d o s s i e r Douleurs pelvi-périnéales : la jungle des mots ■ J.J. Labat* L a littérature est particulièrement riche pour désigner les différentes douleurs pelvi-périnéales sans support lésionnel (1). Le suffixe “dynie” (2) est souvent associé à la topographie de la douleur pour la caractériser : prostatodynie, vulvodynie, coccygodynie… Mais cela définit-il un contexte pathologique spécifique ? D’une spécialité à l’autre, les patients seront étiquetés différemment, au risque de laisser entendre qu’il s’agit d’errances diagnostiques. Il est parfois difficile de se retrouver dans cette jungle de mots ; l’objectif de cette présentation est de vous y aider. DU SENS DES MOTS : LES SYMPTÔMES L’ICS (International Continence Society) (3) a récemment publié un rapport sur la terminologie des anomalies fonctionnelles du bas appareil urinaire, englobant notamment les douleurs. Un certain nombre de termes ont donc été précisés dans un objectif d’uniformité et de facilitation de la communication. Douleurs génitales et du bas appareil urinaire Elles peuvent être définies comme une gêne extrême et caractérisées par leurs types, leurs fréquences, leurs durées, leurs facteurs déclenchants, leurs localisations et leurs irradiations. Les patients peuvent rattacher leur douleur au remplissage vésical, à la miction, aux suites de la miction ou rapporter des douleurs continues. La douleur peut être référée, par exemple une douleur vésicale ressentie au niveau de l’urètre et de la verge. Douleur vésicale Douleur ressentie dans la région suspubienne et habituellement augmentée par le remplissage vésical, elle peut persister après la miction. * Centre médical Mauvoisins, 25, rue Mauvoisins, 44200 Nantes. e-mail : [email protected] 8 Douleur urétrale Douleur ressentie au niveau de l’urètre. Douleur vulvaire Douleur ressentie au niveau de la région génitale externe, entre le méat urétral et l’anus. Douleur vaginale Douleur ressentie comme interne, au-dessus de la vulve. Douleur scrotale Douleur pouvant être localisée par le patient à la région testiculaire ou scrotale, par exemple au niveau de la tête de l’un ou l’autre épididyme. Douleur périnéale, périnéalgie Douleur ressentie entre l’urètre et l’anus et localisée par le patient au niveau du périnée. La douleur périnéale est ressentie par l’homme en arrière du scrotum et en avant de l’anus ; la douleur scrotale est différente. Chez la femme, peut-on distinguer les douleurs vulvaires des douleurs périnéales ? Douleur pelvienne La douleur pelvienne est moins bien définie que la douleur périnéale, vésicale ou urétrale et apparaît moins clairement rattachée au cycle remplissage-miction ou à la fonction intestinale. Ténesme vésical (strangury) C’est le terme utilisé pour décrire une sensation intense et désagréable, douloureuse, ressentie au niveau de la vessie à la fin de la miction. Le patient ressent la nécessité de continuer à uriner, mais peut n’émettre que quelques gouttes. Un calcul vésical peut donner de telles sensations. Spasmes vésicaux Spasme vésical est le terme utilisé pour décrire une urgence mictionnelle extrême pouvant entraîner ou non une fuite. Les spasmes vésicaux peuvent être ressentis par un patient en sonde à demeure et sont présumés pouvoir être rattachés à des contractions involontaires du détrusor. Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. I - mars 2001 Les douleurs pelvi-périnéales ICS (International continence society) gêne peut être sourde, douloureuse, ou légère, intrarectale, aggravée en position assise et soulagée en position debout. Il peut exister une sensation de remplissage rectal et de faux besoins d’exonérer. Il peut s’y associer une tension et une dyssynergie des muscles du plancher pelvien. Syndrome de vessie douloureuse (painful bladder syndrome) Il s’agit d’une douleur suspubienne en relation avec le remplissage vésical, habituellement accompagnée d’une pollakiurie diurne et nocturne, en l’absence de toute pathologie locale. Le terme de cystite interstitielle ne devrait pas être utilisé tant que ce diagnostic n’a pas été confirmé par la cystoscopie et la biopsie. Proctalgie fugace Défini, par consensus selon les critères de Rome (1990), comme des épisodes récurrents de douleurs de l’anus ou du bas rectum depuis au moins trois mois, les épisodes paroxystiques durent de quelques secondes à quelques minutes. Il n’y a pas de douleur entre ces épisodes douloureux et on ne met pas en évidence de maladie ano-rectale. DES MOTS POUR LE DIRE : LES SYNDROMES Certains termes ont également été définis par consensus pour décrire les syndromes périnéaux douloureux. Syndrome urétral (urethral pain syndrome) Il s’agit d’une douleur urétrale épisodique et récurrente survenant lors de la miction, habituellement associée à une pollakiurie diurne et nocturne, et survenant généralement en l’absence de toute pathologie et notamment de toute infection. Ces crises douloureuses sont espacées et surviennent moins de 6 fois par an chez la moitié des patients. Syndrome de douleur périnéale (perineal pain syndrome) Il s’agit d’une douleur périnéale persistante ou épisodique et récurrente, éventuellement en rapport avec le cycle mictionnel d’autres troubles du bas appareil urinaire comme une pollakiurie diurne. Les troubles surviennent en l’absence de toute pathologie et notamment de toute infection. Cette classification des prostatites a essayé de séparer le contexte des prostatites bactériennes et celui des prostatites abactériennes et prostatodynies. Le terme de syndrome de douleur pelvienne chronique est introduit comme synonyme pour bien montrer que l’on admet que ces douleurs peuvent être générées par d’autres organes que la prostate. Ces douleurs sont de très loin les plus fréquentes. Syndrome de douleur pelvienne (pelvic pain syndrome) Il s’agit d’une douleur pelvienne présentant les mêmes caractéristiques que le syndrome de douleur périnéale. Prostatite aiguë bactérienne Infection aiguë de la glande prostatique. AGA (American Gastroenterological Association) (4) Syndrome du releveur Défini, par consensus selon les critères de Rome (1990), comme une douleur ano-rectale chronique ou récurrente, survenant depuis plus de trois mois, évoluant par épisodes durant plus de 20 minutes et en dehors de toute cause organique de douleur rectale. Le syndrome du releveur est en fait caractérisé par une douleur, chronique ou intermittente ; la Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. I - mars 2001 NIH (National Institutes of Health : International Prostatitis Collaborative Network) (5) Prostatite chronique bactérienne Infections urinaires récidivantes avec infection chronique de la prostate. Prostatite inflammatoire ou syndrome de douleur pelvienne chronique inflammatoire Gêne ou douleur dans la région pelvienne associée à l’absence d’infection démontrée par les techniques cytobactériologiques habituelles mais comportant un nombre significatif de globules blancs dans les échantillons spécifiques d’origine prostatique (c’est-à-dire : sperme, sécrétions prostatiques ou urines recueillies après massage prostatique). 9 d o s s i e r Prostatite non inflammatoire ou syndrome de douleur pelvienne chronique non inflammatoire Gêne ou douleur dans la région pelvienne associée à l’absence d’infection démontrée par les techniques cytobactériologiques habituelles et comportant un nombre non significatif de globules blancs dans les échantillons spécifiques d’origine prostatique (c’est-à-dire : sperme, sécrétions prostatiques ou urines recueillies après massage prostatique). Prostatite inflammatoire asymptomatique Le patient n’a pas de douleur (à l’occasion d’un bilan d’infertilité ou de celui d’un taux de PSA élevé) mais il a été mis en évidence une infection ou une inflammation