Anthropologie de l’Afrique subsaharienne – Pierre Petit (permanences : mardi 10-12h, S12-117, [email protected]) Remarque : ces notes prises durant le cours de 2007 (et corrigées dans leurs grands lignes par le titulaire) ne constituent pas un syllabus. Elles demeurent un simple support à l’examen et doivent être complétées par des notes personnelles. Table des matières I. II. III. IV. V. Les paradigmes de l’Afrique Tableaux d’histoire africaine L’ethnicité Le pouvoir Anthropologie urbaine de Lubumbashi Examen écrit (3 questions, restitution/réflexion), sur le cours + les deux articles à lire : - Moore, Henrietta L. et Todd Sanders, 2001. « An introduction », in Henrietta L. Moore et Todd Sanders (éds.), Magical Interpretations, Material Realities. Modernity, witchcraft and the occult in postcolonial Africa, pp. 1-27. Londres et New York: Routledge. - Blundo, Giorgio et Jean-Pierre Olivier de Sardan, 2001. « La corruption quotidienne en Afrique de l’Ouest », Politique africaine, 83, pp. 8-37. 1 Chapitre I. Les paradigmes de l’Afrique 1.1 Généalogie de la perception de l’Afrique par l’Occident « Personne ne parle de nulle part » Michel DE CERTEAU Point de convergence de nombreux préjugés, l'Afrique subsaharienne véhicule dans l'esprit occidental l'image négative d'un continent marqué par le « manque » (de structures politiques stables, etc.). Nous sommes redevables de traditions, d’idées que nous pensons et formulons de manière intuitive et non réflexive. D’où viennent ces idées sur l’Afrique ? Lorsque l’on fait le bilan des idées reçues à propos d’autres continents, le résultat est ambigu : ex. : Asie du Sud-est, ou orientale. On pense « grande civilisation » (et non tribu ou société) d’écriture, d’architecture, d’empire,…Maintenant, bien point de vue économique, religieux. EX. : Pop. Amérindienne ; ambigu ; + /- positif, développement d’une philosophie avec la nature (ex : chamanisme). Complexe de culpabilité car guerre/génocide contre eux. Mais pour l’Afrique noire : représentations négatives, idée d’un continent fait de républiques folles, enfants sorciers, Rwanda, Soudan...Etat économique négatif. Afrique au-dessus du Sahara = 11% de la pop. mondiale mais 1% commerce mondial si on retire l’Afrique du Sud. Problèmes pour les représentations de l’Afrique : Pour bon nombre d'Occidentaux, l'Afrique reste une terre stérile dépourvue d'héritage historique, un monde "arriéré" qui ne peut s'enorgueillir d'avoir connu l'émergence d'une civilisation brillante au même titre que l'Europe, l'Asie ou l'Amérique. L’héritage africain n’évoque pas grand-chose, son histoire commencerait avec la colonisation. L’Afrique ne semble pas capable de rivaliser avec ses contemporains. Ou alors on a une idée de manque, d’inachèvement avec des discours paternalistes, critique, accusateurs, militants,…Il y a aussi des discours hédonistes : les personnes seraient bien dans leur peau, cool. Les discours sont un peu plus positifs mais toujours paternalistes. 1.1.1 De l’Antiquité aux Grandes Découvertes : L’auteur congolais MUDIMBE a écrit un livre (The idea of Africa) sur les différentes représentations des auteurs classiques,…Le prof reprend ici ses idées. Auteurs classiques : Contrairement aux idées préconçues qui gouvernent notre vision contemporaine de l'Afrique, le monde antique a toujours écarté tout traitement stigmatisant à l'égard des populations africaines. L’image est positive, on voit les Africains à la base des civilisations, des religions (gens pieux). On parle ici de l’Afrique du Nord, de la Nubie et de la corne de l’Afrique mais 2 au-delà, les terres sont inconnues et on y considère alors les gens comme « monstrueux », gens sans tête, on pense que c’est le chaos et ce, au même titre que l’Asie ou l’Europe inconnue. Moyen Age : ne compte pas d’idées nouvelles car l’Occident est coupé des populations africaines par l'expansion de l'Islam dans la région méditerranéenne. 15ème siècle : fin de la Reconquista (mouvement d’expansion politique) entreprise par les Rois Catholiques espagnols/portugais plusieurs siècles auparavant. Les Portugais et les Espagnols continuent de s'étendre sur les côtes de l’Atlantique. Ils s'implantent dès 1440 sur les côtes de la Mauritanie, puis en quelques années ils atteindront le Cap de Bonne Espérance (Vasco de Gama en 1497). Les nouvelles voies maritimes s'ouvrant sur l'océan Indien permettent à présent l'accès au Proche/Moyen/Extrême Orient. Pourquoi une expansion territoriale dans cette partie du monde ? Pour des facteurs économiques (esclavage) et politique. Il faut faire attention à la dimension religieuse aussi (si l'on se réfère à une bulle papale de 1493, la bonne nouvelle se doit d'être diffusée; il faut conduire les nations barbares vers la bonne voie). Principe de la terre de personne (Terra nullius) = Ce principe permet aux Chrétiens de s'établir sur une terre définie comme n'appartenant à personne, d'en prendre possession et de faire abstraction des droits des peuples qui y vivent. Lors de conquêtes, on ne reconnaît pas les droits des gens contrôlant le territoire jusqu’alors. C’est donc un espace vide, il faut ériger quelque chose telle qu’une église (c’est l’acte de fondation par les explorateurs), enseigner la foi chrétienne, on fait une messe,… on passe alors dans un territoire conquis. Les premières implantations européennes prennent la forme de comptoirs, d'agglomérations portuaires. L’Afrique est un continent non colonisé de l’intérieur avant fin 19ème siècle. Le commerce se fait surtout sur esclaves. Entre le 15ème et le 19ème siècle, il y a eu entre 12 et 15 millions d’esclaves victime de la traite sur l’océan Atlantique. L’esclavagisme influence la perception de l’Afrique : « noir = esclave ». 1.1.2 La malédiction divine et la genèse des christianismes africains: Cette idée d’une malédiction tient aux lenteurs et à la résistance de l’Afrique à l’implantation du christianisme à l’inverse du nouveau monde (pionniers répandant le christianisme). L’Afrique est réfractaire = le continent non chrétien. L’idée de la malédiction sur ce continent vient d’un passage de la bible « La malédiction de Canaan » : Noé enivré s’endort dénudé devant ses enfants ; Japhet et Sem le couvrent mais Cham se moque. A son réveil Noé jette une malédiction sur Canaan (la descendance de Cham) : qu’il soit l’esclave. Au départ il n’y a pas d’idée de race mais par la suite on associe à chacun des fils une race Canaan = Afrique. 3 Il y a une généalogie d’idée sur l’Afrique en tant que malédiction. L’Afrique est sous l’emprise des forces du mal. Les missionnaires (langage utilisant la référence à Satan) vont faire violence aux anciens cultes ; brûler les fétiches, les rites barbares, profanation de lieux,… Ce qui change, c’est que dans ce cas ces comportement sont quasi-contemporain (19 et 20ème siècle). Il y a eu une réappropriation de cette image de la malédiction dans les religions africaines elles-mêmes. Rencontre le christianisme durant le dernier quart du 19ème siècle. Il y eu 3 vagues : 1) Les Eglises chrétiennes métropolitaines : ces Eglises ont finalement suscité mécontentement car les blancs dirigeaient les églises. Le discours est ambigu car d’une part il exprime un discours de libération mais d’une autre les africains ne peuvent monter dans la hiérarchie. 2) Eglises indépendantes africaines (plus de tutelle coloniale). Elles étaient souvent prophétiques, càd que les leaders étaient des prophètes (ex : le prophète Kimbangu au Congo. En 1921, il prophétise et annonce la fin des injustices, la guérison des gens malades. Il prévoit la fin de la mainmise des blancs sur la société africaine. L’autorité coloniale belge l’a arrêté et condamné à mort. C’est étonnant car il ne s’agissait pas d’une lutte contre les colons. Pour finir, il sera gracié et mourra en prison). Ces Eglises ont été combattues dans un premier temps. Ce sont des Eglises de type syncrétique : formes anciennes préchrétiennes bricolées avec le christianisme moderne. De plus, on assiste à une africanisation des structures religieuses. 3) Eglises pentecôtistes (années 80) : Esprit Saint parmi les hommes. Réapparait le discours sur Satan, le discours dichotomiste (on fait le choix entre le bien et le mal). On demande aux personnes de se convertir et de renoncer à Satan (baptême). Stigmatisation des cultes préchrétiens. Théologie de la prospérité (« si Dieu t’aime, tu seras riche »), contact individuel avec Dieu. 1.1.3 Les complexités de l’idéologie missionnaire : Relativisons ce qui vient d’être dit sur la religion. Le paradoxe du missionnaire (SALVAING) : les missionnaires sont persuadés qu’on ne pourra sauver l’Afrique qu’avec un mode de vie moderne mais ils réprouvent certaines caractéristiques de la vie occidentale telles que le libéralisme, le syndicalisme, la perte de l’enchantement, le matérialisme, l’athéisme,… Ils proposent d’être eux-mêmes ceux qui vont implanter la vie occidentale purifiée. Etant donné que les villes sont déjà corrompues, la volonté des missionnaires est de pouvoir régenter des régions campagnardes, voire d’implanter des états, des empires. Ils veulent recréer une forme de royaume chrétien au cœur de l’Afrique (cf. Comaroff, Of Revelation and Revolution qui traite de la complexité de l'entreprise missionnaire). Un autre aspect important est la différence qui existe entre les Catholiques et les Protestants. Le catholicisme développe une capacité d'accommodement, basé sur le concept d'inculturation (cf. Concile de Vatican II dans les années 1960) : Dieu se retrouve un peu partout même où la Bible n’a pas été implantée. Le Divin peut donc se manifester, d'une certaine manière, dans les certains éléments 4 de la culture traditionnelle. Le Protestantisme, au contraire, considère le passé comme étant lié à la notion de péché originel. Il est donc plus marqué par l'idée d'une "rupture", et rejette la présence de la tradition dans le culte chrétien. L’idée du péché originel continue de marquer le rapport à la religion et s’oppose davantage à tout processus syncrétique, sur le plan des discours tout au moins. 1.1.4 Déterminisme climatique, racisme scientifique et racisme populaire : Exemple de référence au climat défini par la chaleur et l’humidité (Ibn KHALDUN) : les esprits sont plus échauffés, les Africains éprouvent plus facilement joie, gaîté, … légèreté. Il existe des manuels d’hygiène coloniaux car on imagine que c’est un continent porteur de « folie». Selon CONRAD (Au cœur des ténèbres), l’Afrique est un continent aliénant. La race (concept scientifique du 19ème siècle) ->base d’infériorité. Idée d'une infériorité physique chez l'Africain (capacité de la boite crânienne, par exemple). De nombreux textes qui paraissent dans les revues scientifiques sont porteurs de messages racistes. On renvoie l’Africain à l’homme de la nature, à l’animalité. Il y a une opposition entre le monde de la civilisation et celui de la forêt. Il faut faire attention au danger du passage, de la transgression de la barrière noir/blanc qui caractérise l’ordre colonial (voir l’article de journal : noirs portant les mêmes vêtements que nous,…). « Police » des mœurs au quotidien (ex : consommer de l’alcool), système colonial se base là dessus (ségrégation). Ambiguïté marquée vis-à-vis des Africains qui s’approprient des aspects de la société occidentale. STENGERS « La colonisation n’est ni Auschwitz ni St François d’assise ». Idée générale : Africains = société située sur un échelon inférieur de l’évolution humaine. 1.1.5 L’histoire : L’histoire est LA science humaine se développant au 19ème siècle, mais l’Afrique n’en fait pas partie. Car il n’y a pas de méthodes pour arriver à une connaissance historique (pas de sources écrites) mais surtout, il n’y a pas de matière à histoire (rien ne semblait histoire; pas de mouvement,…). L’histoire de l’Afrique commencerait avec la colonisation ! La seule histoire = celle de la colonisation héroïque (malgré les guerres, les maladies… les tribus africaines !). On ne voit pas la population africaine comme acteurs. L’Afrique est l’élément passif de l’histoire. La situation change après la deuxième guerre mondiale : remise en cause des blancs et meilleure reconnaissance du passé africain. Jan VANSINA (« De la tradition orale » en 1961), dit qu’il faut prendre au sérieux le domaine de l’oralité et lui appliquer la critique historique. Cela colle avec les faits politiques car les Etats africains devenant indépendant ont besoin d’un passé prestigieux. Dans 5 les années d’indépendance (60-70), on recueille les traditions orales pour dresser un portrait profond de 2, 3 4 siècles. Cela jusqu’aux années 80, ensuite le passé pré colonial n’a plus la cote. On s’intéresse aux années coloniales. Maintenant, peu d’historiens s’intéressent à cette période précoloniale. Les traditions orales sont conservées en mettant en avant la légitimité de telle ou telle famille royale. . Il est vrai que les récits véhiculés par la tradition orale sont en grande partie des témoignages subjectifs ayant pour objectif la légitimation du pouvoir de tel ou tel souverain. Ils ont un caractère essentiellement idéologique. Le deuxième ouvrage de VANSINA (1991, Sur les sentiers du passé en forêt) amène un bousculement, on s’intéresse à une série de sociétés acéphales (qui ne s’articulent pas autour d’un pouvoir centralisé) dans la forêt équatoriale, dans la région située entre le Gabon, le Congo Brazzaville et la République Démocratique du Congo. Il ne s’agit plus d’une histoire « classique » politique, mais d’une histoire marquée par le social. On s’intéresse aux structures de parenté, à l’évolution du commerce, aux technologies,… On se sert moins des sources orales que archéologiques. On s’intéresse à la linguistique historique. Le matériau linguistique permet de reconstituer différentes filières de transmission. 1.1.6 L’anthropologie : Quelle a été la place de l’anthropologie dans la colonisation ? Les anthropologues ont travaillé avant les historiens en Afrique car on considérait qu’il n’y avait pas d’histoire : c’était donc le terrain des anthropologues. Il est vrai que, pour l'anthropologue, l'Afrique représentait le terrain idéal pour l'étude des tribus et des différentes caractéristiques des peuples ethniques présents en grand nombre sur le territoire. Dans les années 20-30, l’anthropologie africaniste s’institutionnalise, de grands centres de recherche se forment dans nos pays et en Afrique du Sud. Les Britanniques avaient une longueur d’avance car pour les Français cela se passe en 1930. Quels furent les liens entre l’anthropologie et la colonisation ? Pour rappel, les anthropologues sont arrivés après la colonisation, qui n’a pas eu besoin d’eux ! Les liens institutionnels entre l'anthropologie et l'establishment colonial furent relativement peu nombreux. Quelques anthropologues furent engagés pas les administrations coloniales mais il s’agissait d’une minorité. Mais ils ne s’opposaient pas non plus au colonialisme. L’anthropologue apparaît le plus souvent sous la figure de l’ « ethnographe libéral » : personne positive à propos des traditions africaines, il essaie de montrer la qualité et la profondeur des traditions. C’est une position romantique et nostalgique par rapport à la colonisation. Ce n’est pas du militantisme politique mais ils s’opposent à l’idéologie dépréciative des sociétés africaines. 6 Un exemple de ce type d’ethnographe libéral : Marcel GRIAULE (1898-1956), le premier Français ethnographe de terrain à long terme qui ait marqué durablement l’anthropologie française. Il a fait la mission Dakar-Djibouti (1931-3) sillonnant 15 pays en 2-3ans dans un but muséographique. C’est la base de la collection du Musée de l’Homme. Il agissait de manière militaire (photos aériennes des maisons de culte), stratégique conformément au modèle colonial. Cette approche documentaire lui a permis de rencontrer les Dogons de Mali. Métamorphose pour Griaule, il délaisse l’approche documentaire et s’aidera d’un informateur privilégié. Ils vont lui transmettre des fragments du mythe cosmogonique (origine de l’univers) des Dogons. C’est la première fois qu’on met en avant la complexité de l’esprit africain. Célébrité de Griaule devenant le promoteur d’une image traditionnaliste de l’Afrique éternelle. Essentialisation des traditions avec Griaule. C’est l’Afrique telle qu’elle n’a pas été modifiée par les autres civilisations. Ce courant se retrouve dans toutes les approches faites à ce moment : mise en avant des choses les plus spécifiques, les moins touchées. On fonctionnait « à la monographie ». Une des principales critiques émises à son égard est sa tendance à faire abstraction du contexte, des influences (Islam), des échanges, et des réseaux internationaux qui existaient à ce moment. Dès 1930, des courants beaucoup plus axés sur les dynamiques sociales se font jour. RhodesLivingstone Institute, créé dans l'ex Rhodésie anglaise (le Zimbabwe actuel), est un des instituts répondant à cette mise trop en avant de la tradition. On crée une perspective d’anthropologie en phase avec les problèmes sociaux, économiques, on s’intéresse à l’urbanisation, à l’industrialisation Nouvelles formes d’associations, de socialisation. On s’intéresse à l’ethnicité, phénomène proprement urbain (villes : gens venant d’origine différentes). BALLANDIER, dans les années 50, (français, Sociologie des Brazzavilles noires) est intéressé par l’étude de ces ruptures sociales et reconstitutions sociales caractérisant les villes africaines coloniales. Il met l’accent sur les dynamiques sociales, les modes de relation rural/urbain. 1.2 Révisions afrocentristes Afrocentrisme : théories donnant un rôle central à l’Afrique dans l’évolution mondiale, dans la construction du monde. L’afrocentrisme ne s’est pas développé sur le continent africain mais dans le Nouveau Monde. La fin de l’esclavage a lieu plus tôt dans le nouveau monde qu’en Afrique. (Ex : USA : 1865). Les populations africaines du Nouveau Monde ont bénéficié d’une plus grande marge de manœuvre au point de vue de la liberté religieuse, politique, de pensée… Niveau d’éducation dès lors. Sont ici repris trois figures importantes de ce courant, à titre d’exemples : 7 1.2.1 Edward Blyden (1832-1912) BLYDEN, originaire des Antilles, est un représentant caractéristique de cette génération d’émancipation. En 1850, il se rend au Libéria ; premier pays africain indépendant, 1847, dans le cadre d’un accord avec les Etats-Unis, pour recueillir les anciens esclaves africains d’Amérique voulant rentrer en Afrique. Il faut faire attention au rôle politique et intellectuel de Blyden dans ce pays. Il souligne l’importance du patrimoine culturel égyptien dans le cadre africain. L’Afrique doit renouer avec son passé prestigieux : celui des grands royaumes du Sud Sahara et aussi de l’Egypte ancienne. C’est un discours de réhabilitation. Malgré son discours Blyden était favorable au colonialisme britannique, qui devait permettre aux populations africaines de se développer. 1.2.2 Marcus Garvey (1887-1940) Nouveau concept : Panafricanisme (origine : première réunion panafricaine en 1900, à Londres) : contenu philosophique et politique ; lutter pour le droit des Africains où qu’ils soient (Nouveau Monde ou Afrique), c’est une revendication de liberté. Pan = entier, grand. Se débarrasser du colonialisme pour constituer un ensemble politique intégré de dimension continentale. Marcus GARVEY, jamaïcain naît dans cette internalisation et fera l’esentiel de sa carrière de militant aux Etats-Unis. Il crée en 1914 UNIA (universel negro improvment association) dont le but est de combattre pour l’émancipation des Noirs. L’Afrique doit être dirigée par les Africains. Il crée une république africaine virtuelle dont il sera élu président. Il avait une compagnie maritime pour faire rentrer les Africains chez eux. C’est un militantisme politique allant de pair avec une émancipation religieuse. Mouvement religieux débouchant sur le rastfarisme (connu avec Bob Marley). Lien marqué entre le monde politique et religieux. 1.2.3 Cheikh Anta Diop (1923-1986) Il n’est pas historien mais physicien nucléaire. Il est à la base de la plus radicale révision de l’histoire afrocentriste. Etudie à Paris (années 1940-50), participe aux mouvements vs colonisation dans milieu étudiant. Dimension politique (fondera son propre parti au Sénégal après indépendance). Il est connu pour sa vision de l’histoire ; selon lui l’Egypte pharaonique était une civilisation « nègre » dans tous les sens du terme notamment sur le plan racial (génétique). Elle ne se serait métissée que très tardivement avec l’homme blanc devenant ainsi une civilisation abâtardie. Lien de continuité, de consubstantialité entre l’Egypte pharaonique (depuis 3000 avant J.C.) et les héritiers lointains (Dogons,…). L’Egypte serait la base des civilisations nègres. Pourtant, on ne retrouve pas vraiment de preuve structurelle ou systémique de cela. On ne retrouve que des preuves très vagues. L’Egypte serait à la base de la société gréco-romaine, selon Cheikh Anta Diop, et aurait ainsi marqué durablement l’Occident. 