syncrétique. Pour construire
les lieux de culte, les adeptes se regroupent selon les régions africaines d’origine. On trouve ainsi des
maisons de cultes Kongo, Najo / Yoruba, etc. Cette concurrence donne lieu a une dynamique de
conflit pour avoir le culte le plus prestigieux, et ce, dans une recherche de la pureté visant à
l'établissement d'une « véritable » religion. Une série de maison Yoruba parviennent à prouver leur
pureté par rapport aux formes « dégénérées » (liées à la sorcellerie…) des autres maisons (Congo). Les
anthropologues, via leur travail de terrain auprès des candomble des Yoruba/Najo, cautionnent la
dichotomie entre les groupes et qui ont donc participé au renforcement de la légitimation des chefs de
ces cultes. Les leaders religieux vont tenter de rechercher leurs racines pour retrouver la pureté
originelle. Certains retournent au pays pour se faire introniser et recevoir des symboles religieux. On
assistera aussi à mouvement inverse, des Yoruba d'Afrique se rendant en Amérique notamment pour
enseigner la langue (processus de retraditionnalisation).
On retrouve un phénomène semblable chez les Akan qui occupent l'Afrique occidentale
(Ghana). Aux Etats-Unis, certains forment des groupes de musiciens portés sur l'afrocentrisme des
années cinquante. Ainsi, suite à un voyage et à une révélation, un musicien afroaméricain se proclame
roi des Akan aux Etats-Unis.
34
Chapitre IV. Le pouvoir
4.1. Le pouvoir: essai de définition
Selon Max Weber, "le pouvoir (macht) est la probabilité qu'un acteur, dans le cadre d'une
relation sociale, sera en mesure d'imposer sa propre volonté contre toute résistance, quelle que soit la
base sur laquelle repose cette probabilité". Il s'agit donc d'une lutte entre individus qui vise à imposer
un contrôle et définie par des objectifs divers. Selon Marx et Engels, le pouvoir politique est
l'organisation du pouvoir d'une classe en vue d'en opprimer une autre. Définitions en termes
d’objectifs et de conséquences : il s'agit donc d'une physique sociale faite de données objectivables;
une force musculaire sociale qui est mesurable.
Ces définitions ne conviennent pas aux anthropologues, car elles ne tiennent pas compte de la
dimension culturelle du pouvoir. S'opposent ici l'etic et l'emic. L'etic est une conception qui n'a pas de
rapport avec un contexte culturel particulier. L'emic prend en compte l'univers des conceptions
mentales d'un groupe en particulier. Par exemple, la disette peut être quantifiable selon un coefficient
taille/poids (etic), mais la disette peut également être perçue par la carence d'un aliment socialement
valorisé (emic).
Le pouvoir fonctionne avec l'accord partagé des membres d'un groupe par rapport à une
définition sociale du pouvoir (entre le professeur et ses étudiants s'installe une relation de pouvoir
parfaitement intégrée par l'ensemble du groupe en raison d’une définition conjointe). Il est donc
nécessaire d'élargir la notion de pouvoir à une définition culturelle et l'intégrer dans un cadre social
plus vaste. Pour que le pouvoir puisse s'exercer, il faut que les différents membres du groupe partagent
un même système qui admette ce pouvoir. Il ne faut pas aborder le pouvoir sans tenir compte de la
représentation du pouvoir par les acteurs. Plus qu'un étroit rapport de domination d'un individu sur un
autre, le pouvoir gagne à être conçu comme la capacité (culturellement définie) d’agir sur le cours de
choses. Ainsi, apparaît le concept de création/énergie, sorte de lien entre la société et la puissance du
monde de l'invisible
→ Arens & Karp, Creativity of Power: approche cosmologique du pouvoir dans de nombreuses
sociétés africaines. Le pouvoir a des vertus de conservation de l'univers. Ce dernier est entropique car
il se désagrège par lui-même. Il faut donc reconstruire cet univers à travers les rituels, pour se
prémunir des forces entropiques qui règnent autour du village. Ces rites favorisent la germination des
plantes, l'abondance de poissons dans les lacs, etc. Le chef doit assurer ses capacités de médiateur,
mais il doit mobiliser les forces de l'au-delà, réaliser des rituels pour assurer l'équilibre harmonieux. Il
doit respecter l'ensemble des codes (interdictions, etc.) pour éviter que l'univers ne se désagrège. Dans
l'imaginaire contemporain, le fait est admis que le chef d'Etat doit avoir une relation avec le mode
invisible (Mobutu s'adonnait à la magie et recourait à ses « féticheurs ». La conséquence est qu’il est
difficile de séparer le politique et le religieux en Afrique.
35
Conflits Mobutu/Eglise pour question de prééminence. Plus récemment, d’autres leaders comme
Kérékou (Bénin) et Yoweri Museveni (Ouganda) ont eu des liens très forts avec les Eglises
pentecôtistes qui les supportent.
4.2. L'organisation sociale des Bëti du sud-Cameroun au début de
l'ère coloniale.
Dans les années 1970, Ph. Laburthe-Tolra cherche à reconstruire idéalement la société du
Cameroun d'avant la colonisation. Les Bëti occupent une région forestière du Sud du Cameroun et
regroupaient alors environ 600.000 individus. Au début de la colonisation, les Bëti étaient des
chasseurs migrants qui se déplaçaient vers le sud. Organisés selon un système patrilinéaire, ils sont
aujourd'hui surtout agriculteurs. Unité de base : la maisonnée : regroupement de toute une série de
dépendants (enfants, filles non mariée, les femmes, les esclaves, etc.) autour d'un individu masculin: le
Nkukuma. Ce "big man" est un entrepreneur social qui joue du don et du contre-don, et attire ainsi des
dépendants. Il ne possède pas de terres. Il peut être entouré jusqu'à une trentaine de femmes et d'une
centaine de dépendants. Les femmes jouent un rôle capital dans ce système. Il est plus intéressant
d'avoir des filles car, tandis que les garçons resteront au service de leur père (ils constituent la force
physique du groupe notamment pour les guerres, et on fera tout pour les garder le plus longtemps
possible au sein de la famille), elles seront mariées en échange de compensations matrimoniales. La
famille du garçon offre à la famille de la fille des valeurs matrimoniales. Après avoir marié une de ses
filles, le Nkukuma peut se remarier, ce qui lui amènera de nouveaux alliés et de nouveaux gendres. Si
les filles ont des enfants hors mariage ou si leur prétendant n'a pas encore payé, les enfants restent
chez le Nkukuma. Si les fils veulent se marier, il faudra prévoir la compensation matrimoniale, ce qui
explique que le Nkukuma cherche à retarder le mariage de ses fils, mais il ne peut le faire trop
longtemps (tensions). Les garçons émancipés après leur mariage habitent tout autour du village. Les
esclaves sont obtenus par les guerres ou par compensation; cette sorte d'esclavage économique est très
classique. Les "clients" sont également dépendants du Nkukuma. Ce sont en général les concubins des
épouses, le but étant qu'ils apportent une aide dans la vie quotidienne. Les enfants que les épouses du
nkukuma ont eus avec leurs amants seront les enfants du chef. Le Nkukuma est un bon patron,
quelqu’un qui doit faire preuve d’investissement social sur le long terme à travers une politique
d’échange sur le plan matrimonial. Il peut aussi agir sur le plan invisible, il doit être capable de faire
régner un certain bien être sur le monde occulte.
Dans le village, règne le Mvoe, un équilibre social qui assure la prospérité et qui émane d'un
rapport harmonieux avec le monde des esprits. La force du Nkukuma vient de sa capacité de
médiatiser avec les forces invisibles. Avant de chasser, on invoque les ancêtres pour mettre les
animaux de la brousse à disposition des chasseurs (le gibier est aux ancêtres ce que le cheptel est aux
villageois).
36
La guerre, pour acquérir femmes et esclaves, dépend aussi des capacités magiques du nkukuma. Il
y a une réelle volonté de permettre aux gens de prouver leur bravoure (en tuant un homme ou un grand
animal, par exemple). Dès que le sang coule, il n'y a plus de guerre. La guerre suppose la maîtrise des
puissances de l'invisible. C'est pourquoi, le Nkukuma veille à assurer l'endurance du guerrier
(espionnage magique) par l'activation de charmes pour pouvoir gagner la guerre.
4.3. L'evu
L'evu est en quelque sorte le symétrique du Mvoe. Cependant, il renvoie à la sorcellerie et est
hostile, dangereux. Il s'agit d'une force vitale destructrice, enfouie dans le ventre ou le vagin, qui quitte
le corps la nuit pour exercer sa puissance sous des formes diverses. L'evu peut ainsi se transformer en
animal qui détruit les champs, s'attaques aux hommes ou au cheptel. Il intervient aussi
préférentiellement dans les forces de la reproduction : à l'origine de la stérilité et des avortements, des
viols, etc. Le sorcier possède un evu actif, sorte de force vampirique qui quitte le corps la nuit et
injecte à sa victime une sorte de produit paralysant. L'evu tire sa victime hors de la maison, la taillade,
boit son sang et lui annonce qu'elle va bientôt mourir. L’Evu est fortement associé au sexe féminin.
