Espace tangent et extrema liés
Dans tout ce qui suit, Udésigne un ouvert de Rn. On se donne des fonctions
f1, . . . , fd, g :UR,
toutes de classe C1, et on pose
S={xRn/f1(x) = . . . =fd(x)=0}.
Le problème qu’on se pose est de localiser les extrema de la restriction de gàS. Il
faut bien comprendre d’emblée que comme Sa très peu de chances d’être un ouvert, le
théorème usuel sur les points critiques ne fonctionne plus : dans la situation présente, les
variables de g|Ssont liées par les relations
f1(x) = . . . =fd(x) = 0.
Une première étape va consister à préciser la géométrie de S. Heuristiquement, Sse pré-
sente sous la forme d’une intersection de dhypersurfaces ; on a donc dans l’idée que S
sera un objet (nd)-dimensionnel, au sens où Sressemblera, au voisinage de chacun de
ses points, à un sous-espace vectoriel de Rnde dimension nd. On va montrer que cela
est vrai sous des hypothèses raisonnables d’indépendance, et aboutir à la notion d’espace
tangent.
Une fois l’espace tangent en place, nous obtiendrons immédiatement une condition néces-
saire pour que g|Sadmette un extremum en un point ade S, exprimant essentiellement
que la différentielle de gen aest nulle sur l’espace tangent à Sen a. En reformulant
cette condition via la dualité, on obtiendra enfin le théorème des extrema liés, ce résultat
apparaissant alors sous son véritable visage : un théorème de géométrie.
1 L’espace tangent
Fixons un point ade S, et supposons que les différentielles des fiau point a(qui sont
des formes linéaires sur Rn) soient linéairement indépendantes. Il revient au même de
supposer que les gradients des fien asont indépendants.
Définissons l’application
f:URd, x 7→ (f1(x), . . . , fd(x)).
1
Par hypothèse, les formes linéaires d(fi)(a),1id, sont indépendantes ; de façon
équivalente, df(a)est surjective. Quitte à renommer les variables, cela revient aussi à
supposer que la matrice
[jfi(a)]1i,jd
est inversible. Toutefois, il sera plus commode d’exprimer cette condition en disant que
l’application « différentielle partielle 1» :
d1f(a) : RdRd, h = (h1, . . . , hd)7→ df(a)(h, 0) = df (a)(h1, . . . , hd,0,...,0)
est un isomorphisme. Nous utiliserons aussi dans la suite l’autre différentielle partielle de
fen a, définie ainsi :
d2f(a) : RndRd, h = (hd+1, . . . , hn)7→ df (a)(0, h) = df(a)(0,...,0, hd+1, . . . , hn).
Notre hypothèse fondamentale d’indépendance se traduit alors de la façon suivante :
d1f(a)GL(Rd).
On définit alors l’espace (vectoriel 2) tangent à Sen a, noté TaS, comme l’ensemble des
vitesses en ades arcs de classe C1tracés sur Set passant par a. De façon précise, TaSest
l’ensemble des vecteurs vRntels qu’il existe γ: [δ, δ]Rnde classe C1vérifiant :
γ(0) = a,γ0(0) = vet γ(t)Spour |t| ≤ δ.
Défini ainsi, il n’est pas du tout évident que TaSsoit un espace vectoriel. C’est l’objet
de notre théorème principal :
Théorème 1. Sous l’hypothèse d’indépendance linéaire des formes linéaires (dfi)(a),TaS
est un sous-espace vectoriel de Rnde codimension d. Plus précisément :
TaS=
d
\
i=1
ker d(fi)(a).
Démonstration. Une inclusion est facile : soit v=γ0(0) TaS(les notations sont les
mêmes que supra). On a alors
f(γ(t)) = 0 pour |t| ≤ δ.
En dérivant cette égalité en t= 0, nous obtenons
0 = df(a)(γ0(0)) = df (a)(v),
autrement dit
(dfi)(a)(v)=0pour 1id.
1. d1f(a)n’est autre que la restriction à Rd× {0Rnd}de df(a).