8 Ce n’est pas une théorie neuve. Pendant cette période, certains courants diffusionnistes (traditions se diffusent par les contacts) affirmaient que l’ensemble des civilisations mondiales se rattachent à l’Egypte pharaonique selon le postulat de l’unité du croissant fertile (à partir duquel se serait produit la diffusion). Selon Cheikh Anta Diop, c’est l’Afrique noire le moteur de la diffusion. Cheikh AD est le premier à avoir systématisé ces idées (Afrique comme moteur). Il était conscient des enjeux politiques du savoir. En fait, Anta Diop est parfaitement conscient que pour arriver à construire et établir une république panafricaine, il faut que celle-ci puisse s'ancrer dans un passé historique afin de pouvoir marquer et légitimer son émancipation. Il considère, entre autre, que les nations coloniales se sont servies d'un certain type d’histoire, et ce dans le but d'asservir l'Afrique. La connaissance c’est la liberté selon lui. L’histoire est à la fois politique et morale. Toujours selon lui il y aurait deux mondes ; d’un côté il y a le monde « aryen » (Europe + Proche et Moyen Orient) qui est nomade et de l’autre il y a l’Afrique, l’Egypte, l’Ethiopie,… qui sont sédentaires. Les civilisations égyptiennes auraient civilisé le Nord mais le fond guerrier « aryen » aurait servi contre les civilisations pacifiques du Sud en les aliénant. Le nord serait borné, cruel,…et l’aboutissement serait le nazisme. Le Sud quant à lui, serait ouvert, pacifique,… CAD a subi de nombreuses critiques concernant sa manière de procéder (mais il faut le remettre en perspective). La sélection des sources lui est reprochée (uniquement du 19ème siècle pour pouvoir les combattre plus facilement et s’en servir pour appuyer sa théorie : ce sont les auteurs les plus caricaturaux). Pourquoi s’est-il autant focalisé sur les races ? Il n’était pas raciste mais avait un discours racialiste, déterminisme de la transmission génétique (phénotype des Egyptiens). Obsession pour distinguer noirs et blancs. Attachement à la notion d’un « substrat culturel » -> on trouve un fondement égyptien qui traverse 5 millénaires ! Pensée contre le métissage or maintenant on pense que l’origine pure est une quête vaine. Critiques positives : On le lit encore beaucoup. Il a joué un rôle dans la décolonisation des consciences, l’histoire de l’Afrique est une histoire légitime. C’est le premier à avoir restitué si vigoureusement l’Egypte en Afrique (à juste titre !). Il fut un moment prévisible de la révision de l’histoire du continent. Mais il ne faut pas le transformer en Saint comme si c’était le premier à faire cette réflexion sur la place de l’Afrique dans le monde : d’autre ont eu leur rôle dans ce processus. 1.2.4 L’afrocentrisme contemporain L'afrocentrisme reste un mouvement encore très présent, surtout aux Etats-Unis. De nouveaux courants afrocentristes sont en plein essor, focalisant leur intérêt sur les filiations du sud de l'Inde ou de la Papouasie Nouvelle Guinée avec l’Afrique, ou l'idée d'un peuplement du Nouveau Monde à partir du Mali, de l’Egypte. Beaucoup d’auteurs ont réalisé des travaux sur des bases non solides. Cela rencontre un grand succès aux Etats-Unis parmi African-Americans. Durant la 2ème moitié du 20ème siècle, coexistent des figures contrastées. Par exemple, celles associées aux droits civiques telles que 9 Martin LUTHER KING : Mouvement progressiste à caractère social, militant pour des droits égaux. C’est un mouvement incluant des blancs. Dans les années 70-80 : le mouvement s'étiole au profit d'autres idées à charge du Président Reggan qui met un terme à tout ce mouvement de réformes sociales. Fin du modèle social : cela pousse les mouvements d'émancipation non plus tant vers le militantisme des droits civiques que vers le multiculturalisme (en termes de multiculturalisme, il faut entendre une reconnaissance de la spécificité ; reconnaissance de droits distincts). Malcom X illustre parfaitement cette tendance en voulant séparer ces communautés. De même, Molefi ASANTE, un américain qui a repris un nom d'origine africains, reste très en vue dans le domaine de l'afrocentrisme. ASANTE développait une métaphore (mission essentialiste des identités) : aiglon tombant dans un poulailler et élevé avec les poules, il se prend pour une poule. Un aigle viendra lui dire qui il est réellement et il réapprendra à voler. ÆLes identités sont essentielles, imprimées, selon eux. On n’a pas le poids de l’histoire, des socialisations. 10 Chapitre II. Tableaux d’histoire africaine Tableaux portant sur différents phénomènes montrant que l’Afrique n’est pas enclavée mais est en lien avec le reste du monde. 2.1 Les contacts transsahariens Ce sont les contacts entre l’Afrique du Nord et l’Afrique sahélienne (juste au sud du Sahara). 2.1.1 Aspects économiques et politiques Dès le 1e millénaire a.C, le Sahara est déjà traversé par de nombreuses routes commerciales, comme en témoignent les peintures et les gravures rupestres figurant des chars, des mules, etc. Ces routes descendent du Nord du Sahara {colonies grecques et phéniciennes (Carthage)} vers les pays du Sud (bande sahélienne). Différents produits s’échangeaient ; produits manufacturés (tissus, métal), chevaux,… Au Sud, c’est le commerce de l’or, des esclaves. Il y avait aussi des produits vivriers : commerce de peaux, monnaie, sel. Le commerce ne se limitait pas à ces deux partenaires. Un second réseau commercial s’ouvrait vers les forêts tropicales (Guinée et Côte d’ivoire) pour les noix de kola,…au départ des villes sahéliennes. Il y a donc deux axes importants: le réseau nord/sud et le réseau sud/forêts. Le mot réseau est très important pour qualifier ce commerce. Les routes appartenaient à certaines familles et étaient empruntées de génération en génération. Il y avait des foires commerciales dans les oasis,…Les liens au sein de ces réseaux commerciaux sont forts marqués par la religion, des confréries religieuses se mettent en place pour unir les partenaires économiques. Il y avait des mariages pour assurer ces liens. Ce sont des réseaux basés sur des entités politiques majeures, les états de princes marchands ont un rôle structurant dans l'ensemble des réseaux commerciaux. Seuls les souverains pouvaient organiser le commerce de l'or, par exemple. Ils avaient le pouvoir étatique et militaire, ainsi que le contrôle économique. Le plus ancien connu est le royaume de Ghana situé entre la Mauritanie et le Mali (différent de l’actuel Ghana) dont on a traces dès 8ème siècle de notre ère. On commence à avoir des sources écrites. Jusqu’au 16ème siècle il y en aura d’autres, par ex l’empire du Mali succède au royaume de Ghana entre le 13ème et 16ème siècle. On mentionne également la présence d'un ensemble politique qui existait au 10e siècle à proximité du lac Tchad: le Royaume de Kanem (prédation militaire pour avoir des esclaves). A partir du 16e siècle, l'Empire Songhay englobe l'Empire du Mali. C’est à cette époque également que la polarité du commerce extérieur se tourne vers les côtes atlantiques, délaissant peu à peu le réseau saharien (établissement des comptoirs commerciaux côtiers, construction des voies de chemins de fer). Après le 16e siècle, il n’y aura plus d’Etat aussi étendu que l’Empire de Mali ou Songhay dans l’Afrique sahélienne. 11 2.1.2 Aspects religieux Processus d’implantation progressive de l’Islam dès le début du 11ème siècle au Sud du Sahara. Les souverains de Kanem et de Ghana se convertissent dès cette période ainsi que d’autres royaumes. L’influence de l’Islam ne se limite pas seulement aux seules personnes converties mais va plus loin. Les Dogons, les Bambara (étudiés par Griaule),… ont souvent été présentés comme une société dont le système religieux, la métaphysique,…n’ont pas été influencés par l’extérieur (ni Egypte, ni Europe,…). Réhabilitation de l’Afrique ‘traditionnelle’. Or, ces systèmes doivent être replacés dans les réseaux internationaux, et être mis en relation avec les systèmes de pensées issus (notamment) de l’Islam Ces systèmes ont dû définir leur système de pensée au moins par référence à celui de l’Islam. On voit donc des syncrétismes, voire des opposition. Par exemple, les Dogons utilisent la référence aux quatre grands éléments (eau, feu, air, terre). On suppose qu’ils les ont puisés dans l’Islam. Autre ex, monde placé sous voute céleste composée de 7 cieux superposés. Il existe des parallèles entre ces deux systèmes de pensée. On peut donc penser que c’est une influence directe de l’Islam mais on pourrait penser aussi que c’était indirect. On est face à deux scénarios, soit l’influence serait transmise de l’Islam, soit influence antérieure à l’Islam. Cf article de Tal Tamari. La théorie des signes est représentative de cela: tradition à propos de l’origine du monde, tradition abstraite. Création se fait à travers des signes qui prendront consistance, qui s’incarneront par la suite. Ce mode abstrait de la création pourrait être né de l’influence hellénistique ou d’un héritage islamique. Ce qui est sûr c’est la transmission, le bricolage ÆProcessus de syncrétisation. . Syncrétisme = mélange de deux éléments originels. Suppose l’idée de deux fonds différents se réunissant, ce qui suppose l’idée de fonds purs avant le « mélange ». Syncrétisation : renvoie plutôt aux processus concrets de « bricolage », phénomène permanent. On emploie ce mot pour se référer aux courants religieux, mélange des idées qui se réalise en réinterprétant, réagençant, tenant compte des contraintes symboliques liées aux matériaux transmis (dont le sens est connu en partie de ceux qui empruntent : on ne peut donc réagencer n’importe comment !). 2.2 Axum Région sur la côte Est de l’Afrique, à la limite de l’Erythrée et de l’Ethiopie (mer Rouge). Les contacts y étaient plus précoces que pour l’océan Atlantique. Axum est une civilisation peu connue qui a été le moteur d’une sorte de globalisation. Ses sources d’influence sont le Yémen, l’Egypte, les Gréco-romains,… Elle a des relations commerciales avec l’intérieur de l’Afrique et la Méditerranée, avec Chypre…. C’est une globalisation avant la lettre. Commerce avec l’Inde et l’Extrême-Orient par étapes (cf. cartes). Elle a été un des berceaux du christianisme en Afrique : au 3ième siècle après J-C, Axum devient chrétien et devient le ferment du Christianisme de cette région d’Ethiopie et d’Erythrée. 12 Entre le 7ième et le 10ième siècle, il y a un déclin puis une disparition de cette puissance commerciale et politique. Le christianisme restera après la fin d’Axum, et sera un fondement important des identités et des Etats de cette région dans le second millénaire (empire éthiopien). 2.3 Les Swahili En lien avec Axum. La civilisation Swahili se trouve sur l’Océan indien (du Sud Somalie à Nord du Mozambique). Ils sont à l’origine des civilisations bantoues dont certaines populations ont migré vers la côte de l’océan Indien. Les bantous se spécialisent dans les activités maritimes (pèche ou navigation) et colonisent une série d’îles (Zanzibar, les Comores,…). Se mettent alors en place des embryons de villes qui naissent de la spécialisation du travail. Commerce non plus uniquement sur les plages mais aussi dans les villes. Au 8ème siècle, ces villes se développent (avant l’arrivée de l’Islam). Ce commerce bénéficiait des moussons (=vents irréguliers) : vent dans hémisphère Nord amenait les commerçants sur les côtes des Swahili et pendant les vents d’été ils rentraient dans leurs pays (golfe Persique, Perse, Inde). C’est un commerce spécialisé qui amène une spécialisation de villes swahilies dans ce commerce. Il fallait approvisionner ces commerçants venus d’Asie, donc il fallait développer réseaux à l’intérieur du continent. Zimbabwe: pays dont le nom provient d’un site archéologique constituant les vestiges d’un ancien Etat dont l’apogée se situe aux 13-14èmes siècles et ayant réussi grâce au commerce de l’or qui était destiné, ultimement, au réseau swahili. C’est déjà un réseau commercial important. Conséquences des Swahili dans le continent. Dès le 11ième siècle, une islamisation de ces populations se met en place. La situation tourne mal pour les Swahilis quand les Portugais arrivent (fin 15e) et qu’ils réussissent à imposer leur leadership sur la côte de l’océan Indien. Ils imposent aux Swahili un tribut en échange de la promesse de ne pas les dévaster. C’est le début d’un premier déclin des Swahilis. La civilisation swahili renaîtra de ses cendres plus tard sous l’emprise du sultanat d’Oman (dans la péninsule arabique, sur golfe Persique). Constitution d’une puissance économique de 1700 à 1900. Cela redevient un grand centre commercial sur l’Océan et dans le continent. Ils approfondissent les réseaux commerciaux qu’il avait à l’intérieur du continent. Cette puissance était la principale rivale des Occidentaux en Afrique. Pénétration des réseaux dans l’intérieur du continent s’est faite en plusieurs décennies dans le 19ième siècle. Dans un premier temps, on avait des petits comptoirs commerciaux pour assurer le ravitaillement des commerçants. On y cherche de l’ivoire et des esclaves. Vers 1870, cela se passe à travers la constitution des grands Etats : le plus grand est celui de Maniema, empire fondé par un commerçant swahili dans l’est du Congo : Tippo Tip. Il a créé un état avec un système judiciaire, un système religieux (l’Islam), des taxes… . {Donne lieu à un islam un peu insulaire à l’Est du Congo}. Cela prend fin en 1890 car c’est la période du colonialisme européen 13 triomphant (en 20 ans fait basculer l’ensemble du continent africain sous leur tutelle). Les Swahilis n’étaient pas assez puissants pour faire face. 2.4 Le Royaume de Kongo aux 15ème-16ème siècles (Royaume de Kongo : à ne pas confondre avec les deux Etats contemporains portant ce nom !). Premiers contacts entre Occident et le royaume du Kongo ; c’est la « coopération » culturelle et religieuse la plus longue avec les Européens. En 1483, le navigateur portugais (Diogo Cao) arrive au Sud de l’embouchure du fleuve Congo. C’est une phase exploratoire pour les Portugais, donc ils appliquent le principe de « terra nullius », on érige une colonne de pierre et on transforme en terre chrétienne. Son équipage reste longtemps et entend parler d’un grand royaume dans les terres : le royaume de Kongo (entre l’actuel Congo-Brazzaville, la RDC et surtout l’Angola). Un rapport de force aurait pu se faire mais au contraire cela se passe bien. Il fera des échanges avec la population locale ; il laisse de ses hommes là-bas et amène des gens du royaume au Portugal. Cela permet d’avoir des interprètes des deux côtés. Il y aura plusieurs voyages comme cela. Sorte d’Erasmus avant l’heure ! (Lecture texte sur réception de dignitaires kongo à la cour portugaise) Diogo Cao se rendra finalement à la cour du royaume de Kongo en 1491 : les Portugais reviennent pour un programme de coopération technique et religieuse. La capitale changera de nom, elle passe de Mbanza Kongo à Sao Salvador. Commence alors un processus d’acculturation. Il y a un lien fort entre le roi du Portugal et celui du Kongo. Le roi se fait baptiser : reçoit nom de Joao I. Æ Plusieurs siècles d’histoire chrétienne commencent dans ce royaume. Ces changements se manifestent notamment avec le changement de nom. On y transpose une hiérarchie européenne avec des comtes, des barons… . Des rites européens et chrétiens sont instaurés notamment lors de la prestation de serment où l’on jure sur la Bible. Les Kongo semblent suivre avec enthousiasme ce mouvement. Les autres rois prendront eux aussi des noms chrétiens, le suivant sera Afonso I qui voudra détruire la « grande maison des fétiches ». Ce programme d’acculturation a été mis sur papier (Regimento) avec un programme représentant les phases par lesquelles le royaume devait passer pour devenir chrétien. Afonso 1er était partisan de cela, il a créé des églises, des assemblées de discussions sur le christianisme. Les enfants du roi sont même allés au Portugal. Climat d’intercompréhension. Selon McGaffey c’est une sorte de « dialogue de sourds » car chacun supposait comprendre l’autre et pensait que les autres pensaient comme eux. Tout passait par des grilles d’analyse qui ne signifiaient pas la même chose pour les deux parties. Il y avait deux systèmes d’appréhension de ces phénomènes mais cela marchait (on communiquait) ! Il propose d’envisager les choses à travers une grille cosmogonique. Il faut savoir que pour les Kongo tout tourne autour d’une sorte de frontière. D’un côté, il y a le monde des hommes, de l’autre celui des morts (les forces viennent de celui-ci). L’eau est la surface où se passe cette jonction. Le monde des morts est marqué par la couleur blanche. 14 Les initiations consistent en un passage vers le monde des morts sous forme d’une exclusion : les récipiendaires sont tenus à l’écart dans un lieu fermé dont ils vont sortir avec les traces de leur passage dans le monde des morts : ils parlent la langue des esprit (glossolalie), ils sont recouverts d’une poudre blanche, ils apportent de nouvelles connaissances… . Quand les Portugais arrivent, ils viennent de l’océan et on les appelle Mundele (désigne à l’origine une sorte de cétacé), on les apparente ensuite aux Bisimbi (esprits territoriaux). Leur terre d’origine se trouverait sous la mer. De plus, ils sont blancs et sont prêts à ramener des personnes d’où ils viennent un peu conformément au système de l’initiation : ils partent vers ce monde et reviennent avec une autre langue, d’autres manières religieuses (le christianisme). Æ Cela fait qu’on pense que les Portugais reviennent de leur rite initiatique auprès des esprits, des morts qui sont dans l’eau. Les rois vont essayer de garder un monopole sur les pratiques religieuses liées à ces Portugais, vont essayer que le « baptême » (apparaît comme une nouvelle source de pouvoir religieux) reste le monopole de la famille royale en y envoyant leurs enfants. Le premier geste du roi baptisé sera de partir en guerre afin de tester les forces acquises. On peut étudier cela aussi selon la grille de lecture des Portugais (voient des fétiches,…) 2.5 La traite esclavagiste atlantique en Afrique centrale Quand les Portugais arrivent et proposent le regimento (càd les processus d’acculturation), les Kongo vont être amenés à donner contreparties : cuivre, or… mais très peu. On se dirigera alors vers la traite des esclaves au départ du Kongo dès les années 1500, elle sera dense et précoce. Au départ, c’est un monopole royal : le roi du Kongo et du Portugal gère la traite. Ce monopole connaît vite une crise et explose car des commerçants indépendants vont prendre le pas. Ils s’établissent dans les premières colonisations de peuplement. Angola : colonie s’étant créée sur la côte. Sao Tomé : île au large du Gabon. Les commerçants vont s’y installer. Il va y avoir un commerce triangulaire : Europe (produits manufacturés) - Afrique (esclaves) - Amérique du Nord, du Sud et centrale. MILLER suit le commerce sur les différentes pointes du triangle ÆLogique capitaliste : bénéfices énormes pour l’Europe (rendement de 3000%). Mais pour l’Afrique, quelles sont les logiques ? 15 2.5.1 L’économie politique de la traite La logique africaine est une logique non monétaire. L’organisation économique est un système complexe fonctionnant à travers des liens de dépendance. Les dépendances sont diverses : pouvoir d’un souverain sur ses sujets, d’un père sur ses enfants... On accorde une grande importance au capital social. C’est un système basé sur une hiérarchie Æ Transferts de biens. Les liens entre individus sont rendus obligatoires à travers la circulation des biens. Le roi est le grand dispensateur au sommet de la hiérarchie, il redistribue les biens, confère les signes de notabilité,… Les biens sont censés, sur le plan idéologique, venir du dessus. Ils créent dépendance qui justifient redevabilité de la base (tribut au souverain…), qui fait que les personnes sont les « obligés » de celles au-dessus d’elles. La traite se greffe sur ce système. Les Portugais créent un afflux massif de biens et cela passe par le roi (se retrouvant dépositaire et s’assurant de nouveaux droits sur des personnes, ce sont des biens de sujétion). Les Portugais demanderont des esclaves contre cette dette. Les produits circulant dans ce réseau sont composés à 50% de tissus ; dans cette économie, les biens de prestiges sont très importants car le paraître prime. Ces produits d’origine européenne/indienne permettent, tant qu’ils restent rares, d’établir une distinction sociale entre les gens, seuls les riches peuvent se payer ces tissus. Ces biens ont donc un pouvoir de distinction important par rapport aux biens locaux. 