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polyomavirus
Cancérogénicité du paludisme et de certains
polyomavirus
En février 2012, 26 scientifiques venus de 11 pays se sont réunis au Centre international de Recherche sur le
Cancer (CIRC) à Lyon, France, pour évaluer la cancérogénicité du paludisme et de quatre polyomavirus : le
virus Simien 40 (SV40), le virus BK (BKV), le virus JC (JCV) et le polyomavirus de Merkel (MCV). Ces
évaluations seront publiées dans le Volume 104 des Monographies du CIRC1.
L'OMS estime l’incidence annuelle du paludisme à 216 millions de cas 2. La majorité (> 90%) des cas sont dus
à Plasmodium falciparum, et la plupart des décès survient chez des enfants âgés de moins de 5 ans,
principalement en Afrique sub­saharienne et en Papouasie­Nouvelle­Guinée, où la transmission est
holoendémique ­ c'est­à­dire avec une prévalence du parasite supérieure à 75% dans le groupe d'âge de 0 à
1an.
En 1962, Denis Burkitt a le premier constaté une forte association géographique entre le paludisme
holoendémique et le cancer pédiatrique le plus fréquent en Afrique sub­saharienne, qui fut nommé
ultérieurement lymphome de Burkitt endémique (LBe). Le Virus d'Epstein­Barr (VEB), virus ubiquitaire et
oncogénique de la famille des Herpesvirus, est un agent nécessaire au développement du LBe3. Les enfants
africains sont infectés par le VEB très tôt dans leur vie (< 3 ans)4, et la co­infection précoce par VEB et P.
falciparum ainsi que l’intensité des infections paludiques au niveau individuel semblent influencer les
dérèglements associés au virus VEB et pouvant conduire au lymphome de Burkitt endémique (LBe).
Plusieurs études de corrélation ont confirmé le lien entre l’incidence du LBe et les zones géographiques où la
transmission de P. falciparum est holoendémique. Deux études cas­témoins5,6 chez des enfants vivant dans
ces zones holoendémiques ont montré une augmentation significative du risque de LBe en relation avec la
présence simultanée de taux élevés d’anticorps IgG spécifiques d’extraits totaux de schizonte de P.
falciparum et de taux élevés d’anticorps anti­VEB.
Différents mécanismes expliqueraient la contribution conjointe du VEB et de l’infection chronique par P.
falciparum dans le développement d’un LBe. In vivo, il est observé que l'infection par P. falciparum provoque
la multiplication d’un sous­type de cellules B immatures transitoires et l'activation de l’enzyme AID
(désaminase induite par l’activation) qui génère des mutations impliquées dans la commutation isotypique
des immunoglobulines7.
In vitro, certains antigènes du paludisme (par exemple, PfEMP1) provoquent directement l'activation et la
prolifération polyclonales des lymphocytes­B et modifient différentes voies cellulaires qui inhibent l’apoptose8.
La prolifération des cellules B peut augmenter le compartiment des cellules infectées par VEB tandis que
l'activation des lymphocytes B peut réactiver le virus VEB latent ; il a été démontré que ces deux événements
augmentent directement l’activité de l’AID 9 et empêchent l’apoptose10. Ces mécanismes conduisent à
l'augmentation de la survie de cellules B ayant acquis la translocation chromosomique du gène c­Myc
caractéristique du LBe. Ainsi, P. falciparum est capable de perturber le système immunitaire encore immature
des jeunes enfants en augmentant le réservoir de cellules B à partir desquelles se développe le Lymphome de
Burkitt endémique, et réactiver le Virus d'Epstein­Barr latent.
Malgré les indications épidémiologiques limitées chez l'Homme, ces données mécanistiques solides ont conduit
le Groupe de Travail à conclure que le paludisme causé par l’infection à P. falciparum dans les zones
holoendémiques est « probablement cancérogène pour l'Homme » (Groupe 2A).
Les polyomavirus BKV, JCV et SV40 sont phylogénétiquement très proches, alors que MCV est plus distant
dans l’arbre phylogénétique11. BKV et JCV sont ubiquitaires, infectant respectivement plus de 90% et
environ 70% de la population adulte12. Pour chacun de ces deux virus, la primo­infection asymptomatique
survient pendant l’enfance et une infection persistante s’établit dans le tractus urinaire13 : les virus sont
parfois relargués dans l’urine et sont retrouvés dans les eaux usées, suggérant une voie de transmission
digestive. Chez les personnes immunodéprimées, JCV provoque des leucoencéphalopathies multifocales
progressives dans le cerveau, tandis que le virus BKV est associé à des cystites hémorragiques et des
néphropathies.