C’est une idée de l’anthropophagie des sorciers, il mange la vie des gens. Ils sont censés exister sous
forme de sociétés secrètes qui se réunissent pour échanger leurs victimes.
Seconde approche. Tout le monde à un evu, en tant que principe vital: c'est l'evu passif, inactif (qui
peut être soigné par les médecins traditionnel). Dès lors, il y a donc deux niveaux d’Evu : 1/ un evu
propre aux sorciers (cf supra) et 2/ un evu corporel, neutre et commun à tous les hommes. Mais tout
le monde peut se penser comme un possesseur de l’evu. Les rêves traduisent la vie nocturne de
l’evu. Ils sont parfois considérés comme des signes d’activation de cette force. Certains individus
ont un evu plus actif: les fils de sorciers. Néanmoins l'evu passif peut être activé, par ingurgitation.
Pour pouvoir entrer dans une société secrète de sorciers, le novice doit fournir une victime lors des
repas anthropophages, le sorcier devra activer l'evu chez cet individu par une nourriture ou une
boisson ensorcelée (en effet, pour être victime de l’evu, il faut avoir l’evu activé). Deux alternatives
s'offrent à la victime: soit elle accepte l'evu actif et elle cherche d'autres victimes, soit elle est
victime elle-même. Il faut toujours prendre un proche comme victime. Sorte de cercle sans fin, ce
fléau ronge peu à peu l'édifice social.
Troisième approche. Bien que l'evu soit moralement (socialement) inacceptable, il a cependant
une raison d'être. Sans evu actif, il n'y a pas de capacité de connaissance ou d'intervention. Celui qui
n'a pas l'evu est faible. Dans le Sud du Cameroun, on attend de tous les grands hommes –
politiques, commerçants – qu’ils possèdent l’evu, le pouvoir de la sorcellerie même si cela
est dangereux. Le pouvoir de sorcellerie est mauvais mais on attend quand même des
leaders qu’il le maitrise, qu’il en ait un bon usage car il peut servir. Il est donc nécessaire au
Nkukuma de pouvoir le maîtriser pour le mettre au service de la société. Le Nkukuma devient ainsi
37
le "périscope" qui entre dans le monde invisible de la sorcellerie à travers son evu. L'evu rencontre
donc bien ici la définition alternative du pouvoir évoquée dans l’intro de ce chapitre. Comme la
bombe atomique, même si l'on sait qu'elle représente un grand danger, il vaut mieux l'avoir pour
équilibrer les forces.
•
evu passif des innocents (avec possibilité de développement)
•
evu nuisible des sorciers
•
evu actif, mais domestiqué, structuré, contraint, mis au service de la communauté avec
le pouvoir de contrer la sorcellerie.
Comment mettre ces sorciers hors d'état de nuire?
Le Ngi est une société secrète qui combat la sorcellerie. Ils instrumentalisent les morts dans leur lutte
contre les sorciers (grands masques blancs qui représente le défunt). C’est une société interrégionale
de lutte contre la sorcellerie qui rassemblait des personnes venues de différents villages et de différents
clans. Le masque blanc est activé, il va repérer les sorciers. Ces sorciers ont alors le choix pour éviter
d'être mis à mort, soit le sorcier peut offrir un membre de sa famille en compensation, soit il devient
membre du Ngi. Paradoxalement, le Ngi est donc composé en partie d'anciens sorciers qui ont l'evu et
qui luttent eux-mêmes contre la sorcellerie. Leur initiation consiste à manger un petit animal, forme
métonymique d'ingurgiter les pouvoirs liés à l'evu. Comme il peut contrer la sorcellerie, l'evu devient
indispensable et s'avère être une forme de pouvoir. C'est un instrument dont se servent les puissants Le
chef, le roi a souvent un pouvoir lié à la sorcellerie (chez les Kuba, le roi peut se transformer en
panthère; chez les Mongo, le chef est supposé avoir mis à mort un de ses parents). Le monde de
l'autorité politique est en étroite relation avec le monde de l'invisible.
4.4. Sorcellerie et modernité
La sorcellerie n'est pas une « simple » croyance à laquelle on peut choisir d'adhérer ou non. Elle est un
véritable paradigme d’explication du monde. La sorcellerie est une façon de donner du sens aux
choses et de réguler l’ordre social. Elle est à prendre au sérieux pour comprendre les sociétés
africaines (mais pas uniquement les sociétés africaines !). C’est un scénario de « grand complot »,
comparable à des phénomènes comme le Maccarthysme (USA, années 1950. Il y a la crainte interne
de l’ennemi communiste qui a déclenché la « chasse aux sorcières » consistant à traquer « les
rouges »). Désignation de certains boucs émissaires. Ex : RDC : arrivée de Kabila. Ses troupes ont
progressé, repoussant les troupes de Mobutu. En même temps, il y a des vagues de lynchage de
nombreux sorciers. La sorcellerie n’est pas forcément signe d'un passé lointain.
Evans-Pritchard – 1937 : Witchcrafts, oracles and magic among the Azande. Cet ouvrage donne la
première approche de la sorcellerie comme système cohérent. Insistant sur la dimension intellectuelle
38
de la sorcellerie, Pritchard mentionne que celle-ci répond à certaines questions auxquelles la science
ne peut répondre. Elle entre dans un système cohérent qui implique des données morales. Même si l'on
connaît les causes physiques d'une infortune, comment peut-on expliquer qu'elle touche l'un et pas
l'autre, à tel ou tel moment? Le système explicatif de l'infortune n'est, en soi, pas incompatible avec
une explication scientifique ou technique. La sorcellerie répond au « pourquoi » et pas au
« comment ». Les Azande (Sud-Soudan et Nord-Congo) possèdent deux mots pour parler de la
sorcellerie qui sont traduits par witchcraft et sorcery. L'équivalent de witchcraft signifie la forme
innée, transmise par filiation, capable de développer une force telle que l'evu. C’est souvent une sorte
d’excroissance physique dans la bas-ventre. L'équivalent de sorcery signifie une manipulation des
forces occultes selon des codes appris. On "apprend" à devenir sorcerer (on ne l'est pas par essence
comme le witch). Il y a un besoin de supports matériels, de « fétiches ». C’est une pratique consciente
et volontaire. La magie blanche (3e pôle), elle, combine les moyens pour lutter contre la sorcellerie.
Ses ritualistes agissent publiquement et sont reconnus.
La distinction entre witchcraft et sorcery n'est valable que pour les Azande, on ne peut en faire
une surinterprétation applicable à tous les systèmes.
Evans-Pritchard réfute l'idée de la sorcellerie comme étant un modèle imparfait, archaïque ou
inabouti. Au contraire, il démontre, dans une perspective intellectualiste, l'importance de la
symbolique de la sorcellerie dans un système conceptuel cohérent.
Evant-Pritchard se distingue des autres fonctionnalistes car il s'est davantage intéressé à la
dimension intellectuelle de la sorcellerie. Son approche cherchait à repérer les aspects fonctionnels de
la sorcellerie mais surtout ses effets sur les représentations morales du monde. Le discours de la
sorcellerie fonctionne à travers l’accusation, la désignation et la stigmatisation, stipulant ce qui est
moralement réprouvé. Les comportements marginaux peuvent être imputés à la sorcellerie. La crainte
de ces accusations joue un rôle égalisateur qui remet les individus sur "le droit chemin". La sorcellerie,
en exerçant une pression pour éviter de sortir de la norme, contribue à la cohésion sociale du groupe.
Elle intervient, par ailleurs, dans la gestion des tensions. Lorsque des problèmes surgissent,
l'accusation de sorcellerie crée une scission au sein du groupe, réduisant les tensions à travers le départ
(fondation d’un nouveau village).
La sorcellerie a un volet accumulateur (on devient riche grâce à ses puissances occultes) et un volet
égalisateur (frein à l'accumulation de richesses par d’être accusé de sorcellerie ou par peur d’être
victime de la sorcellerie des envieux).
Contrairement à ce que l'on peut croire, la sorcellerie est un idiome qui convient parfaitement pour
appréhender les transformations sociales. Dans les années 1930, Audrey Richards (A modern
movement of witch-finder, 1935) étudie les mouvements de contre-sorcellerie liée aux transformations
induits par la modernité coloniale. La sorcellerie incorpore les nouvelles icônes de la modernité, les
nouveaux moyens de communication, etc. Comme le souligne P. Geschiere (Sorcellerie et politique
39
en Afrique. La viande des autres, 1995), on aurait pu s'attendre à ce que la sorcellerie, en tant que
mode symbolique jugé "primitif", soit amenée à disparaître. Mais c'est l'inverse qui se passe, la
sorcellerie semble être tout à fait à même d'intégrer les nouveaux icones de la modernité (ex: football,
avion...). De même, les contre-sorciers passent à la modernité: l'usage de la télévision ou du téléphone
devient objet de sorcellerie. Nous sommes donc face à une sorte de reconversion où l'on observe une
alliance entre sorcellerie et modernité: pour découvrir les sorciers, au Congo, on utilisera une charme
associé à la télé-vision (voir au loin, étymologiquement) pour sonder le monde invisible.