20% d’alcool (pour la bienséance : pour accueillir ses sujets, ses amis, c’es une obligation sociale), 10% d’armes à feu pas de la plus haute technologie car les Portugais gardent l’avantage, les personnes combattant à l’arme blanche restaient les plus importantes dans les armées africaines car les armes à feu étaient surtout un bien de prestige (tirer lors d’une naissance,…) et le moyen de développement de la chasse à l’éléphant. Dans un premier temps, il y a donc eu les biens matériels du Kongo vers le Portugal puis il y eut les esclaves. Pour le roi, au sommet, quand il n’y a plus de biens à offrir aux Portugais, chercha des prisonniers, des ennemis politiques puis il devra envoyer des gens à qui il n’a rien à reprocher. La perte des ‘obligés’ dont il se défait ainsi est largement compensée par les réseaux sociaux (et la redevabilité de ses sujets) qu’il crée avec les biens reçus des Portugais. 16 2.5.2 Processus d’extension de la traite Dans un premier temps, on prend les esclaves les plus proches, puis on mène des guerres d’agression contre ses voisins pour capturer des esclaves (Æ) processus de militarisation des seigneurs aux frontières, sorte d’émancipation sociale pour eux suivie petit à petit d’une émancipation commerciale (on ne passe plus par le roi). Le monopole royal de l’esclavage passe aux mains des seigneurs locaux. La traite se dirigera de plus en plus vers l’Est (Afrique centrale). Il y a alors des régions dévastées par les razzias pour se procurer des esclaves. Dans ces lieux, on voit apparaître des chefs/seigneurs de guerre pour protéger les populations, il se recrée un équilibre social, ainsi que des formes politiques et des systèmes technologiques pour se défendre. Ensuite, interviennent les Etats des princes marchands : ce sont des Etats puissants pouvant se défendre contre les raids mais qui eux-mêmes participent à la traite soit en lançant des raids plus à l’Est car ce n’est pas encore une région touchée par les raids ni pénétrée par les Portugais. Les produits de la traite ne sont pas encore arrivés, ils ont donc une grande valeur et il est facile de les échanger. Les Etats des princes marchands ont favorisé la traite à la fois en portant le commerce/les razzias vers l’Est et en institutionnalisant l’esclavage en interne (système juridique s’adapte : lorsqu’il y a des accusations les coupables peuvent être vendus comme esclaves). . Cette progression de la frontière continue jusqu’au milieu du 19ème siècle, puis à cette époque ils rentrent en contact avec la traite venant de l’océan Indien, la dynamique des mouvements est arrêtée. De plus il ya la pression des philosophes (des lumières), idée des droits de l’homme + pensée des économes libéraux selon qui, dès le début du 19ème siècle, l’esclavagisme est une forme économique archaïque. Il y a donc une condamnation morale et économico morale. Déclin : ex. : En Angola, en 1850 c’est la fin des exportations d’esclaves mais il reste une forme résiduelle d’esclavage jusqu’au début du 20ème siècle pour l’économie domestique sur les côtes (usage interne). 1830-1910 : Fin des grandes traites. 2.4.3 Les conséquences de la traite Dépeuplement ? Traite atlantique : entre 10 et 15 millions de victimes de la traite. Au départ du Sahara : entre 4 et 9 millions de personnes en 2000 ans. Au départ de l’océan Indien : 5 millions de personnes. Les victimes ont été nombreuses mais cela a eu lieu sur de longues années. Pas de diminution de la population de l’Afrique en termes absolus (pas de dépeuplement sinon local) mais bien termes relatifs : retard démographique. Ce changement démographique touche différemment les régions d’exportation de ces esclaves. Traite concernant le Sahara + côte orientale de l’Afrique : traite fournissant des eunuques, des soldats pour des tâches domestiques individuelles, pas des grandes communautés comme dans le Nouveau 17 Monde (effectifs plus important) dans les plantations ; économie domaniale, axée sur les grandes cultures, ont pu se reproduire et transmettre une identité. Création de diaspora (dispersion d’une communauté + son résultat). Transformation du monde africain : le système politique passe d’un système structuré à travers les relations liées à dons/prestations à une déstructuration pour une nouvelle forme d’Etat basée sur violence/esclavage. Représentations du monde, de l’univers,… : stress permanent. La traite sème le chaos, disloque les familles. On peut parler d’une attitude de parano justifiée. Au départ, on constate un bon accueil des étrangers vis-à-vis des blancs puis rumeurs sur les blancs, on dit des Portugais qu’ils sont cannibales (les esclaves se font manger, les os sont pour la poudre à canon, le sang serait le vin,…). Métaphoriquement ce n’est pas faux, leurs corps sont « marchandisés ». Ce stress sera relayé par d’autres formes de prédation des systèmes coloniaux. Durant la colonisation, il y aura une peur panique. L’exemple de la rumeur des Batumbula le montre. Dans les années 20 au Congo belge les Batumbula seraient une société secrète de blancs accompagnés de leurs complices africains faisant la chasse à l’homme. Ils attrapent leurs victimes, les cachent dans les sous-sols, les engraissent puis les mangent durant leur banquet (nouvel an, noël…). Mouvement se mettant en place sur le long terme. 2.6 Colonisation et décolonisation Début des années 1880, voir la carte politique de l’Afrique, colonisation sur les côtes (des Anglais, Français, Ottomans). Avant le congrès de Berlin, cela ne se passe que sur les côtes excepté pour l’Algérie et l’Afrique du Sud. En 15 ans il va y avoir une transformation radicale de cette colonisation : le sort de tout l’intérieur du continent est réglé. Cependant, contre l’idée d’une dichotomie absolue entre Afrique précoloniale et coloniale, la période coloniale n’est qu’une transformation de plus dans ce qui est engagé depuis des années. Ce n’est pas le point de départ de l’insertion de l’Afrique dans les réseaux mondiaux commerciaux : elle y était déjà avant. Quels sont les facteurs favorisant la colonisation ? Tout d’abord, il y a la croyance en la supériorité du monde européen, courant idéologique favorable à la colonisation. Devoir d’y aller, de « civiliser » le reste du monde, c’est le « fardeau de l’homme blanc ». De plus en 1880 : récession économique en Europe. Engouement impérialiste pour diriger les surplus vers les pays sous tutelle coloniale. Ces pays deviennent des enclaves commerciales. Ainsi que des innovations technologiques : On répand la quinine au 19ème siècle pouvant guérir de la malaria, il y a un raccourcissement des distances (télégraphes, bateaux,…), militaire (règle tout conflit à l’avantage des européens grâce aux fusils-mitrailleurs). Les acteurs sont des groupes de pression, sociétés savantes, les Eglises, les lobbies (extraction minière,…). 18 Conférence de Berlin (1884-1885) : On y parle commerce : on demande la liberté de commerce sur les grands fleuves pour ne pas être coincé par des frontières de futures colonies, accords commerciaux mais on ne divise pas l’Afrique à ce moment là. Les frontières se feront après ou avant, à travers accords bilatéraux entre grandes puissances. Ex. : frontières Mozambique entre Allemagne et Portugal,… A ce moment se met en place l’Etat Indépendant du Congo qui deviendra ensuite le Congo belge. Cet état indépendant du Congo est une fiction juridique créée par Léopold II, roi des Belges, afin d’avoir toutes les initiatives et ne pas être redevable à la Belgique, c’est son domaine personnel. Economie coloniale : Les états occidentaux ont dû s’allier avec de grands conglomérats marchands pour trouver des crédits pour les systèmes de transport, pour l’administration, … Ils s’associent à des compagnies à charte, elles reçoivent la responsabilité sur une région et avaient la charge de la gestion (installer l’administration, organiser le territoire) avec certains privilèges définis (produits miniers, coton,…). Ensuite, au 20ème siècle, les Etats coloniaux voudront l’ensemble des ces prérogatives. Ce rapport de force sera défavorable pour les populations locales : travaux obligatoires : un village devait fournir autant d’hommes travaillant autant d’heures par an + cultures obligatoires. L’économie de l’Afrique n’était pas assez centrée sur l’exportation (c’était une économie d’autosubsistance) et les Etats coloniaux vont imposer des cultures (acquises à bas pris par les compagnies de coton,…) après leur avoir appris à cultiver cela. On crée les conditions d’une dépendance avec des cultures axées sur l’économie capitaliste mondiale. De ce fait les villes se créent : fin 19ème, début 20ème siècle. A présent, mégalopoles de millions d’habitants (les 3 plus grosses sont Lagos, Johannesburg, Kinshasa). Ce sont des lieux d’innovation culturelle, lieu d’un brassage culturel, vecteur de formes modernes d’ethnicité, nouveaux modes familiaux, mouvements musicaux,…, nouvelle culture. Lieu où se réalise l’apparition d’une catégorie d’élite : ex au Congo : les « évolués ». Ce sont des Africains s’acculturant au mode de vie des occidentaux, c’est une catégorie emic, ils s’appellent comme ça eux-mêmes ; diplômés, imaginaire de la modernité.… Les Occidentaux y voient à la fois le résultat de leur « œuvre coloniale » mais ressentent aussi énormément de méfiance envers eux, craignant des formes de résistance. Pour les Africains c’est un nouvel idéal ; habits impeccables, chaussures cirées,… Double identification : par la population mais aussi catégorie administrative dans le Congo belge. On donnait des matricules à ces Africains méritants (droit de vote,…) pour cela on contrôlait leurs manières, comment ils mangeaient… Système politique : en rapport avec les autorités traditionnelles. Les systèmes coloniaux ont évolué entre indirect rule (gouvernance indirecte, conservait des droits aux chefs traditionnels) et direct rule (retirer les pouvoirs aux anciennes autorités pour les confier aux administrateurs coloniaux africains ou européens). Dans les deux cas, les chefs traditionnels ont perdu la plupart de leurs droits (il n’y a plus les tributs, plus les fondements (représentations) sacrés de leur autorité,…). De nouvelles figures représentant l’autorité apparaissent telles que les séminaristes, les évolués, les abbés,… 19 Il y a des mouvements d’insurrection (un roi luba a pris le maquis 9 ans) mais ces oppositions se règlent dans le sang ; des grèves ; des résistances religieuses (Eglises indépendantes africaines (cf. début du cours) ayant un discours anti colonialiste). Les deux principaux pays colonisateurs sont la France et la Grande Bretagne, ensuite il y a l’Allemagne, l’empire ottoman (perdront leurs colonies après la 1ère G.M.), le Portugal, la Belgique, l’Italie (perdra ses parts durant la 2ème G.M.) et l’Espagne. Décolonisation : La première guerre mondiale n’a pas de conséquence, on se partage juste les parts de l’Allemagne et de l’empire ottoman. Durant la deuxième guerre mondiale la grande perdante est l’Europe donc les puissances coloniales (France, Grande Bretagne ne sont plus des superpuissances), ça va être les Etats-Unis et l’URSS. Cette émancipation des populations africaines a lieu durant la guerre froide. Les Etats-Unis s’en sortent le mieux pour s’attirer les anciennes colonies africaines dans leur orbite politique. Vu la croissance éco de l’Europe (50-60), on n’imagine pas d’impact négatif de la décolonisation. Première pensée néo colonialiste : perte du lien politique n’entamera pas les bénéfices économiques. Années 50-60 : Les Africains sont passés par de grandes universités et peuvent donc mener la contestation selon les questions des droits de l’homme, droits politiques, liens avec d’autres grandes puissances ex : URSS. De plus, la lutte pour la libération était dans l’air du temps (les Indiens, guerre d’Indochine…) ancien monde colonial mis en cause. De plus, on sort de la seconde guerre mondiale, les certitudes d’autrefois sont ébranlées et certaines franges de la population européenne sont très défavorables à l’idée de mener la guerre contre les populations africaines sur la voie de l’indépendance : la colonisation est questionnée de l’intérieur. De fait, la décolonisation n’a, pour la plupart des pays africains (sauf dans les ex colonies de peuplement !), pas entraîné de conflit militaire important. La décolonisation comporte quatre phases : Période I : Afrique du Nord et corne de l’Afrique dans les années 50 sauf l’Algérie (1962). On se trouve devant d’anciens systèmes politiques d’origine arabe, ottoman qui ont une tradition étatique importante. Période II : L’Afrique sub-saharienne sera décolonisée entre 1957 et 66. 1960 est l’année-pic des indépendances. Congo belge devient République démocratique du Congo. Période III : Les derniers reliquats de la colonisation se libèrent. Ce sont les colonies portugaises : Angola, Mozambique, Guinée-Bissau, Sao Tome et Principe, Cap-Vert. Elles sont décolonisées au cours du processus de disparition du salazarisme (1974): régime dictatorial qui avait besoin des colonies pour son économie de type plutôt féodale. Période IV : Emancipation des états africains du Sud, décolonisation interne. Zimbabwe, Afrique du Sud, Namibie étaient toujours dominés par une minorité blanche. En 1994 : premières élections multiraciales et fin de l’apartheid en RSA. 20 2.7 Histoire et mémoire en Afrique du Sud Pays très important pour le futur (+ fort, point de vue économique, que tout le reste). 2.7.1 Histoire politique et sociale jusqu’en 1994 Premier témoignage date de la fin du 15ème siècle avec Vasco de Gama en phase d’exploration. . En 1497, il découvre le Cap de Bonne Espérance, ouvrant ainsi la route vers les Indes. 1652 : Premier établissement permanent de colons de Hollande au Cap. Compagnie hollandaise des Indes Orientales cherchant un nouveau comptoir. Implantation des Boers (paysans). Ils progressent à l’intérieur des terres : on les appelle les Afrikaners et ils sont en conflit avec les populations de l’intérieur. . La colonie du Cap va passer sous contrôle britannique début du 19ème siècle, cela se passe mal, les Afrikaners ont développé une langue (l’afrikaans) et sont calvinistes, ils se sentent investis d’un destin au sein de ces populations africaines. Or les Anglais imposent des réformes (fin de l’esclavage,…).Commence alors un processus : Le grand trek (caravane) : les Afrikaners pénètrent plus en profondeur à l’intérieur des terres dans des régions se révélant riches. Ils feront des « Républiques boers » où on trouve de l’or, des diamants. Cela va attirer des rivalités entre Anglais et Afrikaners (moins nombreux) : Guerre des Boers (les Afrikaners s’appelaient comme ça, cela signifie paysans). En 1902 : Fin de la guerre. Toute l’Afrique du Sud est britannique. Minorisation politique des Afrikaners mais ils vont revenir ! En 1910 : Statut de dominion (semi indépendance) : sud africains blancs peuvent choisir leur gouvernement. Les Afrikaners se regroupent dans le Parti National (des boers), ils composent la plus grande composante du peuple blanc. Ce parti est animé par un esprit de revanche teinté de mysticisme protestant calviniste à l’égard des Anglais. A la même époque, il y a l’apparition d’un mouvement d’opposition de la majorité noire (vexation liée à l’ordre raciste implanté + pour des questions de travail, d’accès aux terres,…). Les guerres mondiales ont été l’occasion pour les populations africaines de prendre des postes vacants,…Il y a donc une promotion professionnelle. Mise en place, à la fin de la guerre, de dispositifs pour contrer cela avec une série de mesures touchant le travail, l’accès aux terres (il existe même des mesures plus intimes ex : loi d’immortalité en 1927 : pas de rapports sexuels en dehors du mariage entre Européens et Africains. Autre ex : toilettes pour Africains d’autres pour Européens). Système débouchant en 1949 sur l’apartheid, devenu idéologie nationale reconnue (les bases étaient déjà connues avant mais à cette date c’est proclamé). L'apartheid peut être considéré comme une sanctification de la différence culturelle. Il y a un ordre hiérarchisé ; les Afrikaners, au sommet, commandent l’ensemble de l’Afrique du Sud et considèrent que chaque peuple à son génie. Interdiction des mariages mixtes. On a reconnu un droit territorial pour les populations africaines (les 21 Bantoustans) sur lesquels ils devaient arriver un jour à se développer en Etat nation – mais c’était de simples « réserves de main d’œuvre », on expulsait là-bas le surplus de main d’œuvre et on allait en chercher quand on en avait besoin. Autonomie accordée à certains de ces Bantoustans, pas reconnue par la communauté internationale... Il y aura des résistances de la part de la frange libérale des blancs (peu nombreux) et de l’ANC (African National Congress, pas que composé de populations africaines) qui organisera modes de désobéissance civile. Il y a d’abord des appels aux grèves ensuite des actions militaires. Nelson MANDELA entrera dans cette résistance armée et sera en 1962 emprisonné à vie. La lutte contre l’apartheid jouit de soutiens de la communauté internationale mais la guerre froide fait que le régime de la RSA sera soutenu quand même comme rempart contre le communisme. Dans les années 70, les régime s’essouffle (à cause des boycotts…), problèmes au niveau de la violence. La seule légitimité que pouvait encore avoir l'Afrique du Sud résidait dans le fait qu'elle ne rejoignait pas le camp communiste. A la chute du mur de Berlin, elle perd toute sa légitimité, son seul rempart (menace rouge sur le continent) s'écroule. Alors processus (1989) de disparition de l’apartheid avec la présidence d’un Afrikaner (DE KLERK). Il fait libérer Mandela (1990) et organise le démantèlement des principes de l’apartheid. En 1994 : premières élections multiraciales : Mandela sera le président et De Klerk sera son premier ministre. 2.7.2 Mémoire et écriture de l’histoire Comment vivre ensemble ? Les nouveaux hommes politiques auront une bonne capacité à réintégrer grâce à des mesures politiques, économiques…Mais ils ont aussi veillé à donner de nouvelles attaches dans un passé « recomposé ». 1990 et 1994 : deux piliers idéologiques de la nouvelle Afrique. 1990 : Mandela était une personnalité charismatique, messianique, et en sortant de 27 ans d’emprisonnement il n’avait pas d’esprit de vengeance. On le voyait comme un « vieux sage », comme l’ « homme providentiel » afin de sortir en douceur de l’apartheid. La mise à l’écart de Mandela fera craindre aux Européens,… 1994 : Elections : image diffusée par les médias des files d’électeurs relevant de toute les origines ethniques, raciales Æ Diversité, nation « arc-en-ciel » (image biblique aussi, espoir après l’orage). [Par la suite : phase d’hyper violence car Africains parqués dans certains endroits en villes, chômeurs}. L’ethnicité est mise en avant dans les événements sportifs (équipe nationale multiraciale gagne coupe mondiale de rugby,…). Hymne national dans les différentes langues du pays… Comment gérer le passé de l’apartheid ? Dans la seconde moitié des années 90, mise sur pied de la TRC (Truth and Reconciliation Commission) : séances diffusées sur l’ensemble de la République. Tout le monde peut témoigner (victimes de l’apartheid ou tortionnaires) avec l’idée que les gens du côté des tortionnaires bénéficient 22 d’une exonération de leur peine s’ils témoignent. On peut penser : sorte d’économie chrétienne du pardon. Se met en place un mécanisme pour « recycler » des épisodes plus anciens (19ème siècle) pour réconcilier les différentes communautés. On prend une qualité abstraite de moments passés, ex : le grand trek est repris par le nouveau régime : on dit que les pionniers sont à la recherche d’un monde meilleur mais on passe sous silence les tensions raciales. Autre ex : guerres des Boers (Britanniques contre Afrikaners) met en avant l’image du petit victime du grand (numériquement,…) or les premiers camps de concentration se font à ce moment là pour les Afrikaners et Africains alliés avec eux. On essaie de montrer l’homologie de destin entre les Boers durant cette guerre et les Africains durant l’apartheid, on renomme ces guerres (avant : Anglo-Boer wars, maintenant : Anglo-Boer South African wars). On essaie de monter le traumatisme générique à l’ensemble de la population et seulement aux Anglais-Boers. On met en avant le passé séculaire de l'Afrique: mariage traditionnel de Mandela, rites d’investiture traditionnels dans son village après qu’il soit devenu président. On met en avant références aux Boschiman et Hottentot (les premières populations ayant vécu en Afrique du Sud). Les Boschimans sont des chasseurs tandis que les Hottentot sont pasteurs. Ils ont quasi disparu de la République mais le nouveau régime les remet en avant (nouvelles armoiries, blasons avec gravue bochimane,….). Pourquoi se focaliser sur eux ? Peut-être parce qu’ils ne sont plus là, plus facile de parler des personnes absentes ! Chacun peut donner un sens, s’y retrouver,… Il s'agit de ce que l'on appelle un "signifiant flottant". L’Afrique du Sud a bien réussi à repenser son passé (ce n’est pas le paradis pour autant), on n’efface pas son passé (comme au Congo ou on change les noms de rue dès qu’un président change ex : avenue Kabila remplace avenue Mobutu,…). Un travail se fait pour essayer de vivre ensemble. 