Pour BKV et JCV, les résultats des séries de cas et de quelques études cas­témoins apportent seulement des
indications irrégulières en faveur d’une association avec des cancers localisés à différents sites, et plusieurs
études prospectives n’ont montré aucune association.
Les études expérimentales chez l’animal et sur cultures cellulaires montrent que BKV et JCV sont directement
oncogéniques et possèdent un pouvoir transformant par le biais de l’oncoprotéine Large T qui est toujours
exprimée14. Le mécanisme sous­jacent implique l’immortalisation, la transformation et l'augmentation de la
survie cellulaire. Cependant, les indications restent faibles et controversées pour transposer ce mécanisme à
l’Homme.
En conclusion, sur la base « d’indications insuffisantes » chez l'Homme et « d’indications suffisantes » chez
l’animal de laboratoire, le Groupe de Travail a classé les virus BKV et JCV comme «peut­être cancérogène
pour l'Homme" (Groupe 2B).
Dans les années 1950 et au début des années 1960, des millions de personnes à travers le monde ont reçu
des vaccins contre le poliovirus qui étaient contaminés par SV40, un polyomavirus infectant naturellement le
macaque rhésus15. Peu de temps après cette découverte, il a été montré que SV40 pouvait induire des
tumeurs chez les hamsters nouveau­nés16, ce qui a créé de sérieuses inquiétudes que SV40 puisse induire le
cancer chez l'Homme, en particulier des tumeurs cérébrales, le mésothéliome, et des lymphomes non
hodgkiniens.
Neuf études de cohortes indépendantes ont suivi des personnes ayant reçu des vaccins potentiellement
contaminés par SV40; la plupart de ces études n’ont pas rapporté d’augmentation de risque de cancer
associé à cette exposition. Chez l’Homme, la plupart des anticorps SV40 ont une réaction croisée avec les
virus BKV et JVC17. Plusieurs études cas­témoins ont trouvé une faible prévalence d’anticorps SV40, similaire
chez les cas atteints de cancer et les témoins. Une étude cas­témoins a montré une association entre
l’incidence de lymphomes non hodgkiniens et la présence d’anticorps SV40, mais ces derniers présentaient
une réaction croisée avec les virus BKV et JCV18.
De nombreuses séries de cas ont rapporté la détection de séquences d’ADN de SV40 dans une proportion
importante de tumeurs étudiées, alors que d’autres études n’ont pas détecté l’ADN viral. Dans ces études, la
possibilité de contamination des échantillons de tumeurs par de faibles quantités d’ADN de SV40 provenant
par exemple, de plasmides couramment utilisés dans les laboratoires ou d'autres sources, pourrait présenter
un problème particulier19.
Des données solides et cohérentes, issues d’études expérimentales chez l’animal et dans des cellules en
culture, indiquent que le SV40 est directement oncogénique. Chez les rongeurs, le mécanisme de
transformation, principalement par l'intermédiaire de l'action de l’oncoprotéine grand­T, est très bien établi.
Par contre, malgré des études approfondies, il n'existe pas d’indication convaincante que ce mécanisme
opère chez l’Homme. Dans les tumeurs humaines dans lesquelles l'ADN de SV40 est détecté, la grande
majorité des cellules ne contient pas le génome viral. De plus, des études séro­épidémiologiques bien menées,
utilisant des tests d'anticorps SV40 spécifiques, ne fournissent pas d’indications suffisantes que le SV40 infecte
l’Homme et il n’existe aucune indication qu’une transmission humaine existe.
Sur la base d’« indications insuffisantes » chez l'Homme et d’ « indications suffisantes » chez l'animal de
laboratoire en faveur de la cancérogénicité de SV40, et tenant compte des données fortement négatives
concernant l’infection et la cancérogenèse chez l'Homme, le Groupe de Travail a évalué le virus SV40 comme
agent « inclassable quant à sa cancérogénicité pour l’Homme » (Groupe 3).
Le MCV a été récemment découvert dans un cancer cutané rare, le carcinome à cellules de Merkel (CCM)20.
L’infection acquise au cours de l’enfance est asymptomatique et MCV est présent dans la peau de la plupart
des adultes. Le mode de transmission, le tropisme cellulaire et les caractéristiques de latence de ce virus
restent à élucider.
Un rôle étiologique du MCV dans le CCM est corroboré par quelques études cas­témoins et quelques séries de
cas. Les études cas­témoins ont rapporté des odd­ratios de 2,4 à 6,6 pour des marqueurs sériques
spécifiques de l’infection par MCV et de 16,9­63,2 pour des marqueurs sériques de l’expression des gènes
viraux précoces. Etant donné les connaissances limitées concernant d’autres facteurs de risque pour
l’infection par MCV et le développement du CCM, un biais de confusion potentiel ne peut pas être exclu.