John et Jean Comaroff mettent en évidence une sorcellerie hypermoderne en Afrique du Sud
(Occult economies and the violence of abstraction: notes from the South-African postcolony). Leur
point de départ est l'explosion de la sorcellerie en Afrique du Sud après la chute de l'apartheid. Avec
l’arrivée au pouvoir de l’ANC (congrès national africain, parti politique), on s’attendait à ce que cette
chute signifiant la fin des tensions ouvrirait à une baisse du niveau d’accusation de la sorcellerie. Mais
c'est le contraire qui se produit. Dans la seconde moitié des années 1990, les rumeurs sur la sorcellerie
sont extrêmement nombreuses et notamment sur le trafic d'organes, qui se solderont par la mise à mort
de nombreux supposés sorciers. Une même rumeur existe par rapport à l'argent (une forme
d'enchantement permettant la production d'argent). L'Eglise Pentecôtiste se base, entre autre, sur la
théologie de la prospérité "si Dieu vous aime, vous serez riches et prospères". Plus qu'une résurgence
d'un archaïsme dans la société moderne, la sorcellerie laisse apparaître la frustration de certaines
populations suite à l’inclusion dans ce monde globalisé, capitaliste où tout est apparemment à portée
de main et pourtant inaccessible. Nous sommes à la fin de l'Apartheid, une nouvelle bourgeoisie
s'installe et après des années de blocus économique, une nouvelle attente anime les populations
défavorisées: pourquoi mon voisin est-il riche et moi pas? Il y a un sentiment quotidien de prospérité
qui touche les autres mais pas les populations locales. Il y a une énorme frustration car on voit les
richesses sans pouvoir y toucher et on voit les espoirs liés à la sortie de l’apartheid s’effondrer. La
sorcellerie apporta ainsi des réponses à ces inégalités. Mode d’explication de l’infortune, elle permet
de donner un visage (celui d’une personne réelle) à un sentiment d’injustice, d’expliquer le malheur.
Et ce sont principalement les vieux et les vieilles qui sont visés comme boucs émissaires. Les
personnes âgées sont soupçonnées de "zombifier" les jeunes en leur ôtant la capacité de travailler
(écho du fléau social qu'est le chômage). Les vieilles deviennent les boucs émissaires de la frustration,
d'où une véritable chasse aux sorcières. Autour de la réussite sociale, il y a de nombreux clivages qui
créent l'opposition.
Ici aussi, les nouvelles technologies génèrent l'idée de contact avec l'invisible et l'on assiste à un
réenchantement de la technologie qui reprend la fonction des objets rituels traditionnels. Pourquoi un
tel « attachement » de la sorcellerie à ces icônes de la modernité? Parce que c'est autour de ces icônes
que les nouveaux clivages se manifestent.
40
4.5. La royauté sacrée
La royauté sacrée a un sens très large. C’est la sacralisation du pouvoir. Le détenteur du pouvoir est
censé jouer le rôle de médiateur avec le monde invisible, il est le « fétiche vivant » de la nation et il est
entouré de toute une série de rituels. Cette théorie trouve son origine chez James Frazer.
4.5.1. James Frazer et Luc de Heusch
•
Frazer (1854-1941), armchair anthropologist. Selon Frazer, l'Etat provient d'un magicien qui
a réussi. C'est un ritualiste qui a réussi à créer une sorte d'émulation autour de sa personne et
qui met en place une machine rituelle qui peu à peu se transforme en chefferie, en clan, en
royauté, pour enfin aboutir à l'Etat moderne. La royauté sacrée résulte de la transformation
d'un individu en fétiche de la nation, entouré d'une série de prescriptions et de prohibitions. Il
articule la société et le monde invisible.
Dans la royauté divine, le roi est le garant des forces naturelles du pays. Il y a un lien
ontologique entre le corps du souverain et le pays lui-même, il est une sorte de métonymie du
territoire. Il y a un lien métaphorique entre le bien être du roi et le bien être de la nation.
Le roi devient l'équivalent d'un dieu vivant. C’est la « royauté divine » comme le dit Frazer. Ce
télescopage métaphorique entre le corps du roi et le pays explique le cycle de vie du roi. Le
principe du régicide est fondamental dans cette optique du lien entre le roi et le pays. Le
souverain, lorsqu'il dépérit ou est malade, est mis à mort. Quand le corps du roi/le pays dépérit,
il doit mourir pour pouvoir se régénérer
•
Luc de Heusch (1927- , prof à l’ULB) reprend les théories de Frazer et les met au goût du
jour dans une perspective structuraliste, laissant ainsi de côté la perspective évolutionniste et
positiviste de son collègue. Il cherche à cerner la figure rituelle du roi sacré en tant que
configuration symbolique particulière. Fétiche vivant de la nation, le roi exerce un contrôle
vis-à-vis des forces de la nature. Il est un individu intermédiaire entre le monde de la culture et
le monde de la nature. Contrôler les forces de la nature exige la mise en place d'une machine
rituelle. Le questionnement de Luc de Heusch porte notamment sur la relation incestueuse
qu'entretient le roi avec des parents classificatoires (soeur, mère), lors de son intronisation. Cet
inceste peut se faire sous une forme symbolique. A travers l'inceste, le futur roi se coupe de la
société (défini par l’échange de femmes et la prohibition de l’inceste, cf. Lévi-Strauss). Il se
retrouve ainsi projeté à la frontière entre deux monde: culture / nature. L'inceste est donc une
machine rituelle destinée à transformer l'individu. Le pouvoir est ici un fardeau pour celui qui
l’exerce.
41
4.5.2. Le Royaume Luba
Situé dans le nord de la province minière du Katanga (sud-est Congo), le royaume luba avait à
sa tête, à l’époque précoloniale, un roi sacré.
Lien très étroit entre lui et le bien être du pays. Il est, entre autre, frappé d'interdit pour tout ce
qui touche à la mort. Il n'approche pas les convois funéraires, ne peut visiter les cimetières, etc. On
pleure le roi à sa mort: "la porte est tombée", "il n'y a plus de forces en moi". Ces paroles prononcées à
sa mort démontrent parfaitement qu'il entretient un contact avec le monde de l'occulte.
Régicide. Il est mis à mort s'il est victime d'une maladie qui persiste plus de quatre jours ou s'il
s'avère qu'il est impuissant ou encore s'il ne sait plus se déplacer. Il est alors décapité de son vivant
afin que le principe de la royauté puisse être capturé et transmis au successeur. De même, il ne pouvait
être circoncis et ne devait jamais subir d'injections. Ce serait tuer une partie de son être.
Inceste. Lors de son intronisation, le roi est censé censé réaliser un rituel incestueux. Il subit
une réclusion de quatre jours dans "la petite maison du malheur", où il entretient une relation sexuelle
avec une nièce (qui peut être classificatoire). La morale condamne ce genre d'acte en contexte
‘normal’. Il entretient également des rapports ambigus avec ses sœurs et particulièrement avec sa
mère. Cette relation avec la mère est quasi oedipienne. La mère protège le roi, assure sa survie et
détient les charmes pour assurer sa protection (et pas conséquent celle de la nation). Elle est « celle qui
est cachée ». Ensuite, tous les liens de parenté sont rompus. Dès qu'il sort, il est le père de tous. Il n'a
plus ni père ni mère.
Mais d'où vient ce royaume?
Les découvertes archéologiques attestent que dans la région il y avait des formes de centralisation
de pouvoir, vieilles de plus d'un millénaire. La région des lacs a permis la conservation de nécropoles
et de tombeaux qui nous informent sur la pratique de sacrifices humains dans le cadre de rites et où on
a aussi trouvé des regalias, des enclumes rituelles, et autres objets de prestige. Il n'y a que peu ou pas
de sources écrites. Les sources orales nous permettent à tout le moins de remonter jusqu'au 18e siècle.
Luba situés dans une région de croisement de lignes commerciales. Jusqu'en 1870, le royaume est à
son apogée. Mais en 1870, cette région devient le lieu de rencontre des traites esclavagistes atlantique
et de l’océan Indien. Les Belges ont donc envahi un royaume déstabilisé et ont décidé d’y mettre fin en
donnant l'autonomie aux chefferies périphérique, et en coupant le centre du royaume en deux grandes
chefferies.
Le royaume luba n’était pas un Etat nation moderne avec une volonté d'homogénéisation au
niveau linguistique et culturel. Il ne s'agit pas d'un Etat de type bureaucratique. On note cependant un
centre, capitale très peuplée, avec une armée permanente de dignitaires qui dirigent les parties du
royaume. Plusieurs parties sont sous contrôle du roi Luba. Loin de ce pôle rayonnant, les périphéries
dépendent du centre (soumission hiérarchique), mais n'y sont pas intégrées. Les habitants des
42
périphéries se revendiquent néanmoins Luba, cherchant ainsi à adhérer à un nom prestigieux. Au 20ième
siècle, ce royaume n’existe plus (déclin depuis 1890). Pourtant encore aujourd’hui, tous les luba
connaissent leurs traditions orales de leurs origines. En particulier les dignitaires qui les connaissent en
détails.