23 Chapitre III. L’ethnicité 3.1 Le fantasme de l’Afrique ethnique On pense l’Afrique comme un continent tribal, on y voit différentes ethnies, tribus – relevant de l’anthropologie, alors que les « sociétés » relèveraient de l’histoire et de la socio. Selon les diverses définitions du terme "ethnie" que l'on peut rencontrer dans les dictionnaires, l'idée d'ethnie est souvent associée à l'aspect primitif, rural et communautaire dans une perspective qui tend, sinon au dénigrement, du moins au rabais. On donne la définition selon laquelle dans une ethnie on a une culture, un territoire, une histoire, une race, une religion, la structure familiale…en commun. Au départ le concept d'ethnie est peu questionné par les anthropologues, il n'y a pas vraiment de remise en question de ce thème. La colonisation, comme on le sait, reste une grande productrice de clichés. Recensement par ethnies dans les régimes coloniaux pour avoir un état des lieux,… La manière dont on pratiquait l’anthropologie auparavant pouvait valider ce « grand partage ». L'essentiel des publications consiste en des monographies dans une volonté d'avoir une vision panoptique sur l'ensemble d'un territoire. L'anthropologue passe son temps à étudier les formes les plus spécifiques d'une société. Par ses monographies, il devient le porte-parole d'une ethnie devant la science. En focalisant sur les aspects spécifiques d'un groupe humain et en appliquant les conclusions sur l'ensemble d'un territoire jugé homogène ethniquement : généralisation abusive. Le portrait que l'on peut tirer via l'étude d'un groupe ethnique ne s'applique pas forcément à l'ensemble des individus vivant sur le territoire étudié. Certaines caractéristiques d'un groupe étant appliquées à l'ensemble du groupe, on risque très vite de voir disparaître les spécificités qui apparaissent lors du contact avec d'autres groupes vivant dans des régions limitrophes. Associer le concept d'ethnie à la culture reste donc discutable. L'ethnie était vue comme stable, isolée et homogène, ce postulat n’était pas questionné. On ne mettait pas en avant les dynamiques, les contacts, les phénomènes de modernisation,… Une ethnie était une culture formant un système en équilibre interne, potentiellement mis en danger par l’extérieur (on voit ça encore récemment ex : que sais-je 1992 sur les ethnies). Idée que les frontières ethniques, culturelles, politiques, sociales se recoupaient, délimitant des fragments homogènes d’humanité : les ethnies. Or, il est patent que les normes culturelles ne recoupent jamais exactement les frontières des appelations ethniques. Aspect contextuel des identités (groupe se faisant appeler différemment selon contexte). EthnonymeÆ chevauchement, se revendiquent de différents groupes à la fois. Une ethnie = une culture, ne tient pas debout. Ex : Luba du Katanga du Nord : à l’Est matrilinéaire et à l’ouest patrilinéaire. Avec des critères culturels, on ne peut reconstruire ces cartes ethniques. 24 3.2 Benedict Anderson et l’imaginaire national Anderson est un politologue américain, étudie l’idée de nation. Depuis le 19e siècle, le concept "nation" est projeté sur le continent africain. La nation est un concept moderne qui renvoie dans l’imaginaire à un passé lointain. Or le nationalisme a deux siècles tout au plus. La nation est de fait une entité historiquement contingente, non le fruit d’une essence transhistorique. Mais les politiques nationalistes ont cherché des continuités. Grèce conçoit ses racines dans la Grèce antique classique en mettant en parenthèse quand ils sont occupés,… Construction rétrospective du passé = nation, trouver une espèce d’essence. Avant, selon Anderson, on s’identifiait aux niveaux locaux (enterrés dans son village natal), on faisait appel à des identités locales, référence par rapport au monde proche. OU identités politiques sous forme d’empire dynastique (Empire de Charles-Quint). OU identité religieuse peut dépasser de loin l'idée d'une "nation". Le prise de consistance de l’idée de nation tient à deux éléments selon Anderson : le capitalisme de l’imprimé : standardiser les langues pour en faire des langues nationales (facilite l’appartenance à une communauté linguistique par exemple). Diffusion de doc écrits crée une communauté imaginée de lecteurs. Itinéraire des fonctionnaires d’Etat : identité à travers référence territoriale. Peut être est-ce à l’origine de l’ethnie. On projette des identités simples (on est français ou on ne l’est pas). Il y a un besoin colonial de classer, de recenser, de créer des groupes. Il y a une volonté de collectivisation des groupes ethniques. Il y a une projection d’un mode de pensée européen du 19ième siècle, qui rêvait d’avoir de tels groupes ethniques. L’ordre colonial a ainsi durci les identités. Cela a abouti à la création de groupes ethniques parfois ; dont un exemple est celui des Bété de Côte d’Ivoire. 3.3 Etude de cas : les Bété de Côte d’Ivoire (Dozon) !!Attention aux noms des ethnies pour l’examen !! Les Bété se trouvent au Sud Ouest de la Côte d’Ivoire. DOZON : à la fin du 19ème siècle personne ne se réclamait Bété (le mot existait peut-être mais personne ne se serait identifié comme cela). Ethnonyme Bété est arrivé pendant la colonisation. Colonisée tardivement par la France, en 1910 la région dite des Bété était une série de petits villages vivant principalement de la chasse, souvent en guerre, et qui n'offraient pas l'image d'une communauté culturelle unie. Pas de ferment culturel en commun. C’est un ethnonyme vide de sens. Comment alors en 1985, 300 000 personnes se disent Bété ? Les Français en arrivant pacifient les Bété (par la guerre !) et créent des cercles administratifs, les Bété auront un nom. Trois grosses agglomérations du pays Bété sont reliés par des routes et on force ceux en dehors de venir s’établir sur les routes (facilités pour taxation,…). 25 L’identité Bété ne se crée pas à ce moment. Première appropriation de cette appellation dans le courant des années 1910 en dehors du pays. Il y a un recrutement lors de la première guerre,… beaucoup de jeunes fuient la conscription en se déplaçant vers le Sud Est (surtout à Abidjan). Les Bété sont les derniers à arriver sur le marché de l’emploi, et n’ont donc pas eu le long contact avec les autorités coloniales ni de qualifications. Ils deviendront d’abord le petit prolétariat, les (les petites mains= les Bété). C’est donc dans un contexte économique et colonial et lorsqu’ils sont en dehors de leur région que l’identité se crée. Le territoire économique que les Français voulaient construire se développe en 1925 mais ils ne peuvent fournir assez de main d’œuvre donc migration du reste de la Côte d’Ivoire + Afrique occidentale coloniale. Les rapports avec les agriculteurs Bété seront bons, ils sont même disposés à leur fournir des terres, et suivront deux-trois décennies pacifiques. Années 50 : on assiste à un boom économique au niveau de la production agricole. Intensification de la migration + immigration de BAULE (se prononce Baoulé) ; agriculteurs axés sur les plantations, connaissant les mécanismes du commerce international, ils ont un rapport très différent avec les Bété. Ils ne vont pas chercher à rentrer dans la relation patron/ouvrier agricole qui caractérisait la première vague des migrations. Ils veulent acheter les terres et souvent les Français leur accorderont raison. Baule veulent maximiser et sont en conflits fonciers avec les Bété. Via ces conflits fonciers, ils vont détourner la main d'œuvre des Bété: les anciens ouvriers entrent dans le camp des Baule. 1950 : Les Bété sont aussi dans les villes (1980 : quasi la moitié des Bété sont urbains), ils changent donc de statut (universitaires, hommes politiques,…), vont se voir dans les associations d’Originaires pour favoriser l’immigration de gens du même terroir. De plus, ils veulent devenir les porte-parole des Bété se trouvant dans les campagnes, représentants officiels et dénonceront l’accaparement des terres par les Baule. Les villes ont un rôle déterminant pour l’affirmation des identités. Ils entament un discours sur l’autochtonie ; droits différenciés doivent se faire. Les Bété veulent défendre leur droit, luttent pour l’autochtonie ils font penser à des « rebelles », des « empêcheurs de tourner en rond ». Ils déclareront d’ailleurs une sécession et établiront une république pendant quelques jours. Affrontement majeur lors indépendance en 1960 entre un Bété (pour les paysans) et un Baule (Houphouët-Boigny) ce dernier deviendra président : programme pour « bourgeoisie » de grands planteurs. La cristallisation de l’identité Bété commence donc à la période coloniale et se fera dans les villes. A terme, victoire des Bété par la présidence de GBAGBO (président Bété). Processus enclenché dans le cadre de l’économie coloniale (dvlp d’une région agricole,…). On parle de problèmes ethniques maintenant pour parler de cette période or c’est un processus économique, politique, identitaire et non une résurgence d’ancienne identité. 26 3.4 Jean-Loup Amselle et les chaînes de société Du côté francophone, Amselle a été un grand pourfendeur du concept d’ethnicité. Cf le cas des Bété, repris dans son ouvrage « Au cœur de l’ethnie » (1985). Cf aussi l'exemple des Mongo, qui occupent la région Nord-Ouest de la République Démocratique du Congo. Le terme "Mongo", qui signifie "haute terre" ou "non riverain" ne trouve aucune source étymologique dans la langue des Mongo. Il s'agit donc d'un exo-ethnonyme, qui trouve son origine chez les riverains du fleuve Congo (guides des explorateurs) qui l'utilisaient pour désigner ceux qui occupaient les hautes terres. Le Père Hulstaert développe une importante mission au Congo. Il y met sur pied un centre de recherches ethnographiques et linguistiques, et restera 50 ans sur place. Il entreprend la traduction de la Bible et pour ce faire, il lui est nécessaire de définir une langue de référence, qui deviendra le mongo « standard » et qui participera à la création de l'identité mongo. Les élites mongo, les "évolués" de Kinshasa (alors Léopoldville), reprennent cet imaginaire identitaire et s'approprient le programme culturel du Père Hulstaert, rédigent poésie mongo et développent un programme politique mongo, ce qui, peu à peu, substantialise ce programme culturel. On assiste ainsi à une "ethnogenèse" artificielle qui s'endogénise et devient interne au groupe désigné. Amselle dénonce la vision substantialiste de l’ethnie, fortement véhiculée par les médias (guerre « tribale », etc.). Bien que l'ethnie semble naturelle, elle est principalement le fruit d'une construction. Une fois "endogénisé" le nom de l'ethnie acquiert un pouvoir cognitif perçu comme tout à fait naturel. Le concept d'ethnie est également repris par les hommes politiques car il représente une source de pouvoir. Il est en effet possible de mobiliser le sentiment d'appartenance ethnique afin de pouvoir désigner un ennemi. Exemple, au Rwanda et au Burundi, des Tutsi et des Hutu. Confrontés aux deux appellations dont les frontières n'étaient pas nettes (des transferts de l'une à l'autre étaient notamment possibles), les Belges cherchent à baliser: ils s'appuieront tantôt sur l'aristocratie locale (tutsi), tantôt sur les autres (Hutu). Les formes dichotomiques existantes sont le fruit (notamment) de la gestion coloniale et postcoloniale. La situation était flottante avant, elle devient plus rigide après, ce qui concourra au génocide. Il existait déjà des identités en opposition mais la rigidité de la frontière n'a pas facilité les choses. La forme de cette dichotomie est aussi le résultat de la littérature sur les origines de ces deux ethnies. Le colonisateur opère donc un découpage linguistique suivi d'un endogénisation du nom de l'ethnie. Amselle propose des substituts à l'ethnie. Qu'est-ce qui met les groupes en réseau? Il manifeste son intérêt pour les relations entre les groupes (mariages, liens économiques, etc.); c'est-à-dire l'inter plutôt que l'intra. Il distingue 4 types d'espace qui constituaient des « chaînes de sociétés » avant la colonisation: 8 Les espaces d'échange. Les réseaux commerciaux s'étendent sur des milliers de km où s'échange une multitude de productions locales. Ex: Au Sud-est du Congo, il y a des réseaux commerciaux de sel – produit de nécessité- dans la période précoloniale. Provenant des marais 27 salants. Ce commerce impliquait une spécialisation du travail avec des spécialistes locaux et avait parfois la forme d’un commerce triangulaire: le sel s'échange contre le cuivre; le cuivre contre des tissus... Des entrepreneurs commerciaux se déplaçaient sur des centaines de km. 8 Les espaces étatiques, politiques et guerriers. De grandes constructions étatiques ont vu le jour avant l'arrivée des colons et de l'Islam: le Royaume de Ghana, Axum, la civilisation swahili, etc. Plutôt que de reprendre la distinction classique (et implicitement évolutionniste) des sociétés avec et sans état, Amselle propose de distinguer sociétés englobantes et englobées. Les sociétés englobantes ont un plus grand pouvoir de détermination de l'espace et un rôle économique/politique actif. Elles imposent des frontières, délimitent un espace commercial et/ou social. Les sociétés qui dépendent de ces pouvoirs sont les "sociétés englobées". Elles occupent des espaces périphériques et subissent la pression (razzias esclavagistes) des grands Etats qui les empêchent de se développer et les forcent à occuper une sorte de niche écologique. Pour Amselle, les sociétés englobées ont acquis des caractéristiques (organisation lignagère segmentaire…) imposées par leur ‘minorisation’ par les sociétés englobantes, et ne seraient donc pas ‘incapables’ de développement politique ou autre. Æ C’est une optique nous pousse à comprendre les deux types dans les liens qui les unissent comme un ensemble. La colonisation a transformé cette situation, parfois au profit des sociétés englobées puisque leurs liens de sujétions ont été cassés. 8 Les espaces linguistiques. Il s'agit d'un réseau d'échange oral, plus rarement écrit. Parfois, il peut y avoir corrélation entre espace politique et espace linguistique. Certaines langues émanant des chefferies, donc étendues sur un espace politique, vont se répandre sur un territoire plus vaste. On peut constater ce phénomène en observant la diffusion des langues des sociétés englobantes en parallèle avec leur conquête territoriale. L'espace linguistique est aussi le fait des réseaux commerciaux. C'est ainsi que se développe le swahili jusqu'à son extension actuelle (Afrique orientale, Kenya, Zimbabwe, Ouganda). La sphère commerciale correspond à la sphère d'extension du swahili même si la colonisation l'a aussi favorisée. Cependant, on ne peut pas se servir de cartes ethnographiques pour déterminer un espace linguistique commun. Le Kiluba, par exemple, n'est pas parlé de la même manière dans tout le Katanga. De plus, on est très mal renseigné sur les langues unificatrices qui existaient avant la colonisation. Il y a parfois confusion entre carte ethnique et extension linguistique. 28 8 Les espaces culturels et religieux. Au sein d'un groupe, les pratiques culturelles, cultuelles ou rituelles peuvent varier. Ex: Mukanda : rituel de circoncision répandu en Afrique centrale de l’ouest. Il est sorti des frontières ethniques, territoriales. C’est la diffusion des idées. Un groupe n'est pas cantonné dans une attitude absolue par rapport à ses pratiques (liens par communications, mariages, etc.). Ainsi, Amselle déconstruit la notion même d'ethnicité. On ne peut pas projeter vers un passé lointain des identités contemporaines. Les chaines de société témoignent de la primauté des liens plutôt que des ruptures. Les individus, dans la période précoloniale, avaient accès à de nombreux rôles qu’ils choisissaient selon le contexte : c’est autant d’identité à revendiquer selon le contexte. (On commerce avec tel groupe, on se marie avec un autre groupe…). Les espaces sociaux sont larges. L’Afrique est constituée de réseaux multiples, il y a une pluralité d’espaces entre les gens avec des idées multiples et donc pas une ethnie. 3.5. Barth et les ethnies comme catégorie d'attribution. Fr. BARTH, Ethnic Groups Boundaries. The Social Organization of Cultural Difference, 1969. Pour Barth, la différence culturelle est organisée socialement. Avant et contrairement à Amselle, Barth cherche à redéfinir la notion d'ethnie. Son point de vue se place dans une perspective interactionniste. Pour lui, l'ethnie apparaît dans le cadre de contacts, grâce aux interactions. Il est impossible de pouvoir penser l'ethnie sans prendre en considération le contact avec l'Autre. Le "nous" ne peut se créer que par rapport à un "eux". C'est par les interactions qu'apparaît la création d'un "nous" et d'un "eux" (Ex : les Bete ont été renforcé par leur contacts avec les Baule). Il n'y a donc pas cette idée d'enfermement de l'ethnie, comme le proposaient les définitions précédentes. L'ethnie est, pour lui, une catégorie d’attribution. Il s'agit d'assignations mutuelles d’identités entre groupes. L'ethnicité n'est pas référée a priori par rapport à des cadres culturels. L'ethnie est une réalité discursive qui se manifeste à travers l’élaboration de frontières ethniques (sociales, plutôt que physiques). La frontière sociale est le lieu où se passe l'assignation mutuelle, où se désigne l'appartenance à un groupe. Avant, on abordait l’ethnicité en considérant un groupe A à travers ses caractéristiques. Barth, lui, ne comprend le groupe A que par rapport à un groupe B. Cette vision est plus réaliste dans le sens où même si le contenu culturel évolue, on pourra toujours observer l’expression de différences ethniques entre les groupes. L'ethnie n'est donc pas déterminée par le contenu culturel de chaque groupe, mais par les différences manifestées entre les groupes. Avant, le contenu culturel spécifique du groupe déterminait l'ethnie du groupe; ce qui aurait abouti à reconnaître la disparition virtuelle de l’ethnie si certaines de ses caractéristiques évoluaient ou disparaissaient. 29 3.6. Ethnicité, modernité et urbanisation. La question de l'ethnicité connaît aujourd'hui une importance grandissante. Auparavant, on considérait l'ethnie dans une forme d'isolement d'un groupe dont on observait les spécificités. Pour Barth, la notion d'ethnicité (universelle, valable à travers époques) se renforce dans la période (post)coloniale, à travers les migrations, l'urbanisation et les regroupements administratifs c'est-à-dire grâce à l'augmentation des occasions de contacts. Néanmoins, l'ethnicité n' pas besoin de la colonisation pour exister (contrairement aux assertions d’Amselle qui y voyait essentiellement un produit de la colonisation). On assiste à une convergence au niveau culturel (tout le monde connaît Coca-Cola, le football, etc.) et dans un même temps, il y a une exacerbation des sentiments identitaires au point de vue ethnique. La ville est un espace de création ethnique, où l'affirmation de l'identitaire est très marquée. C'est le lieu des contacts et, comme vu précédemment, l'ethnie se manifeste non pas en référence à sa culture spécifique, mais par le contact avec d'autres modes de fonctionnement (cf. les Bété à Abidjan: constitués en catégorie spécifique déterminée par une division du travail). Ethnicité dans les milieux ruraux subit transformations quand implantée dans les zones urbaines. L'exode rural montre que les identités ethniques ont tendance à se constituer en identités plus larges comme on a pu le constater avec les italiens immigrés arrivés en Belgique (ils ne revendiquent plus napolitains ou milanais, mais comme italiens). Etude de cas: les Luba du Kasaï Les Luba du Kasaï occupent le centre du Congo. Malheureusement, ils se trouvaient sur la ligne de rencontre entre l'esclavagisme de l'océan Indien et de l'océan Atlantique. Entre 1870 et 1890, l'avancée de l'esclavage dissout les structures politiques existantes. Les Luba du Kasaï se dirigent vers les postes avancés de la colonisation afin de d'échapper aux razzias esclavagistes. Ils sont sous tutelle des Belges. Paradoxalement, cette situation leur sera favorable car ils seront les premiers à bénéficier de la culture occidentale (christianisme, alphabétisation) et seront donc favorisés par le système colonial. Ils deviennent clercs, ouvriers de chemins de fer et l'appréciation que l'on a d'eux est positive. Ils ne se qualifiaient pas eux-mêmes de Luba. C'est le regroupement et l'urbanisation qui va faire apparaître l'utilisation de « Luba de Kasaï » pour les désigner. Cette identité prend donc consistance peu à peu. Ils seront chassés, à la fin de la période coloniale et durant années 1990, d’une série de régions où ils s’étaient implantés. 