Néanmoins, un certain nombre de séries de cas montrent de façon indéniable et dans différentes populations
la présence d’ADN MCV dans les tissus tumoraux de la plupart des cas de MCC (prévalence de 59­100%).
Les études de cancérogénicité de MCV chez l’animal sont rares, mais des indications mécanistiques fortes
existent en faveur d’une contribution directe du virus dans le développement d’une importante proportion
de CCM21. Dans une vaste majorité des CCM analysés et positifs pour MCV, une ou plusieurs copies du
génome viral sont présentes par cellule, l’ADN viral est intégré dans le génome cellulaire, et l’intégration
précède l’expansion clonale des cellules tumorales. La plupart des CCM contient des mutations dans des
séquences de l’antigène grand­T qui conduisent à l’expression d’une protéine tronquée dans la partie C­
terminale qui est déficiente pour la réplication virale22. L'expression des antigènes petits et grands­T, identifiés
in vitro pour avoir des propriétés oncogéniques, a été observée à plusieurs reprises dans des lignées cellulaires
de CCM.
Sur la base d’«indications limitées» chez l'Homme, d’« indications insuffisantes » chez l’animal de laboratoire, et
considérant les données mécanistiques convaincantes chez l'Homme, MCV est classé comme agent «
probablement cancérogène pour l'Homme » (Groupe 2A).
Véronique Bouvard, Robert A Baan, Yann Grosse, Béatrice Lauby­Secretan, Fatiha El Ghissassi, Lamia
Benbrahim­Tallaa, Neela Guha, Kurt Straif, pour le Groupe de Travail des Monographies du Centre
international de Recherche sur le Cancer, CIRC, Lyon, France.
Nous déclarons n’avoir aucun conflit d’intérêt.
Références :
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Article disponible en anglais
Bouvard V, Baan RA, Grosse Y, Lauby­Secretan B, El Ghissassi F, Benbrahim­Tallaa L, et al. Carcinogenicity of
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https://doi.org/10.1016/S1470­2045(12)70125­0
Pour plus d’information sur les Monographies du CIRC : http://monographs.iarc.fr/
Membres du Groupe de Travail
R. Newton (GB)– Président; P. Coursaget (France); J. Becker (absent pour la réunion ; Autriche); M. Pawlita (
Allemagne); R. Sarid (Israel); P.O. Sumba (Kenya); A. zur Hausen (Pays Bas); S. de Sanjosé (Espagne); M.T.
Bejarano, T. Dalianis, J. Dillner, M. Troye­Blomberg, M. Wahlgren (présent pour une partie seulement des
évaluations) (Suède); A. Darnton (absent pour la réunion ; GB ); J.S. Butel, E. Engels, A. Goel (absent pour
les évaluations), J. Gordon, S.M. Mbulaiteye, R. Rochford, D.E. Rollison, K.V. Shah, R Viscidi (Etats­Unis)
Spécialistes invités
M. Tognon (Italy); C.B. Buck, Y. Chang (USA)
Représentants
D G Blair, National Cancer Institute (USA)
Secrétariat du CIRC
R. Accardi­Gheit, R.A. Baan, L. Benbrahim­Tallaa, V. Bouvard, G. Clifford, J­D. Combes, I. Deltour, C. De
Martel, F. El Ghissassi, S. Franceschi, T. Gheit, Y. Grosse, N. Guha, M. Iannacone, B. Lauby­Secretan, K.R.
Müller, M. Plummer, K. Straif, B. Sylla, M. Timofeeva, M. Tommasino, S. Vaccarella, M. Wozniak.
Confits d’intérêt
CBB est co­inventeur de brevets et titulaire de demandes de brevets provisoires portant sur le
développement de vaccins contre les polyomavirus humains.
Le laboratoire d’YC de l’Université de Pittsburg, PA, Etats­Unis, a identifié le polyomavirus de Merkel, et tous
les droits de propriété intellectuelle sont affectés à l'université, qui a également la couverture du brevet pour la
séquence du virus et les essais diagnostiques.
JD a reçu des honoraires de conférence en 2009 de la société Elan, travaillant sur les diagnostics des
polyomavirus.
MTog a une demande de brevet pour des « anticorps de détection spécifiques de l’antigène cible SV40, dans
des échantillons de sérum humain, par ELISA indirect ». Tous les autres membres du Groupe de Travail,
spécialistes, représentants, et secrétariat déclarent n’avoir aucun conflit d'intérêt.
Traduit de l'anglais par Béatrice Fervers, Julien Carretier et le Département Cancer Environnement
Relecture : Section des Monographies du CIRC, Section Communication
21 déc. 2016
Copyright 2016 ­ Centre Léon­Bérard
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