L'histoire ancienne nous est parvenue sous forme d’une tradition orale, l’épopée d’origine du
royaume. Plus de vingt versions existent et, dans les années 60, Vansina se charge de délimiter le
cadre formel de ces témoignages du passé, en mettant en évidence les éléments légitimes du référent
historique.
→ Nkongolo serait le premier fondateur de l'empire des Luba. Il soumet les villages isolés et installe
une capitale. Plus tard, un chasseur, Ilunga Mbidi, originaire de l'Est du fleuve Lwalaba, arrive et
épouse la sœur de Nkongolo. Après une dispute avec Nkongolo, Mbidi s'en retourne vers l'Est, dans
son pays. Après son départ, naît le fils de Mbidi, Kalala Ilungala (donc fils de la sœur de Nkongolo).
Par jalousie, Nkongolo veut tuer Kalala. Ce dernier traverse le fleuve et part se réfugier dans le pays
de son père. Il revient ensuite avec une armée. Kalala s'empare du royaume, tue Nkongolo et fonde un
second empire Luba.
4.5.3. Le cycle d'Ilunga Mbidi
Vansina débarrasse le récit de tous les éléments merveilleux pour ne garder que le résidu qui semble
historique (éléments présents dans l'ensemble des histoires). Il omet d'insister sur le fait que le
chasseur arrive de façon invisible et que Nkongolo cherche à construire un pont pour relier les deux
rives du fleuve et qu'il n'y arrive pas. Cette interprétation positiviste ne permet pas de décrypter les
éléments d'un système religieux On voit notamment une pensée symbolique à l’œuvre dans la
récurrence des passages du fleuve, d’E en O ou vice-versa, par les différents protagonistes.
Tout semble se dérouler autour du fleuve Congo. Seuls Ilunga Mbidi et son fils arrive à le traverser. Il
y a une focalisation sur le fleuve alors que ce n'est ni frontière politique ni culturelle ni linguistique.
Les populations ne sont pas différentes de part et d'autre du fleuve, il n'y a pas de discontinuité à ce
niveau. Il s'agirait d'une frontière symbolique, religieuse. Mais le nom que l'on donne à la région de
l'Est du fleuve est symptomatique: il s'agit de la région Bupemba ou Upemba; un nom qui peut être
associé à mpemba, c'est-à-dire, en kiluba, « la terre blanche » qui renvoie au monde des esprit, c'est
une sorte de craie utilisée pour entretenir de bons rapports avec les esprits lors du culte mensuel aux
ancêtre familiaux, ou lors de la transe médiumnique. Le passage du fleuve symbolise le lien entre les
deux mondes et pour les Luba, l'Est est le lieu d'origine des esprits de la possession (origine située
dans le lac Upemba ou dans la caverne Kihawa, qui sont d’ailleurs aussi les lieux d’origine présumés
de Mbidi !).
43
Autre signe du lien de Mbidi avec le monde invisible : il apparaît sous la forme d'un reflet: il
faut un rituel pour le faire apparaître aux hommes (origines occultes). De plus, dans le récit (cf
photocopie), Mbidi est censé être le géniteur de tous les personnages. Ce caractère exceptionnel fait
figure de père de la nation (cf. la paternité des esprits censés parrainer la grossesse chez les Luba). Il
s'agit d'une parenté spirituelle: le personnage n'est jamais marié et le père n'apparaît jamais, il n'est
jamais présent. Cet esprit répand ses bienfaits génésiques sur l'ensemble de la société.
On constate également l'importance de la nature des nouveautés. Les prescriptions rituelles en
ce qui concerne la cuisine sont une technique centrale pour établir un lien avec l'au-delà. Le repas
rituel apparaît chez les Luba comme une communion avec les ancêtres. La commensalité avec les
esprits est possible par le biais de rituels culinaires. Rappelons que le roi ne mange pas en public.
Ilunga apporte donc la technique rituelle dans le royaume de Nkongolo. Ce dernier n'est qu'un être
grivois et grossier et incarne une forme grossière du pouvoir. Le chasseur venant de l'Est introduit la
forme spirituelle du pouvoir.
Ce type de récit est présent dans beaucoup de populations, pour qui l’origine du pouvoir
est à chercher du côté du monde des esprits. Ainsi chez les Ntomba, le héros fondateur est le Mongu
Mpembe. Cet homme à queue tombé du ciel (le monde est représenté comme un monde plat surmonté
d'une voûte percée de trous, par laquelle filtre la pluie et par où passe parfois un habitant du ciel) se
manifeste par des caractéristiques miraculeuses. Il laisse l'empreinte de ses pieds dans la pierre, il fait
s’élever des termitières géantes, il produit du feu comme par enchantement, etc. Les Ntomba le
ramène au village. Il fonde le Nkumu, le système de chefferie sacrée, apporte l'art de la forge, de la
poterie. De plus il est médium et devin. Il apporte également la prospérité. Il incarne, en somme, le
fondateur universel. Ensuite, il disparaît (il serait rentré en Europe, sorte de monde des esprits pour les
Ntomba au début de la période coloniale).
Le récit ntomba est donc associé à la naissance du système politique. Mais nous le retrouvons
hors de ce cadre chez les Luba du Katanga. Un homme à queue tombe du ciel après la pluie. Il coupe
sa queue et a donc l'apparence d'un humain. Une femme (qui refusait de se marier, au désespoir de ses
parents) tombe amoureuse de lui, les noces ont lieu dans l'abondance de valeurs marchandes. Après
avoir eu des enfants, il s'en va, sous la pluie, remet sa queue et s'en retourne vers le ciel. Ici, il n'y a pas
la création d'institutions politiques. Le schéma général de l'histoire porte donc sur une forme différente
du pouvoir: la vie quotidienne et la prospérité familiale (contrairement au pouvoir politique fondé chez
les Ntomba). Même thème, mais récits différents.
44
4.5.4. Le cycle de Kalala Ilunga
On constate dans le personnage de Kalala Ilunga (guerrier), une symétrie par rapport au père, Ilunga
Mbidi (chasseur). Chemin symétrique (pour le déplacement spatial): il naît dans le royaume et,
poursuivi par son oncle, il s'enfuit vers l'Est. Là, il trouve de nouvelles ressources et revient, entouré
d'une grande armée. Le fleuve apparaît ici comme l'épreuve probatoire. Alors que Kalala ne rencontre
aucune difficulté pour passer le fleuve, son oncle, lui, reste coincé et ira même jusqu'à tenter de jeter
un pont entre les deux rives. L'hypothèse est que l’épreuve du passage du fleuve sépare ceux qui ont
les capacités pour devenir roi sacré de ceux qui ne les ont pas.
Récit en contrepoint. A la fin du récit, on observe également un dédoublement des destins contrastés
des héros. La fuite vers le fleuve se fait avec l'appui de deux personnages secondaires: le tambourineur
et le médium (ils ont permis la fuite de Kalala). Lorsque Nkongolo s'aperçoit de la fuite de son neveu,
il s'attaque à ses alliés et les fait prisonniers. Tous deux sont envoyés au sommet d'un arbre géant, un
fromager, où ils resteront prisonniers. Là ils se servent de leur instrument respectif. Le tambourineur
ne parvient à rien et meurt, mais le médium réussit, grâce à ses cloches, à faire venir les esprits. Ces
derniers prennent possession de son corps et parlent par le truchement de sa bouche. Le médium
réussit donc à se faire prendre par les esprits qui le rendent capable de faire un grand bond (spirituel)
vers la rive orientale du fleuve. Ainsi, Kalala et le médium connaissent le succès de leurs entreprises,
tandis que Nkongolo et le tambourineur connaissent l'échec. Le moyen de communication qu'est le
tambour double la trivialité du personnage de Nkongolo, tandis que le médium (communicateur aussi,
mais avec l’invisible !) parvient à créer des liens, comme Kalala. Les deux paires de héros
(Kalala/Nkongolo et Médium/tambourineur) sont donc en situation d’homologie. Nkongolo est l'image
de la déficience: il est un individu aveugle qui ne voit pas le reflet de Ilunga Mbidi dans la mare.
Grossier, il ne respecte pas le rituel de la cuisine rituelle. Le véritable héros est en fait invisible
(monde de l'occulte).
Dans certaines versions, Nkongolo veut créer une tour qui rejoint le ciel (cf. Tour de Babel).
Cette tentative de rejoindre le monde des esprits (le créateur) sera vouée à l'échec. Il reproduit, en
quelque sorte, sur le plan vertical, ce qu'il voulait tenter sur le plan horizontal (passage du fleuve avec
un pont chimérique que les flots balaient). L'histoire démontre qu'un bon souverain est celui capable
d’assurer l’interface entre le monde des hommes et celui des esprits (cf. la métaphore de la porte). Ce
mythe de la fondation et ce mythe du passage se retrouvent dans les rituels de l'intronisation: il faut
réussir des prouesses extraordinaires liées à l’idée de passage, d’entre-deux. Le candidat souverain est
amené dans un endroit où se trouvent les esprits. Il est, par exemple, enduit d’une poudre blanche et
doit plonger dans l’eau et en ressortir avec la poudre blanche ; ou encore plonger et devoir ramener un
tilapia albinos en quelques minutes (symbole blanc; couleur des esprits) ; s’accrocher au « crochet du
ciel » et donc de tenir dans l’air, entre ciel et terre.