30 3.7. Dynamisme historique et statut hiérarchique des identités ethniques L'ethnie semble avoir cette capacité de pouvoir apparaître ou disparaître: en Europe, aujourd'hui, plus personne ne se revendique Wisigoth ou Ostrogoth, sans qu’il y ait eu élimination physique. Les identités sont dynamiques, elles évoluent, ne sont pas fixes. Certains découpages ethniques ne sont pas porteurs de sens par la suite; d'autres identités viennent en remplacement. Les contenus culturels peuvent se transmettre mais ce n’est pas toujours le cas des appellations ethniques. L’ethnicité ne se comprend que par rapport à une histoire. Le cas de l'identité Swahili Le terme générique de Swahili est une appellation destinée à désigner les populations de la côte orientale de l'Afrique. Ces populations ne se définissent pas comme telles au départ. De plus, "swahili" est un terme simplificateur de la réalité existante en ce qui concerne les populations visées. Il s'agit terme utilisé de façon commode pour désigner un énorme ensemble civilisationnel. D'après les sources des voyageurs (au 19ème siècle), il y avait trois groupes distincts: • Les Arabes: autorité politique venant notamment du sultanat d'Oman, groupe lié à la noblesse commerçante. • Les Hadimu: les autochtones • Les Swahili: les esclaves et descendants d'esclaves. Ils constituent la couche sociale décriée et très mal vue (stéréotypes). Ils ne sont pas appréciés par les autres Africains et ils sont à la base de l’échelle sociale, en dehors de tout système. Coupés de la traditions africaine, ils travailleront au service des puissances coloniales, seront alphabétisés et occidentalisés, et seront donc des supports de l’ordre colonial. Cela a renforcé le sentiment de dégoût qu’ils inspiraient aux autres couches de la population. C’est une identité auquel beaucoup ont voulu se désaffilier. Vu le rejet qu'inspirent les Swahili, ils vont changer de nom et se rebaptiser "Arabes". On voit donc, à Zanzibar, le nombre d'individus se désignant comme "Swahili" chuter de près de 99% (34.000 individus à 290) de 1924 à 1948. Le système administratif permet ce changement d'appartenance identitaire : il faut juste se trouver un ancêtre arabe ou être musulman. Les Arabes, eux, en réaction à cette nouvelle identité usurpée par les Swahili, vont se rebaptiser "Waarabu safi", les Arabes purs, par opposition aux Arabes Swahili. A la fin de la colonisation, le terme Swahili servira d'exo-ethnonyme pour désigner les populations non autochtones, notamment dans le cadre de petites villes nouvelles. Vers 1950-1960, les couches de la population urbaine sont au premier rang de la lutte contre la colonisation. Nouvelle idéologie favorisant la « modernité », la citoyenneté dans esprit de clocher… 31 Les Swahilis sont alors considérés comme la couche civilisée et européanisée par rapport aux ruraux. Le terme swahili se repopularise et on se ré-affilie à cette identité moderne. Nyerere, homme d'Etat tanzanien socialiste, lutte contre le tribalisme et considère qu'il faut parler swahili. Être Swahili, c'est appartenir à la ville, par rapport aux gens de la brousse. D'un stigmate dépréciatif, le terme "Swahili" en arrive à devenir un galon de qualité. La catégorisation ethnique est fondamentalement liée à un système d'évaluation basé sur un classement positif ou négatif: citadins vs. ruraux; chic vs. fruste; confrontation de systèmes économiques différents (les Pygmées sont rabaissés par les agriculteurs selon une évaluation morale). Cette évaluation morale est parfaitement illustrée par le regard porté sur les Lamba, un groupe qui occupe la région cuprifère à cheval sur le Congo et la Zambie. Ce groupe a été victime de sa position géographique. Cette population a été stigmatisée: les Lamba sont fainéants, peureux, alcooliques, les femmes se prostituent, etc. Ils vivent dans une zone rurale, mais à proximité des centres urbains. Les immigrés qui travaillent dans les villes (ceux de l'ex Nyassaland, le Malawi actuel) les critiquent et les dénigrent car ils ne sont pas axés sur la « modernité ». Ainsi dévalorisés, les Lamba voient leurs terres spoliées par les exploitants de cuivre, ils sont écartés, et les termes des échanges leur sont défavorables. Cette stigmatisation est avalisée par les coloniaux. Du côté des Lamba, ils considèrent les citadins comme vantards. Cependant, le stigmate "Lamba" est intégré par la population même: si quelque chose ne va pas, c'est tout simplement dû au fait qu'on est Lamba! Actuellement, depuis que les économies urbaines vont mal, les Lamba regardent avec ironie les citadins qui se moquaient d’eux. 3.8. Ethnie et culture Dès lors que l’ethnie ne peut pas se définir par un contenu culturel, quel est le lien entre ethnie et culture ? Barth : les identités ethniques se manifestent à travers des indices culturels. Ces indices permettent la différenciation. A travers les objets, par exemple, on crée une identité distincte par rapport à un autre groupe. De manière générale, tout peut servir à marquer les frontières ethniques (vêtement, religion…). A côté des aspects les plus visibles : les critères de moralité et d'excellence (modes de comportements assignés à un groupe). Ainsi, les Luba du Kasaï sont jugés intelligents, népotistes, rusés et malins… et sont supposés se comporter comme tels. Un des indices peut être le vêtement. Les Kalabari, qui occupent une région très peuplée du Sud-Est du Nigeria, sont très soucieux et conscients des détails apportés à leur tenue vestimentaire. Les différences peuvent se marquer par de simples détails comme le nombre de boutons. Ils ont 5 types de vêtement selon leur statut et ils ont empruntés des éléments (chapeau…) aux tenues occidentales. En effet, Calabar était un port de départ de la traite esclavagiste et beaucoup de tissus, de chapeaux y transitaient. Ils ont repris ces éléments, réapproprié de manière sélective. Un Kalabari sur 32 quatre porte cette tenue en semaine; un sur deux lors des événements rituels. Il s'agit d'hommes principalement. En fait, tout Kalabari qui se respecte porte cette tenue "folklorique". On peut introduire ici le concept qui, selon Goffman, marque la surcommunication, c'est-à-dire la recherche explicite à témoigner de l'appartenance à un groupe. Par opposition, la sous-communication consiste à dissimuler l'élément indiciel qui pourrait laisser penser qu'une personne appartient à un groupe (cas de peuples stigmatisés. Les Lapons, par exemple, n'utilisent leur langue que dans le cadre de la maisonnée). D'autre part, certaines familles ont acquis un droit sur l'avoir de signes distinctifs. Certains critères moraux marquent et définissent le comportement typique. Etude de Barth sur les Pathan (Pachtounes) d’Afghanistan : code de l'honneur définissant l’identité ethnique. La culture intervient donc à titre d’indice pour l’établissement des frontières. Mais ceci peut s’appliquer aux classes sociales, aux groupes religieux… tous grands utilisateurs d’indices culturels pour maquer l’appartenance. Quelle est donc la spécificité de l’identité ethnique parmi les autres ? 3.9. Ethnie et histoire Il semblerait que l'ethnie puisse plus spécifiquement se définir en fonction de la manière dont on conçoit les origines, sorte d'obsession du passé. Weber considère que l'ethnie est le partage de l'idée d'une ascendance commune. Jenkins cherche à renverser le sens communément admis. Dans Rethinking Ethnicity, il considère que croire que l'on a un ancêtre commun est une conséquence (et non une cause) d’un destin politique partagé ou du fait de vivre ensemble. La croyance en une ascendance commune est une construction rétrospective; c'est-à-dire que l'identité commune n'existe pas avant de vivre ensemble mais le fait de vivre ensemble nous amène à nous projeter dans un passé et à construire une identité commune. L'ethnie semble alors être une espèce « naturelle », une forme d'identification essentielle dans l'esprit des gens, une idée d'être de la même descendance, de la même famille. Une identité dont on a l’impression qu’elle ne peut pas changer pour un individu donné. Cependant, dans les faits, il est fréquent qu'un individu puisse changer d'affiliation ethnique. Barth a lui-même n’a pas soulevé cette question du rapport à l’histoire, car, dans une perspective de construction sociale des identités il cherchait précisément à combattre tout essentialisme. Mais de fait, si le passé historique commun de l’ethnie est objectivement un leurre, les membres de l’ethnie se représentent le passé comme partagé. 3.10. Les ethnicités transnationalisées Cette approche de la problématique de l'ethnie prend place dans le contexte des espaces de communication et de la diaspora. Les nouvelles formes de communication permettent d’envisager l’ethnicité dans les réseaux internationaux. Ex: Les Yorubas, qui occupent une région étendue à travers le Nigeria, le Bénin et le Togo. A l’origine, l’ethnonyme s’applique aux habitants d'une petite cité état, Oyo, en pays Yoruba (le Nigeria 33 n'était pas encore colonisé à l'époque). Leur identité se développe principalement dans la première moitié du 19e siècle. Après un interdit sur la traite des esclaves en 1817, les Britanniques vont détourner les victimes des négriers vers une autre colonie, le Sierra Leone : regroupés à Freetown, on leur permet le droit d'association. Eduqués, convertis au Christianisme, ils deviendront une sorte d'élite dans les colonies. En 1860, Lagos devient l'avant-poste de la colonisation britannique du futur Nigeria. C'est à ce moment que les Britanniques font appel aux « Yoruba » du Sierra Leone, afin de leur conférer des charges administratives. Se met en place un phénomène d'osmose, d'adaptation mutuelle et de transmission de l'identité Yoruba développée au Sierra Leone, avec les populations restées au Nigeria. Le Yoruba devient une langue standard grâce à la traduction de la Bible et à sa diffusion. D'une certaine manière, l'identification Yoruba se fera via la référence biblique. Les Yoruba constitueront un avant-poste de la christianisation, et éditeront des monographies ethnographiques et historiques de leur groupe, constitueront premières sociétés savantes africaines. Blyden y sera invité en tant que conférencier. En fait, les Yorubas plaident pour une retraditionnalisation de leur culture. Entre le 19e et le 20e siècle, ils joueront un rôle important dans la colonisation du centre du pays Yoruba. Ils apportent leur aide car ils souhaitent réunifier le pays et mettre fin aux guerres fratricides entre les différents royaumes yoruba. Ils deviennent ainsi le relais de l'administration centrale dans cette région du monde. On retrouve l'identité Yoruba aux Etats-Unis où la diaspora des Yorubas monopolise la sphère intellectuelle Afro-américaine. Ils se portent comme porte-parole de l'Afrique noire. Pourquoi? Au Brésil, terre de prédilection des traites négrières, les populations d'origine africaine se sont regroupées autour de certains cultes religieux. Parmi eux, le candomblé, mouvement syncrétique. Pour construire les lieux de culte, les adeptes se regroupent selon les régions africaines d’origine. On trouve ainsi des maisons de cultes Kongo, Najo / Yoruba, etc. Cette concurrence donne lieu a une dynamique de conflit pour avoir le culte le plus prestigieux, et ce, dans une recherche de la pureté visant à l'établissement d'une « véritable » religion. Une série de maison Yoruba parviennent à prouver leur pureté par rapport aux formes « dégénérées » (liées à la sorcellerie…) des autres maisons (Congo). Les anthropologues, via leur travail de terrain auprès des candomble des Yoruba/Najo, cautionnent la dichotomie entre les groupes et qui ont donc participé au renforcement de la légitimation des chefs de ces cultes. Les leaders religieux vont tenter de rechercher leurs racines pour retrouver la pureté originelle. Certains retournent au pays pour se faire introniser et recevoir des symboles religieux. On assistera aussi à mouvement inverse, des Yoruba d'Afrique se rendant en Amérique notamment pour enseigner la langue (processus de retraditionnalisation). On retrouve un phénomène semblable chez les Akan qui occupent l'Afrique occidentale (Ghana). Aux Etats-Unis, certains forment des groupes de musiciens portés sur l'afrocentrisme des années cinquante. Ainsi, suite à un voyage et à une révélation, un musicien afroaméricain se proclame roi des Akan aux Etats-Unis. 34 Chapitre IV. Le pouvoir 4.1. Le pouvoir: essai de définition Selon Max Weber, "le pouvoir (macht) est la probabilité qu'un acteur, dans le cadre d'une relation sociale, sera en mesure d'imposer sa propre volonté contre toute résistance, quelle que soit la base sur laquelle repose cette probabilité". Il s'agit donc d'une lutte entre individus qui vise à imposer un contrôle et définie par des objectifs divers. Selon Marx et Engels, le pouvoir politique est l'organisation du pouvoir d'une classe en vue d'en opprimer une autre. Définitions en termes d’objectifs et de conséquences : il s'agit donc d'une physique sociale faite de données objectivables; une force musculaire sociale qui est mesurable. Ces définitions ne conviennent pas aux anthropologues, car elles ne tiennent pas compte de la dimension culturelle du pouvoir. S'opposent ici l'etic et l'emic. L'etic est une conception qui n'a pas de rapport avec un contexte culturel particulier. L'emic prend en compte l'univers des conceptions mentales d'un groupe en particulier. Par exemple, la disette peut être quantifiable selon un coefficient taille/poids (etic), mais la disette peut également être perçue par la carence d'un aliment socialement valorisé (emic). Le pouvoir fonctionne avec l'accord partagé des membres d'un groupe par rapport à une définition sociale du pouvoir (entre le professeur et ses étudiants s'installe une relation de pouvoir parfaitement intégrée par l'ensemble du groupe en raison d’une définition conjointe). Il est donc nécessaire d'élargir la notion de pouvoir à une définition culturelle et l'intégrer dans un cadre social plus vaste. Pour que le pouvoir puisse s'exercer, il faut que les différents membres du groupe partagent un même système qui admette ce pouvoir. Il ne faut pas aborder le pouvoir sans tenir compte de la représentation du pouvoir par les acteurs. Plus qu'un étroit rapport de domination d'un individu sur un autre, le pouvoir gagne à être conçu comme la capacité (culturellement définie) d’agir sur le cours de choses. Ainsi, apparaît le concept de création/énergie, sorte de lien entre la société et la puissance du monde de l'invisible → Arens & Karp, Creativity of Power: approche cosmologique du pouvoir dans de nombreuses sociétés africaines. Le pouvoir a des vertus de conservation de l'univers. Ce dernier est entropique car il se désagrège par lui-même. Il faut donc reconstruire cet univers à travers les rituels, pour se prémunir des forces entropiques qui règnent autour du village. Ces rites favorisent la germination des plantes, l'abondance de poissons dans les lacs, etc. Le chef doit assurer ses capacités de médiateur, mais il doit mobiliser les forces de l'au-delà, réaliser des rituels pour assurer l'équilibre harmonieux. Il doit respecter l'ensemble des codes (interdictions, etc.) pour éviter que l'univers ne se désagrège. Dans l'imaginaire contemporain, le fait est admis que le chef d'Etat doit avoir une relation avec le mode invisible (Mobutu s'adonnait à la magie et recourait à ses « féticheurs ». La conséquence est qu’il est difficile de séparer le politique et le religieux en Afrique. 35 Conflits Mobutu/Eglise pour question de prééminence. Plus récemment, d’autres leaders comme Kérékou (Bénin) et Yoweri Museveni (Ouganda) ont eu des liens très forts avec les Eglises pentecôtistes qui les supportent. 4.2. L'organisation sociale des Bëti du sud-Cameroun au début de l'ère coloniale. Dans les années 1970, Ph. Laburthe-Tolra cherche à reconstruire idéalement la société du Cameroun d'avant la colonisation. Les Bëti occupent une région forestière du Sud du Cameroun et regroupaient alors environ 600.000 individus. Au début de la colonisation, les Bëti étaient des chasseurs migrants qui se déplaçaient vers le sud. Organisés selon un système patrilinéaire, ils sont aujourd'hui surtout agriculteurs. Unité de base : la maisonnée : regroupement de toute une série de dépendants (enfants, filles non mariée, les femmes, les esclaves, etc.) autour d'un individu masculin: le Nkukuma. Ce "big man" est un entrepreneur social qui joue du don et du contre-don, et attire ainsi des dépendants. Il ne possède pas de terres. Il peut être entouré jusqu'à une trentaine de femmes et d'une centaine de dépendants. Les femmes jouent un rôle capital dans ce système. Il est plus intéressant d'avoir des filles car, tandis que les garçons resteront au service de leur père (ils constituent la force physique du groupe notamment pour les guerres, et on fera tout pour les garder le plus longtemps possible au sein de la famille), elles seront mariées en échange de compensations matrimoniales. La famille du garçon offre à la famille de la fille des valeurs matrimoniales. Après avoir marié une de ses filles, le Nkukuma peut se remarier, ce qui lui amènera de nouveaux alliés et de nouveaux gendres. Si les filles ont des enfants hors mariage ou si leur prétendant n'a pas encore payé, les enfants restent chez le Nkukuma. Si les fils veulent se marier, il faudra prévoir la compensation matrimoniale, ce qui explique que le Nkukuma cherche à retarder le mariage de ses fils, mais il ne peut le faire trop longtemps (tensions). Les garçons émancipés après leur mariage habitent tout autour du village. Les esclaves sont obtenus par les guerres ou par compensation; cette sorte d'esclavage économique est très classique. Les "clients" sont également dépendants du Nkukuma. Ce sont en général les concubins des épouses, le but étant qu'ils apportent une aide dans la vie quotidienne. Les enfants que les épouses du nkukuma ont eus avec leurs amants seront les enfants du chef. Le Nkukuma est un bon patron, quelqu’un qui doit faire preuve d’investissement social sur le long terme à travers une politique d’échange sur le plan matrimonial. Il peut aussi agir sur le plan invisible, il doit être capable de faire régner un certain bien être sur le monde occulte. Dans le village, règne le Mvoe, un équilibre social qui assure la prospérité et qui émane d'un rapport harmonieux avec le monde des esprits. La force du Nkukuma vient de sa capacité de médiatiser avec les forces invisibles. Avant de chasser, on invoque les ancêtres pour mettre les animaux de la brousse à disposition des chasseurs (le gibier est aux ancêtres ce que le cheptel est aux villageois). 36 La guerre, pour acquérir femmes et esclaves, dépend aussi des capacités magiques du nkukuma. Il y a une réelle volonté de permettre aux gens de prouver leur bravoure (en tuant un homme ou un grand animal, par exemple). Dès que le sang coule, il n'y a plus de guerre. La guerre suppose la maîtrise des puissances de l'invisible. C'est pourquoi, le Nkukuma veille à assurer l'endurance du guerrier (espionnage magique) par l'activation de charmes pour pouvoir gagner la guerre. 