2. L’espace affine tangent à Sen aserait a+TaS.
2
La réciproque est plus délicate, et utilise de façon cruciale le théorème des fonctions
implicites, qui va nous permettre de paramétrer 3localement Sau voisinage de a. Si
nous écrivons a= (a1, a2)Rd×Rnd, ce théorème fournit l’existence de deux ouverts
VRdet WRndcontenant a1et a2respectivement et tels que V×WU, ainsi
que d’une fonction
φ:WV
de classe C1telle que
f(x, y) = 0 x=φ(y)pour tout (x, y)V×W.
Fixons alors v
d
\
i=1
ker d(fi)(a). Nous écrirons v= (v1, v2)Rd×Rnd. L’application
γ:t7→ (φ(a2+tv2), a2+tv2)
est alors bien définie au voisinage de 0, de classe C1, et elle vérifie
γ(0) = (φ(a2), a2)=(a1, a2) = a.
Pour compléter la preuve, nous allons vérifier que γ0(0) = v, ce qui prouvera que vTaS.
On a
γ0(0) = (a2(v2), v2).
Il s’agit donc de calculer la différentielle en a2de la fonction implicite φ, ce qui se fait
selon la méthode standard consistant à différentier en a2l’identité
f(φ(y), y) = 0 pour tout yW.
Cela donne :
df(a)(a2(h2), h2)=0pour tout h2Rnd,
soit
df(a)(a2(h2),0) = df (a)(0, h2),
ou encore
a2(h2) = (d1f(a))1d2f(a)(h2).
On en déduit donc que
γ0(0) = ((d1f(a))1d2f(a)(v2), v2).
Or, l’hypothèse sur v, c’est-à-dire df (a)(v) = 0, peut aussi s’écrire
df(a)(v1,0) + df (a)(0, v2)=0,
soit
v1=(d1f(a))1d2f(a)(v2).
En définitive, nous avons donc
γ0(0) = (v1, v2) = v,
ce qui clôt la preuve.
3. c’est-à-dire de décrire localement Sgrâce à ndvariables redevenues libres (c’est-à-dire vivant
dans un ouvert).
3
2 Le théorème des extrema liés
Théorème 2. Soit f1, . . . , fd, g :URdes fonctions de classe C1,
S:= {xU/f1(x) = . . . =fd(x)=0}
et aSfixé. On suppose :
que les différentielles des fien asont linéairement indépendantes,
que la restriction de gàSprésente en aun extremum local.
Alors, il existe des réels λ1, . . . , λduniques tels que
dg(a) =
d
X
i=1
λid(fi)(a).
Les λisont appelés multiplicateurs de Lagrange.
Démonstration. Par dualité, il suffit de montrer que
d
\
i=1
ker d(fi)(a) = ker df(a)ker dg(a),
autrement dit, d’après le théorème 1, que
TaSker dg(a).
Soit donc v=γ0(0) TaS(les notations sont les mêmes que supra). L’application
u:t7→ g(γ(t))
est alors bien définie au voisinage de 0, de classe C1, et elle présente en 0un extremum
local. Par suite, u0(0) = 0, autrement dit dg(a)(v)=0.
3 Un exemple d’application (d’après un exercice posé à l’oral
de l’X)
Soit aun réel strictement positif fixé. Considérons la partie Sde R3définie par les
équations
x+y+z=a,
x2+y2+z2=a2.
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Sest un bien sûr un brave cercle :
Considérons à présent la fonction
g:R3R,(x, y, z)7→ xyz.
Comme Sest compacte, g|Sadmet un maximum et un minimum absolu. Calculons-les.
Pour cela, fixons a= (x, y, z)Sen lequel g|Satteint un extremum local. Si jamais
xyz = 0, alors f(a)=0. Écartons ce cas dans la suite.
En posant
f1(x, y, z) = x+y+za,
f2(x, y, z) = x2+y2+z2a2
on a
f1(a) = (1,1,1) et f2(a) = 2(x, y, z).
Or, on vérifie facilement que Sne contient aucun point dont les coordonnées sont toutes
égales. Comme aS, ces deux gradients sont indépendants. D’autre part,
g(a)=(yz, xz, yz) = xyz 1
x,1
y,1
z.
D’après le théorème des extrema liés, il existe λ1, λ2Rtels que
1
x=λ1+ 2λ2x,
1
y=λ1+ 2λ2y,
1
z=λ1+ 2λ2z.
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