45
4.6. La formation des Etats précoloniaux
Les aspects sacrés du pouvoir ne sont pas spécifiques à l’Afrique Centrale (le roi du Maroc est
le commandeur des croyants, la reine Elisabeth II qui règne Deo Gratias, par la grâce de Dieu… Audelà des régimes monarchiques : idem pour républiques (culte de la personnalité de Staline, rallyes du
régime nazi, gestes qui lient chefs d’Etat modernes au monde des morts (Mitterrand sur la tombe de
Jaurès pour son entrée en fonction)).
Mais quels sont les mécanismes qui font que l’état apparaisse dans certains contextes et pas
dans d’autres ? Rappelons tout d’abord que l'Etat est une des modalités pour la régulation d'un
ensemble humain, il est donc possible de se passer d'Etat, le pouvoir ne s'exerce pas uniquement par
l'intermédiaire de l'Etat:
•
Le contrôle politique peut se faire au sein du lignage (unilinéarité hiérarchisée). Lorsqu'un
problème surgit, on s'en réfère au niveau lignager supérieur commun dans la ramification
entre lignages.
•
Le contrôle politique peut être fait par l'entrepreneur social, le Big Man (ex: le Nkukuma)
qui réussit à rassembler des subordonnés et à se faire reconnaître comme leader. Le Big Man
oriente les grandes décisions. Il doit impérativement posséder l'art oratoire, capacité capitale
en Afrique.
•
Les
sociétés
secrètes
initiatiques.
Ces
structures
transversales
(transethniques;
transnationales) peuvent doubler l’existence d’autres structures (étatiques, lignagères…). Cf
le Ngi des Bëti.
Les sociétés englobantes / sociétés englobées. Cf. chapitre sur l’ethnicité (Amselle) : importance de ne
pas tomber dans une typologie simplificatrice mais de bien comprendre que ces formes politiques
doivent se comprendre dans leurs relations mutuelles. Il faut se mettre dans une optique
interrégionale.
Modèles théoriques de l’apparition de l’Etat
8
Modèle évolutionniste: la centralisation du pouvoir entre les mains de quelques personnes est
un processus qui se met en place en fonction d'éléments et de paramètres géographiques,
économiques ou autres. Certaines régions se trouvent au carrefour des grandes voies
commerciales et sont à même de générer une concentration progressive du pouvoir. Ce
pouvoir s'étend et la structure devient de plus en plus complexe, pour aboutir à l'Etat.
8
Théorie d'Igor Kopytoff: il donne la priorité non pas aux zones centrales, mais aux régions
frontalières, lointaines, en périphérie. Le centre envoie des populations qui émigrent,
s'autonomisent, forment finalement des structures politiques qui peuvent parfois prendre le pas
sur les Etat d’où sont originaires les migrants. Les frontières ont une capacité d'accueil.
Cette théorie qui insiste sur les processus de genèse de l’Etat par des étrangers rencontre l'idée du
fondateur venu d’ailleurs, très fréquente dans les traditions orales africaines sur le genèse des Etats
46
précoloniaux (cf. Mbidi). Cette base idéologique permet et légitime la création par l'étranger. Par
exemple, les Yéké, établis dans le sud du Katanga, sont arrivés de l'Est (nord de la Tanzanie). Ils
sont venus pour le commerce de l'ivoire (Zanzibar), du cuivre... . Yéké signifie, par ailleurs,
chasseurs d'éléphants. Ils se déplacent vers le sud du Katanga (années 1850) et certains vont s'y
installer durablement. Ils s'installent à la frontière extérieure de plusieurs grands royaumes (Luba,
Lunda, Kazembe du Luapula), hors du contrôle direct de ceux-ci.
Comment s'est fondé l'Etat Yéké? Les Yéké, peu nombreux, vont intervenir dans conflits locaux (alliés
+ prisonniers qu’ils incluent dans leurs lignages) ; ils protègent les populations contre les razzias des
royaumes voisins. Nous assistons aussi à un processus de yékéisation c'est-à-dire que les vaincus et les
nouveaux arrivants sont naturalisés Yéké ce qui permet aussi de glonfler la population Yéké et de
prendre une importance démographique.
L’expansion politico-militaire se met en place vers 1870-1890. Il faut tout d'abord s'attaquer aux
frontières extérieures des royaumes avant de pénétrer dans les terres. En 1890, à l'arrivée des Belges,
le dernier verrou est le Katanga. A cette époque, c'est un Etat dynastique prémoderne qui est mis en
place: le contrôle de la région centrale est exercé par des Yékés: ils ont le contrôle politique mais
n’interviennent pas dans les affaires rituelles. Ils se font reconnaître d'un point de vue symbolique
comme « héros fondateurs » venus de l’extérieur, mais ne s’impliquent pas dans les rituels liés au
territoire, laissés aux autochtones. Les Yéké s'accaparent les structures politiques, mais pas le sol, la
pêche, la terre ou l'agriculture. Ce schéma fait référence au système symbolique qui prévoit la place
pour l'autochtone et l'étranger.
2e couronne : chefferies soumises par les Yéké. Ces populations doivent répondre à plusieurs
obligations:
8
d'envoyer des otages à la Cour (la sœur du chef, en général). Elle se marie à un Yéké,
l'enfant deviendra le chef politique de la chefferie de la mère. L'enfant sera donc
renvoyé chez les autochtones en tant que chef de la chefferie. Les Yeke sont
patrilinéaires mais la population où ils s’implantent est matrilinéaire. C’est donc le
neveu du chef qui devient chef, le neveu du chef est le fils du Yeke et de sa femme qui
est la sœur du chef. En échange, les Yeke assurent une stabilité politique.
8
Le tribut : ce sont des biens qu’on envoie à la capital. Afflux de biens vers la capitale
que le souverain Yeke pouvait redistribuer.
8
Les symboles du pouvoir sont envoyés aux chefferies. C’était une sorte de coquillage
venu de l’océan Indien. C’était le symbole de légitimation du système Yeke.
Les frontières sont une zone de créativité politique. La mobilité des groupes permet la création de
nouveaux centres rompant avec les anciens.
Mais pourquoi s’établir aux frontières de son Etat, dans des régions lointaines ? Qu'est-ce qui justifie
cette mobilité? Kopytoff développe plusieurs facteurs de migration :
47
•
Les sociétés sont fortement hiérarchisées et dominées par l'autorité du père. Cette
gérontocratie ne permet pas aux plus jeunes d'accéder rapidement aux échelons supérieurs de
la hiérarchie (politique, religieux, militaire, etc.). Frustrés, les jeunes quittent le pays pour
échapper à l'autorité du père, pour faire du commerce, etc.
•
La crainte d'être accusé de sorcellerie est un mobile pour s'enfuir (sauver sa peau!)
•
Les règles de succession sont extrêmement complexes: lorsqu'un chef décède, il y a une
multitude d'héritiers potentiels. Ce pluralisme normatif fait que beaucoup de systèmes entrent
en concurrence pour faire valoir les droits. Le choix de l'héritier entraîne l'obligation pour les
autres de fuir. Chez les Luba, par exemple, il faut une guerre de succession. Il faut tuer un
demi-frère. Si l'on n'est pas héritier, mieux vaut fuir afin de ne pas être exterminé. C'est
l'émigration du candidat malheureux et de sa famille.
•
Les guerres entre groupes: ex: les Zulu, au 19e siècle mènent des guerre de conquête quyi
entraînent déplacements en domino jusqu'en Tanzanie, poussant ainsi les population à la fuite.
•
La traite et l'esclavage domestique (dû à une faute, une dette. Un individu est placé dans une
famille pour réparer une faute. L'esclave domestique peut ensuite parfois retrouver sa liberté).
Génère fuite des esclaves.
Ces individus en rupture avec le groupe duquel ils se sont enfuis, vont souvent s'intégrer dans d'autres
groupes de la périphérie. Mais certains parviennent à créer Etats. Deux facteurs favorables : faible
densité démographique (pas de problème fonciers pour héberger immigrants ; mais il ne faut pas
s’installer non plus dans une région inoccupée sinon impossibilité de recruter dans la nouvelle
structure politique) ; instruments de contrôle par les Etats sont très limités (les populations expulsées
ont beaucoup de chance de ne jamais être récupérées).
A ces deux atouts doit s’ajouter un certain génie diplomatique et social (cf. Yéké qui ont réussi à
intégrer les populations locales à l'intérieur de leurs lignages, par système de cooptation).
4.7. L'évolution historique des chefferies
4.7.1. Sous le régime colonial
Le régime colonial est à l’origine de la perte du pouvoir d’influence des anciennes institutions. Durant
la colonisation, on distingue deux types de gouvernance: la direct rule et l'indirect rule (cf. supra). Par
l'indirect rule, les colonisateurs reconnaissent des chefs traditionnels et certaines de leurs prérogatives.