4.3. L'evu L'evu est en quelque sorte le symétrique du Mvoe. Cependant, il renvoie à la sorcellerie et est hostile, dangereux. Il s'agit d'une force vitale destructrice, enfouie dans le ventre ou le vagin, qui quitte le corps la nuit pour exercer sa puissance sous des formes diverses. L'evu peut ainsi se transformer en animal qui détruit les champs, s'attaques aux hommes ou au cheptel. Il intervient aussi préférentiellement dans les forces de la reproduction : à l'origine de la stérilité et des avortements, des viols, etc. Le sorcier possède un evu actif, sorte de force vampirique qui quitte le corps la nuit et injecte à sa victime une sorte de produit paralysant. L'evu tire sa victime hors de la maison, la taillade, boit son sang et lui annonce qu'elle va bientôt mourir. L’Evu est fortement associé au sexe féminin. C’est une idée de l’anthropophagie des sorciers, il mange la vie des gens. Ils sont censés exister sous forme de sociétés secrètes qui se réunissent pour échanger leurs victimes. Seconde approche. Tout le monde à un evu, en tant que principe vital: c'est l'evu passif, inactif (qui peut être soigné par les médecins traditionnel). Dès lors, il y a donc deux niveaux d’Evu : 1/ un evu propre aux sorciers (cf supra) et 2/ un evu corporel, neutre et commun à tous les hommes. Mais tout le monde peut se penser comme un possesseur de l’evu. Les rêves traduisent la vie nocturne de l’evu. Ils sont parfois considérés comme des signes d’activation de cette force. Certains individus ont un evu plus actif: les fils de sorciers. Néanmoins l'evu passif peut être activé, par ingurgitation. Pour pouvoir entrer dans une société secrète de sorciers, le novice doit fournir une victime lors des repas anthropophages, le sorcier devra activer l'evu chez cet individu par une nourriture ou une boisson ensorcelée (en effet, pour être victime de l’evu, il faut avoir l’evu activé). Deux alternatives s'offrent à la victime: soit elle accepte l'evu actif et elle cherche d'autres victimes, soit elle est victime elle-même. Il faut toujours prendre un proche comme victime. Sorte de cercle sans fin, ce fléau ronge peu à peu l'édifice social. Troisième approche. Bien que l'evu soit moralement (socialement) inacceptable, il a cependant une raison d'être. Sans evu actif, il n'y a pas de capacité de connaissance ou d'intervention. Celui qui n'a pas l'evu est faible. Dans le Sud du Cameroun, on attend de tous les grands hommes – politiques, commerçants – qu’ils possèdent l’evu, le pouvoir de la sorcellerie même si cela est dangereux. Le pouvoir de sorcellerie est mauvais mais on attend quand même des leaders qu’il le maitrise, qu’il en ait un bon usage car il peut servir. Il est donc nécessaire au Nkukuma de pouvoir le maîtriser pour le mettre au service de la société. Le Nkukuma devient ainsi 37 le "périscope" qui entre dans le monde invisible de la sorcellerie à travers son evu. L'evu rencontre donc bien ici la définition alternative du pouvoir évoquée dans l’intro de ce chapitre. Comme la bombe atomique, même si l'on sait qu'elle représente un grand danger, il vaut mieux l'avoir pour équilibrer les forces. • evu passif des innocents (avec possibilité de développement) • evu nuisible des sorciers • evu actif, mais domestiqué, structuré, contraint, mis au service de la communauté avec le pouvoir de contrer la sorcellerie. Comment mettre ces sorciers hors d'état de nuire? Le Ngi est une société secrète qui combat la sorcellerie. Ils instrumentalisent les morts dans leur lutte contre les sorciers (grands masques blancs qui représente le défunt). C’est une société interrégionale de lutte contre la sorcellerie qui rassemblait des personnes venues de différents villages et de différents clans. Le masque blanc est activé, il va repérer les sorciers. Ces sorciers ont alors le choix pour éviter d'être mis à mort, soit le sorcier peut offrir un membre de sa famille en compensation, soit il devient membre du Ngi. Paradoxalement, le Ngi est donc composé en partie d'anciens sorciers qui ont l'evu et qui luttent eux-mêmes contre la sorcellerie. Leur initiation consiste à manger un petit animal, forme métonymique d'ingurgiter les pouvoirs liés à l'evu. Comme il peut contrer la sorcellerie, l'evu devient indispensable et s'avère être une forme de pouvoir. C'est un instrument dont se servent les puissants Le chef, le roi a souvent un pouvoir lié à la sorcellerie (chez les Kuba, le roi peut se transformer en panthère; chez les Mongo, le chef est supposé avoir mis à mort un de ses parents). Le monde de l'autorité politique est en étroite relation avec le monde de l'invisible. 4.4. Sorcellerie et modernité La sorcellerie n'est pas une « simple » croyance à laquelle on peut choisir d'adhérer ou non. Elle est un véritable paradigme d’explication du monde. La sorcellerie est une façon de donner du sens aux choses et de réguler l’ordre social. Elle est à prendre au sérieux pour comprendre les sociétés africaines (mais pas uniquement les sociétés africaines !). C’est un scénario de « grand complot », comparable à des phénomènes comme le Maccarthysme (USA, années 1950. Il y a la crainte interne de l’ennemi communiste qui a déclenché la « chasse aux sorcières » consistant à traquer « les rouges »). Désignation de certains boucs émissaires. Ex : RDC : arrivée de Kabila. Ses troupes ont progressé, repoussant les troupes de Mobutu. En même temps, il y a des vagues de lynchage de nombreux sorciers. La sorcellerie n’est pas forcément signe d'un passé lointain. Evans-Pritchard – 1937 : Witchcrafts, oracles and magic among the Azande. Cet ouvrage donne la première approche de la sorcellerie comme système cohérent. Insistant sur la dimension intellectuelle 38 de la sorcellerie, Pritchard mentionne que celle-ci répond à certaines questions auxquelles la science ne peut répondre. Elle entre dans un système cohérent qui implique des données morales. Même si l'on connaît les causes physiques d'une infortune, comment peut-on expliquer qu'elle touche l'un et pas l'autre, à tel ou tel moment? Le système explicatif de l'infortune n'est, en soi, pas incompatible avec une explication scientifique ou technique. La sorcellerie répond au « pourquoi » et pas au « comment ». Les Azande (Sud-Soudan et Nord-Congo) possèdent deux mots pour parler de la sorcellerie qui sont traduits par witchcraft et sorcery. L'équivalent de witchcraft signifie la forme innée, transmise par filiation, capable de développer une force telle que l'evu. C’est souvent une sorte d’excroissance physique dans la bas-ventre. L'équivalent de sorcery signifie une manipulation des forces occultes selon des codes appris. On "apprend" à devenir sorcerer (on ne l'est pas par essence comme le witch). Il y a un besoin de supports matériels, de « fétiches ». C’est une pratique consciente et volontaire. La magie blanche (3e pôle), elle, combine les moyens pour lutter contre la sorcellerie. Ses ritualistes agissent publiquement et sont reconnus. La distinction entre witchcraft et sorcery n'est valable que pour les Azande, on ne peut en faire une surinterprétation applicable à tous les systèmes. Evans-Pritchard réfute l'idée de la sorcellerie comme étant un modèle imparfait, archaïque ou inabouti. Au contraire, il démontre, dans une perspective intellectualiste, l'importance de la symbolique de la sorcellerie dans un système conceptuel cohérent. Evant-Pritchard se distingue des autres fonctionnalistes car il s'est davantage intéressé à la dimension intellectuelle de la sorcellerie. Son approche cherchait à repérer les aspects fonctionnels de la sorcellerie mais surtout ses effets sur les représentations morales du monde. Le discours de la sorcellerie fonctionne à travers l’accusation, la désignation et la stigmatisation, stipulant ce qui est moralement réprouvé. Les comportements marginaux peuvent être imputés à la sorcellerie. La crainte de ces accusations joue un rôle égalisateur qui remet les individus sur "le droit chemin". La sorcellerie, en exerçant une pression pour éviter de sortir de la norme, contribue à la cohésion sociale du groupe. Elle intervient, par ailleurs, dans la gestion des tensions. Lorsque des problèmes surgissent, l'accusation de sorcellerie crée une scission au sein du groupe, réduisant les tensions à travers le départ (fondation d’un nouveau village). La sorcellerie a un volet accumulateur (on devient riche grâce à ses puissances occultes) et un volet égalisateur (frein à l'accumulation de richesses par d’être accusé de sorcellerie ou par peur d’être victime de la sorcellerie des envieux). Contrairement à ce que l'on peut croire, la sorcellerie est un idiome qui convient parfaitement pour appréhender les transformations sociales. Dans les années 1930, Audrey Richards (A modern movement of witch-finder, 1935) étudie les mouvements de contre-sorcellerie liée aux transformations induits par la modernité coloniale. La sorcellerie incorpore les nouvelles icônes de la modernité, les nouveaux moyens de communication, etc. Comme le souligne P. Geschiere (Sorcellerie et politique 39 en Afrique. La viande des autres, 1995), on aurait pu s'attendre à ce que la sorcellerie, en tant que mode symbolique jugé "primitif", soit amenée à disparaître. Mais c'est l'inverse qui se passe, la sorcellerie semble être tout à fait à même d'intégrer les nouveaux icones de la modernité (ex: football, avion...). De même, les contre-sorciers passent à la modernité: l'usage de la télévision ou du téléphone devient objet de sorcellerie. Nous sommes donc face à une sorte de reconversion où l'on observe une alliance entre sorcellerie et modernité: pour découvrir les sorciers, au Congo, on utilisera une charme associé à la télé-vision (voir au loin, étymologiquement) pour sonder le monde invisible. John et Jean Comaroff mettent en évidence une sorcellerie hypermoderne en Afrique du Sud (Occult economies and the violence of abstraction: notes from the South-African postcolony). Leur point de départ est l'explosion de la sorcellerie en Afrique du Sud après la chute de l'apartheid. Avec l’arrivée au pouvoir de l’ANC (congrès national africain, parti politique), on s’attendait à ce que cette chute signifiant la fin des tensions ouvrirait à une baisse du niveau d’accusation de la sorcellerie. Mais c'est le contraire qui se produit. Dans la seconde moitié des années 1990, les rumeurs sur la sorcellerie sont extrêmement nombreuses et notamment sur le trafic d'organes, qui se solderont par la mise à mort de nombreux supposés sorciers. Une même rumeur existe par rapport à l'argent (une forme d'enchantement permettant la production d'argent). L'Eglise Pentecôtiste se base, entre autre, sur la théologie de la prospérité "si Dieu vous aime, vous serez riches et prospères". Plus qu'une résurgence d'un archaïsme dans la société moderne, la sorcellerie laisse apparaître la frustration de certaines populations suite à l’inclusion dans ce monde globalisé, capitaliste où tout est apparemment à portée de main et pourtant inaccessible. Nous sommes à la fin de l'Apartheid, une nouvelle bourgeoisie s'installe et après des années de blocus économique, une nouvelle attente anime les populations défavorisées: pourquoi mon voisin est-il riche et moi pas? Il y a un sentiment quotidien de prospérité qui touche les autres mais pas les populations locales. Il y a une énorme frustration car on voit les richesses sans pouvoir y toucher et on voit les espoirs liés à la sortie de l’apartheid s’effondrer. La sorcellerie apporta ainsi des réponses à ces inégalités. Mode d’explication de l’infortune, elle permet de donner un visage (celui d’une personne réelle) à un sentiment d’injustice, d’expliquer le malheur. Et ce sont principalement les vieux et les vieilles qui sont visés comme boucs émissaires. Les personnes âgées sont soupçonnées de "zombifier" les jeunes en leur ôtant la capacité de travailler (écho du fléau social qu'est le chômage). Les vieilles deviennent les boucs émissaires de la frustration, d'où une véritable chasse aux sorcières. Autour de la réussite sociale, il y a de nombreux clivages qui créent l'opposition. Ici aussi, les nouvelles technologies génèrent l'idée de contact avec l'invisible et l'on assiste à un réenchantement de la technologie qui reprend la fonction des objets rituels traditionnels. Pourquoi un tel « attachement » de la sorcellerie à ces icônes de la modernité? Parce que c'est autour de ces icônes que les nouveaux clivages se manifestent. 40 4.5. La royauté sacrée La royauté sacrée a un sens très large. C’est la sacralisation du pouvoir. Le détenteur du pouvoir est censé jouer le rôle de médiateur avec le monde invisible, il est le « fétiche vivant » de la nation et il est entouré de toute une série de rituels. Cette théorie trouve son origine chez James Frazer. 4.5.1. James Frazer et Luc de Heusch • Frazer (1854-1941), armchair anthropologist. Selon Frazer, l'Etat provient d'un magicien qui a réussi. C'est un ritualiste qui a réussi à créer une sorte d'émulation autour de sa personne et qui met en place une machine rituelle qui peu à peu se transforme en chefferie, en clan, en royauté, pour enfin aboutir à l'Etat moderne. La royauté sacrée résulte de la transformation d'un individu en fétiche de la nation, entouré d'une série de prescriptions et de prohibitions. Il articule la société et le monde invisible. Dans la royauté divine, le roi est le garant des forces naturelles du pays. Il y a un lien ontologique entre le corps du souverain et le pays lui-même, il est une sorte de métonymie du territoire. Il y a un lien métaphorique entre le bien être du roi et le bien être de la nation. Le roi devient l'équivalent d'un dieu vivant. C’est la « royauté divine » comme le dit Frazer. Ce télescopage métaphorique entre le corps du roi et le pays explique le cycle de vie du roi. Le principe du régicide est fondamental dans cette optique du lien entre le roi et le pays. Le souverain, lorsqu'il dépérit ou est malade, est mis à mort. Quand le corps du roi/le pays dépérit, il doit mourir pour pouvoir se régénérer • Luc de Heusch (1927- , prof à l’ULB) reprend les théories de Frazer et les met au goût du jour dans une perspective structuraliste, laissant ainsi de côté la perspective évolutionniste et positiviste de son collègue. Il cherche à cerner la figure rituelle du roi sacré en tant que configuration symbolique particulière. Fétiche vivant de la nation, le roi exerce un contrôle vis-à-vis des forces de la nature. Il est un individu intermédiaire entre le monde de la culture et le monde de la nature. Contrôler les forces de la nature exige la mise en place d'une machine rituelle. Le questionnement de Luc de Heusch porte notamment sur la relation incestueuse qu'entretient le roi avec des parents classificatoires (soeur, mère), lors de son intronisation. Cet inceste peut se faire sous une forme symbolique. A travers l'inceste, le futur roi se coupe de la société (défini par l’échange de femmes et la prohibition de l’inceste, cf. Lévi-Strauss). Il se retrouve ainsi projeté à la frontière entre deux monde: culture / nature. L'inceste est donc une machine rituelle destinée à transformer l'individu. Le pouvoir est ici un fardeau pour celui qui l’exerce. 41 4.5.2. Le Royaume Luba Situé dans le nord de la province minière du Katanga (sud-est Congo), le royaume luba avait à sa tête, à l’époque précoloniale, un roi sacré. Lien très étroit entre lui et le bien être du pays. Il est, entre autre, frappé d'interdit pour tout ce qui touche à la mort. Il n'approche pas les convois funéraires, ne peut visiter les cimetières, etc. On pleure le roi à sa mort: "la porte est tombée", "il n'y a plus de forces en moi". Ces paroles prononcées à sa mort démontrent parfaitement qu'il entretient un contact avec le monde de l'occulte. Régicide. Il est mis à mort s'il est victime d'une maladie qui persiste plus de quatre jours ou s'il s'avère qu'il est impuissant ou encore s'il ne sait plus se déplacer. Il est alors décapité de son vivant afin que le principe de la royauté puisse être capturé et transmis au successeur. De même, il ne pouvait être circoncis et ne devait jamais subir d'injections. Ce serait tuer une partie de son être. Inceste. Lors de son intronisation, le roi est censé censé réaliser un rituel incestueux. Il subit une réclusion de quatre jours dans "la petite maison du malheur", où il entretient une relation sexuelle avec une nièce (qui peut être classificatoire). La morale condamne ce genre d'acte en contexte ‘normal’. Il entretient également des rapports ambigus avec ses sœurs et particulièrement avec sa mère. Cette relation avec la mère est quasi oedipienne. La mère protège le roi, assure sa survie et détient les charmes pour assurer sa protection (et pas conséquent celle de la nation). Elle est « celle qui est cachée ». Ensuite, tous les liens de parenté sont rompus. Dès qu'il sort, il est le père de tous. Il n'a plus ni père ni mère. Mais d'où vient ce royaume? Les découvertes archéologiques attestent que dans la région il y avait des formes de centralisation de pouvoir, vieilles de plus d'un millénaire. La région des lacs a permis la conservation de nécropoles et de tombeaux qui nous informent sur la pratique de sacrifices humains dans le cadre de rites et où on a aussi trouvé des regalias, des enclumes rituelles, et autres objets de prestige. Il n'y a que peu ou pas de sources écrites. Les sources orales nous permettent à tout le moins de remonter jusqu'au 18e siècle. Luba situés dans une région de croisement de lignes commerciales. Jusqu'en 1870, le royaume est à son apogée. Mais en 1870, cette région devient le lieu de rencontre des traites esclavagistes atlantique et de l’océan Indien. Les Belges ont donc envahi un royaume déstabilisé et ont décidé d’y mettre fin en donnant l'autonomie aux chefferies périphérique, et en coupant le centre du royaume en deux grandes chefferies. Le royaume luba n’était pas un Etat nation moderne avec une volonté d'homogénéisation au niveau linguistique et culturel. Il ne s'agit pas d'un Etat de type bureaucratique. On note cependant un centre, capitale très peuplée, avec une armée permanente de dignitaires qui dirigent les parties du royaume. Plusieurs parties sont sous contrôle du roi Luba. Loin de ce pôle rayonnant, les périphéries dépendent du centre (soumission hiérarchique), mais n'y sont pas intégrées. Les habitants des 42 périphéries se revendiquent néanmoins Luba, cherchant ainsi à adhérer à un nom prestigieux. Au 20ième siècle, ce royaume n’existe plus (déclin depuis 1890). Pourtant encore aujourd’hui, tous les luba connaissent leurs traditions orales de leurs origines. En particulier les dignitaires qui les connaissent en détails. L'histoire ancienne nous est parvenue sous forme d’une tradition orale, l’épopée d’origine du royaume. Plus de vingt versions existent et, dans les années 60, Vansina se charge de délimiter le cadre formel de ces témoignages du passé, en mettant en évidence les éléments légitimes du référent historique. → Nkongolo serait le premier fondateur de l'empire des Luba. Il soumet les villages isolés et installe une capitale. Plus tard, un chasseur, Ilunga Mbidi, originaire de l'Est du fleuve Lwalaba, arrive et épouse la sœur de Nkongolo. Après une dispute avec Nkongolo, Mbidi s'en retourne vers l'Est, dans son pays. Après son départ, naît le fils de Mbidi, Kalala Ilungala (donc fils de la sœur de Nkongolo). Par jalousie, Nkongolo veut tuer Kalala. Ce dernier traverse le fleuve et part se réfugier dans le pays de son père. Il revient ensuite avec une armée. Kalala s'empare du royaume, tue Nkongolo et fonde un second empire Luba. 4.5.3. Le cycle d'Ilunga Mbidi Vansina débarrasse le récit de tous les éléments merveilleux pour ne garder que le résidu qui semble historique (éléments présents dans l'ensemble des histoires). Il omet d'insister sur le fait que le chasseur arrive de façon invisible et que Nkongolo cherche à construire un pont pour relier les deux rives du fleuve et qu'il n'y arrive pas. Cette interprétation positiviste ne permet pas de décrypter les éléments d'un système religieux On voit notamment une pensée symbolique à l’œuvre dans la récurrence des passages du fleuve, d’E en O ou vice-versa, par les différents protagonistes. Tout semble se dérouler autour du fleuve Congo. Seuls Ilunga Mbidi et son fils arrive à le traverser. Il y a une focalisation sur le fleuve alors que ce n'est ni frontière politique ni culturelle ni linguistique. Les populations ne sont pas différentes de part et d'autre du fleuve, il n'y a pas de discontinuité à ce niveau. Il s'agirait d'une frontière symbolique, religieuse. Mais le nom que l'on donne à la région de l'Est du fleuve est symptomatique: il s'agit de la région Bupemba ou Upemba; un nom qui peut être associé à mpemba, c'est-à-dire, en kiluba, « la terre blanche » qui renvoie au monde des esprit, c'est une sorte de craie utilisée pour entretenir de bons rapports avec les esprits lors du culte mensuel aux ancêtre familiaux, ou lors de la transe médiumnique. Le passage du fleuve symbolise le lien entre les deux mondes et pour les Luba, l'Est est le lieu d'origine des esprits de la possession (origine située dans le lac Upemba ou dans la caverne Kihawa, qui sont d’ailleurs aussi les lieux d’origine présumés de Mbidi !). 