d’origine prostatique. Autres terminologies Prostatodynies et prostatite chronique abactérienne Officiellement, ces termes sont abandonnés depuis la classification des prostatites présentée ci-dessus. Névralgie pudendale (6) Décrite initialement en 1915 et longtemps oubliée, la névralgie pudendale est une douleur à type de brûlure, siégeant dans tout ou partie du territoire du nerf pudendal (de la région clitoridienne ou de la verge jusqu’à l’anus), médiane ou latéralisée. Elle est aggravée en station assise, soulagée en position debout et tend à disparaître en position couchée. Elle ne s’accompagne pas d’anomalie neurologique objective. 10 chronique, une sensibilité vulvaire excessive, une hyperesthésie vulvaire. On peut globalement individualiser deux types de vulvodynies : les vulvodynies symptomatiques d’une pathologie locale spécifique et celles qui ne le sont pas, c’est-à-dire les vulvodynies essentielles. Celles-ci peuvent correspondre à des vestibulites vulvaires ou à des névralgies pudendales. Vestibulite vulvaire (8) Cette brûlure vulvaire a pour caractéristique d’être tout à fait localisée au niveau du vestibule, sans côté préférentiel. Celui-ci est particulièrement sensible, avec une intolérance locale au moindre contact (Coton-Tige humide), entraînant souvent une dyspareunie sévère et l’impossibilité d’appliquer un tampon hygiénique ; l’introduction du spéculum est alors impossible. La douleur n’est pas spontanée mais provoquée par le frottement lors de la marche ou au contact du slip ou des pantalons serrés. Localement, on peut retrouver un érythème localisé visible macroscopiquement ou une simple hyperémie visible en vulvoscopie. Vulvodynies “dysesthésiques” Il s’agit d’un terme utilisé pour désigner les vulvodynies en rapport avec une névralgie pudendale (par analogie aux “méralgies paresthésiques”). Syndrome du canal d’Alcock (7) Ce terme, utilisé initialement par Gérard Amarenco pour désigner les névralgies pudendales observées chez les cyclistes, sous-entend que l’origine de la névralgie est en relation avec un syndrome canalaire situé dans le canal pudendal d’Alcock. En fait, l’étude opératoire des conflits ligamentaires montre que si les conflits sont fréquents à ce niveau, ceux situés au niveau de la pince ligamentaire (ligament sacro-épineux/ligament sacro-tubéral au niveau de l’épine sciatique) le sont encore davantage. Syndrome du piriforme Il s’agit d’une douleur fréquente, située au niveau de la fesse dans sa portion médiane, en général aggravée en station assise, parfois par les efforts. Cliniquement, elle s’accompagne d’une douleur sur l’insertion trochantérienne du muscle pyramidal du bassin (ou muscle piriforme), d’une douleur à la pression médiane du muscle au passage du tronc du nerf sciatique. Cette douleur peut s’accompagner d’irradiation dans un territoire sciatique plus ou moins tronqué faisant évoquer une compression du tronc sciatique, ou plutôt du nerf cutané postérieur de la cuisse (nerf petit sciatique) sous le bord inférieur du muscle dans le canal sous-piriforme. Cette douleur est cependant relativement peu spécifique et souvent retrouvée chez les patients présentant une douleur pelvi-périnéale, quelle qu’en soit l’origine. Vulvodynie ou syndrome de brûlure vulvaire La vulvodynie désigne un inconfort vulvaire Syndrome myofascial pelvi-périnéal (9) Forme localisée de fibro-myalgie, les douleurs Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. I - mars 2001 Les douleurs pelvi-périnéales myofasciales sont localisées au niveau des muscles de la région périnéale et fessière. Elles se caractérisent par des points gâchettes, un contexte douloureux chronique. Névralgie ano-rectale Il s’agit d’un terme souvent utilisé en coloproctologie pour désigner les douleurs ano-rectales sans explication locale. On peut l’intégrer dans le cadre des atteintes de la branche anale (ou hémorroïdale) du nerf pudendal. Douleur rectale chronique idiopathique Les patients se plaignent d’une vague sensation de tension intrarectale, constante ou intermittente, avec ou sans irradiation, et qui peut être soulagée après l’émission de gaz ou de selles, le changement de position, les bains de siège ou les massages locaux. Coccygodynie La coccygodynie est une douleur aggravée par la station assise et parfois au moment du relever, elle est reproduite par la pression ou l’ébranlement du coccyx par voie externe ou lors du toucher rectal. Cette douleur doit être strictement localisée au niveau du coccyx et ne pas avoir d’irradiation fessière ou périnéale. Elle peut parfois être le témoin d’une instabilité du coccyx démasquée par les clichés dynamiques du coccyx comparant les clichés en station debout et assise. Une instabilité du coccyx supérieure à 25° peut être considérée comme pathologique. Elle peut également être en rapport avec une épine osseuse coccygienne. Souvent cependant les radiographie restent normales. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Wesselmann U, Burnett AL, Heinberg LJ. The urogenital and rectal pain syndromes. Pain 1997 ; 73 : 269-94. Syndrome de Maigne Il s’agit de douleurs référées, pseudo-viscérales, s’exprimant au niveau inguinal, testiculaire ou labial, urétral et en rapport avec un conflit de la charnière thoraco-lombaire. Ce syndrome est en général d’origine articulaire postérieure ; l’examen clinique retrouve des points douloureux articulaires postérieurs, une zone de cellulalgie en regard et une certaine sensibilité à la pression du flanc et de la région inguinale. COMMENTAIRES Le syndrome du releveur, les douleurs rectales chroniques idiopathiques, les névralgies anorectales, les névralgies pudendales par atteinte de la branche hémorroïdale sont probablement le témoin d’un même contexte pathologique. Le syndrome du piriforme semble souvent s’intégrer dans un contexte de syndrome myofascial. Le terme de syndrome douloureux pelvien chronique utilisé pour désigner les anciennes prostatodynies est assez mal adapté et mériterait plutôt celui de syndrome douloureux périnéal chronique proposé par l’ICS. Il faut constater que les gastro-entérologues ne retiennent que deux cadres de douleurs : le syndrome du releveur et les proctalgies fugaces. Si la névralgie pudendale peut être une étiologie de ces prostatites non inflammatoires, mais également de certaines vulvodynies, de syndromes du releveur, de douleurs rectales chroniques idiopathiques, elle ne peut l’être des vestibulites vulvaires, des coccygodynies ou des proctalgies fugaces, qui sont cliniquement très différentes. ■ 4. Drossman DA, Funch-Jensen P, Janssens J, Talley NJ, Thompson WG, Whitehead WE. Identification of sub-groups of functional gastrointestinal disorders. Gastroenterol Int 1990 ; 3 : 159-72. 5. Nickel JC, Nyberg LM, Research guidelines for Wesselmann U, Reich SG. The dynias. Semin Neurol 1996 ; 16 : 63-74. chronic prostatitis : consensus report from the First National Institutes of Health International Prostatitis Collaborative Network. Urology 1999 ; 54 : 2 : 229-33. 3. ICS. Standardisation reports. Draft 3 termino- 6. Labat JJ, Robert R, Bensignor M, Buzelin JM. logy 16.10.00. http://www.continet.org Les névralgies du nerf pudendal (honteux interne). 2. Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. I - mars 2001 Considérations anatomo-cliniques et perspectives thérapeutiques. J Urol (Paris) 1990 ; 96 : 239-44. 7. Amarenco G, Savatosky I, Budet C, Perrigot M. Névralgies périnéales et syndrome du canal d’Alcock. Ann Urol 1989 ; 6 : 488-92. 8. Friedrich Jr EG. Vulvar vestibulitis syndrome. J Reprod Med 1987 ; 32 : 110-4. 9. Costello K. Myofascial syndromes. In : Chronic pelvic pain. An integrated approach. Steege JF, Metzger DA, Levy BS (eds). Saunders Company, 1998 ; 26 : 251-66. 11