Toutefois, les grands rituels doivent se conformer aux règles coloniales. Les chefs inféodés au pouvoir
central perdent peu à peu de leur importance. Ils entrent peu à peu dans les rouages de l'administration
et leur primauté est bafouée. L'ancien royaume fonctionnait sur le système du tribut apporté au roi,
marquant ainsi la sujétion au souverain. L'époque coloniale marque la fin de l'esclavage domestique et
48
de la polygamie du souverain. Or, le roi luba, par exemple, avait généralement une épouse par région
(ambassadrice). Cette économie du royaume basée la polygynie déclinera avec le système colonial. Le
roi perd donc peu à peu sa légitimité. L'administration coloniale impose ceux qui sont favorables à la
colonie, ce qui génère parfois des conflits dans les zones rurales.
Les Britanniques avaient mis en place une "House of Chiefs", un organe consultatif regroupant
les chefs ou une partie d'entre eux.
Les autorités coloniales modifient fréquemment l'agencement du système administratif,
passant tour à tour de l'indirect rule à la direct rule. Peu à peu, les frontières sont déplacées en
fonctions de nouvelles données économiques. On assiste à des découpages et des redécoupages des
chefferies traditionnelles, ou à regroupement forcé de chefferies.
4.7.2. Après les indépendances
Après l'indépendance, la situation est encore pire pour les autorités traditionnelles. En effet, les
leaders de l'indépendance sont de jeunes gens cultivés ayant bénéficié d'une éducation universitaire et
qui se présentent comme « modernes » et progressistes. Cette idéologie foncièrement moderniste se
retrouve dans l'iconographie (cf billets de banque, armoiries…). Il y a une vive critique de la tradition,
considérée comme un archaïsme. Les élites de l'indépendance prennent la voie de la modernité: ils ont
obtenu l'indépendance, alors que les chefs, eux, ont collaboré avec les coloniaux. Un système hostile
aux anciens chefs se met en place, les chefferies sont démembrées, des lois mettent un terme à
l’institution de la chefferie traditionnelle (cf. le Burkina Faso, le Mali, la Guinée, l'Ouganda). Les
leaders légitiment leur choix idéologique de suppression de la chefferie en référence à la Révolution
française ou chinoise de Mao etc. Si les chefferies n'ont pas partout disparu, elles ont de toute manière
subi une forte érosion, et ce dû au fait que les nouveaux systèmes politiques sont basés sur le
monopartisme, avec un organe de contrôle très serré pour voir si les chefs sont bien inféodés à la ligne
du parti.
Toutefois, certains systèmes monarchiques ont subsisté jusqu'à nos jours. C'est le cas du
Lesotho et du Swaziland, seuls Etats monarchiques africains au sud du Sahara. De plus, les anciennes
colonies britanniques vont reprendre le système de la House of Chiefs. Certains chefs traditionnels
vont être confrontés à des chefs d'Etat qui cherchent également à contrôler la tradition. Mobutu
souhaite reprendre à son actif la légitimité des chefs traditionnels à travers la politique de
l’ « authenticité » (il affiche des signes traditionnels comme la toque en léopard, la canne, etc.). En
Ouganda, dans les années 1970, Didi Amin Dada fera en sorte q'un bon accueil soit réservé à la
dépouille du roi de Ganda, dont il avait fait l'assaut du palais une dizaine d'années auparavant.
49
4.7.3. Le retour des rois ?
Avant la chute du mur de Berlin en 1989, les régimes politiques étaient soutenus par les pays
occidentaux, beaucoup plus rarement par le bloc de l’Est. Après la chute du mur, les références de la
morale politique changent, rappel à l’ordre des Etats (pourtant auparavant soutenus aveuglément par
Occidentaux) : on critique la gouvernance, la corruption, le népotisme, le monopartisme, etc. Crise.
Mauvaise redistribution des richesses (clientélisme). Essoufflement de ces régimes amenés à prendre
des mesures (Ajustement structure du FMI…). On a des guerres civiles au Congo-Brazzaville, RDC,
Libéria, Sierra Leone. On assiste à des manifestations de la population, l’Etat perd sa légitimité. C’est
sur ce terreau que se développera le « retour de la chefferie ».
Ex: L'Ouganda, sous le protectorat, était un pays très riche en monarchies. Parmi les grands royaumes,
le plus important était le Royaume Ganda, qui exerça son impérialisme en participant avec les
Britanniques à la colonisation d'autres royaumes. Le Royaume de Ganda était donc devenu privilégié.
Le pays accède à l'indépendance en 1962. La monarchie ganda est abolie en 1965. Guerre civile
interminable. En 1993, il y a la restauration de la monarchie avec Museveni. Fin diplomate., il pense
que les royaumes sont des points d’attache identitaire importants pour reconstruire le pays après les
guerres civiles, dans une perspective de réconciliation nationale. Toutefois, il restaure la monarchie
uniquement au niveau culturel. Les rois ne retrouvent pas vraiment leur autorité politique mais
deviennent des figures emblématiques qui permette l'ancrage identitaire du pays.
Le retour "symbolique" des rois s'explique par les raisons suivantes:
•
Parfois, durant les guerres civiles, il n'y a plus vraiment d'autorité politique, il ne reste
plus que les chefs traditionnels sur place
•
La royauté/chefferie est une valeur « sûre » après tant des siècles : parfois plus de
légitimité que l’Etat, surtout si elle s'est opposée à la colonisation. La royauté
s'enracine dans le passé.
•
L'existence des chefferies répond aux attentes de décentralisation de la coopération
internationale.
•
Les chefs ne sont plus les analphabètes d'antan. Ils sont cultivés, ont fréquenté les
universités. Ils connaissent les nouvelles économies. Les chefs se fédèrent (niv.
National et international), jouent la carte de médiateurs, au-dessus de la mêlée, ils ont
un rôle de "vieux sage".
•
La réhabilitation des chefs se fait dans un rapport avec l'Etat nation. Les élites
modernes doivent vivre en symbiose avec les représentants importants de certaines
régions. Il y a une forme de cooptation mutuelle entre les chefs traditionnels et les
nouvelles élites qui doivent soutenir la tradition. Les élites cherchent à obtenir des
50
titres dans les chefferies, car ces titres sont alors reconnus. Il n'y a donc pas
d'opposition à l'Etat nation, mais une symbiose avec l'élite.
4.7.4. La chefferie et ses élites : cas du jubilée du chef Puta
Les liens entre la ville et la campagne sont ambivalents et très denses. Il y a de plus en plus
d’interdépendance entre les deux. Au point de vue de la représentation, il y a une bipolarisation. Les
villes sont des lieux où les forces vives de la campagne doivent aboutir pour obtenir les ressources des
Etats (bourses, titres politiques…). La campagne est une assise stable dont les citoyens ont besoin en
cas de problèmes. En cas de danger, on y envoie la femme et les enfants. Les liens entre ville et
campagne sont de plus en plus forts pour des raisons pratiques mais aussi pour des raisons politiques.
Les élites politiques sont plus favorables aux habitants des campagnes parce que la légitimité d’un
homme politique vient en partie du monde rural, d’une région.
Le pays Bwile:
C’est une population répartie entre le Congo et la Zambie. En Zambie, ils sont divisés en 8 chefferies.
L’ancien centre du pays est la chefferie Mpweto (Congo). Le pays Bwile est situé le long d’un lac,
c’est une région rurale basée sur l’agriculture, la pèche et la récolte de sel. Culte des esprits développé.
Puta est le seul des 8 chefs à avoir le titre de senior chief, lui conféré par l’administration coloniale
britannique, ce qui lui vaut avantages : un salaire, il a le droit de rendre la justice pour des affaires
autres que les affaires de sang, pour des affaires de sorcellerie ou autres… .
Tradition orale d’origine selon Puta : les Bwile seraient originaires des Luba. Ils ont quitté la région
pour cause de guerre et ils sont allés vers le lac. Là, il y a une bipartition de l’autorité politique entre le
chef Mpweto du côté du Congo et le chef Puta du côté Zambie. Il justifie la possession du territoire par
les Bwile de façon suivante : la sœur d’un chef devenue épouse un chef local, mais la femme meurt car
on n’a pas respecté les traditions alimentaires. Le chef local est alors redevable d’une dette pour
laquelle il donne des terres aux Bwile. C’est une histoire bizarre mais elle est utilisée pour justifier leur
possession des terres. La tradition orale montre que les Bwile sont un peuple courageux qui a fait
preuve d’une résistance héroïque et qui ont des droits sur le sol.
Cette histoire est un peu du « sur mesure ». Le choix de Puta comme seigneur chief était un choix
britannique, que la tradition tel qu’il la raconte tente de légitimer. Les chefs se réfèrent à l’ancestralité
pour leur légitimité, notamment à travers regalia. Le symbole de la royauté est la base d’un coquillage
avec une spirale en son milieu. C’est un objet qui venait de l’océan Indien. Le coquillage passe de la
bouche du chef mort à la bouche de son successeur, instituant continuité entre les chefs successifs.