43 Autre signe du lien de Mbidi avec le monde invisible : il apparaît sous la forme d'un reflet: il faut un rituel pour le faire apparaître aux hommes (origines occultes). De plus, dans le récit (cf photocopie), Mbidi est censé être le géniteur de tous les personnages. Ce caractère exceptionnel fait figure de père de la nation (cf. la paternité des esprits censés parrainer la grossesse chez les Luba). Il s'agit d'une parenté spirituelle: le personnage n'est jamais marié et le père n'apparaît jamais, il n'est jamais présent. Cet esprit répand ses bienfaits génésiques sur l'ensemble de la société. On constate également l'importance de la nature des nouveautés. Les prescriptions rituelles en ce qui concerne la cuisine sont une technique centrale pour établir un lien avec l'au-delà. Le repas rituel apparaît chez les Luba comme une communion avec les ancêtres. La commensalité avec les esprits est possible par le biais de rituels culinaires. Rappelons que le roi ne mange pas en public. Ilunga apporte donc la technique rituelle dans le royaume de Nkongolo. Ce dernier n'est qu'un être grivois et grossier et incarne une forme grossière du pouvoir. Le chasseur venant de l'Est introduit la forme spirituelle du pouvoir. Ce type de récit est présent dans beaucoup de populations, pour qui l’origine du pouvoir est à chercher du côté du monde des esprits. Ainsi chez les Ntomba, le héros fondateur est le Mongu Mpembe. Cet homme à queue tombé du ciel (le monde est représenté comme un monde plat surmonté d'une voûte percée de trous, par laquelle filtre la pluie et par où passe parfois un habitant du ciel) se manifeste par des caractéristiques miraculeuses. Il laisse l'empreinte de ses pieds dans la pierre, il fait s’élever des termitières géantes, il produit du feu comme par enchantement, etc. Les Ntomba le ramène au village. Il fonde le Nkumu, le système de chefferie sacrée, apporte l'art de la forge, de la poterie. De plus il est médium et devin. Il apporte également la prospérité. Il incarne, en somme, le fondateur universel. Ensuite, il disparaît (il serait rentré en Europe, sorte de monde des esprits pour les Ntomba au début de la période coloniale). Le récit ntomba est donc associé à la naissance du système politique. Mais nous le retrouvons hors de ce cadre chez les Luba du Katanga. Un homme à queue tombe du ciel après la pluie. Il coupe sa queue et a donc l'apparence d'un humain. Une femme (qui refusait de se marier, au désespoir de ses parents) tombe amoureuse de lui, les noces ont lieu dans l'abondance de valeurs marchandes. Après avoir eu des enfants, il s'en va, sous la pluie, remet sa queue et s'en retourne vers le ciel. Ici, il n'y a pas la création d'institutions politiques. Le schéma général de l'histoire porte donc sur une forme différente du pouvoir: la vie quotidienne et la prospérité familiale (contrairement au pouvoir politique fondé chez les Ntomba). Même thème, mais récits différents. 44 4.5.4. Le cycle de Kalala Ilunga On constate dans le personnage de Kalala Ilunga (guerrier), une symétrie par rapport au père, Ilunga Mbidi (chasseur). Chemin symétrique (pour le déplacement spatial): il naît dans le royaume et, poursuivi par son oncle, il s'enfuit vers l'Est. Là, il trouve de nouvelles ressources et revient, entouré d'une grande armée. Le fleuve apparaît ici comme l'épreuve probatoire. Alors que Kalala ne rencontre aucune difficulté pour passer le fleuve, son oncle, lui, reste coincé et ira même jusqu'à tenter de jeter un pont entre les deux rives. L'hypothèse est que l’épreuve du passage du fleuve sépare ceux qui ont les capacités pour devenir roi sacré de ceux qui ne les ont pas. Récit en contrepoint. A la fin du récit, on observe également un dédoublement des destins contrastés des héros. La fuite vers le fleuve se fait avec l'appui de deux personnages secondaires: le tambourineur et le médium (ils ont permis la fuite de Kalala). Lorsque Nkongolo s'aperçoit de la fuite de son neveu, il s'attaque à ses alliés et les fait prisonniers. Tous deux sont envoyés au sommet d'un arbre géant, un fromager, où ils resteront prisonniers. Là ils se servent de leur instrument respectif. Le tambourineur ne parvient à rien et meurt, mais le médium réussit, grâce à ses cloches, à faire venir les esprits. Ces derniers prennent possession de son corps et parlent par le truchement de sa bouche. Le médium réussit donc à se faire prendre par les esprits qui le rendent capable de faire un grand bond (spirituel) vers la rive orientale du fleuve. Ainsi, Kalala et le médium connaissent le succès de leurs entreprises, tandis que Nkongolo et le tambourineur connaissent l'échec. Le moyen de communication qu'est le tambour double la trivialité du personnage de Nkongolo, tandis que le médium (communicateur aussi, mais avec l’invisible !) parvient à créer des liens, comme Kalala. Les deux paires de héros (Kalala/Nkongolo et Médium/tambourineur) sont donc en situation d’homologie. Nkongolo est l'image de la déficience: il est un individu aveugle qui ne voit pas le reflet de Ilunga Mbidi dans la mare. Grossier, il ne respecte pas le rituel de la cuisine rituelle. Le véritable héros est en fait invisible (monde de l'occulte). Dans certaines versions, Nkongolo veut créer une tour qui rejoint le ciel (cf. Tour de Babel). Cette tentative de rejoindre le monde des esprits (le créateur) sera vouée à l'échec. Il reproduit, en quelque sorte, sur le plan vertical, ce qu'il voulait tenter sur le plan horizontal (passage du fleuve avec un pont chimérique que les flots balaient). L'histoire démontre qu'un bon souverain est celui capable d’assurer l’interface entre le monde des hommes et celui des esprits (cf. la métaphore de la porte). Ce mythe de la fondation et ce mythe du passage se retrouvent dans les rituels de l'intronisation: il faut réussir des prouesses extraordinaires liées à l’idée de passage, d’entre-deux. Le candidat souverain est amené dans un endroit où se trouvent les esprits. Il est, par exemple, enduit d’une poudre blanche et doit plonger dans l’eau et en ressortir avec la poudre blanche ; ou encore plonger et devoir ramener un tilapia albinos en quelques minutes (symbole blanc; couleur des esprits) ; s’accrocher au « crochet du ciel » et donc de tenir dans l’air, entre ciel et terre. 45 4.6. La formation des Etats précoloniaux Les aspects sacrés du pouvoir ne sont pas spécifiques à l’Afrique Centrale (le roi du Maroc est le commandeur des croyants, la reine Elisabeth II qui règne Deo Gratias, par la grâce de Dieu… Audelà des régimes monarchiques : idem pour républiques (culte de la personnalité de Staline, rallyes du régime nazi, gestes qui lient chefs d’Etat modernes au monde des morts (Mitterrand sur la tombe de Jaurès pour son entrée en fonction)). Mais quels sont les mécanismes qui font que l’état apparaisse dans certains contextes et pas dans d’autres ? Rappelons tout d’abord que l'Etat est une des modalités pour la régulation d'un ensemble humain, il est donc possible de se passer d'Etat, le pouvoir ne s'exerce pas uniquement par l'intermédiaire de l'Etat: • Le contrôle politique peut se faire au sein du lignage (unilinéarité hiérarchisée). Lorsqu'un problème surgit, on s'en réfère au niveau lignager supérieur commun dans la ramification entre lignages. • Le contrôle politique peut être fait par l'entrepreneur social, le Big Man (ex: le Nkukuma) qui réussit à rassembler des subordonnés et à se faire reconnaître comme leader. Le Big Man oriente les grandes décisions. Il doit impérativement posséder l'art oratoire, capacité capitale en Afrique. • Les sociétés secrètes initiatiques. Ces structures transversales (transethniques; transnationales) peuvent doubler l’existence d’autres structures (étatiques, lignagères…). Cf le Ngi des Bëti. Les sociétés englobantes / sociétés englobées. Cf. chapitre sur l’ethnicité (Amselle) : importance de ne pas tomber dans une typologie simplificatrice mais de bien comprendre que ces formes politiques doivent se comprendre dans leurs relations mutuelles. Il faut se mettre dans une optique interrégionale. Modèles théoriques de l’apparition de l’Etat 8 Modèle évolutionniste: la centralisation du pouvoir entre les mains de quelques personnes est un processus qui se met en place en fonction d'éléments et de paramètres géographiques, économiques ou autres. Certaines régions se trouvent au carrefour des grandes voies commerciales et sont à même de générer une concentration progressive du pouvoir. Ce pouvoir s'étend et la structure devient de plus en plus complexe, pour aboutir à l'Etat. 8 Théorie d'Igor Kopytoff: il donne la priorité non pas aux zones centrales, mais aux régions frontalières, lointaines, en périphérie. Le centre envoie des populations qui émigrent, s'autonomisent, forment finalement des structures politiques qui peuvent parfois prendre le pas sur les Etat d’où sont originaires les migrants. Les frontières ont une capacité d'accueil. Cette théorie qui insiste sur les processus de genèse de l’Etat par des étrangers rencontre l'idée du fondateur venu d’ailleurs, très fréquente dans les traditions orales africaines sur le genèse des Etats 46 précoloniaux (cf. Mbidi). Cette base idéologique permet et légitime la création par l'étranger. Par exemple, les Yéké, établis dans le sud du Katanga, sont arrivés de l'Est (nord de la Tanzanie). Ils sont venus pour le commerce de l'ivoire (Zanzibar), du cuivre... . Yéké signifie, par ailleurs, chasseurs d'éléphants. Ils se déplacent vers le sud du Katanga (années 1850) et certains vont s'y installer durablement. Ils s'installent à la frontière extérieure de plusieurs grands royaumes (Luba, Lunda, Kazembe du Luapula), hors du contrôle direct de ceux-ci. Comment s'est fondé l'Etat Yéké? Les Yéké, peu nombreux, vont intervenir dans conflits locaux (alliés + prisonniers qu’ils incluent dans leurs lignages) ; ils protègent les populations contre les razzias des royaumes voisins. Nous assistons aussi à un processus de yékéisation c'est-à-dire que les vaincus et les nouveaux arrivants sont naturalisés Yéké ce qui permet aussi de glonfler la population Yéké et de prendre une importance démographique. L’expansion politico-militaire se met en place vers 1870-1890. Il faut tout d'abord s'attaquer aux frontières extérieures des royaumes avant de pénétrer dans les terres. En 1890, à l'arrivée des Belges, le dernier verrou est le Katanga. A cette époque, c'est un Etat dynastique prémoderne qui est mis en place: le contrôle de la région centrale est exercé par des Yékés: ils ont le contrôle politique mais n’interviennent pas dans les affaires rituelles. Ils se font reconnaître d'un point de vue symbolique comme « héros fondateurs » venus de l’extérieur, mais ne s’impliquent pas dans les rituels liés au territoire, laissés aux autochtones. Les Yéké s'accaparent les structures politiques, mais pas le sol, la pêche, la terre ou l'agriculture. Ce schéma fait référence au système symbolique qui prévoit la place pour l'autochtone et l'étranger. 2e couronne : chefferies soumises par les Yéké. Ces populations doivent répondre à plusieurs obligations: 8 d'envoyer des otages à la Cour (la sœur du chef, en général). Elle se marie à un Yéké, l'enfant deviendra le chef politique de la chefferie de la mère. L'enfant sera donc renvoyé chez les autochtones en tant que chef de la chefferie. Les Yeke sont patrilinéaires mais la population où ils s’implantent est matrilinéaire. C’est donc le neveu du chef qui devient chef, le neveu du chef est le fils du Yeke et de sa femme qui est la sœur du chef. En échange, les Yeke assurent une stabilité politique. 8 Le tribut : ce sont des biens qu’on envoie à la capital. Afflux de biens vers la capitale que le souverain Yeke pouvait redistribuer. 8 Les symboles du pouvoir sont envoyés aux chefferies. C’était une sorte de coquillage venu de l’océan Indien. C’était le symbole de légitimation du système Yeke. Les frontières sont une zone de créativité politique. La mobilité des groupes permet la création de nouveaux centres rompant avec les anciens. Mais pourquoi s’établir aux frontières de son Etat, dans des régions lointaines ? Qu'est-ce qui justifie cette mobilité? Kopytoff développe plusieurs facteurs de migration : 47 • Les sociétés sont fortement hiérarchisées et dominées par l'autorité du père. Cette gérontocratie ne permet pas aux plus jeunes d'accéder rapidement aux échelons supérieurs de la hiérarchie (politique, religieux, militaire, etc.). Frustrés, les jeunes quittent le pays pour échapper à l'autorité du père, pour faire du commerce, etc. • La crainte d'être accusé de sorcellerie est un mobile pour s'enfuir (sauver sa peau!) • Les règles de succession sont extrêmement complexes: lorsqu'un chef décède, il y a une multitude d'héritiers potentiels. Ce pluralisme normatif fait que beaucoup de systèmes entrent en concurrence pour faire valoir les droits. Le choix de l'héritier entraîne l'obligation pour les autres de fuir. Chez les Luba, par exemple, il faut une guerre de succession. Il faut tuer un demi-frère. Si l'on n'est pas héritier, mieux vaut fuir afin de ne pas être exterminé. C'est l'émigration du candidat malheureux et de sa famille. • Les guerres entre groupes: ex: les Zulu, au 19e siècle mènent des guerre de conquête quyi entraînent déplacements en domino jusqu'en Tanzanie, poussant ainsi les population à la fuite. • La traite et l'esclavage domestique (dû à une faute, une dette. Un individu est placé dans une famille pour réparer une faute. L'esclave domestique peut ensuite parfois retrouver sa liberté). Génère fuite des esclaves. Ces individus en rupture avec le groupe duquel ils se sont enfuis, vont souvent s'intégrer dans d'autres groupes de la périphérie. Mais certains parviennent à créer Etats. Deux facteurs favorables : faible densité démographique (pas de problème fonciers pour héberger immigrants ; mais il ne faut pas s’installer non plus dans une région inoccupée sinon impossibilité de recruter dans la nouvelle structure politique) ; instruments de contrôle par les Etats sont très limités (les populations expulsées ont beaucoup de chance de ne jamais être récupérées). A ces deux atouts doit s’ajouter un certain génie diplomatique et social (cf. Yéké qui ont réussi à intégrer les populations locales à l'intérieur de leurs lignages, par système de cooptation). 4.7. L'évolution historique des chefferies 4.7.1. Sous le régime colonial Le régime colonial est à l’origine de la perte du pouvoir d’influence des anciennes institutions. Durant la colonisation, on distingue deux types de gouvernance: la direct rule et l'indirect rule (cf. supra). Par l'indirect rule, les colonisateurs reconnaissent des chefs traditionnels et certaines de leurs prérogatives. Toutefois, les grands rituels doivent se conformer aux règles coloniales. Les chefs inféodés au pouvoir central perdent peu à peu de leur importance. Ils entrent peu à peu dans les rouages de l'administration et leur primauté est bafouée. L'ancien royaume fonctionnait sur le système du tribut apporté au roi, marquant ainsi la sujétion au souverain. L'époque coloniale marque la fin de l'esclavage domestique et 48 de la polygamie du souverain. Or, le roi luba, par exemple, avait généralement une épouse par région (ambassadrice). Cette économie du royaume basée la polygynie déclinera avec le système colonial. Le roi perd donc peu à peu sa légitimité. L'administration coloniale impose ceux qui sont favorables à la colonie, ce qui génère parfois des conflits dans les zones rurales. Les Britanniques avaient mis en place une "House of Chiefs", un organe consultatif regroupant les chefs ou une partie d'entre eux. Les autorités coloniales modifient fréquemment l'agencement du système administratif, passant tour à tour de l'indirect rule à la direct rule. Peu à peu, les frontières sont déplacées en fonctions de nouvelles données économiques. On assiste à des découpages et des redécoupages des chefferies traditionnelles, ou à regroupement forcé de chefferies. 4.7.2. Après les indépendances Après l'indépendance, la situation est encore pire pour les autorités traditionnelles. En effet, les leaders de l'indépendance sont de jeunes gens cultivés ayant bénéficié d'une éducation universitaire et qui se présentent comme « modernes » et progressistes. Cette idéologie foncièrement moderniste se retrouve dans l'iconographie (cf billets de banque, armoiries…). Il y a une vive critique de la tradition, considérée comme un archaïsme. Les élites de l'indépendance prennent la voie de la modernité: ils ont obtenu l'indépendance, alors que les chefs, eux, ont collaboré avec les coloniaux. Un système hostile aux anciens chefs se met en place, les chefferies sont démembrées, des lois mettent un terme à l’institution de la chefferie traditionnelle (cf. le Burkina Faso, le Mali, la Guinée, l'Ouganda). Les leaders légitiment leur choix idéologique de suppression de la chefferie en référence à la Révolution française ou chinoise de Mao etc. Si les chefferies n'ont pas partout disparu, elles ont de toute manière subi une forte érosion, et ce dû au fait que les nouveaux systèmes politiques sont basés sur le monopartisme, avec un organe de contrôle très serré pour voir si les chefs sont bien inféodés à la ligne du parti. Toutefois, certains systèmes monarchiques ont subsisté jusqu'à nos jours. C'est le cas du Lesotho et du Swaziland, seuls Etats monarchiques africains au sud du Sahara. De plus, les anciennes colonies britanniques vont reprendre le système de la House of Chiefs. Certains chefs traditionnels vont être confrontés à des chefs d'Etat qui cherchent également à contrôler la tradition. Mobutu souhaite reprendre à son actif la légitimité des chefs traditionnels à travers la politique de l’ « authenticité » (il affiche des signes traditionnels comme la toque en léopard, la canne, etc.). En Ouganda, dans les années 1970, Didi Amin Dada fera en sorte q'un bon accueil soit réservé à la dépouille du roi de Ganda, dont il avait fait l'assaut du palais une dizaine d'années auparavant. 49 4.7.3. Le retour des rois ? Avant la chute du mur de Berlin en 1989, les régimes politiques étaient soutenus par les pays occidentaux, beaucoup plus rarement par le bloc de l’Est. Après la chute du mur, les références de la morale politique changent, rappel à l’ordre des Etats (pourtant auparavant soutenus aveuglément par Occidentaux) : on critique la gouvernance, la corruption, le népotisme, le monopartisme, etc. Crise. Mauvaise redistribution des richesses (clientélisme). Essoufflement de ces régimes amenés à prendre des mesures (Ajustement structure du FMI…). On a des guerres civiles au Congo-Brazzaville, RDC, Libéria, Sierra Leone. On assiste à des manifestations de la population, l’Etat perd sa légitimité. C’est sur ce terreau que se développera le « retour de la chefferie ». Ex: L'Ouganda, sous le protectorat, était un pays très riche en monarchies. Parmi les grands royaumes, le plus important était le Royaume Ganda, qui exerça son impérialisme en participant avec les Britanniques à la colonisation d'autres royaumes. Le Royaume de Ganda était donc devenu privilégié. Le pays accède à l'indépendance en 1962. La monarchie ganda est abolie en 1965. Guerre civile interminable. En 1993, il y a la restauration de la monarchie avec Museveni. Fin diplomate., il pense que les royaumes sont des points d’attache identitaire importants pour reconstruire le pays après les guerres civiles, dans une perspective de réconciliation nationale. Toutefois, il restaure la monarchie uniquement au niveau culturel. Les rois ne retrouvent pas vraiment leur autorité politique mais deviennent des figures emblématiques qui permette l'ancrage identitaire du pays. Le retour "symbolique" des rois s'explique par les raisons suivantes: • Parfois, durant les guerres civiles, il n'y a plus vraiment d'autorité politique, il ne reste plus que les chefs traditionnels sur place • La royauté/chefferie est une valeur « sûre » après tant des siècles : parfois plus de légitimité que l’Etat, surtout si elle s'est opposée à la colonisation. La royauté s'enracine dans le passé. • L'existence des chefferies répond aux attentes de décentralisation de la coopération internationale. • Les chefs ne sont plus les analphabètes d'antan. Ils sont cultivés, ont fréquenté les universités. Ils connaissent les nouvelles économies. Les chefs se fédèrent (niv. National et international), jouent la carte de médiateurs, au-dessus de la mêlée, ils ont un rôle de "vieux sage". • La réhabilitation des chefs se fait dans un rapport avec l'Etat nation. Les élites modernes doivent vivre en symbiose avec les représentants importants de certaines régions. Il y a une forme de cooptation mutuelle entre les chefs traditionnels et les nouvelles élites qui doivent soutenir la tradition. Les élites cherchent à obtenir des 50 titres dans les chefferies, car ces titres sont alors reconnus. Il n'y a donc pas d'opposition à l'Etat nation, mais une symbiose avec l'élite. 