évoqués tels que le cardinal de Bonald, Camille Rambaud, Antoine Chevrier, mais aussi la généreuse bourgeoise
Pauline Jaricot (1799-1862), l'Eglise lyonnaise a su prendre en compte la souffrance des masses populaires, et
encourager les associations de travailleurs et les caisses de solidarité.
Il y a un second mouvement d’ouverture du catholicisme social français qui nait à Lyon à la fin du 19e siècle, qui
est celui de la Chronique Sociale. Y a-t-il une filiation avec le père Chevrier et le Prado ?
La Chronique Sociale (appelée à ses débuts « Chronique des comités du Sud-Est ») a été créée à Lyon, en 1892, par un
ancien employé en soierie, Marus Gonin (1873-1937), et par un grand bourgeois, Victor Berne, en vue de diffuser la
doctrine sociale de l'Eglise définie par l'encyclique « Rerum Novarum » du pape Léon XIII. Bâtis sur des cercles d'études,
le mouvement et sa revue condamnent l'individualisme bourgeois et contestent le libéralisme économique. Dans le
contexte anticlérical très important de cette époque, les initiateurs de la Chronique Sociale se montrent autant soucieux
de la condition des ouvriers que de la défense de l'Eglise. Mais ils ont aussi pour préoccupation l'organisation de la
société et la situation des hommes à travers le monde. « On ne nait pas citoyen : on le devient par l'étude et la
réflexion », proclame une de leurs premières publications. En 1901, les cercles d'études, au nombre de soixante-cinq,
rassemblent déjà près de 2500 adhérents, répartis de Lyon jusqu'à Marseille en passant par la Loire et l'Isère. En 1904,
Marius Gonin lance les « Semaines Sociales », sortes « d'universités populaires » se déroulant sur quelques jours
chaque année et destinées à l'éducation citoyenne. La Chronique Sociale a été le creuset lyonnais d'un catholicisme de
l'ouverture qui a rayonné dans toute une partie de l'Eglise universelle. Elle a compté parmi ses animateurs des
intellectuels d'envergure tels que les philosophes Joseph Vialatoux (1880-1970) et Jean Lacroix (1900-1986), ainsi que
le journaliste et essayiste Joseph Folliet (1903-1972). Surtout, à partir de l'année 1925, elle a bénéficié de la
collaboration des jésuites qui avaient réinstallé leur scolasticat à Fourvière. Parmi ces jésuites se trouve le père Henri de
Lubac (1896-1991), un des plus grands théologiens catholiques du 20e siècle, et le père Pierre Chaillet (1900-1972),
fondateur, durant l'Occupation allemande, des « », organe de la résistance spirituelle
Cahiers du Témoignage Chrétien
chrétienne. C'est ainsi que la Chronique Sociale n'a pas été étrangère à tout ce que le Concile Vatican II (1962-1965) a
produit comme pensée et comme spiritualité ouvertes sur le monde. Y a-t-il un lien entre ce mouvement et l'œuvre du
père Chevrier ? Marius Gonin ne pouvait pas ignorer l'œuvre de ce prêtre dont la grandeur d'âme a marqué durablement
l'Eglise de Lyon. Par ailleurs, le journaliste Joseph Folliet, qui a animé longtemps la Chronique Sociale, a terminé sa vie
comme prêtre du Prado. S'il n'y a pas forcément « filiation », il y a au moins une connivence !
Le scolasticat jésuite de Fourvière, qui a joué un rôle dans l’ouverture de l’Eglise et au concile de Vatican II, a
fermé ses portes; les Semaines Sociales, initiées pas la Chronique, n'ont plus leurs siège à Lyon mais à Paris;
l'œuvre de la Propagation de la foi, fondée par Pauline Jaricot, est aujourd’hui à Rome, etc. Que reste-t-il à
Lyon ? Est-ce encore une place vivante de l’Eglise ou cela appartient-il à l’histoire ?
Il y a encore les éditions de la Chronique Sociale à Lyon, et le diocèse compte une « Antenne sociale ». Mais beaucoup
de ces belles constructions ont, effectivement, quitté Lyon pour s'épanouir autrement ailleurs. L'Eglise de Lyon ne
rayonne certainement plus autant, aujourd'hui, qu'elle n'a rayonné au 19e siècle et dans la première partie du 20e siècle.
Probablement parce que, à Lyon comme ailleurs en France et dans toute une partie de l'Europe, le christianisme
s'affaiblit, ses effectifs diminuent, son influence sur la société s'amoindrit. Cependant, l'Eglise catholique à Lyon, même
de plus en plus en situation de minorité, témoigne encore d'une vitalité non-négligeable. L'Institut Catholique de Lyon,
avec notamment sa faculté de théologie, demeure un lieu fort de production et de diffusion du savoir, et cela dans un
esprit d'ouverture et un souci de l'innovation qui ne déplairaient pas aux « pères » du catholicisme social. Lyon reste une
des « capitales » de la solidarité, et l'inspiration chrétienne n'est pas étrangère à plusieurs des initiatives qui sont prises.
Ainsi, le Foyer Notre-Dame des Sans Abri, créé il y a soixante ans par Gabriel Rosset (1904-1974), vient chaque année
au secours de plusieurs centaines de personnes qui se sont retrouvées à la rue. Il compte mille cinq cents bénévoles! Il
est considéré comme une des institutions les plus performantes, en France, en matière d'accueil et de réinsertion. C'est
aussi à Lyon que le père Bernard Devert, prêtre du diocèse, a créé, en 1985, le mouvement Habitat et Humanisme, qui a
ouvert de nouveaux chemins pour le logement social. Quant aux jésuites, comme les dominicains et les
assomptionnistes, ils gardent une présence lyonnaise qui n'est pas sans influence. L'un d'entre eux, le père Jean-Noël
Gindre, a lancé ces dernières années une association : « Coup de pouce-Université », qui apporte un précieux soutien
aux étudiants étrangers qui doivent apprendre à survivre chez nous. Enfin, il me paraît important de relever que Lyon a
été, depuis au moins soixante dix ans, le berceau de nombreuses initiatives en matière d'œcuménisme entre les Eglises
chrétiennes et en matière de dialogue interreligieux. Là est née la Semaine de prière pour l'unité des chrétiens, à
l'initiative du père Paul Couturier (1881-1953). Là ont été écrites de belles pages d'amitié et de solidarité entre croyants
juifs, chrétiens, musulmans. Un des grands pionniers du dialogue interreligieux dans le monde est d'ailleurs un Lyonnais,
le père Jules Monchanin (1895-1957), un brillant ecclésiastique parti vivre l'enfouissement en Inde au milieu des hindous.
Notre ville reste un des lieux du globe parmi les plus dynamiques dans ces domaines.
Il y a moins de bouillonnement et d’effervescence dans l’Eglise de Lyon, mais aussi moins de divisions ?