Les autres chefs contestent le rang de Puta. Ils ont tous leur objet pour représenter leur
légitimité pour être le chef principal.
51
Puta a repris l’institution britannique du Jubilée. L’épouse de Puta a fait de lui un chrétien. Il fête ses
56 ans de règne. Cérémonie en petit comité avec une lecture de Salomon auquel on compare Puta
(bâtisseurs). Transport en chaise à porteur vers le site de son intronisation, il y a 56 ans ; discours de
Puta, qui fait référence à ses ancêtres et qui appelle leur bénédiction ; départ vers le stade de foot où
des discours sont organisés pour Puta ; le député local rapporte la tradition orale locale, enjoignant les
Bwile à être fiers de leur histoire ; performances chorégraphiques et/ou sportives.
Le rituel ne marche pas vraiment : dans ce cas, c’est un demi-succès car
8
Il y a des plaintes des invités, la cérémonie n’est pas très bien organisée, certaines personnes
sont mal reçues. On pense que la nouvelle épouse du chef a trop d’influence.
8
En plus de cela, le parlementaire avait fixé certains objectifs. Mais les résultats ne sont qu’à
30% des attentes espérées. Les 50 ans de règne avaient été un succès et avaient réussi à
réunir d’autres chefs venus de loin. Cette fois-ci la plupart des chefs des autres chefferies de
Zambie ont boycotté le jubilée. Un rituel est un exercice périlleux et il faut étudier ses
performances.
Le but de ce rituel est de récréer une centralité dans une région périphérique. Aller en pays Bwile,
c’est une relégation pour les fonctionnaires. C’est vécu comme une sorte de cul de sac, de région
rebelle, non pliée aux injonctions de l’administration. Le terme Bwile est vu comme un terme quasi
insultant : c’est vu comme un paysan de la brousse. Ce rituel devait réaffirmer les Bwile comme un
centre important et remarquable de la nation zambienne. Le discours du parlementaire à la fin de la
cérémonie est plutôt positif vis-à-vis des Bwile. Il dit vouloir retranscrire les traditions orales dans les
manuels scolaires. Discours ethniciste. « be proud to be Bwile : it is your tribe ! ». Remise à l’honneur
des Bwile au sein de la nation zambienne. Il satisfait l’espace national et plus régional. C’est une
tentative de recréer une centralité.
Mais comment fonctionne maintenant le rituel ?
Ce rituel a produit ces effets avec un télescopage entre le grand monde et les paysans Bwile. Ce sont
des liens entre les valeurs locales et nationales. Tous le monde intervient : vieux, jeunes, hommes,
femmes… . On donne une image globale de cette société. On joue sur les deux registres religieux :
chrétien et culte des esprits. On les alterne. Les pouvoirs anciens existent. Il y a un appel auprès des
esprits. Un autre télescopage est une alternance entre culture traditionnelle et moderne. On expose des
emblèmes du pouvoir, coquillage, vêtement traditionnel, danseur de tambour… . C’est l’incarnation de
la tradition. Mais aussi symboles de la modernité (danses type militaire, présence d’un député,
anthropologue européen et sa femme…)
Ce rituel est une tentative à moitié réussie pour essayer de rendre une certaine centralité à l’entité
bwile.
52
Chapitre V. Anthropologie d'une ville africaine: Lubumbashi
En République Démocratique du Congo, le rôle de l'Etat est en déclin et l'on observe
l'importance croissante du secteur informel. Privatisation informelle : ce ne sont pas des transferts du
public vers le privé comme chez nous, mais c’est une « privatisation de l’intérieur » : monnayage des
services. Cette privatisation de l'intérieur par les employés de la fonction publique résulte du manque
de participation de l'Etat dans le versement des salaires des fonctionnaires et la disparition progressive
du bien public. Cette situation se traduit par l'utilisation par les employés des ressources internes afin
de se procurer les ressources nécessaires à leur subsistance. La quasi-totalité des services, gratuits
auparavant, sont aujourd'hui monnayés. La prestation informelle de services public est à ce point
rentable qu'elle envahit peu à peu l'essentiel de toutes les fonctions publique congolaise (un permis de
conduire s'achète, peu importe que l'on sache conduire ou non). N'attendant plus rien d'un Etat en
perdition, les citoyens se dirigent vers des activités rentables, axées sur une inventivité permanente et
ce, afin de pouvoir nouer les deux bouts. Dès lors se pose la question des nouveaux repères moraux
face à la difficulté de survivre dans un Etat réputé dangereux. Le Congolais pauvre ou désargenté voit
la mise en place de son instinct de survie, une survie associée, dans les discours emic, au miracle.
N.B. Quand on parle du Congo, il y a une sur-utilisation du terme de « crise ». Or, stabilisation, dans
un contexte de précarité et de violence. Mais il y a de l’ « ordre » derrière cela.
N.B. Comprendre ce nouvel « ordre » ne doit pas valoriser de façon stupide l’inventivité dans ce
contexte : l’économie informelle est née non d’un « génie », mais de la nécessité de se débrouiller. Le
déclin sanitaire du Congo est effarant : retour de certaines maladies, etc. Bref, tout le monde ne
parvient pas à suivre.
Lubumbashi
Située dans l'extrême Sud-est du pays, la ville voit le jour ex nihilo en 1910 sous le nom
d’Elisabethville. Erigée par les colons belges, elle sert de relais et de centre économique en relation
avec l'extraction du cuivre. Il s'agit d'une zone minière limitrophe de la Zambie (ex Rhodésie
britannique). Cette ville naît donc de la de deux facteurs : 1°/ on a une région riche économiquement
au point de vue des minerais, notamment du cuivre et aussi avec l’arrivée du chemin de fer venant
d’Afrique du Sud; 2°/ on a un besoin d’une ville frontière avec la Rhodésie britannique. Il y a
beaucoup de pressions au Katanga. Il faut un poste avancé militaire affirmant la puissance belge.
Lubumbashi est construite sur le modèle d'"apartheid colonial". Elle comprend deux espaces distincts:
la ville blanche (lieu des Blancs et des domestiques à leur service) et la cité (monde des indigènes,
destinée aux travailleurs de l'industrie et du chemin de fer. Cités construites pour stabiliser les
populations et d'éviter le retour des autochtones au pays). A peu de chose près, le plan actuel de la
ville est celui laissé par les Belges, mais de très nombreux quartiers d’autoconstruction sont apparus.
53
Le Katanga est le véritable poumon économique du pays et cette région voit l'implantation
d'une entreprise industrielle particulière: l’Union Minière (Gécamines, + tard). Devenue prospère sous
le régime économique minier, la ville sera le théâtre de mouvements de sécession lors de
l'indépendance. En 1960, les Katangais, soutenus par les Belges, voulurent faire sécession, conscients
qu'ils possédaient les ressources nécessaires pour faire face à la déliquescence du reste du pays. Un
Etat katangais se met momentanément en place jusqu'en janvier 1963. Nécessitera l'intervention de
l'ONU, en vue de reconquérir la région sécessionniste. Commence alors la stigmatisation des
Katangais, considérés comme des sécessionnistes. Des mesures préjudiciables à l'encontre du Katanga
se maintiendront jusque dans les années 1980.
Après le coup d'Etat, en 1965, Mobutu instaure un régime politique fort, que l'on pourrait considérer
comme le modèle même d'une politique postcoloniale. Dominé par la violence politique, ce système
clientéliste fonctionne sur un réseau de solidarité et de secours mutuel qui se traduit par l'octroi
d'allocations salariales aux "fidèles alliés du régime", qui soutiennent le Mouvement Populaire de la
Révolution (MPR). De plus, Mobutu est un fidèle allié des Etats-Unis et de l'Occident qui avaient, en
effet, besoin de soutien dans leur lutte contre l'Angola, pays qui a basculé dans le bloc de l'Est. De
même, le Congo cherche à se "qualifier" deuxième pays d'Afrique, juste après l'Afrique du Sud.
Toutefois, l'Etat connaît très vite la banqueroute en raison d'une économie qui ne fonctionne que sur le
court terme. Il n'y a pas d'entretien des structures implantées dans le pays. L'exemple de l'effondrement
de la mine de Kamoto, en 1990, illustre bien cette situation économique dramatique. Les fonds
existent, mais ils passent dans la poche de Mobutu! Les maigres tentatives d'ouverture politique se
solderont par la violence et les évènements de Lubumbashi (prétendu massacre des étudiants, non
attesté quant à son échelle annoncée). Mobutu, de plus en plus déstabilisé, va jouer la carte ethnique.
Les boucs émissaires seront, en l'occurrence, les Luba du Kasaï. Ils sont, en effet, fortement liés à
l'urbanisation du Congo, et occupent des postes clé dans l'industrie minière et ferroviaire. Les faveurs
accordées aux Kasaï susciteront le ressentiment chez les Katangais. Ces derniers repoussent les Kasaï.