4.7.4. La chefferie et ses élites : cas du jubilée du chef Puta Les liens entre la ville et la campagne sont ambivalents et très denses. Il y a de plus en plus d’interdépendance entre les deux. Au point de vue de la représentation, il y a une bipolarisation. Les villes sont des lieux où les forces vives de la campagne doivent aboutir pour obtenir les ressources des Etats (bourses, titres politiques…). La campagne est une assise stable dont les citoyens ont besoin en cas de problèmes. En cas de danger, on y envoie la femme et les enfants. Les liens entre ville et campagne sont de plus en plus forts pour des raisons pratiques mais aussi pour des raisons politiques. Les élites politiques sont plus favorables aux habitants des campagnes parce que la légitimité d’un homme politique vient en partie du monde rural, d’une région. Le pays Bwile: C’est une population répartie entre le Congo et la Zambie. En Zambie, ils sont divisés en 8 chefferies. L’ancien centre du pays est la chefferie Mpweto (Congo). Le pays Bwile est situé le long d’un lac, c’est une région rurale basée sur l’agriculture, la pèche et la récolte de sel. Culte des esprits développé. Puta est le seul des 8 chefs à avoir le titre de senior chief, lui conféré par l’administration coloniale britannique, ce qui lui vaut avantages : un salaire, il a le droit de rendre la justice pour des affaires autres que les affaires de sang, pour des affaires de sorcellerie ou autres… . Tradition orale d’origine selon Puta : les Bwile seraient originaires des Luba. Ils ont quitté la région pour cause de guerre et ils sont allés vers le lac. Là, il y a une bipartition de l’autorité politique entre le chef Mpweto du côté du Congo et le chef Puta du côté Zambie. Il justifie la possession du territoire par les Bwile de façon suivante : la sœur d’un chef devenue épouse un chef local, mais la femme meurt car on n’a pas respecté les traditions alimentaires. Le chef local est alors redevable d’une dette pour laquelle il donne des terres aux Bwile. C’est une histoire bizarre mais elle est utilisée pour justifier leur possession des terres. La tradition orale montre que les Bwile sont un peuple courageux qui a fait preuve d’une résistance héroïque et qui ont des droits sur le sol. Cette histoire est un peu du « sur mesure ». Le choix de Puta comme seigneur chief était un choix britannique, que la tradition tel qu’il la raconte tente de légitimer. Les chefs se réfèrent à l’ancestralité pour leur légitimité, notamment à travers regalia. Le symbole de la royauté est la base d’un coquillage avec une spirale en son milieu. C’est un objet qui venait de l’océan Indien. Le coquillage passe de la bouche du chef mort à la bouche de son successeur, instituant continuité entre les chefs successifs. Les autres chefs contestent le rang de Puta. Ils ont tous leur objet pour représenter leur légitimité pour être le chef principal. 51 Puta a repris l’institution britannique du Jubilée. L’épouse de Puta a fait de lui un chrétien. Il fête ses 56 ans de règne. Cérémonie en petit comité avec une lecture de Salomon auquel on compare Puta (bâtisseurs). Transport en chaise à porteur vers le site de son intronisation, il y a 56 ans ; discours de Puta, qui fait référence à ses ancêtres et qui appelle leur bénédiction ; départ vers le stade de foot où des discours sont organisés pour Puta ; le député local rapporte la tradition orale locale, enjoignant les Bwile à être fiers de leur histoire ; performances chorégraphiques et/ou sportives. Le rituel ne marche pas vraiment : dans ce cas, c’est un demi-succès car 8 Il y a des plaintes des invités, la cérémonie n’est pas très bien organisée, certaines personnes sont mal reçues. On pense que la nouvelle épouse du chef a trop d’influence. 8 En plus de cela, le parlementaire avait fixé certains objectifs. Mais les résultats ne sont qu’à 30% des attentes espérées. Les 50 ans de règne avaient été un succès et avaient réussi à réunir d’autres chefs venus de loin. Cette fois-ci la plupart des chefs des autres chefferies de Zambie ont boycotté le jubilée. Un rituel est un exercice périlleux et il faut étudier ses performances. Le but de ce rituel est de récréer une centralité dans une région périphérique. Aller en pays Bwile, c’est une relégation pour les fonctionnaires. C’est vécu comme une sorte de cul de sac, de région rebelle, non pliée aux injonctions de l’administration. Le terme Bwile est vu comme un terme quasi insultant : c’est vu comme un paysan de la brousse. Ce rituel devait réaffirmer les Bwile comme un centre important et remarquable de la nation zambienne. Le discours du parlementaire à la fin de la cérémonie est plutôt positif vis-à-vis des Bwile. Il dit vouloir retranscrire les traditions orales dans les manuels scolaires. Discours ethniciste. « be proud to be Bwile : it is your tribe ! ». Remise à l’honneur des Bwile au sein de la nation zambienne. Il satisfait l’espace national et plus régional. C’est une tentative de recréer une centralité. Mais comment fonctionne maintenant le rituel ? Ce rituel a produit ces effets avec un télescopage entre le grand monde et les paysans Bwile. Ce sont des liens entre les valeurs locales et nationales. Tous le monde intervient : vieux, jeunes, hommes, femmes… . On donne une image globale de cette société. On joue sur les deux registres religieux : chrétien et culte des esprits. On les alterne. Les pouvoirs anciens existent. Il y a un appel auprès des esprits. Un autre télescopage est une alternance entre culture traditionnelle et moderne. On expose des emblèmes du pouvoir, coquillage, vêtement traditionnel, danseur de tambour… . C’est l’incarnation de la tradition. Mais aussi symboles de la modernité (danses type militaire, présence d’un député, anthropologue européen et sa femme…) Ce rituel est une tentative à moitié réussie pour essayer de rendre une certaine centralité à l’entité bwile. 52 Chapitre V. Anthropologie d'une ville africaine: Lubumbashi En République Démocratique du Congo, le rôle de l'Etat est en déclin et l'on observe l'importance croissante du secteur informel. Privatisation informelle : ce ne sont pas des transferts du public vers le privé comme chez nous, mais c’est une « privatisation de l’intérieur » : monnayage des services. Cette privatisation de l'intérieur par les employés de la fonction publique résulte du manque de participation de l'Etat dans le versement des salaires des fonctionnaires et la disparition progressive du bien public. Cette situation se traduit par l'utilisation par les employés des ressources internes afin de se procurer les ressources nécessaires à leur subsistance. La quasi-totalité des services, gratuits auparavant, sont aujourd'hui monnayés. La prestation informelle de services public est à ce point rentable qu'elle envahit peu à peu l'essentiel de toutes les fonctions publique congolaise (un permis de conduire s'achète, peu importe que l'on sache conduire ou non). N'attendant plus rien d'un Etat en perdition, les citoyens se dirigent vers des activités rentables, axées sur une inventivité permanente et ce, afin de pouvoir nouer les deux bouts. Dès lors se pose la question des nouveaux repères moraux face à la difficulté de survivre dans un Etat réputé dangereux. Le Congolais pauvre ou désargenté voit la mise en place de son instinct de survie, une survie associée, dans les discours emic, au miracle. N.B. Quand on parle du Congo, il y a une sur-utilisation du terme de « crise ». Or, stabilisation, dans un contexte de précarité et de violence. Mais il y a de l’ « ordre » derrière cela. N.B. Comprendre ce nouvel « ordre » ne doit pas valoriser de façon stupide l’inventivité dans ce contexte : l’économie informelle est née non d’un « génie », mais de la nécessité de se débrouiller. Le déclin sanitaire du Congo est effarant : retour de certaines maladies, etc. Bref, tout le monde ne parvient pas à suivre. Lubumbashi Située dans l'extrême Sud-est du pays, la ville voit le jour ex nihilo en 1910 sous le nom d’Elisabethville. Erigée par les colons belges, elle sert de relais et de centre économique en relation avec l'extraction du cuivre. Il s'agit d'une zone minière limitrophe de la Zambie (ex Rhodésie britannique). Cette ville naît donc de la de deux facteurs : 1°/ on a une région riche économiquement au point de vue des minerais, notamment du cuivre et aussi avec l’arrivée du chemin de fer venant d’Afrique du Sud; 2°/ on a un besoin d’une ville frontière avec la Rhodésie britannique. Il y a beaucoup de pressions au Katanga. Il faut un poste avancé militaire affirmant la puissance belge. Lubumbashi est construite sur le modèle d'"apartheid colonial". Elle comprend deux espaces distincts: la ville blanche (lieu des Blancs et des domestiques à leur service) et la cité (monde des indigènes, destinée aux travailleurs de l'industrie et du chemin de fer. Cités construites pour stabiliser les populations et d'éviter le retour des autochtones au pays). A peu de chose près, le plan actuel de la ville est celui laissé par les Belges, mais de très nombreux quartiers d’autoconstruction sont apparus. 53 Le Katanga est le véritable poumon économique du pays et cette région voit l'implantation d'une entreprise industrielle particulière: l’Union Minière (Gécamines, + tard). Devenue prospère sous le régime économique minier, la ville sera le théâtre de mouvements de sécession lors de l'indépendance. En 1960, les Katangais, soutenus par les Belges, voulurent faire sécession, conscients qu'ils possédaient les ressources nécessaires pour faire face à la déliquescence du reste du pays. Un Etat katangais se met momentanément en place jusqu'en janvier 1963. Nécessitera l'intervention de l'ONU, en vue de reconquérir la région sécessionniste. Commence alors la stigmatisation des Katangais, considérés comme des sécessionnistes. Des mesures préjudiciables à l'encontre du Katanga se maintiendront jusque dans les années 1980. Après le coup d'Etat, en 1965, Mobutu instaure un régime politique fort, que l'on pourrait considérer comme le modèle même d'une politique postcoloniale. Dominé par la violence politique, ce système clientéliste fonctionne sur un réseau de solidarité et de secours mutuel qui se traduit par l'octroi d'allocations salariales aux "fidèles alliés du régime", qui soutiennent le Mouvement Populaire de la Révolution (MPR). De plus, Mobutu est un fidèle allié des Etats-Unis et de l'Occident qui avaient, en effet, besoin de soutien dans leur lutte contre l'Angola, pays qui a basculé dans le bloc de l'Est. De même, le Congo cherche à se "qualifier" deuxième pays d'Afrique, juste après l'Afrique du Sud. Toutefois, l'Etat connaît très vite la banqueroute en raison d'une économie qui ne fonctionne que sur le court terme. Il n'y a pas d'entretien des structures implantées dans le pays. L'exemple de l'effondrement de la mine de Kamoto, en 1990, illustre bien cette situation économique dramatique. Les fonds existent, mais ils passent dans la poche de Mobutu! Les maigres tentatives d'ouverture politique se solderont par la violence et les évènements de Lubumbashi (prétendu massacre des étudiants, non attesté quant à son échelle annoncée). Mobutu, de plus en plus déstabilisé, va jouer la carte ethnique. Les boucs émissaires seront, en l'occurrence, les Luba du Kasaï. Ils sont, en effet, fortement liés à l'urbanisation du Congo, et occupent des postes clé dans l'industrie minière et ferroviaire. Les faveurs accordées aux Kasaï susciteront le ressentiment chez les Katangais. Ces derniers repoussent les Kasaï. Apparaît alors la figure du libérateur en la personne de Kabila père (1996-1997) qui s'illustre dans une guerre éclair contre Mobutu. Le président quitte le Congo pour se réfugier au Maroc (1997). Le nouveau régime de Kabila se met en place, mais pas pour longtemps. Ses alliés, les Ougandais et les Rwandais se plaignent du peu de compensations obtenues en échange du soutien qu'ils lui ont apporté. Nouvelle guerre d'agression, qui divise, cette fois, le pays en deux. Mutations économiques Cette situation entraîne le basculement complet du système de références économiques. Pour les Lushois, l'élément principal est l'Union minière Gecamines. Celle-ci a mis sur pied un système social extrêmement développé. Union Minière, ndjo baba, ndjo mama: l’Union Minière, c’est ton père, c’est ta mère. Les travailleurs naissent et meurent à la Gécamines, on y trouve des écoles, les salaires sont distribués en partie sous forme d'aliments, on s'y marie, on y meurt, bref elle ne peut 54 mieux faire pour prendre les gens en charge! Une véritable cristallisation de l'imaginaire paternaliste caractérisait l'ancien régime économique. Actuellement, seul 42% des ménages basent leurs ressources sur des activités officielles, alors qu'en 1970, on en comptait près de 84%. Dans les années 90 également, le cumul des sources de revenus est devenu monnaie courante, les femmes et les enfants travaillent. En effet, on observe l'explosion de toute une série de nouvelles activités et de petits métiers dont les principaux sont: les khadafi (vendeur d'essence à la sauvette), les dare-dare (revendeurs de ceintures, GSM, etc.), les cambistes (petits changeurs en dehors des structures officielles), les businesseurs (vendeurs de rues), les batumacer1 (revente à la hausse des petits objets d'artisanats) et les mustronger2 (qui voyagent et vendent sur les toits des trains). Un secteur informel ne signifie pas forcément un secteur chaotique. Les petits marchands s'inscrivent dans un réseaux parallèle à l'Etat et dont la répartition des espaces est savamment organisée, voire hiérarchisée. La mise en place symbolique de ce nouvel univers économique s'ancre dans un monde multiculturel et multilinguistique. Les langues parlées au Congo sont le swahili ( pour quasi l'ensemble de la population), le français (dans les milieux culturels, scolaires et élitistes), et les langues vernaculaires que l'on considère à tort comme des dialectes, et qui sont les langues maternelles des Lushois. Dans ce cadre, le vocabulaire s'avère être un très bon indice pour comprendre le nouvel univers symbolique qui se déploie autour de l'économie informelle. On distingue cinq grandes catégories en matière d'expression: 1. Le courage, la volonté, l'énergie • ku-choquer3: désigne la personne qui ignore de quoi sera composé son repas du jour, et qui courageusement cherche un job lui permettant de se nourrir. Terme lié à un aspect très physique. • kupika sando: signifie "frapper à l'aide d'un marteau". • kasa-kasa: celui qui se démène. Il y a réduction de la temporalité, on travaille à la journée. Cf. aussi les usages contemporains du mot ‘capital’, qui peut désigner une somme infime (de l’ordre d’un euro) nécessaires pour acheter des légumes en périphérie et les renvendre avec un micro-bénéfice au centre-ville. 1 Ba- est la marque du pluriel; -er marque l'agent; -tumac- est la déformation de l'anglais too much. Le terme renvoie à Neil Armstrong, premier homme sur la lune (c'est-à-dire "celui qui est en hauteur"). Les figures de la modernité deviennent des signifiants flottants qui circulent dans la nouvelle réalité économique congolaise. 3 Le préfixe ku- marque la forme de l'indicatif. 2 55 2. La ruse • souple ni we moya (ou one): "à toi-même d'être souple". Tu n'as qu'à être plus malin pour ne pas te faire attraper. • ku-ona clair: voir clair, mener sa barque sans se faire prendre. Renvoie à une métaphore souvent liée à la spiritualité (ne pas se faire voir, cf. la fondation du royaume luba). L'inverse du rusé est le paysan, celui qui ignore les astuces du monde urbain. Le kisenji est le villageois (péjoratif) 3. La corruption Elle utilise un vocabulaire très français pour les niveaux de haute corruption. Bien que la corruption puisse sembler omniprésente, elle ne se formule jamais explicitement en termes de corruption. Elle s'exprime par le biais d'arguments à dimension humaine tels que "j'ai un problème". On reformule ainsi en termes de solidarité le besoin d'obtenir des droits auxquels on ne peut prétendre. La corruption peut être parfois aussi une forme de racket organisé (le fonctionnaire pompe les taxes, l'agent arrête les voitures, etc.). On ne suit pas les voies de la corruption n'importe comment et pour n'importe quels motifs. La corruption a généré tout un champ lexical autour de la métaphore de la nourriture (« manger l’argent »). La corruption doit se faire modérément, on ne vide pas la caisse tout de suite! La ressource doit durer le plus longtemps possible: kula ndambo kwacha ndambo: "manger une partie et laisser une partie". Il faut ménager un poste qui fait vivre! La corruption n'a rien d'individualiste. Les fruits du racket sont redistribués dans un réseau fort hiérarchisé. Tout le monde en bénéficie (les supérieurs, l'entourage, la famille, etc.). En somme, il y a une volonté de moralisation de la corruption. A contrario, l'incorruptible apparaît comme un emmerdeur fini qui met en danger tout le système. Il incarne celui qui est au-dessus des besoins quotidiens. Inutile de dire qu'on lui mène la vie dure et qu'il aura toutes les peines du monde à se faire aider en cas de besoin. 4. La chute • horoscope: le destin. Parfois le destin peut faire de vous un riche ou un pauvre. On meurt, on survit par la Grâce de Dieu. • criseur: qui est par terre (sans le sous) • kuwa cini: quelqu'un qui « avale de l'air », qui est mort, qui est au bout. • kufwa: « mourir » : n’avoir plus de moyens • kwa neema ya Mungu: qui ne survit que « par la grâce de Dieu » • réa: abréviation de "réanimation" et référence à une partie du marché: les légumes. Désigne celui qui ne peut s'offrir que cela. 56 5. La richesse Surenchère d'apostrophes à la grâce divine. C'est la résurrection pour toutes ces personnes qui ont connu la déchéance et qui s'en sont sorti. Celui qui arrive, le montre. Il dévoile ostensiblement sa richesse. • kufufuka: ressusciter • wa yulu: d'en haut • ngwefu: patron • bwana: grand Conclusion La nouvelle économie se comprend au travers de métaphores touchant au domaine corporel. Cet aspect incarné du vocabulaire reflète les nouvelles dispositions d'une réalité qui fait osciller l'individu entre la vie et la mort. L'instinct de survie légitime, en quelque sorte, une nouvelle éthique : la ruse du petit contre le grand. Celui qui a recours à la corruption est ce héros malin qui, par la ruse, parvient à rétablir une situation qui lui était défavorable. C'est une situation de rééquilibrage. Les vocables tels que khadafi, ayatollah, sadam hussein ou ben laden marquent, en fait, la valorisation des figures liminaires qui tiennent bon contre la domination. Ils renvoient à ces personnages qui défient les grands de ce monde. Une des figures du "grand", c'est l'Etat, cette sphère abstraite qui ponctionne et qui ne rend rien. Pourquoi, dès lors, devrait-on le respecter. Ni bya l’Etat, « ce sont les choses de l’Etat », c-à-d « on ne lèse personne en volant l'Etat ». On ne peut pas à proprement parler d'une lutte anti-hégémonique. Paradoxalement, on a conscience de l'existence de l'Etat et on l'apprécie car il dispense des titres tels que diplôme, médailles, discours, et autres signes de reconnaissance valorisés. Pour cette raison, les citoyens aiment à participer au faste de l'Etat. On reprend le vocabulaire des politiciens, on détourne ou invente des paroles de dirigeants afin de légitimer la corruption. Ainsi, on parle de l'"article "15 : débrouillez-vous », article qui n'existe pas en soi et que l'on attribue à une constitution fictive. Ces comportements ne peuvent être compris que dans le contexte africain. La solidarité africaine se base sur le "que chacun se débrouille" mais rend cependant obligatoire la redistribution de ce qui a été amassé grâce à la corruption. Ceci explique le fait que le douanier, mal vu en général, pourra être considéré comme "un bon chrétien" s'il redistribue d'une manière ou d'une autre l'argent qu'il a détourné à son Eglise, etc. On ne vole pas n'importe qui et s'il est normal de corrompre l'Etat, le riche ou l'Européen, il apparaît comme immoral de soustraire de l'argent au pauvre ou à l'infirme. De telles dérives dans la corruption seraient très vite associées à la sorcellerie, immorale par essence. Derrière l'informel, il y a un ordre culturel, moral. On a trop souvent tendance à voir le chaos dans ces sociétés mouvantes. 57