Apparaît alors la figure du libérateur en la personne de Kabila père (1996-1997) qui s'illustre dans une
guerre éclair contre Mobutu. Le président quitte le Congo pour se réfugier au Maroc (1997). Le
nouveau régime de Kabila se met en place, mais pas pour longtemps. Ses alliés, les Ougandais et les
Rwandais se plaignent du peu de compensations obtenues en échange du soutien qu'ils lui ont apporté.
Nouvelle guerre d'agression, qui divise, cette fois, le pays en deux.
Mutations économiques
Cette situation entraîne le basculement complet du système de références économiques. Pour
les Lushois, l'élément principal est l'Union minière Gecamines. Celle-ci a mis sur pied un système
social extrêmement développé. Union Minière, ndjo baba, ndjo mama: l’Union Minière, c’est ton
père, c’est ta mère. Les travailleurs naissent et meurent à la Gécamines, on y trouve des écoles, les
salaires sont distribués en partie sous forme d'aliments, on s'y marie, on y meurt, bref elle ne peut
54
mieux faire pour prendre les gens en charge! Une véritable cristallisation de l'imaginaire paternaliste
caractérisait l'ancien régime économique. Actuellement, seul 42% des ménages basent leurs ressources
sur des activités officielles, alors qu'en 1970, on en comptait près de 84%. Dans les années 90
également, le cumul des sources de revenus est devenu monnaie courante, les femmes et les enfants
travaillent. En effet, on observe l'explosion de toute une série de nouvelles activités et de petits métiers
dont les principaux sont: les khadafi (vendeur d'essence à la sauvette), les dare-dare (revendeurs de
ceintures, GSM, etc.), les cambistes (petits changeurs en dehors des structures officielles), les
businesseurs (vendeurs de rues), les batumacer1 (revente à la hausse des petits objets d'artisanats) et
les mustronger2 (qui voyagent et vendent sur les toits des trains).
Un secteur informel ne signifie pas forcément un secteur chaotique. Les petits marchands
s'inscrivent dans un réseaux parallèle à l'Etat et dont la répartition des espaces est savamment
organisée, voire hiérarchisée. La mise en place symbolique de ce nouvel univers économique s'ancre
dans un monde multiculturel et multilinguistique. Les langues parlées au Congo sont le swahili ( pour
quasi l'ensemble de la population), le français (dans les milieux culturels, scolaires et élitistes), et les
langues vernaculaires que l'on considère à tort comme des dialectes, et qui sont les langues maternelles
des Lushois. Dans ce cadre, le vocabulaire s'avère être un très bon indice pour comprendre le nouvel
univers symbolique qui se déploie autour de l'économie informelle. On distingue cinq grandes
catégories en matière d'expression:
1. Le courage, la volonté, l'énergie
•
ku-choquer3: désigne la personne qui ignore de quoi sera composé son repas du jour, et qui
courageusement cherche un job lui permettant de se nourrir. Terme lié à un aspect très
physique.
•
kupika sando: signifie "frapper à l'aide d'un marteau".
•
kasa-kasa: celui qui se démène. Il y a réduction de la temporalité, on travaille à la journée.
Cf. aussi les usages contemporains du mot ‘capital’, qui peut désigner une somme infime
(de l’ordre d’un euro) nécessaires pour acheter des légumes en périphérie et les renvendre
avec un micro-bénéfice au centre-ville.
1
Ba- est la marque du pluriel; -er marque l'agent; -tumac- est la déformation de l'anglais too much.
Le terme renvoie à Neil Armstrong, premier homme sur la lune (c'est-à-dire "celui qui est en hauteur").
Les figures de la modernité deviennent des signifiants flottants qui circulent dans la nouvelle réalité économique
congolaise.
3
Le préfixe ku- marque la forme de l'indicatif.
2
55
2. La ruse
•
souple ni we moya (ou one): "à toi-même d'être souple". Tu n'as qu'à être plus malin pour
ne pas te faire attraper.
•
ku-ona clair: voir clair, mener sa barque sans se faire prendre. Renvoie à une métaphore
souvent liée à la spiritualité (ne pas se faire voir, cf. la fondation du royaume
luba). L'inverse du rusé est le paysan, celui qui ignore les astuces du monde
urbain. Le kisenji est le villageois (péjoratif)
3. La corruption
Elle utilise un vocabulaire très français pour les niveaux de haute corruption. Bien que la corruption
puisse sembler omniprésente, elle ne se formule jamais explicitement en termes de corruption. Elle
s'exprime par le biais d'arguments à dimension humaine tels que "j'ai un problème". On reformule
ainsi en termes de solidarité le besoin d'obtenir des droits auxquels on ne peut prétendre. La corruption
peut être parfois aussi une forme de racket organisé (le fonctionnaire pompe les taxes, l'agent arrête les
voitures, etc.). On ne suit pas les voies de la corruption n'importe comment et pour n'importe quels
motifs. La corruption a généré tout un champ lexical autour de la métaphore de la nourriture
(« manger l’argent »). La corruption doit se faire modérément, on ne vide pas la caisse tout de suite!
La ressource doit durer le plus longtemps possible: kula ndambo kwacha ndambo: "manger une partie
et laisser une partie". Il faut ménager un poste qui fait vivre!
La corruption n'a rien d'individualiste. Les fruits du racket sont redistribués dans un réseau fort
hiérarchisé. Tout le monde en bénéficie (les supérieurs, l'entourage, la famille, etc.). En somme, il y a
une volonté de moralisation de la corruption. A contrario, l'incorruptible apparaît comme un
emmerdeur fini qui met en danger tout le système. Il incarne celui qui est au-dessus des besoins
quotidiens. Inutile de dire qu'on lui mène la vie dure et qu'il aura toutes les peines du monde à se faire
aider en cas de besoin.
4. La chute
•
horoscope: le destin. Parfois le destin peut faire de vous un riche ou un pauvre. On meurt, on
survit par la Grâce de Dieu.
•
criseur: qui est par terre (sans le sous)
•
kuwa cini: quelqu'un qui « avale de l'air », qui est mort, qui est au bout.
•
kufwa: « mourir » : n’avoir plus de moyens
•
kwa neema ya Mungu: qui ne survit que « par la grâce de Dieu »
•
réa: abréviation de "réanimation" et référence à une partie du marché: les légumes. Désigne
celui qui ne peut s'offrir que cela.
56
5. La richesse
Surenchère d'apostrophes à la grâce divine. C'est la résurrection pour toutes ces personnes qui ont
connu la déchéance et qui s'en sont sorti. Celui qui arrive, le montre. Il dévoile ostensiblement sa
richesse.
•
kufufuka: ressusciter
•
wa yulu: d'en haut
•
ngwefu: patron
•
bwana: grand
Conclusion
La nouvelle économie se comprend au travers de métaphores touchant au domaine corporel.
Cet aspect incarné du vocabulaire reflète les nouvelles dispositions d'une réalité qui fait osciller
l'individu entre la vie et la mort. L'instinct de survie légitime, en quelque sorte, une nouvelle éthique :
la ruse du petit contre le grand. Celui qui a recours à la corruption est ce héros malin qui, par la ruse,
parvient à rétablir une situation qui lui était défavorable. C'est une situation de rééquilibrage. Les
vocables tels que khadafi, ayatollah, sadam hussein ou ben laden marquent, en fait, la valorisation des
figures liminaires qui tiennent bon contre la domination. Ils renvoient à ces personnages qui défient les
grands de ce monde. Une des figures du "grand", c'est l'Etat, cette sphère abstraite qui ponctionne et
qui ne rend rien. Pourquoi, dès lors, devrait-on le respecter. Ni bya l’Etat, « ce sont les choses de
l’Etat », c-à-d « on ne lèse personne en volant l'Etat ». On ne peut pas à proprement parler d'une lutte
anti-hégémonique. Paradoxalement, on a conscience de l'existence de l'Etat et on l'apprécie car il
dispense des titres tels que diplôme, médailles, discours, et autres signes de reconnaissance valorisés.
Pour cette raison, les citoyens aiment à participer au faste de l'Etat. On reprend le vocabulaire des
politiciens, on détourne ou invente des paroles de dirigeants afin de légitimer la corruption. Ainsi, on
parle de l'"article "15 : débrouillez-vous », article qui n'existe pas en soi et que l'on attribue à une
constitution fictive.
Ces comportements ne peuvent être compris que dans le contexte africain. La solidarité
africaine se base sur le "que chacun se débrouille" mais rend cependant obligatoire la redistribution de
ce qui a été amassé grâce à la corruption. Ceci explique le fait que le douanier, mal vu en général,
pourra être considéré comme "un bon chrétien" s'il redistribue d'une manière ou d'une autre l'argent
qu'il a détourné à son Eglise, etc. On ne vole pas n'importe qui et s'il est normal de corrompre l'Etat, le
riche ou l'Européen, il apparaît comme immoral de soustraire de l'argent au pauvre ou à l'infirme. De
telles dérives dans la corruption seraient très vite associées à la sorcellerie, immorale par essence.
Derrière l'informel, il y a un ordre culturel, moral. On a trop souvent tendance à voir le chaos dans ces
sociétés mouvantes.
57
Téléchargement